Discours 1973 30

UN BOND EN AVANT SUR LA LIGNE DU CONCILE



Le vendredi matin, 22 juin, le Saint-Père a reçu, dans la Salle du Consistoire, Messieurs les Cardinaux résidant à Rome, qui ont voulu lui exprimer leurs voeux à l’occasion de sa fête et du Xe anniversaire de son avènement au trône pontifical.

Autour du Cardinal Doyen du S. Collège, Son Eminence M. le Card. Amleto Giovanni Cicognani, qui, au nom de toutes les personnes présentes, a prononcé une adresse d’hommage rappelant à grands traits les activités de Paul VI au cours de l’année écoulée et les espoirs que nourrit l’Eglise pour l’Année Sainte, se trouvaient tous les Cardinaux de Curie, les Préfets des S. Congrégations et les Chefs des autres Dicastères de la Curie Romaine, ainsi que l’Archevêque de Québec, le Cardinal Maurice Roy et l’Archevêque de Guatemala, le Cardinal Casariego, de passage à Rome. Répondant à l’adresse d’hommage du Card. Cicognani, le Souverain Pontife a prononcé le discours suivant :



Nous vous exprimons notre gratitude, Monsieur le Cardinal Doyen, à vous et à tout le Sacré Collège, pour ce geste d’affection envers notre personne, à l’approche du jour de notre fête patronale et de l’anniversaire de notre élection à la Chaire de Pierre. Nous vous remercions aussi des nobles paroles que vous avez eu la bonté de nous adresser à cette occasion, en rappelant avec une trop grande bienveillance ce que nous avons accompli au cours des dix années de notre pontificat. Nous aurions préféré que cette date soit passée sous silence. Si nous avons toujours présente à l’esprit la parole du psaume, nous en sentons encore plus vivement cette année le devoir et la force libératrice : Non nobis, Domine, non nobis, sed Nomini tuo da gloriam ! (Ps 113,1). Nous avons cherché seulement la gloire de son nom, seulement la diffusion de son règne, le progrès de l’Eglise, la transmission de sa Parole, la proclamation de sa Vérité et de sa Paix. Nous nous confions totalement à la miséricorde du Seigneur; et nous vous demandons à vous, qui participez de plus près aux projets, aux anxiétés et aux espérances de notre pontificat, de nous aider de vos prières.

Au cours de cette rencontre fraternelle, nous ne voulons cependant pas nous arrêter d’abord au souvenir du passé ; regardons plutôt vers l’avenir : vers tout ce que l’Eglise est appelée à accomplir dans ce futur qui s’ouvre sous nos yeux. Le point auquel Nous sommes parvenu nous stimule à penser à ce que l’Eglise et le mondé attendent de nous, et aux immenses problèmes que nous pose « le ministère de la réconciliation » (cf. 2Co 5,18) en ce moment particulier, ouvert sur le dernier quart du siècle. Nous pouvons les affronter, croyons-nous, dans la mesure où nous avons travaillé dans une complète fidélité au Concile Vatican II. Si quelque chose a pu se faire, avec le concours de toutes les magnifiques énergies à l’oeuvre dans l’Eglise et dans le monde, cela a été seulement une promesse, une préparation pour une nouvelle croissance, pour une nouvelle période au cours de laquelle s’accomplira un grand pas en avant, dans une absolue docilité à l’Esprit Saint, pour réaliser le dessein de Dieu sur l’humanité.

L’enseignement du Concile est loin d’être devenu une réalité vivante pour beaucoup, bien qu’ils s’en réclament ; c’est pourquoi la pleine adhésion à l’enseignement conciliaire continue d’être le programme que nous voulons poursuivre avec une humble fermeté au cours de cette nouvelle étape. Ce dernier a pour but propre de conduire à instaurer de manière stable un style et une conception de la vie dont les prescriptions, le programme et les intuitions conciliaires deviennent le moteur continu et connaturel, la lumière permanente, le stimulant conscient pour ce véritable renouvellement auquel pensait notre prédécesseur Jean XXIII en convoquant le Concile, et dont la célébration de la prochaine Année Sainte a fait son programme propre.

Avec la réforme liturgique, les directives de la Constitution Sacrosanctum Concilium ont été introduites et fermement établies, grâce à des mesures multipliées dans un esprit pastoral, afin que, selon le désir des Pères, « les textes et les rites soient organisés de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire » (cf. ibid., 21). Ce mouvement nous a conduit au nouvel missel et à la liturgie des heures, sans compter bien d’autres révisions et innovations importantes dans les rites. Mais tout ceci n’est qu’une introduction: ce à quoi nous devons viser, nous les pasteurs de l’Eglise, sans nous reconnaître jamais satisfaits, c’est que nos efforts dans le domaine liturgique doivent aider l’homme contemporain à prier vraiment; ils doivent lui enseigner le contact vivant et personnel de son être avec Celui qui est la source et le principe de cet être, avec Celui qui est notre Père, et qui, avec le Christ, nous a donné le salut, dans l’Esprit Saint, a réforme liturgique ne servirait à rien si n’augmentaient pas dans l’Eglise les vrais adorateurs du Père, en esprit et en vérité (cf. Jn Jn 14,23), conscients de leur dignité de membres du Christ, qui est présent de manière éminente dans la communauté cultuelle et offre avec nous son sacrifice à Dieu (cf. joseph G. jungmann, De praesentia Domini in communitate cultus, dans Acta Congressus Internationalis de Theologia Concilii Vaticani II, Cité du Vatican 1968, p. 298). Le monde ne se sauve pas, aujourd’hui, sans la prière.

Plus ce besoin de renouvellement intérieur se fait vif, plus nous nous rendons compte que nous vivons dans un monde sécularisé, comme on dit aujourd’hui, un monde clos sur lui-même et dans son autosuffisance, qui ne demande pas Dieu, et qui, satisfait de ses propres affirmations et déchiré par ses propres névroses, prétend qu’il n’a pas et ne ressent pas le besoin de lui. L’Evangile s’adresse à ce monde : mais nous devons nous demander avec quelle efficacité, avec quel accent incisif, avec quel mordant nous accomplissons cette charge, quasi surhumaine. Nos méthodes pastorales ne sont peut-être pas toujours adaptées aux exigences de l’homme contemporain, qui a pourtant faim de Dieu et a la nostalgie de sa maison, sans le savoir ou oser le reconnaître. Nos paroles le laissent peut-être indifférent. Les méthodes d’une époque, répondant aux nécessités d’un contexte sociologique différent, n’ont plus autant de prise sur une société et une mentalité profondément changées. Or, la mise à jour des méthodes pastorales a été un des buts de Vatican II, et nous n’avons pas manqué d’en rappeler continuellement la nécessité dans notre enseignement : mais si nous voulons faire un examen de conscience franc et sincère, nous ne pouvons dire que cette mise à jour a déjà pleinement atteint les objectifs auxquels ont été appelés les Evêques (Christus Dominus, CD 17), les prêtres (Presbyterorum Ordinis, PO 13) et le laïcat (Apostolicam Actuositatem, AA 6, 8, 14). Les conditions de la société dans laquelle nous vivons nous obligent donc tous à revoir les méthodes, à chercher par tous les moyens à étudier comment porter à l’homme moderne le message chrétien, dans lequel, seul, il peut trouver la réponse à ses interrogations et la force pour son devoir de solidarité humaine. Dans ce but, nous avons demandé à nos frères dans l’épiscopat d’étudier ensemble, au prochain Synode des Evêques, l’évangélisation dans le monde contemporain : c’est une manière de rappeler les consignes du Concile et de les mettre en pratique. Elles nous appellent tous, en vue d’une fidélité totale à notre devoir de ministres du Christ, et de dispensateurs des mystères de Dieu (cf. 1Co 4,1). De cette manière, pensons-nous, on pourra continuer cet effort, qui nous tient tant à coeur, pour contribuer à l’heureuse synthèse des nova et vetera, des traditions et des réformes, pour conserver et mettre à jour le patrimoine de la foi, afin que sa richesse intangible soit présentée de manière convaincante aux hommes de notre temps.

Il est donc évident que l’effort d’ajustement aux nouvelles exigences ne peut s’accomplir au prix d’un travestissement de immuable message de la Révélation, du dépôt sacré que nous avons le devoir de garder, en évitant les profanas vocum novitates (cf. 1Tm 6,20). Nous avons assisté, depuis le Concile, continuant et intégrant la magnifique tradition, précédente, à l’épanouissement d’une riche ecclésiologie qui, avec la christologie, a approfondi les vérités proposées par les documents conciliaires. Ce processus n’est pas toujours allé de pair avec le sens critique sain, avec les critères pastoraux, avec la recherche désintéressée et avec la probité scientifique nécessaires dans les moments de grand changement. D’où le double devoir de raffermir l’éternelle et intangible vérité même dans le contexte changeant de la recherche, du progrès scientifique, de la facilité des échanges et des divulgations, et d’exprimer dans sa valeur qui transcende le temps, en l’adaptant au langage moderne et à la sensibilité nouvelle, la richesse antique et permanente du message du salut. Nos documents, l’introduction de nouvelles institutions, comme la Commission théologique internationale, ont cherché à répondre à cette urgente nécessité ; mais il importe de regarder en avant, pour renforcer l’intégrité de toute la doctrine, sans aucune instabilité due à des modes passagères, et cela en utilisant le langage nouveau auquel, à son tour, ne s’opposent d’autres barrières que celles de la fidélité absolue à la Révélation et au Magistère infaillible de l’Eglise, du respect du sensus fidelium et de l’édification dans la charité. Nous attendons beaucoup de la collaboration loyale et constructive des théologiens d’aujourd’hui pour contribuer à rapprocher l’Evangile et la culture moderne, comme cela s’est déjà fait en d’autres siècles cruciaux dans l’histoire de l’Eglise.

A partir de cet accord, on doit continuer sur une échelle toujours plus vaste le dialogue avec tous les hommes, qui a été le programme de notre pontificat, énoncé dès notre première encyclique Ecclesiam suam et porté toujours plus avant, au nom du Seigneur, soit à l’intérieur de l’Eglise, soit dans les contacts avec le monde — non croyant, non chrétien, non catholique — afin d’instaurer des rapports humains, fondés sur la collaboration réciproque, sur la sincérité constructive, sur la douceur, sur la prudence. Le monde regarde vers l’Eglise, qui doit avoir la capacité, la préparation et les méthodes adaptées pour instaurer et porter plus avant le dialogue qui conduit à l’annonce de l’Evangile du Christ.

31 Un tel engagement dans l’évangélisation doit inspirer aussi une confiance encore plus grande à notre bien aimé clergé diocésain et régulier, précieux collaborateur des évêques, appelé, par le mandat spécifique et irremplaçable du sacerdoce ministériel, à être parmi les fidèles l’intermédiaire de la grâce du Christ, à distribuer le pain de son Corps sacramentel et de sa Parole, à continuer sa présence. Les prêtres ont traversé et traversent encore ça et là une période de difficultés, de souffrances, de désorientation surtout parce qu’ils se rendent bien compte que les moyens pastoraux sont souvent inadaptés aux nécessités d’aujourd’hui. Nous devons accomplir un nouvel effort pour les aider à surmonter ce moment, et satisfaire au devoir qu’a l’Eglise d’aller à la rencontre de ministères variés, de les faciliter de toutes les manières, de leur offrir les moyens efficaces pour leur exercice. Le Concile a fait une obligation aux évêques de s’occuper de manière particulière de leurs propres prêtres (Christus Dominus, CD 16) : il importe, dans ce sens, que le clergé se sache toujours plus aimé, suivi, écouté, mis au courant de l’action pastorale, et qu’il soit en outre aidé à appuyer toujours plus ses méthodes pastorales, qui ont toujours un rôle instrumental, sur la seule réalité qui compte: la prière et l’union à Dieu, « l’âme de tout apostolat », obtenue grâce à une piété eucharistique et mariale vécue, et à une familiarité assidue et fervente avec la Parole de Dieu (cf. 1Tm 4,16).

Pour cette oeuvre d’évangélisation de l’Eglise dans le monde, nous voulons être au premier rang aux côtés de nos Frères dans l’épiscopat, pour faciliter leur ministère. Les soucis et les préoccupations pastorales des Evêques sont aussi les nôtres; et si nous avons introduit les modifications que l’on sait dans notre méritante Curie romaine, ce ne fut que pour rendre toujours plus étroits et féconds le contact et la collaboration avec le corps des Evêques, que « l’Esprit Saint a établis... pour diriger l’Eglise de Dieu que le Christ s’est acquise de son propre sang » (Ac 20,28),

En union avec eux, comme Pierre avec les Apôtres, nous regardons les possibilités étonnantes qui s’ouvrent à l’action pastorale de l’Eglise dans le monde. Oui, devant elle s’entrouvre un champ illimité : pour le cultiver, toutes les forces valides doivent être tendues avec une infatigable générosité et une vigilante compréhension des signes des temps. Il y aurait de quoi trembler, il y a de quoi trembler, si nous n’étions aidés par les vertus théologales de la foi et de l’espérance en Dieu. Il y a dans le monde plus de trois milliards et demi d’hommes, de nos frères, vers lesquels le Seigneur nous commande d’aller prêcher l’Evangile (Mt 28,19) ; et pourtant, en face d’eux nous sommes une petite minorité, le « petit troupeau » (Lc 12,32), qui, dans sa petitesse, doit cependant trouver, non pas la justification d’un défaitisme résigné, mais bien plutôt l’humilité et la hardiesse d’obéir au commandement missionnaire du Christ.

A ce sujet, nous nous tournons avec une grande espérance vers le laïcat catholique et par-dessus tout vers les jeunes, auxquels vont nos vives sympathies et notre paternelle affection. En dépit d’apparences contrastées et d’attitudes tapageuses ou contestataires, nous avons confiance dans les jeunes. A ceux qui cherchent parfois des voies nouvelles d’engagement personnel, nous voudrions répéter la phrase inquiétante de l’Evangile : « Pourquoi restez-vous tout le jour sans rien faire ? » (Mt 20,6). Leur soif d’absolu ne peut être apaisée par les succédanés d’idéologies ou d’expériences pratiques aberrantes. Non, les jeunes ont en eux la capacité, l’ingéniosité, la faculté d’invention, l’imagination, la force, l’esprit de dévouement et de sacrifice qui leur permettent de donner leur contribution au salut de leurs frères : « Allez vous aussi à ma vigne » (ibid., 20, 7). Le Concile Vatican II a appelé le laïcat et la jeunesse à l’oeuvre de l’évangélisation (cf. Ad gentes, AGD 15,21 Apostolicam actuositatem, AA 12,22). Nous nous réjouissons de voir ces directives mises en oeuvre par un nombre croissant de communautés, tandis que Nous souhaitons pour l’avenir qu’une telle action soit plus étendue qu’elle n’a été jusqu’ici. Nous devrons faire attention à cela, afin que l’évangélisation trouve ses ouvriers volontaires à tous les niveaux de la vie ecclésiale. Plus de faits et moins de paroles : voilà l’invitation que nous adressons à tous ceux qui aujourd’hui nous écoutent.

Il faudrait en dire autant de l’activité caritative de l’Eglise dans le monde, appelée aujourd’hui à être présente sur des fronts immenses pour aider tous ceux qui souffrent. Une magnifique floraison d’initiatives et d’oeuvres nous disent, avec le langage consolant de la réalité, que les fils de l’Eglise vivent avec un coeur ouvert à toutes les tragédies du monde. Nos appels ne sont pas restés inentendus. Les nombreux organismes de charité existant en divers pays accomplissent un effort émouvant. En coordonnant les initiatives communes et en les rendant ainsi plus utiles et plus opportunes, sans se substituer à elles, le Conseil Pontifical Cor Unum trouve sa nature et sa finalité. Il permet de prévoir à l’avenir que l’action caritative de l’Eglise sera toujours plus efficace : à une telle harmonie dans l’action et la générosité, nous invitons tous nos fils, bien plus, tous les hommes de bonne volonté, afin qu’on vienne au devant des demandes d’aide, tragiques et dramatiques — celles qui, par exemple, ces jours-ci, nous arrivent de l’Afrique —, pour manifester la vitalité et la crédibilité de la foi elle-même, et l’effort conjoint pour le progrès humain des peuples.

« Le développement est le nouveau nom de la paix », avons-nous écrit en conclusion de l’Encyclique Populorum Progressio (87). Ce nom est l’équivalent de la charité. L’Eglise est appelée à favoriser la paix et le progrès, dans l’amour qui naît du Coeur du Christ ; elle sait bien que c’est au Christ, caché dans les plus petits de nos frères, que vont toutes les attentions les plus discrètes et les plus humbles données à ceux qui ont faim, à ceux qui ont soif, à ceux qui sont privés de vêtements ou de toit, à ceux qui sont malades ou prisonniers (cf. Mt Mt 25,34-46) ; à ceux qui sont sans instruction et sans dignité, aux humiliés, aux opprimés, à ceux qui sont laissés en marge pour des préjugés ethniques ou raciaux. Comme l’Eglise sait que le jugement final portera sur la charité et sur la justice, elle est depuis toujours au service des hommes, ses fils et ses frères : elle cherche à favoriser, par tous les moyens à sa disposition, la paix, le développement des peuples moins fortunés, moins pourvus économiquement, luttant avec patience et espérance, avec la douceur du Christ, pour l’avènement de temps meilleurs. Elle agit comme le levain dans la pâte, faisant prendre toujours mieux conscience à l’humanité de cette nécessaire solidarité interpersonnelle. Comme Nous l’avons écrit dans l’Encyclique déjà citée : « L’heure de l’action a maintenant sonné: la survie de tant d’enfants innocents, l’accès à une condition humaine de tant de familles malheureuses, la paix du monde, l’avenir de la civilisation sont en jeu. A tous les hommes et à tous les peuples de prendre leurs responsabilités » (Populorum Progressio, PP 80). Sur cette route, l’Eglise est aux côtés de ceux qui prennent à coeur, de façon désintéressée, le sort de l’humanité.

Dans un tel contexte, bien que consacrant notre discours plutôt aux aspects internes de la vie de l’Eglise, nous voudrions faire ici rapidement allusion aux relations officielles que le Siège Apostolique entretient avec bon nombre des Etats dans lesquels s’organise la communauté des peuples, c’est-à-dire faire allusion à leur motivation profonde et à leurs caractéristiques.

Entre l’année où nous avons commencé à assumer la charge pontificale et aujourd’hui, le nombre de ces Etats est allé en augmentant graduellement, jusqu’à pratiquement doubler. Il faut noter que les pays qui se sont ainsi joints à ceux déjà liés au Saint-Siège par des relations diplomatiques et qui sont d’ancienne tradition catholique pour la plupart, sont au contraire pour la majeure partie de civilisation non occidentale et non chrétienne.

Ce n’est pas seulement la courtoisie ou les motivations souvent généreusement flatteuses adoptées par -celui qui en prend courtoisement l’initiative, qui nous conduisent à répondre affirmativement aux propositions qui nous, sont faites, de nouer des relations toujours plus nombreuses de ce genre ; encore moins un désir de s’affirmer sur le plan humain ; ou la tentation de nous introduire dans un domaine étranger à la mission de l’Eglise et du Siège Apostolique ; mais c’est bien la conscience d’un devoir — ou au moins d’un titre — qui revient à ce dernier précisément à cause de sa vocation spirituelle et religieuse.

Il nous semble en effet que des peuples aussi divers, qui ne peuvent sûrement pas attendre de nous s un appui d’ordre politique ou une aide matérielle, demandent pourtant au Siège de Pierre quelque chose qu’il ne peut ni ne doit refuser de donner, et que lui seul peut-être est en mesure de donner avec une netteté tellement indiscutable et avec l’autorité qui lui vient de son histoire autant que de sa nature : un souffle, c’est-à-dire une orientation, une inspiration morale que tous, parfois confusément, sentent devoir animer et guider la vie des nations et leurs rapports mutuels. Ce que fait le Saint-Siège, non seulement en proclamant des principes, mais en participant, même comme membre de plein droit, bien que selon des caractéristiques tout à fait particulières, à la vie de la communauté internationale ; en en partageant aussi, de la manière qui lui sied, les problèmes concrets et les responsabilités.

Sans aller jusqu’à les rechercher, le Saint-Siège ne repousse pas en principe les invitations à établir des relations dans lesquelles il voit un moyen de service conforme à ses possibilités et à ses fonctions ; il est heureux au contraire de les accepter. Ces relations, il les veut, pour sa part, confiantes et loyales ; respectueuses de la souveraineté et des droits de tous les Etats, mais libres quant à l’expression de son jugement ou pour la sauvegarde des droits et de la vie de l’Eglise, tout comme pour la reconnaissance des prérogatives de la personne humaine et le respect de toute exigence légitime de l’esprit et de l’ordre moral ; relations telles, par conséquent, qu’elles permettent une collaboration efficace au service des intérêts majeurs communs à tous les Etats et à la communauté des peuples tout entière.

32 Voilà l’esprit qui a guidé le Saint-Siège dans son action de paix. Nous ne croyons pas pouvoir nous limiter à appuyer, en ce domaine, les initiatives d’autrui que d’ailleurs, si elles sont bonnes, nous encourageons, nous bénissons, et qui peuvent toujours compter sur notre appui bienveillant. Nous pensons de notre devoir de nous faire, autant qu’il est possible, un promoteur actif de paix et de pacification, surtout là où manque, fait défaut ou se révèle insuffisante l’action des autres : non pas pour nous substituer aux responsables plus directs, mais parce que nous sommes conscient que personne plus que nous n’en porte la responsabilité devant Dieu. Ni la conviction de la modestie de nos moyens, ni le découragement devant le peu de résultats ou les obstacles qui surgissent avec ténacité ne nous empêcheront de poursuivre dans cette voie. Mais le sentiment du devoir accompli nous soutiendra, ainsi que la confiance que la paix, possible même si elle est difficile, conquerra finalement les esprits et les volontés des hommes.

Cette conscience a conduit le Siège Apostolique, justement ces jours-ci, à accueillir favorablement l’invitation à prendre part à la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, qui s’ouvrira à Helsinki au début de juillet prochain : initiative qui intéresse non seulement l’Europe, mais aussi, en raison de son objet, la famille entière des nations. La participation du Saint-Siège, discrète, sans doute, comme le veut sa condition, entend exprimer un encouragement à cette entreprise ardue et souligner l’importance prééminente des aspects moraux et des droits parmi les facteurs pouvant en assurer l’heureuse réussite.

Ceci se rattache, à notre avis, bien que sur un plan distinct, à ce domaine extrêmement vaste de l’action pastorale, éducative, missionnaire, sociale et internationale, que l’Eglise est appelée à remplir pour la sanctification de ses membres, pour le salut spirituel du monde et pour le progrès des peuples. Toutes les forces valides doivent se sentir engagées. Un nouveau frémissement de vie et de générosité, un nouvel élan de foi et d’activité doit parcourir la communauté ecclésiale tout entière pour atteindre les buts qui s’ouvrent devant elle. Nous devons avoir conscience qu’une heure privilégiée sonne au cadran de l’histoire du monde. Et tous, unis dans l’amour, et conduits par un profond accord d’intention, nous devons nous savoir appelés à collaborer à l’oeuvre que Dieu attend de chacun de nous, pour la gloire de son Nom, pour la venue de son Royaume.

L’Eglise, sortie du Concile avec un visage renouvelé, si elle a été parfois troublée par des déploiements de forces opposées, porte en elle de nouveaux germes de vitalité qui donnent bon espoir pour une vigoureuse floraison de sainteté et d’action, avec la grâce de Dieu. Ce ne sont pas les divisions, les incompréhensions, les soupçons réciproques qui favorisent l’oeuvre de l’Eglise dans le moment présent ; bien au contraire, :ils la troublent et la paralysent. La confusion doctrinale et l’indiscipline font s’évanouir du visage de l’Eglise la beauté radieuse de l’Epouse du Christ et en troublent les traits aux yeux sereins des fidèles et de tous ceux qui regardent vers elle comme vers la cité située au sommet de la montagne (cf. Mt
Mt 5,14), comme vers l’étendard levé au-dessus des nations (cf. Is Is 5,26). Ce n’est pas ainsi, non, ce n’est pas ainsi qu’il est possible d’offrir au monde d’aujourd’hui, miné de l’intérieur par des idéologies et des modes d’action contraires non seulement à l’Evangile mais aussi à la dignité humaine elle-même, cet exemple dont il a besoin, en lui présentant les vertus évangéliques de pauvreté, d’humilité, de pureté, de patience, de charité, d’héroïsme. D’où la nécessité d’une relance vigoureuse de l’Esprit de l’Evangile que nous aimons voir dans l’initiative de l’Année Sainte : mouvement de purification, de réconciliation, de sainteté intérieure et de solidarité fraternelle, qui culminera à Rome en 1975 et qui est déjà en train de se réaliser dans toutes les Eglises locales depuis la Pentecôte dernière. Un profond renouveau spirituel doit animer les chrétiens, leur faire sentir leur devoir d’être le sel de la terre, la lumière du monde (Mt 5,13-14).

L’Eglise ! Quel présent nous a fait le Seigneur en nous donnant l’Eglise ! « Elle est humble et majestueuse. Elle se donne pour but d’intégrer toutes les cultures et d’assumer en elle-même toutes les valeurs, et en même temps elle veut être la demeure des petits, des pauvres, d’une foule de gens simples et dignes de pitié. Elle ne cesse pas un instant de contempler Celui qui est à la fois le Crucifié et lé Ressuscité, l’homme de douleur et le Seigneur de gloire, le Vaincu par le monde et le Sauveur du monde » (H. de lubac, Méditations sur l’Eglise, dans la Théologie après Vatican II, Brescia 1967, p. 327).

L’Eglise ! C’est le désir ardent de toute notre vie, le soupir ininterrompu, entrecoupé de souffrance et de prière, de ces années de pontificat, depuis que le Seigneur a voulu nous confier la charge des brebis et du troupeau, en gage d’un amour mystérieux dont nous découvrirons le motif secret seulement dans le ciel et qui’ nous oblige, en retour, jour après jour, à une réponse d’amour : « Tu sais que je t’aime » (cf. Jn 21,15-17). Cet amour pour le Christ et pour l’Eglise nous a poussé à conserver et à en garantir, au cours de ces années, l’unité et la pleine concorde. La grâce de Dieu nous a donné son aide : mais nous devons tout faire, avec nos frères dans l’épiscopat, avec les prêtres et les laïcs, pour que cette unité, fruit très consolant et signe de crédibilité pour le monde (cf. Jn Jn 17,21-23), demeure, s’affermisse, grandisse considérablement. C’est l’ultime commandement du Christ, à l’autel de la dernière Cène : « Qu’ils soient un » (cf. Jn Jn 17,21), « qu’ils soient parfaitement un » (cf. Jn Jn 17,23).

Un tel commandement, de même qu’il continuera à faire avancer et à soutenir, avec la collaboration loyale de nos frères séparés, l’activité oecuménique développée jusqu’à présent dans un climat de si grande espérance et de progrès sûr, doit également soutenir la marche de l’Eglise à laquelle nous avons donné notre coeur et notre vie. A elle notre commun attachement, nos pensées, notre service, parce qu’elle est le projet visible de l’amour de Dieu pour l’humanité, le sacrement du Salut : « Mère des Saints, image de la cité céleste, gardienne éternelle du Sang incorruptible, rendez-vous de ceux qui espèrent, Eglise du Dieu vivant » (A. manzoni, Inni Sacri, « La Pentecôte »). Ce sont les profondes paroles d’un génie de la littérature dont nous célébrons en cette année 1973 le centenaire de la mort, Alexandre Manzoni. Mais, pour exprimer notre amour à l’Eglise, nous dirons, avec un génie de la sainteté que nous avons aussi commémoré cette année ; Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « j’aime l’Eglise, ma mère ! » (cf. Manuscrits autobiographiques de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Lisieux 1957, p. 229).

Qu’elle nous renforce tous dans cet amour, la Vierge Sainte, Mère de l’Eglise, à qui nous confions avec une anxieuse espérance notre service pontifical, ainsi que vous tous, frères et fils très aimés. Et pour nous encourager tous dans notre commune volonté de fidélité, que descendent sur nous les Bénédictions divines, dont la nôtre veut être le gage et le reflet : au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.





À L'ASSOCIATION DES JOURNALISTES


CATHOLIQUES DE BELGIQUE


Mercredi 27 juin 1973




Chers Messieurs,

Vous représentez une Association dont chaque année nous apprécions l’attachement au Saint-Siège et la généreuse initiative. C’est pour nous une grande joie de vous consacrer spécialement ces trop brefs instants.

33 D’abord votre profession de journalistes, de journalistes catholiques, est à nos yeux tout un programme. Dans le style requis par la presse quotidienne ou hebdomadaire, c’est-à-dire avec l’urgence qui bien souvent s’impose et la nécessité d’une présentation qui saisisse un lecteur étourdi par tant de nouvelles d’intérêt inégal, vous êtes appelés à une tâche passionnante et difficile, dont nous entretenons souvent nos visiteurs: donner des informations ou des reportages qui correspondent le plus possible à la vérité; fournir à vos lecteurs ce qui pourra élargir leur esprit et leur coeur, cimenter leur solidarité; témoigner, dans le respect de tous, de la foi chrétienne qui vous anime et de la confiance que vous nourrissez envers l’Eglise.

N’est-ce pas dans cet esprit que vous osez, depuis de nombreuses années, solliciter, par souscription, ce que vous appelez les «Etrennes pontificales»? Autrement dit, vous éduquez le grand public à comprendre les charges immenses d’ordre administratif, caritatif, missionnaire que connaît actuellement le Saint-Siège, pour faire face au service universel qu’il assume. A un moment où un soupçon maladif gagne souvent, à ce propos, le coeur des catholiques eux-mêmes, il y faut un certain courage, il y faut un grand amour de l’Eglise. Soyez-en félicités. Et par delà vos personnes, nous remercions vivement vos collègues des journaux catholiques de Belgique qui participent à cette campagne, et surtout les donateurs qui répondent généreusement à votre initiative, de façon discrète, comme la veuve de l’évangile (Cfr. Marc
Mc 12,41-44), mais méritante et efficace. Que le Seigneur vous récompense tous de ce geste filial envers notre personne, de cette solidarité envers le Saint-Siège! Et à chacun de vous, à vos familles ici représentées, à tous ceux qui ont participé de quelque façon à votre démarche, qui l’ont permise, nous donnons notre affectueuse Bénédiction Apostolique.



AUX PARTICIPANTS AU PÈLERINAGE DES «PATROS DE JEUNES FILLES» DE BELGIQUE


Dimanche 15 juillet 1973




Nous sommes heureux de pouvoir rencontrer quelques instants, malgré la brièveté de leur séjour à Rome, les participants au «pèlerinage des Patros de Jeunes Filles de Belgique et de l’Association Nationale des Parents et Anciens du Patro».

Votre présence, Mesdemoiselles, Nous est une joie ce matin; joie plus grande encore en songeant à toutes celles que vous avez certainement à coeur de représenter aujourd’hui auprès de Nous. A toutes, donc, Nous adressons un salut cordial. Au plaisir qu’éprouvent les jeunes à se retrouver ensemble pour des activités communes, vous joignez, dans vos associations, le souci de vous former et de vous préparer à vos responsabilités de demain. Nous vous en félicitons et vous encourageons à poursuivre vos efforts dans cette voie, souvent difficile, mais qui vous prépare à donner un sens utile à votre vie de demain.

Cependant, vous n’avez pas voulu venir seules à ce pèlerinage. Un groupe important de vos parents et d’anciens du Patro vous accompagne. Alors que trop souvent, les générations s’éloignent les unes des autres, s’isolent et parfois même s’opposent, Nous voyons dans cette participation le signe d’un accord profond sur le sens de vos associations et d’une volonté de collaboration féconde. Puissiez-vous trouver tous et toutes, dans votre pèlerinage au tombeau des apôtres et au centre de l’Eglise un sens renouvelé de l’unité que les chrétiens doivent mettre en pratique et rayonner. Avec notre Bénédiction Apostolique.



AUX PARTICIPANTS AU VIII CONGRÈS DE LA


SOCIÉTÉ EUROPÉENNE DE SOCIOLOGIE RURALE


Mercredi 25 juillet 1973




Chers Messieurs,

Depuis sa fondation à Wageningen, en Hollande, le 29 novembre 1957, la Société européenne de Sociologie rurale a singulièrement étendu son rayonnement. Ce n’est pas souvent que Nous accueillons des spécialistes des problèmes ruraux; mais aujourd’hui il Nous est fort agréable de vous saluer tous autant que vous êtes, responsables de ce huitième Congrès, conférenciers qualifiés, et professeurs qui consacrez le meilleur de vos talents à l’enseignement de la Sociologie rurale dans les Universités d’Europe.

Vous n’attendez pas de cette rencontre quelque propos d’ordre technique. Le regard que Nous avons donné au programme des exposés et des échanges de ces journées romaines Nous laisse deviner leur densité et leur à-propos. Mais vous pouvez croire que toute contribution au développement authentique de l’homme et de la communauté humaine Nous intéresse profondément. Nous ne saurions oublier que votre patient travail est voué au service du monderural qui compte, aujourd’hui encore, un peu plus de la moitié de la population humaine.

La sociologie, vous le savez parfaitement, ne veut pas être seulement une photographie mais une radiographie des réalités humaines. Les sociologues que vous êtes peuvent ainsi favoriser des prises de conscience salutaires dans les milieux agricoles actuellement désemparés face à la société industrielle et à l’urbanisation galopante. Vos recherches, nécessairement accomplies en étroite liaison avec tous les responsables du monde rural et répercutées par eux, doivent aider les habitants des campagnes à devenir un peuple réaliste, inventif, coopérant, un peuple neuf qui se relève non pour conserver ses terres mais pour les aménager et rééquilibrer une civilisation urbaine qui ne peut survivre sans lui.


Discours 1973 30