Discours 1971



Discours 1971


DISCOURS (ET HOMÉLIES) DU PAPE EN DIVERSES CIRCONSTANCES




AU NOUVEL AMBASSADEUR DE L’IRAN

PRÈS LE SAINT-SIÈGE*

1
Jeudi 7 janvier 1971




Monsieur l’Ambassadeur,

Les aimables paroles que Votre Excellence vient de Nous adresser Nous touchent d’autant plus que Nous avons encore présents à l’esprit et au coeur l’accueil cordial et fervent, la délicate hospitalité qui Nous ont été réservés il y a quelques semaines, au cours de notre escale à Téhéran, alors que Nous Nous présentions en humble successeur de l’Apôtre Pierre et pèlerin de la paix. Nous avons déjà eu l’occasion d’exprimer notre vive reconnaissance à Sa Majesté Impériale, Mohammad Reza Pahlavi, le Shahinshah Ariamehr, qui vous accrédite aujourd’hui auprès de Nous comme Ambassadeur. Soyez le bienvenu à votre tour près de ce Siège Apostolique, vous et tout le noble peuple que vous représentez.

C’est avec émotion que Nous vous avons entendu évoquer la personnalité et l’oeuvre de Cyrus le Grand, dont vous vous apprêtez à fêter le deux mille cinq centième anniversaire. Pour Nous-même, vous le savez, à travers le témoignage de la Bible, cet illustre Empereur reste le symbole du réalisateur d’un dessein cher à Dieu: du respect des minorités, de leur libération de l’esclavage et de l’exil, en un mot de l’espérance.

A travers toutes les vicissitudes de son histoire, votre pays est demeuré un foyer de civilisation, gardant sa physionomie originale au coeur de l’Asie. Et Nous apprécions les efforts déployés aujourd’hui par Sa Majesté Impériale, non seulement pour les progrès techniques, mais pour l’alphabétisation - n’est-il pas significatif que le Congrès de l’UNESCO de 1965 se soit tenu dans votre capitale? - pour la réforme agraire, pour l’accès de tous à des conditions meilleures, pour leur protection contre ce qui déshumanise et avilit l’homme, pour la consolidation enfin de la justice et de la paix. Notre propre mission spirituelle Nous presse d’encourager et de promouvoir selon nos faibles forces, comme une volonté de Dieu et une réponse à son amour, cette recherche d’un développement humain intégral, toujours ouvert sur l’Absolu. Le culte des auteurs mystiques n’est-il pas resté en honneur auprès de vos populations?

Nous savons gré à vos Gouvernants et au peuple iranien lui-même de manifester aujourd’hui un esprit de dialogue bienveillant avec les communautés de toute origine et de toute confession. Au sein de votre pays, les catholiques, et au premier rang les congrégations religieuses, ne demandent que cette possibilité de vivre et de témoigner de leur foi, comme aussi cette liberté de servir leurs compatriotes par toutes les activités hospitalières, culturelles et éducatives que leurs moyens leur permettront, dans cet esprit de charité universelle qui rejoint une antique tradition de votre pays.

Dans ces sentiments, Nous formulons les meilleurs souhaits pour la mission que Votre Excellence inaugure en ce jour auprès du Saint-Siège, en cette Cité où tant d’Ambassades se donnent comme un rendez-vous dans lequel Nous voulons voir un présage de la Paix à laquelle nous aspirons tous. Par votre entremise, Nous renouvelons à Sa Majesté Impériale nos respectueuses salutations et Nous invoquons de tout coeur sur tout le peuple iranien, comme sur vous-même. l’aide et la Bénédiction du Très-Haut.

*AAS 63 (1971), p.126-127.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. IX p.19-20.

L’Attività della Santa Sede 1971, p.16-17.

L'Osservatore Romano 7-8.1.1971 p.1.

2 L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.3 p.12.


9 janvier



LA MISSION SPIRITUELLE DE L’EGLISE DANS LE MONDE





A l’occasion de la présentation des voeux du Corps Diplomatique pour la Nouvelle Année.



Excellences et Chers Messieurs,

Nous sommes heureux de Nous retrouver au milieu de vous en ce début d’année nouvelle pour la cérémonie traditionnelle des voeux, De tout coeur Nous remercions votre excellent interprète, Monsieur le Doyen du Corps Diplomatique, pour ses expressions si délicates à notre égard. A tous, à vos personnes comme à vos familles, Nous adressons nos meilleurs souhaits, pour que le Seigneur vous donne, au fil des jours et au long des mois, les joies familiales et professionnelles que vous pouvez légitimement espérer.

Cette rencontre annuelle Nous fournit l’occasion de réfléchir avec vous à la signification de votre présence auprès de Nous. Certains auraient pu croire que la disparition du pouvoir temporel, voici un siècle, entraînerait, par le fait même, la disparition d’un Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège. Il n’en est rien. Au contraire, les représentations diplomatiques auprès du Vatican n’ont cessé d’augmenter, soulignant ainsi qu’il s’agissait beaucoup moins de relations avec un Etat qu’avec ce centre du catholicisme qu’est le Saint-Siège. Chacun sait par ailleurs que l’existence du modeste Etat de la Cité du Vatican n’est que le support minimum nécessaire, comme le disait notre grand prédécesseur le pape Pie XI, à l’exercice d’une autorité spirituelle dont la parfaite indépendance est ainsi internationalement reconnue et garantie dans l’ordre qui lui est propre. Le Concile du reste a clairement précisé quels sont les rapports entre l’Eglise et l’Etat, dans sa Constitution pastorale Gaudium et Spes. Il apparaît ainsi à tous que les rapports entre les Etats et le Saint-Siège, loin de contredire la mission spirituelle de celui-ci, sont destinés au contraire à la favoriser et à en faciliter l’accomplissement. L’originalité — la singularité, pourrions-Nous dire — de votre présence se manifestent en ce que l’existence d’un Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège n’entraîne pas de liens d’ordre temporel, ni de la part du Saint-Siège vis-à-vis des Etats, ni de la part des Etats vis-à-vis du Saint-Siège : ni charges, ni avantages matériels, soit d’ordre économique, ou commercial, ou militaire.

C’est d’un dialogue qu’il s’agit, d’une rencontre permanente et qualifiée, comme le disait si justement notre vénéré prédécesseur le pape Pie XII, en parlant du « rôle de la diplomatie : elle constitue une permanente rencontre de la grande famille des nations » (Discours au Corps Diplomatique, LE 25 février 1946, dans Discorsi e Radiomessaggi, vol. VII, p, 403) ; une rencontre à un haut niveau : l’Eglise, à travers ces rapports de nature diplomatique, est à l’écoute des responsables officiels, et se fait entendre d’eux de la même manière dans les termes les plus adaptés et les plus authentiques.

Quels sont les thèmes de ce dialogue — outre les problèmes touchant la situation de l’Eglise dans les divers Etats et les fins de sa mission propre et de son service auprès des différents peuples — sinon les questions les plus importantes et les intérêts majeurs de l’humanité : par exemple les droits de la liberté religieuse, qui sont ceux de Dieu et de la conscience : les droits de l’homme ; la conscience de l’ordre et du progrès international, la justice et spécialement la paix ?

Il faut le dire : les raisons profondes des interventions du Saint-Siège échappent parfois au regard d’observateurs superficiels, parce qu’elles relèvent de motivations spirituelles et morales et parce qu’elles ne se confondent avec aucune action d’ordre temporel. C’est pourquoi il arrive que de telles interventions déconcertent ceux qui voudraient les interpréter en fonction d’une politique ou simplement les juger à l’aune des seuls intérêts nationaux.

Voix de la conscience humaine éclairée par l’Evangile, le Saint-Siège ne dispose, à l’appui de ses interventions, ni de la force matérielle, ni des moyens habituels de persuasion. Sans autre souci que de rappeler inlassablement les exigences du bien commun, le respect de la personne humaine, la promotion des plus hautes valeurs spirituelles, son action entend être l’expression fidèle de la mission de l’Eglise dans le monde.

Le Saint-Siège certes ne l’ignore pas : les difficultés sont innombrables sur ce chemin et les progrès ne peuvent se faire que par une transformation progressive des esprits et des coeurs. Et, si son action extérieure est plus apparente, elle ne saurait faire oublier pour autant le travail intérieur et quotidien de toute l’Eglise, de chaque chrétien, de chaque communauté chrétienne en dialogue incessant avec le monde. Le Saint-Siège — est-il besoin de le rappeler ? — n’est-il pas, sur le plan juridique international, l’expression d’une communauté spirituelle vivante dont les membres sont engagés les uns et les autres dans le tissu même des nations ? Et les chrétiens, loin de se considérer comme à part dans le monde, sont tout les premiers, qu’ils soient gouvernants ou gouvernés, et ce malgré les principes supérieurs qu’ils proclament au nom de leur divin fondateur et qu’ils s’efforcent de mettre en oeuvre, sujets à l’humaine faiblesse. Le Saint-Siège, quant à lui, à son niveau, est en contact avec les Etats : les moyens peuvent différer, la mission est la même, et Nous vous remercions, Excellences et chers Messieurs, de la sympathie attentive avec laquelle vous en êtes les témoins autorisés auprès de vos gouvernements respectifs, dans un souci partagé de service désintéressé et d’activé collaboration.

3 Aussi, nulle part, croyons-Nous, l’exercice de la diplomatie, qui a bien ses vicissitudes, ne peut-il être, de part et d’autre de ses interlocuteurs, plus étranger aux passions et aux intérêts temporels, et plus engagé pour le bien moral des peuples et le témoignage sincère et discret de l’Evangile. Les années où le service diplomatique vous conduit auprès du Saint-Siège sont, pensons-Nous, pour vous, un moment de travail serein et d’intense et profonde méditation : sur l’homme, sur la civilisation, sur l’histoire, sur la vie commune amicale des nations entre elles, sur les vrais principes de la civilisation et de la paix. Ici, c’est le droit des peuples qui domine toute la masse des traités et des politiques, des intérêts économiques et de prestige ; ici, c’est une école d’humanité, une école où l’Eglise est tout à la fois disciple et maîtresse (cf. Gaudium et Spes, GS 11,3 GS 40, in fine ), et où le Corps diplomatique peut entrevoir ce que serait le monde, s’il était gouverné par l’amour qui, dans l’Eglise, veut être le principe constitutif.

Cette société d’une nature toute particulière qu’est l’Eglise et que le diplomate est en condition d’observer de près, dans son centre — certainement avec indulgence pour les défauts humains, mais avec considération pour les principes qui l’inspirent — ramène constamment, croyons-Nous, à la conscience du diplomate, les principes idéaux, paradoxaux si l’on veut, qui devraient inspirer la politique idéale de l’humanité et la guider vers un progrès continuel dans la culture et les relations humaines, dans l’unité et la paix universelle. Si la diplomatie tend à préférer aux rapports de force et de pur intérêt égoïste ceux du droit, de la solidarité et de la paix, elle peut trouver, dans cette expression qui s’offre à sa méditation, l’initiation à sa forme meilleure et essentielle.

Ainsi Nous-même, du reste, chercherons-Nous à avoir une conscience plus claire de cette situation, qui Nous met en contact direct avec un Corps diplomatique comme le vôtre : c’est le monde, Nous dirons-Nous à Nous-même, voici les peuples, voici les Etats dans une attitude de dialogue positif ; et Nous n’aurons pas besoin de recourir au langage aulique des temps passés pour exprimer notre éloge et notre apologie en faveur de ce contact humain que Nous offre le Corps diplomatique : incomparable par sa valeur représentative, extrêmement stimulant pour la recherche de rapports caractérisés par la vérité, la justice, l’estime et la confiance, et continûment tourné vers les principes les plus hauts de la fraternité humaine.

Nous sentirons aussi le besoin — bien plus, le devoir — de défendre votre mission des jugements superficiels de ceux qui se limitent à en regarder les livrées traditionnelles, ou à y voir un jeu, heureusement aujourd’hui passé de mode, de pure et déloyale astuce dans son exercice.

Plus encore, Nous Nous ferons l’obligation de protéger de l’autorité morale de notre voix, — désarmée certes mais explicite — l’exercice d’une si haute mission, des attentats criminels, qui se sont dernièrement si indignement répétés, contre l’intégrité et l’immunité des personnes qui sont revêtues du caractère diplomatique. Pour l’honneur et pour l’avenir de la civilisation moderne, de pareils forfaits ne devraient plus se répéter. Les normes sanctionnées par la Convention de La Havane, du 20 février 1928 (cf. société des nations, Recueil des traités et des engagements internationaux enregistrés par le Secrétariat de la Société des Nations, vol. LXXXVI, 1929, n. 1950, PP 111-382, art. 1,2 et 5), et les décisions prises par les Conventions de Vienne du 18 avril 1961 et du 24 avril 1963 (cf. nations-unies, Recueil des traités, vol. 500 et 596) devraient encore avoir force de loi, non seulement pour les gouvernements, mais encore pour la conscience civile. Convaincu pour notre part de plaider la cause d’une des prérogatives les plus sacrées, les plus antiques, les plus universellement reconnues et les plus nécessaires au déroulement ordonné des relations internationales, Nous déplorons vivement les outrages portés, en ces derniers temps, contre l’inviolabilité personnelle des fonctionnaires diplomates, et Nous le déplorons d’autant plus que ces diplomates et leurs services étaient parfaitement étrangers aux différends dont — par violente embûche de partisans — leurs personnes sont demeurées les victimes, devenant ainsi l’objet d’un chantage exécrable.

Maintenant, maiora canamus. Elevons notre pensée vers les finalités humaines si sages de votre mission, Messieurs les diplomates. Quant à Nous, à vous tous, Nous exprimons notre gratitude pour la noblesse avec laquelle vous exercez les fonctions qui sont respectivement confiées à chacun d’entre vous. Et en même temps Nous vous présentons nos meilleurs voeux pour vos si dignes personnes et pour les pays que vous représentez. De tout coeur Nous accompagnons notre souhait mutuel d’heureuse année et de paix dans la justice de notre Bénédiction Apostolique.





*AAS 63 (1971), p.127-131.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. IX, p.21-26.

Eglise et documents, vol. IV, pp. 191-195

L’Osservatore Romano, 10.1.1971 p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n.3 p.1, 2.

4 La Documentation catholique, n.1619 p.105-107.





DISCOURS DU PAPE PAUL VI


AU PRÉSIDENT DU NIGER*


Jeudi 14 janvier 1971




Monsieur le Président,

Les aimables paroles que vous venez de Nous adresser Nous touchent profondément, et Nous sommes particulièrement heureux de saisir cette occasion pour exprimer à Votre Excellence, et au noble pays qu’elle représente, avec nos souhaits cordiaux, les sentiments d’estime respectueuse qui Nous animent, ainsi que la communauté catholique du Niger.

Dans son message, Votre Excellence a tenu à souligner un certain nombre de conditions qui lui paraissent nécessaires pour un progrès humain authentique: la place de choix faite aux valeurs spirituelles, la solidarité et l’entraide dans le développement économique, l’établissement de la paix par des voies justes plutôt que par des rapports de force.

Ce sont, vous l’avez souligné avec une grande délicatesse, des perspectives que Nous ne Nous lassons pas de développer au forum international, comme Nous l’avons fait spécialement dans notre encyclique Populorum progressio, dans notre message à l’Afrique et dans nos allocutions lors de notre voyage en Ouganda. Oui, pour Nous, le progrès de la technique et même celui de la culture seraient vains et voués à l’échec sans un surcroît de conscience qui tienne compte de la vocation divine de l’homme. L’organisation sociale, indispensable, ne portera des fruits valables et durables que dans un climat de coopération et de participation de toutes les forces vives du pays, et de relations solidaires avec les voisins immédiats - tels ceux du «Conseil de l’Entente» que vous avez formé -, avec les amis de l’Afrique, de l’Europe et du monde, assurant ainsi votre juste place dans le concert des nations. Enfin le bonheur exige que chaque personne comme chaque entité sociale soient respectées avec leur caractère spécifique, mais sachent elles-mêmes dépasser l’individualisme étroit ou les rivalités meurtrières qui peuvent les tenter.

Sur ce chemin d’espérance, Nous connaissons et Nous apprécions les efforts que déploie Votre Excellence. Et les chrétiens eux-mêmes, vous en avez fait l’expérience, malgré leur petit nombre, ne demandent qu’à collaborer à tout ce qui peut promouvoir le développement économique et social, l’alphabétisation et la culture, la paix et la fraternité. C’est en ce sens que veulent travailler missionnaires, religieuses et laïcs catholiques. Nous savons gré à Votre Excellence de la bienveillance qu’elle manifeste à leur endroit. Certes, leur souci primordial est de vivre leur propre foi, dans le respect de celle de leurs frères. Mais comment pourraient-ils en vivre, sans donner en même temps le généreux témoignage de l’amour désintéressé qui en est le corollaire obligé, d’un amour qui se fait service, dans le sillage du Père Charles de Jésus, si attaché aux populations de votre région?

Souhaitant que ces relations amicales se poursuivent et s’intensifient, Nous formulons pour la jeune République du Niger, qui vient de fêter son dixième anniversaire, nos souhaits les plus cordiaux, et Nous manifestons à Votre Excellence, que Nous avons eu la joie d’accueillir ce matin, et à tous ceux qui l’accompagnent ici, notre respectueuse sympathie, en implorant de grand coeur, sur vous-même comme sur votre chère patrie, les Bénédictions abondantes du Tout-Puissant.

*AAS 63 (1971), p.132-133.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. IX, p.38-39.

L’Attività della Santa Sede 1971 p.30-31.

5 L’Osservatore Romano, 15.1.1971, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française, n. 4 p.1, 3.




28 janvier



LE TRIBUNAL DE LA ROTE REÇU PAR PAUL VI





A l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire.



Comme chaque année, l’inauguration solennelle de l’activité judiciaire du Tribunal de la S. Rote romaine nous offre la satisfaction d’en recevoir les dignes membres qui ont tant de mérites pour le Saint-Siège : Mgr le Doyen, que nous remercions pour sa noble adresse, le collège des prélats Auditeurs, les Officiers du Tribunal et le Studio de la Rote. A tous nous adressons notre salut, nos éloges, nos encouragements.

Au début de votre année judiciaire vous vous attendez à notre parole : et nous-sommes heureux de réfléchir un instant avec vous sur quelques points que nous rappelle votre présence. D’une manière très simple d’ailleurs et sans aucune prétention doctorale, même si les controverses actuelles relatives à ces points mériteraient quelques précisions doctrinales.

1. Tout d’abord, l’exercice de l’autorité : dans l’Eglise, avec les pouvoirs précis qui découlent de la volonté même du Christ, dans le cadre de cet amour évangélique par lequel toute manifestation d’autorité est un engagement envers la volonté du Christ et une responsabilité de service dans la communauté. Effectivement, l’ordre de la charité veut que chacun aime son prochain — et tous sont le prochain, d’après le nouveau commandement de Jésus — ; c’est-à-dire que chacun « serve » les autres, soit utile aux autres. Les autres sont l’objet, non l’origine de l’autorité établie pour leur service, mais pas à leur service.

But du « service »





Certains, dans la communauté, ont un devoir et un droit de se rendre utiles aux autres sous des formes déterminées, pour des fins déterminées ; ils sont les « ministres » de la charité, de l’Evangile, de l’Eglise ; ils sont la hiérarchie. Le concept de l’autorité-service se réalise en elle dans la mesure et de la manière la plus complète ; et celle-ci, par un mandat qui vient de la charité de Dieu, se fait charité humaine parce qu’elle est venue du Christ et de Dieu, et c’est pourquoi, par certaines opérations, elle revêt un caractère fonctionnel de supériorité sociale, et parce qu’elle se réalise toujours par le dévouement de soi dans un but et dans un esprit de service, avec un caractère d’exclusivité fondé sur l’appel divin (cf. He He 5,4).

La Constitution Lumen Gentium a bien fait ressortir ce caractère de prééminence dans la richesse et la diversité des pouvoirs et des dons par lesquels l’unique Esprit orne son Eglise : « Parmi ces dons, a dit le Concile Vatican II (cf. Lumen Gentium, LG 7), la grâce accordée aux Apôtres tient la première place : l’Esprit lui-même soumet à leur autorité jusqu’aux bénéficiaires des charismes (cf. 1Co 14). Le même Esprit, qui est par lui-même principe d’unité dans le corps où s’exerce sa vertu et où il réalise la connexion intérieure des membres, produit et stimule la charité entre les fidèles ». Même l’ensemble des lois établies par l’autorité de l’Eglise rentre donc dans cette perspective du bien suprême de la société ecclésiale et de ses membres, parce que tout part-de la conception de l’Eglise et du principe — Dieu — et de la fin — le prochain — de l’autorité qui la régit.

Cette conception a été examinée et approfondie par le Concile qui a mis en lumière le caractère mystique de l’Eglise (aspect charismatique) et son aspect visible, l’un et l’autre hiérarchique et communautaire, en accentuant le but de « service » de l’autorité de l’Eglise, autorité dont, par ailleurs, il a déclaré les caractères particuliers et irremplaçables, lorsqu’il a dit : « Chargés des Eglises particulières comme vicaires et légats du Christ, les évêques les dirigent par leurs conseils, leurs encouragements, leurs exemples, mais aussi par leur autorité et par l’exercice du pouvoir sacré... Ce pouvoir qu’ils exercent personnellement au nom du Christ est un pouvoir propre, ordinaire et immédiat : il est soumis cependant dans son exercice à la régulation dernière de l’autorité suprême de l’Eglise et, en considération de l’utilité de l’Eglise ou des fidèles, il peut être, par cette autorité, resserré en certaines limites. En vertu de ce pouvoir, les évêques ont le droit sacré, et devant Dieu le devoir, de porter des lois pour leurs sujets, de rendre les jugements et de régler tout ce qui concerne l’ordre du culte et de l’apostolat... Quant aux fidèles, ils doivent s’attacher à leur évêque comme l’Eglise à Jésus-Christ et comme Jésus-Christ à son Père, afin que toutes choses conspirent dans l’unité et soient fécondes pour la gloire de Dieu » (Lumen Gentium, LG 27).

6 Il est bien vrai que, de la part de certains, s’est tellement accentué le caractère de « service » de l’autorité de l’Eglise, qu’il peut y avoir deux conséquences dangereuses dans la conception de la constitution de l’Eglise elle-même : celle de donner une priorité à la communauté en lui reconnaissant des pouvoirs charismatiques efficaces et propres, et celle de négliger l’aspect du pouvoir dans l’Eglise, avec un discrédit accentué des fonctions canoniques dans la société ecclésiale ; de là a découlé l’opinion d’une liberté sans discernement, d’un pluralisme autonome, et une accusation de « juridisme » faite à la tradition et à la pratique normative de la hiérarchie.

Transmission du pouvoir du Christ aux Apôtres





Devant ces interprétations qui ne correspondent pas fondamentalement à la pensée du Christ et de l’Eglise, nous voudrions encore aujourd’hui rappeler que l’autorité, c’est-à-dire le pouvoir de coordonner les moyens aptes à atteindre la fin de la société ecclésiale n’est pas contraire à l’effusion de l’Esprit dans le Peuple de Dieu, mais en est bien le véhicule et la garde. Cette autorité a été attribuée à Pierre et aux Apôtres comme à leurs successeurs légitimes par le Christ lui-même : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples... leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (
Mt 28,18-19) ; « Tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié » (Mt 18,18) ; « Qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé » (Lc 10,16). Ensuite, l’office de lier et de délier a été donné à Pierre personnellement (Mt 16,19 et cf. Mt Mt 18,18 Jn 20,23) tandis qu’il était constitué la « pierre » de l’édifice ecclésial (Mt 16,18), c’est-à-dire le « principe et le fondement de l’unité » (Lumen Gentium, LG 23) et déclaré le Pasteur par excellence de l’Eglise (Jn 16-17). Les propositions de notre humble catéchisme sont toujours vraies et solennelles : il y a une transmission de pouvoir du Christ aux Apôtres avec Pierre comme chef, et des Apôtres aux évêques leurs successeurs avec comme chef l’évêque de Rome, successeur de Pierre ; transmission de pouvoir que, comme nous l’avons vu, le Concile Vatican II résume dans le droit et le pouvoir devant le Seigneur de « faire des lois, de juger et de régir » ce qui concerne le culte et l’apostolat (loc. cit.). En plus des fonctions de ministerium et de magisterium, le Concile a donc considéré sur un plan délicatement pastoral, en en donnant les fondements dogmatiques, le triple pouvoir de juridiction et de gouvernement (regimen) que les évêques ont le droit et le devoir, comme nous disions, d’exercer, c’est-à-dire le pouvoir législatif, judiciaire et coercitif (cf. Encycl. Immortale Dei de Léon XIII, 1885, in Acta Sanctae Sedis, 18, p. 165).

2. Arrêtons-nous un instant sur le pouvoir judiciaire qui, pour le moment, nous intéresse davantage, c’est-à-dire sur celui qui met fin aux causes qui ont surgi entre les fidèles ou qui juge un fait qu’on prétend être contre la loi, et ceci dans le but d’y porter remède. Ce pouvoir est tellement lié à celui de faire des lois que, sans lui, le pouvoir législatif n’aurait plus sa force. En effet, c’est en vain qu’on aurait attribué au supérieur l’autorité de dicter des lois s’il n’y avait pas ensuite le pouvoir de les faire observer et même, quand il le faut, d’en punir la transgression ou de résoudre les litiges et les controverses dans lesquels il s’agit de définir équitablement le droit. L’autorité législative qui n’aurait pas aussi le pouvoir exécutif et judiciaire serait inutile au point de vue social, n’ayant pas le moyen d’agir pour elle-même et de pourvoir à sa propre stabilité, c’est-à-dire à l’efficacité de l’ordre pour le bien commun, contre l’arbitraire, le despotisme et la violence qui, autrement, sont inévitables (cf. can. 2214).

Unité du triple pouvoir





Eh bien ! on ne peut refuser à l’Eglise, dotée par une institution divine d’un vrai pouvoir particulier de juridiction, ce qui doit être accordé à toute société bien organisée, même si elle ne ressemble que d’une manière analogique à une société d’origine humaine. L’idée reste substantiellement valable, même si dans la société civile les trois pouvoirs sont exercés par des organismes distincts et si la magistrature, à laquelle est attribué le pouvoir judiciaire, jouit d’une indépendance particulière par rapport aux autres organismes.

Dans l’Eglise l’unité du triple pouvoir est sauvegardée par les personnes auxquelles le Christ l’a confié (le Pape et les évêques) : son exercice est cependant confié ordinairement à des personnes ou à des organismes divers (par exemple les S. Congrégations, Tribunaux ; Vicaire général, Officialité).

3. Saint Paul, qui est exalté par certains comme le partisan des charismes contre l’institutionnalisme dans l’Eglise, nous donne des exemples évidents de l’exercice du pouvoir judiciaire et coercitif. En principe saint Paul réserve le pouvoir de juger aux « saints », c’est-à-dire à ceux qui appartenaient à la communauté chrétienne, d’autant plus que c’est à eux qu’il revient de juger le monde (cf. 1Co 6) ; mais, de son côté, saint Paul exerce avec force le devoir de juger et de punir. Nous ne voulons pas rappeler ici les paroles par lesquelles il juge et condamne un fidèle de Corinthe coupable d’inceste (cf. 1Co 5). Il suffit ensuite de lire la deuxième lettre aux Corinthiens et celle aux Galates qui fut écrite aussitôt après, pour comprendre comment l’apôtre des gentils, le chantre inspiré de la charité (cf. 1Co 13), exerçait le pouvoir qu’il sentait que le Christ lui avait donné.

On pourrait multiplier les exemples. Mais il vaut la peine de voir comment l’apôtre Paul exerçait son pouvoir de jugement en ce qui concerne les charismes et les charismatiques. Il est bien vrai que l’Esprit est pleinement libre dans son action et saint Paul, en prenant position contre les Thessaloniciens, recommande de ne pas éteindre l’Esprit (cf. 1Th 5,19). Mais il est vrai aussi que les charismes sont pour l’utilité de la communauté, que tous n’ont pas les mêmes charismes et que, en raison de la faiblesse humaine, les charismes peuvent être confondus avec les idées et les penchants personnels qui ne sont pas toujours bien ordonnés. Il est donc nécessaire de juger et de distinguer les charismes pour en contrôler l’authenticité, pour les coordonner avec des critères déduits de la doctrine du Seigneur et d’après l’ordre qui doit être observé dans la communauté ecclésiale. Cette tâche appartient à la hiérarchie sacrée, constituée elle aussi par un charisme particulier, si bien que saint Paul ne reconnaît comme valable aucun charisme qui n’obéit pas à sa charge apostolique (cf. 1Co 4,21 1Co 12,4 et suiv. ; Ga 1,8 Co Ga 2,1-23).

4. Il faut distinguer le pouvoir judiciaire de la manière de l’exercer. Il est évident qu’étant donné la nature particulière de la communauté ecclésiale, la manière d’exercer en elle un tel pouvoir est différente sous de nombreux aspects de celle dont elle est exercée dans la société civile. Les simples remarques suivantes seront utiles à ce sujet :

a) On ne peut nier que l’Eglise, au cours de son histoire, ait pris à d’autres cultures, et pour citer un exemple connu de tous, mais qui n’est pas le seul, au droit romain, quelques règles, même pour l’exercice de son pouvoir judiciaire.

7
Vers la réforme du code de droit canonique





Il est vrai, malheureusement, que l’Eglise a pris des législations civiles, dans les siècles passés, de graves imperfections et même de vraies et propres méthodes injustes, au moins « objectivement », dans l’exercice du pouvoir soit judiciaire (pour les procès), soit coercitif (pour les peines) (cf. journet, L’Eglise,
1P 331 et suiv. ; J. maritain, De l’Eglise du Christ. La personne de l’Eglise et son personnel, 1970, p. 237 et suiv.). Tandis qu’il faut se réjouir du grand progrès qui a été fait à ce sujet en matière de sensibilité et de méthode, il faut reconnaître que l’Eglise — pour ce qui concerne le droit de Rome — a bien fait de s’en inspirer lorsque ce jus s’imposait par la sagesse, par l’équilibre et par une juste appréciation des choses humaines, découvrant dans le corps de l’ancien droit civil positif plus que la volonté d’un habile législateur, cette recta ratio naturae congruens (cf. cicéron, De Rep., III, 22) qui donne à la loi le prestige de la rationalité juste et humaine. Et il ne faut pas oublier que les règles mêmes du droit romain et civil ont subi au cours du temps de profondes modifications, non seulement sous l’influence d’autres cultures et d’autres législations mais aussi et peut-être surtout par l’animation qu’en faisait la doctrine chrétienne en vertu de ce phénomène très intéressant du droit commun qui a eu ensuite une si grande influence dans les législations successives canoniques et civiles, jusqu’aux codes des temps modernes, dans la formulation des droits de l’homme proclamés aujourd’hui universellement. Il ne faut donc pas s’étonner que les codificateurs du premier code canonique se soient inspirés d’une certaine manière, même dans la partie qui concerne les jugements, de la sagesse du droit antique et profane.

b) Les principes directeurs de la nouvelle codification canonique, approuvés par la première assemblée générale du Synode des évêques, donnent une orientation sûre, même pour la révision du droit concernant les procès et les peines, recommandant un style plus conforme à l’esprit pastoral du Concile Vatican II. La Commission pour la réforme du code travaille dans ce sens et nous pouvons dire qu’une grande partie du travail dans ce secteur est déjà faite dans les groupes d’étude. Les schémas déjà préparés prévoient, en plus d’un assouplissement du procès canonique, une sauvegarde plus manifeste des droits personnels des fidèles.

c) Dans le jugement canonique il y a certainement à suivre un sain formalisme juridique : autrement ce serait le règne de l’arbitraire avec un très grave dommage pour les intérêts des âmes ; mais le jugement dépend aussi et surtout de l’appréciation équilibrée des preuves et des indices faite par le juge dont la conscience est particulièrement engagée. Le juge ecclésiastique est par essence cette quaedam justitia animata dont parle saint Thomas, citant Aristote (II-IIae, 60, 1) ; il doit donc entendre et accomplir sa mission avec un esprit sacerdotal, acquérant en même temps avec la science juridique, théologique, maîtrise de soi, avec une étude réfléchie pour croître dans la vertu, de sorte qu’il n’éclipse pas éventuellement par l’écran d’une personnalité défectueuse et déformée les rayons supérieurs de la justice dont le Seigneur lui fait don par un bon exercice de son ministère. Il sera ainsi, même dans la prononciation d’un jugement, un prêtre et un pasteur d’âmes, solum Deum prae oculis habens.

La figure du juge ecclésiastique





Le style pastoral, le souffle de la charité, l’esprit de compréhension visent précisément à cela. Non pas la loi pour la loi, donc, ni le jugement pour le jugement, mais la loi et le jugement au service de la vérité, de la justice, de la patience et de la charité, vertus qui forment l’essence de l’Evangile et qui doivent caractériser plus que jamais la figure du juge ecclésiastique.

Par ces observations élémentaires nous avons entendu réaffirmer et honorer en cette heureuse circonstance qui nous offre l’occasion de saluer, à la reprise annuelle de son activité, le tribunal sacré de la Rote romaine et tous les autres tribunaux ecclésiastiques qui accomplissent une mission analogue, la fonction judiciaire de l’Eglise catholique, et nous en avons tracé, presque sans nous en apercevoir, le processus d’évolution, en attribuant la source à la nature et aux origines de l’Eglise elle-même, établie par le Christ comme société humaine et visible, organiquement structurée, comme un corps animé par l’Esprit-Saint et ayant le Christ pour chef, en voie d’accomplir, comme dit saint Paul, « sa croissance en se construisant lui-même dans la charité » (Ep 4,16), et en identifiant le point d’arrivée historique pour le moment présent post-conciliaire, dans le sens pastoral qui doit informer plus profondément l’exercice de la fonction judiciaire elle-même. Ainsi s’ouvrirait devant notre regard, tel un présage augurai, la vision de l’administration de la justice ecclésiastique, pénétrée par ce style pastoral, caractérisé par des exigences intimes et impossibles à omettre de l’ordre, mais en même temps par cette découverte progressive de la dignité de la personne humaine à laquelle l’Eglise, mère et maîtresse, nous conduit aujourd’hui et à laquelle elle a consacré elle-même la désormais célèbre Constitution du récent Concile Gaudium et Spes, dite justement « pastorale parce que, sur la base des principes doctrinaux, elle entend exposer l’attitude de l’Eglise par rapport au monde et aux hommes d’aujourd’hui » (Ibid., note du début).

Mais nous ne porterons pas notre regard sur l’avenir, heureux comme nous le sommes de l’arrêter aujourd’hui sur le présent. Les paroles qui viennent d’être prononcées par le vénéré doyen de la Sacrée Rote romaine nous obligent et par conséquent nous autorisent à le féliciter et avec lui les habiles et zélés Auditeurs et Officiers du même tribunal sacré. Nous le savons en effet, et nous le voyons s’acquitter de son devoir avec la haute conscience de ses droits et de ses devoirs, avec une intégrité absolue dans l’interprétation et l’application de la loi canonique, avec la sage compréhension des nécessités de l’Eglise et des hommes d’aujourd’hui, avec le désintéressement limpide dans l’offre de ses services, et même avec une large sollicitude afin que soit accessible à tous, aux moins aisés aussi bien qu’à n’importe quel autre, le suffrage de la justice. C’est là, en plus d’une juste observation des règles judiciaires propres à l’Eglise, un témoignage exemplaire de sa lumineuse tradition romaine et de la conscience de sa présente vocation de fidélité au Christ et à l’Esprit qui, de Lui, doit couler dans les membres de son Corps mystique.

Voilà, vénérés et doctes prélats, ce que nous avons voulu vous communiquer, avec la simplicité des réflexions, en cette circonstance qui nous est si agréable. Nous ne doutons pas que vous continuerez dans votre action au service de l’Eglise, avec cette conscience de haute responsabilité et de total dévouement qui doivent distinguer les fidèles collaborateurs du Pape et du Saint-Siège que vous êtes. Nous appelons sur vous les dons du Saint-Esprit que vous avez prié ce matin avec ferveur et, en gage de sa continuelle assistance, nous vous accordons de tout coeur notre Bénédiction Apostolique.





Eglise et documents, vol. IV, pp. 196-204






Discours 1971