Discours 1971 14

LE PHÉNOMÈNE DE SÉCULARISATION DANS SON RAPPORT AVEC L’ATHEISME





Au « Secrétariat pour les non-croyants ».



Frères bien-aimés et chers Fils,



Nous sommes heureux de cette rencontre avec tous les membres de l’organisme désigné jusqu’ici sous le nom de « Secrétariat pour les non-croyants ». Vous êtes plus spécialement chargés dans l’Eglise de promouvoir le dialogue avec tous les hommes qui vivent dans un athéisme idéologique ou pratique, et d’abord d’étudier objectivement les multiples formes, les causes et les conséquences de cet athéisme. Tâche immense, certes, complexe et difficile, mais qu’il est urgent et nécessaire d’accomplir, selon la juste remarque du Père de Lubac : « Aucun sujet n’est à la fois plus grave et plus actuel, en même temps que plus multiforme. Aucun ne requiert davantage l’attention de quiconque, dans l’Eglise, détient une part de la responsabilité commune. Aucun ne s’impose avec plus de poids à la conscience chrétienne de notre temps » (Préface à : Des chrétiens interrogent l’athéisme, t. 1, vol. 1, L’athéisme dans la vie et la culture contemporaine, Paris, Desclée et Cie 1967, p. 7).

Vous venez de faire le bilan de ces cinq années : expérience tâtonnante, qui a déjà porté des fruits indéniables, suscité de nombreuses initiatives, et posé aussi beaucoup de questions. Nous examinerons avec soin l’apport de cette Congrégation plénière, aussi bien en ce qui concerne les objectifs et les tâches à poursuivre ou à entreprendre, que par rapport aux structures de ce Secrétariat dont Nous voudrions faire un instrument toujours mieux adapté à la recherche, à l’étude et au dialogue.

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Instrument de recherche, d’étude et de dialogue





Aujourd’hui, c’est une réalité du monde moderne fort complexe et diversement appréciée qui retiendra notre attention: le phénomène de la sécularisation dans son rapport avec l’athéisme.

Le processus de sécularisation qui affecte nos sociétés de façon radicale peut sembler irréversible. Ce n’est pas seulement le fait que des institutions, des biens, des personnes soient soustraits au pouvoir ou au contrôle de la hiérarchie de l’Eglise : quoi de plus normal en effet, si l’on pense aux tâches humaines de suppléance que l’Eglise a été amenée a assumer dans le passé ? Mais le phénomène, vous le savez, va beaucoup plus loin, aux plans culturel et sociologique. Non seulement les sciences, y compris les sciences humaines, les arts, mais l’histoire, la philosophie et la morale ont tendance à prendre comme unique source de référence l’homme, sa raison, sa liberté, ses projets terrestres ; en deçà d’une perspective religieuse qui n’est plus partagée par tous. Et la société elle-même, désirant rester neutre face au pluralisme idéologique, s’organise indépendamment de toute religion, reléguant le sacré dans la subjectivité des consciences individuelles.

Le danger du naturalisme





Cette sécularisation, qui comporte une autonomie croissante du profane, est un fait marquant de nos civilisations occidentales. C’est dans cette situation qu’est apparu le sécularisme, comme système idéologique : non seulement il justifie ce fait, mais il le prend comme objectif, comme source, et comme norme de progrès humain, et il va jusqu’à revendiquer une autonomie absolue de l’homme devant son propre destin. Il s’agit alors, pourrait-on dire, d’« une idéologie, une nouvelle conception du monde, sans ouverture et qui fonctionne tout comme une nouvelle religion » (cf. harvey COX, La cité séculière, trad. S. de Trooz, « Cahiers de l’actualité religieuse » 23, Paris, Casterman 1968, p. 50). Cette forme de naturalisme est une vision des choses qui exclut toute référence à Dieu et à la transcendance et tend dès lors à s’identifier avec l’athéisme et à apparaître comme un ennemi mortel du christianisme, qu’une conscience chrétienne ne saurait accepter sans se renier, tant il est vrai que l’« athéisme véritable se situe, par définition, au plan d’une immanence close sur soi, de l’homme et du monde » (G.M.M. cottier, O.P., Horizons de l’athéisme « Cogitario Fidei » 40, Paris, Cerf 1969, p. 180). Cela est bien clair. Mais les esprits attachés à la foi montrent davantage de perplexité devant les chances ou les dangers de la sécularisation elle-même.

Une double question





S’il n’est pas nécessaire de rappeler la légitimité d’une certaine autonomie des réalités terrestres et des sociétés elles-mêmes, qui ont leurs lois et leurs valeurs propres, et se distinguent par conséquent du Royaume de Dieu (cf. Gaudium et Spes,
GS 36, § 2), il nous faut par contre rejeter sans équivoque deux confusions ruineuses entre ces deux domaines. La première est désastreuse : elle propose du christianisme une version séculière, qui englobe toute la foi chrétienne dans un humanisme où le terme de divin, s’il figure encore, n’est plus qu’une façon de désigner des qualités immanentes à l’homme. On en viendrait ainsi à vider le message du Christ de toute sa portée théocentrique et à promouvoir ce qu’il ne resterait plus qu’à appeler, sans se soucier de la contradiction des termes, un « athéisme chrétien ». Une certaine théologie de la mort de Dieu n’a pas échappé, hélas! à cette étrange absurdité.

A l’opposé, certains croyants sont tentés de nier toute possibilité de philosophie humaine, de solution humaine aux problèmes de ce monde en dehors de la foi de l’Eglise et des applications des principes chrétiens. A la limite, ne serait-ce pas nier la responsabilité humaine qui fait précisément partie de la grandeur de l’homme créé à l’image de Dieu, et refuser toute collaboration sincère avec les hommes de bonne volonté qui ne partagent pas notre foi ? Ce monolithisme confond trop le Royaume de Dieu et le monde d’ici-bas.

Maintenir la distinction entre les deux n’est pas pour autant les opposer à outrance, comme si les réalités temporelles étaient finalement sans aucun rapport avec le royaume de Dieu, comme si les oeuvres d’ici-bas importaient peu à la foi qui attend le salut de Jésus-Christ. Cette incompatibilité a séduit des âmes nobles de croyants, parce qu’elle paraît sauvegarder la transcendance de Dieu. En réalité, elle aboutit trop souvent à le rejeter de la vie humaine. La doctrine catholique s’est toujours méfiée de cet excès, car n’est-ce pas le même Dieu qui est Créateur, Rédempteur et Sanctificateur ?

Une double question en tout cas se pose à nous avec force : est-il possible de fonder un humanisme authentique, à partir de perspectives pratiquement athées, c’est-à-dire d’un monde désacralisé et sécularisé, sans référence à Dieu, tout en laissant la possibilité de reconnaître, pour ceux qui le peuvent ou le veulent, un Dieu transcendant et personnel ? Est-il souhaitable par ailleurs d’en venir là dans le processus de sécularisation, pour purifier et valoriser, comme on le dit parfois, la foi des croyants ?

A la première question, la réponse sur le plan pratique n’est peut-être pas très aisée, et il faut sans doute se méfier d’une apologétique trop facile, illustrant la thèse selon laquelle, comme on l’a dit en termes lapidaires, « un peuple se déshumanise dans la mesure où il se déchristianise » (François Mauriac à la Semaine des intellectuels catholiques de novembre 1954, repris dans Le chrétien Mauriac, « Recherches et Débats » 70, Paris, Desclée de Brouwer 197. 1P 65) et, sans Dieu tout va à la dérive sur le plan humain, le vrai, le bien, le respect des personnes, leur bonheur, leur espoir. Et cependant, après avoir assisté, depuis plus d’un siècle, aux efforts émouvants des divers humanismes athées, ne s’aperçoit-on pas effectivement que c’est maintenant le sens de l’homme qui paraît mal assuré, au point que certains n’osent plus parler d’humanisme ? En tous cas, pour nous croyants, cette conviction ne fait pas de doute : un humanisme clos, exclusif de Dieu, se révélera tôt ou tard inhumain (cf. Populorum Progressio, PP 42). Pourquoi ? Parce que Dieu demeure la source et le terme des valeurs suprêmes sans lesquelles l’homme ne peut vivre. Parce que les réalités du péché et de la mort et les questions qu’elles posent, pour chaque homme comme pour l’histoire, ne reçoivent pas de solution radicale et définitive en dehors de la foi (cf. Gaudium et Spes, GS 21, § 3).

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Un terrain fertile pour l’athéisme





Et nous retrouvons ici la deuxième question que nous avions posée : une sécularisation radicale de la société a-t-elle des chances de rendre la foi plus pure, plus consciente et plus responsable, parce que moins sociologique, tout en assurant mieux le service de l’homme ? De toute notre conviction, Nous ne le pensons pas. C’est d’abord un fait d’histoire qu’une telle sécularisation s’est développée en opposition au christianisme. Mais il faut encore ajouter : la sécularisation en elle-même, à côté de la distinction légitime et nécessaire entre les réalités terrestres et le Royaume de Dieu, pèse en fait de tout son poids dans le seul sens de l’immanentisme et de l’anthropocentrisme, auquel on ne saurait réduire la foi chrétienne. Pratiquement une sécularisation radicale, évacuant de la cité humaine la référence à Dieu et les signes de sa présence, vidant les projets humains de toute recherche de Dieu, supprimant les institutions proprement religieuses, crée un climat d’absence de Dieu. Si c’est une chance possible pour la maturation religieuse de quelque élite, c’est d’abord en fait un terrain fertile pour l’athéisme, pour tous ceux qui — et ils seront toujours le plus grand nombre — gardent une foi faible, qui survit mal au défaut d’appuis extérieurs. Il faudrait faire fi de la nature de l’homme et de sa nécessaire expression sociale, pour s’en étonner.

Un risque grave





Aussi notre responsabilité de pasteur Nous fait-elle un devoir de mettre en garde contre ce risque grave. Comme le déclarait justement le cardinal François Marty : « Si le monde se sécularise, il ne faut pas que les chrétiens se sécularisent... Sécularisation ne veut pas dire qu’on va vers une vie chrétienne sans éléments religieux... La contestation des idoles et de tout faux sacré ne peut se faire qu’au nom de Jésus-Christ... Les chrétiens ne peuvent se configurer au Christ sans structures et sans les actes propres de la « religion ». Le catholicisme, en raison même de son institution hiérarchique et sacramentelle, ne peut admettre n’importe quelle sécularisation. L’Eglise n’a pas à s’effacer devant le monde, mais seulement à être toujours plus véritablement elle-même » (Rencontre européenne du Secrétariat pour les non-croyants, à Vienne, 9 septembre 1968, dans Documentation catholique, Paris, Bonne Presse, t. LXVI, 1969, p. 799).

Disons-le sans ambages : devant une certaine sécularisation de fait de ce monde, les croyants ont une mission prophétique à exercer : celle de contester la tendance de l’homme sécularisé à se fermer sur lui-même, à trouver dans ses propres forces le salut et la libération de tous ses maux, y compris ceux du péché et de la mort (cf. G. de rosa, S.J., La secolarizzazione del cristianesimo, II, dans « La Civiltà Cattolica », Roma 1970, n. 2878,
PP 338-339).

Cela n’empêche nullement les chrétiens de reconnaître loyalement ce qu’il y a de valable — et souvent d’une manière notable — dans les efforts réalisés par leurs frères incroyants pour bâtir un monde plus humain, car rien de véritablement humain ne saurait les laisser indifférents : « Tout ce que vous ferez à l’un de mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait » (cf. Mt Mt 25,40). Mais ils se gardent bien d’oublier — même s’ils demeurent impuissants à faire partager cette conviction de foi dont ils ne peuvent que témoigner dans le respect des autres — que le Fils de l’Homme est venu sauver les hommes pour en faire des fils de Dieu.

Tel est le champ immense qui s’ouvre aux catholiques de ce siècle sécularisé, dans leur dialogue avec le monde athée : « Croire en Dieu doit signifier vivre de telle manière que la vie ne pourrait pas être vécue si Dieu n’existe pas » (J. maritain, La signification de l’athéisme contemporain, Paris, Desclée de Brouwer 1969, p. 42).

Vous voyez dès lors, Frères bien-aimés et chers Fils, l’importance de la mission de ce Secrétariat pour promouvoir un tel dialogue avec loyauté et ténacité, pour aider les pasteurs et les fidèles à le vivre avec droiture et sincérité. C’est sur ce propos que Nous implorons de grand coeur la lumière et la force de l’Esprit-Saint, en gage desquels Nous vous donnons une large Bénédiction Apostolique.





Eglise et documents, vol. IV, pp. 224-229






20 mars



DIALOGUE DANS LE RESPECT DES FONCTIONS, L’HUMILITE, L’ESPRIT DE SERVICE DE L’EGLISE ET DES HOMMES





Au « Conseil des Laïcs » à l’occasion du Symposium.



17 Chers Fils et chères Filles,



Nous sommes heureux de l’occasion que Nous offre le Symposium organisé par le Conseil des Laïcs sur le « dialogue », pour vous accueillir et converser quelques instants avec vous.

Dès notre première encyclique Ecclesiam Suam, Nous avons souligné la nécessité et les exigences du dialogue dans l’Eglise et hors de l’Eglise. Et Nous Nous réjouissons de voir largement mise en oeuvre dans l’Eglise cette dynamique du respect et de l’amour mutuel qui renforce singulièrement le témoignage personnel et communautaire des chrétiens.

Quant à votre fonction spécifique de laïcs, le Concile l’a exprimée de façon fort claire, particulièrement dans la Constitution Lumen Gentium et dans le Décret Apostolicam Actuositatem. Il n’est donc pas besoin de rappeler la distinction entre les deux aspects complémentaires que doit revêtir l’activité du laïcat catholique, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise.

Le caractère séculier est le propre de votre vocation de laïcs chrétiens, et celle-ci consiste, vous le savez, à « chercher le règne de Dieu... à travers la gérance des choses temporelles... engagés dans toutes et chacune des affaires du monde, plongés dans l’ambiance où se meuvent la vie de famille et la vie sociale dont leur existence est comme tissée » (Lumen Gentium,
LG 31).

Comment pourriez-vous remplir cette mission dans un dialogue permanent qui suppose votre présence quotidienne au sein de ces réalités profanes et une compétence éprouvée, jointe à un accueil plein d’humilité, dans un esprit de collaboration fraternelle ? Cet effort exige un engagement généreux et courageux, où l’exemple de votre droiture humaine et le témoignage de votre vie évangélique, le rayonnement de votre foi et de votre espérance, ainsi que l’action multiforme de votre charité, doivent agir à la manière d’un ferment. C’est ainsi que vous contribuez à animer de l’intérieur tout l’ordre temporel, selon le dessein du Créateur et du Rédempteur, et pour le meilleur service de tous nos frères auprès desquels vous voulez être d’ardents apôtres de Jésus-Christ.

Mais Nous voudrions souligner davantage aujourd’hui l’autre aspect de votre activité propre qui apparaît d’une actualité brûlante : comment les laïcs vont-ils se situer et oeuvrer à l’intérieur de l’Eglise ? Ici encore la vie n’a pas attendu la réflexion pour se manifester au cours de la déjà longue et riche histoire du peuple de Dieu. Mais il Nous est bon, à la lumière même de cette histoire, d’éclairer cette place et cette action du laïcat dans l’Eglise.

Bien des ambiguïtés viennent, Nous semble-t-il, de ce que l’on dissocie ou de ce qu’à l’inverse on confonde les deux caractères inséparables de l’Eglise visible. D’une part elle est dans son être profond, et elle doit se manifester de plus en plus, comme une communion, avec tout ce que cette réalité vivante implique d’égalité foncière entre ses membres, de fraternité, d’union, d’appel commun à la sainteté, de reconnaissance de la même dignité d’enfants de Dieu régénérés dans le Christ, notre unique Chef à tous (Lumen Gentium, LG 32, § 1 et 2). Et d’autre part l’Eglise est un organisme structuré, un Corps avec des membres différents, qui ont des fonctions différentes. Gardons-nous bien d’oublier ce double caractère de l’Eglise (Ibid., 13 et 33 ; cf. Ep Ep 4,12).

Oui, un esprit de profonde communion doit régner entre tous les membres du Christ, comme entre des frères très chers. Appliquons-nous à « garder l’unité de l’esprit par le lien de la paix, dit St. Paul. Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit... Il n’y a qu’un Seigneur, une foi, un baptême ; il n’y a qu’un Dieu et Père de tous, qui est au dessus de tous, agit en tous, est en tous » (Ep 4,3-6). Comme saint Augustin l’exprimait en termes incomparables : « Jésus-Christ est la tête de l’Eglise, l’Eglise est son corps, et la santé de ce corps, c’est l’unité des membres et le lien de l’amour » (Serm 137, 1 ; PL 38, 754, trad. dans Saint Augustin, Le visage de l’Eglise « Unam Sanctam » 31, Paris, Cerf 1958, p. 97). C’est à cette profondeur de réalité de grâce vécue, que s’enracine l’esprit de communion, marque des vrais croyants. Il s’agit là d’un fondement objectif, surnaturel et sacramentel ; nous sommes tous fils du Père qui est dans les cieux, frères dans le Christ, temples du Saint-Esprit, membres de l’Eglise. Aucun laïc ne peut donc en parler comme d’une entité qui lui serait en quelque manière extérieure : vous lui appartenez à part entière, vous êtes l’Eglise.

Ah ! puissions-nous voir cette conscience communautaire s’approfondir chez tous les catholiques, avec une note d’affection fraternelle, avec la fierté — pourquoi ne pas le dire ? — d’être les uns les autres membres du Corps mystique du Christ qui est l’Eglise, et comment ne pas aimer son propre Corps ?, avec cette solidarité profonde dans la joie, comme dans la souffrance ; bref avec cette marque de vitalité qui fait de tous des membres actifs et coresponsables, chacun à sa place, de toutes les tâches de l’Eglise, avec une conscience aiguë des droits et des devoirs mutuels à l’intérieur de ce grand corps social. N’est-ce pas d’abord à ce niveau que le dialogue, dont on se prévaut tant à l’extérieur de l’Eglise, doit trouver sa place ? Vous en savez les formes, du reste, par votre expérience de chaque jour : apprendre à se connaître entre membres et portions d’Eglise, à se reconnaître et à s’estimer, et pour cela s’écouter, se regarder avec respect et amitié ; se savoir proches dans le Christ malgré les différences sociales ou des orientations politiques divergentes ; ne pas hésiter à se retrouver côte à côte dans les réunions ecclésiales, à plus forte raison dans les assemblées liturgiques ; exprimer toujours avec franchise notre pensée sur les idées ou les moyens — un corps sans solidarité et sans tension serait un corps mort ! — mais toujours avec des égards pour les personnes, avec humilité, patience, douceur, et promptitude au pardon (cf. Rm Rm 12,10 et Ep 4,2-3) ; bref s’aimer effectivement et en vérité dans le Christ.

Mais, hélas ! Nous connaissons aussi les multiples contrefaçons du dialogue : l’inertie, l’isolement individualiste, le cloisonnement de groupes refermés sur eux-mêmes et qui prétendent se suffire et réinventer l’Eglise à leur manière, à l’encontre de toute la Tradition scripturaire et patristique ; les critiques dures et parfois déloyales, un style de contestation négative ; une opposition sourde à l’intérieur de l’Eglise ou une violence tapageuse qui puise ses méthodes en dehors de l’esprit chrétien, grisée qu’elle est par l’apparence d’une efficacité immédiate... Souvenons-nous de l’avertissement de l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe qui allaient prendre des infidèles pour juger de leurs litiges internes ! (cf. 1Co 6,4). Il y va du premier témoignage que l’Eglise doit donner au monde selon la prière du Christ à son Père : « Qu’ils soient parfaitement un, pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé » (Jn 17,20 et 23).

18 Alors, dans un tel climat de communion loyale et sereine, chacun pourra accomplir la tâche qui lui revient, dans le respect des responsabilités singulières de chacun des autres membres, en esprit de collaboration généreuse et désintéressée. On doit toujours se sentir solidaire des tâches de l’Eglise, jamais cette solidarité n’implique pas qu’on puisse par là-même juger de tout ce qui a été confié à la compétence et au charisme des autres. Ce n’est certes pas à vous qu’il est nécessaire de rappeler ce que soulignait à bon droit le Décret Apostolicam Actuositatem (cf. nn. 23, 24, 25) : il appartient à ceux que l’Esprit-Saint a constitués pasteurs pour paître l’Eglise de Dieu (cf. Ac Ac 20,28), de veiller à la coordination harmonieuse des initiatives apostoliques des divers membres du Corps, de juger éventuellement de leur fidélité à l’Esprit du Seigneur, parfois même de confier plus directement une charge ou un « mandat » à tel ou tel d’entre eux, tout ceci pour le bien de l’ensemble. Là encore, dans la hiérarchie des responsabilités, c’est le dialogue qui doit régner aujourd’hui, ce qui suppose chez les uns et les autres le respect des fonctions, la confiance réciproque, l’humilité profonde, l’esprit de service de l’Eglise et des hommes.

Vous êtes vous-mêmes les témoins de la confiance que l’Eglise accorde aux laïcs qui lui sont fidèles. Les Associations catholiques jouissent de plus en plus d’une autonomie d’action et d’une gestion propre, dans la mesure même où elles font preuve, avec maturité, d’un esprit d’adhésion à l’Eglise. Il s’agit ici d’une conséquence pratique du « sens de la foi », dont nous parle le Concile, aux textes duquel Nous renvoyons pour l’étude d’un thème d’ecclésiologie si beau et si délicat (cf. Lumen Gentium, LG 12 et Dei Verbum, DV 10). Depuis le Concile, les Conseils pastoraux sont en train de prendre une place importante dans les diocèses qu’ils font bénéficier de leurs conseils et de leur collaboration généreuse. Cet apport capital du laïcat s’exerce aussi, et de plus en plus, est-il besoin de le souligner, dans des domaines très variés où il s’accomplit en harmonie avec la doctrine et l’orientation responsable de l’Eglise, qu’il s’agisse de l’école, de la catéchèse, du journalisme, de l’activité artistique, de l’administration des biens temporels et de l’exercice de certaines fonctions cultuelles.

Puisse votre symposium encourager partout, à tous les échelons, un tel esprit ecclésial. Nous souhaitons vivement que ce soit l’un des fruits majeurs de la révision de vie des catholiques en ce temps privilégié du Carême. Notre voeu, notre prière, c’est que toutes les forces vives de l’Eglise — les enfants de Dieu trop souvent dispersés (cf. Jn 11,53 et Prière eucharistique, Jn 3) — célèbrent la Pâque du Seigneur, comme les premiers chrétiens, in corde uno et in anima una (cf. Ac Ac 4,32). De grand coeur, Nous vous donnons à cette intention, pour vous-mêmes comme pour tous ceux que vous représentez à nos yeux, notre paternelle Bénédiction Apostolique.



Eglise et documents, vol. IV, pp. 230-234





SUR LES PROBLÈMES DE LA POLLUTION


DE L’EAU ET DE L’AIR


Samedi 27 mars 1971




Chers Messieurs,

Nous sommes heureux de vous recevoir aujourd’hui, c’est un honneur pour Nous. Votre visite, en effet, témoigne de votre désir de Nous associer d’une certaine façon aux études qui ont occupé l’attention de votre Congrès, dû à l’initiative de l’Institut International d’études juridiques, et au mérite de son illustre fondateur et Président, Monsieur l’Avocat Federico Turano, que Nous avons le plaisir de saluer ici.

En vous présentant nos hommages, Nous vous félicitons de votre activité scientifique, qui cherche à ouvrir les chemins du droit à de nouveaux aspects de la vie moderne, ceux de l’écologie, domaine dans lequel se fait sentir chaque jour davantage la nécessité et l’urgence d’une sage réglementation.

Toutefois, en accueillant votre visite, un doute Nous assaille: sommes- Nous vraiment autorisé à intervenir dans des problèmes qui semblent sortir complètement de notre compétence? Si, en vertu de cette dernière, Nous voulions exprimer quelque jugement quant à l’influence, bonne ou mauvaise, exercée sur l’homme par le milieu dans lequel se déroule son existence, Nous serions naturellement amené à considérer le milieu sous des aspects totalement différents des aspects physiques, qui font actuellement l’objet de vos discussions. Ce que Nous envisagerions, ce sont les aspects moraux, pédagogiques et spirituels; et Nous pourrions Nous y arrêter longuement, tellement sont influentes et souvent déterminantes pour la pensée et la conduite de l’homme - enfant ou adulte -, les conditions imposées par le milieu social, culturel et religieux qui l’entoure. A certains égards le milieu est pour l’homme ce que l’eau est pour le poisson: celui-ci vit et se meut en elle, et c’est d’elle qu’il tire son aliment premier et indispensable.

Mais s’il y a une différence très marquée entre, d’une part, le milieu naturel «eau et air», qui fait l’objet de vos études et au sujet duquel vous vous efforcez de déterminer l’opportunité - assez fortement sentie aujourd’hui - d’établir des normes juridiques destinées à le protéger et à le purifier, et, d’autre part, le milieu que notre charge pastorale Nous oblige à considérer, il existe toutefois entre eux une analogie évidente quant à la vie de l’homme.

Et ici Nous en arrivons spontanément à considérer l’affection et le respect qui nous sont communs - à vous qui étudiez l’ordre naturel et juridique, comme à Nous qui envisageons l’ordre religieux et moral -, affection et respect que Nous pouvons avoir envers les éléments qui sont l’objet de votre attention: l’eau et l’air. Nous ne pouvons Nous attarder actuellement sur les titres multiples qui, chez ces créatures - comme nous les appelons - suscitent notre intérêt; la méditation en serait longue et demanderait plusieurs chapitres. Contentons-Nous pour le moment de quelques rapides allusions. Nous considérons ces choses, Nous le disions, comme des créatures; et nous voici aussitôt élevés au niveau mystérieux de leur origine profonde, de leur être métaphysique, pour être aussitôt transportés devant un panorama réaliste à la fois merveilleux et mystérieux. On suppose trop facilement, selon le jugement commun, quelque peu superficiel, que le croyant n’éprouve aucun intérêt pour les choses matérielles, et qu’il refuse même de leur accorder la moindre considération, sinon peut-être pour s’abstraire d’elles comme d’un écran qui ferait obstacle à la considération et à la contemplation des choses divines. La réalité, chacun le sait, est bien différente. Le croyant sait porter son attention au cadre de la nature, qui l’aide précisément à s’élever vers le monde divin. Qui ne connaît l’admiration, l’émerveillement, l’enthousiasme avec lequel l’homme en quête de Dieu, l’homme qui prie, célèbre la beauté, la grandeur, la plénitude de réalité qui se trouve dans les choses crées? Combien de magnifiques poèmes religieux se sont développés à partir de la contemplation de la nature! Rappelons-nous les psaumes: il semble que du monde matériel lui-même, muet et inerte, monte une voix, un choeur de louanges: «Le ciel raconte la gloire de Dieu, et l’oeuvre de ses mains, le firmament l’annonce . . .» (Ps 18,2). Il faut ici faire nôtres les paroles de saint Paul: «nihil sine vote», rien n’est sans langage (Cfr. 1Co 14,10); il faudrait aussi évoquer le Cantique des créatures, de saint François d’Assise. Peut-être même pouvons-nous enrichir notre méditation en pensant à l’expression incisive et paradoxale d’un contemporain: «la puissance spirituelle de la matière» (Theilhard de Chardin).

19 Et pour Nous en tenir à l’objet de vos études, comment ne pas voir un rappel positif de la noblesse de leur but dans la phrase bien connue du Livre de la Sagesse: «A ma naissance j’ai, moi aussi, respiré l’air commun» (7, 3), cet air qui est ainsi reconnu élément vital indispensable, et que l’on désire sain et pur. Et comment ne pas évoquer l’hymne ambrosien à la louange de l’eau dans la liturgie milanaise du Samedi-saint: «Sois sanctifiée par la parole de Dieu, eau céleste, sois sanctifiée, eau, marquée par le passage du Christ; dans les passages étroits entre les monts ne reste pas enfermée, dans le choc contre les écueils ne sois pas partagée, absorbée par la terre ne viens pas à manquer», etc.(Cfr. Hexaemeron, 3, c. V)

En un mot, l’homme qui a la foi a de bonnes raisons pour regarder avec une sympathie religieuse les éléments dont s’occupe votre congrès. De ce dernier, d’ailleurs, ressort une intention que nous, disciples de l’Evangile, non seulement nous pouvons partager, mais que nous devons, d’une certaine façon, faire nôtre: cette intention, cet objectif, c’est le bien-être humain. Nous ne pouvons, en effet, rester indifférents à l’anxiété, désormais mondiale, suscitée par la pollution de ces éléments naturels auxquels est liée d’une façon inéluctable la vie physique et même morale de l’homme. Nous ne pouvons pas ne pas réfléchir à ce curieux phénomène de rétorsion, dirions- Nous, du progrès technique de la civilisation contre elle-même, alors que dans la recherche, dans la conquête d’une utilisation illimitée de la matière, cette même civilisation en arrive à corrompre l’air et l’eau (pour ne pas parler des autres biens naturels), sans lesquels devient impossible le plus élémentaire bien-être physique de l’homme.

Le désir devient toujours plus ardent et urgent (quand il n’est pas, hélas, réduit à un songe) d’avoir un air limpide et pur, une eau saine et innocente; et Nous ne pouvons qu’applaudir ceux qui ont le souci de défendre ces indispensables biens naturels ou de leur restituer leur pureté foncière et leur vertu naturelle, génératrice de santé physique, personnelle et sociale, pour l’être humain. Ajoutons qu’à cette aspiration vers la pureté et la limpidité de ces éléments extérieurs à la vie de l’homme se joint aussitôt le désir qu’un semblable processus régénérateur soit appliqué aux moeurs et à l’esprit de l’homme. Chers Messieurs, Nous apprécions vivement vos efforts pour assurer une solide base juridique à la protection de cette partie fondamentale de l’écologie, et en gage d’encouragement dans vos travaux, Nous vous donnons de grand coeur Notre Bénédiction Apostolique.



AUX ÉTUDIANTS DE LA PROVINCE DE LIMBOURG


Samedi 10 avril 1971




Chers Fils et chères Filles,

Venus de nombreux collèges de la Province de Limbourg, et de l’Institut de Saints Anges de Verviers, vous voici réunis à Rome, au coeur de la Cité du Vatican, en cette vigile pascale. Soyez les bienvenus!

A vous, jeunes qui terminez vos études secondaires, Nous exprimons Notre espoir et Notre encouragement. Oui, Nous espérons que, demain, enracinés dans cette belle culture dont vous êtes les heureux bénéficiaires, vous saurez discerner les vraies valeurs et mettrez vos talents au service de tous vos frères. Eclairés par une foi solide et approfondie, vous aurez à coeur de relier au Christ Sauveur toute votre vie. Quant à vous, chers professeurs et éducateurs, plus que jamais, vous le savez, ces jeunes ont besoin de votre science objective, de l’autorité paisible de votre jugement, de votre dialogue compréhensif, de votre vivant témoignage. Vous êtes, les uns et les autres, un gage d’espérance pour l’Eglise et le monde de demain.

Et maintenant, Nous allons, dans la joie, célébrer la grande nuit de notre salut, le grand passage. C’est là que, dans la personne du Christ ressuscité, le Ciel et la terre se rejoignent. La souffrance et la mort, dont notre histoire humaine est tissée, sont vaincues et deviennent un chemin vers la vie. Le péché, qui empoisonne notre monde, le divise et le ferme à Dieu, est dépassé, et vaincu lui aussi, dans ce retour filial vers le Père. Bien loin d’être éliminé, tout l’humain que le Christ a connu est transfiguré et assumé dans son Corps glorieux. Le Christ se révèle, selon sa vraie nature. Seigneur et Fils de Dieu.

Certes, ce Passage, cette Pâque, n’est encore réalisé en plénitude que dans le Christ et sa sainte Mère. Mais déjà notre être de baptisés ne fait qu’un avec Jésus; déjà nous possédons le germe de sa résurrection; déjà notre histoire humaine trouve en lui son pôle et sa clef. Ah! sachons crier au monde avec une ferveur contagieuse cette espérance qui réjouit nos cours et cet amour qui les brûle. Avec Nous, soyez-en les témoins. N’entendez-vous pas l’ange de la résurrection vous dire comme aux saintes femmes: «Allez dire à ses disciples et spécialement à Pierre . . .» (Mc 16,7). Ce soir, le Successeur de Pierre, tout près du tombeau de Pierre, vous dit à son tour: Allez, et dites à vos frères: que Dieu nous a aimés jusqu’à l’extrême, que le Christ est vivant et que l’amour fraternel demeure le signe que nous sommes ses disciples. Avec Notre paternelle Bénédiction Apostolique.





AU PÈLERINAGE PASCAL DE BELGIQUE


Mercredi 14 avril 1971




Monsieur le Ministre,
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Discours 1971 14