Discours 1972 7

AUX MEMBRES DE LA FÉDÉRATION MONDIALE


DES COMMUNAUTÉS DE VIE CHRÉTIENNE


Samedi 15 janvier 1972




Chers Fils et chères Filles,

La Fédération Mondiale des Communautés de vie chrétienne que vous représentez, vous le savez, est bien connue du Saint-Siège qui, récemment encore, a eu l’occasion d’examiner et d’approuver ses Principes généraux et ses Statuts renouvelés. Aussi est-ce avec joie que Nous recevons quelques instants ce matin les membres du Conseil exécutif, avec leur Président, Monsieur Roland Calcat.

Oui, Nous vous encourageons de grand coeur à poursuivre ce qui, à nos yeux, constitue un objectif de choix dans l’Eglise d’aujourd’hui: la formation de personnalités chrétiennes solides, intégrant la richesse de leur vie humaine et de leurs multiples responsabilités dans une vie spirituelle sans cesse approfondie. Vos moyens nous semblent simples, sûrs et efficaces, comme les Exercices spirituels de saint Ignace dont vous vous inspirez: la méditation de la Parole de Dieu, de la doctrine de foi explicitée par l'Eglise; la prière personnelle et communautaire; la recherche de la volonté de Dieu, à travers les événements par lesquels il nous fait signe, avec l’aide de la direction spirituelle, à laquelle vous ajoutez le partage fraternel dans vos «communautés de vie chrétienne»; la participation fréquente aux sacrements, notamment à l’Eucharistie; un lien organique avec vos aumôniers; et, selon l’origine de votre mouvement, un regard sans cesse tourné vers Marie, notre modèle de disponibilité dans la collaboration à l’oeuvre du Sauveur.

Puisant à de telles sources, fidèles à de telles exigences, vous êtes en mesure de croître dans la vie de foi et de devenir des témoins authentiques de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui, à travers un engagement adapté, concret, efficace, selon les requêtes du récent Concile. Comme l’affirme le programme de votre réunion actuelle, vous voulez contribuer, pour votre part, au développement de tout l’homme et de tous les hommes. Et vous manifestez un souci des jeunes qui nous réjouit: puisse leur générosité trouver dans l’appel du Christ l’eau vive qui étanche leur soif et le feu d’amour qui embrase leur action!

Dans cet immense chantier de l’Eglise vous vous sentez solidaires de ceux qui se consacrent à l’apostolat selon d’autres méthodes, dans leur milieu social, afin d’en pénétrer la mentalité et les structures du levain évangélique de la justice et de l’amour. Nous vous exhortons à mettre toujours davantage en oeuvre cette préoccupation que Nous relevons avec joie dans vos principes généraux: «sentire cum Ecclesia». Gardez, chers Fils et chères Filles, cette affection profonde et fidèle à l’Eglise, cette ouverture à ses projets pastoraux, cette insertion dans les communautés ecclésiales dont vous faites partie, et apportez-y ce qui constitue peut-être votre caractéristique: votre ressourcement continuel dans le Christ et son mystère pascal, dans le sillage de Marie. En formant ces souhaits, Nous vous donnons de tout coeur, comme à ceux que vous représentez ici ce matin, notre paternelle Bénédiction Apostolique.



AU MÉTROPOLITE DE CHALCÉDOINE


Lundi 24 janvier 1972




Chers Frères,

8 L’occasion de notre rencontre aujourd’hui est la publication d’un recueil des documents qui ont été échangés entre le patriarcat oecuménique et le Saint-Siège en ces douze dernières années. Ce volume a été très heureusement placé sous le titre de la charité. N’est-ce pas en effet la charité qui, de part et d’autre, nous a poussés à reprendre des contacts trop longtemps interrompus? Et l’Esprit Saint qui avait mis en nos coeurs cet amour, a fait que ce qui était inespéré alors que nous commencions ces premiers pas, est devenu une réalité dont nous nous réjouissons en ce jour. Ce livre nous montre le chemin parcouru et la voie que nous avons suivie d’un commun accord, guidés par l’Esprit Saint. C’est donc d’abord l’action de grâce qui domine en nos coeurs à la fin de cette première étape, et nous rendons gloire au «Père des Lumières de qui vient tout don excellent, toute donation parfaite» (Iac. 1, 17), de ce qu’il a bien voulu faire parmi nous et par nous. Mais notre reconnaissance et nos remerciements ne pourront plaire complètement à Dieu que s’ils sont en même temps supplication, disponibilité et résolution. Supplication, car nous savons que lui seul peut achever ce qu’il a si merveilleusement commencé. L’espérance qui soutient notre prière nous rend dociles à ce que l’Esprit dit aujourd’hui aux Eglises, et attentifs à ne pas laisser passer les possibilités qu’il nous offre. Il nous faut être résolus à aller de l’avant, convaincus que la prudence exige et guide en même temps le courage fondé sur la foi. Notre marche en commun a créé entre nous une situation nouvelle, qui peut être à l’origine d’un nouveau progrès et nous fait entrevoir des solutions nouvelles. Nous ne devons pas hésiter à aller de l’avant, en pleine fidélité à toute notre tradition commune. Le peuple fidèle a les yeux tournés vers les pasteurs, qui ne veulent certainement pas décevoir son attente mais en prendre conscience et la conduire à la lumière de l’Esprit qui «remplit et régit l’Eglise entière» (Préface de la Messe pour l’unité des chrétiens) la guidant vers son véritable achèvement. Cet esprit inspirera, Nous en sommes sûr, les conversations qui auront lieu en ces jours entre notre Secrétariat pour l’unité et vous-mêmes, éminents représentants de notre frère très cher le patriarche Athénagoras.

Votre visite, notre rencontre, ces conversations ont lieu durant la semaine de prière pour l’unité. II ne pouvait y avoir d’atmosphère plus propice à de tels échanges. Le nouveau missel romain contient trois formules pour la célébration de l’Eucharistie à l’intention de l’unité des chrétiens. La préface propre qui introduit l’anaphore nous offre une pensée pleine de profondeur théologique, concernant l’unité ecclésiale.

«Per ipsum (Christum) enim nos adduxisti ad agnitionem tuae veritatis,
ut unius fidei et baptismi vinculo Corpus eius efficeremur;
per ipsum in cunctis gentibus
largitus es Spiritum Sanctum tuum,
qui, in diversitate donorum mirabilis operator
et unitatis effector,
filios adoptionis inhabitat
totamque replet et regit Ecclesiam».

Cette prière liturgique exprime la même pensée qui a inspiré le Concile Vatican II quand, remontant à la source suprême de l’unité, il déclare: «Tel est le mystère sacré de l’unité de l’Eglise, dans le Christ et par le Christ, sous l’action de l’Esprit-Saint qui réalise la variété des ministères. De ce mystère, le modèle suprême et le principe est dans la Trinité des personnes l’unité d’un seul Dieu Père, et Fils, en l’Esprit-Saint» (Decr. Unitatis redintegratio
UR 2).

9 Ces pensées élevées nous rappellent la grandeur du don de l’unité et nous font comprendre l’intensité de la prière du Seigneur pour l’unité à laquelle la tradition chrétienne a donné le nom de prière sacerdotale.

Pendant cette semaine le monde chrétien s’unit d’une manière spéciale à la prière du Seigneur, méditant le commandement nouveau qui lui a été donné et qui doit s’épanouir et se manifester en unité. Dans la célébration de ce soir en notre cathédrale, célébration à laquelle Nous vous remercions de bien vouloir participer, nous nous unirons tous dans la prière, demandant la lumière et la force nécessaire pour guider notre marche en avant à un moment où nous serions invités par la grâce de Dieu à accomplir des pas décisifs, non seulement entre nous mais dans toute la famille chrétienne, dans un avenir que, de toute notre espérance, nous voulons proche.

Que cette commune résolution soit symbolisée dans le baiser de paix que Nous voudrions maintenant échanger avec vous.




28 janvier



AUDIENCE DE PAUL VI AU TRIBUNAL DE LA SACREE ROTE ROMAINE





Dans la matinée de vendredi, 28 janvier, le Saint-Père a reçu en audience, dans la Salle du Consistoire, le Tribunal de la Sacrée Rote romaine, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire. Répondant à une adresse du Doyen, S. Exe. Mgr Filipiak, Paul VI a prononcé le discours suivant :



C‘est toujours pour nous un motif de hautes pensées que la rencontre personnelle avec notre Tribunal de la Sacrée Rote romaine, à l’oCcasion de l’inauguration officielle de la nouvelle année judiciaire. Rencontre disposée en trois moments : d’abord avec le vénéré Doyen dans un entretien privé, puis avec le Collège des Juges et ensuite avec tous les membres du Tribunal, y compris les Officiers et les Avocats dans la réunion plénière telle que nous l’avons devant nous. Cette manière même de présentation montre l’importance attribuée dans la Curie romaine à cet organe par lequel le Siège Apostolique exerce son pouvoir judiciaire ; et nous, en recevant la visite qu’il nous rend, en même temps que nous remercions de l’hommage qui nous est exprimé par une présence si considérable et par les nobles paroles de Monseigneur le Doyen, nous voulons honorer le Tribunal de la Sacrée Rote romaine, manifester notre estime pour les personnes qui le composent, confirmer notre confiance dans la fonction qui lui est propre, revendiquer la compétence que la constitution de l’Eglise lui reconnaît, aux termes de la loi canonique et témoigner, par l’importance que nous lui attribuons, du culte de la justice que c’est un devoir, un amour, spécialement de notre part, de professer dans le sein de la société ecclésiastique.



Le juste rapport entre l’Eglise et le Droit canonique





Oui, nous honorons votre magistrature. La Sainte Ecriture, par les paroles constitutives de saint Paul, nous en fait une obligation (1Co 6,1-11 et cf. Mt Mt 18,15-17) ; la tradition, qui remonte à celle qui est antérieure au Nouveau Testament, nous rend les gardiens jaloux et les exécutants du service que, dans l’Eglise organisée et visible, telle qu’est notre Eglise catholique, l’autorité responsable, la hiérarchie, doit rendre pour la sauvegarde du droit de chaque membre de la communauté de l’amour, telle qu’est justement l’Eglise, comme aussi pour l’observance de tout devoir respectif. Et nous avons l’intention aujourd’hui de donner précisément à cette Audience cette reconnaissance du juste rapport entre l’Eglise et le Droit canonique même si ici nous en restreignons la considération à votre domaine, le judiciaire réaffirmant la légitimité, la dignité, l’importance de votre fonction, non pas tellement pour l’analogie étroite et parallèle que l’administration de la justice ecclésiastique a avec celle de la justice civile que pour sa dérivation originelle du dessein constitutionnel divin de l’Eglise, Corps Mystique du Christ, animé par l’Esprit de liberté, d’amour, de service et d’unité, dessein que le récent Concile nous a rappelé par sa doctrine ecclésiologique.



La diffusion de la moralité permissive





Si on a tant discuté sur l’existence d’un Droit canonique, c’est-à-dire d’un système législatif dans le sein de l’Eglise, jusqu’à qualifier, non sans quelque blâme et quelque ironie, de “ juridisme ” sa sollicitude normative, à disqualifier par conséquent cet aspect de la vie ecclésiastique, comme si les expressions défectueuses de l’activité législative dans l’Eglise justifiaient la réprobation et l’abolition de cette activité, en vertu d’interprétations inexactes de certains passages scripturaires (cf. Ga Ga 2,16-18 Rm 4,15). On ne réfléchit pas que “ une communauté sans loi, loin d’être ou de pouvoir être en ce monde la communauté de la charité, n’a jamais été et ne sera jamais autre chose que la communauté de l’arbitraire ” (L. bouyer, L’Eglise de Dieu, p. 596). Et ensuite on ne remarque pas le fait que jamais peut-être comme en notre temps si mal disposé envers le Droit canonique, en raison d’une certaine interprétation abusive du récent Concile, comme s’il avait desserré les liens juridiques et hiérarchiques essentiels dans l’Eglise, ne s’est manifestée une tendance législative prolifératrice, à tout niveau ecclésial, par un besoin impérieux de sceller dans des canons d’une nouvelle facture les innovations les plus variées et quelquefois même illogiques. Ce fait qui contient aussi sans doute des intentions de saines réformes et d’aggiornamento souhaitable, que l’Eglise aujourd’hui non seulement consent et guide, mais encore promeut, ne nous laisse pas sans appréhension pour les incohérences possibles de ces nouveautés juridiques avec la doctrine et avec la règle en vigueur dans renseignement de l’Eglise ; et encore plus parce que cette tendance à changer, suivant des principes nouveaux et discutables, la pratique ecclésiale, passe facilement du domaine juridique au domaine moral et l’envahit et le trouble par des ferments dangereux ; attaquant d’abord le concept évident du droit naturel puis l’autorité de la loi positive, qu’elle soit religieuse ou civile, parce qu’extérieure à l’autonomie personnelle ou collective ; et, affranchissant de cette manière la conscience d’une connaissance claire et d’une admission honnête de l’obligation morale objective, la rend, disons, libre et seule, oui, mais critère aveugle hélas ! de l’agir humain, abandonnée ainsi à la dérive et exposée à l’opportunisme des situations particulières ou aux impulsions instinctives, psychosomatiques, sans plus d’ordre authentique ni frein personnel, justifiées au contraire par un faux idéal de libération et par une attestation sophistique de la soi-disant envahissante moralité permissive. Que reste-t-il du sens du bien et du mal ? Que reste-t-il de la noblesse et de la grandeur de l’homme ? Comme il est vrai que l’homme sans loi n’est plus un homme ! Et comme il est vrai, pratiquement, que la loi, sans une autorité qui l’enseigne, l’interprète et l’impose, s’obscurcit facilement, s’énerve et s’affaiblit ! Et comme notre liberté chrétienne doit se distinguer de celle qui est stigmatisée par l’Apôtre Pierre : “ Libres, oui, mais pas en hommes qui font de la liberté un voile pour cacher leur malice, mais comme serviteurs de Dieu ! ” (1P 2,16). Cela ne vaut rien d’en appeler à nous contre la nécessité d’une loi à la liberté de l’Esprit ou à “ cette liberté (de la loi judaïque) dont le Christ nous a libérés ” (Ga 5,1). Parce que c’est justement Lui, le Christ, qui nous a dit : “ N’allez pas croire que je sois venu abolir la loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ” (Mt 5,17) ; et l’accomplissement en sera l’assimilation et l’exaltation du précepte qui les résume tous, l’amour de Dieu et l’amour du prochain (Mt 22,37-40), et ce sera le commandement nouveau, testament du Christ : “ Aimez-vous les uns les autres comme Je vous ai aimés ” (Jn 13,34). Nous faisons écho, vous le voyez, aux sages affirmations qui ont été prononcées par le vénéré Doyen de la Sacrée Rote romaine.



Le principe évangélique de la charité





Nous sommes arrivés aux sources du Droit canonique qui devra se justifier par la référence à ce principe évangélique dont toute la législation ecclésiastique devra être imprégnée, même si l’ordre de la communauté chrétienne et la suprématie de la personne humaine auxquelles s’adressa tout le Droit canonique, exigent l’expression rationnelle et technique propre au langage juridique. Vous en êtes les maîtres.

Et il ne serait pas besoin d’y ajouter, après la défense de règle que nous avons à peine esquissée pour le Droit canonique auquel est consacrée votre austère fonction, si le Concile ne nous rappelait pas une note qui doit s’insérer, sinon dans la lettre, dans l’esprit de son exercice, la note pastorale qui a caractérisé cet événement et en a pénétré le grand tome de ses documents.

Même le Droit canonique, dans sa formulation, dans son interprétation, dans son application, devra, après le Concile, porter le caractère de cette note pastorale qui nous semble devoir imprimer à la loi de l’Eglise un signe plus humain ou, s’il en était besoin, plus manifestement sensible à la charité que cette loi doit promouvoir et défendre dans la communauté ecclésiale et dans les confrontations avec la société profane : nous souvenant plus clairement de la nature de l’autorité ecclésiastique, c’est-à-dire qu’elle est un service, un ministère, un amour ; et plus explicitement orientée vers la défense de la personne humaine et vers la formation du chrétien à la participation communautaire à la vie catholique.

10 On a déjà tant écrit et discuté à ce sujet ; et vous aurez déjà certainement reconnu les points qui, en vertu du Concile, peuvent concerner la pratique de votre Tribunal et en général de l’exercice de la fonction judiciaire dans l’Eglise ; comme les perfectionnements législatifs sur le droit matrimonial dont s’occupe principalement la Sacrée Rote, perfectionnements auxquels on a déjà mis la main, comme par exemple avec les nouvelles règles relatives aux mariages mixtes, sans que pour cela aient été aucunement altérées les lois inviolables de la famille qui même, grâce à la sage protection et application de votre influent Tribunal comme de tout autre de l’Eglise catholique, doivent avoir pour le bien de tous un suffrage inaltéré et prévoyant.

Si avec l’intègre probité de votre vie personnelle, avec votre connaissance consommée des sciences canoniques, avec l’intérêt humain et chrétien pour la manière zélée et rigoureuse de traiter les causes qui vous sont confiées, et avec la piété religieuse dont vous entourez ce Siège Apostolique vous continuez à accomplir votre difficile et délicate fonction, vous vous acquitterez d’une mission, vous donnerez un témoignage à la justice et à la charité de cette Eglise Romaine et ce sera pour vous, en plus de l’adhésion et de l’approbation du monde catholique et celles, nous le croyons, du monde du palais, notre confiance, notre reconnaissance, notre Bénédiction Apostolique.







AU COLLÈGE DE DÉFENSE DE L'OTAN*


Jeudi 3 février 1972




Chers Messieurs,

Au terme de cette trente-neuvième Session du Collège de Défense de l’OTAN, en votre nom à tous, vos chefs ont manifesté cette fois encore le désir d’une telle rencontre. C’est bien volontiers que Nous y accédons. Par delà cette démarche courtoise, Nous sommes sensible à ce geste d’attachement au Successeur de Pierre dans l’Eglise de Jésus-Christ, et Nous voulons y voir aussi un hommage rendu au rôle que Nous nous efforçons d’assumer pour le bien des peuples, leur sécurité et leur bonheur. Nous sommes heureux de vous exprimer, avec nos souhaits de bienvenue et notre sincère estime pour vos personnes et vos familles, les sentiments que Nous inspire votre institution.

Auditeurs, militaires et civils, venus des divers horizons de l’Europe, de la Turquie et de l’Amérique du Nord, pour acquérir un surcroît de compétence auprès d’un Etat-Major hautement qualifié dans le domaine stratégique, vous êtes appelés demain à exercer d’importantes fonctions au sein de l’Alliance Atlantique. Comment ne pas vous inviter à réaliser toujours davantage ce qui doit constituer, à nos yeux, le double idéal de cette Organisation: une solidarité entre nations en vue de consolider la paix, et la défense d’une civilisation à laquelle nous sommes tous justement attachés?

Même si une telle institution revêt en grande partie l’aspect d’une force militaire que le réalisme semble imposer, Nous pensons que la Paix demeure votre véritable idéal, et que vous restez désireux de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour veiller au respect du droit des peuples, de leurs justes aspirations à la sécurité dans la liberté, pour prévenir de nouveaux conflits et de nouvelles injustices, et, disons-le franchement, pour éviter précisément un recours aux armes. N’est-ce pas le voeu général de l’humanité et son profond intérêt que les rapports purement militaires se transforment de plus en plus en rapports civils, et permettent ainsi un développement harmonieux de toutes les valeurs humaines?

Déjà, dans le cadre même de votre Session d’études, Nous nous plaisons à voir une certaine réalisation de cette solidarité internationale que Nous souhaitons toujours plus élargie. Vous y nouez en effet de multiples rapports humains entre peuples différents que rapproche un même souci de paix et de civilisation. Vous pouvez y prendre conscience des valeurs communes à ces peuples, fondées sur une conception de l’homme et de la civilisation qu’il s’agit de défendre et de promouvoir, dans la mesure où elle est imprégnée de spiritualisme, enracinée dans une tradition vraiment chrétienne. Une telle civilisation, vous le savez, refuse d’entretenir les passions combattives, les aspirations de prestige orgueilleux; elle répudie la soif de domination; elle évite de réduire l’homme à un objet qu’on utilise dans des buts matérialistes; elle ne compte pas sur les seuls rapports de force pour l’équilibre des sociétés. Mais elle mise sur le respect des droits de la personne humaine, tout en développant en celle-ci un esprit de service, le sens du bien commun et de la solidarité internationale; elle est à la recherche d’une véritable paix qui se prépare d’abord par la justice, selon l’appel pressant que Nous lancions à tous les peuples au seuil de cette année. Et qui sera le garant suprême de cette justice et de cette Paix, sinon Dieu qui a mis au coeur des hommes sa ressemblance et sa dignité, et qui les appelle tous à vivre en frères, selon le message d’amour du Christ dont Nous voulons sans trêve nous faire l’écho?

Puisse l’expérience que vous avez vécue ici constituer une école de ce noble idéal de civilisation humaine, de fraternité universelle et de paix chrétienne! En formant ces voeux, Nous vous remercions de votre visite et implorons sur chacun de vous, sur vos familles, comme sur les chers pays que vous représentez, les Bénédictions du Seigneur.

We wish to extend a greeting also in English to our friends from the NATO Defence College. We have already expressed our appreciation of your ideals of peace and friendship among peoples. It is indeed our earnest prayer that all your efforts Will be channelled in this direction, and that your contribution Will be great in the defence of true civilization and its authentic human and Christian values. Be assured that we follow your activities with interest and give you our support in everything that you do in justice and brotherhood to help build a world where dignity Will truly be the lot of every man and peace the possession of all.



*Insegnamenti di Paolo VI, vol. X, p.113-116;

OR 4.2.1972, p.1;

ORf n.6 p.12;

11 La Documentation catholique, n. 1605 p.261.



AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES*


Samedi 5 février 1972




Monsieur le Secrétaire Général,

Nous sommes très touché de la visite que vous voulez bien nous faire et c’est avec la plus vive satisfaction que nous vous accueillons aujourd’hui au Vatican.

Vous accédez au poste de Secrétaire général des Nations Unies dans une période de l’histoire humaine lourde encore d’incertitudes et de menaces, mais où ne manquent pas cependant quelques signes de détente et une volonté plus manifeste, en certains secteurs, de parvenir enfin à la paix entre les peuples, objet premier de votre Organisation, objet aussi, vous le savez, des plus vives sollicitudes de l’Eglise catholique. Bien que les plans et les moyens diffèrent, vos efforts et les nôtres convergent cependant vers ce but, qui répond à une aspiration tellement profonde de l’humanité entière: la paix!

Ce que nous avons tenté en ce domaine, au cours de ces dernières années, est assez connu pour que nous n’ayons pas besoin de le détailler ici devant vous. Nous ne le mentionnons que pour vous assurer de l’intérêt attentif et constant avec lequel nous suivons et suivrons toutes les initiatives de l’Organisation des Nations Unies pour établir ou rétablir la bonne entente entre toutes les nations du globe.

Il est un autre terrain encore, bien proche de celui de la paix, sur lequel votre action et la nôtre se rencontrent: c’est celui de la défense des droits de l’homme, des droits des groupes humains, et notamment des minorités ethniques. On ne peut, sans péril grave pour la société, se résigner à ce qu’il soit infligé à ces droits aujourd’hui, en plusieurs pays, et en dépit de tant de proclamations éloquentes, de si multiples et de si douloureuses blessures. L’Eglise, avant tout soucieuse des droits de Dieu, ne pourra jamais se désintéresser des droits de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de son Créateur. Elle se sent blessée, lorsque les droits d’un homme, quel qu’il soit, et où que ce soit, sont méconnus et violés.

Par le choix qui a été fait de votre personne, vous devenez en quelque sorte, devant l’humanité entière, le garant du respect de ces droits.

Responsabilité redoutable, qui vous impose de graves devoirs, mais dans laquelle tous les hommes de coeur sont à vos côtés.

Pour notre part, nous tenons à réaffirmer devant vous aujourd’hui ce que montra naguère clairement notre présence au siège de votre Organisation: nous avons foi en l’ONU, nous avons confiance dans ses possibilités d’étendre le domaine de la paix et le règne du droit dans notre monde tourmenté, nous sommes prêt à lui donner notre entier appui moral. La cause de la paix et du droit est sacrée. Les obstacles qu’elle rencontre ne doivent pas décourager ceux qui s’y dévouent. Qu’ils proviennent de circonstances adverses ou de la malice des hommes, ils peuvent et doivent être surmontés.

Ce qui peut paraître disproportionné avec les forces humaines devient possible avec l’aide de Dieu. C’est de grand coeur que nous l’invoquons sur vous, Monsieur le Secrétaire Général, et sur votre belle et difficile tâche, pour laquelle vous sont assurés notre bienveillance, nos encouragements et notre prière.

12 *AAS 64 (1972), p.214-215;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. X, p.117-118,

L’Osservatore Romano, 7-8.2.1972 p.1;

ORf n.6 p.1, 11;

La Documentation catholique, n.1604 p.208.



À UNE DÉLÉGATION DU PATRIARCAT ORTHODOXE DE MOSCOU


Lundi 7 février 1972




Excellence,

C'est une grande joie pour Nous de recevoir dans notre maison Votre Excellence, Recteur estimé de l’Académie théologique et du Séminaire de Moscou, avec vos compagnons, prêtres de la même Académie de l’Eglise orthodoxe russe.

Vous êtes venus à Rome comme pèlerins, pour vénérer les lieux sanctifiés par des chrétiens qui ont rendu témoignage à leur foi par leur vie, et souvent par leur mort. Cette foi nous a été transmise par ces hommes et ces femmes comme une réalité vivante qui, à travers les siècles et les diverses circonstances de la vie, reste toujours la révélation de Dieu en Celui qui a dit: «Je suis la voie, la vérité et la vie» (Jn 14,6). Nous partageons en commun cette foi; nous sommes appelés ensemble à la préserver, à la comprendre mieux, à la transmettre, enrichie par nos propres expériences, à ceux qui nous suivent.

Pour la préservation, la compréhension et la transmission de cette foi, ceux qui ont la charge de la formation des prêtres et des maîtres de la vie spirituelle ont une vocation spéciale. Nous sommes heureux d’apprendre que, pendant votre pèlerinage, vous avez pu prendre contact avec des personnes et des institutions de l’Eglise de Rome qui s’efforcent de répondre à la même vocation. Les échanges de vue, les discussions sur des questions qui nous sont communes dans la formation de prêtres qui seront de vrais serviteurs de Dieu et de leurs frères, sont un enrichissement mutuel pour nous.

Nous rendons grâces à Dieu de nous avoir permis de nous rencontrer et de nous connaître les uns les autres. Que la bénédiction divine se répande sur le chef vénéré et sur tous les fidèles de votre Eglise et, d’une manière toute particulière, sur vous-mêmes, sur le corps académique, les étudiants et les moines de vos vénérables institutions, dont le service est si précieux à votre peuple et à votre Eglise!






17 février



LA DEFINITION DE L’IDENTITE DU SACERDOCE RESIDE EN JESUS-CHRIST





13 Dans la matinée du jeudi ,17 février, le Saint-Père a reçu dans la Chapelle Sixtine les Curés, les Prédicateurs de Carême et les Prêtres chargés du soin des âmes à l’occasion de ce début de Carême.

Après le chant du “ Veni Creator ” Monsieur le Card. Vicaire a adressé au Souverain Pontife une filiale allocution d’hommage au nom de toutes les personnes présentes et de tous les fidèles du Diocèse de Rome.

Le Saint-Père a ensuite répondu par le discours suivant :



Chers confrères,



Notre rencontre annuelle au début du carême, “ in capite ieiunii ”, comme le dit la tradition liturgique et ascétique de l’Eglise, nous met dans un état de confiance que j’espère réciproque, même si, dans cette conversation spirituelle et familière, il me revient, à moi votre Evêque, d’être le seul interlocuteur, auquel chacun de vous est invité à répondre dans l’intimité de son coeur ; et je le suis, cet interlocuteur, avec toute la simplicité et l’affection d’un coeur sacerdotal.

Le coeur sacerdotal : je pense que le vôtre aussi est parfois inquiet et troublé par le tumulte de questions et de problèmes qui s’est élevé, en cette période post-conciliaire, même sur le lac habituellement tranquille de notre psychologie personnelle. Qu’est-il donc arrivé ? La recherche des causes et l’examen du phénomène qui marque cet état d’âme inhabituel pour un prêtre, en vertu même de ce qu’il est et de ce qu’il fait, ont suscité, vous le savez, nombre d’études, d’écrits, de discussions, et certainement aussi de nombreuses réflexions en vous-mêmes. La période difficile que nous traversons a poussé jusque dans notre maison ses flots impétueux, providentiels à certains égards, mais dangereux et négatifs sous d’autres aspects. Cela nous a obligés à repenser notre sacerdoce dans ses divers éléments : biblique, théologique, canonique, ascétique, opérationnel ; et parce que cette réflexion s’est affrontée au tourbillon des mutations de la vie moderne, dans le domaine des idées, et surtout dans le domaine concret de l’action et de la vie sociale, nous en sommes venus, nous aussi, à nous demander si la vie sacerdotale traditionnelle ne devait pas être étudiée dans un nouveau contexte historique et spirituel : tandis que le monde change ne restons-nous pas immobiles, comme momifiés canoniquement dans notre mentalité cristallisée et dans nos habitudes traditionnelles, alors que ni le monde qui nous entoure, ni parfois nous-mêmes ne comprenons plus la signification et la valeur de certaines de ces traditions ? Pour nous donner confiance dans le renouveau, il y a eu, outre ces puissantes sollicitations extérieures, le Concile, qualifié et sage : il nous a parlé d’“ aggiornamento ”, ce que certains ont interprété comme la justification et même l’apologie d’un critère extrêmement délicat, le critère du relativisme historique, de l’adaptation aux temps — aux fameux “ signes des temps ” dont l’interprétation relèverait de l’intuition et serait l’affaire de chacun — autrement dit, le critère du conformisme au monde, à ce monde dans lequel nous nous trouvons et dans lequel le Concile a exhorté l’Eglise à se plonger pour y accomplir sa mission, au lieu de s’en séparer par principe. L’assaut de cette poussée vers la nouveauté a donné souvent, même à nous autres clercs, une sensation de vertige (cf. Is
Is 19,14), un certain sentiment de méfiance pour la tradition, une certaine mésestime de nous-même, une manie de changement, un besoin capricieux de “ spontanéité créatrice ”, etc. Des intentions, subjectivement droites et généreuses, sans doute, se sont greffées sur cette vaste et complexe tentative de transformation de la vie ecclésiastique. Nous vous en signalons deux, pour vous montrer que nous suivons ces phénomènes avec une affectueuse attention.

La première, très répandue, est l’intention de sortir de l’état, comme on dit maintenant, de frustration, c’est-à-dire du sentiment d’inutilité qu’éprouvent certains de leur insertion paralysante dans la discipline de l’organisation ecclésiastique. À quoi sert-il, se demandent-ils, d’être prêtre ? Et la question devient amère et angoissante là où la communauté à laquelle ces prêtres se dévouaient a profondément changé quant au nombre et quant à la façon de vivre, semblant rendre superflu ou inefficace le ministère du prêtre resté attaché à son propre lieu et à ses habitudes. L’objection de l’inutilité de sa propre vie est vraiment une source de tourments, particulièrement aujourd’hui, alors que nous sommes assaillis du désir d’efficacité utilitaire, et elle mérite de notre part au moins une compréhension affectueuse, si nous ne trouvons pas de remède approprié.

L’autre intention, elle aussi certainement inspirée par le désir de bien faire, consiste à vouloir supprimer en soi toute distinction cléricale ou religieuse d’ordre sociologique — et cela concerne les questions d’habit, de profession, d’état — pour s’assimiler à tout le monde, se conformer aux façons de vivre des autres ; il s’agirait, en somme, de se laïciser pour pouvoir ainsi plus facilement pénétrer, comme on dit, dans la société. Cette intention a un caractère missionnaire, si l’on veut, mais combien elle est dangereuse et nocive si elle aboutit à faire perdre cette force spécifique de réaction contre le milieu, qui est un de nos caractères propres de “ sel du monde ”, et si elle fait tomber le prêtre dans une inutilité bien pire que celle qui a été signalée plus haut. Le Seigneur l’a dit : à quoi sert le sel s’il perd sa saveur ? (cf. Mt Mt 5,13).

Lisez, chers confrères, l’introduction du document sur le sacerdoce ministériel qui a été discuté au récent Synode des Evêques ; en une synthèse brève, mais dense et vigoureuse, on y décrit les problèmes posés par la condition du prêtre de nos jours ; et vous verrez avec quel regard, avec quel coeur l’Eglise considère la situation présente du clergé : cette étude sérieuse, mais en même temps attentive et optimiste, est pleine de réalisme et d’amour.

Mais maintenant soyons attentifs à une chose importante. Dans toute cette situation complexe, intérieure et extérieure, au sujet de notre sacerdoce, il est une question qui tranche sur les autres et qui les résume toutes en un certain sens ; elle est du reste devenue monnaie courante dans la discussion complexe qui nous concerne. Il s’agit du problème de ce qu’on appelle d’identité du prêtre : qu’est-ce que le prêtre ? Y a-t-il vraiment un prêtre dans la religion chrétienne ? Et s’il existe un ministre de l’Evangile, quelle figure doit-il avoir ? Toutes les tentations des contestations et protestations qui ont caractérisé le XVI° siècle ont resurgi et se sont faites insinuantes ; et peut-être aussi — c’est là un mystère, mais nullement chimérique — des tentations plus profondes, d’origine préternaturelle, celles du doute, considéré non pas comme un chemin vers la recherche, mais comme une réponse insatisfaite de l’absence de vérité, de l’incertitude — poussée jusqu’à l’aveuglement — ressentie comme l’attitude dramatique et aristocratique d’un esprit désormais privé de lumière intérieure. Toutes ces tentations se sont insinuées jusqu’au plus profond de la conscience du prêtre pour étouffer en lui la bienheureuse certitude interne de son état ecclésial : “ Tu es prêtre pour l’éternité ”, et pour y substituer une demande lancinante : moi, qu’est-ce que je suis ?

Ne suffisait-elle pas, la réponse que l’Eglise a donnée depuis toujours, qui nous a été communiquée dès nos années de séminaire, qui a été allumée comme une lampe inextinguible au plus profond de notre âme, qui a été acquise et parfaitement assimilée par notre mentalité personnelle ? Cette interrogation, à première vue, est aussi superflue que dangereuse. Mais le fait est qu’elle a été lancée, comme une flèche, dans le coeur de nombreux prêtres, particulièrement des jeunes qui sont au seuil de leur ordination, mais aussi de quelques autres confrères arrivés à la plénitude de la maturité. La tendance des confrères qui ont rencontré cet écueil les poussant à douter d’eux-mêmes, de l’autorité de l’Eglise — tendance qui est en soi, hypothétiquement, légitime, mais qui s’est vite transformée en tentation et en déviation par suite de l’impossibilité de trouver une réponse satisfaisante — a été d’aller chercher la définition de l’identité du prêtre dans les registres d’état civil ou en dehors de notre propre maison, dans les manuels de sociologie ou de psychologie, ou en utilisant des comparaisons avec une terminologie chrétienne mais coupée de ses racines catholiques, ou enfin dans les notions d’un humanisme qui nous apparaît comme axiomatique : le prêtre est avant tout un homme, un homme complet, comme tous les autres.

14 Ne nous attardons pas à cette analyse, sinon pour poursuivre spirituellement les prêtres qui nous ont abandonné, avec un douloureux regret — comment ne pas les aimer encore ? — et sinon pour vous rappeler aussi à vous, frères bien-aimés, la parole du Seigneur Jésus que Nous redisons : “ Demeurez avec moi dans mes épreuves ” (Lc 22,28).

L’Eglise a consacré, ces derniers temps, tant d’enseignements uniquement à ses prêtres ; ces enseignements ont été appuyés et vulgarisés par toute une littérature, au plan biblique, théologique, historique, spirituel aussi bien que pastoral. La lecture de quelque bon livre sur le sacerdoce catholique sera un sage appoint non seulement pour votre culture, mais aussi pour la paix et la ferveur de votre esprit. Nous n’en citerons qu’un, à titre d’exemple, de Mgr J. Coppens et divers collaborateurs : “ Sacerdoce et célibat ”, Louvain 1971.

Nous nous limiterons ici à une affirmation fondamentale : la définition de l’identité du prêtre, nous devons la chercher dans la pensée du Christ. Seule la foi peut nous dire ce que nous sommes et ce que nous devons être. Le reste, ce qu’on peut appeler l’histoire, l’expérience, le contexte social, les nécessités des temps etc., nous le verrons ensuite avec l’aide responsable et sage de l’Eglise, comme dérivation logique pour la confrontation, l’illustration, l’application de la foi. Laissons donc le Seigneur nous parler. Tel est le thème de cet entretien, que chacun de vous pourra ensuite développer dans la rencontre intime avec Dieu.

Ainsi, demandons humblement à notre Maître, Jésus : nous, que sommes-nous ? Ne devons-nous pas essayer de comprendre comment il nous pense et comment il veut que nous soyons ? Quelle est, à ses yeux, notre identité ? Une première réponse nous est aussitôt donnée. Nous sommes des appelés. Notre évangile commence par notre vocation. (Il nous semble licite de reconnaître dans l’histoire des apôtres la nôtre, à nous, prêtres). Ainsi, en ce qui concerne les premiers que Jésus choisit comme siens, l’histoire évangélique est très claire et magnifique. L’intention du Seigneur est manifeste, et, vue dans le cadre messianique et ensuite dans celui de l’économie chrétienne, elle est très importante. C’est Jésus qui prend l’initiative ; Lui-même mous le dit : “ Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis ” (Jn 15,16 Jn 15,19 cf. Jn Jn 6,70) ; et les scènes simples et délicieuses, qui nous présentent l’appel de chaque disciple révèlent la réalisation précise de choix déterminés (cf. Lc Lc 6,13), sur lesquels il nous plaira de méditer. Qui appelle-t-il ? Il ne semble pas qu’il ait pris garde à la classe sociale de ses élus (cf. 1Co 1,27), et il ne semble pas non plus qu’il ait voulu profiter de celui qui s’offre avec un enthousiasme superficiel (cf. Mt Mt 8,19-22).

Ce projet évangélique nous concerne personnellement. Je le répète : nous sommes des appelés. La question fameuse de la vocation atteint la personnalité et le destin de chacun de nous. Quelles qu’aient été les vicissitudes qui ont marqué le développement de notre vocation, elle constitue ce qu’il y a de plus intéressant dans l’histoire personnelle de notre vie. Il serait insensé de vouloir la réduire à un ensemble de circonstances banales et extérieures (cf. leo trese, Il sacerdote oggi, c. 1). Il faut plutôt noter le soin toujours plus étudié et plus minutieux avec lequel l’Eglise cultive, sélectionne et aide les vocations sacerdotales. Ceci est un facteur de certitude pour confirmer notre identité, trop facilement disséquée aujourd’hui de façon sophistique en vue de la déclarer inauthentique. Il est, du reste, bien difficile de nos jours qu’une vocation soit fondée sur des motifs, intérieurs et extérieurs que l’on puisse honnêtement attaquer (elle ne vaudrait pas pour nous la sentence de Pascal : “ La chose la plus importante dans la vie est le choix d’une profession : le hasard en décide ” cf. Pensées, n. 97). Pour nous, ce n’est pas le hasard qui en a décidé.

Nous devons plutôt penser à quelques aspects de cette vocation, qui est venue frapper à notre porte. Elle a marqué le moment le plus caractéristique dans l’usage de notre liberté, qui a pensé, réfléchi, voulu, décidé. Elle a provoqué le grand choix de notre vie ; analogue au “ oui ” de celui qui contracte un mariage, notre réponse, s’inscrivant à l’encontre de l’inconstance de l’homme qui vit sans idéal supérieur à, lui-même, a engagé notre existence : la forme, la mesure, la durée de notre offrande ; c’est donc la page historique de notre vie, humaine la plus belle, la plus idéale : malheur à qui la dévaluerait !

Et cette réponse a subitement qualifié notre vie, avec son incomparable “ oui ”, comme celle de quelqu’un qui est mis à part de la voie commune selon laquelle les autres mènent leur vie. Saint Paul le dit de lui-même : “ Segregatus in evangelium Dei ”. C’est un “ oui ” qui, en un seul moment, nous a détachés de tout ce qui était nôtre : “ relictis omnibus secuti sunt eum” (Lc 5,11) ; un oui ” qui nous a rangés parmi ceux qui, apparemment, sont des idéalistes, des rêveurs, des fous, des ridicules ; mais aussi, Dieu merci ! parmi les forts, ceux qui savent pourquoi ils vivent, pour qui ils vivent, “ scio cui credidi ” (2Tm 1,12) ; et parmi ceux qui ont formé le projet de servir et de donner leur vie, toute leur vie, pour les autres : jusqu’où ne sommes-nous pas appelés ! Mis à part du monde, oui, mais non pas séparés de ce monde pour lequel nous devons être, avec le Christ et comme le Christ, ministres du salut (cf. Ench. Cler., 104, 860, 1387, etc.).

Il y aurait encore une autre observation à faire au regard de la vocation: nous sommes appelés, disions-nous. Appelés par le Christ, appelés par Dieu ; ce qui veut dire aimés du Christ, aimés de Dieu. Y pensons-nous ? “ Je connais, dit le Seigneur, ceux que j’ai choisis ” (Jn 13,18). Un dessein divin préétabli s’est arrêté sur chacun d’entre nous ; aussi peut-on dire de nous ce que le prophète Jérémie dit au sujet d’Israël de la part de Dieu : “ Je t’ai aimé d’un amour éternel et c’est pourquoi je t’ai étendu ma faveur ” (31, 3). C’est une identité enregistrée dans le Livre de Vie du ciel, “ in libro vitae ” (cf. Ap Ap 3,5).

Nous sommes donc appelés ! mais dans quel but ? Notre identité s’enrichit d’une autre caractéristique essentielle : nous sommes disciples. Je dirais même par antonomase que nous sommes les disciples. Le mot “ disciple ” en suppose un autre, qui ne peut manquer : celui de maître. Qui est notre Maître ? C’est bien le cas de le rappeler ici : “ Vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères... Vous n’avez qu’un Docteur : le Christ ” (Mt 23,8-10). Jésus a tenu à ce que lui soit reconnu ce titre de Maître (cf. Jn Jn 13,13). Après avoir parlé aux foules, à l’intention de tous, Jésus a fait école pour le groupe de ses partisans qualifiés, pour ses disciples, en leur reconnaissant une prérogative de suprême importance : “ A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, tandis qu’à ces gens-là cela n’est pas donné ” (Mt 13,11) : du fait même que les appelés sont des disciples, ils seront élevés à la fonction de maîtres, non pas maîtres de leur propre doctrine, c’est évident, mais de la doctrine qui leur a été révélée par le Christ ; et malgré l’infinie distance qui les sépare du Christ, on peut leur appliquer, par analogie, ce qu’il disait de lui-même : “ Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé ” (Jn 7,16). Et c’est pourquoi, dans la mesure où nous sommes disciples, nous pouvons dire aussi que notre identité sacerdotale comporte un caractère d’enseignement : nous sommes à la fois des disciples et des maîtres ; auditeurs de la Parole du Christ et en même temps annonciateurs de cette même Parole.

Il faudrait une longue et patiente étude pour voir comment l’Evangile décrit cet aspect de notre personnalité. Il sera intéressant pour tous, et c’est un devoir, de se livrer à cette étude, aussi bien pour connaître la pensée du Seigneur sur nous-mêmes que pour prendre pleinement conscience de ce que nous sommes: des élèves qui doivent devenir des maîtres.

Cette qualité de disciple, sur laquelle nous portons notre attention actuellement, nous engage énormément. Elle comporte, vous le savez, chers confrères, un double devoir pour la vie du prêtre en quête d’authenticité : le premier est celui du culte de l’enseignement du Christ, un culte qui se ramifie en plusieurs directions, visant toutes des buts essentiels pour la définition de votre sacerdoce. En bref nous disons : écouter ; écouter la voix de l’Esprit du Christ, c’est-à-dire les inspirations qui portent la marque d’une origine vraiment surnaturelle (cf. Ap Ap 2,6 et ss. ; Mt 10,19 Jn 14,26) ; écouter par conséquent la voix de l’Eglise quand elle parle dans l’exercice de son magistère, soit ordinaire, soit extraordinaire (cf. Lc Lc 10,16) ; écouter l’écho de la voix du Seigneur en celui qui nous parle au nom du Seigneur comme fait l’Evêque, et aussi le directeur spirituel, ou quelque ami bon et bien éclairé ; écouter aussi la voix du Peuple de Dieu, quand il nous rappelle à nos devoirs, ou quand il réclame parfois de nous certains services conformes à notre ministère (mais ceci avec la prudence qui se doit et qui est nécessaire en de tels cas contingents, car on rencontre facilement en ce domaine l’exaltation, l’intention publicitaire, ou la pression d’intérêts ou de méthodes profanes). Ecouter en se livrant à l’étude des sciences sacrées (souvent les professionnels laïcs, dans le domaine qui leur est propre, montrent une plus grande information dans les matières de leur compétence que nous dans les sciences religieuses : cf. Lc Lc 16,8). Ecouter enfin par la pratique de l’oraison mentale, de la méditation : nous savons bien quel aliment elle constitue pour notre vie spirituelle et personnelle (cf. Jn Jn 8,31). Vraiment, nous pouvons répéter avec Jésus : “ Beati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illud ” (Lc 8,21 cf. Lc 11,28). Et puis, pour être vraiment disciples : imiter ! Qu’il y aurait de choses à dire sur cette autre conséquence du fait que nous sommes à l’école du Christ, spécialement en ce temps où nous sommes assaillis par la sécularisation, par la tentation de faire perdre au clergé ce qui le marque extérieurement, et aussi, malheureusement, ce qui le marque intérieurement. Ce qu’on appelle le “ respect humain”, qui a fait tomber Pierre lui-même, pourrait nous induire nous aussi en tentation de cacher ce que nous sommes, et nous faire oublier l’exhortation de saint Paul : “ Nolite conformari huic saeculo ” (Rm 12,2), alors que “ l’imitation du Christ ” doit être l’inspiration qui guide pratiquement notre conduite. Nous n’en disons pas plus pour l’instant sur un thème aussi connu et aussi lié aux exigences intrinsèques de l’identité sacerdotale.

15 Il y a encore une note essentielle, dans la pensée du Christ, concernant notre identité. Il a fait de nous des apôtres. Ecoutez, comme la synthèse de ce que nous sommes en train de dire, l’évangéliste saint Luc : le Christ “ appela ses disciples et il en choisit douze qu’il appela ses apôtres ” (6, 13). L’application, servatis servandis, de ce noble titre d’apôtre aux prêtres ne nous paraît pas abusive ; ni non plus la recherche, dans ce titre lui-même, de la puissance et des fonctions propres du prêtre du Christ.

Chacun de nous peut dire : je suis apôtre.Apôtre, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie envoyé, mandaté. Mandaté par qui ? et à qui ? La réponse à l’une et à l’autre de ces questions, Jésus lui-même nous la donne, le soir de sa résurrection : “ Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ” (
Jn 20,21). Pensez-y. N’y a-t-il pas de quoi, vraiment, en rester stupéfait: d’où vient mon sacerdoce et où tend-il ? Qu’est-il d’autre qu’un chemin de vie divine, qui sert, pour l’extension de la mission salvifique, divino-humaine du Christ, à communiquer les mystères divins à l’humanité ? Il faut nous considérer, dira saint Paul, comme “ les dispensateurs des mystères de Dieu ” (1Co 4,1). Nous sommes les ministres de Dieu (2Co 6,4). Nous sommes les amis du Christ : notre mission instaure pour nous un rapport personnel avec le Christ, rapport unique, différent de celui qu’il entretient avec tout autre : “ Je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis (Jn 15,15-16). C est une amitié qui plonge ses racines dans l’amour incréé de la Trinité elle-même : “ Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour ” (Jn 15,9). Nous sommes les serviteurs de nos frères ; nous n’aurons jamais donné sa pleine signification à ce terme, relatif à notre personne et encore plus à notre mission, comme le Christ a voulu définir la sienne (cf. Mt Mt 20,28), et comme il a voulu que soit la nôtre, dans une profonde humilité, dans une parfaite charité : “ ... Et vous, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres (Jn 13,14). Mais en même temps, quelle dignité, quel pouvoir comporte un tel service : celui d’un ambassadeur ! “ Pour le Christ... nous sommes envoyés en ambassade ; c’est comme si Dieu exhortait par nous ” (2Co 5,20). Et cela avec les pouvoirs sacramentels qui feront de nous les instruments de l’action même de Dieu dans les âmes. Ce n’est plus seulement notre activité humaine qui nous caractérise, mais c’est l’investiture de la puissance divine qui opère dans notre ministère. Une fois compris le sens et la valeur sacramentelle de notre ministère, c’est-à-dire de notre apostolat, c’est toute une série d’autres définitions qui pourront donner au prêtre catholique son visage spirituel, ecclésial et même social, de manière que tous puissent le reconnaître comme étant un être à part, à l’extérieur comme à l’intérieur de la société ecclésiale. Il est non seulement le prêtre qui assure la présidence pendant le temps de rassemblée religieuse de la communauté, mais il est vraiment le ministre indispensable et exclusif du culte officiel, accompli in persona Christi et, en même temps, in nomine populi, l’homme de la prière, le seul qui accomplisse le sacrifice eucharistique, celui qui rend la vie aux âmes mortes, le dispensateur de la grâce, l’homme des bénédictions. Lui, le prêtre-apôtre, il est le témoin de la foi, le missionnaire de l’Evangile, le prophète de l’espérance, il est celui qui anime et en qui se récapitule la communauté, il est le constructeur de l’Eglise du Christ fondée sur Pierre. Et voilà enfin son titre propre, à la fois humble et sublime : il est le Pasteur du Peuple de Dieu, l’artisan de la charité, le tuteur des orphelins et des petits, l’avocat des pauvres, le consolateur de ceux qui souffrent, le père des âmes, le confident, le conseiller, le guide, l’ami de tous, l’homme qui est “ pour les autres ” et, s’il le faut, le héros qui donne sa vie volontairement et silencieusement. A bien considérer la figure anonyme de cet homme solitaire, sans foyer à lui, on découvre un homme qui ne sait plus aimer simplement comme un homme parce qu’il a donné tout son coeur, sans rien retenir pour lui, à ce Christ qui s’est donné lui-même jusqu’à la croix pour lui (cf. Ga Ga 2,20), et à ce prochain qu’il s’est proposé d’aimer à la mesure du Christ (cf. Jn Jn 13,15). N’est-ce pas le sens de l’offrande, faite intensément et dans la joie, de son célibat ; en un mot, il est un autre Christ. Telle est, finalement l’identité du prêtre : nous l’avons entendu répéter tant de fois : il est un autre Christ. Alors, pourquoi douter, pourquoi craindre ?






Discours 1972 7