Discours 1972 57

57 Nous entendons, de cette manière, reconnaître l’utilité et la dignité de votre activité, qui s’exerce au sein de l’Eglise et de la Curie romaine; nous entendons vous remercier de votre précieuse collaboration et voulons vous assurer de notre estime, vous apportant en même temps, dans votre labeur patient et sage, le réconfort de notre encouragement et de notre bénédiction. Nous nous réjouissons de voir ainsi mis en honneur et confirmé le lien spirituel et agissant, qui vous unit à ce Siège apostolique, et goûtons avec vous l’expérience vécue de l’unité de la foi et de la charité, propre à notre appartenance à l’Eglise Catholique; c’est vers cette unité que, moyennant la diversité même de nos ministères respectifs, et la légitime pluralité des expressions culturelles et pastorales contingentes de la théologie, tous doivent converger pour l’unification du Corps du Christ, comme l’enseigne l’Apôtre saint Paul (Cfr. Eph Ep 4,7-13).

Nous aurions, vous le pensez bien, beaucoup de choses à dire: d’abord en ce qui concerne le ministère que Nous exerçons à votre égard, comme héritier qualifié, gardien responsable et interprète autorisé de la foi authentique, qui est le centre de vos études; puis en ce qui concerne les besoins particuliers que l’Eglise vous manifeste aujourd’hui, à vous qui êtes les spécialistes de la science et de l’intelligence de la foi, comme il convient précisément à des théologiens catholiques. Mais ce n’est pas ici le moment de s’étendre sur ces très vastes domaines.

Nous ne voulons pas toutefois laisser passer l’occasion, qui nous est offerte par cette brève rencontre, de vous donner une preuve de notre confiance, tout en vous rappelant la nécessité, que vous connaissez bien, du reste, d’étudier la question de la réceptivité de la foi par l’homme moderne, dont l’aptitude à accueillir le message de la foi semble très affaiblie. Il reste, en effet, enfermé dans sa propre mentalité, qui est toute tournée vers la connaissance phénoménologique des choses, et n’est plus éduquée à l’intelligence métaphysique de la Vérité, à la perception profonde de la Parole de Dieu qui apporte à l’homme l’annonce des réalités mystérieuses du Royaume de Dieu. C’est à vous qu’il appartient, autant qu’à ceux qui cultivent l’art de bien penser, c’est-à-dire aux philosophes, de faire comprendre à l’homme moderne la nécessité de posséder ces prolegomenafidei, qui sont les normes fondamentales de la pensée et sans lesquels l’accueil de la foi se dégrade dans les formes imparfaites et caduques du nominalisme, du pragmatisme ou du sentimentalisme. Il faut redonner à l’esprit de l’homme, à sa pensée et à son coeur, cette aptitude fondamentale qui fait de lui comme un écran sur lequel la lumière de la foi puisse se projeter, donnant ainsi naissance, dans la certitude comme dans la joie ou même dans l’anxiété d’une vigilante recherche, à ce rapport original et salvifique qui est propre à notre religion, centrée sur le Christ Maître et Seigneur.

Laissons tout le reste pour le moment. Cela devrait suffire pour stimuler vos efforts dans l’étude des problèmes religieux multiples et nouveaux auxquels est affronté l’homme de notre temps, et même le fidèle de notre génération à qui l’Eglise doit apporter une réponse. Votre aide dans ce domaine s’avère indispensable. Elle mérite, de la part de l’autorité même de notre magistère, reconnaissance, encouragement et bénédiction.



AUX MEMBRES DE L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES AUMÔNIERS DE PRISONS


Mercredi 11 octobre 1972




Nous sommes heureux d’avoir cette occasion de vous rencontrer, ne fût-ce que brièvement, vous qui consacrez votre ministère sacerdotal au difficile apostolat de l’aumônerie des prisons.

Précisément, vous êtes venus à Rome pour approfondir comment l’Eglise du Christ pourrait, par vous et vos divers collaborateurs, être plus et mieux présente à ceux qui connaissent la vie pénitentiaire. Vous savez combien l’Eglise, aujourd’hui, désire être vraiment l’Eglise des pauvres. Ceux qui vous sont confiés ne sont-ils pas souvent les plus malheureux, tentés de perdre confiance en eux-mêmes, voire considérés comme perdus aux yeux d’un trop grande nombre? Certes, le prêtre appelé à ce difficile ministère a besoin d’une préparation et d’une compétence toutes particulières; son apostolat même l’exige. Mais nul d’entre vous n’ignore combien il serait dommageable, pour l’équilibre intérieur du prêtre comme pour ceux qui attendent de lui un secours spirituel, qu’il en vienne peu à peu à s’adonner presque uniquement à la réinsertion sociale des détenus, au détriment de sa fonction proprement religieuse. Partout, à notre époque, il est difficile d’être reconnu comme prêtre, et peut-être plus encore pour vous. C’est pourtant en s’efforçant de se présenter toujours et partout uniquement comme le prêtre de Jésus-Christ, que l’aumônier trouvera à la fois sa véritable place et son influence la plus bénéfique. Selon les occasions et les circonstances, il pourra aider à rendre plus profondément humaines des méthodes parfois insuffisamment soucieuses, malgré les bonnes intentions, du sens profond de la personne. Auprès de ceux qui font directement appel à lui, surtout, il s’efforcera avec délicatesse d’apporter peu à peu, avec l’aide de la grâce, le sens de la régénération et de la liberté spirituelle, qui sont un don du Seigneur.

C’est pourquoi, à vous tout particulièrement et, à travers vos personnes, à tous les aumôniers que vous représentez ici, nous redisons la parole de l’Apôtre: demeurez «fermes dans la foi» (1P 5,9). Elle est la seule justification de votre ministère; elle est aussi, bien souvent, le seul motif de votre persévérance. Fréquemment, vous ne l’ignorez pas, l’aumônier peut se trouver, plus facilement que d’autres, isolé dans son genre de vie comme dans ses préoccupations. Aussi bien vous appartient-il, comme vous le faites certainement déjà, de favoriser les occasions de rencontre, de partage et de soutien mutuel pour les prêtres qui se donnent à ce ministère des prisons.

A tous, nous manifestons notre estime et l’importance que l’Eglise accorde à leurs efforts persévérants. Comme vous avez dû souvent méditer la parole du Christ Jésus: «J’étais en prison, et vous m’avez visité!» (Mt 25,36). Puisse le Seigneur être toujours, par son Esprit, l’inspirateur de votre action ! Appelant sa grâce sur les travaux de votre assemblée, nous vous accordons de grand coeur notre paternelle Bénédiction Apostolique.



AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE EUROPÉEN DE PASTORALE DANS LE MONDE OUVRIER


Jeudi 12 octobre 1972




Chers Frères, chers Fils et Filles, chers amis,

58 Vous terminez aujourd’hui ce «Colloque européen de pastorale dans le monde ouvrier», qui fait suite à plusieurs rencontres à Paris et Fribourg, et qui marque une étape importante dans votre recherche apostolique. Vous avez choisi Rome pour partager avec l’Eglise universelle votre préoccupation de l’évangélisation des travailleurs d’Europe. Est-il besoin de vous dire que Nous sommes très sensible à cette intention? Soyez les bienvenus dans cette Maison où Nous nous efforçons de porter le souci de toutes les Eglises, et d’encourager plus particulièrement ceux qui ne craignent pas d’affronter une mission difficile et urgente comme la vôtre.

Oui, Nous sommes conscient, croyez-le, du profond amour que vous portez à vos frères et à nos frères ouvriers, de votre souci d’écouter, d’analyser leurs préoccupations et aspirations; de votre accueil bienveillant de leur histoire et de leur culture originales; de votre impatience de les voir à part entière dans l’Eglise; de votre regard de foi qui veut discerner et développer les valeurs évangéliques latentes ou déjà florissantes chez nombre d’entre eux; de votre espérance de les voir réaliser, à leur façon, leur vocation de fils de Dieu. Et ce qui Nous réjouit encore, c’est cette recherche commune et cette concertation, onéreuse sans doute, mais féconde, où les différents membres du Peuple de Dieu prennent leur place spécifique dans la Mission ouvrière: laits ouvriers, bien sûr - car rien ne remplacera l’apostolat du milieu par le milieu - mais aussi religieuses et prêtres, dans une collaboration loyale avec vos Evêques. Sans cette unité, et sans cet envoi authentifié par les Successeurs des Apôtres, vous le savez, il n’y aurait pas de mission véritable, pas d’apostolat fructueux, pas d’Eglise en un mot. Bref, vous nous semblez animés par cette passion de saint Paul qui le poussait à annoncer Jésus-Christ dans tous les milieux, particulièrement dans ceux qui étaient étrangers à la foi.

Ce vaste monde ouvrier s’est surtout développé comme tel en Europe depuis le phénomène massif de l’industrialisation. Et il a pris une conscience de plus en plus vive de sa misère commune, et aussi de la possibilité, d’une situation plus humaine dans une solidarité grandissante, internationale, qui n’empêche pas une certaine diversité. Encore maintenant, bien des conditions de vie laissent à désirer, surtout chez les migrants. Ce n’est pas seulement une question de pauvreté matérielle, mais aussi de participation, à tous les niveaux. De plus, le matérialisme pratique constitue un risque grave auquel n’échappent pas les travailleurs eux-mêmes. Quant à l’attitude religieuse proprement dite, sans doute beaucoup d’entre eux n’ont-ils pas cessé de côtoyer l’Eglise dans nos pays de vieille chrétienté, et la plupart du temps de lui demander le baptême; mais il faut bien le constater, dans son ensemble, le monde ouvrier en demeure assez loin. Comment l’Eglise pourrait-elle se résoudre à cet état de fait, quand le signe de sa mission est de voir la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres? Vous comprenez par là l’importance capitale que Nous accordons à votre apostolat, comme notre prédécesseur Pie XI l’a fait pour le vénéré abbé Cardjin.

Mais cet apostolat, vous le savez comme Nous, est difficile et exigeant. Il requiert des qualités et des conditions que Nous ne nous estimons pas le droit de passer sous silence, sans prétendre épuiser un sujet qui demeure immense.

Un tel apostolat exige d’abord, de la part des prêtres et des religieuses notamment, une formation pastorale spécialisée. La bonne volonté n’y suffit pas. Comme tout apôtre, celui qui veut faire oeuvre d’évangélisation dans le monde ouvrier doit évidemment puiser son inspiration et sa force dans le dessein de Dieu, «comme s’il voyait l’invisible». Mais il doit aussi posséder une connaissance sérieuse des doctrines, des systèmes sociaux, économiques, philosophiques, qui marquent le monde et le mouvement ouvrier; tout ce qui caractérise ou influence l’âme ouvrière doit lui devenir familier. Il est bon qu’il ait quelque expérience de sa vie, qu’il la partage dans une certaine mesure, dans la fraternité, en s’efforçant de garder toujours le recul nécessaire pour porter un jugement avec compétence et discernement.

Faut-il parler, à ce propos, d’une assimilation nécessaire au monde ouvrier? Dans une certaine mesure, oui, sur le plan pastoral. On peut invoquer en ce sens la parole de saint Paul: «Libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin d’en gagner le plus grand nombre. Je me suis fait juif avec les juifs . . . Je me suis fait tout à tous» (
1Co 9,19-22). La première démarche est donc de chercher à bien comprendre du dedans, Nous le disions à l’instant, les réactions de l’âme ouvrière. Cette compréhension se fera dans la bienveillance, toujours dans l’amour. Et elle manifestera sa solidarité dans la recherche des conditions réalistes qui assureraient mieux la dignité humaine, la justice, la responsabilité, la fraternité, avec le souci d’une promotion collective qui semble caractériser le monde ouvrier.

Mais, il faut le préciser, la conformité à un milieu de vie pour un chrétien ne saurait être inconditionnelle, pas plus dans le milieu dit indépendant que dans le milieu ouvrier. Elle ne l’était pas aux débuts de l’Eglise, pas plus dans le monde des esclaves sollicités par la révolte que dans le monde des maîtres enclins à la dureté et au profit. Le Christ, il est vrai, a partagé totalement notre vie humaine, hormis le péché (Cfr. Prière eucharistique, 4). Son humanité, sa proximité, ne laissaient planer aucun doute sur la transcendance du Royaume de Dieu qu’il annonçait. «Il était impossible d’expulser le Christ de l’humanité et impossible de l’y réduire» (P. DE MONTCHEUIL,Problèmes de vie spirituelle, éd. de l’Epi, 1963, p. 12). De même son disciple, laïc ou prêtre, garde une originalité dans sa façon de rechercher la justice, de pratiquer l’amour, de vivre la solidarité, bref, de témoigner authentiquement des béatitudes. A plus forte raison le prêtre doit-il demeurer l’homme des exigences évangéliques, et le témoin de l’accueil universel, même si son ministère l’attache plus spécialement à tel milieu social.

En ce sens, la mentalité et les moeurs du monde ouvrier ne peuvent constituer, en soi, les modèles idéaux de notre ministère. Elles sont plutôt, comme pour saint Paul, l’objet de notre souci, de notre travail apostolique. Nous voulons servir et honorer ce prochain bien aimé; et ce respect, ce service nous poussent précisément à demeurer très fidèles à la ligne doctrinale qui est la nôtre, à chercher le moyen apostolique de transmettre ce message religieux et chrétien, d’en témoigner de façon convaincante, pour que les personnes, les milieux, les structures soient imprégnés par son esprit, et soulevés par son levain. Avons-nous suffisamment la conviction que notre foi, avec toute la doctrine théologale, morale et sociale qui s’y rattache, n’est pas une simple idéologie parmi d’autres? Vous le savez, elle est vie et source inépuisable de vie dans tous les domaines. Dans une véritable évangélisation, la foi demeure à la racine du dynamisme de la mission.

A ce sujet, vous êtes de plus en plus confrontés à un large espoir de «libération», qui fait souvent appel à la «révolution», parfois à la «violence», du moins aux «moyens forts», qui paraissent les seuls efficaces pour obtenir cette libération. Ici, le chrétien, surtout le prêtre et le militant, doivent faire oeuvre de discernement; ils doivent demeurer des hommes libres, qui ne soient esclaves d’aucun mythe, fûtil marqué d’une grande charge affective. Ils doivent voir loin et profond. Nous ne nions pas la nécessité d’une libération, mais elle doit être celle de toutes les souffrances et de tous les maux, y compris le péché, la haine, l’égoïsme. Nous le disions dans notre allocution du 16 août dernier: «Et l’Eglise, que n’a-t-elle pas fait dans son domaine pour que cette théologie (de la libération) qui est celle de la charité, toujours nouvelle et toujours vivante, soit efficace» (Cfr.L’Osservatore Romano, édition hebdomadaire en langue française, 25 août 1972, p. 8). Il y a des changements, et parfois assez radicaux, à apporter aux structures; mais il est des moyens que les chrétiens ne sauraient faire leurs. La fin ne justifie pas les moyens; certains d’entre eux portent en eux-mêmes - nous en avons des exemples récents - une inhumanité qui ne peut que retarder l’avènement de la société juste que l’on voudrait construire; de tels moyens sont, en tout cas, contraires à l’apostolat et au ministère catholiques.

Ces précisions capitales étant faites, le problème pastoral demeure entier de rendre la vie religieuse possible, compréhensible, abordable pour le monde ouvrier. Et c’est là l’enjeu et le mérite de votre apostolat spécifique, pour lequel l’Eglise vous fait grande confiance. Il faut avant tout habituer les chrétiens à un regard de foi sur les événements qu’ils vivent, et à un témoignage évangélique de qualité. Laïcs, prêtres et religieuses au service du monde ouvrier, sans jamais perdre leur identité chrétienne, sauront alors, par leur amitié profonde et fidèle avec leurs frères et soeurs, frayer pour eux un chemin vers le Christ et vers l’Eglise, à travers les relations de leur vie quotidienne. Ils auront soin aussi de sensibiliser les autres membres de leur communauté chrétienne à leur souci apostolique concernant le monde ouvrier. Il est certain que celui-ci doit se trouver à l’aise dans l’Eglise de Jésus-Christ. Et même, selon votre expression, il faut que l’Eglise naisse authentiquement dans le monde ouvrier, que celui-ci puisse s’y exprimer avec sa culture propre, sans bien sûr former une Eglise à part: il y a un seul Peuple de Dieu en marche vers le salut dont l’accomplissement dépasse les perspectives terrestres.

Nous rendons hommage au travail patient déjà accompli, aux expériences nombreuses déjà tentées dans ce souci de fidélité à l’Eglise, et que Nous suivons avec intérêt. Nous vous encourageons à les poursuivre, à raviver les formes d’apostolat qui ont déjà fait leurs preuves, à en inventer de nouvelles. A tous, il est demandé de purifier sans cesse le témoignage d’amour et de foi que doit donner le disciple du Christ. Nous ne nous étonnerons pas de la lente croissance de la semence évangélique, ni du sacrifice qui marque tout apostolat. Mais que l’espérance pascale vous illumine et vous réconforte. C’est dans cet esprit que Nous vous bénissons de grand coeur.



À LA CONGRÉGATION POUR LES RELIGIEUX ET LES INSTITUTS SÉCULIERS


59
Jeudi 19 octobre 1972




Chers Fils et chères Filles,

Laissez-nous d’abord vous exprimer la joie et l’émotion que Nous éprouvons à vous recevoir. Vous portez avec Nous l’honneur et le poids d’une grande responsabilité: celle de l’orientation, de l’authenticité, de la vie religieuse aujourd’hui. Au-delà de vos personnes, Nous évoquons ces milliers d’hommes et de femmes qui consacrent leur vie à suivre le Christ dans la pratique des conseils évangéliques. Ils représentent pour Nous, pour l’Eglise entière, une immense espérance.

Vous avez répondu à l’appel de notre Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers, afin de faire le point, durant ces quelques jours, de «l’aggiornamento» que le Concile et vos chapitres ont suscité et mis en oeuvre, notamment sur le plan de la prière et de la vie commune. Vous avez cherché comment surmonter les tensions qui se font jour - et qui sont sans doute inévitables - au sein de vos diverses congrégations, comment vivre, dans un certain pluralisme, l’unité profonde dont doivent témoigner les disciples du Christ. Nous nous félicitons de cette collaboration avec le Dicastère chargé de veiller et de présider à la solution de ces problèmes, et en ce sens, de vous servir. Nous souhaitons qu’une telle collaboration soit de plus en plus fréquente, confiante et fructueuse.

Il n’est pas question pour Nous, dans le cadre de cette brève rencontre, de reprendre l’ensemble des questions que pose le renouveau adapté de la vie religieuse. Nous vous avons livré l’an dernier, dans notre Exhortation Apostolique «Evangelica testificatio», nos soucis et nos espoirs à ce sujet. Au nom du Seigneur, Nous avons dégagé les critères de discernement susceptibles de vous guider sur ce chemin exigeant, mais combien fascinant, d’une vie plus évangélique. Nous vous prions de garder devant les yeux, de méditer, ces divers éléments de la vie religieuse que Nous avons mis en lumière, sans en négliger aucun. Ce matin, Nous voulons seulement raviver en vous l’«esprit religieux» qui doit marquer vos personnes et vos communautés, ainsi que votre adhésion positive à l’Eglise.

Oui, vous avez choisi de vivre votre vocation baptismale dans le cadre particulier de la vie religieuse; ou plutôt, vous avez accepté de servir le Seigneur de cette façon radicale qui correspond profondément à un appel évangélique, qui a fait ses preuves dans l’Eglise depuis des siècles, et que celle-ci a authentifiée comme un témoignage hors pair et indispensable des béatitudes. Nous vous le disons sans ambages: soyez conséquents avec vous-mêmes, montrez-vous fidèles à votre vocation, ne laissez pas se dissoudre, en théorie comme en pratique, ce caractère essentiel de la vie religieuse, qui est votre lot. La plupart des chrétiens sont appelés à affirmer leur foi et à exercer leur charité comme laïcs, avec toutes les responsabilités temporelles qui leur incombent, et leur témoignage est essentiel, Nous l’avons souvent souligné; certains le font aujourd’hui, avec l’appui et selon les exigences d’un Institut séculier, et Nous avons récemment encore loué cette nouvelle initiative. Mais les uns et les autres ont précisément besoin de votre fidélité à votre vocation spécifique de religieux et de religieuses. Elle comporte, vous le savez, outre la profession des voeux de chasteté consacrée, de pauvreté et d’obéissance, une vie commune vécue dans une fraternité intégrale. Elle requiert une ascèse particulière qui vous fait remonter librement et joyeusement aux biens de ce monde, comme signe de votre attachement au Seigneur Jésus aimé pour lui même, pardessus tout et jusqu’à la Croix. Elle se manifeste dans une obéissance qui vous rend foncièrement disponibles à la volonté de notre Père des cieux, à travers les appels concrets de l’Eglise et de vos supérieurs, comme le Christ a vécu l’obéissance à son Père à travers les servitudes de son incarnation (Cfr. JACQUES GUILLET, Jésus-Christ hier et aujourd’hui, Desclée de Brouwer 1963,
PP 109-125). Bref, vous devez tendre à la perfection évangélique (Cfr. Mt 5,48) de manière à être en permanence les signes vivants de la transcendance du Royaume de Dieu.

Certes ce signe ne sera pas toujours compris, non seulement du «monde» au sens où l’entend saint Jean, mais même des hommes de bonne volonté, voire de vos frères et soeurs chrétiens. Et vous en souffrirez. Car ce monde, non seulement subit l’attrait - et parfois l’esclavage - de l’avoir, du pouvoir et de la chair, mais il est devenu hypersensible à la requête de l’épanouissement personnel, dans le cadre d’une autonomie complète. Votre vie peut revêtir à ses yeux quelque chose de mystérieux, d’étrange, voire, selon certains, d’inhumain. Et pourtant, vous le savez, vous, ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu (Cfr. 1Co 1,25-27). D’ailleurs, le vrai scandale ne serait-il pas de percevoir que, sous prétexte d’adaptation, vous renoncez à ces exigences de prière, d’humilité, de pauvreté, de partage, de pureté, de simplicité, de service désintéressé que le Christ a demandées à ses disciples?

Entendons-nous bien: la forme de vie religieuse ne doit pas faire fi des talents naturels ni des charismes personnels; elle doit servir la vocation de chaque personne. Et c’est une lourde charge pour vous, supérieurs, de veiller à ce que chacun de vos frères et soeurs s’y épanouisse, soit traité avec égard, y soit reconnu et aimé, et puisse apporter à sa communauté et au monde le meilleur de lui-même. Mais on ne saurait oublier le paradoxe de l’Evangile, que vous avez, plus que d’autres, la mission de réaliser pleinement: «Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera» (Mt 16,25). Soyez-en bien convaincus : cet amour du Seigneur, vécu jusqu’au renoncement de vous-mêmes, ne saurait demeurer sans fruit. En vous apportant une joie profonde et l’espérance de la vie éternelle, il frayera mystérieusement aux âmes le chemin vers le Dieu d’amour. Oui, en ce sens, ne craignez pas d’être pleinement religieux.

Nous abordons brièvement le deuxième thème de notre entretien. Un tel amour de Dieu ravivé dans une prière intime et stimulé par la vie fraternelle ne saurait vous éloigner, bien au contraire, du souci missionnaire qui vous anime aujourd’hui et qui Nous réjouit vivement. Que vous meniez une vie contemplative ou directement apostolique, l’amour de l’Eglise sera au coeur de vos préoccupations. Evidemment, vous adhérerez sans réserve à la foi véritable qu’elle professe; vous accueillerez avec confiance les orientations qu’elle précise, les décisions qu’elle prend, dans les divers domaines, pour le bien de tous: en cette heure, ce témoignage de fidélité de l’ensemble des religieux unis au Siège de Pierre Nous paraît capital. Regardez l’histoire: il fut toujours déterminant aux époques où l’Eglise entreprit ses grandes réformes. Mais vous partagerez aussi, selon le charisme propre de votre Institut, sa volonté de rejoindre en vérité de monde, nouveau à tant d’égards; il ne s’agit pas de vous conformer à lui, mais de l’accueillir, de le comprendre et de l’aimer jusqu’au point de lui annoncer Jésus-Christ, avec la patience évangélique et selon les moyens adaptés à son entendement. Or, dans chacun de vos diocèses, de vos régions, de vos pays, les Evêques sont chargés, avec les conseils presbytéraux et pastoraux, de discerner les besoins prioritaires, d’orienter les efforts pastoraux, de les coordonner. Chaque Institut doit bien préciser son identité personnelle, pour s’insérer dans ce service avec sa vocation propre: il n’est pas question d’absorber cette richesse de vos charismes multiformes, traditionnels, dans un regroupement autoritaire ou un nivellement appauvrissant. Néanmoins, chacun doit participer, en toute disponibilité, à la mission de l’Eglise, en harmonie avec l’apostolat exercé dans l’ensemble du peuple de Dieu, sous la responsabilité de la Hiérarchie. Vous vous souviendrez toujours que l’«exemption» elle-même regarde surtout les structures internes de vos congrégations (Cfr. Evangelica testificatio, 50): elle ne doit jamais faire obstacle à la réalisation d’une communion intime, profonde, cordiale, de sentiments et d’action, avec vos Evêques.

Chers Fils et chères Filles, Nous pensions à vous ces jours-ci en célébrant la messe en l’honneur de saint Luc. Vous êtes de ces disciples que le Seigneur envoie aujourd’hui devant lui. Nous prions le Maître de la moisson de vous adjoindre de nombreux compagnons et compagnes, d’une fidélité éprouvée. Et déjà, il Nous semble que le moment est venu d’une reprise en profondeur de la vie religieuse. Allez donc par le monde entier. Portez-y la paix du Christ. Annoncez sa bonne nouvelle, par votre propre vie consacrée: «C’est le Royaume de Dieu qui vient jusqu’à vous» (Lc 10,9). Avec Marie, tournez-vous vers le Seigneur, dans l’action de grâces et avec une parfaite disponibilité. Et Nous, de grand coeur, Nous vous bénissons.



AUX PARTICIPANTS À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DES GRANDS PRIEURS, RÉGENTS, PRÉSIDENTS DES ASSOCIATIONS NATIONALES

ET CHEFS DES MISSIONS DIPLOMATIQUES DE L’ORDRE DES CHEVALIERS DE MALTE*


Mercredi 25 octobre 1972




60 Mesdames et Messieurs,

Vous n’avez pas voulu achever l’assemblée plénière des grands prieurs, régents, présidents des associations nationales et chefs des missions diplomatiques de l’ordre des Chevaliers de Malte, sans venir saluer l’humble successeur de Pierre. Laissez-nous vous dire notre joie de vous accueillir et de pouvoir nous entretenir quelques instants avec vous.

Nous savons et apprécions, en effet, le noble idéal qui vous anime, et qui est si bien exprimé dans votre Charte constitutionnelle: «Promouvoir la gloire de Dieu au moyen de la sanctification des membres, du service rendu à la foi et au Saint-Siège, et de l’aide au prochain, en conformité avec les traditions séculaires» (Art. 2, § 1). Assurément, ce programme exigeant et difficile mérite que l’on y consacre toute sa vie: par le don de votre personne au Christ, premier servi, et en multipliant les oeuvres caritatives au bénéfice des plus pauvres, particulièrement dans les pays en voie de développement. Oui, c’est une bonne défense de la foi que d’aider les autres chrétiens, par son propre exemple, à considérer l’amour des petits comme une dimension essentielle de la vie spirituelle et de l’apostolat.

Mais puisque vous attendez de nous quelque orientation évangélique pour votre action future, nous vous exhortons à être vigilants, en vous mettant à l’écoute des besoins nouveaux manifestés à notre époque. Ceux-ci ne prennent pas seulement le visage de la pauvreté matérielle - qui nécessite toujours secours et investissements - mais ils ont souvent pour nom l’isolement, l’insécurité, l’anonymat, le désespoir. Ils empêchent l’épanouissement total de l’homme, de son âme et de son corps. Méditez donc sans cesse les paroles de l’Apôtre saint Paul: «Qui est faible, que je ne sois faible? Qui vient à tomber, qu’un feu ne me brûle?» (
2Co 11,29).

En même temps, veillez à toujours introduire dans vos contacts un caractère personnel, pour faire, de la rencontre de l’autre, une rencontre du Seigneur Jésus souffrant. Vous verrez alors que votre don généreux sera largement compensé par tout ce que vous recevrez de l’autre.

En vous communiquant ces simples réflexions, nous vous redisons nos encouragements et notre confiance, et vous accordons de grand coeur, ainsi qu’à vos familles, notre paternelle Bénédiction Apostolique.

*Insegnamenti di Paolo VI, vol. X, p.1090-1091;

OR 26.10.1972, p.1;

ORf n°44 p.1.



AUX PARTICIPANTS AU SYMPOSIUM INTERNATIONAL SYRIAQUE


Lundi 30 octobre 1972




C’est avec un très grand plaisir que Nous recevons ce matin votre symposium international syriaque, dont la présence évoque irrésistiblement en Nous les gloires de la vénérable Antioche chrétienne. Quelle n’était pas déjà la richesse de son passé, lorsque la cité de l’Oronte vit arriver les premiers messagers de la Bonne Nouvelle! Saint Luc nous a décrit la ferveur de sa jeune communauté, la première appartenant à ce monde hellénistique qui s’ouvrait à l’Evangile. Remplie de zèle et de docilité à l’Esprit Saint, elle profita du rayonnement de la ville d’Antioche sur le bassin oriental de la Méditerranée, pour s’élancer à la conquête spirituelle d’un monde assoiffé de vérité. Là, «pour la première fois, les disciples du Christ furent désignés du nom de chrétiens» (Ac 11,26); là, saint Paul inaugura sa prédication dont nous vivons encore. L’évocation d’un seul lieu, aussi chargé d’histoire qu’il puisse être, ne saurait cependant épuiser les souvenirs que nous devons à l’orient syrien. C’est toute la Syrie, biblique, chrétienne et catholique que Nous voulons saluer aujourd’hui. Non sans émotion, Nous rappelons particulièrement le nom de Damas, si cher à la chrétienté et où Nous avons voulu ériger un mémorial en l’honneur de l’apôtre des nations. Sous ses murs, le persécuteur par zèle de la Loi a rencontré le Seigneur et est devenu le «vase d’élection» destiné à porter son nom jusqu’aux extrémités de la terre!

61 Aussi est-ce pour Nous un motif de joie très particulière de pouvoir saluer aujourd’hui notre vénérable Frère, Sa Béatitude Ignace Antoine II Hayek, Patriarche de l’Eglise syrienne d’Antioche, ainsi que tous nos fils de cette communauté. Nous ne voudrions pas non plus séparer dans notre affection ceux des divers rites catholiques de ce pays: Melchites, dont Damas est le siège patriarcal, Arméniens, Maronites, Chaldéens, Latins, et toutes les congrégations religieuses orientales ou de rite latin. Nous étendons notre salut cordial à travers les personnes qui les représentent ici, à toutes les vénérables Eglises qui ont conservé l’usage de la langue et du rite syriaques, à nos Frères Orthodoxes, en premier lieu à Sa Sainteté le Patriarche Ignace Jacob III; et de même aux communautés protestantes. Comment, en ce jour, ne pas tourner aussi notre pensée vers les populations musulmanes et vers les autorités civiles de ces pays qui conservent pieusement les richesses de l’ancienne culture syriaque, pour adresser à tous nos souhaits de concorde et de paix?

Nous sommes heureux enfin d’accueillir notre Institut pontifical d’Etudes orientales en la personne de son Recteur, le Père Ivan Zuzek, S.J., ainsi que le Secrétaire de votre symposium, le Père Ignace Ortiz de Urbina, S.J. Pour la première fois sans doute, un aussi grand nombre de spécialistes se trouve réuni pour étudier la patristique, la liturgie et l’histoire des Eglises antiochiennes de langue et de rite syriaques. Quelles richesses ne contribuez-vous pas à faire connaître! Nous nous devons d’évoquer, ne fut-ce que brièvement, le regretté et incomparable cardinal Mercati, et ses études consacrées au plus célèbre manuscrit de la bibliothèque ambrosienne - publié par Mgr A. M. Ceriani en 1874 - celui des «Hexaples d’origène». Nous pensons aussi au trésor des anciennes versions syriaques de la Bible, au «Diatesseron», de Tatien ou à la «Peschitta», qui nous transmettent les expressions littéraires les plus proches du dialecte araméen que parla le Christ Jésus.

Nous voyons une profonde signification dans cette volonté de retour à de telles sources. Leur valeur n’est pas seulement culturelle, mais religieuse et chrétienne. Elles nous mettent en contact, dans le domaine de la théologie et de la spiritualité, avec d’authentiques traditions apostoliques. C’est pourquoi vous avez voulu élargir le champ de vos investigations érudites à l’ensemble des Eglises d’expression syriaque, non seulement en ce qui concerne leur liturgie, mais aussi leur théologie, leur spiritualité et leur histoire. C’est vous dire combien Nous apprécions vos efforts compétents. Vous pouvez aussi apporter, n’en doutez pas, un concours important à une meilleure compréhension mutuelle et donc promouvoir une union plus étroite, au plan de la culture, certes, mais aussi à celui de la diversité des rites, de l’oecuménisme et de l’amitié avec le monde arabe.

Vous vous réunissez à l’approche du seizième centenaire de la mort de saint Ephrem le Syrien, que notre Prédécesseur Benoît XV proclama, en mille neuf cent vingt, Docteur de l’Eglise. Puisse sa grande figure, que plusieurs d’entre vous ont entrepris de mettre plus particulièrement en lumière, être le guide de vos efforts.

Formant les meilleurs voeux pour le plein succès de votre symposium, Nous implorons de grand coeur, sur vos travaux et sur vos personnes, l’abondance des divines bénédictions.




Discours 1972 57