Discours 1975 60

IMPOSITION DU PALLIUM AU PATRIARCHE D’ANTIOCHE DES MARONITES


Jeudi 27 novembre 1975




Chère Béatitude,

Si l’Eglise Catholique a conservé l’antique tradition de la remise du pallium aux patriarches, primats et archevêques, c’est qu’elle attache une double signification à ce signe. Le pallium est en effet un symbole de votre autorité dans l’Eglise; il s’agit, selon l’Evangile, d’une autorité apostolique, d’une autorité en vue du service.

Oui, ce «pouvoir» ne vient pas de nous. Il dérive du Christ lui-même: «Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie» (Jn 20,21). Il vous vient par saint Pierre, par les Douze Apôtres, auxquels le Christ a remis la mission de lier et de délier (Cfr. Matth Mt 16,19 Mt 18,18), par l’Eglise dont les Pasteurs légitimes se situent sans interruption dans la lignée apostolique. Ce pallium vous rappelle donc, Frère bien-aimé, le lien qui vous unit à tout le Collège apostolique; il exprime votre communion particulière au Successeur de Pierre, principe perpétuel et visible et fondement de l’unité (Cfr. Lumen Gentium LG 23); il signifie votre engagement à promouvoir de toutes vos forces l’unité de l’Eglise, dans la fidélité à la doctrine des Apôtres.

Et cela nous amène à une deuxième caractéristique de l’autorité: c’est un service du Peuple de Dieu qui vous est confié, de toute la communauté maronite, de ses prêtres et fidèles, de vos Frères dans l’épiscopat, de tous les hommes qui constituent le «prochain». Le Christ l’a affirmé avec vigueur à ses Apôtres: «Je suis parmi vous comme celui qui sert» (Lc 22,27).

Le récent Concile n’a cessé d’envisager sous cet angle la charge des Pasteurs (Cfr. Lumen Gentium LG 24, 27, 41; Christus Dominus CD 16). Service exigeant, puisqu’il doit être un témoignage rendu à la vérité, et notamment à l’amour fraternel qui est le signe des chrétiens. Service qui suppose à la fois autorité courageuse et proximité compréhensive. Comment ne pas évoquer ici la belle phrase de saint Augustin, à l’occasion d’une ordination épiscopale: Praepositi sumus, et servi sumus: praesumus, sed si prosumus. In quo ergo praepositus episcopus serves est, videamus. In quo et ipse Dominus . . .(Misc. Agost., Roma 1930, 1P 565).

61 En vous remettant ce pallium, nous prions Dieu d’assister tout particulièrement Votre Béatitude dans sa haute charge patriarcale, de vous donner joie et réconfort. Nous faisons nôtre votre sollicitude pastorale pour tous le maronites qui forment une portion choisie de l’Eglise de Dieu et auxquels nous redisons notre estime; nous partageons aussi profondément vos préoccupations pour tous vos compatriotes si éprouvés. En gage de nos encouragements fraternels, nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.



À L’OCCASION DU CONGRÈS MONDIAL DES GROUPES DÉMOCRATES-CHRÉTIENS


Samedi 29 novembre 1975




Messieurs,

Nous sommes honoré de vous accueillir et de vous présenter nos sentiments d’estime et de bienveillance. Nous sommes également très heureux qu’à l’occasion du Congrès mondial des Groupes Démocrates-Chrétiens, vous ayez tenu à prendre part aux cérémonies de l’Année Sainte. A cette célébration du Renouveau et de la Réconciliation, que nous avons proposée à tous les fidèles, vous êtes venus, comme tous les pèlerins du monde entier, pour franchir la Porte Sainte! Et vous êtes venus avec tout le poids de vos fatigues et de vos problèmes très particuliers, et aussi avec tout le sérieux de vos engagements au service du bien commun.

Nous souhaitons que cette halte essentiellement spirituelle, véritable pause de réflexion au milieu de vos activités souvent surchargées et consacrées à des intérêts multiples, soit riche pour vous d’une maturation croissante de l’homme intérieur (Cfr. Eph Ep 4,13), et vous entraîne à un don de vous-mêmes, toujours plus généreux, à cause de la vérité, de la justice, du progrès social, de la paix parmi les peuples comme à l’intérieur de chaque nation.

C’est bien cela le sens et l’exigence de l’engagement politique: un dévouement total au bien public. Le Concile Vatican II n’a pas hésité à en parler comme d’un champ d’apostolat, d’un exercice de sagesse chrétienne: «Immense, dit le Concile, est le champ d’apostolat, sur le plan national et international, où les laïcs surtout sont les intendants de la sagesse chrétienne. Dans le dévouement envers la nation, dans le fidèle accomplissement de leurs devoirs civiques, les catholiques se sentiront tenus de promouvoir le vrai bien commun; c’est ainsi qu’ils pourront amener le pouvoir civil à tenir compte de leur opinion afin qu’il s’exerce dans la justice et que les lois soient conformes aux exigences morales et au bien commun . . . Les catholiques s’attacheront a collaborer avec tous les hommes de bonne volonté pour promouvoir tout ce qui est vrai, juste, saint, digne d’être aimé» (Cfr. Apostolicam Actuositatem AA 14 et Phil Ph 4,8). Et dans la Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, le même Concile, en suivant le grand sillon de la doctrine sociale chrétienne si souvent rappelée par les Pontifes Romains jusqu’à maintenant, a tracé les lignes maîtresses qui doivent guider les chrétiens dans le service de la communauté politique, afin de pouvoir contribuer vraiment à la promotion de leurs frères (Cfr. Gaudium et Spes GS 75-76).

Nous souhaitons qu’on fasse toujours référence à cette doctrine que nous n’hésitons pas à déclarer fondamentale pour tout laïc chrétien, et qui, aujourd’hui spécialement, doit être mieux connue, approfondie avec cohérence, et généreusement pratiquée. Le nom chrétien que vous portez, est un appel au sens croissant de la responsabilité. Ce nom peut être signe de contradiction et peut même réclamer l’héroïsme; il exige aussi de vous: exemple, fidélité, esprit de service. Ce nom vous met en pleine lumière, devant Dieu et devant les hommes, afin de témoigner activement en faveur des valeurs qui caractérisent une conception de l’homme, de la société, de la vie entière, inspirée par le christianisme. Ce nom de chrétien vous stimule à l’exercice des vertus qui puisent dans l’Evangile les grandes leçons permanentes qui les soutiennent: l’honnêteté absolue, l’intégrité oublieuse de soi et de ses avantages personnels, une très grande charité pour les petits et les humbles, pour tous ces gens simples et bons qui forment le tissu de la communauté nationale, et qui doivent être aidés dans leurs grands problèmes comme dans les préoccupations de la vie quotidienne.

Oui, nous souhaitons que la célébration du Jubilé signifie pour vous tout ce que nous venons de souligner. Qu’elle soit en somme un retour aux sources pour faire vraiment de votre vie une continuelle réponse au Seigneur qui nous jugera tous selon les talents reçus, demandant davantage à ceux à qui Il a plus donné (Cfr. Matth. Mt 25,14-30). Nos voeux très cordiaux vous accompagnent et s’étendent volontiers à chacun de vos pays. Et nous vous assurons de notre prière, afin que – selon les souhaits du Concile Vatican II - vous sachiez, en tant que chrétiens, «porter à leur perfection les institutions sociales et publiques, selon l’esprit de l’Evangile» (Cfr. Apostolicam Actuositatem AA 14).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

APPEL DU PAPE PAUL VI POUR LA PAIX AU LIBAN


Dimanche 30 novembre 1975

Comme nous sommes heureux d’accueillir votre salutation fraternelle et votre émouvant témoignage de foi, en ce lieu sacré!


62 Ici, en effet, nous vénérons la tombe de l’apôtre Pierre, le premier Evêque de Rome, celui-là même que le Seigneur Jésus avait choisi comme Pasteur à la tête de son troupeau, comme le fondement et le centre de son Eglise.

Ici, l’Eglise catholique a son point de convergence et son foyer de rayonnement, encore plus manifeste et plus actif en cette Année Sainte célébrée par toute la catholicité! Ici, c’est aussi le lieu vers lequel l’Eglise maronite a toujours tourné son regard avec révérence et fidélité, au cours de sa longue histoire, et où les Papes, nos prédécesseurs, ont toujours accueilli ses dignes Représentants avec une particulière affection et vénération!

En ce lieu donc, soyez le bienvenu, Bienheureux et vénéré Patriarche de cette Eglise maronite d’Antioche, Antoine Pierre Khoraiche! De votre Eglise qui est la gloire du Liban, vous nous apportez, avec votre présence et cette célébration commune des saints mystères eucharistiques, la confirmation de la communion qui unit la communauté maronite à l’Eglise catholique, et vous nous offrez l’occasion d’échanger avec vous et avec toute votre famille patriarcale nos sentiments de respectueuse et cordiale adhésion!

Bienvenue aussi à tous ceux qui vous accompagnent! Et de même à tous ceux qui se rassemblent autour de vous et de nous pour rendre honneur au nouveau Patriarche de l’Eglise maronite, venu à Rome pour professer sa foi, recevoir le sacré pallium, signe de son autorité métropolitaine, et pour éprouver - Dieu le veuille! – quelque réconfort dans les douloureuses circonstances qui, aujourd’hui, font tant souffrir la chère communauté maronite et cette terre du Liban qui nous tient tant à coeur.

Nous venons d’écouter avec recueillement votre vibrant message, imprégné de foi et d’espérance, votre appel pressant à la charité et à la réconciliation. De grand coeur, nous le faisons nôtre. Pour nous, nous soulignerons seulement la part de choix que votre communauté maronite assume dans la mission des Eglises orientales et dans la mission du Liban.

«Les Eglises d’Orient s’honorent, en effet, d’une ancienneté vénérable grâce à laquelle resplendit en elles la tradition apostolique transmise par les Pères qui fait partie du patrimoine de l’Eglise universelle» (Orientalium Ecclesiarum
OE 1). Le récent Concile a voulu remettre en pleine lumière ce fait si important. C’est un trésor, un trésor vivant, que représentent ainsi ces communautés ecclésiales, et l’Eglise maronite y occupe une place vénérable, comme un rameau florissant du rite syro-antiochien. Il vous revient donc de garder et d’épanouir la richesse de la foi et de la doctrine, de la spiritualité et de la discipline, de la liturgie et de l’histoire dont vous avez hérité. Votre tradition originale a été restaurée et vous savez combien l’Eglise désire la voir respectée et promue (Ibid. 6). Les Eglises catholiques d’Orient doivent veiller avec le même soin à entretenir avec l’ensemble de l’Eglise catholique une profonde communion, faite d’estime, de connaissance mutuelle et de collaboration; et tout particulièrement avec ce Siège romain, établi comme signe et fondement de l’unité: c’est votre honneur de l’avoir si bien compris. Enfin, par leur proximité et leur affinité spirituelle avec les Eglises séparées, elles ont aussi une responsabilité providentielle de premier plan pour la réconciliation de tous les chrétiens (Cfr .Orientalium Ecclesiarum OE 24). Telle est, chers Frères et Fils maronites, la mission commune à tous les catholiques d’Orient, qui vous échoit à un titre spécial, étant donné la cohésion, la force et la fidélité de votre communauté.

Vous avez aussi une responsabilité spéciale au Liban, et, comme libanais, au Proche Orient. Dès le cinquième siècle, le grand évêque Théodoret de Cyr illustrait l’Eglise d’Antioche par ses prises de position courageuses dans les controverses christologiques du temps. Vous êtes toujours les témoins de la tradition de saint Maron, qui a su se maintenir vivante depuis ce fameux monastère de la vallée de l’Oronte, fidèle à la foi authentique au milieu de tous les vents de l’histoire, et soucieuse de sainteté contemplative. Il nous revient en mémoire une parole admirable du «divin Maron», comme aimaient l’appeler ses biographes: Sanctorum autem oratio commune malis omnibus est remedium (). Oui, cet enracinement dans la prière, ne serait-ce pas, aujourd’hui encore, le remède à bien des maux, l’arme évangélique par excellence, avec la charité, une source de paix et de fraternité, un témoignage de l’essentiel?

Par ailleurs, vous faites partie intégrante de la société libanaise qui, en tant de domaines économiques, sociaux, culturels, a manifesté un si vif souci de se rénover, de correspondre aux besoins de ses populations, aux requêtes légitimes du monde moderne, dans le sens du progrès, de la justice, d’une participation équitable, de la paix. Ce sont là des objectifs dont le Liban peut être fier et qui requièrent évidemment l’engagement des chrétiens, dans la ligne de la ConstitutionGaudium et Spes que Votre Béatitude s’est plu à citer. Nous aimons penser que l’Eglise au Liban, dont la communauté maronite constitue une si large part, est la première à donner l’exemple de cet aggiornamento en ce qui la concerne, et de ce service adapté en ce qui concerne la société moderne de ce noble Pays.

Un point mérite d’être aujourd’hui souligné: votre contribution à la paix. Jusqu’ici, votre pays a offert en exemple la possibilité concrète, malheureusement trop rare, d’une vie paisible et fraternelle entre communautés assez diverses sur le !Plan ethnique et religieux; d’une société ouverte également aux apports de civilisations différentes et capable de les harmoniser en gardant son originalité. Aujourd’hui des dissensions, radicalisées jusqu’aux combats meurtriers et destructeurs, sembleraient remettre en question cet équilibre dynamique. Nous en sommes profondément affligé, pour vous-mêmes, pour tous vos compatriotes que nous aimons, pour le Moyen-Orient qui garde les yeux fixés sur cette formule de coexistence entre musulmans et chrétiens, pour tous les hommes épris de paix à travers le monde. Alors, au nom de l’Evangile, nous vous supplions d’user de tout le poids dont vous disposez au Liban pour faciliter la pacification et la réconciliation. Et nous adjurons encore une fois, au nom de l’humanité, tous les responsables de saisir la chance qui demeure de promouvoir l’unité au Liban, en refusant les incitations à la violence d’où qu’elles viennent, en mettant fin aux combats fratricides, en entretenant ou en reprenant des contacts amicaux entre tous les croyants, chrétiens, musulmans et juifs, en recherchant une collaboration sincère entre tous les citoyens. OEuvre délicate, oeuvre difficile, certes, qui demande un effort loyal chez tous. Mais, nous n’en doutons pas, c’est le témoignage qui sied à des chrétiens, surtout en cette Année Sainte, c’est l’attitude normale de frères professant la foi au même Dieu, c’est le seul chemin de l’humanité.

Dans cette conjoncture - que nous tenons très présente à l’esprit en célébrant la mort et la résurrection du Seigneur – croyez bien, chers amis, que la compréhension affectueuse de tous vos frères catholiques, leur confiance, leur prière, leur soutien vous accompagnent. Le Saint-Siège, tout spécialement, vous demeure très proche en ces heures douloureuses, en espérant que vous puissiez jouir toujours d’un climat favorable à l’épanouissement de votre communauté maronite et de vos activités pastorales et caritatives. Soyez sûr aussi que la lumière et la force de l’Esprit Saint ne vous manqueront pas pour ce témoignage évangélique. En gage de ces grâces, en signe de notre communion et de notre particulière sollicitude, nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.




AUX MEMBRES DES ORGANISATIONS

INTERNATIONALES CATHOLIQUES

Samedi 6 décembre



« VOTRE TÉMOIGNAGE DOIT DEMEURER CELUI DE COMMUNAUTÉS D’EGLISE, D’OEUVRES D’EGLISE »





63 Recevant les représentants des Organisations Catholiques Internationales qui tiennent leur Conférence à Rome, sous la présidence de Monsieur André Schafter, le Saint-Père a prononcé l’allocution suivante, à l’issue de l’audience du samedi 6 décembre :



Chers Filles et Fils, membres des Organisations Internationales Catholiques,



Nous vous disons tout d’abord notre vive satisfaction de vous rencontrer, à l’occasion de l’Assemblée générale de la Conférence qui réunit vos organisations, dans le cadre de l’Année Sainte et au centre de l’Eglise, dans cette ville de Rome fécondée par le témoignage suprême de la foi des premiers apôtres Pierre et Paul.

C’est bien aux sources de cette foi que vous venez puiser la force spirituelle nécessaire à votre apostolat et c’est auprès du Siège apostolique que vous venez chercher la lumière susceptible de l’éclairer.

Nous ne pouvons manquer, en raison même de notre mission de Pasteur, de répondre à votre démarche filiale.

Nous vous félicitons et vous remercions en premier lieu de mettre vos travaux sous le signe de l’Année Sainte dans les perspectives de renouveau intérieur et de réconciliation que nous avons proposés à tous nos Fils membres de l’Eglise catholique.

Comment ne pas souligner en effet combien il est heureux que se conjuguent dans votre session à Rome d’une part la réflexion que vous entreprenez sur l’engagement et les activités des O.I.C. dans la vie internationale et dans les relations humaines, d’autre part la préoccupation que vous manifestez de développer cette réflexion en esprit d’Eglise en lien avec nos orientations pastorales.

Ce sont là en effet deux exigences indissociables pour les O.I.C. : agir dans le monde pour le transformer en une société plus juste et plus humaine et en même temps témoigner que cette action s’inspire de la mission spirituelle et transcendante de l’Eglise.

Les unes en effet, ont pour raison d’être immédiate une mission de présence et d’action au sein des réalités temporelles, qu’il s’agisse du domaine de la culture, de l’enseignement, de la santé, de la justice sociale et internationale, des relations humaines et de la compréhension entre les peuples. Les autres sont directement engagées dans un apostolat d’évangélisation. L’Eglise par la voix de ses Papes et du Concile Vatican II a souvent encouragé ses fils à assumer cette dimension de présence chrétienne au monde. Elle a particulièrement souligné l’importance des associations ou groupes internationaux de catholiques qui oeuvrent à l’édification de la communauté internationale des peuples selon les exigences de l’Evangile,

Nous en confirmions nous-même la valeur quand, nous adressant il y a quelques années aux responsables de votre Conférence, nous les encouragions dans leur entreprise « si conforme au caractère universel du message de l’Evangile et en même temps si bien en harmonie avec l’évolution des structures et des rythmes de la société moderne » (O.R. 13 nov. 1963).

Mais vous le savez par expérience dans cette insertion de vos organisations dans les réalités du monde, vous êtes amenés très souvent à rencontrer des mentalités ou des conceptions sociales imprégnées d’idéologies sans doute animées d’intentions philanthropiques et humanistes respectables, mais porteuses d’une philosophie de l’homme qui nie son destin transcendant et ne conçoit son bonheur qu’en fonction d’un progrès social collectif basé sur une vision matérialiste et immanentiste de l’existence humaine.

64 La tentation peut être grande pour des chrétiens et des catholiques d’emprunter à ces philosophies ou à ces idéologies leurs moyens d’analyse et d’action pour lutter contre les injustices d’une société qui progresse si lentement sur les voies d’un aménagement plus humain des conditions de vie de tant d’hommes et de peuples.

Sans se dérober à cet objectif, il importe pourtant que des organisations qui se réclament du nom de catholique sauvegardent à tout prix la spécificité de leur vocation et de leur mission dans le monde.

Nous vous le demandons instamment, au nom de la responsabilité pastorale qui nous a été confiée à l’égard de tous nos fils dans l’Eglise et en vertu des liens de communion qui vous attachent à notre mission apostolique: votre témoignage doit demeurer celui de communautés d’Eglise, d’oeuvres d’Eglise.

En premier lieu, un témoignage de la foi inspirée, nourrie et affirmée en référence à l’Evangile du Seigneur et aux enseignements du Magistère de l’Eglise. C’est en puisant sans cesse aux sources du message évangélique que nous tous pouvons conformer notre apostolat à la pensée du Christ : « Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde ». C’est aussi en s’appuyant sur le Magistère de l’Eglise qu’un catholique s’assure contre toute utilisation arbitraire de l’Evangile et en reçoit la lumière sur les problèmes que la vie ne cesse de faire surgir.

Que votre témoignage soit aussi celui de l’unité à l’intérieur de l’Eglise. C’est la prière ardente du Seigneur : « qu’ils soient un comme toi Père et moi, nous sommes un ».

Unité entre vous, certes, qui communiez à la même foi ; unité avec le siège de Pierre ; unité avec vos pasteurs. Dans une action qui se caractérise comme collaboration à l’apostolat hiérarchique et participation à la mission même de l’Eglise, il importe que se conjuguent les charismes et les fonctions qui sont propres aux Evêques : sanctifier, gouverner, enseigner, et aux laïcs qui ont mission de faire passer et incarner dans la réalité quotidienne, même temporelle, le message du Christ. « Une telle conjonction, disions-nous récemment, devra toujours respecter le caractère spécifique des charismes et fonctions précités, non moins que leur ordre respectif : ce n’est que dans cette harmonie que se trouve le secret de la fécondité de l’action apostolique » (O. R. langue française 24 janvier 1975).

Troisième note du témoignage que nous attendons de toutes les Organisations internationales catholiques : porter les valeurs évangéliques dans tous les domaines de la vie, chacune selon sa mission spécifique. Et cela implique que soient inscrits en toute clarté dans vos programmes, vos publications et vos activités les motivations et les perspectives ecclésiales qui spécifient vos organisations. On ne témoigne pas d’une cause que l’on tait. Le Seigneur lui-même n’a-t-il pas invité ses Apôtres à se faire reconnaître : « On vous reconnaîtra comme mes disciples si vous vous aimez les uns les autres » ? Dans ce contexte, la collaboration que vos associations peuvent être amenées à promouvoir avec les autres groupes chrétiens ne peut que gagner à s’opérer dans la clarté de leur identité respective.

Oui, chers amis, gardez le souci de présenter vos associations dans l’intégrité et dans la vérité de ce qu’elles veulent annoncer. Elles doivent être des communautés de vie d’Eglise ouvertes, accueillantes, respectueuses des autres qui n’ont pas la même référence. Quelle signification prophétique auraient-elles si elles n’apparaissaient plus que comme des organisations de type humanitaire ou social assimilables à n’importe quelle autre ? Ne risqueraient-elles pas de ne plus offrir à des âmes apostoliques le lieu de rencontre et de soutien qu’elles souhaiteraient trouver pour leur foi et leur engagement ?

Nous vous renouvelons, chers amis des O.I.C., nos encouragements et nos voeux. Que cette Assemblée qui vous réunit vous permette de prendre l’exacte mesure de votre rôle dans l’Eglise et dans la société. Vous ne pouvez vraiment servir celle-ci qu’en étant pleinement d’Eglise. Dans un monde qui est à la recherche, non pas seulement d’une organisation adaptée à ses problèmes, mais surtout d’une âme internationale — si nous pouvons utiliser cette expression vous pouvez être pour votre part, à travers vos associations et l’esprit catholique qui les anime, une source d’espérance et une référence pour un monde plus fraternel conforme au dessein du Seigneur.

C’est le message que nous vous confions avec notre Bénédiction Apostolique.





À L’AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DU NIGER PRÈS LE SAINT- SIÈGE*


Jeudi 11 décembre 1975




65 Monsieur l’Ambassadeur,

Nos premiers mots seront pour vous remercier des aimables paroles que vous venez de prononcer, et pour vous dire combien Nous sommes heureux de recevoir aujourd’hui le nouveau Représentant de la République du Niger. Une noble mission vous attend. Nous la souhaitons féconde, sûr que les liens d’amitié existant déjà entre le Saint-Siège et votre pays peuvent se resserrer encore pendant la durée de votre charge. Et Nous vous demandons de bien vouloir transmettre notre salut le plus déférent à Son Excellence le Lieutenant-colonel Seyni Kountché, Chef de l’Etat, avec nos voeux pour ses lourdes responsabilités et nos encouragements pour le Peuple nigérien.

Nous vivons dans une ère difficile. Il n’est guère besoin, malheureusement, d’énumérer les situations de conflit qui n’épargnent aucun continent, non plus que les problèmes économiques ou sociaux, si graves parfois, auxquels sont affrontées tant de nations. Il n’est pas aisé, par surcroît, d’assurer progrès et développement lorsque certaines conditions naturelles sont peu favorables, ou lorsque vient s’abattre sur toute une région un fléau comme celui que vous avez connu il y a peu. Les efforts de dépassement n’en sont que plus méritoires. Mais il faudrait que les citoyens du monde se sentent encore plus solidaires, et qu’ils apprennent le sens du partage. Les hommes ne sont-ils pas tous frères, parce qu’ils ont un même Dieu? Musulmans, chrétiens ou autres croyants, tous ensemble peuvent concourir à la construction du bien commun, donner ainsi le vivant témoignage de ce que doit être la fraternité humaine, et édifier une société tournée vers l’Absolu.

C’est, Nous en sommes persuadé, l’image que donne au Niger la petite communauté catholique. Respectueux des convictions de leur prochain, ses membres s’attachent à coopérer en toute loyauté à l’essor national, en apportant leur contribution spécifique, les ressources de leur foi, les raisons de leur espérance et leur idéal de charité. Voilà assurément un motif de confiance pour l’avenir. Que les années futures voient se renforcer le dialogue et l’estime mutuelle! Tel est le souhait que Nous présentons maintenant au Tout-Puissant, en invoquant ses bienfaits sur votre pays, ses dirigeants et la personne de Votre Excellence.

*AAS 68 (1975), p.118-119.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XIII, p.511-1512.

L’Attività della Santa Sede 1975, p.412-413.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française 12.12.1975, p.1.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.51 p.10.



AU MÉTROPOLITE DE CHALCÉDOINE, MELITON


Lundi 15 décembre 1975




Très chers frères dans le Christ,

66 Soyez les bienvenus, vous les messagers de cette grande et bonne nouvelle qui nous a rempli d’émotion et d’une intense joie spirituelle. Nous voyons se profiler plus nettement à l’horizon le jour béni et tant désiré, où nous pourrons sceller notre pleine unité retrouvée dans la concélébration de la divine Eucharistie. Nous entrons dans une nouvelle phase de notre réconciliation avec la commune volonté qu’elle soit décisive, avec la foi profonde que l’Esprit du Seigneur, qui a commencé cette oeuvre en nous et parmi nous, saura la mener à son achèvement.

Nous vous remercions du fond du coeur de cette visite et de cette annonce que nous attendions dans la prière. Nous vous demandons de dire notre profonde gratitude à Sa Sainteté le Patriarche oecuménique Dimitrios I, notre frère très cher, sur lequel nous avons reporté toute l’affection et la confiance que nous avions pour son grand prédécesseur. Nous vous prions de lui dire que nous espérons que viendra le jour où il nous sera donné de le rencontrer et d’échanger avec lui le baiser de l’amour fraternel et de la paix.

Dans l’action de grâces, allons de l’avant avec courage et décision, au nom du Seigneur.






22 décembre



L’EGLISE ET LE MONDE CONTEMPORAIN





Le 22 décembre dernier Paul VI a reçu en audience, pour la traditionnelle présentation des voeux, les membres du Sacré Collège, de la Famille Pontificale, la Curie et la Prélature Romaine.

Le doyen du Sacré Collège, M. le Cardinal Luigi Traglia a adressé au Saint-Père un respectueux discours pour lui rendre hommage et le remercier pour tout ce que cette Année Sainte a produit de fruits. Le Pape a ensuite prononcé un discours dont voici la traduction :



Vénérables Frères du Sacré Collège,



Nous vous sommes reconnaissant pour la bonté qu’avec votre délicatesse habituelle vous nous démontrez à l’occasion de la présentation de vos voeux de Noël, en union avec la Prélature et la Curie Romaine ; bonté qui transparaît si parfaitement dans les nobles paroles du vénéré Cardinal Doyen. Nos coeurs vibrent à l’unisson dans l’attente, toujours douce et pacifique, de la sainte fête de Noël ; et dans cette lumière les voeux acquièrent toute leur véritable valeur, celle d’un élan de nos âmes vers le Christ qui nous vient. La liturgie de l’Avent donne la dernière touche à cette préparation; et un tel climat, incomparable, rend plus intense et plus chargée de sens la présente rencontre. Merci donc pour ce geste qui nous réjouit et nous réconforte.

Mais nous ne pouvons oublier que va se conclure le merveilleux événement, catalyseur de notre attention spirituelle, qui restera certainement comme un fait capital dans l’histoire religieuse de notre siècle : l’Année Sainte, vraiment sainte parce qu’elle a été telle dans la mémoire de tous. Nous ne saurions oublier votre présence et votre assistance dans les étapes fondamentales de sa célébration ; c’est pourquoi nous vous remercions également pour la collaboration que vous nous avez apportée à des titres divers pour assurer la parfaite réussite d’un événement si absorbant. Nous n’ignorons pas l’énorme surcroît de travail que l’Année Sainte a imposé dans les différents secteurs où se déploient l’activité de la Curie Romaine et la vie pastorale de Rome, et particulièrement dans certaines administrations ; aussi notre pensée reconnaissante et notre sincère éloge s’adressent à tous et à chacun.

En ce moment si important nous éprouvons le besoin de faire halte un moment pour réfléchir sur le dessein du salut que, dans le temps où nous vivons, Dieu poursuit dans le Christ par le moyen de son Eglise, une, sainte, catholique et apostolique ; et, parvenus au crépuscule de l’année qui désormais touche à sa fin, nous ne pouvons nous soustraire au désir de dresser comme deux bilans, tout au moins sommaires, de ce que fut la vie de l’Eglise durant la période extraordinaire que nous avons eu la grâce de vivre ensemble: le premier bilan, en considérant l’Eglise dans ses rapports avec les différents Etats, le second en réfléchissant sur la vie de l’Eglise en elle-même. Ce sont les deux pôles sur lesquels nous voulons attirer votre attention.



I. La vie de l’Église dans ses rapports avec les États





Nous venons de rappeler l’Année Sainte, cet événement grandiose et sacré.

67 Mais si consolant soit-il pour l’esprit religieux, cet événement n’a pas manqué de nous laisser quelqu’amertume : car il n’a pas toujours été possible à tous ceux qui, d’un bout à l’autre de la terre, le désiraient, d’y participer personnellement. Et ce n’est pas uniquement pour des raisons de santé, de distance, de pauvreté ou de difficultés dérivant de la crise économique, des obligations professionnelles ou familiales qu’ils en furent empêchés, mais à cause de l’hostilité — parfois absolue ou dans d’autres cas moins directe mais non moins efficace — de leur milieu. Nous sommes certains que nos fils qui en furent victimes n’auront pas bénéficié moins abondamment des fruits de l’Année Sainte, des grâces et bénédictions qu’ils auront mérité par leur sacrifice et que toute l’Eglise, se souvenant comme nous de ces frères qui subissent des pressions ou des amputations de leurs droits, a invoqués et continue à invoquer pour eux.

En ce moment même ils sont ici présents, vivement et douloureusement présents. Seuls ceux qui ne savent pas de quel coeur nous participons à leurs épreuves, de quel esprit nous admirons leur fidélité, avec quelle volonté nous nous employons pour leur venir en aide (et parfois en insistant dans nos efforts « contra spem » mais toujours plein de confiance dans l’aide divine), seuls, donc, ceux qui ignorent cela, ou veulent l’ignorer, peuvent attribuer le silence prudent que nous devons bien souvent nous imposer pour des raisons faciles à comprendre, à l’oubli ou, pis encore, à l’insouciance et à l’indifférence.




Discours 1975 60