Discours 1975 67

Le dialogue avec les États





Bien au contraire, le sort de l’Eglise, de la religion, de la légitime liberté des croyants y compris les non-catholiques et les non-chrétiens est également la préoccupation, le but principal des contacts que notre Siège Apostolique et nous personnellement entretenons et, plus encore, continuons à multiplier avec les responsables de la vie publique dans les diverses nations.

Nous aimerions nous limiter à rappeler — comme particulièrement significatives — les rencontres que nous avons eues au cours de cette année avec les Souverains de Belgique, de Lichtenstein, du Luxembourg ; avec les Présidents de Bulgarie, des Etats-Unis d’Amérique, de France, du nouvel Etat de Guinée-Bissau, d’Italie, de Malte, de l’Ouganda et du Portugal ; avec les Premiers Ministres de Belgique, du Canada, de Grèce, de Hongrie, d’Irlande, de Libye, du Luxembourg ; avec la Secrétaire Général de l’ONU et avec les Ministres des Affaires Etrangères de divers Pays.

Ces rencontres et d’autres que nous ne mentionnons pas en particulier, nous ne les citons que pour souligner combien le Saint-Siège continue à se démontrer ouvert au dialogue avec des représentants venus de toutes les parties du monde et de toute tendance politique et idéologique : décidé toujours — comme il est de son inéluctable devoir — à maintenir dans toute leur clarté l’affirmation des principes que, par mission divine, elle est tenue d’annoncer dans le domaine des vérités religieuses et morales ; mais le Saint-Siège est également soucieux, non seulement des intérêts catholiques, partout et dans n’importe quelle situation, mais également des causes — communes à tout le monde — de la paix, de la justice, de la coopération internationale, du progrès moral, culturel, social et économique des peuples.

Si dans certains cas, les résultats du dialogue paraissent minimes, insuffisants, ou s’ils tardent à venir, et si certains peuvent voir en cela une raison valable pour l’interrompre, nous estimons, au contraire, qu’il est sérieusement de notre devoir de le poursuivre, de manière constante et éclairée, sur une voie qui nous semble, en premier lieu, éminemment évangélique : celle de la longanimité, de la compréhension, de la charité sans cacher, certes, l’amertume et les soucis que nous causent la persistance ou l’aggravation des trop nombreuses situations contraires aux droits de l’Eglise et de la personne humaine et en mettant en garde contre une mauvaise interprétation de notre comportement responsable comme s’il s’agissait d’acquiescement ou d’acceptation résignée de semblables situations.

Et la participation elle-même du Saint-Siège à la conférence au sommet d’Helsinki où, au nom des Etats Européens, des Etats-Unis d’Amérique et du Canada ont été souscrites de décisives résolutions relatives à la sécurité et à la coopération en Europe, a eu ce mobile et ces préoccupations : non seulement de donner notre appui moral à des résolutions d’une si grande portée et de telle importance mais aussi d’avoir au sein de la Conférence une représentation qui puisse se rendre plus directement et efficacement interprète et porte-parole des impératifs du respect de la conscience religieuse — dans le cadre des droits fondamentaux de la personne humaine — pour assurer à l’Europe (mais le discours va bien au-delà de l’Europe) une paix véritable, juste et par conséquent plus stable, ainsi que des perspectives équilibrées d’une coopération mutuelle, respectueuse de tous et profitable à chacun.

En union avec tous ceux qui, légitimement attendent des conclusions d’Helsinki une amélioration substantielle, progressive, des conditions internes de la vie des peuples et de leurs relations, le Saint-Siège se propose d’agir pour que tant de résolutions solennelles et positives ne tombent pas dans l’oubli ou restent inobservées. Il veut espérer que la lettre et l’esprit d’Helsinki — comme on a pris l’habitude de le dire — aident à déterminer de commun accord dans l’intérêt des fidèles des solutions acceptables également là où depuis longtemps les attendent quelques situations de plus grand malaise. Nous nous bornerons à rappeler la Tchécoslovaquie, la Roumanie et certaines régions de l’Union Soviétique, sans toutefois restreindre notre pensée à ces seuls Pays.



Le Saint-Siège et les problèmes du monde





L’attention primordiale que, par devoir, nous consacrons au service de l’Eglise et aux intérêts religieux des peuples ne nous empêche pas d’en réserver une non moins cordiale au sort et aux problèmes temporels des nations dans les différents continents, satisfaisant ainsi à ce devoir d’amour pour l’homme — dans sa dimension totale — qui fait partie de notre ministère apostolique. Combien souvent, devant les petites et les grandes tragédies qui sans cesse frappent des parties plus ou moins grandes de la famille humaine — guerres, famine, calamités naturelles — arrive-t-il que résonne dans notre coeur et que nous fassions nôtre la voix du Divin Maître : « Miserior super turbas » ! Tout comme nous faisons nôtres les joies, les espérances, les efforts décidés de progrès de tous les peuples et de l’humanité tout entière.

L’année qui se termine a vu, entre autres, au cours de la Vile Assemblée des Nations Unies, la communauté des Etats engagée dans l’approfondissement plus positif des thèmes proposés par la Déclaration et par le Plan d’action pour l’instauration du nouvel ordre économique international ; thèmes adoptés déjà l’an dernier au cours de la VI° Session Extraordinaire de l’ONU.

Ce fait nous réjouit parce que, malgré les difficultés objectives de l’entreprise et les résistances intervenant, pour des raisons d’intérêts particuliers, souvent mal compris, l’humanité semble vouloir progresser sur le plan de la coopération économique, au-delà de la simple réaffirmation de principes ou de la confrontation idéologique, et emprunter la voie des solutions concrètes grâce à de vraies et propres négociations multilatérales.

68 C’est dans une telle perspective que nous avons suivi attentivement les travaux de la récente Conférence Nord-Sud de Paris qui devrait marquer une étape nouvelle — bien que de portée moins universelle — dans le dialogue entre pays industrialisés et pays en voie de développement, fondé sur l’interdépendance, sur la co-responsabilité dans la gestion de l’économie mondiale et sur l’harmonisation.

Nous ne pouvons pas ne pas souligner les conditions nécessaires et les implications de caractère moral qui, non moins que celles d’ordre technique, politique et économique, commandent et doivent guider de semblables efforts et tentatives.

Dieu veuille que les peuples se mettent toujours plus généreusement et sagement sur cette voie, abandonnant, par contre, celle, périlleuse et moralement répréhensible, de la production et du commerce (même sous la forme de « dons », mais tellement onéreux !) des armes destructrices ! Dieu veuille aussi que les négociations pour le désarmement, soit général soit qualifié comme celui du SALT (Strategic Arms Limitation Talks), ne s’arrêtent pas et ne continuent pas à trop marquer le pas à cause des obstacles rencontrés sur leur chemin: obstacles graves, sans aucun doute, mais que la bonne volonté, la ténacité et la sagesse politique des hommes d’Etat responsables doivent permettre de trouver le moyen de surmonter.

Si dans le grand scénario de la communauté internationale dans son complexe, nous passons aux différents points du monde qui, au cours de cette année, ont été le théâtre d’événements dignes de relief, nous ne pouvons manquer d’en rappeler particulièrement trois : l’indépendance acquise par les territoires portugais d’Afrique, la fin de la guerre au Viêt-Nam, la persistance du conflit au Moyen-Orient.



Voeux pour l’Afrique





Aux peuples d’Afrique, élevés à la dignité de Nations souveraines et accueillies avec satisfaction parmi les membres de la Communauté des Etats, nous avons fait parvenir l’expression de notre participation à leurs sentiments et nos voeux sincères. Dans les capitales du Mozambique et de l’Angola réside déjà depuis quelque temps un Représentant du Saint-Siège en qualité de Délégué Apostolique. Et récemment nous avons pu recevoir et échanger des expressions de cordiale déférence venant de la part de M. le Président de la République du Cap Vert et de M. le Président de la Guinée-Bissau, à l’occasion de la visite que nous avons mentionnée.

Il est très encourageant de voir comment le grand et cher Continent africain, où subsistent encore de difficiles problèmes de rapports raciaux et où d’autres problèmes, nombreux et non moins hérissés de difficultés, naissent de la nécessité même d’un développement que le retard passé oblige à accélérer, s’avance résolument et malgré tout sur la voie d’une complète indépendance.

Nous formons des voeux pour que ce processus puisse se poursuivre rapidement et sans être troublé : non troublé, en particulier, par des interférences étrangères qui pourraient tenter de remplacer le vieux colonialisme par de nouvelles formes de domination dans un but de puissance ou d’influence idéologique; et pas troublé non plus par des divisions internes capables de paralyser et de détruire de précieuses énergies dont les populations africaines ont .un pressant besoin pour pouvoir construire leur avenir grâce à la participation paritaire de toutes les composantes ethniques et culturelles.

Nous adressons particulièrement nos voeux aux grandes et prometteuses terres de l’Angola, où l’Eglise occupe de larges espaces, afin qu’une honnête et loyale entente puisse y instaurer, à la place du conflit menaçant, cette paix juste et laborieuse qu’attendent ces bonnes populations.

La conclusion des hostilités au Viêt-Nam, après trente années de guerres et de luttes, ouvre pour l’Indochine et tout le Sud-Est asiatique un nouveau chapitre, non dépourvu toutefois l’inconnues.

Quant à nous, nous ne pouvons que souhaiter que la situation qui s’est ainsi créée, et celle qui suivra la réunification prévue d’un pays pour lequel nous n’avons jamais caché notre intérêt passionné et paternel, se développe dans un ordre fructueux et attentif aux légitimes aspirations de ce peuple, dans la recherche d’une entente et d’une concorde qui permettent de guérir, dans le respect des droits de chacun, les profondes blessures provoquées par le long conflit.

Le Saint-Siège a cherché à se mettre et à rester en contact avec les Autorités du Viêt-Nam. Il espère que de cette manière il pourra agir, à l’avantage mutuel de l’Eglise et de l’Etat, dans un esprit d’amicale participation à l’oeuvre de reconstruction du pays, et en souhaitant qu’à cette communauté catholique, une des plus florissantes du grand monde asiatique, berceau d’antiques et très nobles civilisations, il soit laissé un suffisant espace de vie et d’activité dans le domaine religieux qui est proprement celui de l’Eglise mais ne manque pas d’exercer une bénéfique influence sur le développement tranquille et ordonné de l’entière collectivité nationale. A nos fils au Viêt-Nam, à leurs chers Pasteurs, et à tous ceux qui collaborent avec eux dans les champs de l’apostolat, nous adressons nos salutations, notre souvenir et notre bénédiction.



Le problème du Moyen-Orient





69 Puis, que dire du grave et toujours pendant problème du Moyen-Orient ? Nous faudra-t-il encore répéter combien et pour quels puissants et très particuliers motifs il nous tient à coeur et nous préoccupe ? Ou devrons-nous de nouveau rappeler les lignes fondamentales qui, selon l’avis du Saint-Siège, devraient en conditionner et rendre possible la solution équitable et stable ?

Du moins voudrions-nous, à la lumière des imminentes célébrations de Noël, inviter encore une fois le monde chrétien tout entier à fixer sa pensée sur la Terre de Jésus : sur les lieux qui ont vu sa naissance, sa vie cachée d’ouvrier et celle, laborieuse et lumineuse, de Maître, sa mort et sa victoire sur celle-ci : sur la Ville qui continue d’être un centre spirituel d’amour et de dévotion pour les disciples du Christ comme pour les fils du peuple hébreu et pour les fidèles de l’Islam ; et inviter tout le monde à répéter l’ancienne acclamation suppliante : « Fiat lux in virtute tua ! ».

Cette paix, dont il semble parfois qu’on s’approche laborieusement, lentement, puis qui est continuellement refoulée bien loin, cette paix doit faire l’objet non seulement des voeux, mais aussi des efforts vifs et infatigables de toutes les parties intéressées. Evitant les stériles et dangereuses positions extrêmes, et, en faisant taire, particulièrement, la voix du terrorisme et des représailles qui y répondent de manière indiscriminée, les intéressés doivent chercher à poursuivre le dialogue selon les modes et aux sièges appropriés.

Bien que nous soyons, nous aussi, convaincu de la nécessité d’une solution globale juste et sagement équilibrée et plus exactement parce que nous en sommes persuadé, nous nous permettons d’exhorter les responsables des différentes parties à ne pas négliger les possibilités concrètes, quoique encore modestes, qui s’offrent d’entamer les négociations et d’établir le climat favorable et les conditions indispensables à la poursuite de la conclusion tant souhaitée.

Et tout en étant conscient des tragédies pas tellement lointaines qui ont poussé le peuple hébreu à rechercher un établissement sûr et protégé dans un propre Etat Souverain et indépendant, ou mieux, précisément parce que nous en sommes conscients, nous voudrions inviter les fils de ce Peuple à reconnaître les droits et les aspirations d’un autre Peuple qui, lui aussi, a longuement souffert : le Peuple palestinien.



Sollicitude pour le Liban





En parlant du Moyen-Orient nous ne saurions certes ne pas rappeler, avec une émotion lourde de préoccupations mais qui ne voudrait pas rester fermée à l’espérance, ce qui a été qualifié, bien à raison, de tragédie du Liban. Notre particulière sollicitude s’est révélée clairement au peuple libanais et au monde dans la mission que nous avons confiée à notre envoyé spécial, Monsieur le Cardinal Paolo Bertoli, à qui nous désirons exprimer de nouveau, en la présente circonstance, la gratitude méritée par le zèle, la compétence, l’esprit de sacrifice avec lesquels il a su accomplir sa tâche délicate.

Malgré des tentatives de trêve rejetées, la situation continue, malheureusement à être dangereusement incertaine et menaçante.

Ceux qui ont pu connaître et admirer de près l’exemple de coexistence pacifique offert pendant si longtemps par la population, chrétienne et musulmane, du Liban sont presque naturellement portés à considérer que les explosions de violente hostilité dont il est actuellement devenu le théâtre ne peuvent trouver d’explication valable que dans l’intervention de forces étrangères au Liban et à ses véritables intérêts.

Aussi nos souhaits, nos avertissements ne peuvent être que ceux-ci : qu’on ne veuille pas, qu’on ne permette pas que pour d’obscurs motifs soit détruite une tradition de tolérante coexistence de bonne collaboration qui doit, tout au contraire, rester un exemple pour d’autres formes — plus étendues — de coexistence civile et religieuse au Moyen-Orient, si Ton veut, comme il se doit qu’une paix vraie, une paix certaine et stable y règne et rende à cette terre une tranquillité à laquelle les peuples voisins sont également intéressés.

Pour le Liban, en ces heures tourmentées nous invitions particulièrement les chrétiens à prier pour que Dieu concède à toutes ses populations de savoir retrouver, dans un esprit de fraternité la voie de la concorde et de la réconciliation nationales.



Problèmes d’Europe





Nous n’avons pas l’intention de nous référer à toutes les autres situations (comme à celle, si douloureuse, de la très chère Irlande), qui, en ce moment présentent des problèmes dans le monde. Mais comment pourrions-nous nous empêcher de faire au moins mention de pays comme l’Espagne et le Portugal, tous deux importants pour l’Europe et, à nous, très chers, qui sont en train de vivre un moment particulièrement important dans leur respective, et bien diverse, démarche pluriséculaire ? A ces pays, à leurs destinées nous souhaitons qu’ils sachent répondre comme il est nécessaire à leurs responsabilités.

70 Une pensée encore pour l’Italie, si proche du Saint-Siège et de notre coeur : ne serait-ce que pour souhaiter à sa population que dans le responsable exercice autonome de ses droits démocratiques, elle sache conserver intégralement sa fidélité aux valeurs civiles et chrétiennes de ses anciennes traditions afin de réaliser, dans la justice, dans l’ordre et dans le respect de ces valeurs morales qui sont en même temps devoir et protection de la dignité et des intérêts véritables de l’homme et de la nation, de réaliser, donc, les progrès et la fertile tranquillité auxquels tous dans tous les domaines aspirent légitimement. Sur cette voie elle trouvera toujours dans l’Eglise, non pas un obstacle, mais une aide.

On a souvent évoqué, encore ces derniers temps, la question du rapport juridique entre l’Etat et l’Eglise en Italie, régi comme il est par le Concordat de 1929. Nous voudrions de nouveau assurer que, tandis que nous considérons comme très utile, même aujourd’hui, à la paix religieuse du peuple italien le maintien d’une solide base bilatérale de distinction des champs d’action respectifs et de la reconnaissance des droits et devoirs réciproques le Saint-Siège reste disposé à réexaminer et à modifier, de commun accord avec le Gouvernement et toujours dans le juste respect des exigences essentielles et légitimes des parties, les points qui semblent ne plus répondre aux situations nouvelles.



II. La vie de l’Église en elle-même





Tournant maintenant les yeux vers la vie de l’Eglise en elle-même, nous devons reconnaître que nombreux sont les éléments qui nous remplissent d’espérance lorsque notre regard scrute l’horizon de l’Eglise et du monde et y cueille, malgré tout, in spem contra spem (cf. Rm Rm 4,18), les signes d’une vigoureuse vitalité religieuse. Oui, vénérables Frères et Fils bien-aimés, malgré tous les démentis qui peuvent ci et là nous venir de points particuliers, nous avons confiance. L’Eglise est vivante ! Nous le savons, oui, comme nous le révèlent les principes fondamentaux de notre foi qui nous attestent que le Christ est présent dans l’Eglise et le sera jusqu’à la fin des temps (cf. Mt Mt 28,20 Mt 8,26 Mt 14,27) et nous parlent de l’Esprit Saint qui l’anime et la soutient dans sa démarche, principalement quand le chemin est plus un chemin de la Croix qu’une course triomphale (cf. Lc Lc 12,12 Jn 16,13 Ac 9,31 1Co 12,11 2Co 1,22 Ep 4, 4, etc. ). Mais s’il fallait, de cette réalité profonde, une confirmation puisée dans l’expérience quotidienne, voici qu’alors vient à notre secours celle que nous venons de vivre et dont nous avons été les témoins pleins d’admiration, parfois émus jusqu’aux larmes : l’Eglise est plus que jamais vivante parce que nous l’avons vue ainsi! En cette Année Sainte un courant de renouvellement, de sainteté, de grâce l’a envahie dans tous ses éléments, signe éloquent du sérieux avec lequel a été accueillie notre invitation au renouvellement et à la réconciliation, et très consolante promesse du nouvel élan qui, avec l’aide de Dieu, y fera suite au cours de ces futures années de cette fin du Ile millénaire après Jésus-Christ.



Déroulement et caractéristique de l’Année Sainte





Sous cet aspect, le Jubilé fut extrêmement significatif, caractérisé par une physionomie toute particulière qui l’a profondément qualifié : il a été avant tout un événement religieux, une manière de se mettre à la recherche de Dieu et de sa grâce dans le contact de la prière, de l’union avec Dieu, de la pénitence, de la vie eucharistique. Par millions, les foules venues de tous les continents ont surtout prié comprenant aussitôt, avec l’intuition propre au Peuple de Dieu, le caractère décidément dépouillé de tout rappel d’extériorité que nous avons voulu donner aux cérémonies du Jubilé, les pèlerins sont allés à l’essentiel. Comme nous le disions durant l’audience au Sacré Collège, en juin dernier, « nous pensons que ce sens retrouvé de la prière est une grande et valable richesse du Jubilé ; et nous nous réjouissons en voyant qu’ainsi se réalisent les conditions que le Sacré Collège avait fixées avec tant d’espérance, inaugurant vraiment une ère nouvelle dans la vie de l’Eglise de notre temps » (23 juin 1975 : AAS 67, 1975, p. 457). L’Année Sainte fut ensuite un événement populaire : ce sont en effet les humbles, les gens simples ceux qui vivent dans de modestes conditions économiques qui ont donné une preuve magnifique de leur foi et de leur pleine consonance avec la vie de l’Eglise. Nous avons encore devant les yeux les grands pèlerinages diocésains de tous les continents ; et tout particulièrement ceux venus des pays du Tiers-Monde au prix de sacrifices et de désagréments parfois très graves, mais démontrant une constance et une générosité telles qu’ils nous ont fait réentendre dans toute leur force les paroles de Jésus : Je vous dit que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux » (Mt 8,11). L’Année Sainte a été, ensuite, un événement ordonné : même au moment où dans tant de pays du monde la violence fauche souvent des victimes innocentes, ici, à Rome où jamais encore on n’avait vu un afflux aussi nombreux de groupes de fidèles, tout s’est déroulé, grâce à Dieu, dans un ordre exemplaire ; rien n’est venu troubler le déroulement normal des Audiences, des cérémonies, des rencontres ; et profitant de cette occasion, nous voulons dire quelques paroles de louange à la chère population de notre Diocèse de Rome qui, a supporté avec sa dignité innée les inévitables désagréments (et nous pensons surtout à la difficulté du trafic) que la présence simultanée de tant de fidèles procuraient parfois à la Cité. Il s’agissait toutefois d’un ordre non seulement extérieur, mais aussi d’un ordre bien plus profond : la pacifique possession de la foi, dans la charité et dans la joie a évité toute contestation, tout esprit de critique, toute forme d’opposition ; tant et si bien que si tel comportement a pu parfois se constater ce ne fut jamais que là où l’un ou l’autre a voulu demeurer dans son isolement obstiné, loin du climat serein, spirituel, constructif du Jubilé romain : nous voulons penser qu’en effet certaines positions, d’ailleurs extrêmement rares, n’étaient réellement dues qu’à ce manque d’expérience directe.



Documents et enseignements Pontificaux





Dans ce cadre unique, dont nous conserverons tous, pendant toutes les années à venir, le souvenir enfoui au fond du coeur, prennent un relief particulier des actes que nous voulons et devons rappeler ici, serait-ce même brièvement. Avant tout, l’enseignement de notre Siège Apostolique : en juin dernier nous faisions allusion aux documents qui, jusqu’à ce moment, avaient été publiés à l’occasion du Jubilé, à commencer par la Bulle Apostolorum Limina du 23 juin 1974 (AAS 1974, p. 289-307) à laquelle ont suivi : l’Exhortation Apostolique sur la réconciliation à l’intérieur de l’Eglise, du 8 décembre 1974 (AAS 67, 1975, PP 5-23) ; celle sur la joie chrétienne du 9 mai dernier (ibid. pp. PP 289-322). Nous voulons citer encore l’Epistula Lumen Ecclesiae, à l’occasion du Vile Centenaire de la mort de Saint Thomas d’Aquin (AAS 66, 1974, PP 672-702) ; ces derniers mois, il s’y est ajouté la Constitution Apostolique Romano Pontifia eligendo du 1er octobre dernier et l’Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi du 8 décembre, dans laquelle, recueillant les remarquables indications pastorales de la Troisième Assemblée Générale du Synode des Evêques, nous avons voulu donner comme une Summa ample, complète, mise à jour, des problèmes et des impératifs que la très importante mission de l’Evangélisation dans le monde contemporain soumet aujourd’hui à l’Eglise, au pasteurs, aux prêtres, aux familles et aux laïcs dans les différentes formes qui caractérisent leur vie. Mais ces documents qui marquent comme autant d’étapes saillantes, les plus incisives, ne peuvent faire passer sous silence la trame d’autres enseignements que cette Chaire Romaine, consciente de la mission que le Christ a confiée à Pierre de confirmer les frères (cf. Lc Lc 22,32) n’a pas manqué d’énoncer en toute occasion : et voici les Lettres adressées à différents Congrès Eucharistiques, à des célébrations commémoratives des diverses Eglises locales, lors d’anniversaires de fondations de diocèses, d’Eglises cathédrales, de Familles religieuses. Et ainsi, il nous plaît de rappeler les moments particulièrement intenses de l’Année Sainte qui ont fait appel respectivement aux jeunes, aux catéchumènes, aux jeunes époux dont nous avons béni les noces, les centaines de nouveaux prêtres que nous avons ordonnés nous-même, les très chers malades à qui nous avons administré le sacrement des Malades ; puis le Congrès Mariologique-Marial le Congrès des Oeuvres Missionnaires Pontificales ; celui des Organisations Internationales Catholiques; le Congrès Missionnaire, pour n’en citer que quelques uns ; puis encore les rencontres avec les Représentants des Conférences Episcopales, avec les organisations diverses, des professeurs, des hommes de science et de culture, des membres d’associations d’apostolat. En parcourant à nouveau, par la pensée, toutes les occasions de grâce que nous avons vécues avec les différents secteurs du monde catholique nous ne pouvons retenir un mouvement de profonde reconnaissance émue au Seigneur, le « Père des lumières » de qui proviennent « tout don excellent, toute donation parfaite » (Jc 1,17), qui nous a permis de voir, de nos propres yeux, de toucher de nos propres mains ce que, non sans motifs, nous avons appelé, au début de notre allocution, la vigoureuse vitalité religieuse de notre temps.



Béatifications et Canonisations





Dans cet inventaire que nous faisons à gros traits évocateurs, ne peut certainement manquer le souvenir de ces véritables heures de grâce, ces heures célestes que nous avons vécues ensemble à l’occasion des béatifications et des canonisations que nous avons célébrées durant cette Année Sainte. Treize béatifications : celles de Marie Eugénie de Jésus Milleret de Brou, d’Henri Charles Steeb, de Charles-Eugène de Mazenod, d’Arnold Janssen, de Joseph Freinademetz, de Marie Thérèse Ledochowska, d’Ezéchiel Moreno, de Gaspard Bertoni, de Vincent Grossi, d’Anne Michelotti, de Marie Droste zu Vischering, de Joseph Moscati. Et, nous nous en souvenons tous, il y eut six canonisations : celles de Saint Jean-Baptiste de la Conception, de Sainte Vicenta Maria Vicuna, de Sainte Elisabeth Anne Seton, de Saint Jean Macias, de Saint Olivier Plunkett, de Saint Justin de Jacobis. La seule énumération de ces noms nous remet en mémoire les vies remarquables de ces Evêques, de ces Fondateurs d’ordres religieux, de ces Missionnaires, de ces champions de la charité, parmi lesquelles l’extraordinaire figure d’un laïc, le médecin Moscati ; et leur exemple, tellement complexe dans les diverses expériences, mais toutefois égales dans leur dénominateur commun de l’amour de Dieu et de leurs frères, nous dit que l’Eglise est vivante surtout parce que la sainteté imprègne ses membres : une sainteté authentique, soufferte, éprouvée par des difficultés semblables à celles dont nous faisons l’expérience aujourd’hui ; et de ce fait, nous avons la preuve que la sainteté est possible, qu’elle est réelle et présente dans les hommes et les femmes de la plus récente génération tout comme elle l’est, nous n’en doutons pas, dans ceux de la génération actuelle et de la génération future. Dans cette magnifique floraison que nous avons présentée à l’Eglise Universelle, il nous plaît de voir la nette confirmation de cette vocation universelle à la sainteté dans l’Eglise que le Concile Vatican II a nettement rappelée.



OEcuménisme





Mais un autre signe particulièrement prometteur pour la vie de l’Eglise en elle-même est donné également par le ton particulièrement oecuménique qu’a eu cette Année Sainte 1975. Nous nous rappelons encore, avec une joie trépidante, le rite de prière célébré le 25 juin dernier en la Basilique de Saint-Paul-hors-les-murs pour implorer de Dieu la reconstitution de l’unité avec les Eglises qui ne se sont pas encore jointes à la nôtre. Si, à ce moment-là, nous avons dû faire état du sentiment le tristesse que nous éprouvions en constatant que « cette unité ne s’est pas encore refaite » (AAS 67, 1975, p. 113) pour de nombreuses raisons, nous avons cru de notre devoir, également, de parler de la profonde espérance que nous gardons dans le coeur, basée principalement sur cet argument suprême selon lequel il y va de la crédibilité du christianisme devant le monde : « Aujourd’hui — disions-nous —, avec vous, nous remercions le Seigneur qui nous a permis de voir que les relations entre chrétiens deviennent plus intenses et plus profondes. La recherche de la réconciliation entre les chrétiens, qui est oeuvre de l’Esprit Saint et expression de cette sagesse et patience avec laquelle le Seigneur « poursuit le dessein de sa grâce envers nous pécheurs » (Unitatis redintegratio, UR 1) devient de plus en plus un sujet d’attention et de soins croissants de la part de l’Eglise Catholique et des autres Communions Chrétiennes » (AAS 67, 1975, p. 116).

De cette attention, nous avons de continuelles, de très heureuses attestations : la dernière, la plus proche dans le temps, celle que nous avons eue dans l’Assemblée générale du Conseil Mondial des Eglises qui s’est conclue tout récemment à Nairobi et à laquelle nous avons eu l’honneur d’envoyer notre Message qui, nous le savons, a été accueilli avec un sincère respect ; nous y avons envoyé également une délégation de l’Eglise Catholique dont la présence a été vivement appréciée et qui, selon les informations que nous avons reçues, a été demandée et désirée dans diverses phases des travaux. Béni soit le Seigneur qui nous fait voir comme le mouvement oecuménique, sans gestes sensationnels mais avec des pas plus constructifs, plus incisifs, poursuit calmement, sans arrêt, sa voie, comme le cours d’un fleuve suit son lit. Et ici à Rome également nous en avons eus continuellement, précisément pour rester dans le sujet qui nous occupe, durant les célébrations de l’Année Sainte : c’est avec émotion que nous nous souvenons encore de la très récente cérémonie célébrée simultanément à Rome et à Constantinople, à l’occasion du dixième anniversaire de l’abrogation d’une page douloureuse dans l’histoire de nos relations réciproques. Retournons ensuite par la pensée vers les différents groupes de Frères séparés qui sont, peut-on dire, présents à chaque Audience générale, remarquables par leur dignité et leur recueillement; ils sont venus de partout dans le monde pour nous dire comment les diverses communautés auxquelles ils appartiennent, regardent avec une sincère admiration vers Rome et vers le Successeur de Pierre. Et nous savons également qu’un flot ininterrompu de pèlerins de diverses dénominations chrétiennes — se mettant opportunément en contact avec notre Secrétariat pour l’Union des Chrétiens et, par celui-ci, sagement et respectueusement guidés — viennent à Rome pour mieux connaître la vie de l’Eglise Catholique et pour revivre, dans des moments de prière, les grandes leçons de générosité, de grâce, de lumière qui viennent des souvenirs historiques de l’Eglise Romaine des premiers siècles, mère de Saints, nourrice de Martyrs, inspiratrice d’oeuvres de charité et d’assistance.

De même, nous ne voulons pas oublier, au moins en le mentionnant, l’intérêt que l’Année Sainte a suscité chez de nombreux et très distingués représentants des Religions non-chrétiennes, venus de divers points du monde pour vivre, eux aussi, l’expérience — pourtant si lointaine de leur monde religieux — du saint Jubilé.



Difficultés et espérances





Vénérables Frères et très chers Fils ! Malgré le consolant exposé que nous avons fait, il y a cependant de nombreux motifs d’appréhension qui, en cette fin d’année, occupent notre coeur et parfois l’écrasent de leur poids : nous avons parfois l’impression d’un refus glacial, voulu, catégorique, dédaigneux venant de si nombreux responsables, de manipulateurs de l’opinion publique avec les moyens de la communication sociale, d’hommes de science, de culture et d’art ; un refus devant la mission de l’Eglise, ou plutôt, devant le nom même de Dieu et de Jésus-Christ : de ce Dieu qui est Amour (cf. 1Jn 4,16), de ce Jésus aux bras largement ouverts sur les branches de la Croix et qui ne nous offre qu’amour et pardon. Une marée de violence préméditée, destructrice, souvent inspirée par une facile, périlleuse et incroyable soif d’argent, semble, dans les diverses nations, vouloir submerger la coexistence civile bien ordonnée dont dépendent la sérénité, le progrès, l’édification de la société. Nous ne pouvons à ce propos taire notre ferme et triste réprobation au sujet de ce nouvel acte de violence ignoble qui, hier précisément, a été perpétré à Vienne. Une répugnante perversion, une vraie dégradation morale semble parfois, au nom d’une liberté mal comprise qui veut se détruire elle-même submerger le cri indigné des consciences droites en ce moquant des valeurs sacrées, en bafouant le sens du bien, de la pudeur, de la dignité, de la beauté que Dieu a imprimée dans l’âme et dans le corps de l’homme ; et les victimes les plus exposées en sont les petits, les jeunes, les faibles.

Mais, répétons-le, nous voulons fixer le regard sur le futur in spem contra spem, comme nous l’avons dit. Nous ferions tort à l’interminable théorie de pèlerins du Peuple de Dieu qui, durant toute cette année, sont venus à Rome et ont franchi la Porte Sainte dans une idéale démarche de prière et de pénitence, si nous nous laissions impressionner par ces accès, malheureusement évidents, de violence et de corruption. Ces fidèles nous ont dit que l’Eglise est consciente que sa vie venue du coeur du Père, germée dans le sang du Christ Crucifié et guidée par son Esprit sanctificateur, est imprégnée des éléments d’unité, de sainteté, de catholicité et d’apostolicité, qu’elle est engagée décidément sur les voies de la pénitence et de la charité. Le sens de la prière, le contact retrouvé avec Dieu, la création d’oeuvres sociales et philanthropiques au bénéfice des frères qui souffrent, nous disent que le bien est supérieur au mal, même si l’opinion de la majorité n’en est pas touché ; cela nous dit que, malgré les attentats dont elles sont l’objet de différents côtés, les familles sont saines, qu’elles sont formatrices de christianisme vécu, et nous rappelle que l’Eglise peut et doit être présente avec sa charge puissante de grâce et de renouvellement dans le monde, comme le levain dans la pâte (cf. Mt Mt 13,33) ; tout cela nous dit que si les problèmes sont encore et toujours extrêmement graves, les énergies, les ressources de l’Eglise, elles, sont vastes et énormes. Il est donc permis, et c’est un devoir, de regarder vers l’avenir avec confiance et optimisme.


Discours 1975 67