Discours 1974 15

15 Le foyer est aussi le premier lieu de l’éducation. Cette oeuvre complexe demande aujourd’hui une concertation des parents, des éducateurs, de toute la société ; elle requiert aussi une coopération active de l’enfant et du jeune, dont vos rapports soulignent la capacité humaine et évangélique.

Le foyer est encore un lieu d’ouverture à toutes les autres communautés, où se forgent les énergies capables de tisser les liens de la vie sociale, de transformer ce monde en communauté de frères. Un foyer digne de ce nom ne saurait rester égoïstement fermé sur lui-même. Mais aussi, malheur à une société qui n’honorerait pas l’institution familiale : très vite, elle serait vouée à devenir une poussière d’individus déracinés et anonymes, en proie à un isolement tragique ou à une dictature sans âme.

Le foyer est par-dessus tous le lieu où se déploie la grâce du Seigneur, selon la vocation baptismale. Beaucoup d’exigences énumérées jusqu’ici sont vraiment inscrites dans la nature humaine, qui est bonne, mais qui est blessée : pour cette raison, elles apparaissent parfois impossibles aux non-chrétiens. Il faut redire ici le prix inestimable du sacrement de mariage qui seul permet aux époux de vivre leur amour conformément à l’alliance du Christ et de l’Eglise, et d’initier leurs enfants, dès le plus jeune âge, à la foi de l’Eglise et à l’apostolat.

Un tel foyer se prépare, et vous avez raison de chercher comment offrir au plus grand nombre de fiancés une formation solide, réaliste, spirituelle. Un tel foyer doit pouvoir aussi compter sur l’appui des autres foyers, sur les communautés chrétiennes, sur tout l’environnement humain et moral de la société.

Les moeurs sont tributaires de la noblesse de coeur ou de la faiblesse des hommes ; elles le sont aussi de leurs conditions sociales et des lois qu’ils se donnent. Sur ce dernier point, les chrétiens ne sauraient abdiquer leurs responsabilités. Voilà une autre perspective offerte à votre action, auprès des instances nationales ou internationales. En cette année de la Population, dont Nous suivons les travaux avec attention, Nous vous avons chargés de coordonner la réflexion, de façon à préparer et à y porter le témoignage très clair de l’Eglise sur la famille.

Nous arrêtons là nos propos. Ils suffisent à vous exprimer la confiance que Nous mettons en vous, et, au-delà de vos personnes, à tous ceux qui travaillent, avec lucidité humaine et fidélité chrétienne, à promouvoir les valeurs familiales. De tout coeur, Nous vous encourageons et Nous vous bénissons, avec notre Autorité Apostolique.






AUX MEMBRES DE LA COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE

14 mars



IMPORTANCE DES ÉTUDES BIBLIQUES POUR L’ACTIVITÉ OECUMÉNIQUE ET MISSIONNAIRE DE L’ÉGLISE





Le 14 mars dernier, le Saint-Père a reçu les membres de la Commission Biblique Pontificale actuellement présents à Rome pour assister à une réunion plénière.

Le groupe des spécialistes appartenant à divers Ordres Religieux et à divers pays était guidé par M. le Cardinal Franjo Seper, Président de ladite Commission, et Préfet de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi : Après l’adresse d’hommage du Cardinal Seper, le Saint-Père a prononcé le discours suivant :



Monsieur le Cardinal Président,

Monseigneur le Secrétaire,

16 et vous tous, Membres éminents et vénérés de la Commission Biblique renouvelée,



C’est pour Nous une grande joie de vous rencontrer à l’occasion de la première réunion de la Commission Biblique Pontificale au début d’une nouvelle phase de son existence. Nous avons pris soin de nommer tous ses membres — chacun d’entre vous — non seulement à titre de représentants de diverses écoles et de diverses nations, mais aussi et surtout comme des savants dont Nous connaissons la compétence autant que l’attachement à l’Eglise et à son Magistère. En cette circonstance, Nous considérons comme un devoir de rappeler avec reconnaissance les travaux accomplis par cette Commission, en particulier par ses Présidents et ses Secrétaires, depuis qu’elle fut fondée en 1902, par notre Prédécesseur Léon XIII ; et Nous tenons aussi à dire la confiance que Nous mettons dans vos travaux futurs. Ceux-ci devront permettre de réaliser un double objectif : la promotion efficace du progrès des études bibliques dans l’Eglise, et la maintien de l’interprétation de la Sainte Ecriture selon une ligne sûre, fidèle à la Parole de Dieu à laquelle nous sommes soumis et répondant aux exigences des hommes auxquels elle est adressée.

Vous n’ignorez pas que la Sainte Ecriture, et en particulier le Nouveau Testament, ont pris forme au sein de la communauté du peuple de Dieu, de l’Eglise rassemblée autour des apôtres : ce sont ces derniers qui, formés à l’école de Jésus et devenus témoins de sa résurrection, en ont transmis les actions et les enseignements, expliquant la signification salvifique des événements dont ils avaient été témoins. Il est donc juste de dire que, si la Parole de Dieu a convoqué et engendré l’Eglise, c’est aussi l’Eglise qui a été en quelque sorte la matrice des Saintes Ecritures, cette Eglise qui a exprimé ou reconnu en elles, pour toutes les générations futures, sa foi, son espérance, sa règle de vie en ce monde.

Les études des dernières décennies ont contribué de façon importante à mettre en valeur le rapport étroit et le lien qui unissent indissolublement l’Ecriture à l’Eglise, Elles en ont mis en lumière la structure essentielle, le milieu vital (Sitz im Leben), la prière, l’adhésion ardente au Seigneur, la cohésion autour des apôtres, les difficultés par rapport au monde qui l’entourait, la tradition orale et littéraire, l’effort missionnaire et catéchétique ainsi que les premiers développements dans des sphères religieuses et culturelles différenciées. Il semble même que la note distinctive et dominante de l’exégèse contemporaine soit la réflexion sur les relations profondes qui relient l’Ecriture et l’Eglise de la première heure. Les recherches sur l’histoire des traditions, des formes, de la rédaction (Tradition-Form-Redaktiongeschichte) que Nous avons encouragées, avec les corrections méthodologiques nécessaires, dans la récente instruction Sancta Mater Ecclesia sur la vérité historique des Evangiles (AAS 56, 1964,
PP 712-718), n’entrent-elles pas dans cette perspective ? Et les requêtes contemporaines sur la nécessité d’intégrer une lecture « diachronique », c’est-à-dire attentive aux développements historiques du texte, à une considération « synchronique » qui donne leur place propre aux connexions littéraires et existentielles de tout texte par rapport au complexe linguistique et culturel dans lequel il s’insère, n’introduisent-elles pas clairement dans la vie de l’Eglise ? Le discours même sur la « pluralité des théologies » ou mieux, sur les aspects divers et complémentaires sous lesquels sont présentés et illustrés divers thèmes fondamentaux du Nouveau Testament tels que le salut, l’Eglise et le mystère lui-même de la personne du Christ, ne rappelle-t-il pas de nouveau la symphonie chorale de la communauté vivante, avec ses voix multiples qui professent toutes la foi dans l’unique mystère ? La fonction herméneutique enfin, qui depuis environ une décennie s’est imposée en s’adjoignant à l’exégèse historico-littéraire, n’invite-t-elle pas l’exégète à dépasser la recherche du « pur texte primitif » et à se souvenir que c’est l’Eglise, communauté vivante, qui en « actualise » le message pour l’homme contemporain ?

Il Nous semble voir se refléter, dans ces orientations de l’exégèse contemporaine, les grandes convictions de la tradition chrétienne qui, de saint Paul aux enseignements de notre grand prédécesseur Pie XII, en passant par l’âge patristique et médiéval, ont été exprimées solennellement dans la grande affirmation de Vatican II : Sacra Traditio et Sacra Scriptura unum Verbi Dei sacrum depositum constituunt Ecclesiae commissum, oui inhaerens tota plebs sancta Pastoribus suis adunata in doctrina Apostolorum et communione... perseverat, ita ut in traditafide tenenda, exercenda, profitendaque singularisat Antistitum et fidelium conspiratio (Dei Verbum, DV 10).

Cette connexion essentielle entre la Bible et l’Eglise ou, si vous préférez, cette lecture de la Sainte Ecriture in medio Ecclesiae, confère aux exégètes de l’Ecriture Sainte, et tout particulièrement à vous, Membres qualifiés de la Commission biblique pontificale, une fonction importante au service de la Parole de Dieu. Aussi Nous sentons-nous encouragé à regarder avec sympathie, bien plus, à soutenir et à donner vigueur à ce caractère ecclésial de l’exégèse contemporaine. Votre travail ne consiste donc pas simplement à expliquer des textes anciens, à rapporter des faits de manière critique ou à remonter à la forme primitive et originelle d’un texte ou d’une page sacrée. C’est le devoir primordial de l’exégète de présenter au peuple de Dieu le message de la révélation, d’exposer la signification de la Parole de Dieu en elle-même et par rapport à l’homme contemporain, de donner accès à la Parole, au-delà de l’enveloppe des signes sémantiques et des synthèses culturelles, parfois éloignés de la culture et des problèmes de notre temps. Quelle grande mission vous incombe vis-à-vis de l’Eglise comme de toute l’humanité ! Quelle contribution à l’évangélisation du monde contemporain ! Pour illustrer cette responsabilité et pour vous défendre des fausses pistes dans lesquelles l’exégèse risque souvent de se fourvoyer, Nous allons emprunter les paroles d’un grand maître de l’exégèse, d’un homme dans lequel ont brillé de façon exceptionnelle la sagacité critique, la foi et l’attachement à l’Eglise : Nous voulons dire le Père Lagrange. En 1918, après avoir tracé le bilan négatif des diverses écoles de l’exégèse libérale, il dénonçait les racines de leur échec et de leur faillite dans ces causes : opportunisme doctrinal, caractère unilatéral de la recherche et étroitesse rationaliste de la méthode. « Dès la fin du XVIII° siècle, écrivait-il, le christianisme se mettait à la remorque de la raison ; il fallut plier les textes à la mode du jour. Cet opportunisme inspira les commentaires des rationalistes ». Et il continue : « Tout ce que nous demandons de cette exégèse indépendante, c’est qu’elle soit purement scientifique. Elle ne le sera tout à fait qu’en se corrigeant d’un autre défaut commun à toutes les écoles que nous avons énumérées. Toutes ont été einseitig, ne regardant que d’un seule côté ». (M. J. lagrange, Le sens du Christianisme d’après l’exégèse allemande, Paris, Gabalda 1918, PP 323, 324, 328). Le Père Lagrange mettait en cause un autre caractère des critiques : le dessein arrêté de ne pas accepter le surnaturel.

Ces remarques conservent, aujourd’hui encore, un caractère d’urgence et d’actualité. On peut y ajouter aussi, pour les expliciter, une invitation à ne pas exagérer ni à transgresser les possibilités de la méthode exégétique adoptée, à ne pas en faire une méthode absolue comme si elle permettait, et elle seulement, d’accéder à la Révélation divine. Il faut se garder également d’une remise en question systématique visant à affranchir toute expression de la foi d’un solide fondement de certitude.

Ces chemins aberrants seront évités si l’on suit la règle d’or de l’herméneutique théologique énoncée par le Concile Vatican II : celui-ci demande d’interpréter les textes bibliques « en prêtant attention au contenu et à l’unité de l’Ecriture tout entière, compte tenu de la Tradition vivante de toute l’Eglise et de l’analogie de la foi » (Dei Verbum, DV 12). « On ne saurait retrouver le sens du christianisme — c’est encore le Père Lagrange qui parle — par un groupement de textes, si l’on ne pénètre pas jusqu’à la raison d’être du tout. C’est un organisme dont le principe vital est unique. Or il est découvert depuis longtemps, et c’est l’incarnation de Jésus-Christ, le salut assuré aux hommes par la grâce de la rédemption. En cherchant ailleurs on s’exposerait à faire fausse route » (Op. cit., p. 325). Exprimer le message signifie donc avant tout recueillir toutes les significations d’un texte, et les faire converger vers l’unité du Mystère, qui est unique, transcendant, inépuisable, et que nous pouvons par conséquent aborder sous de multiples aspects. A cette fin, la collaboration de beaucoup de personnes sera nécessaire pour analyser la processus d’insertion de la Parole de Dieu dans l’histoire, — ce que saint Jean Chrysostome a désigné sous le terme de sunkatabasis ou condescensio (Hom 17, 1, in Gn 3,8) —, selon la variété des langages et des cultures humaines : cela permettra de saisir en chaque page le sens universel et immuable du message, et de la proposer à l’Eglise, pour une intelligence véritable de la foi dans le contexte moderne et une application salutaire aux graves problèmes qui tourmentent les esprits réfléchis à l’heure actuelle. Il vous revient, à vous exégètes, d’actualiser, selon le sens de l’Eglise vivante, la Sainte Ecriture, pour qu’elle ne demeure pas seulement un monument du passé mais qu’elle se transforme en source de lumière, de vie et d’action. C’est seulement de la sorte que les fruits de l’exégèse pourront servir à la fonction kérygmatique de l’Eglise, à son dialogue, s’offrir à la réflexion de la théologie systématique et à l’enseignement moral, et devenir utilisables pour la pastorale dans le monde moderne. On voit nécessairement se profiler ainsi, vous le comprenez, une réelle continuité entre la recherche exégétique et celle de la théologie dogmatique et morale. De même, on voit se dessiner concrètement l’exigence de « l’interdisciplinarité » entre le bibliste, le spécialiste de la théologie dogmatique, celui de la théologie morale, le juriste et l’homme engagé dans la pastorale et dans la mission. En disant cela, Nous ne faisons que rappeler et graver dans les esprits les directives de Vatican II qui, après avoir dit que « l’étude de la Sainte Ecriture doit être comme l’âme de la théologie » (Dei Verbum, DV 24 Optatam totius, OT 16), a invité à apporter « un soin particulier à l’enseignement de la théologie morale », de sorte que « l’exposé scientifique de cette matière soit davantage nourri de la doctrine de la Sainte Ecriture » (Optatam totius, OT 16), c’est-à-dire des « paroles de Dieu, où — comme le dit la Constitution Gaudium et Spes — on puise les principes de l’ordre religieux et moral » (n. 33). Sans un fondement biblique clair, la théologie morale risque de se dessécher en des schématisations philosophiques et de devenir étrangère à l’homme dans sa réalité historique concrète de créature de Dieu, blessée par le péché mais sauvée dans le Christ qui lui a conféré son esprit d’amour et de liberté, « pour vivre en ce siècle présent avec modération, justice et piété, dans l’attente de la bienheureuse espérance » (Tt 2,12).

Le bibliste est appelé à rendre un service analogue à la tâche oecuménique et missionnaire de l’Eglise. Non seulement la Bible est le terrain privilégié de la rencontre avec les Eglises et les communautés ecclésiales en communion imparfaite avec l’Eglise catholique, mais tous les chrétiens doivent apprendre, par un ressourcement opéré dans le message et dans l’exemple du Christ, à se purifier et à se réconcilier d’une manière qui prépare et favorise la réalisation de l’unité espérée. Et Nous voulons encore rappeler que le Concile, dans le Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, a demandé instamment d’examiner de nouveau (novae investigationi subiciantur) « les faits et les paroles de la Révélation contenus dans la Sainte Ecriture » dans le contexte des cultures et des religions du monde, afin de comprendre ces dernières, dans toute la mesure du possible, de façon chrétienne, et de « les harmoniser avec le style de vie préconisé par la Révélation chrétienne » (Ad Gentes, AGD 22). De grandes tâches attendent l’exégète dans la vie et dans l’avenir de l’Eglise. Pour cela, il s’attachera à conserver et à alimenter en soi chaque jour une relation vivante au mystère du Dieu d’amour, qui envoya parmi nous son Fils pour faire de nous ses enfants d’adoption. Ce mystère, avec les oeuvres divines qui l’accompagnent, est difficilement reconnu par ceux qui s’attachent avant tout à des valeurs terrestres, fussent-elles très nobles en elles-mêmes, comme le progrès de la culture ou de la science. Jésus-Christ n’a-t-il pas parlé de sages et de prudents auxquels demeure cachée la Révélation accessible aux petits et aux humbles (cf. Mt Mt 11,25 Lc 10,21) ? Une réelle ouverture existentielle au mystère du Dieu d’amour, sans laquelle notre exégèse, toute savante qu’elle soit, demeure nécessairement enténébrée, ne peut se maintenir en nous sans la lumière de la grâce divine que nous devons toujours humblement demander. Saint Augustin nous en avertit : « A ceux qui s’adonnent à l’étude des Saintes Lettres, dit-il, il ne suffit pas de recommander qu’ils soient versés dans la connaissance des particularités du langage... mais en outre, et c’est à la fois primordial et souverainement nécessaire, il importe qu’ils prient pour comprendre (orent ut intelligant) » (De doctrina christiana, 3, 56 ; PL 34, 89).

Chers Fils et vénérés Frères, ce que Nous vous avons dit sur les tâches modernes de l’exégèse dans la vie de l’Eglise et sur son ouverture aux autres disciplines théologiques, et réciproquement de la nécessité de lire la Bible dans la Tradition de l’Eglise, explique la décision que Nous avons prise, dans notre Motu Proprio Sedula Cura (cf. AAS 63, 1971, PP 665-669), de rattacher désormais la Commission Biblique à la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, à laquelle aussi se rattache, bien que d’une autre manière, la Commission Théologique Internationale. Comme le prouvent les Normes établies dans la même Lettre, il n’est pas question d’un nivellement qui porterait atteinte au caractère spécialisé de vos recherches, à vos initiatives propres et au service irremplaçable qu’il vous appartient de rendre au Siège Apostolique. Il s’agit plutôt de maintenir la tâche essentielle assignée à votre Commission par notre Prédécesseur Léon XIII, tout en favorisant, à l’intérieur des organismes du Saint-Siège, une saine collaboration — Nous dirions volontiers une certaine « interdisciplinarité » — entre les spécialistes de l’exégèse et ceux des autres disciplines théologiques, dans un service commun de notre Magistère.

En terminant cette petite allocution, Nous nous plaisons à vous rappeler tout ce que nous attendons de vos travaux et Nous implorons sur vos personnes et sur votre tâche la lumière du Saint-Esprit, avec notre Bénédiction Apostolique.






18 mars



PAUL VI À LA COMMISSION POUR LA RÉVISION DU CODE DE DROIT CANON ORIENTAL





17 Lors de la célébration solennelle inaugurant les travaux de la Commission pour la révision du Code de Droit Canon Oriental (18 mars 1974) Paul VI a prononcé un discours en langue latine, dont voici la traduction.



Vénérables Frères et bien-aimés Fils,



Quand nous voyons réunis en notre présence nos Vénérables Frères les Patriarches qui président aux Eglises Orientales, les Métropolites et les Hiérarchies les plus élevées des communautés orientales, unis en une communion parfaite avec ce Siège Apostolique, comment pourrions-nous ne pas ressentir une joie intense face à ce spectacle nouveau et magnifique d’unité catholique dans la diversité !



Rome centre de l’unité





Ici, près de la Tombe du Prince des Apôtres, les Eglises d’Orient et d’Occident se sont rejointes pour contempler, comme Saint Ignace d’Antioche, la Famille de Dieu réunie dans le banquet mystique auquel préside cette Eglise de Rome « qui préside ceux qui sont unis dans la charité » (p???a??µ?? t?? ???p??) et dont le ministère a pour objet de « présider en la région des Romains » (cf. st ignace d’antioghe, Romanos, Inscr.; M. guardini, L’iscrizione di Abercio e Roma dans « Ancient Society » 2 [1971], 174-203 ; v. pp. PP 198-199).

C’est pourquoi, le ministère de cette Eglise de Rome, source de l’unité sacerdotale (ST cyprien, , Ep 1) a pour mission de porter aide à ses Frères partout où la charité l’exige, cette même charité qui, ensemble avec le Christ, gouverna l’Eglise de Syrie lorsque son vieil évêque se fut laissé joyeusement conduire au martyre (cf. St. ignace d’antioghe, Rom., 9, 1). Gela ne signifie ni domination, ni souveraineté, mais primauté dans le service, dans le témoignage de sollicitude, dans l’offre d’assistance, dans la profession d’une Foi inchangée, et manifestant tout cela en union avec les successeurs des Apôtres.

Tenant compte de cela, Saint Ephrem, le justement célèbre Diacre d’Edesse, dont on a commémoré récemment le XVI° centenaire de la mort, chantait avec des accents lyriques : Oh toi Bienheureux (Simon Pierre) qui fut comme la tête et la langue du corps de tes frères ! Ce corps était formé par les disciples et les fils de Zébédée étaient ses deux yeux ! Comme ils étaient heureux ceux qui demandèrent chacun un trône au Maître après qu’ils eurent vu son Trône à Lui ! Mais la révélation du Père, ce fut Simon qui la reçut, lui qui est le roc inébranlable » (St. ephrem, Hymni de Virginitate, XV, 7, éd. I. E. rahmani, 1906, p. 45).

Aujourd’hui, unis à vous dans la profession de la seule Foi du Christ, nous nous réjouissons dans le Christ ressuscité, et en union avec vous, Vénérables Frères et Fils bien-aimés, nous proclamons cette Foi indivisible pour le monde et pour les temps à venir.

En montrant l’admirable unité de sa structure, la Sainte Mère Eglise manifeste clairement la volonté du Christ et, en même temps, montre le chemin sûr qui conduit à la contemplation de la gloire du Père.



Les glorieuses Eglises d’Orient





Lorsque nous vous voyons ici, chers et vénérables Frères, il nous plaît de vous répéter les paroles qui font résonner l’antique voix de la Didascalia Apostolorum : « Vous, Evêques, constitués pour votre peuple ; vous êtes prêtres, prophètes, les premiers... intermédiaires entre Dieu et les fidèles. Vous êtes les propagandistes et les prédicateurs. Et vous, Laïcs, Eglise élue de Dieu, Eglise Catholique, écoutez et honorez les Evêques comme vous honorez Dieu, parce qu’ils sont là pour vous à la place du Dieu Tout-Puissant » (Didascalia Apostolorum VIII, 7 ; IX, 26, 1 ; in Fontes Codificationis Orientalis, Série II, fasc. p. 126).

Aujourd’hui, en cette époque d’aspiration effrénée à la liberté et à la nouveauté, où ce qui appartenait au passé n’est plus jugé digne d’intérêt, nous constatons avec satisfaction que les illustres Eglises d’Orient conservent fidèlement les traditions des Pères ; ce sont des traditions qui font partie du patrimoine commun de l’Eglise de Dieu tout entière. C’est pourquoi notre Prédécesseur Agapet I, écrivant sur cette matière à Pierre, Evêque de Jérusalem, l’exhortait à conserver intactes des traditions, disant : « Nous avons certainement, bien-aimé Frère, en raison de la charité qui nous unit, désiré trouver tous les prêtres du Seigneur irréprochables dans leur conformité aux traditions apostoliques sans qu’il en soit un seul qui ait dévié des canons ecclésiastiques, par crainte ou par intérêt » (Fontes Codificationis Orientalis, série III, vol. 1P 430).

Et c’est avec raison que les Pères du Vilenie Concile OEcuménique estimèrent opportun de déclarer : « Nous chérissons et gardons dans le coeur les canons sacrés, nous réjouissant comme celui qui a trouvé un riche trésor... ; c’est-à-dire tout ce qui a été proclamé, au son des trompettes du Saint Esprit, par les vénérables et glorieux apôtres, comme tout ce qui a été promulgué par les six saints Conciles OEcuméniques et par les Synodes locaux pour expliquer ces décrets ; et enfin tout ce qui a été montré comme émanant de nos Saints Pères. En effet, éclairés par le seul et même Esprit, ils ont indiqué ce qui convient ».

18 Nous lisons ce qui précède dans le premier canon du Concile précité, où se trouve condensée la tradition que les Eglises Orientales ont pour la plupart toujours eue et continuent à avoir en partage, même s’il s’est révélé quelques différences dues à des circonstances diverses. La fidélité à ce patrimoine sacré de la discipline ecclésiastique a fait que, malgré les multiples revers essuyés au cours des temps, même récents, les Eglises Orientales ont su conserver intacte leur propre physionomie: certainement pour le plus grand profit des âmes.



Nécessité du renouvellement





Cette fidélité au même vénérable patrimoine de vos traditions — fidélité qui doit nécessairement continuer car c’est d’elle que le travail de révision du Droit Canon Oriental qui vous est demandé tire sa force (cf. Décret Orientalium Ecclesiarum, OE 5-6) — n’empêche d’aucune manière que le travail de révision contribue à l’élan souhaité et imprimé par le Concile OEcuménique Vatican II à la vie chrétienne dans l’Eglise tout entière. En effet, comme l’objectif final de toute loi de l’Eglise est le salut des âmes, les normes ecclésiastiques ne sauraient valablement demeurer inertes, immobiles comme des choses mortes ; elles doivent au contraire tendre à un progrès croissant du Peuple de Dieu et tâcher de satisfaire aux besoins toujours nouveaux qui s’y présentent. Aussi faut-il noter que la discipline canonique dont vous avez hérité est source de vie féconde, surtout si, en sauvegardant tout ce qui est essentiel et digne de respect, elle répond en même temps aux exigences de la vie actuelle et parvient à s’adapter aux situations réelles de chaque peuple, en évolution rapide et continue.

Il est évident qu’il faut beaucoup de prudence et de sagesse pour mener cette tâche à bien.

C’est, en effet, un travail qui exige d’éliminer des lois antérieures tout ce qui est devenu caduc, superflu et qui, en y substituant des lois nouvelles, recherche ce qu’il y a de mieux dans la vérité et non ce qu’il y a de plus neuf; un travail, finalement, où l’on ne saurait négliger de prendre dans la considération qu’il mérite le patrimoine traditionnel et encore moins l’ignorer. Tout renouvellement doit témoigner de cohérence et de conformité avec la saine tradition, de manière que les normes nouvelles apparaissent non pas comme un corps étranger inséré de force dans le contexte ecclésiastique, mais comme jaillissant naturellement des lois déjà existantes.

Nous-même, Nous avons tenu à énoncer ce principe au moment d’inaugurer la seconde session du Concile OEcuménique Vatican II lorsque nous avons dit « Le renouvellement que le Concile demande n’est ni un changement radical de la vie actuelle de l’Eglise ni une rupture avec ses traditions... mais un renouvellement qui rende hommage aux traditions elles-mêmes et leur restitue leur originalité et leur efficience en supprimant ce qui caduc et défectueux » (AAS LVI, 1963, p. 851).

La composition et la forme de cette Commission en garantissent, autant qu’il est possible, le caractère oriental et l’adhésion à la multiplicité des Eglises, et en même temps, elles démontrent clairement notre désir que ce soient les Orientaux eux-mêmes qui aménagent leur propre Code. Ce Code conduira à cette charité en vertu de laquelle leurs Eglises seront, dans le monde moderne, de plus en plus capables de « s’épanouir et de remplir la charge qui leur incombe, avec une nouvelle vigueur apostolique » (Orientalium Ecclesiarum, OE 1).

D’autre part, en instituant cette Commission pour la révision du Code de Droit Canon Oriental, notre désir a été de satisfaire aux requêtes qui nous ont été faites par de nombreux membres de la Hiérarchie Orientale de même que par la S. Congrégation pour les Eglises Orientales; à savoir que les parties du Code de Droit Canonique Oriental déjà publiées aussi bien que celles qui sont encore inédites soient révisées d’accord, tant avec la pensée des Pères du Concile Vatican II, qu’avec la tradition orientale. Ce double objectif, c’est-à-dire assurer la conformité du Code au Concile Vatican II et à la tradition orientale doit être mis en harmonie avec une troisième et très importante considération, qui vaut aussi bien pour la Commission pour la révision du Droit Canon que pour la présente Commission. L’une et l’autre de ces Commissions ont été instituées pour aménager un Code, pour l’ordonner judicieusement en y insérant les lois en bon ordre, et non pour créer et instituer des lois elles-mêmes, de leur propre autorité. En effet les normes n’existent que parce qu’elles concrétisent des principes dont l’autorité découle des sources du Droit et, par conséquent, ni les normes ni les principes ne sauraient être changés. En d’autres termes les membres des Commissions sont des ordonnateurs et non des auteurs ou des créateurs de lois.



Importance de la réforme du droit canon





En faisant cette mise au point, nous n’entendons nullement rabaisser ou déconsidérer le travail confié à la Commission ; nous désirons simplement définir sa nature avec plus de précision. Il s’agit en effet d’un fécond ministère que l’Eglise a confié à la Commission ; il doit être orienté directement vers le bien de l’Eglise et rester fidèlement soumis à l’autorité légitime. Quant à nous, nous avons pleinement confiance en votre aptitude à accomplir cette tâche, et nous sommes certain, connaissant votre amour dévoué envers l’Eglise, que vous saurez réaliser un travail bien ordonné, tout complexe et difficile qu’il soit, qui contribuera à renforcer toujours plus l’union et l’harmonie des différentes traditions sans amoindrir toutefois les caractères propres à chaque Eglise.

Un code bien ordonné et acceptable par tous, s’applique avec succès aux actions de la vie quotidienne et constitue un témoignage authentique d’amour et de respect à l’égard de la Loi ecclésiastique; cela rendra également un important service à la société dans laquelle nous constatons souvent une propension à miner l’observance de ces lois qui, en vertu de la suprême vérité du message évangélique et des pures traditions ecclésiastiques elles-mêmes, exigent d’être respectées de manière inéluctable.



Les voies pour l’union des Eglises





Si l’on veut formuler un code oriental parfaitement adapté, il importe de ne jamais perdre de vue la mission particulière qui incombe aux catholiques orientaux, à savoir : « favoriser l’unité de tous les chrétiens et spécialement des chrétiens orientaux, selon les principes du Décret de ce Saint Concile : Unitatis Redintegratio » (Orientalium Ecclesiarum, OE 24). Nous constatons avec la plus vive satisfaction que, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, se noue de plus en plus étroitement entre l’Eglise Catholique et ses soeurs Orthodoxes le lien de la véritable unité, c’est-à-dire une communion ecclésiale déjà très avancée.

Preuves et témoignages de ce fait : le livre Tomos Agapis et la visite à Rome, non seulement du Patriarche OEcuménique Athénagoras, mais aussi de Leurs Saintetés le Patriarche Suprême Catholicos des Arméniens, Vasken I de Ecmiadzin, le Catholicos Khoren I de Cilicie, le Patriarche Maris Ignatius Yacub III d’Antioche et du Pape Shenouda III d’Alexandrie, accompagnés de membres des Hiérarchies d’autres Eglises Orthodoxes.

19 Nous sommes au courant également d’autres initiatives prises au cours de ces dernières années par les Eglises Orthodoxes en vue d’établir, grâce à des efforts communs, des lois adaptées aux besoins de l’époque actuelle, protégeant intégralement toutefois les traditions particulières de chaque Eglise.

Il nous est très agréable aussi de rappeler que nous-même, de commun accord avec le regretté Patriarche OEcuménique Athénagoras, nous avons déjà donné notre approbation à « tout effort de collaboration entre spécialistes catholiques et orthodoxes en matière d’études qui concernent l’histoire, les traditions ecclésiales, les doctrines patristiques, la liturgie sacrée et l’interprétation de l’Evangile, conformément au véritable message du Seigneur, aux espoirs et aux besoins du monde actuel » (Déclaration commune, 18 octobre 1967).

Nous sommes extrêmement heureux de ce que les experts de Droit Oriental, aussi bien orthodoxes que catholiques, offrent actuellement un exemple lumineux d’un fécond travail en collaboration ; c’est pourquoi nous avons créé, en notre Institut des Etudes orientales, la Faculté de Droit Canon Oriental, ouverte à toutes les Eglises, dans l’espoir de recueillir d’excellents fruits produits grâce à la collaboration avec d’autres Instituts.

Comme le dit en effet le Concile, les Eglises particulières « diffèrent partiellement entre elles par ce qu’on appelle les rites, c’est-à-dire la liturgie, la discipline ecclésiastique et le patrimoine spirituel, mais elles sont également confiées au gouvernement pastoral du Pontife Romain qui, par disposition divine, succède à Saint Pierre dans la primauté sur l’Eglise Universelle. Par conséquent elles sont égales en dignité et aucune d’entre elles ne l’emporte sur les autres en raison du rite, elles jouissent des mêmes droits et sont tenues aux mêmes obligations, même en ce qui concerne le devoir de prêcher l’Evangile dans le monde entier (
Mc 16,15), sous la conduite du Pontife Romain » (Orientalium Ecclesiarum, OE 3), lequel les portant toutes dans son coeur, peut dire, à juste titre, avec Saint Paul, « Je me suis fait tout à tous » (1Co 9,22) pour qu’il soit clair qu’à notre ministère incombe avant tout « cette sollicitude que nous avons pour vous devant Dieu » (2Co 7,12-13).

Vénérables Frères et bien-aimés Fils, que Notre Seigneur Jésus-Christ — la voie, la vérité et la vie — bénisse votre travail, et puissent les prières de la Très Sainte Vierge Marie et de tous les Saints du Paradis, lui assurer un heureux succès, avec notre paternelle et fraternelle Bénédiction Apostolique.





Discours 1974 15