Discours 1974 25


AUX MAIRES DE LA VILLE ET À LA RÉGION DE BRUXELLES

Mercredi 15 mai 1974




Nous sommes heureux, Mesdames et Messieurs, de pouvoir saluer aujourd’hui votre délégation.

Votre présence à Rome témoigne de la volonté de dialogue et de collaboration, qui anime les responsables des administrations locales.

N’y a-t-il pas toujours enrichissement mutuel à mieux percevoir que la gestion du bien public ne saurait se contenter de règles abstraites, mais doit tenir compte aussi des réalités existentielles locales, des habitudes et des modes de vie, pour être un véritable service de la communauté?

Le maître-mot de votre activité de responsables est en effet celui-ci : servir l’homme; accorder la priorité aux personnes et à leurs besoins, y compris les plus profonds, ceux dont l’Evangile a définitivement montré la nécessité: «L’homme ne vit pas seulement de pain». Nul doute que, par ce souci d’intégrer les valeurs spirituelles dans vos préoccupations administratives, vous ne contribuiez à favoriser cette unité et cette élévation des coeurs auxquelles tous les hommes de bonne volonté aspirent. Pour des chrétiens, ce labeur de chaque jour, affrontant des situations à la fois très concrètes et très complexes, participe à la préparation de la Cité éternelle, but dernier de notre existence.

A vous-mêmes, à tous ceux aussi qui portent avec vous de lourdes responsabilités et que vous représentez ici de quelque manière, nous donnons nos encouragements et l’assurance de notre prière pour que le Seigneur bénisse vos efforts au service de vos communautés respectives.



AUX DIRIGEANTS DES SYNDICATS CHRÉTIENS DE WALLONIE


Samedi 18 mai 1974




Chers Messieurs,

En vos personnes, ce sont tous ceux que vous représentez que Nous accueillons et saluons cordialement. Ce n’est pas à nous de vous parler en ce moment de votre tâche spécifique de syndicalistes.

Nous voulons plutôt rappeler votre attention sur ce qui doit être la racine de votre engagement, la source de votre force dans la mission sociale qui est la vôtre.

26 Nous voulons donc d’abord vous encourager à approfondir votre sens de l’Eglise. En ces lieux, les siècles successifs ont laissé le témoignage de leur attachement à Pierre, parce que, sur lui, le Christ a fondé son Eglise. Sachez, à travers les apparences, aller à l’essentiel.

Songez que notre génération doit, elle aussi, reposer sur ce fondement et contribuer, pour sa part, à construire l’Eglise parmi les hommes, dans les esprits et dans les coeurs.

Vous le savez, et Nous nous en réjouissons: dans la mesure où vous approfondirez et vivrez votre appartenance au Christ dans l’Eglise, vous ferez l’unité de votre vie tout en sachant prendre pleinement vos responsabilités de laïcs chrétiens, notamment dans le domaine syndical, qui est le vôtre, au service des travailleurs. Ces responsabilités sont lourdes, car les situations sont complexes et les intérêts diversifiés. Il y faut, outre la solidarité ouvrière dont vous êtes justement fiers, un dialogue ouvert, loyal et persévérant avec les autres partenaires sociaux. Mais le but de l’action collective est, Nous semble-t-il, plus clair et plus impératif que jamais: se dégager de tous les matérialismes pour assurer, grâce à une transformation profonde des conditions concrètes d’existence, et plus encore des mentalités, selon une authentique échelle des valeurs, une vie véritablement humaine pour tous.

Nous prions le Seigneur pour vous, chers Messieurs et amis, pour vos familles et tous ceux que vous représentez. De grand coeur, Nous lui demandons de bénir et de faire grandir votre esprit de service.



AU COMITÉ INTERNATIONAL CATHOLIQUE DES INFIRMIÈRES ET ASSISTANTES MÉDICO-SOCIALES

Vendredi 24 mai 1974




Madame la Présidente et chères Congressistes,

Votre visite Nous est un motif très particulier de joie et d’espérance! En ce quarantième anniversaire de la fondation du Comité International Catholique des Infirmières et Assistantes Médico-sociales, vous témoignez de son expansion remarquable et toujours actuelle, notamment en Afrique et en Amérique Centrale.

C’est pourquoi Nous félicitons chaleureusement les organisatrices de ce deuxième Congrès mondial de Rome et les quatre mille participantes, venues de tous pays, pour partager leur précieuse expérience du monde hospitalier et renouveler leur passion de le mieux servir.

En ces brefs instants, Nous ne reprendrons pas les riches conférences et les débats animés qui ont marqué votre Congrès. Nous voulons seulement, au plan de nos responsabilités pastorales, vous apporter nos plus vifs encouragements.

Vos difficultés, qu’elles soient d’ordre personnel ou professionnel, ou propres à la situation des pays que vous servez, sont présentes à notre esprit. Cependant, Nous vous souhaitons plus que jamais le don de l’enthousiasme. Nous voulons dire un enthousiasme chrétien et réaliste. Sans minimiser la rigoureuse nécessité d’une formation professionnelle permanente, Nous nous permettons d’insister sur l’urgence de convictions morales et spirituelles dont la plus fondamentale et la plus passionnante est que vous touchez sans cesse à des réalités sacrées. Qu’il s’agisse des enfants à naître ou des personnes âgées, des accidentés ou des curistes, des handicapés physiques ou mentaux, il s’agit toujours de l’homme, dont les lettres de noblesse sont à jamais inscrites aux premières pages de la Bible: «Dieu créa l’homme à son image» (Gn 1 Gn 27). On a d’ailleurs souvent dit qu’on pouvait juger d’une civilisation d’après sa conduite envers les faibles, les enfants, les malades, les personnes du troisième âge.

Fortes de vos convictions, approfondies personnellement mais aussi avec le concours de vos Unions locales ou régionales, continuez d’oeuvrer pour l’expansion d’une authentique «politique sanitaire» à travers vos différents pays, et plus encore à son humanisation.

27 Oui, Nous disons bien, à son humanisation. L’hôpital doit demeurer ou devenir ce lieu humain par excellence, où chaque personne est traitée avec dignité, où elle éprouve, malgré la souffrance, la proximité de frères, de soeurs, d’amis. Les sentiments d’humanité ne sauraient être séparés des soins hospitaliers. Vous participez à cette nécessaire rencontre de la technique et de la spiritualité, hors de quoi le monde moderne ne peut que donner le vertige et l’inquiétude par l’accéleration de ses expériences, ou engendrer la froide monotonie d’une existence programmée et réduite au robot.

Cette note de rapports personnalisés, n’est-ce-pas à vous d’abord, chères Filles, qu’il appartient de la maintenir dans tous les secteurs où vous avez accès?

On ne peut ignorer, cependant, que l’effort apostolique d’aujourd’hui, pour être véritablement et pleinement efficace au sein du monde professionnel, demande à être organisé et coordonné. Telle est la raison d’être des multiples organisations auxquelles l’Eglise accorde avec raison une si grande importance. Nous voulons donc vous exprimer notre satisfaction en voyant que, dans votre domaine propre, vous avez compris cette exigence et vous efforcez d’agir partout de manière, non pas individuelle, mais en collaboration avec celles qui partagent votre idéal humain et chrétien. Nous tenons donc à encourager publiquement et avec force l’activité et le développement de vos Associations à tous leurs niveaux, particulièrement au plan national et international: l’efficacité de votre action dépend pour une grande part, soyez-en bien persuadées, de cette volonté d’union pour un meilleur service.

L’Eglise est légitimement fière de la merveilleuse charité de tant de fondateurs et fondatrices d’ordres hospitaliers, de tous ceux qui travaillent aujourd’hui dans leur sillage, dans les institutions qu’ils ont laissées, ou qui ont choisi comme profession ce dévouement au monde souffrant, en assumant ce rôle dans la foi. Vous appartenez à cette Eglise, comme laïques ou comme religieuses.

C’est pourquoi Nous demandons au Christ, pour vous et pour celles que vous représentez, la grâce de vivre vos responsabilités, toujours délicates et exigeantes, avec la force et la tendresse dont Il nous a laissé le parfait exemple.

En son nom, Nous vous bénissons de tout coeur.



AU IX CONGRÈS INTERNATIONAL DE L’«OFFICE INTERNATIONAL DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE»


Samedi 8 juin 1974




Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

A l’occasion de l’Assemblée générale extraordinaire de l’office international de l’Enseignement catholique, vous avez vivement souhaité Nous rendre visite. Croyez bien que notre joie est grande de vous accueillir et de partager vos soucis et vos espoirs.

En prenant connaissance du programme de votre rencontre, Nous avons mesuré combien votre Office international était désireux de réexprimer son identité et son rôle au service de tous les organismes d’éducation, et particulièrement de l’enseignement catholique, maintenu avec son caractère propre. Nous vous félicitons pour le travail accompli pendant ces journées romaines qui porteront certainement leurs fruits.

En ces brefs instants, et sans oublier les problèmes concrets et urgents qui se posent à vous, Nous voudrions surtout affermir et stimuler vos convictions. Avec ses millions d’élèves, l’enseignement catholique rend aujourd’hui des services suffisamment originaux pour qu’il apparaisse aux yeux de tous, et spécialement aux yeux des chrétiens, que sa disparition serait une perte immense. Pourquoi se laisser impressionner par la persistance de slogans passablement démodés d’un enseignement catholique de classe sociale, peu qualifié, coupable d’entretenir les tares de la société? Le refus de toute institution chrétienne traduit une vision chimérique et dangereuse de l’Eglise du Christ.

28 Faut-il-redire, ici, que Nous apprécions à sa juste valeur le travail accompli par tant de chrétiens dans l’enseignement d’Etat des diverses nations? Mais Nous soulignons également que le pluralisme de l’éducation est dans la logique du pluralisme culturel de notre civilisation. C’est pourquoi, Nous vous encourageons vivement à oeuvrer pour que les écoles catholiques apparaissent comme les lieux de rencontre de ceux qui veulent témoigner des valeurs chrétiennes dans toute l’éducation. Ceci exige que les responsables de telles institutions puissent choisir leur personnel enseignant. Une école chrétienne doit avoir des professeurs chrétiens et se soucier de leur formation permanente; c’est une question d’honnêteté vis-à-vis des parents et vis-à-vis des élèves.

Une seconde conviction, liée à la précédente, est qu’en ces temps où l’humanisme scientifique risque de créer le vide spirituel, la finalité de l’enseignement catholique doit être maintenue avec une vigilance sans faille. Cet enseignement est un service de l’éducation des jeunes, dans toute la dimension de ce mot, étant bien entendu que la foi apporte un éclairage décisif sur cette dimension.

La référence à Jésus-Christ apprend en effet à discerner les valeurs qui font l’homme et les contrevaleurs qui le dégradent. Le mal de la jeunesse actuelle, dans le chaos quotidien des opinions, n’est-il pas de ne pas connaître ou de ne plus reconnaître de valeurs suprêmes?

Toutes ses aspirations à l’authenticité, à la liberté, à la justice, à l’amour, à la joie, ont besoin d’être enracinées dans des valeurs supérieures et permanentes, dans l’absolu de Dieu. En vérité, nous sommes ici au coeur du «projet éducatif» de tout enseignement catholique digne de ce nom. Avec Notre Bénédiction.



À LA RÉUNION DE LA SOCIÉTÉ ITALIENNE ET


FRANÇAISE DE NEUROLOGIE


Samedi 8 juin 1974




Mesdames, Messieurs,

C’est une simple salutation que Nous vous adressons ce matin, mais Nous voudrions qu’elle vous exprime, avec la joie et l’honneur que Nous éprouvons à vous recevoir, toute l’estime que suscite en Nous votre art médical et les voeux fervents que Nous formons pour son succès, en pensant à tous les malades nerveux et à leurs familles qui mettent en vous un grand espoir.

Sans entrer dans la complexité technique du programme de votre réunion romaine de neurologues, Nous relevons quelques aspects plus généraux de votre activité.

Et d’abord Nous soulignons l’intérêt majeur de la branche de la médecine que vous représentez. L’Eglise s’est toujours félicitée du progrès scientifique quand il est mis au service de l’homme. De tous les secteurs de la médecine, celui de la neuropsychiatrie constitue un secteur privilégié. C’est dans ce domaine que le progrès scientifique est vraiment saisissant. Ce qui semblait encore au début du siècle une «terra» presque «incognita» est devenu un terrain où le spécialiste, qu’il soit médecin chirurgien ou psychiatre, intervient avec succès. Une preuve éclate aux yeux de tous: la disparition progressive des asiles d’aliénés. L’étiquette même «asile d’aliénés» signifiait un constat d’échec. Le malade pour lequel on ne pouvait rien faire était mis à part, vraiment séparé des autres hommes, aliéné perdant les droits civiques qu’il tenait de sa personne humaine.

Actuellement, les hôpitaux psychiatriques ont pris la relève de l’asile d’aliénés. On tend à considérer davantage le malade comme un homme de plein droit, gardant une dignité inaltérable. Souvent, grâce au progrès de la thérapeutique, il est libre de ses mouvements.

On ne parle plus guère de camisoles de force, de chaînes. Ce que votre grand ancêtre Philippe Pinel (1745-1826) avait entrevu au siècle dernier, vous le réalisez aujourd’hui. A vous tous, nos félicitations et nos encouragements pour cette recherche opiniâtre à laquelle vous avez contribué par vos études et vos travaux, et aussi pour cette collaboration fructueuse que vous mettez en oeuvre, ici par exemple, entre neurologues italiens et français.

29 Nous voulons mettre en lumière un autre aspect de votre science: elle aide puissamment à comprendre la hiérarchie des valeurs dans l’homme. A l’heure actuelle, l’humanisme constitue la préoccupation dominante des mouvements sociaux, politiques, philosophiques, spirituels. Mais qu’est-ce donc que l’homme? Vous répondez qu’il y a en lui une hiérarchie de valeurs. Oui, l’homme est complexe: il faut veiller à ne pas le réduire au fonctionnement d’une partie de son être.

Le système nerveux central, ce cortex dont les cellules privilégiées, les cellules pyramidales paraissent jouir d’une perpétuelle jeunesse, commande à tout un ensemble. Neurologues, en vous donnant à votre spécialité, vous êtes amenés, plus que d’autres, à faire comme une «lecture» de l’être humain. Vous le voyez ainsi fait d’une hiérarchie de valeurs en dépendance de la zone privilégiée du cortex.

De ce fait, vous vous trouvez en harmonie avec la vision de Dieu Lui-même. Pour Dieu, l’homme est comme un faisceau de vies complémentaires, vie des organes, de l’affectivité, en dépendance des puissances supérieures de l’intelligence et de la volonté. L’homme fait à l’image de Dieu (
Gn 1 Gn 26) est d’abord intelligence et amour. Que le cortex, zone privilégiée du système nerveux, soit atteint, l’exercice de l’intelligence et de la volonté se trouve bloqué. Nous imaginons votre joie et nous y communions, quand, grâce à vos connaissances anatomiques et physiologiques, grâce à votre thérapeutique, vous retrouvez dans le regard d’un malade l’éclair de l’intelligence et que vous permettez à son coeur de retrouver aussi son élan.

Par le fait même, votre science est un appel au respect. Dieu vous fait l’honneur de continuer son oeuvre en donnant à un malade de redevenir pleinement un homme, ou du moins en soulageant sa misère, Vous le savez mieux que Nous, cette puissante thérapeutique, fruit de vos recherches, pourrait se retourner contre le but poursuivi et diminuer l’homme en perturbant l’exercice de son intelligence et de sa volonté. L’homme ne saurait non plus devenir un objet d’expérience. Sans nul doute, vous voyez le danger.

Mais le fait seul de votre présence ici, le désir exprimé d’entrer en contact avec le Chef de l’Eglise catholique, est une réponse à cette crainte. Vous ne voulez être qu’au service de l’homme. Nous nous en réjouissons profondément.

Cet hommage à votre service, à votre «ministère» pourrait-on dire, Nous vous le rendons comme témoin du Seigneur Jésus. Vous savez la compassion qu’il a manifestée pour tous ceux qui étaient comme liés au plus profond de leur être - c’est bien le cas des malades nerveux; vous savez la passion qu’il a mise à les soulager, corps et âme. Ceux d’entre vous qui partagent notre foi et notre espérance ont le réconfort de penser qu’ils participent, en ce monde et sur le terrain de la santé, à sa mission libératrice, à son souci des «pauvres» qui ont toujours une place de choix dans le coeur du Père. Même au-delà des progrès visibles, Nous savons qu’il est un domaine de l’âme où l’homme rejoint l’absolu et rentre en communication avec le Dieu vivant, avec sa vie. Dieu est plus grand que notre coeur.

Nous le prions de bénir tout ce que vous accomplissez avec l’intelligence et l’amour qu’il vous a donné de partager. Qu’au milieu des épreuves personnelles ou professionnelles, il vous comble de paix, de joie et d’espérance, avec vos familles, vos patients et tous ceux qui vous sont chers.


22 juin



LA SITUATION DE L’ÉGLISE ET DU MONDE DANS LA PERSPECTIVE DE L’ANNÉE SAINTE





Paul VI a reçu le 22 juin dernier Messieurs les Cardinaux résidants à Rome venus lui présenter leurs voeux à l’occasion de la Saint Jean-Baptiste, fête patronymique du Saint-Père. A l’adresse d’hommage du Cardinal Traglia, Doyen du Sacré Collège, le Pape a répondu par un long discours dont voici la traduction :



A vous tous, Messieurs les Cardinaux, et tout d’abord à l’interprète de vos voeux, le Cardinal Doyen, nous disons notre merci le plus vif pour la consolation, l’encouragement, la joie que nous procure, comme d’habitude, votre visite à l’occasion de notre fête et des anniversaires de notre élection et de notre couronnement. Les années se succèdent au rythme incessant du temps. Voici que se termine la onzième depuis l’élévation de notre humble personne au Siège de Pierre. Cette année, du reste, l’intensité du souvenir est plus riche et plus émouvante par suite de la coïncidence des dates : comme hier, il y a onze ans, en la solennité du Sacré-Coeur et en la fête de Saint Louis de Gonzague, le Seigneur nous appelait à l’inexprimable intimité de l’amour envers Lui et à la terrible responsabilité, soutenue par la seule foi, du service ecclésial, comme il avait fait le jour où II appela Pierre sur la rive du lac de Tibériade étincelant d’azur : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci !... Pais mes agneaux... pais mes brebis (Jn 21,15-16). La coïncidence des dates fait évoquer avec une plus grande vivacité ces heures heureuses ; elle fait jaillir aussi plus pleinement du fond du coeur le cantique de reconnaissance envers Celui qui est la force des faibles et le réconfort des humbles, car Il nous a visiblement soutenu pendant ce laps de temps qui, malgré tout, a marqué et marque encore une époque de vitalité extraordinaire pour l’Eglise. Cette période s’ouvrait sur le Concile Vatican II, commencé alors depuis un an, avec son vaste programme d’aggiornamento pour toute l’Eglise ; elle s’ouvre aujourd’hui sur les perspectives de renouveau et de réconciliation de l’Année Sainte. Le Seigneur nous a fait à tous la grâce de vivre à une époque merveilleuse de l’histoire du salut : à nous d’en tirer les conséquences afin que cette heure de grâce ne passe pas en vain.



Réflexion commune





C’est la première fois aujourd’hui que nous nous rencontrons avec vous après la proclamation officielle de l’Année Sainte par la Bulle Apostolorum limina du 23 mai dernier. Dans ce document, qui fixe tout un programme, nous écrivions entre autres : « Dix ans après la fin du Concile oecuménique Vatican II, l’Année Sainte nous semble devoir en quelque sorte marquer l’achèvement d’un temps consacré à la réflexion et à la réforme, et inaugurer une nouvelle phase de construction, grâce à un travail théologique, spirituel et pastoral. Cette action doit s’appuyer sur les fondements laborieusement établis et consolidés au cours des années passées, conformément aux principes de la vie nouvelle dans le Christ et de la communion de tous en Lui, qui nous a réconciliés avec le Père dans Son sang » (1). Et nous ajoutions : « Alors que depuis plus de dix ans, grâce au Concile Vatican II, une oeuvre importante et salutaire de rénovation a été entreprise dans le ministère pastoral, l’exercice de la pénitence et la liturgie, nous estimons très opportun que cette oeuvre soit révisée et reçoive de nouveaux développements. De la sorte, en tenant compte de ce qui a été fermement approuvé par l’autorité de l’Eglise, on pourra discerner et retenir, parmi les multiples expériences faites partout, celles qui ont une véritable valeur et sont légitimes ; on en poursuivra l’application avec encore plus de zèle selon les critères et les méthodes conseillés par la prudence pastorale et inspirés par une vraie piété » (IV).



Les maux de la société contemporaine





30 La rencontre d’aujourd’hui offre justement l’occasion d’une première réflexion en commun sur le sens et sur la dynamique du grand événement qui doit polariser la vie de l’Eglise en ce moment exaltant, mais plein de tensions.

Nous ne voulons pas souligner plus qu’il ne faut les maux dans lesquels se débat la société contemporaine. Toutefois, ils existent, et il ne serait pas réaliste de les ignorer par amour de la tranquillité. La condition de l’homme est terriblement aléatoire : la violence, sous toutes ses formes, l’avilit, le réduit au rang de simple pion d’un jeu aveugle, et il n’est pas rare qu’elle le détruise cruellement et sans piété ; l’influence déterminante des mass média le manoeuvre de l’extérieur, le conditionne dans ses sentiments et ses pensées, se substitue à lui en le faisant raisonner en sens unique, entraînant un nivellement dangereux de sa personnalité et en contradiction avec elle ; la société de consommation le rend esclave des besoins provoqués à dessein ; une conception aliénante de la vie l’absorbe totalement, le projetant assez fréquemment hors de la vraie dimension humaine qui est liberté, autodétermination, vie intellectuelle et spirituelle, joie de vivre. L’homme est surtout conditionné aujourd’hui par une atmosphère matérialiste dont il ne réussit pas à se libérer : vision de l’histoire, conception de la vie, loisirs, distractions et spectacles sont souvent totalement imprégnés d’hédonisme, de déterminisme, de matérialisme ; il n’est pas rare que même la science se présente d’une manière telle qu’au lieu de libérer l’homme de façon authentique, elle le pousse plus profondément encore dans ce courant matérialiste dont la force caractérise l’histoire et la culture contemporaines.



L’Eglise au service de l’humanité





Et pourtant, les solutions offertes par le nouvel humanisme ne peuvent certainement pas satisfaire l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et donc infiniment supérieur à la matière, même évoluée, qu’il transcende par l’esprit qui en lui vit, connaît, veut et aime. L’homme est fait pour le bien, pour le vrai, pour le beau ; il a en lui le commandement, qu’on ne peut supprimer, de « suivre vertu et connaissance » (dante, I, 26, 120) ; et s’il n’atteint pas Dieu, il ne trouve pas la paix à laquelle il aspire : Inquietum est cor nostrum (St. augustin, Conf. 1,1). Or l’Eglise a pour mission de rappeler tout cela à l’homme : en vertu de son caractère religieux et humain, elle est au service désintéressé de l’humanité, de toute l’humanité, sans distinction de mentalité, de race, de religion, de culture ; elle est comme une présence stimulante et bénéfique, comme le lieu privilégié de rencontre des hommes avec Dieu et entre eux pour découvrir ce qui les ennoblit et les unit, faisant d’eux des frères. Tel fut le grand message de la Bonne Nouvelle, que la Constitution Gaudium et Spes du Concile Vatican II a voulu appliquer d’une manière particulière, à l’homme d’aujourd’hui par ces nobles expressions : « En proclamant la vocation sublime de l’homme et en affirmant qu’un germe divin, est déposé en lui, le Concile offre au genre humain la collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne pousse l’Eglise ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’oeuvre ; même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi » (n. 3).

L’Eglise est aujourd’hui plus convaincue que jamais de cette vocation essentielle, qui lui appartient, d’annoncer au monde la « vérité qui rend libre » (cf. Jn Jn 8,32), de réveiller en l’homme la conscience de sa dignité, dont Dieu même est la source et le garant, d’être le ferment de renouveau salutaire pour l’ensemble de la société et de la civilisation elle-même.



Signes de temps





Aujourd’hui, grâce à Dieu, l’Eglise donne ce témoignage. En jetant un regard sur l’Eglise de l’après-Concile, nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer notre admiration pour la vitalité dont elle fait preuve ; pour les manifestations, nombreuses et authentiques ; de renouveau évangélique qu’elle nous donne ; pour la profonde fidélité des communautés diocésaines, paroissiales et religieuses dans leur immense majorité ; pour l’abnégation avec laquelle évêques et prêtres poursuivent un ministère devenu, dans beaucoup de pays, si difficile ; pour le témoignage de très nombreuses âmes consacrées, totalement données à Dieu et aux âmes, dans les cités populeuses comme dans la solitude des cloîtres, dans les terres de mission, dans les banlieues issues d’un urbanisme hâtif, où l’homme notre frère pleure et souffre ; enfin pour la marche lente et patiente vers l’unité de tous les chrétiens. On note partout aujourd’hui un grand besoin de prière, qui se manifeste aussi sous des formes particulières d’écoute de la voix de l’Esprit ; malgré nombre de douloureuses réalités que nous n’ignorons pas, les jeunes sont plus assoiffés d’authenticité, ils sont honnêtes, réfléchis, généreux, et ils manifestent d’une manière plus prononcée le besoin de surnaturel qui les anime ; la fréquentation des sacrements est consolante ; et le Saint-Siège, en la décennie écoulée depuis la promulgation de la Constitution conciliaire sur la liturgie, a tout fait pour l’alimenter et la favoriser (le récent Ordo Paenitentiae en est le dernier témoignage dans le temps, et il s’ajoute aux innombrables prescriptions concernant l’Eucharistie et la communion, sans compter celles qui se réfèrent aux autres sacrements).

C’est tout un mouvement de sanctification, qui se traduit concrètement par l’intérêt porté aux problèmes de nos frères les plus éprouvés et de ceux qui souffrent le plus. Il démontre, même dans sa complexité et dans les divers aspects qu’il revêt selon les pays et le génie des peuples, combien l’Eglise d’aujourd’hui, a tous les niveaux, est pénétrée de sa mission de témoin vivant du Christ dans le monde. Mais pour se mettre toujours davantage en mesure de rendre ce service, l’Eglise sent le besoin de s’améliorer. L’élan qui déjà vit en elle a besoin d’être vivifié et mieux canalisé vers ses grandes tâches. Voilà le but et la finalité de l’Année Sainte ! Telle est l’occasion que nous avons voulu saisir pour offrir à l’Eglise universelle un motif de plus de se rendre davantage fidèle à sa vocation et plus Crédible, c’est-à-dire plus apte à exercer dans la société contemporaine, dont nous n’ignorons pas les ombres, son rôle essentiellement prophétique et sanctificateur. Si le matérialisme semble étouffer ici ou là l’élan intérieur de l’homme, l’Eglise sait qu’elle doit rappeler cet homme au sens de sa dignité première et de son destin eschatologique, et elle veut se rendre toujours plus digne, plus capable et plus engagée dans la réalisation de cette mission qui est sienne.



Motifs de confiance





Cette conscience universelle, ce mouvement, sont déjà commencés dans les Eglises locales et se développent avec une grande intensité. Les échos nous en parviennent de toutes les parties du monde et, directement, grâce aux évêques que nous avons la consolation de rencontrer presque chaque jour au cours de leur visite ad limina, dans des moments de communion cordiale, ouverte, confidentielle et dans des conversations ecclésiales qui nous font pour ainsi dire toucher du doigt, dans leur réalité concrète, les difficultés que l’action pastorale rencontre partout. Ils nous donnent aussi la possibilité d’écouter, de la bouche même de ceux qui les vivent, les témoignages nombreux et toujours nouveaux de la vitalité vigoureuse et inépuisable de l’Eglise, dont nous avons parlé. Nous sortons de ces rencontres fortifié et édifié par le zèle que nous voyons déployé par les Pasteurs et leurs collaborateurs dans les Eglises locales, par la fidélité généreuse et silencieuse que confèrent souvent à leur fonction le poids et la dignité de la croix, par l’activité prévoyante, enfin, que nous voyons si bien orientée et animée par les Conférences épiscopales dans tous les continents.

Tout ceci ne peut pas ne pas autoriser la confiance, une grande espérance, un optimisme supérieur. Les problèmes sont graves, certes, nous ne nous les cachons pas et nous ne les avons pas passés sous silence : mais les motifs que nous avons de nous attendre au profond renouveau en vue duquel a été proclamée l’Année Sainte l’emportent. Comme nous vous le disions l’année dernière en cette même occasion, à vous, membres du Sacré Collège, nous considérons les années passées comme « seulement une promesse, une préparation pour une nouvelle croissance, pour une nouvelle période au cours de laquelle s’accomplira un grand pas en avant... Un nouveau frémissement de vie et de générosité, un nouvel élan de foi et d’activité doivent parcourir la communauté ecclésiale tout entière pour atteindre les buts qui s’ouvrent devant elle » (AAS 65, 1973, PP 381,133 pp. 381, 389 ; Doc. Cath. 1973, n. 1636 du 15 juillet 1973, PP 651,143). Rempli de cette espérance, soutenu par cette confiance, nous regardons avec un réalisme tranquille les conditions contingentes de l’Eglise d’aujourd’hui: aussi bien à l’intérieur d’elle-même, dans les différents secteurs où elle exerce son activité, qu’à l’extérieur, dans ses contacts avec les problèmes que la société civile tourmentée pose aujourd’hui au monde.



Regard à l’intérieur de l’Eglise





Si nous jetons un regard sur l’Eglise ad intra, nous voyons combien est complexe la réalité qui absorbe toute notre attention.

1. Dans le domaine doctrinal et moral, il ne manque certes pas de périls et de déviations. Nous ne cessons d’appeler sur eux l’attention de tous nos Fils, spécialement par la catéchèse continuelle des audiences générales. Mais même sur ce point, si délicat, il nous semble que doit s’exercer cet effort de réconciliation qui caractérise la célébration de l’Année Sainte. L’Eglise doit mieux retrouver son identité dans l’unité pour laquelle le Christ a prié à la dernière Cène. Tous les courants qui existent à l’intérieur de l’Eglise doivent faire un effort sincère pour se retrouver dans l’unité univoque et organique, indissoluble et infrangible de la foi et de la charité.

2. Dans le domaine pastoral, les responsabilités et les problèmes qui doivent attirer l’attention commune ne sont pas moins grands. Le Synode des Evêques, qui se réunira au moins d’octobre prochain, réfléchira sur le formidable point d’interrogation que pose la manière d’accomplir l’oeuvre d’évangélisation dans le monde contemporain. Ce domaine est très vaste. Mais ce qui requiert une attention particulière, c’est le problème de la participation toujours plus vive et plus profonde de toutes les composantes de la communauté ecclésiale à la vie de cette dernière.


Discours 1974 25