Discours 1974 31

31 Nous parlerons de trois de ces composantes qui nous tiennent particulièrement à coeur : le laïcat, les prêtres, les aspirants au sacerdoce et à la vie religieuse.


le laïcat





Nous pensons en premier lieu au cher laïcat catholique. Malgré tous les déséquilibres qui révèlent, comme nous voulons le penser, un état de transition, de recherche et de croissance, nous devons nous demander avant tout comment aider les laïcs en les admettant à une participation réelle et toujours plus intense à la vie de l’Eglise. Le Saint-Siège, attentif aux signes des temps, ne laisse passer aucune occasion, par ses mesures de caractère liturgique et doctrinal, à propos du renouveau catéchétique, structurel, social, d’insérer de manière toujours plus active les hommes et les femmes de notre temps dans le dynamisme de la vie de l’Eglise. Les signes consolants de réponse ne manquent pas, même s’il y a encore beaucoup à faire, beaucoup à changer pour que le laïcat catholique participe effectivement à l’effort constant d’évangélisation et de service de l’Eglise.

Il faut évoquer également les problèmes que le Saint-Siège ne cesse de suivre en collaborant attentivement avec les organismes internationaux; il y a là un signe de sa volonté de sensibiliser les laïcs aux problèmes les plus graves de la vie du monde d’aujourd’hui : ces problèmes attendent en fait aussi la collaboration de tous les membres de l’Eglise, car leur appartenance à celle-ci ne les isole pas et ne le rend pas étrangers au laborieux concert des Nations et des Institutions supranationales, visant à procurer au genre humain une condition toujours plus juste, plus digne et plus sereine dans son existence et dans son travail.



LES PRÊTRES





Avec le laïcat, notre cher clergé est l’objet de nos soins principaux. L’Année Sainte appelle tous les prêtres à se confronter avec les exigences de leur vocation ; elle les appelle à suivre de plus près le Christ Crucifié, aujourd’hui encore, comme au temps de Paul, scandale et folie, mais établi par Dieu et pour tous Sagesse, Justice, sanctification et rédemption (cf. 1Co 1,18-31) ; elle les appelle à trouver leur propre identité en Lui seul et dans la manière apostolique de vivre. Nous savons comment une recherche parfois torturante de leur situation dans la communauté a conduit certains prêtres à confondre leur mandat personnel avec une destination confusément sociale, politique, pragmatique, qui les ont amenés à calquer leurs attitudes sur celles du monde, à s’immerger dans la sécularisation. Mais nous voudrions dire à tous les prêtres, pour encourager ceux qui sont fervents et éclairer ceux qui sont troublés, que l’unique identité pour nous est celle que nous avons avec le Christ. C’est Lui notre modèle : Lui qui fut pauvre, humble, sacrifié, tendu uniquement vers la gloire du Père et le salut des âmes. Telles sont les réalités qui ont fait brûler le Coeur du Christ : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il fût déjà allumé ! » (Lc 12,49). Comme Jésus, comme les Apôtres, les prêtres sont au service total de Dieu et de l’homme : voilà leur destination. D’où par conséquent le devoir de leur formation, qui leur incombe en un continuel « crescendo » : formation spirituelle pour enrichir la vie de l’âme, pour s’affiner dans la piété et l’intimité avec Dieu, par un effort de pénitence et de renouveau intérieur qui, en cette Année Sainte, doit fortifier l’esprit des prêtres et des séminaristes ; formation pastorale, en cherchant et en se demandant, à la lumière des documents de Vatican II, comment servir de manière plus efficace le monde dans lequel ils sont appelés à vivre et à travailler au nom du Christ ; formation doctrinale, enracinée dans la foi et adaptée à notre époque, qui les aide à mieux comprendre le monde, par une étude non seulement phénoménologique, mais nourrie de la sève vitale de la Révélation et de la Tradition, afin d’avoir une pensée solide, d’être ainsi le levain dans la pâte et de porter au monde la lumière du Christ.



LES VOCATIONS SACERDOTALES ET RELIGIEUSES





En nous arrêtant, un instant sur la situation du clergé, nous ne pouvons pas passer sous silence un problème que tous les prêtres et la communauté catholique tout entière doivent avoir à coeur, car l’avenir même de l’Eglise en dépend pour une grande part : c’est celui des vocations. La crise qu’elles traversent préoccupe beaucoup, avec nous, nos confrères dans l’épiscopat et les responsables des Familles religieuses masculines et féminines. La grande insistance mise, justement pendant l’Année Sainte, sur la nécessité d’une plus grande sainteté de vie — c’est-à-dire d’un retour à la plénitude d’une foi consciemment professée et à une manière authentique d’agir en homme et en chrétien, à l’intériorité de la médiation et de la prière qui est la base de l’activité du chrétien — impose avec force à notre responsabilité de réfléchir aux causes profondes d’une situation si largement ressentie.

D’abord les causes plus générales : essentiellement cette « evisceratio mentis » dont parlait déjà Saint Bernard de Clairvaux, qui fait que l’homme d’aujourd’hui manque à la fois de temps et de goût pour la méditation intime, pour ce silence intérieur dans lequel, seulement, il est donné de se connaître vraiment soi-même et d’écouter les appels qui pour certains se traduisent par l’invitation persuasive : « Viens, suis-moi ! ». Ensuite la sécularisation diffuse qui, si facilement, éloigne ou tient éloigné du sacré. Mais également un sens d’incertitude et comme de provisoire, favorisé par une certaine problématique théologique, qui décourage de se lancer dans une vie riche de satisfactions spirituelles, mais aussi de sacrifices et de renoncements, et que seul est capable, d’affronter celui qui peut, avec un enthousiasme tranquille et courageux, se donner à la mission de porter à ses frères les certitudes de la foi.

Il est donc nécessaire d’y opposer la réaffirmation sereine de ce qui rend grande, belle et indispensable dans l’Eglise la vocation sacerdotale et religieuse. Aujourd’hui encore, davantage peut-être qu’à d’autres, époques, le peuple chrétien doit prier avec insistance le Maître de la moisson d’appeler des ouvriers en nombre suffisant (cf. Mt Mt 9,38).

Il appartient ensuite à l’Eglise de faire en sorte que les germes de vocation semés par le Seigneur ne soient pas amenés à se dessécher par manque de nourriture intérieure de piété et d’éducation adéquate, au point de vue humain et surnaturel.

Notre pensée et notre salut vont ici à tous ceux qui s’emploient généreusement à faire bien répondre les institutions de formation ecclésiastique et religieuse aux nouvelles exigences du temps, dans la fidélité aux traditions sages et encore valables qui ont été éprouvées par des générations et des générations de prêtres, de religieux et de religieuses saints et zélés.



Pour la liberté de l’Eglise





Nous ne pouvons pas toutefois taire non plus la blessure qui se rouvre en notre coeur chaque fois que, en pensant à l’Eglise, nous devons rappeler les souffrances, les limitations, les pressions auxquelles elle est encore aujourd’hui soumise en différentes parties du monde, jusqu’à ne pas être en mesure, parfois, de rester en contact avec le reste du monde catholique et avec le Siège Apostolique, ne fût-ce que pour communiquer des nouvelles de son existence et de ses problèmes.

32 Et pourtant même de ces régions, malgré ces oppressions et ces silences, réussit de temps en temps à nous parvenir un témoignage attestant que l’Eglise survit, et même qu’elle vit parfois de manière d’autant plus profondément tenace et authentique que plus grandes sont les ténèbres qui l’enveloppent et l’héroïsme requis par sa fidélité au Christ et au Siège Apostolique.

En ce qui nous concerne, nous continuons à tenir cette Eglise souffrante dans notre coeur, comme la partie de prédilection de la grande famille chrétienne, vers laquelle se porte toute notre affection et à laquelle nous nous efforçons de nous consacrer en la servant humblement mais fidèlement.

Ainsi, nous ne nous lasserons pas de prier ni d’inviter le peuple chrétien à prier pour elle, et nous ne nous lasserons pas non plus de mettre en oeuvre tous les efforts possibles pour l’aider et nous attacher à soulager ses malheurs.

Nous confions ces problèmes de l’Eglise particulièrement aux Saints et aux Bienheureux que nous avons eu la grâce de désigner cette année à la vénération de tous ; nous les confions à Celle qui est la Mère très aimante de l’Eglise, la Vierge Marie, et dont nous avons voulu récemment rappeler au monde chrétien les titres qui Lui font mériter notre vénération, notre culte, notre confiance, et qui nous font voir dans son intercession la protection sûre de notre vie et du salut de l’humanité.



Regard à l’extérieur de l’Eglise





C’est aussi notre habitude, en cette circonstance, de jeter un regard sur le monde dans lequel vit l’Eglise et auquel elle doit apporter un intérêt et un service particuliers.

Nous savons que l’humanité, dans son ensemble, connaît une période de mutations et de troubles, dus à l’apparition de force économiques opposées dont le contrôle tend à échapper, à ceux qui voudraient et devraient au contraire les dominer, et à l’épuisante aspiration des peuples à des structures plus justes, sous la poussée d’insatisfactions qui remettent en question les rapports sociaux, et politiques, soit à l’intérieur des communautés nationales, soit de pays à pays ou de continent à continent.

Nous ne pouvons certes pas énumérer tous les graves problèmes dans lesquels se débat aujourd’hui la société internationale. Qu’il nous suffise de répéter que le Saint-Siège offre son humble collaboration aux hommes de bonne volonté pour résoudre inquiétudes et préoccupations. Mais nous ne pouvons taire le spectre de la faim et de la soif qui semblait disparu ; au contraire il est en train de revenir et de menacer dans son effrayante réalité, en ces mois mêmes, du fait de la sécheresse qui continue à désoler une large tranche du continent africain, de la Mauritanie à l’Ethiopie. Voici un an, notre premier appel à une entraide fraternelle fut accueilli par de nombreuses organisations, surtout catholiques ; nos envoyés ont visité les régions frappées et nous ont rapporté l’écho de leur admiration devant le courage avec lequel ces populations, pourtant épuisées et décimées, résistent à la menace quotidienne de mort qui pèse sur les personnes, les animaux et les plantes. Nous voudrions que les espoirs de vie et les efforts courageusement accomplis ne soient pas vains ; et nous adressons un nouvel et pressant appel à la charité de tous les chrétiens, de tous les hommes, pour qu’ils renouvellent le concours de leur assistance concrète, suffisante et opportune.



Irlande du Nord et Moyen-Orient





Bien qu’il ne soit pas dans nos intentions d’étendre ce discours, comment pourrions-nous ne pas mentionner la tragédie persistante et les explosions de violence en Irlande du Nord, et les autres nombreux points de souffrance sur l’échiquier du monde ? Ainsi nous ne voulons pas passer sous silence la nouvelle lueur d’espoir que l’intense activité et la convergence des communs efforts d’hommes hautement responsables ont allumé pour la paix au Moyen-Orient. Paix si désirée et si difficile !

Le Siège Apostolique, qui a toujours suivi avec le plus cordial intérêt et la plus vive participation la succession des événements dans ce secteur, et qui a toujours engagé et mis à la disposition de tous ses possibilités, si modestes soient-elles, de favoriser le commencement d’une solution équitable et pacifique du long conflit, ne peut pas ne pas exprimer à présent sa propre satisfaction pour ce qui a été accompli, tout en faisant des voeux pour ce qui reste à faire.

Pour notre part, nous ne voudrions pas manquer d’encourager tous les responsables à n’omettre aucun effort — de bonne volonté et de sagesse politique — dans la recherche d’un moyen juste et digne pour dénouer le problème tellement difficile et tellement douloureux du sort des populations palestiniennes.

Animé de sentiments de sincère amitié pour tous les peuples de cette région glorieuse et tourmentée, également sensible aux droits et aux légitimes aspirations de chacun d’entre eux, participant, sans distinction, à la douleur de l’une et l’autre partie, lorsque la violence vient à les frapper en faisant des victimes même parmi les innocents et les gens sans protection, nous ne pouvons pas ne pas revenir à ce problème et ne pas élever notre voix, écho de la conscience des exigences de justice de l’humanité, en faveur de tant d’êtres humains qui attendent, grâce à la paix, la fin d’une situation d’abandon et de souffrances qui se prolonge pour eux depuis trop longtemps.

33 Il nous faut ajouter un mot au sujet de Jérusalem. Nous souhaitons de nouveau que, grâce à la juste solution que nous espérons, la Cité Sainte ne demeure pas une cause de rivalité persistante et de revendications continuelles pour les trois grandes familles spirituelles qui regardent vers elle comme vers un centre d’affection religieuse et jalouse, mais puisse devenir signe de paix et de concorde.



Voeux pour les territoires africains





Nous ne pourrions terminer sans faire entendre un autre espoir et un autre voeu ardent que nous portons au fond du coeur. L’un et l’autre ont trait aux territoires africains du Mozambique, de l’Angola, de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert.

Il s’agit de régions et de populations qui nous sont particulièrement chères, notamment par la diffusion que le message évangélique y a connu.

Notre position à l’égard des problèmes qui ont surgi en elles et à leur sujet au cours des dernières années a été claire et nette : elle favorisait une évangélisation libre et responsable en même temps que le développement civil des territoires en question, et, dans l’évolution de leur maturation historique, elle s’inspirait des principes de justice que nous avons souvent fois proclamés, en particulier à l’occasion de notre visite à Kampala pendant l’été 1969, et de la juste prudence qui doit présider à l’application ordonnée et efficace de ces mêmes principes. Exprimée avec la discrétion que les circonstances exigeaient de nous, cette position était bien connue des sphères les plus responsables. Et nous avons été encouragé en la voyant reconnue et appréciée par des représentants directs et des Chefs d’Etat africains, intéressés plus que d’autres à une situation qui touchait l’âme et les exigences de leur continent tout entier, et, en certains cas, les intérêts vitaux de leurs pays respectifs.

Et maintenant nous souhaitons que la bonne volonté, le sens de la justice et des exigences historiques actuelles, la compréhension des droits des populations des territoires en question et de leurs intérêts légitimes, communs et supérieurs, conduisent à cette solution prompte et satisfaisante qui semble correspondre aux désirs et aux résolutions des responsables.



Désir ardent d’unité





En terminant cet examen, ample mais nécessaire, de la situation générale, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, nous ne pouvons manquer de relancer notre appel à la nécessité du renouvellement et de la réconciliation dans l’amour, selon le thème de l’année jubilaire. Nous devons tous nous sentir davantage engagés dans un effort honnête et sincère en faveur de l’unité qu’il s’agit de recomposer, en nous-mêmes, dans les familles, dans les façons dont s’exprime la vie ecclésiale et sociale à tous les niveaux, entre catholiques et non catholiques, entre les diverses nations. De l’unité interne de l’Eglise doit surgir une volonté générale d’union avec tous, d’amour plus vigoureux et plus universel : « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21).

Etant désormais au seuil de l’Année Sainte concernant l’ensemble de l’Eglise — nous l’ouvrirons dans la nuit de Noël —, nous ne pouvons pas ne pas éprouver une immense gratitude pour les dons que Dieu continue à déverser sur son Eglise. Et nous ressentons l’obligation de prendre en conséquence, avec plus d’ardeur, un nouvel élan de vitalité pour la mission que nous devons tous accomplir dans l’Eglise elle-même, afin d’en accroître, sans jamais nous lasser, la beauté intérieure et extérieure. Le Docteur angélique, dont nous célébrons cette année le VII° centenaire de la mort, met bien en relief cette beauté : « La splendeur de l’Eglise réside principalement dans sa vie intérieure. Mais les actes extérieurs contribuent aussi à cette splendeur, dans la mesure où ils procèdent de l’intérieur et entretiennent la beauté intérieure » (cf. St. TH., in IV Sent. d. XV, q. 3, a. 1 sol. ad 4).

Voilà ce qui doit sans cesse dominer toutes nos pensées, afin d’aimer toujours davantage notre Sainte Eglise, pour en promouvoir l’accroissement, pour en respecter l’organisme dans lequel vit l’Esprit Sanctificateur et par le moyen duquel Il agit.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





AUX JOURNALISTES CATHOLIQUES DE BELGIQUE


Mercredi 26 juin 1974




Mesdames, Messieurs,

34 Chaque année, c’est avec une joie renouvelée que Nous recevons votre délégation.

Votre fidélité à organiser, dans les journaux de votre pays, la souscription «Etrennes pontificales», Nous émeut profondément.

Nous voyons dans votre geste, non seulement une générosité louable, dans une visée caritative, mais un sens réaliste de l’Eglise, dans la ligne de ce que Saint Paul organisait dans ses communautés chrétiennes pour celle de Judée. Vous avez compris, et su faire comprendre à vos compatriotes, les besoins croissants du Saint-Siège pour lui permettre de faire face à son rôle pastoral au profit de l’unité de l’Eglise, et à son témoignage de charité, au service des frères les plus démunis. Cette confiance vous honore et Nous réconforte.

Nous vous exprimons notre vive reconnaissance, la nôtre et celle de tous ceux qui vont bénéficier de vos largesses. Vous saurez traduire cette gratitude à toutes les personnes et institutions qui ont chargé vos mains de ces dons, à notre intention.

Nous formons des voeux chaleureux pour vos familles. Nous n’oublions pas non plus votre activité professionnelle: Nous prions souvent le Seigneur pour que la presse, comme les autres moyens de communication sociale, aide nos contemporains à découvrir le vrai, le beau, le bien, stimule une solidarité bienveillante, toujours plus universelle. En gage des lumières et de la force du Seigneur, Nous vous donnons notre affectueuse Bénédiction Apostolique.



AUX PARTICIPANTS À LA XXI RENCONTRE ASSYRIOLOGIQUE INTERNATIONALE


Vendredi 28 juin 1974




Chers Messieurs,

Nous sommes à la fois heureux et honoré de votre visite. Nous savons à quel degré vous avez poussé les recherches en assyriologie que vous mettez aujourd’hui en commun, dans cette vingt-et-unième Rencontre internationale. Ce travail hautement scientifique et cette collaboration méritent vraiment notre estime et nos encouragements, à plus d’un titre.

Les très anciennes civilisations dont vous déchiffrez les écritures cunéiformes, les vestiges archéologiques et, partant, l’histoire elle-même, révèlent les témoignages émouvants d’un progrès technique, d’une vie, en société, réglée souvent par une minutieuse administration, d’une sagesse et d’une recherche religieuse. Certes, nous savons que «les civilisations sont mortelles», mais comment celles d’aujourd’hui pourraient-elles négliger leurs lointains enracinements? A plus forte raison si nous considérons l’évolution de ces sociétés sumérienne, élamite, accadienne, hittite, cananéenne, et l’évolution de leurs Panthéons, qui sont l’objet de votre Congrès. On y lit la marche tâtonnante de l’humanité, avec ses ombres et ses lumières; l’histoire est maîtresse de vie. C’est votre honneur de mettre tant de compétence, tant de patience, à dégager la vérité historique, avec la prudence que requièrent synthèses et conclusions. A ce titre, Nous nous permettons de vous féliciter. Nous nous réjouissons des grands pas déjà accomplis, du consensus qui tend à s’établir sur l’interprétation de données forcément fragmentaires. Et Nous vous souhaitons de nouveaux progrès au bénéfice de la culture humaine, que l’Eglise elle-même encourage comme un service de l’homme.

Nous y sommes d’autant plus sensible que vos recherches concernent le Proche-Orient qui fut en quelque sorte le berceau de la Tradition biblique dont nous sommes les héritiers. Beaucoup de témoignages, consignés dans la Bible, prennent un relief nouveau lorsque l’on connaît les traditions voisines, plus anciennes ou contemporaines - Nous pensons aux fameux textes épiques ugaritiques - avec lesquelles les Hébreux ont été en rapport, qui les ont influencés dans leur sagesse, ou au regard desquelles leurs prophètes ont pris une attitude démythifiante, à cause de leur foi en Yahvé.

Nous croyons, Nous, que c’est l’Esprit du Dieu vivant qui a sans cesse purifié et élevé leur conscience, mais il l’a fait à travers une histoire, une culture, une «matière» fortement enracinées dans l’humanité. C’est la loi de l’Incarnation. De même qu’il serait difficile de comprendre l’oeuvre du Christ en dehors de la Tradition biblique qu’il a assumée, de même, au nom de la vérité qui doit être notre premier souci, il paraît difficile de lire aujourd’hui l’Ancien Testament en faisant fi de son enracinement culturel. Le progrès des sciences assyriologiques nous y aide et Nous félicitons l’Institut Biblique de Rome et l’Ecole Biblique de Jérusalem d’avoir saisi cette chance. Nous sommes fiers de tous ces religieux qui n’ont pas ménagé leur peine dans ce déchiffrage. La foi qui nous tient tant à coeur ne peut que gagner à cette honnête et sérieuse recherche.

35 Nous ne pouvons Nous empêcher de penser aux paroles de Jésus à la Samaritaine, tout attachée encore au Temple du mont Garizim: «L’heure vient - déjà même elle est là - où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité» (Jn 4,23). Ce «visage» de Dieu, beaucoup l’ont cherché, le cherchent aujourd’hui, comme à tâtons. Et certes, il n’est pas loin de chacun de nous (Cfr. Act Ac 17,27). Nous le prions de vous assister dans vos travaux, où Nous voyons une recherche passionnée de la vérité et une approche sympathique des hommes. Nous le prions aussi de bénir vos personnes, vos familles et vos amis.



AUX MALADES DE L’«HÔPITAL DE GARCHES»


Mercredi 21 août 1974




Chers Fils et chères Filles des «Routes d’Italie»,

Ce n’est pas la première fois que Nous accueillons des représentants de votre Association, et pourtant une rencontre comme celle-là procure toujours une joie nouvelle et laisse un souvenir très profond. Nous aimons en effet contempler en vous l’image d’une véritable communauté, dans laquelle chacun sait qu’il peut compter sur les autres, dans laquelle fleurissent le sourire, la sérénité, le don de soi, le goût de l’effort, le courage devant les épreuves.

Comme Nous voudrions qu’il en soit partout ainsi! que les relations entre les hommes soient empreintes de la même fraternité et du même idéal de service mutuel désintéressé!

Vous voyez, chers amis, pourquoi Nous tenons en grande estime l’oeuvre fondée à Garches par l’Abbé Fallot, car c’est une bonne école pour surmonter résignation et égoïsme, pour enrichir son esprit grâce aux découvertes et aux échanges culturels que permettent les voyages, et enfin pour apprendre à élargir son coeur aux dimensions mêmes du Coeur du Christ.

Dans cet entretien familier, puissiez-vous comprendre toute l’affection Paternelle que Nous vous portons: vous surtout qui souffrez durement dans votre chair, en souhaitant que la flamme de l’espérance brille encore plus fort dans vos yeux; vous, les membres des services hospitaliers, dont le dévouement entend rivaliser avec la compétence médicale; vous aussi, organisateurs et moniteurs bénévoles, Nous vous félicitons, vous encourageons et prions pour vous.

En visitant Rome, en vous rendant ensuite à Assise auprès de saint François et de sainte Claire, que votre foi grandisse et que votre amour de l’Eglise se fortifie! Nous le demandons pour vous au Seigneur, en vous bénissant particulièrement.





AUX PARTICIPANTS À LA 25e ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE PHARMACEUTIQUE, SUR LES GRAVES QUESTIONS CONCERNANT LA CONCEPTION

Samedi 7 septembre

« NE PAS CONSIDÉRER LE PROBLÊME DES NAISSANCES SEULEMENT SOUS L’ANGLE MATÉRIALISTE »





Recevant les membres de la 25° Assemblée Générale de la Fédération Internationale Pharmaceutique, le Saint-Père a prononcé une allocution dans laquelle il est revenu sur le problème des naissances. Le Pape s’est exprimé en ces termes :



36 Nous avons volontiers accepté, Mesdames et Messieurs, cette occasion de vous rencontrer au moment où vous achevez à la fois les travaux de la vingt-cinquième Assemblée générale de la Fédération internationale pharmaceutique et du trente-quatrième Congrès international des Sciences pharmaceutiques. Nous vous adressons notre salut cordial, et, sensible à votre confiance, nous vous remercions des sentiments que vous venez d’exprimer.

Vos travaux tirent leur importance non seulement de leur valeur scientifique, et de la contribution qu’ils apportent à une meilleure connaissance des réactions de l’organisme humain aux diverses thérapeutiques, mais surtout parce qu’ils ont pour objectif, à travers vos diverses spécialités, le soulagement de la souffrance, le mieux-être et la guérison des hommes. Cette rencontre que vous avez voulue Nous est agréable : elle Nous donne l’occasion de vous exprimer notre respect. Le thème particulier de vos travaux et les problèmes qu’ils posent à la conscience Nous engagent aussi à vous proposer quelques-unes de nos convictions à ce sujet.

Qu’il Nous soit donc permis de vous demander d’abord, à vous qui êtes formés à l’étude et à la réflexion, de prendre le temps nécessaire pour approfondir vraiment la doctrine ferme et constante de l’Église concernant les graves questions relatives à la conception humaine. Les documents ne manquent pas en ce domaine, jusqu’à notre encyclique « Humanae Vitae » qui a explicité cet enseignement sur le point dont vous avez fait un des principaux objets de vos travaux. Cet enseignement développe en effet la vision globale de l’homme (cf. n. 7), dans sa dépendance du Dieu Créateur comme dans sa vocation surnaturelle: elle seule est vraiment éclairante et sa vérité ne saurait dépendre des réactions de l’opinion. C’est pourquoi Nous encourageons fortement tous ceux qui veulent mettre le souci de l’homme au premier plan de leurs préoccupations, à faire l’effort d’élargir leurs perspectives, de relativiser des points de vue unilatéralement grossis par la propagande, pour parvenir à un jugement sain et équilibré sur les valeurs en cause. Il s’agit de mettre l’homme sur le chemin d’une paternité responsable. Et dans le message déjà cité (cf. n. 24), comme d’ailleurs l’avait fait le Concile Vatican II, Nous invitions les hommes de science à faire converger leurs études et leurs réalisations pour favoriser une saine régulation de la procréation humaine.

Certes le problème de la limitation des naissances demeure un problème complexe, qu’il faut considérer avec sagesse sous tous ses aspects, humain, éthique, culturel et non pas seulement sous l’angle matérialiste de la quantité. Notre Délégation à la Conférence mondiale de la population qui s’est tenue récemment a Bucarest l’a clairement exposé, tout en réaffirmant sans ambiguïté le refus de l’Église d’accepter les pratiques contraires au respect dû à la vie humaine, comme l’avortement, la stérilisation, la contraception par des moyens qui ne respectent pas les lois de la transmission de la vie. Car la mission qui est la nôtre nous impose de défendre sans relâche la vie humaine, ce don inestimable de Dieu, et les lois sacrées qui la régissent.

Oui, que ce soit le plan de la recherche scientifique, des réalisations de laboratoire, ou au niveau personnel de la maîtrise de soi des époux, il faut savoir payer le prix d’une vie véritablement humaine, conforme au dessein de Dieu. Sur le Plan économique aussi bien sûr : on ne peut en conscience chercher une source de bénéfices dans la distribution de produits qui avilissent l’homme et l’amour, ou qui tuent la vie.

Les exigences que Nous venons de rappeler demandent aujourd’hui beaucoup de conviction et de courage, dans la situation de compromis où baignent nos contemporains. Mais ces difficultés ne doivent pas vous faire reculer car les orientations prises par la société dépendront en partie de la vigueur de votre sens moral. Nous vous disons notre confiance et demandons au Seigneur de vous éclairer, de vous fortifier de sa grâce, et de bénir votre volonté de service, pour le bien de tous.






14 septembre



PÈLERINAGE DU PAPE À LA PATRIE DE ST THOMAS D’AQUIN





Le Saint-Père s’est rendu le 14 septembre dans la région d’Aquin, patrie de Saint Thomas. Voici la traduction des deux allocutions prononcées par le Pape, lors de ce bref voyage, à Fossanova et à Aquin :



A Fossanova





Frères et Fils très chers,



Nous sommes venu à Fossanova pour vénérer Saint Thomas d’Aquin là même où il mourut il y a sept cents ans, le 7 mars 1274, âgé d’environ cinquante ans. Nous pensions faire cette visite, presque furtivement, à titre de dévotion privée ; mais les circonstances l’ont emporté sur notre intention. La présence de si nombreuses personnalités ecclésiastiques, religieuses, civiles, et celle d’une si grande foule désireuse de s’associer à notre acte de piété religieuse, fait que notre humble hommage personnel revêt un caractère public et devient cérémonie commémorative. C’est d’ailleurs bien mieux, en raison de l’hommage collectif et significatif qui est ainsi rendu à la mémoire de ce Saint, si digne de notre souvenir et de notre vénération commune ; grâce également à l’occasion qui nous est donnée de vous rencontrer tous et de vous saluer en tant que fidèles croyants, pénétrés de l’estime due à un si grand Saint et dans tout ce que vous êtes et représentez en ce moment et en ce lieu ; et enfin parce que nous nous sentons obligés de vous adresser une parole, très simple et dénuée de toute prétention d’être à la hauteur du thème si élevé, que la mention du grand Docteur exigerait de nous et pour vous ; une parole liée davantage au caractère liturgique de cette cérémonie qu’à la célébration du Saint que nous voulons honorer et invoquer.

Nous dirons donc seulement quelle est la raison — une des raisons ! — qui semble émerger de l’évocation de la mémoire de Saint Thomas provoquée par notre pieuse excursion, accomplie avec joie en cette fin d’été.

37 Nous trouvons immédiatement cette raison si nous nous demandons tous nous-mêmes : pourquoi sommes-nous ici ? Etant donné le caractère de cette assemblée, ce n’est certainement pas pour accomplir seulement un geste de vénération religieuse, comme si, à l’évocation intérieure du Saint, nous nous inclinions émus et heureux devant sa grande et hiératique figure. Cette figure, rendue vivante par la communion des saints, toujours réévoquée par un rite religieux comme celui-ci, suscite en nous une demande audacieuse : Maître Thomas, quelle leçon peux-tu nous donner ? A nous, dans un moment bref et intense tel que celui-ci ; à nous, que sept siècles séparent de ton école ; à nous, qui sommes hypnotisés par la culture moderne ; à nous qui sommes fiers de notre savoir scientifique ; à nous, qui sommes distraits par « la fascination de la frivolité », la « fascinatio nugacitatis » dont parle le livre de la sagesse (4, 12) et dont nous expérimentons aujourd’hui, avec la manière dont la connaissance sensible prévaut sur la connaissance intellectuelle et spirituelle, l’enchantement vertigineux ; à nous, qui sommes soumis à l’anesthésie du laïcisme antireligieux ; à nous, ô Saint Thomas, toi qui domines encore, comme philosophe et théologien, l’horizon de la pensée avide de sécurité, de clarté, de profondeur, de réalité ; à nous, ne serait-ce que par une seule parole, que peux tu nous dire ?

Saint Thomas ne répond pas maintenant par des mots, car il nous en parviendrait trop de ses oeuvres, mais avec la lumière de sa figure et de son enseignement, dont il nous semble recevoir une leçon encourageante : la confiance dans la vérité de la pensée religieuse catholique, telle qu’il la défendit, l’exposa, l’ouvrit aux facultés de connaître de l’esprit humain. Il suffira de quelques aspects de son oeuvre monumentale pour fortifier en nous cette confiance, que nous voudrions voir demeurer comme le souvenir vital du centenaire du saint Docteur. Confiance, parce que son oeuvre prend place dans l’histoire de la pensée, aussi bien philosophique que théologique, comme une synthèse de ce que d’autres grands Maîtres ont étudié avant lui et laissé en héritage à la culture universelle. Il a assimilé le trésor du savoir le plus significatif de son temps (qui fut un temps incomparable par l’ampleur et l’acuité du travail spéculatif) ; il l’a déterminé grâce au plus rigoureux intellectualisme, celui d’Aristote qui, sans méconnaître d’autres formes très élevées de la connaissance, comme celui du néoplatonisme augustinien, semble le mettre en harmonie avec notre rigoureuse mentalité scientifique moderne ; il l’a soumis sans préjugé à la discussion dialectique d’une honnête et contraignante rationalité ; c’est pourquoi il l’a ouvert à toute acquisition progressive possible, exigée par la découverte d’une vérité ultérieure.

Nous devons encore notre confiance à Saint Thomas, parce qu’il nous aide à résoudre le conflit, si marqué et si exacerbé à notre époque, entre les deux formes de connaissance dont dispose l’esprit du croyant, la foi et la science. Il le fait en partant de la parole de Dieu révélée et étayée par des motifs rationnels de crédibilité, puis en poussant l’esprit humain, la science, à étudier cette parole de Dieu selon des principes et des méthodes propres, de telle sorte que la théologie qui en résulte puisse, sans présomption et sans superstition, accéder à un véritable et merveilleux niveau de « science de Dieu ».

Nous avons confiance en définitive dans ce résultat providentiel qui jaillit, pour la pensée et même pour la vie de l’homme, de la complémentarité réciproque de la foi et de la science. La foi cherche dans la science, c’est-à-dire dans la connaissance humaine naturelle, non pas encore la certitude qui est don de la grâce, mais sa confirmation, son développement, sa défense, sa satisfaction : « fides quaerens intellectum » ; et l’intellect, « quaerens fidem », reçoit en échange un guide ultime sans pareil : il est assuré, grâce à la foi, de la Vérité divine qui le domine, qui illumine toute la conscience humaine, la préserve de l’inutilité de son effort, du doute incurable, du scepticisme final désespéré, c’est-à-dire du « nihilscire » ; elle la préserve aussi du fol orgueil d’un despotisme scientifique aujourd’hui plus que jamais probable, qui peut retourner contre l’homme qui pense, au point de le blesser et de le faire mourir, la conquête de sa propre pensée.

Confiance. Saint Thomas peut être pour nous un des témoins les plus autorisés et les plus convaincants de l’existence providentielle de ce magistère confié par le Christ à son Église, qui ne lui ferme pas les voies du savoir mais les ouvre, les rectifie et les défend, et qui ne retient pas pour les seuls initiés au labeur, aux ascensions, aux acrobaties de la pensée, la lumière de la Vérité vivifiante, mais les offre, selon une catéchèse humble et sublime, à tous ceux qui dans l’Église elle-même se reconnaissent disciples ; et il réserve la révélation des mystères de la foi les plus élevés et les plus salutaires aux petits, aux simples, aux pauvres, au peuple ignorant des spéculations difficiles, mais docile et disponible à l’ineffable dialogue de la Parole de Dieu.

Invoquons donc Saint Thomas qui, en nous invitant encore aujourd’hui à son école, nous introduit au colloque, dans l’Esprit Saint, avec le Christ notre Maître.




Discours 1974 31