Discours 1974 54

PAULUS PP. VI




*AAS 66 (1974), p.704-709;

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XII, p.1142-1147;

OR 1.12.1974, p.1, 2;

ORf n.49 p.1, 5;

La Documentation catholique n°1666, p.1062-1064.





AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION DE MONTRÉAL EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»


Samedi 14 décembre 1974




Frères très chers,

Vous avez manifesté le désir d’être reçus ensemble, car vous travaillez déjà étroitement unis au niveau de la région de Montréal, comme le font du reste vos confrères dans les autres régions apostoliques du Québec, et de tout le Canada. Vous voulez adopter une pastorale concertée, et vous cherchez à mettre en oeuvre les structures adéquates.

55 Cet entretien ne peut être prolongé autant que nous l’aurions voulu. Mais nous vous félicitons de cette préoccupation qui est vôtre de nous informer amplement et loyalement de la vie de vos diocèses, dans un dialogue confiant; ainsi pourrons-nous porter plus facilement le souci de vos communautés, et l’intégrer dans celui de 1’Eglise universelle, au service de laquelle d’ailleurs vous êtes solidaires avec nous. Les rapports précis que vous laissez ici nous serviront et serviront à nos collaborateurs des divers Dicastères pour mieux vous accompagner dans vos efforts pastoraux.

Votre pays subit, semble-t-il, une évolution très profonde, au plan culturel, social, économique, et cela affecte au premier chef la situation religieuse. Courageusement avec lucidité, vous regardez cette situation en face, cherchant la pastorale de la pensée, la pastorale sacramentelle, la pastorale d’action capables d’y répondre aujourd’hui et de préparer pour demain les nouvelles générations chrétiennes. Comment vivront-elles leur foi et leur attachement à l’Eglise? Comment prieront-elles?

Comment témoigneront-elles des béatitudes dans une société marquée par la consommation matérielle? Comment garderont-elles le souci de ceux qui sont moins favorisés, dans leur pays ou à l’étranger? C’est tout l’enjeu de la formation doctrinale et spirituelle qui vous incombe.

Nous supposons que le problème délicat, pour vous Pasteurs, est de maintenir la cohésion respectueuse entre toutes les forces vives chrétiennes, entre ceux qui sont tentés de s’engager sur des chemins aventureux, à la recherche d’un «aggiornamento» pas suffisamment mûri, et ceux qui sont déroutés, à juste titre souvent, par des changements qui leur semblent un affadissement. Il ne faut léser ni la Vérité, ni la charité. C’est là que l’on comprend la nécessité d’une conversion sincère à la volonté de Dieu et d’une réconciliation plénière entre disciples du Christ. Nous espérons que l’Année Sainte a contribué et contribuera à favoriser ces démarches capitales, pour que l’Eglise connaisse une nouvelle vigueur, au Canada et partout.

Nos voeux chaleureux et notre prière vous accompagnent dans votre lourd ministère. Que l’Esprit Saint vous guide de sa lumière et de sa force. Que l’espérance de l’Avent habite vos coeurs. Et nous, Frères très chers, nous vous bénissons, avec tout le peuple chrétien dont vous êtes les Pasteurs.




23 décembre



DISCOURS DU PAPE EN RÉPONSE AUX VOEUX DU SACRÉ COLLÈGE





Le 23 décembre Paul VI a reçu, dans la Salle du Consistoire, le Sacré Collège venu lui présenter ses voeux pour la fête de Noël.

Après l’adresse d’hommage du Cardinal Traglia, le Pape a prononcé un discours, dont voici la traduction :



Messieurs les Cardinaux,



A vos voeux, toujours inspirés par la noblesse de vos esprits et par la ferveur religieuse à l’approche de la fête, douce et solennelle, de Noël, répondent nos propres voeux, qui trouvent dans la reconnaissance pour la collaboration que vous nous apportez dans l’accomplissement de notre tâche apostolique, un motif particulier d’intensité. Et de la fête de Noël ils tirent argument pour demander au Seigneur, qu’ensemble nous aimons et servons, ces « charismata meliora » par lesquels l’insertion de notre vie dans le corps mystique du Christ — l’Église — reçoit la plénitude de grâce et d’efficacité. Un motif nouveau, comme l’a si bien noté la voix qui s’est faite le digne interprète de vos sentiments communs, ajoute une signification et une valeur spéciales à l’échange de voeux en cette heureuse circonstance: c’est le début imminent d’une célébration périodique, mais toujours rare et fort importante, à laquelle est dédiée la prochaine année, appelée non sans raison « sainte ». Oh ! que de pensées, que d’espoirs suscite en notre esprit cette circonstance qui correspond si bien à notre conscience religieuse et intéresse tant notre expérience pastorale.

C’est justement en référence, et même à la lumière, de cet événement religieux — dont le courant vivifiant a déjà parcouru l’Eglise de Dieu et maintenant la secoue, la réconforte et la ranime en son centre romain, le centre non seulement géographique et canonique, mais surtout le centre spirituel, le coeur — que nous nous permettons, en guise de complément à nos voeux de Noël, de soumettre à votre considération, en une très brève synthèse, quelques aspects actuels de notre sainte Église catholique et apostolique.

56 Le premier aspect est justement celui de son histoire, sur laquelle l’échéance périodique de l’Année Sainte nous invite à réfléchir. Mille neuf cent soixante-quatorze ans d’existence ! De nombreuses et graves observations se présentent à notre esprit. La première, sous forme de la demande habituelle et superficielle : l’Église est-elle vieille ? Le temps a-t-il imprimé sur son visage quelque tache, quelque ride ou autre chose de ce genre dont parle Saint Paul à propos de l’Église qui, en tant qu’Épouse du Christ, doit se présenter à lui, comme dans une beauté juvénile, « sainte et immaculée » (cf. Ep Ep 5,25-27) ? Le rapport de toute institution humaine avec le temps est-il un rapport de fatalité : rapport de vie et de mort, la première étant limitée dans son efficience et sa durée, la seconde étant désastreuse et perpétuelle ? Est-ce le sort réservé à l’Église ? Et si cette dernière survit encore, son existence n’est-elle pas anachronique ? Sa forme de vie n’est-elle pas dépassée ? Et pour lui redonner de l’actualité, l’heure n’est-elle pas venue d’un retournement radical qui bouleverse ses dogmes, ses structures ? Ne doit-elle pas aussi puiser sa raison d’être dans la conformité aux moeurs des temps ? Comment le monde peut-il tirer sagesse et vigueur d’un organisme constamment freiné par une exigeante tradition ?

Tradition, voilà le mot-clé : alors qu’il tente de renfermer l’Église dans son sépulcre, à nous il ouvre au contraire, s’il est bien compris, le secret de sa mystérieuse vitalité. L’Église, bien qu’elle soit incarnée dans l’histoire, n’est pas une institution humaine quelconque, et l’on ne peut donc évaluer sa vie avec les mesures adaptées aux choses purement terrestres. La tradition tient lieu pour l’Église de racine vivante et cohérente, qui va jusqu’à la source originelle de son institution historique et divine, jusqu’au dépôt authentique de sa doctrine surnaturelle, dépôt que l’Église transmet fidèlement, vital et fécond, comme la lymphe jusqu’aux frondaisons d’un arbre vivant, toujours plus vivant, au long des âges successifs, pour un printemps toujours immanent et possible. La tradition garantit la fidélité de l’Église, son histoire qui ne vieillit pas, sa perpétuelle jeunesse qui, alimentée par un continuel retour aux sources, traverse les siècles, impassible dans la lutte et la souffrance, dans l’attente eschatologique qui apporte l’heureuse solution. Tel est l’enseignement qu’avec tant d’autres nous apporte une page du récent Concile : elle nous parle du renouveau de la vie religieuse, qui découle de l’inspiration originelle, s’adapte en toute sagesse aux conditions et aux nécessités des temps, et aborde l’avenir avec une confiance qui vient d’en-haut et avec une énergie inépuisable (cf. Perfectae caritatis PC 2). Puissent en faire l’expérience tant d’institutions méritantes et vénérables, qui, confrontées aux mutations des temps, sont éprouvées par le doute sur leur propre identité ; et puisse aussi la sainte Église tout entière avoir vraiment conscience d’elle-même, ou mieux de la promesse finale du Christ qui défie l’usure dévorante du temps : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Si elle est fidèle à l’Esprit vivifiant, qui doit toujours l’assister et la guider, l’Église ne craint pas la fatigue, ne craint pas l’hostilité du monde ; mais au contraire elle ressent toujours la nouveauté et la puissance de sa vocation à suivre le Christ et à servir l’humanité ; et elle découvre — c’est merveilleux quand on y pense — que du développement même de la civilisation profane, tandis que d’un côté celle-ci semble affirmer son autosuffisance, rendant vaines la parole et l’action de l’Église, d’un autre côté voici que justement sont offerts à l’héritière de l’Évangile de nouveaux moyens inattendus tout à fait adaptés à elle pour son oeuvre de diffusion de la vérité et de la vie; et en même temps elle est invitée, d’une manière tacite mais logique à soutenir avec les énergies, morales et spirituelles, de la foi chrétienne, les énergies humaines et naturelles qui, elles, sont entravées, parfois même épuisées et dégénérées, par le poids et la masse du développement même qui leur a donné naissance. Le monde sans le Christ ne se tient pas jusqu’au bout par lui-même; sa prospérité, sa puissance, son organisation théorique et sociale requièrent un supplément qui le transcende et qui l’anime, dont notre religion est la source.

Et voici dès lors un nouvel aspect de l’Église dans le monde, un moment nouveau et décisif pour l’histoire de l’humanité : tandis que celle-ci atteint des hauteurs inouïes de progrès économique, scientifique et technique, en son propre sein naissent des fantasmes de terreur et croît le tournant des conséquences absurdes d’une culture qui se débat au bord du néant, des moeurs qui tombent dans les dégradations de la délinquance criante et de la passion aveugle. Mais alors réapparaît le Christ humble, doux, crucifié sur les sentiers du monde ; et l’Église le redonne à nouveau dans son mystère d’amour et de salut.

Vous comprenez, Frères vénérés, que, le coeur transporté par de telles pensées qui n’ont rien de vain, nous nous reposons sur une grande espérance, un grand événement, l’Année Sainte, dont l’Église sur la terre a déjà goûté plus d’un fruit spirituel et dont le déroulement béni et tant attendu va commencer la nuit de Noël, à Rome, plus ouverte que jamais à ceux qui cherchent une patrie de la foi et de la charité.

Nous devons reprendre le « tome » sérieux et plein de sagesse du Concile Vatican II et, en nous livrant à un courageux examen de conscience, en feuilleter les pages admirables pour reprendre et intégrer les bonnes résolutions qu’il a mises au coeur d’une Église avide de renouvellement et de réconciliation.

Nous devons rallumer le feu, le génie de la charité du Christ, réveiller dans le monde le sens de la fraternité et par conséquent d’une justice plus dynamique et plus effective.

Nous devons, comme déjà la réforme ou plutôt la renaissance liturgique est en train de le réaliser de façon heureuse, rendre à la prière son primat, sa façon idéale et béatifiante d’interpréter la vie, son importance, son efficience, l’engagement qu’elle suscite, sa dignité simple et solennelle comme il convient au culte du vrai Dieu et au colloque filial avec le Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint, en union avec le choeur de la communion des saints, en tête desquels vient Marie comme Mère et type de l’Eglise et avec lesquels nous célébrons le règne de la charité.

Nous devons renouveler aux Frères qui ne sont pas encore, en pleine communion avec nous l’invitation à reprendre la place qui les attend, avec la force persuasive de notre conversation humble et patiente.

Nous devons restituer à l’Église sa paix intérieure (nous avons déjà à ce propos adressé une pressante exhortation publiée ces jours derniers). Est-il admissible que la contestation intérieure devienne une habitude dans l’Église ? Elle finirait, comme une force centrifuge, par se dissiper dans la vanité et la velléité d’un effort qui serait non seulement éphémère mais aussi dangereux pour l’authenticité de l’Église une et véritable, et qui nuirait au travail progressif du rapprochement oecuménique. Même au prix du renoncement à des formes excessives et arbitraires de pluralisme, et même si cela demandait le sacrifice libérateur d’individualismes égoïstes, nous devrions tous favoriser cette union décisive des esprits, des volontés, des oeuvres, qui est le propre et la caractéristique de la « communion dans l’Esprit... agissant de concert et d’un coeur unanime » (cf. Ph Ph 1,27 Ph 2,1), telle que doit être l’Eglise du Christ.

En restant ainsi unie en elle-même — et voici un autre regard d’ensemble sur la scène du monde contemporain — l’Église sera aussi mieux à même d’offrir sa contribution à la famille humaine tout entière, afin que cette dernière sache retrouver et conserver l’unité dans la paix, qui est justement le fruit de la victoire sur les égoïsmes de peuple et de classe, et dans l’effort généreux et coordonné pour le progrès commun.

L’humanité a aujourd’hui autant besoin qu’en d’autres temps — sinon plus — d’une telle collaboration, alors que la disparition progressive du souvenir du dernier et épouvantable conflit menace d’affaiblir dans le monde l’horreur de la guerre et la volonté de concorde.

57 Sans vouloir en cette rencontre de Noël faire un discours particulier sur le sujet toujours actuel de la paix — nous le réservons pour notre message désormais habituel de Nouvel An —, comment pourrions-nous ne pas exprimer au moins notre angoisse devant les difficultés qu’elle rencontre, cette paix, pour s’affermir là où l’on pouvait espérer qu’elle était rétablie, comme au Viêt-Nam, ou pour trouver péniblement sa voie ?

Comment ne pas rappeler, à la veille de l’ouverture de l’Année Sainte, en cette Ville, « mère et tête » de l’univers catholique, une autre Ville, Jérusalem, la « Cité sainte » du monde chrétien ; le centre à la fois de l’amour et des nostalgies séculaires de ce peuple que Dieu avait mystérieusement choisi, en désignant à l’avance en lui « son » peuple dans lequel nous nous reconnaissons ; la Cité si chère, par ailleurs, à la grande famille religieuse de l’Islam ? Combien nous voudrions qu’au lieu d’être un objet de querelles continuelles, elle devienne carrefour de rencontres fraternelles pour tous ceux qui adorent le Dieu unique, et symbole de paix pour les habitants de la Terre Sainte et pour les peuples du Proche-Orient !

A cette région généreuse et tourmentée, et à toutes les autres parties du monde où — comme en Irlande, qui nous est toujours très chère et sans cesse présente à notre esprit — conflits et violences continuent à troubler la société humaine, nous souhaitons la paix, une paix juste, une paix qui soit le fruit d’esprits réconciliés, apaisés, établis dans une concorde généreuse et mutuelle, une paix qui oeuvre pour la libération et la collaboration sociale ; une paix qui devient un devoir plus profondément ressenti en l’Année de renouveau spirituel et de réconciliation qui va commencer.

Tels sont nos sentiments. Tels sont nos voeux. Nous les confions à votre réflexion, Frères vénérés, à celle de l’Église et de l’humanité, et surtout nous les offrons en prière à la toute puissante et bienveillante miséricorde du Seigneur, afin qu’ils puissent se transformer en heureuse réalité. Avec notre Bénédiction !









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