Discours 1976 14

APPEL DU PAPE PAUL VI POUR LA PAIX AU LIBAN


Mercredi 24 mars 1976




Et maintenant, Nous ne pouvons taire une grande peine, que Nous tenons à partager ce matin avec vous tous, en vous invitant à prier avec Nous.

La situation au Liban, et spécialement a Beyrouth, est redevenue tragique; on y livre des combats sans merci, on détruit les centres vitaux de la ville, on extermine des familles entières. Nous ressentons cette misère au plus profond de notre coeur, tant est vive notre affection pour tout le peuple libanais.

15 Nous lançons un appel pressant à tous ceux qui sont impliqués dans ce terrible drame:

Nous les exhortons tous à faire la trève, à déposer les armes fratricides, et cela dans tous les camps.

La violence ne résout absolument pas les problèmes; elle ne fait que les aggraver.

Les populations aspirent à la paix; elles sont lasses de voir se poursuivre les massacres et les destructions.

On est en train de couper les racines de la vie sociale et de la coopération possible entre les divers groupes du Liban.

Nous adjurons donc les parties de faire tous leurs efforts pour réaliser au plus tôt les accords et trouver les solutions qu’attendent le pays et le monde entier.

Qu’au besoin aussi, les pays amis, sans chercher leurs propres intérêts, aident le Liban à sortir de ses difficultés et inspirent aux diverses parties de sincères pensées de paix!




31 mars



SUBORDONNER LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE À L’AUTHENTIQUE PROGRÈS DE L’HOMME



Après l’audience du 31 mars, le Saint-Père a reçu les dirigeants du « Centre Chrétien des Patrons et Dirigeants d’Entreprise Français ». Le groupe conduit par le Président M. André Aumônier, comprenait le Conseiller spirituel, Père Ducoin, S. J., le Vice-Président M. François Bernard, le Secrétaire Général M. Lesort et tous les Conseillers accompagnés de leurs épouses. Après un salut d’hommage du Président, le Saint-Père leur a adressé le discours suivant :



Messieurs, et chers Fils,



En vous accueillant ici, Nous voulons d’abord vous dire notre estime et notre affection. Puisse votre appartenance à la grande famille ecclésiale, plus sensible en cette rencontre, vous aider à surmonter les difficultés inhérentes à l’exercice de vos lourdes responsabilités.

16 Le Seigneur est toujours proche de ceux qui Le cherchent et l’Eglise est là pour vous manifester, au nom du Christ, la compréhension, l’aide et le stimulant dont vous avez besoin.

Forts de cette assurance, regardons le monde dans lequel vous travaillez. Ses joies et ses espoirs sont trop souvent minés par l’inquiétude et le doute. Ce monde est triste d’un double matérialisme :

— d’abord, la vie économique a tendance à tout envahir, alors qu’elle n’est qu’une dimension, nécessaire, de la vie de l’homme : elle impose ses contraintes, sa logique, ses rythmes de plus en plus rapides à l’ensemble de la vie personnelle et sociale, infléchissant et altérant les finalités supérieures de la vie familiale, culturelle, politique, internationale ;

— et il y a de surcroît matérialisme, car il s’agit d’une logique économique souvent elle-même faussée ; de ce fait, ce sont ses propres maladies qu’elle transmet à tous les autres champs de l’existence.

L’économie a pour fonction de répondre aux besoins matériels des hommes. Et ceci, d’une manière humaine et humanisante : par un travail capable de valoriser l’homme créateur de richesses ; par des échanges capables de réaliser la destination universelle des biens et de développer ainsi, même à ce niveau, des solidarités multiformes entre tous. Sa nature propre l’enracine dans l’homme qui est un être de besoins. Mais l’instinct d’appropriation, de possession, avec lequel elle doit compter, demande, comme tous les instincts qui sont dans l’homme, à être discipliné, humanisé, intégré dans les finalités supérieures du développement personnel et social. Or que voyons-nous ? Le dynamisme de cet instinct économique, souvent confondu avec le dynamisme de la liberté, est livré à lui-même et à son égoïsme. On le stimule artificiellement de multiples manières. Il devient motivation dominante en économie et envahissante partout ailleurs. En prétendant se constituer centre d’intégration des personnes et des sociétés, il devient en réalité une force aveugle qui matérialise l’homme et disloque les sociétés en classes ennemies.

Ce n’est pas davantage en radicalisant ce double matérialisme pratique par une théorie matérialiste de l’histoire, même ouvert sur une évolution dialectique, qu’il est possible de libérer tant d’énergies admirables pour le progrès de l’humanité, tant d’efforts pour la justice, car le matérialisme en détourne les intentions généreuses et stérilise à la fin leur efficacité.

Ce dont nous avons besoin, c’est de changer résolument de cap ; de soumettre et de coordonner la croissance économique aux exigences du progrès authentique de l’homme et de la solidarité sociale ; de concevoir la croissance économique elle-même d’une manière qui aide les hommes et les sociétés à émerger des conditionnements matériels et instinctifs au lieu de les y enliser. Nous avons besoin d’innovations hardies et créatrices (cf. Lettre Apostolique Octogesina adveniens, n. 42).

L’oeuvre à accomplir est immense. Elle n’ira pas sans une profonde conversion des esprits et des coeurs, des mentalités collectives, des structures. Personne n’en est exclu ni dispensé. Quelle meilleure fidélité aux cinquante années de vie de votre mouvement qu’un effort résolu pour engager l’expérience acquise dans cette voie du renouveau ? Les Assises du cinquantenaire vous en offrent une occasion privilégiée : leur thème d’une « recherche chrétienne sur l’entreprise dans la société » vous situe à un carrefour particulièrement important pour joindre vos efforts à ceux qui se font dans tous les domaines de la vie sociale.

Ne soyez pas surpris de rencontrer une société impatiente de se libérer de l’emprise excessive de la logique économique sur la vie des familles, sur l’environnement, sur la vie culturelle et politique. Ne craignez pas de voir la société se préoccuper de situer l’effort des entreprises dans les objectifs communs de la vie nationale et de la solidarité avec les pays pauvres. Il est normal aussi, il est bon, que des hommes plus cultivés, ayant davantage le goût et l’expérience de la participation sociale, cherchent une nouvelle source de progrès dans le travail même de l’usine.

En vous situant dans cette perspective, vous serez d’autant plus forts pour demander que les entreprises disposent elles aussi, contre tous les envahissements illogiques ou intempestifs, de l’espace de liberté nécessaire pour accomplir leur tâche. Fortifiez de l’intérieur cet espace de liberté, en ouvrant un dialogue franc avec tous ceux qui sont partie prenante dans l’entreprise et leurs organisations représentatives : pour mieux répartir les fruits du travail commun : pour créer des conditions de travail permettant l’exercice de l’initiative et de la responsabilité ; pour inventer des cadres juridiques rénovés, selon la féconde tradition de votre mouvement et de la pensée sociale de l’Eglise.

Ces perspectives, dans lesquelles vous avez déjà beaucoup réfléchi et agi, il faut maintenant y avancer avec une résolution nouvelle. Oh certes, vos entreprises ont traversé et vivent présentement une conjoncture difficile. Et vous, à un niveau particulier, vous porte ? chaque jour le poids de soucis dont nous mesurons la complexité et le mérite : assurer le plus possible la sécurité de l’emploi, des conditions plus humaines de travail et un salaire correspondant au coût montant de la vie, tout en faisant face aux charges accrues de l’entreprise et aux aléas des échanges. A certains jours, ces responsabilités sont telles que vous ne voyez peut-être plus comment courir d’autres risques. Et pourtant, c’est là que vous êtes invités à reprendre les choses dans une perspective plus élevée et plus large. La situation présente du monde ne permet pas d’attendre. L’Evangile y pousse, lui qui est « source de renouveau, dès lors que son message est accepté dans sa totalité et dans ses exigences » (ibid.). Votre fonction de chefs d’entreprises ne perd rien d’essentiel en s’exerçant en esprit de confiance religieuse dans la Providence (cf. Mt
Mt 6,26) et de service auprès d’hommes libres, auxquels votre fonction permet de développer leurs possibilités, dans le cadre même du travail. Vous serez au contraire obligés de puiser plus profond dans vos ressources humaines, d’élargir votre formation et le champ de vos préoccupations, de situer la nécessaire gestion de l’outil du travail — du capital ! — dans la logique plus fondamentale qui seule donne ses bases morales à l’autorité et au pouvoir : faire converger des hommes libres et responsables vers une oeuvre commune où se construisent les véritables solidarités.

17 Que l’amitié qui vous unit au sein du Centre chrétien des patrons et dirigeants d’entreprise français vous soutienne et vous ouvre à tous ceux qui pourraient partager votre réflexion chrétienne en esprit d’Eglise ! Que l’Evangile développe en vous une réelle joie de servir, une humilité paisible, nécessaire aussi bien pour accueillir des suggestions novatrices — qui dérangent toujours — que pour donner le courage de décider ! Prenez une part accrue aux efforts de l’Eglise en France pour montrer la fécondité sociale de l’Evangile ! Partagez notre souci de voir la recherche de la justice se nourrir de la charité du Christ et s’épanouir en une civilisation de l’amour fraternel. Pour Nous, Nous tenions à vous exprimer cette confiance et ces encouragements. En vous donnant notre Bénédiction Apostolique, Nous appelons, sur vous et sur tous ceux qui participeront aux prochaines Assises de Grenoble, l’Esprit Saint qui fait toutes choses nouvelles, dans le Christ, à la gloire du Père.





AU PRÉSIDENT DU RWANDA*


Lundi 17 mai 1976




Monsieur le Président,

Nous sommes très honoré par la visite que vous Nous faites aujourd’hui, parce qu’en votre personne Nous accueillons le haut Représentant d’une nation qui Nous est très chère. Nous vous adressons nos meilleurs souhaits de bienvenue, ainsi qu’à tous les membres de votre suite. Votre visite revêt un caractère familial qui Nous est fort agréable.

Sans attendre, Nous tenons à vous exprimer nos sentiments de satisfaction pour l’entente cordiale qui règne entre votre gouvernement et les communautés chrétiennes du Rwanda. Cette compréhension et cette estime des activités de l’Eglise catholique dans votre pays sont pour Nous un grand motif de joie, de réconfort et d’action de grâces. Vous en êtes convaincu, Monsieur le Président, l’Eglise du Christ a une mission essentiellement spirituelle, consacrée à l’annonce et à la réalisation de son message de salut. Mais, sans avoir de tâche spécifique dans l’ordre social, elle apporte une contribution efficace spécialement dans le domaine de l’éducation, de l’assistance sanitaire et hospitalière, contribution qui procède directement de ses efforts tendus vers l’élévation de l’homme, dans un respect croissant de son enracinement humain et culturel. Oui, l’Eglise acceptée et respectée dans sa mission propre, veut servir toujours et partout la communauté nationale.

Nous voulons aussi vous exprimer nos souhaits fervents pour la prospérité du Rwanda. Que tous ses enfants soient heureux d’y vivre, de s’entraider à développer toutes ses potentialités économiques, morales, spirituelles dans un souci de justice nationale et de partage - dans la mesure du possible - avec des nations plus déshéritées! Que Dieu vous aide, Monsieur le Président, à consolider la paix et la concorde, dans votre peuple, avec la patience et le courage des véritables artisans de la fraternité entre les hommes! Tels sont les voeux qui jaillissent de notre coeur, à l’occasion de votre aimable visite. Ils vous sont d’abord destinés, mais vous serez heureux d’en faire part à vos chères populations rwandaises.

C’est de tout coeur que Nous invoquons sur votre personne et votre haute mission, sur votre famille et sur votre nation, les abondantes bénédictions du Dieu tout-puissant.



*AAS 68 (1976), p.324-325.

Insegnamenti di Paolo VI, vol. XIV, p.341-342.




21 mai



PAUL VI AUX EVÊQUES ITALIENS



A la fin des travaux de la XIII° Assemblée Générale de l’Episcopat Italien qui s’est ouverte le 17 mai sous la Présidence du Cardinal Poma, le Saint-Père a voulu, le 21 mai, rencontrer les Evêques italiens en la Salle du Synode et leur adresser ses encouragements paternels. Après avoir pris place à la table de la Présidence, Paul VI a écouté une adresse d’hommage du Cardinal Poma. Puis il a prononcé un discours dont voici notre traduction :



18 Messieurs les Cardinaux,

Vénérés Frères et Fils,

Tous présents à cette XIII° Assemblée Générale de la Conférence Episcopale Italienne,



Je suis heureux et j’apprécie qu’en faisant simplement et brièvement acte de présence à votre Assemblée, l’occasion m’est offerte d’exprimer ma fraternelle, publique et encourageante adhésion à cette Conférence, de récente institution, mais qui a déjà si bien fait la preuve de sa prévoyante et efficace validité. Et moi-même, je suis particulièrement heureux de pouvoir vous rencontrer tous, aussi nombreux, aussi fidèlement dévoués à vos programmes, aussi conscients de l’importance ecclésiale de cette rencontre épiscopale, si représentative de l’unité de l’Eglise Italienne et si pleine de promesses pour le perfectionnement et pour le développement de son activité pastorale. Merci pour cette ponctuelle intervention communautaire à laquelle je désire, moi le premier, attribuer une importance exceptionnelle et apporter mes encouragements les plus cordiaux.

Ces sentiments s’adressent tout d’abord à Monsieur le Cardinal Antonio Poma, le digne et zélé Président de la Conférence Episcopale Italienne et à tous ceux qui, dans le cadre varié de leur collaboration spécifique, assurent à la Conférence son prestige et son efficacité. Ce regard posé sur le cadre organisateur de la Conférence nous force à faire une pause, empreinte de mélancolie et de piété, à la mémoire du regretté Monseigneur Enrico Bartoletti, qui dans ses fonctions d’excellent Secrétaire, inopinément interrompues par la mort, a offert à cette Institution tant de sagesse, de dévouement de coeur et d’exemples: plus que jamais soutenus par notre confiance dans la communion des saints, nous restons liés à lui par notre commune et dévote reconnaissance et nous exprimons notre fidélité à sa mémoire en nous unissant dans la prière pour le repos de son âme. Puis, nous sommes également amenés à adresser nos voeux, tout aussi fraternels et communs à celui qui lui succède dans ces lourdes et peu faciles fonctions, Mgr Luigi Maverna, afin que le Seigneur l’aide à continuer l’oeuvre du regretté disparu avec la même vertu et avec de nouveaux succès. Nous exprimons également nos voeux à Mgr Marco Cè, à qui est confiée désormais l’assistance ecclésiale générale de l’Action Catholique Italienne.



I. Vers une nouvelle phase historique





Voilà, je me suis introduit dans l’observation centrale de cet organisme qui entend favoriser l’union et l’action de l’Episcopat italien ; et je me sens assailli par la vision panoramique des problèmes pastoraux qui investissent la vie de l’Eglise Italienne, et pour ainsi dire, tenté d’ouvrir avec vous vénérés Frères, le discours sur de tels problèmes. Mais, pour d’évidentes raisons d’ordre pratique, je ne céderai pas à cette séduisante attraction. Je veux simplement me limiter à quelques observations.

La première est une question de méthode. A cette Conférence je désire donner toute assurance sur deux points, c’est-à-dire sur le constant, vigilant et amoureux intérêt avec lequel je suis personnellement votre travail, toujours dans le désir de son harmonie soit interne, soit avec l’Eglise catholique tout entière, mais non sans reconnaître — et même en voulant la promouvoir — cette relative autonomie responsable dans son propre domaine qui appartient à une Conférence, nombreuse et consciente comme l’est la Conférence Episcopale Italienne. L’histoire et le droit canonique obligent le Pape, comme tel et comme Evêque de Rome, à une spéciale, sollicitude pour les destinées de l’Eglise en Italie, c’est-à-dire de l’Eglise de ce pays politiquement unifié ; mais ceci s’est réalisé avec la formation unitaire d’un corps épiscopal national qui n’avait jamais existé avant ce siècle, et n’avait pas été reconnu canoniquement comme tel. Et voilà que s’affirme alors une sollicitude toute particulière du Pape pour l’Episcopat Italien que lui-même dirige ; et qu’il exprime en même temps une confiance toute particulière pour un tel Episcopat : vous voyez dans quel climat de libre initiative s’élaborent vos programmes et avec quelle complaisance je suis et encourage leur sage et prévoyante fécondité !

J’admire l’accroissement de la conscience pastorale, soit en ce qui concerne la maturation de l’art collégial de votre gouvernement ecclésial qui peu à peu se répartit en organismes spécialisés et cohérents et qui tend à une graduelle coresponsabilité dans les délibérations importantes et dans le choix des moyens pratiques en vue d’une toujours plus parfaite efficacité pédagogique et spirituelle ; soit en ce qui regarde la connaissance et la recherche pratique et sociologique des conditions assez mobiles et changeantes de la vie actuelle de notre peuple. Cette évolution de la conscience pastorale doit, avec un esprit de foi étayé par une expérience séculaire, maintenir la certitude que l’Evangile que nous prêchons et servons est une vérité éternelle, qu’il est une vie inépuisable et que dans la Parole éternelle de son annonce du Royaume de Dieu, il contient la richesse et la fraîcheur de pensée et de vie, que nous devons explorer, énoncer, traduire en sagesse et en nouveauté d’histoire, sans emprunter à des formules contingentes et partiales, privées de divine lumière, le stimulant et la confiance du progrès humain et social. Nous ne serons pas, comme on le dit parfois, intégristes, dans le sens d’exclusivistes, c’est-à-dire de ceux qui prétendent ne rien devoir attendre de la sagesse du monde profane (cf. Gaudium et Spes, GS 44). Mais il faut du discernement, il faut de la sagesse, il faut de l’harmonie. Je veux, moi aussi, applaudir à la concorde dont a témoigné cette assemblée, applaudir à l’union univoque et fraternelle de notre commun ministère pastoral. Je suis certain que cette harmonie est un témoignage vivant, exemplaire et convaincant, du seul fait qu’elle se présente comme une heureuse réalité face à un monde qui, d’une part, semble toujours plus menacé intérieurement par ses tendances hédonistes et cette illusion de se suffire à lui-même qui fait chaque jour ses victimes, ce monde qui, d’autre part, est de plus en plus troublé par cette discorde dont on assure qu’elle est inhérente aux expressions de la vie non seulement ecclésiale mais également civile, dans ses formes plus ou moins tapageuses de pluralisme, de contestation, de violence, de rébellion contre cet ordre constitué. Un témoignage d’autant plus convaincant que votre institution n’a d’autre ambition, n’a d’autre but que d’interpréter le phénomène religieux, de proposer les exigences naturelles à l’homme, créature de Dieu, selon les requêtes toujours nouvelles et toujours ardues de l’Evangile du Christ, de se rendre garant de la validité de la foi et de ses stimulants intérieurs. Voilà le devoir de l’évangélisation qui mobilise actuellement l’attention de l’épiscopat italien et, dans son sens pastoral, la fait converger sur un effort admirable de mobilisation de toute la communauté ecclésiale pour lui faire vivre sa propre vocation sur un plan de fidélité totale ; de fidélité à l’Evangile du Christ, de justice, d’amour, d’honnêteté, de traduction dans la vie concrète des idéaux auxquels on croit ; de dévouement aux pauvres, de service aux frères. Et cet engagement de constante évangélisation entraîne avec lui l’élévation de l’homme, en accroît la dignité, la liberté, la grandeur, le protège contre l’avilissante dégradation des passions, lui donne les armes pour la bataille spirituelle qui, avant tout et essentiellement « n’est pas contre des adversaires de chair et de sang, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde des ténèbres, contre les Esprits du Mal qui habitent les espaces célestes » (Ep 6,12). C’est une conscience de foi, à la formation de laquelle nous sommes, par divin charisme, appelés à coopérer, humblement mais sans craintes ou hésitations.

La force de réaliser tout cela nous la trouvons en suivant la voie tracée par le Concile Vatican II dont la fécondité continue à rayonner dans l’Eglise et à la confronter avec toutes les exigences du monde moderne pour « offrir au genre humain, la collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à la vocation de l’homme » (Gaudium et Spes, GS 3). La lumière qui rayonne de ce point d’appui de la vie ecclésiale de notre temps doit nous soutenir dans nos inévitables difficultés.

II. Le moment socio-politique





Dans ce colloque qui porte sur la réalité historique de l’Eglise en Italie et sur les sollicitudes essentiellement pastorales du corps collégial des Evêques, nous ne pouvons faire abstraction du prochain événement socio-politique. Je dirai immédiatement que le plan sur lequel nous nous plaçons en tant que Pasteur est différent car, comme je l’ai dit, il vise à la formation d’une conscience de foi. Et le fait cependant n’implique pas seulement des éléments contingents de l’histoire qui passe, mais implique la vie même des chrétiens appelés à s’engager dans le monde et à en être l’âme vivificatrice (cf. Ep. Diogn. 6 ; Funk, 401) ; il est donc d’une telle importance qu’il peut être décisif à l’avenir pour tant de questions qui nous sont propres : religieuses, pastorales, doctrinales, éthiques, sociales.

19 Il faut avant tout veiller et prier : c’est l’invitation du Christ aux Apôtres tentés par la somnolence, par la peur, par le conformisme (cf. Mt Mt 26,41). La prière, école de foi et de perspective surnaturelle, est avant tout nécessaire pour obtenir du « Père de la lumière » (Jc 1,17) cette aide que lui seul peut donner : prière humble, assidue, fidèle, virile, confiante, joyeuse ; qui répand la lumière dans les esprits, ouvre les yeux à la clarté, assure la vigueur à la volonté.

En second lieu il faut être unis plus que jamais : c’est la concorde agissante qui garantit la fécondité et la liberté lorsqu’il s’agit des intérêts suprêmes de la dignité humaine.

Il y a des situations, il y a des contingences qui — spécialement quand est en jeu le trésor de notre foi et l’engagement de notre témoignage — exigent qu’on fasse une seule harmonie du brouhaha de tant de voix diverses. Que diraient les fauteurs du pluralisme irréfléchi si chaque instrument d’un orchestre jouait pour son propre compte ? Si une discipline élémentaire est invoquée par toute règle normale de coexistence, si elle s’impose même à ceux qui veulent bouleverser cette coexistence, faut-il s’étonner que nous l’invoquions pour nous ?

Il faut encore être cohérents: le patrimoine de la foi chrétienne ne peut être l’objet de mimétisme et de compromis, sous peine de le voir disparaître : il ne peut être associé à des points de vue totalement et intrinsèquement opposés à sa nature. Le croyant ne peut ignorer les déclarations qui ont déjà été faites et dans lesquelles, avec une paternelle sollicitude et souvent avec tristesse « gemendo » (Ep 13,17) les Evêques ont exprimé leurs idées, eux qui sont les porte-parole de la foi, docteurs authentiques, c’est-à-dire « revêtus de l’autorité du Christ » comme a dit le Concile (Gaudium et Spes, GS 25). Le chrétien ne peut non plus ignorer les expériences qui, nonobstant certaines affirmations verbales contrastantes et malgré toutes les espérances que le chrétien veut toujours nourrir, confiant en la Providence et dans les forces immanentes de la vérité et de la justice, démontrent qu’une sorte de « constante » antireligieuse et anti-ecclésiale qui finit même par être inhumaine demeure jusqu’à présent inchangée et toujours présente dans des mouvements de pensée et d’action bien connus ».

En résumé : en ce qui concerne ce grave problème, il ne me reste qu’à confirmer les indications et les motivations amplement proposées par le Cardinal-Président. Et donc, premièrement, il n’est pas permis de se soustraire au devoir électoral quand à celui-ci se lie une profession de fidélité à des principes et à des valeurs auxquels on ne peut renoncer, même s’ils peuvent prêter le flanc à discussion au sujet de certains aspects, en certains cas, de leur parfaite représentation ; et, deuxièmement, il nous semble d’autant moins conforme et donc d’autant moins tolérable d’accorder sa propre adhésion, spécialement si elle est publique, à des expressions politiques qui sont, pour des motifs idéologiques et par expérience historique, radicalement opposés à notre conception religieuse de la vie. On peut citer maintenant le célèbre vers dantesque « amor mi mosse, che mi fa parlare », et non la haine, non la jalousie, non la peur. Les motifs et les intérêts supérieurs qui suggèrent cette double position sont connus de tous ; et vous-mêmes vous en avez ici, amplement discuté. Il ne reste qu’à valoriser de mon adhésion votre concordante et courageuse unanimité.

III. L’Eglise humble et vivante





Vénérables Frères et très chers Fils ! en vous confiant ces thèmes de réflexion, j’ai pensé à la vie de l’Eglise, celle qui doit se développer dans la société, même civile, suivant les lignes tracées par le Concile. L’Eglise ne demande aucun privilège, mais elle n’élude pas les problèmes et elle ne travestit pas la vérité : elle est appelée à servir l’homme et, à ce titre, elle l’éclairé et l’appelle. Entre autres, elle est toujours le pusillus grex que le Père céleste a aimé dans le Christ, et a placé pour sauver les nations : elle est humble et pauvre, douce et patiente ; elle est sel et levain, lumière et vie. Le Concile dira encore : « ... elle a le Christ pour Chef... Elle a pour condition la liberté des fils de Dieu, dans le coeur desquels l’Esprit Saint habite comme en son temple. Elle a pour loi le commandement nouveau d’aimer comme le Christ lui-même nous a aimés. Enfin, elle a pour fin le Royaume de Dieu... Avançant à travers les épreuves et les tribulations, l’Eglise est confortée par la vertu de la grâce de Dieu qui lui a été promise par le Seigneur, pour que dans la faiblesse de la chair elle ne manque pas à la parfaite fidélité mais reste la digne épouse de son Seigneur » (Lumen Gentium, LG 9).

Voilà ! Voilà ! Frères et Fils. Que le Seigneur nous assiste, que la Vierge intercède auprès de Lui pour que nous ayons cette « parfaite fidélité ». A vous tous, comme à vos bien-aimés fidèles, prêtres, religieux et laïcs, notre Bénédiction !






24 mai



PAUL VI A NOMMÉ VINGT CARDINAUX



Parmi eux l’Archevêque de Hanoi, proclamé comme étant l’un des deux Cardinaux « in pectore »

Au cours du Consistoire qu’il a tenu pour la création des nouveaux cardinaux, le Saint-Père a prononcé l’allocution suivante :



Frères Vénérés,



20 Depuis le jour où, il y a plus de trois ans déjà, après avoir fixé le nombre des cardinaux électeurs, Nous avions comblé les vides qui s’étaient créés dans votre Sacré Collège, ce dernier a eu la douleur de perdre certains de nos Frères, que Nous évoquons ici avec affection et regret. Par ailleurs, quelques-uns de ses membres ont atteint l’âge à partir duquel ils ne peuvent plus participer à l’élection du Pontife Romain. C’est pourquoi Nous vous avons convoqués aujourd’hui pour créer de nouveaux Cardinaux, et en même temps pour promulguer des nominations épiscopales, pour vous demander de donner un dernier vote sur les causes de canonisation de trois bienheureux, et enfin pour recevoir les postulations de pallium.

Ce sont là des aspects traditionnels et bien connus de tout consistoire. Ils n’en sont pas moins suggestifs dans leur signification ecclésiale et dans leurs rappels historiques, au point de susciter chaque fois un intérêt particulier pour cet événement de l’Eglise romaine. Oui, le consistoire est un moment particulièrement important et solennel. Nous voyons, par votre participation et votre présence, que vous l’avez compris, et de cela tout d’abord Nous vous remercions.



I. Pour en rester à ce qui, aujourd’hui, polarise le plus l’attention de la communauté catholique, et même de toute l’opinion publique — la création de nouveaux cardinaux — Nous désirons souligner qu’ainsi Nous avons voulu pourvoir, sans attendre davantage, aux exigences du Sacré Collège, surtout après la publication de la constitution apostolique Romano Pontifiai eligendo, dans laquelle Nous avons souligné les tâches particulières et suprêmes de ses membres, appelés à élire le Pape. Et en comblant les vides, comme Nous le disions, Nous avons suivi les critères qui nous tiennent le plus à coeur : la représentativité et le caractère international du Sacré Collège. Celui-ci veut et doit montrer à la face du monde l’image fidèle de la sainte Eglise catholique, venant des quatre points de l’horizon, réunie dans l’unique bercail du Christ (cf. Jn
Jn 10,16), ouverte à toutes les populations et à toutes les cultures pour en assumer les valeurs authentiques et les faire servir à la bonne cause de l’Evangile, c’est-à-dire à la gloire de Dieu et à l’élévation de l’homme. Ainsi — en plus de la reconnaissance qui est due à ceux qui ont très fidèlement servi le Siège apostolique dans les Représentations pontificales et à la Curie romaine — Nous avons pensé avant tout et surtout aux sièges résidentiels, tournant en particulier notre attention vers les jeunes communautés à l’avenir prometteur et lumineux, tout aussi bien que vers les communautés au passé illustre et à l’histoire séculaire, riche d’oeuvres et de sainteté. C’est comme un regard d’ensemble qui embrasse tout l’horizon du monde, où l’Eglise vit, aime, espère, souffre, combat : personne n’est absent, pas même des points extrêmes de l’horizon, pas même ceux des terres les plus lointaines. Si la représentativité des Eglises orientales paraît aujourd’hui réduite, cela ne signifie nullement que Nous ayons une moindre estime ou une moindre considération pour ces régions qui ont été le berceau de l’Eglise, qui en conservent toujours avec un soin jaloux les précieux trésors de piété, de liturgie, de doctrine, et qui trouvent dans leurs pasteurs, les Patriarches qui nous sont si chers, en union avec les collaborateurs de leur synode patriarcal respectif, l’encouragement, la lumière, la force de cohésion. Et même, Nous sommes heureux de saisir cette occasion pour leur manifester une bienveillance des plus affectueuses, en les assurant de notre souvenir, de notre vénération et de notre prière.



II. Le consistoire, disions-nous, est un moment particulièrement grave et solennel pour la vie de l’Eglise, qui se déroule dans le temps : Nous ne pouvons laisser passer cette occasion, qui nous met en contact avec vous, sans traiter en votre présence de quelques aspects et questions qui nous tiennent beaucoup à coeur et que Nous estimons de grande importance, et aussi vous faire part de nos sentiments intimes à ce sujet. Ce sont des sentiments de gratitude et de joie d’une part, mais aussi de préoccupation et de peine.



1) Le premier sentiment naît de l’optimisme inné — fondé sur les promesses indéfectibles du Christ (cf. Mt Mt 28,20 Jn 16,33) et sur la constatation de phénomènes toujours nouveaux et consolants — que Nous nourrissons habituellement au fond du coeur : il s’agit de la vitalité, de la jeunesse de l’Eglise, dont nous avons tant de signes. Nous en avons eu la preuve lors de la récente Année Sainte, qui rayonne encore son influence sur notre esprit. L’essence de la vie chrétienne est dans la vie spirituelle, dans la vie surnaturelle qui est un don de Dieu ; et c’est pour Nous un grand réconfort que de la voir se développer dans tant de pays, dans le témoignage de la foi, dans la liturgie, dans la prière redécouverte et goûtée à nouveau, dans la joie que font garder la clarté du regard spirituel et la pureté du coeur.

Nous voyons en outre se développer toujours davantage l’amour fraternel, inséparable de l’amour de Dieu, qui inspire l’engagement croissant de tant de nos fils et leur solidarité profonde avec les pauvres, les marginaux, les gens sans défense.

Nous voyons les orientations tracées par le récent Concile diriger et soutenir l’effort continu d’adhésion à l’Evangile du Christ, avec une recherche d’authenticité chrétienne, dans l’exercice des vertus théologales.

Rempli d’admiration, Nous voyons la floraison des initiatives missionnaires, et surtout des signes évidents nous montrent que, après un temps d’arrêt, même un secteur aussi délicat et grave que celui des vocations sacerdotales et religieuses connaît une reprise indubitable dans divers pays.

Dans tous les continents, Nous voyons de nombreux jeunes répondre généreusement et concrètement aux consignes de l’Evangile, et faire preuve d’un effort de cohérence absolue entre l’élévation de l’idéal chrétien et le devoir de le mettre en pratique.

Oui, Frères vénérés, vraiment l’Esprit est à l’oeuvre dans tous les champs, même ceux qui semblaient les plus desséchés !



2) Mais il y a aussi des motifs d’amertume, que Nous n’entendons certes pas voiler ni minimiser. Ils viennent spécialement de ce que Nous observons une polarité, souvent irréductible dans certains de ses excès, qui manifeste en divers domaines une immaturité superficielle, ou bien une obstination entêtée, en substance une surdité amère envers les appels à ce sain équilibre conciliateur des tensions, appels qui ont pris leur source dans la grande leçon du Concile, il y a maintenant plus de dix ans.

21 a) D’un côté, voici ceux qui, sous prétexte d’une plus grande fidélité à l’Eglise et au Magistère, refusent systématiquement les enseignements du Concile lui-même, son application et les réformes qui en dérivent, son application graduelle mise en oeuvre par le Siège Apostolique et les Conférences épiscopales, sous notre autorité voulue par le Christ. On jette le discrédit sur l’autorité de l’Eglise au nom d’une Tradition, pour laquelle on ne manifeste un respect que matériellement et verbalement ; on éloigne les fidèles des liens d’obéissance au Siège de Pierre comme à leurs Evêques légitimes ; on refuse l’autorité d’aujourd’hui au nom de celle d’hier. Et le fait est d’autant plus grave que l’opposition dont Nous parlons n’est pas seulement encouragée par certains prêtres, mais dirigée par un Evêque, qui demeure cependant toujours l’objet de notre respect fraternel, Mgr Marcel Lefebvre.

C’est si dur de le constater ! Mais comment ne pas voir dans une telle attitude — quelles que puissent être les intentions de ces personnes — le fait de se placer hors de l’obéissance au Successeur de Pierre et de la communion avec lui, et donc hors de l’Eglise ?

Car telle est bien, malheureusement, la conséquence logique, lorsque l’on soutient qu’il est préférable de désobéir sous prétexte de conserver sa foi intacte, de travailler à sa façon à la préservation de l’Eglise catholique, alors qu’on lui refuse en même temps une obéissance effective. Et on le dit ouvertement ! On ose affirmer que l’on n’est pas lié par le Concile Vatican II, que la foi serait également en danger à cause des réformes et des orientations post-conciliaires, que l’on a le devoir de désobéir pour conserver certaines traditions. Quelles traditions ? C’est à ce groupe, et non au Pape, et non au Collège épiscopal, et non au Concile oecuménique, qu’il appartiendrait de définir parmi les innombrables traditions, celles qui doivent être considérées comme normes de foi ! Comme vous le voyez, Frères vénérés, une telle attitude s’érige en juge de cette volonté divine qui a fait de Pierre — et de ses Successeurs légitimes — le Chef de l’Eglise pour confirmer ses frères dans la foi et paître le troupeau universel (cf. Lc
Lc 22,32 Jn 21,15 ss. ), et qui l’a établi garant et gardien du dépôt de la foi.

Ceci est d’autant plus grave, en particulier lorsque l’on introduit la division justement là où « l’amour du Christ nous a ressemblés en un seul Corps », congregavit nos in unum Christi amor, c’est-à-dire dans la liturgie et dans le sacrifice eucharistique, en refusant le respect dû aux normes fixées en matière liturgique. C’est au nom de la Tradition que Nous demandons à tous nos Fils, à toutes les communautés catholiques, de célébrer, dans la dignité et la ferveur, la liturgie rénovée. L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est pas du tout laissée au libre arbitre des prêtres ou des fidèles. L’Instruction du 14 juin 1971 a prévu la célébration de la messe selon l’ancien rite, avec l’autorisation de l’Ordinaire, uniquement pour des prêtres âgés ou malades, qui offrent le sacrifice divin sine populo. Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien, après une mûre réflexion, et à la suite des instances du Concile Vatican II. Ce n’est pas autrement que notre saint Prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel réformé sous son autorité, à la suite du Concile de Trente.

Avec la même autorité suprême qui nous vient du Christ Jésus, Nous, exigeons la même disponibilité à toutes les autres réformes liturgiques, disciplinaires, pastorales, mûries ces dernières années en application des décrets conciliaires. Aucune initiative qui vise à s’y opposer ne peut s’arroger la prérogative de rendre un service à l’Eglise : en réalité elle lui cause un grave dommage.

Plusieurs fois, directement, ou par l’intermédiaire de nos collaborateurs et d’autres personnes amies, Nous avons appelé l’attention de Mgr Lefebvre sur la gravité de ses attitudes, l’irrégularité de ses principales initiatives actuelles, l’inconsistance et souvent la fausseté des positions doctrinales sur lesquelles il fonde ces attitudes et ces initiatives, et le dommage qui en résulte pour l’Eglise entière.

C’est donc avec une profonde amertume, mais aussi avec une paternelle espérance que Nous nous adressons une fois de plus à ce Confrère, à ses collaborateurs, et à ceux qui se sont laissés entraîner par eux. Oh ! certes, Nous croyons que beaucoup de ces fidèles, au moins dans un premier temps, étaient de bonne foi: Nous comprenons aussi leur attachement sentimental à des formes de culte et de discipline auxquelles ils étaient habitués, qui pendant longtemps ont été pour eux un soutien spirituel et dans lesquelles ils avaient trouvé une nourriture spirituelle. Mais Nous avons le ferme espoir qu’ils sauront réfléchir avec sérénité, sans parti pris, et qu’ils voudront bien admettre qu’ils peuvent trouver aujourd’hui le soutien et la nourriture auxquels ils aspirent, dans les formes renouvelées que le Concile oecuménique Vatican II et Nous-même avons décrétées comme nécessaires pour le bien de l’Eglise, pour son progrès dans le monde contemporain, pour son unité. Nous exhortons donc, encore une fois, tous ces frères et fils, Nous les supplions de prendre conscience des profondes blessures que, autrement, ils causent à l’Eglise. De nouveau, Nous les invitons à penser aux graves avertissements du Christ sur l’unité de l’Eglise (cf. Jn Jn 17,21 ss.) et sur l’obéissance due au Pasteur légitime qu’il a mis à la tête du troupeau universel, comme signe de l’obéissance due au Père et au Fils (cf. Lc Lc 10,16). Nous les attendons le coeur grand ouvert, les bras prêts à les étreindre : puissent-ils retrouver, dans l’humilité et l’édification, pour la joie du Peuple de Dieu, la voie de l’unité et de l’amour !

b) D’autre part, en sens opposé pour ce qui est de la position idéologique, mais nous causant tout autant une profonde peine, il y a ceux qui, croyant faussement continuer dans la ligne du Concile, ont pris une attitude de critique a priori et parfois irréductible envers l’Eglise et ses institutions.

C’est pourquoi, avec la même fermeté, Nous devons dire que Nous n’admettons pas l’attitude :

— de ceux qui se croient autorisés à créer leur propre liturgie, limitant parfois le sacrifice de la messe ou les sacrements à la célébration de leur propre vie ou de leur propre combat, ou encore au symbole de leur fraternité ;

— de ceux qui minimisent l’enseignement doctrinal dans la catéchèse ou qui dénaturent celle-ci au gré des intérêts, des pressions, ou des exigences des hommes selon des tendances qui déforment profondément le message chrétien, comme Nous l’indiquions déjà dans l’Exhortation Apostolique Quinque jam anni, le 8 décembre 1970, cinq ans après la fin du Concile (cf. AAS., 63, 1971, p. 99) ;

22 — de ceux qui feignent d’ignorer la Tradition vivante de l’Eglise, depuis les Pères jusqu’aux enseignements du Magistère, et qui réinterprètent la doctrine de l’Eglise et l’Evangile lui-même, les réalités spirituelles, la divinité du Christ, sa résurrection ou l’eucharistie, en les vidant pratiquement de leur contenu : ils créent ainsi une nouvelle gnose et ils introduisent d’une certaine façon dans l’Eglise le « libre examen » ; et cela est d’autant plus dangereux quand c’est le fait de ceux qui ont la très haute mission, la mission délicate, d’enseigner la théologie catholique ;

— de ceux qui réduisent la fonction spécifique du ministère sacerdotal ;

— de ceux qui transgressent malheureusement les lois de l’Eglise, ou les exigences éthiques rappelées par elle ;

— de ceux qui interprètent la vie théologale comme une organisation de la société d’ici-bas, et même qui la réduisent à une action politique, adoptant dans ce but un esprit, des méthodes ou des pratiques contraires à l’Evangile ; et ils en arrivent à confondre le message transcendant du Christ, son annonce du Royaume de Dieu, sa loi d’amour entre les hommes, fondés sur l’ineffable paternité de Dieu, avec des idéologies qui nient essentiellement ce message en le remplaçant par une position doctrinale absolument opposée : ils se font les champions d’un mariage hybride entre deux mondes inconciliables, comme d’ailleurs le reconnaissent les théoriciens de l’autre bord.

De tels chrétiens ne sont pas très nombreux, c’est vrai, mais ils font beaucoup de bruit ; ils croient trop facilement interpréter les besoins de tout le peuple chrétien ou le sens irréversible de l’histoire. Ils ne peuvent, en agissant ainsi, se réclamer du Concile Vatican II, car l’interprétation et l’application de celui-ci ne se prêtent pas à des abus de la sorte ; pas davantage invoquer les exigences de l’apostolat pour approcher ceux qui sont loin ou les incrédules : l’apostolat véritable est un envoi par l’Eglise pour témoigner de la doctrine et de la vie de l’Eglise elle-même. Le levain doit certes être diffusé dans toute la pâte, mais il doit rester levain évangélique. Autrement il se corrompt lui aussi avec le monde.

Frères vénérés. Nous avons pensé devoir vous confier ces réflexions conscient de l’heure importante qui sonne pour l’Eglise. L’Eglise est et sera toujours l’étendard levé parmi les nations (cf. Is
Is 5,26 Is 11,12), car elle a la mission de donner au monde qui la regarde, avec parfois un air de méfiance, la vérité de la foi qui éclaire sa destinée, l’espérance qui seule ne déçoit pas (Rm 5,5), la charité le sauvant de l’égoïsme qui, sous diverses formes, tente de l’envahir et de l’étouffer. Ce n’est certes pas le moment de l’abandon, de la désertion, des concessions ; ni, encore moins, celui de la peur. Les chrétiens sont simplement appelés à être eux-mêmes : et ils le seront dans la mesure où ils seront fidèles à l’Eglise et au Concile.

Personne, pensons-Nous, ne saurait avoir de doute sur le sens des orientations et des encouragements que, au cours de notre pontificat, Nous avons donnés aux Pasteurs et au Peuple de Dieu, et même au monde entier. Nous sommes reconnaissant à ceux qui ont pris comme programme ces enseignements donnés dans une intention qui était toujours soutenue par une vive espérance, par un optimisme serein joint au sens des réalités concrètes. Si aujourd’hui, Nous nous sommes arrêté davantage sur certains aspects négatifs, c’est parce que la circonstance singulière que Nous vivons et votre confiance bienveillante Nous en ont fait sentir l’opportunité. Effectivement, l’essence du charisme prophétique pour lequel le Seigneur Nous a promis l’assistance de son Esprit, est de veiller, d’avertir des dangers, de scruter les signes de l’aube à l’horizon obscur de la nuit. Custos, quind de nocte ? Custos, quid de nocte ? nous fait dire le prophète (Is 21,11). Jusqu’à ce que l’aube sereine redonne la joie au monde, Nous voulons continuer à élever la voix au nom de la mission qui Nous a été confiée. Vous, nos plus proches amis et collaborateurs, vous pouvez avant tout et mieux que tout autre vous en faire l’écho auprès de tant de nos frères et de nos fils. Et tandis que Nous nous préparons à célébrer le Seigneur qui, avec les signes de la passion et de la résurrection glorieuse, monte à la droite du Père, nous devons, en regardant les cieux ouverts (Ac 7,56), demeurer remplis d’espérance, de joie et de courage. In nomine Domini ! En ce Nom très saint, Nous vous bénissons tous.

Maintenant nous sommes heureux de présenter la liste des Prélats distingués que par leurs mérites Nous avons au cours de ce Consistoire estimés dignes d’appeler à faire partie du très digne Collège des Cardinaux.



Ce sont :

Octavio Antonio Beras Rojas, Archevêque de Saint-Domingue ;

Opilio Rossi, Archevêque titulaire d’Ancira, Nonce Apostolique en Autriche ;

23 Giuseppe Maria Sensi, Archevêque titulaire de Sardi, Nonce Apostolique au Portugal ;

]uan Carlos Aramburu, Archevêque de Buenos Aires ;

Corroda Bafile, Archevêque titulaire d’Antioche de Pisidie, Pro-Préfet de la S. Congrégation pour les Causes des Saints ;

Hyacinthe Thiandoum, Archevêque de Dakar ;

Emmanuel Nsuhuga, Archevêque de Kampala ;

Joseph Scroffer, Archevêque titulaire de Volturno, Secrétaire de la S. Congrégation pour l’Education Catholique ;

Laurence Trevor Picachy, Archevêque de Calcutta ;

Jaime L. Sin, Archevêque de Manille ;

William Wakefield Baum, Archevêque de Washington ;

Aloisio Lorscheider, Archevêque de Fortaleza ;

Reginald John Delargey, Archevêque de Wellington ;

24 Eduardo Pironio, Archevêque titulaire de Tiges, Pro-Préfet de la S. Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers ;

Laszlo Lekai, Archevêque de Esztergom ;

Basil Hume, Archevêque de Westminster ;

Victor Razafimahatratra, Archevêque de Tananarive ;

Dominic Ekandem, Evêque de Ikot Ekpene ;

Boleslaw Filipiak, Doyen des Prélats Auditeurs du Tribunal de la « Sacra Rota Romana ».



Et de plus pour ce qui regarde les deux Cardinaux que Nous nous sommes réservé in pectore nous disons publiquement le nom de l’un d’eux : il s’agit de Monseigneur Joseph Marie Trin-nhu-Khuê, Archevêque de Hanoi, arrivé à Rome seulement hier.

Toutefois Nous tenons encore sous réserve le second qui sera publié quand il Nous plaira.

Donc, par l’autorité du Dieu Tout-Puissant, des Saints Apôtres Pierre et Paul et de la Nôtre nous créons et nommons solennellement Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine les Prélats que nous venons de mentionner.



De ces Cardinaux les suivants appartiendront à l’Ordre des Diacres :

Opilio Rossi ;

25 Giuseppe Maria Sensi ;

Corrado Bafile ;

Joseph Schrôffer ;

Eduardo Pironio ;

Boleslaw Filipiak.



Les autres appartiendront à l’Ordre des Prêtres ;

Avec les nécessaires et opportunes dispenses, dérogations et clauses. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.






24 mai




Discours 1976 14