Discours 1977 9

IMPORTANCE D’UNE VIE LITURGIQUE INTENSE



9 Le pape reçoit les Evêques ligures et piémontais (Italie)



Chers et vénérés frères !



Nous vous accueillons aujourd’hui pour cette visite ad limina avec des sentiments de charité sincère ; ceci nous permet de renouveler la joie de rencontres précédentes avec beaucoup d’entre vous et c’est aussi l’occasion de faire connaissance avec les autres que nous n’avions pas encore eu le plaisir de rencontrer personnellement. Nous vous saluons cordialement tous et chacun.

Le but principal d’une rencontre comme celle-ci est naturellement de nous connaître pour alimenter et approfondir ces liens de communion qui lient chacun des membres du collège épiscopal au successeur de Pierre « principe perpétuel et visible, et fondement de l’unité qui lient entre eux soit les évêques soit la multitude des fidèles » (Lumen Gentium
LG 23). Pour faciliter et approfondir notre connaissance non seulement de votre personnalité, mais aussi de votre activité ministérielle, de ce qui mobilise vos énergies au milieu de souffrances et d’espérances, vous avez présenté à la Sacrée Congrégation compétente un rapport détaillé sur la situation pastorale des diocèses qui vous sont confiés. En vous remerciant du zèle et de l’empressement que vous manifestez ainsi, nous désirons vous assurer de l’attention avec laquelle nous étudierons les résultats de vos analyses pour en extraire les grandes lignes de la réalité vivante et actuelle de vos Eglises locales.

Cette rencontre nous permet aussi d’accomplir le mandat que le Divin Maître a confié à Pierre « Confirme tes frères » (Lc 22,32). Nous ne voulons pas nous attarder à relever certains aspects négatifs qui motivent notre inquiétude ou notre déception. Nous préférons au contraire souligner la piété admirable, le zèle ardent, la constante générosité, la prudence prévoyante, l’esprit de décision intrépide qui caractérisent différemment l’action de chacun d’entre vous; ces qualités vous donnent la possibilité, dans la confrontation mutuelle au niveau régional, d’une harmonieuse intégration, susceptible d’assurer à chacun de vous une incidence pastorale plus efficace dans vos diocèses respectifs. Nos paroles sont donc surtout des paroles de sincère éloge et en même temps une vive exhortation à la persévérance dans l’exercice d’un ministère dont nous connaissons la difficulté et pour lequel nous vous sommes reconnaissants au nom du Christ.

Au-delà de vos personnes, notre regard se porte sur les populations croyantes que vous vous efforcez de conduire au salut « par vos conseils, encouragements, vos exemples mais aussi par votre autorité et par l’exercice du pouvoir sacré » (Lumen Gentium, LG 27) qui vous viennent du Seigneur. Vous connaissez mieux que personne leurs conditions religieuses et vous êtes donc mieux à même que tout autre d’évaluer la diversité qui, sur un fond commun, distingue leur façon concrète de vivre la même foi chrétienne ».

Nous voudrions de nouveau affirmer l’importance et le prix des différentes traditions locales et le soin qu’il faut apporter à les conserver. Elles constituent un précieux patrimoine culturel et religieux qui offre à la foi un enracinement social; la permanence et la transmission de cette foi en est facilitée.

Ce sont, certes, des traditions qui demandent à être sans cesse revivifiées et remises à jour de l’intérieur par une catéchèse assidue. L’effort actuel pour renouveler la catéchèse et les initiatives expérimentées pour une relance de la pastorale sacramentelle en harmonie avec la mutation des conditions socio-culturelles, sont autant de motifs d’espérance pour l’avenir. A ce propos également, nous voudrions insister sur l’importance d’une vie liturgique intense selon les directives conciliaires et post-conciliaires. Favoriser la participation liturgique, en soignant particulièrement le chant sacré qui aide puissamment le coeur et l’esprit à s’élever vers Dieu, est une manière efficace d’éduquer à une foi mûrie, capable de s’exprimer en agissante charité. Il faut encore signaler le rôle indispensable que peut jouer, toujours en vue d’offrir un soutien et un aliment aux saines traditions chrétiennes, les différentes formes de mouvements de groupe. Parmi ces mouvements, nous ne nous lasserons jamais de recommander l’Action Catholique. L’initiative apostolique individuelle mais plus encore l’initiative de groupe, quand elles s’orientent dans le sens indiqué par les plans élaborés, pour chaque Eglise locale, par le Conseil pastoral responsable, ne manquent jamais de semer des germes féconds de bien dans un monde qui se révèle aussi profondément troublé.

Nous partageons avec chacun de vous la souffrance de voir les grandes difficultés que rencontre aujourd’hui l’action évangélisatrice. Si nous devions indiquer la plus grande, celle qui d’une certaine manière résume toutes les autres, nous dirions que c’est l’évolution matérialiste de la société. En face de cette situation, la tâche primordiale des évêques est celle d’enseigner et de sauvegarder dans sa pureté la foi reçue des apôtres. Vous aurez donc soin d’intervenir, le cas échéant, avec clarté et conviction, pour rappeler, dans le fracas des voix contradictoires, les principes immuables de l’Evangile. Le témoignage rendu avec franchise à la vérité évangélique est le premier service de charité que l’évêque est tenu de rendre à son peuple.

Il nous plaît de conclure ces brèves paroles par quelques conseils, sans doute superflus, mais toujours bons à rappeler : aimez les prêtres qui partagent avec vous le labeur quotidien de l’annonce de l’Evangile : rapprochez-vous du peuple qui doit pouvoir reconnaître en vous le Bon Pasteur ; parlez-lui du Christ dans un langage simple, mais avec la force convaincante de l’amour et de l’exemple.

Nous sommes proches de vous pour vous comprendre, pour vous soutenir, pour vous inciter à « combattre le bon combat de la foi » (1Tm 6,12) tandis que nous vous supplions « de conserver, sans tâche et inattaquable, le commandement, jusqu’à la manifestation de notre Seigneur Jésus Christ » (1Tm 6,14). Que notre fraternelle Bénédiction apostolique soit le gage de notre constante communion avec chacun de vous et avec vous tous ; nous vous la donnons de tout coeur et nous voulons l’étendre aussi à nos chers fils de vos diocèses.






4 février



LA VIE JURIDIQUE EST UN SECOURS PASTORAL DE L’EGLISE



10 Le Pape reçoit le Tribunal de la Rote

Le vendredi 4 février, le Pape Paul VI a reçu le Tribunal de la Rote, au début de la nouvelle année judiciaire. Le Doyen de la Rote, Mgr. Charles Lefèvre conduisait la délégation où se trouvaient les Auditeurs, les Promoteurs de justice, les Défenseurs du Lien, les Avocats consistoriaux et rotaux, les Procureurs des Sacrés Palais, etc.

Répondant au discours du Doyen, le Souverain Pontife s’est adressé en latin aux membres présents. Voici notre traduction :



Chers Fils,



C’est une joie pour nous de vous rencontrer et il nous est agréable d’avoir cette occasion de nous entretenir avec vous qui remplissez dans l’Eglise une fonction d’une grande importance. Bien volontiers également nous avons écouté les paroles que votre vénérable doyen, en des termes excellents, vient de nous adresser. .

Au début de cette année judiciaire, nous portons nos regards sur vous qui vous appliquez avec ardeur et activité à la tâche, qui vous est confiée, de dire le droit ; un sujet qui n’est pas de peu d’intérêt pour vos obligations. Ce sujet, disons-nous, doit être considéré avec davantage de soin à la lumière, nouvelle en quelque sorte, du Concile Vatican II et il a sa place dans le Code de droit canon actuellement en révision : c’est la question de la protection de la justice qu’il s’agit de rendre plus parfaite.

Ce sujet, il faut le remarquer, se rapporte plus spécialement à l’époque dans laquelle nous vivons. Personne, en effet, n’ignore que le domaine des droits de l’homme s’étend de plus en plus aujourd’hui, ce qui situe la dignité de ce dernier dans une clarté plus évidente. Cette extension des droits a une influence sur le nouveau Code de droit canon dont la révision ne peut se limiter à la correction du précédent, avec la rédaction des différents éléments dans un ordre convenable, les additions qu’il a paru bon d’introduire et l’omission de ce qui n’est plus en vigueur ; mais, bien plus, il faut que ce Code soit l’instrument le mieux adapté possible à la vie de l’Eglise, après l’événement du Concile Vatican II.

Et, en effet, la révision du Code du droit canon vise à ce que les propositions énoncées d’une manière générale par le Concile universel soient appliquées à la vie juridique de l’Eglise ; application qui s’accomplit par le moyen de prescriptions et de normes grâce auxquelles l’ordre et la paix sont apportés et respectés dans toutes les parties de cette grande communion qui constitue l’Eglise.

Le Concile tend à ce que la vie tout entière de cette communion soit effectivement ordonnée à la foi et à la charité et ceci dans la paix, et que cette vie même devienne comme le secours qui à la fin apportera un jour la réconciliation à tous, pasteurs et fidèles, c’est-à-dire la paix avec Dieu, la paix entre les membres de cette communion, la paix avec tous les chrétiens, et bien plus, avec tous les hommes de bonne volonté. Donc il n’est pas permis de considérer les propositions du Concile comme des énoncés séparés et sans lien avec d’autres. Au contraire, ils constituent une véritable norme qui fait que cette paix que l’on doit demander à Dieu — paix avec Dieu et paix du Christ parmi les fidèles et avec le reste des hommes — non seulement soit vivante mais encore que l’ordre et la paix de la communion soient parfaitement réalisés, protégés, sauvegardés par tous les moyens adaptés. C’est pourquoi le but du Concile postule également la vie juridique non pas en dernière analyse mais bien plutôt d’une façon hautement nécessaire. C’est vraiment parmi les instruments de la pastorale, dont use l’Eglise pour conduire les hommes au salut, que se situe la vie juridique elle-même.

Cependant, ces normes par lesquelles la vie de communion est ordonnée en une convivance pacifique selon des règles juridiques efficaces, ne sont pas — nul n’en ignore — données pour elles-mêmes, comme si elles avaient leur fin en elles-mêmes, mais elles sont plutôt des instruments par lesquels les biens confiés par Dieu à l’Eglise sont offerts aux fidèles d’une manière habituelle et ordonnée : et, tout d’abord, comme nous l’avons dit, que soit conférée à ces fidèles la paix avec Dieu et entre eux.

Si donc, dans la communion de l’Eglise nous cherchons cette paix comme oeuvre de justice, cette oeuvre elle-même, la vie juridique de l’Eglise, doit satisfaire à cette justice et la vie juridique doit être si élevée que véritablement par son intermédiaire nous puissions recevoir en partage la paix du Christ.

11 Il découle donc de là que le droit ecclésial est vraiment de caractère spirituel, et qu’il faut qu’il soit façonné par l’Esprit du Christ, par l’Esprit Saint. Guidé par ce raisonnement, le Concile a postulé que le droit ecclésial soit l’instrument de sa vie spirituelle, il a rejeté la séparation entre l’Esprit et le droit, entre l’Eglise pneumatique, comme on dit, et l’Eglise de caractère institutionnel, comme on l’appelle ; tant il est vrai que dans le mystère même de l’Eglise est contenue l’institution et, qui plus est, l’institution hiérarchique, avec la distinction de différents degrés dans le peuple de Dieu.

Donc, cette structure extérieure et juridique de l’Eglise non seulement n’est pas un obstacle pour sa vie intérieure ou spirituelle, mais elle l’assujettit à la présence et à la modération de l’Esprit Saint, présence et modération qu’elle favorise et protège.

Il semble qu’il faille affirmer ceci : le Concile, guidé par une impulsion, nouvelle en quelque sorte, a mis en relief le don de l’Esprit Saint donné au baptême (Cf. Lumen Gentium,
LG 14,11), comme le don qui attribue aux fidèles une liberté spirituelle qui les rend capables de mener une vie chrétienne digne de ce nom (cf. Rm Rm 8,21).

Mais les droits fondamentaux des baptisés ne sont efficaces et ne peuvent s’exercer sans que la personne reconnaisse les devoirs qui sont liés au baptême lui-même, et surtout sans que cette personne soit convaincue que ces droits sont à exercer dans la communion ecclésiale ; bien plus, que ces droits touchent à l’édification du Corps du Christ qui est l’Eglise, et que, pour cela, l’exercice qu’on en fait doit concourir à l’ordre et à la paix et qu’on ne doit pas permettre qu’ils causent du tort.

Dans la communion ecclésiale, les biens spirituels sont toujours offerts par la célébration liturgique et par l’administration des sacrements moyennant quoi la paix du Christ donne continuellement sa force à la faiblesse humaine. Par conséquent, la communion ecclésiale, comme nous l’avons déjà dit, est parfaitement assurée par la structure juridique, et, bien plus, elle la requiert ; mais cette structure juridique est tout à fait particulière, parce qu’elle participe de la nature sacramentelle de l’Eglise.

Le Concile a confirmé sa volonté de mettre en valeur la nature spirituelle du droit ecclésial d’autant plus fortement qu’il a situé dans une claire lumière le fondement et la source sacramentelle du pouvoir hiérarchique. En effet, dans la consécration épiscopale elle-même est conféré le don de l’Esprit Saint, et Celui-ci, présent dans les évêques, soutient et nourrit, à travers eux, la vie tout entière de la communion ecclésiale. En vérité, dans l’ordination épiscopale, sont attribuées les fonctions pastorales de sanctification, d’enseignement, de gouvernement par lesquelles les évêques, agissant à la place du Christ, pontife, maître et pasteur, deviennent « les instruments de l’Esprit du Christ pour le ministère de ces fonctions dans la communion ecclésiale » (Cf. Lumen Gentium, LG 21 Lumen Gentium, ).

Le magistère en outre et le gouvernement, dans la communion ecclésiale, sont constitués par des devoirs et des droits dont la nature est surnaturelle — spirituelle, différente de tout pouvoir simplement humain —. C’est pourquoi la vie de l’Eglise — grâce au sacerdoce hiérarchique en tout ce qui est particulier et propre à l’Eglise — est, de sa nature, spirituelle ; elle opère le salut des fidèles, en apportant la paix du Christ qui ne peut pas ne pas être une oeuvre de justice et même de justice divine ; et, pour cette même raison, elle revêt une très haute dignité.

Par conséquent il faut que les pasteurs s’efforcent d’avoir un zèle, même juridique, qui soit pastoral, façonné par l’Esprit Saint, et qu’ils ne perdent pas des yeux la justice à qui la paix du Christ est assignée comme fin. « N’éteignez pas l’Esprit » (1Th 5,19) car « L’Esprit souffle où il veut » (Jn 3,8). L’Esprit Saint accorde ses bienfaits aux pasteurs et aux fidèles, pour qu’ils contribuent à l’oeuvre de l’édification du Corps du Christ. Il est vrai, bien entendu, que tous les dons doivent être vérifiés (1Th 5,21) ; cependant, il faut les vérifier avec un coeur ouvert à l’action authentique de l’Esprit Saint en chacun. « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Eglises » (Ap 2,7).

C’est pourquoi la protection de la justice aura une place privilégiée dans le nouveau Code de droit canon pour bien mettre en relief le but même du Concile. Par conséquent le travail juridique — qui n’est certes pas superflu, mais absolument nécessaire dans l’Eglise selon la volonté de Dieu — sera considéré comme un secours pastoral, informé par la justice, et il permettra d’arriver enfin à offrir la paix du Christ, quoique en même temps, à cause de la faiblesse humaine qui n’est pas étrangère à l’Eglise, il y aura lieu parfois d’appliquer fermement les normes. Dans l’Eglise, en effet, il faut que « tout... se passe honnêtement et selon l’ordre » (1Co 14,40). Voilà pourquoi il n’y a pas de place pour une objection de conscience qui risquerait de dissoudre l’obéissance à l’Eglise (cf. ibidem 14, 37 ; 4, 21).

De plus, la protection de la justice se fera jour dans le nouveau Code en ce que, dans la logique de ce Code, ce travail juridique revêtira plus ouvertement un caractère spirituel, puisqu’il émane de la nature sacramentelle de l’Eglise, et qu’il s’exerce dans la communion ecclésiale. Celle-ci, formée de nombreux membres, constitue son unité dans l’Esprit Saint, lequel est conféré à tous les membres dans le baptême : et c’est ainsi qu’il n’est pas moins accordé aux membres de l’ordre hiérarchique pour paître le peuple de Dieu. A ce propos, on évitera dans le nouveau Code le danger de cette séparation funeste entre l’Esprit et l’institution, entre la théologie et le droit, puisque le droit lui-même et le pouvoir pastoral sont compris selon la théologie pour impartir la paix du Christ qui est l’oeuvre d’une justice non humaine mais divine.

C’est pourquoi, en outre, la protection de la justice dans le nouveau Code sera assurée, comme le Concile l’a enseigné avec grand soin, du fait que la communion de l’Eglise est constituée à la fois par les fidèles et par les pasteurs; ainsi, les fidèles, qui ont reçu le sacerdoce commun et qui travaillent avec les pasteurs au bien de l’Eglise par leurs échanges avec eux et les conseils qu’ils donnent, sont considérés non seulement comme les subordonnés mais aussi comme les collaborateurs de l’ordre hiérarchique: ils lui apportent un concours docile à tous les degrés.

12 Enfin la protection de la justice aura sa place dans le nouveau Code parce que la vie juridique n’apparaîtra plus comme si elle dominait toutes les parties de la vie de l’Eglise, mais comme un élément de grande importance au service de la vie même de la communion ; elle laissera en même temps aux fidèles leur nécessaire liberté responsable, comme on l’appelle, et ceci pour l’édification du Corps du Christ, sauf quand l’unité et la paix de toute la communion ecclésiale exigeront des limites plus étroites pour mieux favoriser les liens mutuels et le bien de toute la communion. Le nouveau Code est destiné à l’Eglise catholique qui est aujourd’hui répandue à travers le monde entier. C’est pourquoi la variété et les biens culturels des formes de civilisation qui existent dans les différentes parties de l’univers doivent être pleinement reconnus et acceptés, à condition que soit sauve l’unité de la foi ainsi que l’unité de la communion et ce qu’il y a d’institutions fondamentales dans les grands principes de cette hiérarchie. Cette unité par le magistère et le gouvernement du Pasteur suprême est visiblement, toujours vivante et elle opère la paix du Christ qui est l’oeuvre de la justice divine.

Ce que nous avons dit oriente les principes qui régissent la révision du Code de droit canon (Cf. Communicationes (Commission pontificale pour la révision du Code de droit canon), 1969, 2, p. 77-85 ; ibidem Relatio circa « Principia quae Codicis Juris canonici recognitionem dirigant », p. 86-91.). Selon ces principes — nous traiterons de sujets qui sont encore à l’étude — un esprit de charité, de tempérance, d’humanité et de modération doit se manifester dans les lois de ce Code nouveau qui doit se distinguer de tout autre droit humain. Le but que se propose la législation tout entière est d’apporter un secours à la vie spirituelle des fidèles, vie que l’on doit mener plutôt d’après le fonctionnement propre de la conscience, ou responsabilité, que par la force des commandements. Que, par conséquent, les normes canoniques n’imposent pas de devoirs là où les instructions, les exhortations, les conseils et autres secours qui favorisent la communion entre les fidèles paraissent suffisants pour atteindre le but que l’Eglise se propose ; que le Code n’édicté pas facilement des lois qui annulent des actes ou destituent des personnes si ce n’est quand leur objet est d’une grande importance et nécessaire pour le bien public et pour la discipline ecclésiastique (Ibidem,
PP 79 ss.).

En outre, ces mêmes principes semblent requérir qu’un pouvoir discrétionnaire convenable soit laissé aux pasteurs et aux fidèles selon ce qui a été jugé bon dans la Constitution Apostolique Paenitemini (Ibidem, p. 80.). Il est évident que l’usage d’un pouvoir spirituel sacramentellement conféré ne peut s’exercer d’une façon arbitraire. Donc à chaque fidèle doivent être reconnus et par conséquent garantis les droits qui découlent de la loi naturelle ou de la loi divine positive (Ibidem, p. 82.). Bien plus, pour cette raison, il faut proclamer que dans le droit canonique le principe de la protection juridique doit être appliqué de la même manière aux supérieurs et aux inférieurs, de sorte que tout soupçon d’arbitraire disparaisse complètement dans l’administration ecclésiastique (Ibidem, p. 83.).

Cependant, ce résultat ne peut être obtenu que moyennant des recours sagement disposés par le droit de sorte que si quelqu’un estime que son droit a été lésé par une instance inférieure il puisse le faire restaurer par une instance supérieure (Ibidem.).

Dans le nouveau Code on admet même le recours pour les actes administratifs dans un tribunal administratif. Dans ces circonstances, on suppose et on demande la modération pour que ce qui est destiné à défendre la justice ne tourne pas au contraire à son détriment. En effet la défense de la justice ne serait pas véritablement telle, si elle apportait des difficultés à l’expédition des affaires qui dépendent du gouvernement pastoral, ce qui est absolument nécessaire pour l’ordre et la paix de la communion. De même on doit affirmer qu’un jugement ou un procès est, de sa nature, public ; cependant le respect de la justice elle-même peut exiger qu’il se déroule à huis clos. Egalement celui qui fait un recours doit normalement mentionner toutes les raisons qui sont proférées contre lui ; mais, là encore, le bien de la paix peut conseiller une conduite opposée (Ibidem.).

La réduction des peines à ce qui est absolument nécessaire est sans doute assez généralement demandée et non sans raison, de telle sorte que les peines ne soient pas encourues sans qu’intervienne une sentence. Mais ici encore il faut tenir compte des limites qui viennent de la considération de la vie réelle et ceci pour l’ordre et la paix de la communion (Ibidem, p. 85.).

Nous pouvons affirmer en conclusion ce que nous avons exposé jusqu’ici : on doit estimer au maximum la protection de la justice parce que c’est le caractère spirituel de la vie de l’Eglise qu’on exalte. C’est ce caractère qui fait que même la vie juridique est un secours pastoral dont l’Eglise se sert pour assurer continuellement la paix et la protéger. Ceci requiert que les esprits des pasteurs et des fidèles, dans l’exercice du droit et du pouvoir, soient mus par une intention de paix comme si cette intention constituait leur mentalité. La meilleure des lois ne peut atteindre son but que si les hommes qui l’observent comme norme embrassent aussi le but qu’elle propose. Si donc la paix du Christ est l’oeuvre de la justice, que cette paix qui est divine et qui, par conséquent, dépasse toute intelligence humaine, remplisse — c’est ce que nous espérons dans le Seigneur — d’une effusion toujours nouvelle tous les membres de la communion ecclésiale ; qu’ainsi elle soit efficace dans tous les problèmes que les pasteurs et les fidèles traitent dans la vie juridique de cette même communion et qu’elle fasse de ces actes des actes pastoraux de façon à ce que la protection de la justice divine et humaine s’accomplisse en réalité.

C’est pourquoi, chers Fils, nous vous proposons de peser avec soin ce qui démontre clairement la fécondité spirituelle et doctrinale du Concile Vatican II. Ayez ces choses présentes devant vos yeux quand vous accomplissez l’exercice de votre mandat jusqu’à ce que de nouvelles habitudes de pensée soient réalisées en vous à partir de ces considérations. Quant à nous, nous prions de toute notre âme le Christ Seigneur, prince de la paix, qu’il vous accorde sa lumière et qu’ainsi votre activité juridique progresse heureusement pour le bien de toute la communion ecclésiale. C’est notre souhait en vous accordant, d’un coeur affectueux, à tous et à chacun, notre Bénédiction Apostolique.






7 février



NOTRE TRADITION RELIGIEUSE ET MORALE TIENT-ELLE TOUJOURS ?



Le Pape reçoit les Evêques de Sardaigne (Italie)



Vénérables frères,



13 C’est avec une vraie cordialité que nous vous saluons tous et chacun, et que nous vous accueillons aujourd’hui ad limina apostolorum en qualité de pasteurs officiels de l’Eglise choisie de Sardaigne.

Nous voulons maintenant prolonger notre salut en une sorte de colloque fraternel, au cours duquel nous désirons nous entretenir, avec vous quoique brièvement, sur la situation de vos communautés chrétiennes. L’analyse détaillée de la pastorale dans les différents diocèses devra être examinée par la Sacrée Congrégation pour les Evêques dont c’est la compétence. Mais ici nous voudrions réfléchir avec vous sur deux aspects de la vie socio-ecclésiale qui interpellent notre responsabilité commune de pasteurs.

En premier lieu, nous devons considérer l’évident phénomène de l’évolution sociale qui, ces derniers temps, a profondément marqué et continue à marquer la mentalité et les moeurs de notre peuple. Les causes et les composantes de ce phénomène sont à rechercher par chacun de vous selon un diagnostic qui doit fidèlement refléter les conditions particulières de chacune de vos communautés diocésaines. On ne peut pas nier cependant certains facteurs saillants qui les affectent toutes, comme par exemple la diffusion de l’instruction scolaire, le réveil de certains besoins sociaux légitimes et, de même l’apparition de séduisantes idées d’émancipation souvent liées à la recherche, parfois effrénée, de l’argent et du plaisir.

En second lieu, face à cette situation, une question s’impose à nous : notre tradition religieuse et morale tient-elle toujours ? La réponse ne peut être qu’affirmative, étant données les motivations profondes de notre foi. Mais il faut se rendre compte que certaines conditions sont déterminantes. Avant tout, la pratique publique de la religion chrétienne doit baser sa force d’attraction et d’incidence aussi bien sur la place accordée aux dimensions populaires de la liturgie que sur l’accent mis sur une instruction religieuse zélée et qualifiée. Parallèlement, il faut aussi rappeler les moyens déjà acquis pour se rapprocher du peuple, et chercher de nouvelles formules. A ce propos, c’est une nécessité de savoir maintenir des contacts constants avec les familles, en particulier au niveau des enfants, de ceux qui souffrent, des pauvres, des travailleurs. Les conseils presbytéraux et pastoraux des diocèses doivent eux-mêmes devenir des interprètes sensibles aux besoins de leurs communautés respectives. Sans oublier le rôle important que peut jouer la bonne presse et plus encore l’organisation des mouvements, spécialement les mouvements de jeunes. En un mot, ce qui importe toujours, c’est que nous sachions « aimer les personnes » dans leurs multiples ressources de nature et de grâce.

Enfin, nous ne devons jamais nous le cacher, il y a une souffrance inévitable dans l’exercice du ministère épiscopal : c’est dans ce sens que le Bon Pasteur « donne sa vie » pour son troupeau ; mais par ailleurs la prière sera toujours l’arme secrète qui garantit une vitalité toujours nouvelle à toute notre activité.

Mais tout ceci vous est bien connu, et pas seulement en théorie, dans le concret de votre expérience vécue qui engendre une sagesse pastorale riche et féconde. C’est pourquoi, en conclusion, c’est la confiance que nous nous permettons de vous recommander : en effet « si le Seigneur est avec nous, qui sera contre nous ? (
Rm 8,31). Et c’est lui qui nous répète : confidite ! (Mc 6,50 Jn 16,33).






14 février



L’EVEQUE : INSTRUMENT DE COMMUNION



Le Pape reçoit les Evêques des Pouilles (Italie)



Vénérables frères,



C’est pour nous un motif de profonde joie intérieure de pouvoir vous souhaiter la bienvenue dans notre demeure. Pour respecter l’échéance des cinq ans fixés par la norme canonique (cf. can. 340, 1), vous vous êtes rassemblés à Rome en provenance des différents diocèses des Pouilles ; et ceci non seulement pour vénérer les tombeaux des apôtres Pierre et Paul (Beatorum Apostolorum Petri et Pauli sepulcra veneraturi, cf. can. 341, 1), mais aussi pour vous y rencontrer, comme c’est votre devoir, avec le successeur vivant de Pierre. Et de cette manière vous confirmez la communion d’esprit et de coeur qui vous lie vous et vos fidèles à celui que le Christ a placé comme fondement de son Eglise.

Ceci est, en effet, le sens profond de la visite ad limina, qui vous réunit ici aujourd’hui : vous attestez l’unité de l’Eglise « peuple rassemblé dans l’unité du Père et du Fils et du Saint Esprit » (St Cyprien, De orat. Dom. 23 : PL 4, 553). La koinonia ecclésiale, avant d’être une « marque visible », est, comme nous le savons, une mystérieuse propriété du corps mystique du Christ et a « son modèle suprême et son principe » dans la Trinité elle-même (cf. Unitatis Redintegratio, UR 2,6), dans la distinction véritable des Personnes et dans la très parfaite et ineffable communion qu’elle est. L’humanité est appelée par Dieu à participer à ce transcendant mystère de communion, par l’intermédiaire de son Verbe, fait lui-même chair pour réconcilier en Lui l’univers entier avec le Père (cf. 1Co 12,13 2Co 13,13 Ph 2,1 etc. ), demande à être manifestée à l’extérieur pour devenir ainsi la « marque visible » de l’authentique Eglise du Christ (cf. DS DS 3013). Les modalités d’expression extérieure de la koinonia sont bien décrites dans un passage célèbre du Livre des Actes : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres, et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2,42). Unité de foi par l’adhésion à l’enseignement autorisé des apôtres ; unité de culte dans une célébration disciplinée de l’eucharistie, unité de vie sociale grâce aux multiples formes de charité fraternelle (cf. ibidem vv. 44 s.).

14 Ce mystère de communion doit briller dans les églises locales qui ont dans la personne de leur évêque « le principe visible et le fondement de l’unité » (Lumen Gentium, LG 23,1) ; dans le Nouveau Testament sont appelées Eglises celles qui adhèrent à leurs pasteurs (ibidem 26, 1). Les paroles de saint Ignace d’Antioche sont bien connues : « Que personne ne fasse rien de ce qui regarde l’église indépendamment de l’évêque... Là où est l’évêque, que soit aussi la multitude, comme là où est le Christ, là est l’Eglise catholique » ( Smyrn., 8, 1 : Funk 1, 282). L’évêque, en effet, est l’instrument de la communion entre les fidèles et le Christ, puisque « dans la personne des évêques, assistés des prêtres, Jésus Christ est présent au milieu des croyants » (Lumen Gentium LG 21,1). Il est ensuite artisan de communion pour les fidèles entre eux ; en effet, pasteur bon et éclairé, il illumine leurs esprits, oriente leur engagement moral, harmonise les divers charismes pour le bien de tous et se fait ainsi l’animateur infatigable de la charité. Enfin, l’évêque, en qualité de membre du Collège épiscopal, assure la communion avec l’Eglise universelle, en rendant son église locale présente dans l’Eglise universelle et celle-ci dans l’église locale, selon l’heureuse conclusion de saint Cyprien : « Tu dois savoir que l’évêque est dans l’Eglise et que l’Eglise est dans l’évêque » (Ep 66,8, Corpus Vind. 3, 2, 732).

La visite ad limina, surtout si elle est effectuée sous cette forme collégiale, devient un moment particulièrement expressif de cette unité profonde qui vit dans l’Eglise. Elle donne alors des raisons de se rasséréner, de se réconforter et de s’inciter ensemble à assumer chacun sa part de souffrances, comme de bons soldats du Christ Jésus (cf. 2Tm 2,3). Cette expérience de communion vécue donne ensuite l’occasion de confronter les difficultés, les problèmes, les perspectives, les espérances qui s’entremêlent dans le ministère quotidien de chacun. Nous avons vu le schéma d’ensemble de la situation pastorale de la Région, qui sera convenablement approfondi à la lumière des rapports présentés par chaque Eglise à la Sacrée Congrégation compétente. Nous voudrions saisir ici l’occasion de mettre en évidence le stimulant que provoque cette rencontre en vue d’une sainte émulation qui ravive en chacun son engagement à se donner toujours plus totalement à son troupeau. Stimulant qui encourage également à une constante catholicité de pensée et d’action en maintenant l’esprit de chacun toujours plus ouvert à la « sollicitudo omnium ecclesiarum » (2Co 11,28). Stimulant, enfin, en vue d’un effort d’harmonisation de la défense commune du patrimoine de valeurs humaines et chrétiennes ; ces valeurs sont le propre de nos fidèles et elles sont aujourd’hui menacées par l’action corrosive de puissantes forces négatives.

Ce sont ces sentiments qui nous font invoquer Dieu, sous la protection de la Vierge Marie si dévotement honorée par le peuple des Pouilles ; qu’il vous fasse le don abondant de sa grâce à vous et à tous les fidèles qui vous sont confiés, aux prêtres, aux religieux, aux laïcs et parmi ceux-ci à ceux qui s’engagent d’une façon plus immédiate dans une généreuse collaboration à l’apostolat hiérarchique. A tous nous disons de ne pas se laisser décourager par les difficultés, « sachant que l’affliction produit la constance, la constance la vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance, et l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,3-5).

Que la Bénédiction apostolique que nous vous donnons de tout coeur vous confirme dans cette certitude.






17 février




Discours 1977 9