Paul VI Homélies 15107

III CONGRÈS MONDIAL DE L'APOSTOLAT DES LAÏCS: Dimanche 15 octobre 1967

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SOLENNE RICONOSCIMENTO DELLA CHIESA PER LA DIGNITÀ E LA MISSIONE DEI LAICI: CHIAMATI AD ESSERE NON SOLTANTO FEDELI MA VALIDI COOPERATORI DEL REGNO DI DIO

Au cours de tette brève conversation, il Nous semble indispensable de résumer, en quelques affirmations fondamentales, la pensée de l’Eglise sur vous, chers Laïcs catholiques. Comme les navigateurs, au tours de leur itinéraire à travers l’immensité des mers, «font le point», c’est-à-dire déterminent leur position et leur direction, ainsi il Nous semble que votre troisième Congrès mondial exige qu’on mette en évidence les acquisitions doctrinales proclamées par l’Eglise en tette plus récente phase de son histoire, notamment au second Concile Oecuménique du Vatican.

Ce ne sont pas des choses nouvelles, mais ce sont des choses vraies, importantes, et pour vous qui les écoutez et les méditez ici, des choses fécondes, riches d’une immense vitalité. Voici la première: l’Eglise a accordé au Laïc, membre de la société à la fois mystérieuse et visible des fidèles, une solennelle reconnaissance. Voilà, si l’on peut dire, une nouveauté ancienne. L’Eglise a réfléchi sur sa nature, sur son origine, sur son histoire, sur sa «fonctionnalité», et elle a donné, du laïc qui lui appartient, la définition la plus digne et la plus riche: elle l’a reconnu comme incorporé au Christ et comme participant à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ lui-même, sans pour autant méconnaître sa caractéristique propre, qui est d’être un séculier, un citoyen de ce monde, de s’occuper des choses terrestres, d’exercer une profession profane, d’avoir une famille, de s’adonner, en tous domaines, aux études et aux intérêts temporels.

L’Eglise a proclamé la dignité du Laïc, non seulement parce qu’il est homme, mais aussi parce qu’il est chrétien. Elle l’a déclaré digne d’être, dans la forme et la mesure convenables, associé aux responsabilités de la vie de l’Eglise. Elle l’a jugé capable de rendre témoignage à sa foi. Au Laïc - homme et femme - elle a reconnu la plénitude des droits: droit à l’égalité dans la hiérarchie de la grâce; droit à la liberté dans le cadre de la loi morale et ecclésiastique; droit à la sainteté conforme à l’état de chacun.

On dirait que l’Eglise a mis une certaine complaisance à manifester cette doctrine sur le laïcat, tant sont nombreuses, à ce sujet, les expressions qui se lisent, se répètent, s’entrecroisent dans plusieurs des documents conciliaires. Et si l’on peut dire -qu’en substance l’Eglise avait toujours pensé ainsi, il faut, convenir qu’elle ne s’était jamais exprimée avec une pareille insistance, avec une pareille ampleur.

Eh bien, cette reconnaissance de la «citoyenneté» du Laïc dans l’Eglise de Dieu, Nous vous la redisons ici, heureux de confirmer la parole conciliaire; heureux d’y voir l’aboutissement d’un processus théologique, canonique et sociologique, désiré depuis longtemps et par beaucoup d’esprits clairvoyants; heureux de fonder sur lui les espérances d’une Eglise authentique, rajeunie, rendue plus apte à accomplir sa mission pour le salut chrétien du monde.

Mais tout n’est pas dit encore, chers Fils et Filles, quand on a reconnu et proclamé ce que vous êtes dans l’Eglise de Dieu. Il faut reconnaître et proclamer aussi ce que vous y pouvez et devez faire, ce que vous, catholiques librement consacrés à l’apostolat, vous y faites effectivement. Et Nous voici au coeur du sujet, à la définition même de votre idéal et de vos efforts, à ce que le monde entier peut lire dans le titre de vos Congrès: l’Apostolat des Laïcs.

Ici notre embarras est grand: car nous ne saurions que vous redire sous une autre forme ce que le Concile a proclamé, avec une incomparable autorité et dans des formules très étudiées, remarquables à la fois par la précision et la richesse de leur contenu.

Le principe est posé - et c’est déjà assez dire son importance - dans le texte même de la Constitution dogmatique sur l’Eglise. «Les Laïcs - y lit-on - réunis dans le peuple de Dieu et organisés dans l’unique Corps du Christ, sous une seule tête, sont appelés, quels qu’ils soient, à coopérer comme des membres vivants au progrès de l’Eglise et à sa sanctification permanente. (. . .) A tous les Laïcs, par conséquent, incombe la noble charge de travailler à ce que le dessein divin de salut parvienne de plus en plus à tous les hommes de tous les temps et de toute la terre» (Const. Lumen gentium
LG 33).

L’Eglise reconnaît donc le Laïc, vous le voyez, non seulement comme fidèle, mais comme apôtre. Et en ouvrant devant lui un champ presque illimité, elle lui adresse avec confiance l’invitation de la parabole évangélique: «Allez, vous aussi, travailler à ma vigne» (Mt 20,4). Ce travail sera multiple et diversifié. Le Décret conciliaire sur l’Apostolat des Laïcs après avoir, à son tour, posé fermement le principe que «la vocation chrétienne est aussi, par nature, vocation à l’apostolat», consacre deux chapitres entiers à détailler les «divers champs» et les «divers modes» de cet apostolat. Ces textes vous sont assurément familiers. Qu’il suffise de les avoir mentionnés pour renforcer dans vos âmes, chers Fils et chères Filles, la conviction inébranlable de la réalité de l’appel que l’Eglise vous adresse en ce milieu du vingtième siècle, de la confiance qu’elle place en vous, de l’ampleur des responsabilités qu’elle vous invite à assumer pour faire progresser le Règne du Christ parmi vos frères, pour être pleinement, comme vous y invite le thème de votre Congrès, «le peuple de Dieu dans l’itinéraire des hommes».

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MESSE DE MINUIT: NOËL 24 décembre 1967

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Excellences, chers Fils, Frères et amis,

Nous voici à nouveau réunis, dans l’intimité si suggestive de cette liturgie nocturne, pour fêter ensemble le plus grand événement de l’histoire du monde, aux yeux des chrétiens: celui que l’Evangéliste a résumé en une formule qui a traversé les siècles et nourri la méditation d’innombrables générations: «Verbum caro factum est et habitavit in nobis: Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous» (
Jn 1,14).

La vie et la mission du Christ, ses sublimes enseignements, le salut qu’il apporte au monde: tout commence dans une étable, au coeur d’une nuit d’hiver, dans un obscur village de Palestine.

Quand l’esprit de l’homme moderne, embrassant d’un regard les développements du christianisme au cours de ces vingt siècles, s’arrête à considérer l’exiguïté, la faiblesse, l’insignifiance de ces débuts, il est saisi par le prodigieux contraste qui s’offre à ses yeux. A vues humaines, quoi de plus déraisonnable que d’avoir entrepris la grande oeuvre du salut du monde à partir de moyens apparemment aussi faibles, aussi disproportionnés avec le but à atteindre: un enfant pauvre, dans une pauvre crèche, dans un pauvre village, à l’écart de toutes les grandeurs de ce monde, un enfant apparemment sans force, sans prestige, sans autorité . . .

Mais, comme le dit énergiquement Saint Paul, «la folie de Dieu est encore plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse de Dieu, plus forte que la force des hommes» (1Co 1,25). Ce qui entre dans le monde avec le Christ, en la nuit de Noël, c’est une semence destinée à devenir un grand arbre, c’est un levain capable de soulever toute la pâte humaine. L’extraordinaire mouvement spirituel qui naît en ce jour et qui traversera les âges et les continents, cette immense entreprise de salut, dont l’Eglise sera l’instrument, comment l’expliquer, en effet, sinon précisément comme la croissance continue d’une semence initiale, comme le développement progressif d’un ferment prodigieusement puissant?

Et pourtant, s’il détache son regard du passé pour le porter sur l’univers qui l’entoure, l’homme de notre temps ne peut pas ne pas apercevoir d’immenses zones de la carte du monde où cette semence du christianisme semble avoir été étouffée ou n’avoir pas réussi à pénétrer et à s’enraciner. Un doute peut alors se présenter à son esprit: ce ferment est-il réellement capable de soulever toute la pâte humaine? Concerne-t-il vraiment l’humanité entière? Est-ce bien la lumière et le salut pour tous? Ou ne serait-ce pas plutôt un vaste courant de pensée et d’action, admirable, certes, et indubitablement puissant, mais destiné, malgré tout, à rester l’apanage de quelques nations privilégées, de quelques formes de civilisations, où il a trouvé dans le passé un terrain favorable à son développement?

L’objection, pour celui qui croit, s’évanouit à la clarté qui jaillit aujourd’hui de la grotte de Bethléem. N’ayons crainte: le message de salut qu’apporte cet enfant est bien universel. Ces lèvres, qui ne peuvent pas encore parler, diront un jour les paroles décisives, qu’aucunes lèvres humaines n’auront jamais pu ni osé dire: «Je suis la lumière du monde (Jn 8,12). Allez, enseignez toutes les nations»! (Mt 28,19).

Toutes, et non pas quelques-unes. Et s’il en est, sur le nombre, qui, en certains points du temps et de l’espace, opposent des obstacles à la pénétration ou à l’enracinement du message de vérité et de vie, celui-ci est-il, pour autant, moins valable et moins efficace?

L’Eglise l’a dit bien souvent par la voix de ses pontifes, et récemment encore avec éclat, par la voix de ses évêques réunis en Concile: le message chrétien accueille toutes les valeurs humaines et religieuses, où qu’elles se trouvent, et il les porte à leur plénitude. Il se présente, non en ennemi ou en concurrent, mais en ami de tout ce que l’esprit humain a produit de grand, de beau et de vrai, en tous temps et en tous pays. Et sa richesse est telle, qu’il est capable de donner à chaque homme, à chaque nation, à chaque civilisation, ce qui manque à sa perfection. La rencontre avec le Christ, ce n’est pas une diminution ou un appauvrissement, c’est un enrichissement de la qualité la plus haute, c’est l’accès à la pleine maturité, la promotion à la plénitude de l’âge adulte offerte aux hommes et aux peuples. Ce que l’Enfant de Bethléem apporte au monde, c’est en effet quelque chose que le monde n’était pas capable de se donner à lui-même, quelque chose d’entièrement nouveau.

L’histoire morale et religieuse de l’humanité a connu, certes, en Orient comme en Occident, de ces vastes mouvements spirituels qui ont marqué les âmes, entraîné les foules, mis leur marque sur de vastes secteurs de la géographie humaine. Efforts - parfois admirables - de l’homme cherchant à s’élever à une sagesse supérieure, à se libérer des faiblesses et des entraves de sa condition terrestre. Mais efforts purement humains.

Ici, ce n’est plus l’homme qui cherche à s’élever vers Dieu, c’est Dieu qui descend vers l’homme, pour le faire monter vers lui, le libérer et le sauver. C’est Dieu qui prend l’initiative, Dieu qui fait irruption dans le tissu de l’histoire humaine. Telle est la «bonne nouvelle» - (c’est le sens du mot grec e?a???????)- qui est annoncée aujourd’hui à toute la terre. L’Evangile est «la nouvelle» par excellence, peut-on dire, l’unique nouveauté véritable qui se soit jamais vérifiée dans la longue et laborieuse histoire spirituelle de l’humanité. A la lassitude, au vieillissement du monde païen, le Christ apporte quelque chose d’entièrement neuf: la libération et le salut venus d’en haut. Il libère l’homme de lui-même, de sa misère fondamentale, de ses mauvais penchants, de ses péchés et de ses vices, et en fait un homme nouveau, associé à sa vie divine.

Saint Paul, le chantre incomparable de cette libération de l’homme par le Christ, s’écriera dans un transport de reconnaissance et d’amour: «il m’a aimé et il s’est livré pour moi!» (Ga 2,20). C’est que chacun est ici concerné personnellement. Ce n’est pas à une humanité générique et abstraite que le salut est offert, c’est à chaque personne en particulier; ce sont mes nécessités, mes désirs, mes aspirations les plus profondes que le Christ vient combler. Et les énergies nouvelles qu’il place au coeur de l’homme vont exercer leur, bienfaisante influence sur la société tout entière. Notre monde moderne tourmenté par tant d’angoissants problèmes, ce monde où l’on travaille, où l’on souffre, où l’on soupire après la paix: qu’il se tourne vers l’Enfant de la crèche, qu’il accueille son message! C’est pour lui la voie du salut, du bonheur et de la vraie paix. C’est une nouvelle espérance qui se lève sur le monde, c’est l’annonce d’une plénitude et d’une joie sans déclin!

Telles sont, Excellences, chers Fils et Frères, les quelques brèves réflexions que peut suggérer le mystère de Noël médité par un homme du vingtième siècle. Et devant vous - qui venez de «toutes les extrémités de la terre» (cf. Ac 1,8), puisque vous représentez ici les nations et les peuples - et dans ce cadre de la Chapelle Sixtine, où le génie de Michel-Ange a inscrit en raccourci toute l’histoire du monde, cette méditation prend des dimensions qui s’élargissent et s’étendent jusqu’à l’infini . . . Mais n’est-ce pas justement l’infini qu’embrasse le regard du nouveau-né qui apporte, en cette nuit de Noël, le salut au monde? Accueillons ce salut, car sous les traits de celui qui a voulu être appelé le «Fils de l’Homme» se cache la splendeur de la divinité: il est le Fils du Dieu vivant, la Lumière du monde, le Maître des nations, le «Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité».

Amen.




Noël 1968 à Tarante: L'EGLISE ET LE MONDE DU TRAVAIL

24128

C'est au milieu des ouvriers du Centre sidérurgique de Tarante que Paul VI a passé la nuit de Noël 1968, Au cours de la messe célébrée sur un autel fait d'une plaque d'acier, posée sur des troncs de pipe-line, le Saint-Père a prononcé l'allocution suivante :



Fils, Frères, Amis, Hommes inconnus, et déjà aimés de Nous puisque nous sommes liés les uns aux autres — vous à Nous et Nous à vous — par une parenté supérieure à celle du sang, du pays ; de la culture, par une parenté qui est une solidarité de destins ; une communion de foi, — existante ou à faire naître — une unité mystérieuse, celle qui nous fait chrétiens, qui fait de nous une seule chose dans le Christ !

Toutes les distances sont abolies, les différences tombent, les méfiances et les réserves se dissipent ; nous sommes ensemble, comme si nous n'étions pas des étrangers les uns pour les autres ; et ceci vaut spécialement pour Nous, parce que vraiment Nous sommes pour vous, comme le Pape l'est pour tous, et en particulier pour les catholiques, que vous êtes, un Père, un Pasteur, un Maître, un Frère, un Ami ! Pour chacun et pour tous ! Considérez-Nous comme tel ; écoutez-Nous comme tel.

Nous sommes venu ici pour vous, travailleurs, pour vous, ouvriers de ce nouveau et colossal centre sidérurgique ; et aussi pour ceux des autres usines et chantiers de cette Cité et de cette région ; et également, disons-le, pour tous les travailleurs de l'immense et formidable secteur de l'industrie moderne (et Nous n'oublions pas non plus les ouvriers agricoles) les pêcheurs, les travailleurs des chantiers navals, les marins et ceux de tous les autres secteurs de l'activité humaine : en ce moment vous les représentez tous à nos yeux).

Mais avant de vous parler, permettez que Nous Nous acquittions d'un devoir de courtoisie et de reconnaissance à l'égard de tous ceux qui Nous ont accueilli et autorisé à entrer. Nous Nous sentons obligé de remercier les Autorités civiles et militaires, les Promoteurs et les Dirigeants de cette gigantesque entreprise ; et aussi l'Archevêque et tous ceux qui vous assistent sur le plan spirituel et sur le plan social ; vos Représentants ; et encore vos Familles, vos enfants, toute la population de cette Ville et de cette région. A tous, notre salut, nos voeux et aussi notre Bénédiction. Noël remplit le coeur de souhaits, de bonté et de bonheur pour tous.

La coupure entre le travail et la religion


Mais à vous, Travailleurs, que dirons-Nous dans le bref moment accordé à notre rapide rencontre ?

Nous vous parlerons avec notre coeur. Nous vous dirons une chose très simple, mais pleine de signification. Et la voici : ce n'est pas facile pour Nous de vous parler. Nous sommes conscient de la difficulté qu'il y a à Nous faire comprendre de vous. Ou peut-être est-ce Nous qui ne vous comprenons pas assez ? Le fait est que vous parler est pour Nous chose assez difficile. Il Nous semble qu'entre vous et Nous il n'existe pas de langage commun. Vous êtes immergés dans un monde qui est étranger au monde dans lequel nous, les hommes d'Eglise, nous vivons. Vous pensez et vous travaillez d'une manière si différente de celle dans laquelle pense et agit l'Eglise. Nous vous disions, en vous saluant, que nous sommes frères et amis : mais est-ce bien vrai, en réalité ? Car nous remarquons tous ce fait évident : le travail et la religion, dans notre monde moderne, sont deux choses séparées, coupées l'une de l'autre, bien souvent même opposées. Autrefois, il n'en était pas ainsi. (Il y a quelques années Nous parlions de ce phénomène à Turin). Mais cette séparation, cette incompréhension réciproque n'ont pas de raison d'être. Ce n'est pas le moment de vous expliquer pourquoi. Mais pour l'instant qu'il vous suffise de ce fait que Nous, en tant que Pape de l'Eglise catholique, Nous, pauvre mais authentique représentant de ce Christ, de la naissance duquel nous célébrons cette nuit la mémoire, bien plus le renouvellement spirituel, Nous sommes venu ici parmi vous, pour vous dire que cette séparation entre votre monde du travail et celui de la religion, du christianisme, n'existe pas ou plutôt ne doit pas exister. Nous le répéterons encore une fois, de ce centre sidérurgique, que Nous considérons en ce moment comme une expression typique du travail moderne porté à ses plus hautes manifestations industrielles, d'intelligence, de science, de technique, de dimensions économiques, de finalités sociales : le message chrétien n'est pas étranger au monde du travail, il ne lui est pas refusé ; bien plus, Nous dirons que plus l'oeuvre humaine s'affirme ici dans ses dimensions de progrès scientifique, de puissance, de force, d'organisation, d'utilité, de merveilleuses réalisations, — de modernité, en somme —, plus elle mérite et réclame aussi que Jésus, l'ouvrier-prophète, le maître et l'ami de l'humanité, le Sauveur du monde, le Verbe de Dieu qui s'incarne dans notre nature humaine, l'Homme de la douleur et de l'Amour, le Messie mystérieux et arbitre de l'histoire, annonce ici, et d'ici au monde, son message de rénovation et d'espérance.

Travailleurs qui Nous écoutez : Jésus, le Christ est pour vous !

Souvenez-vous et méditez : le Christ de l'Evangile, celui que l'Eglise catholique vous présente et vous offre, il est pour vous ! Cette nuit, il est avec vous !

N'ayez pas peur que cette présence, cette alliance, vécue dans la foi et la coutume, doive changer l'aspect, la finalité, l'organisation d'une entreprise comme celle-ci et d'autres semblables ; qu'elle doive, comme on dit vulgairement, cléricaliser le travail moderne de l'homme, ou freiner son expansion, opposer la finalité religieuse de la vie au développement de l'activité humaine, l'Evangile au progrès scientifique, technique, économique et social.

Vous avez certainement entendu parler du récent Concile, dans lequel l'Eglise a exprimé et précisé sa pensée sur ses rapports avec le monde contemporain. Voici ce que dit le Concile : « Loin d'opposer les conquêtes du génie et du courage de l'homme à la puissance de Dieu, et de considérer la créature raisonnable comme une sorte de rivale du Créateur, les chrétiens sont, au contraire, bien persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable. Mais plus grandit le pouvoir de l'homme, plus s'élargit le champ de ses responsabilités personnelles et communautaires » (Gaudium et spes,
GS 34).

Cela vaut pour ceux qui opposent le christianisme et l'humanisme du travail moderne ; et cela vaut spécialement pour ceux qui engagent dans ce travail les ressources de la science, de la technique, de l'organisation industrielle, et produisent des oeuvres cyclopéennes et parfaites comme celles où nous nous trouvons, ou qui dominent les lois et les forces de la nature au point d'ouvrir à l'audace de l'homme des entreprises inimaginables et merveilleuses, comme celle qui, cette nuit même, emporte trois hommes dans l'espace céleste pour tourner autour de la lune. Honneur aux pionniers de l'expansion de l'intelligence et de l'activité de l'homme ! et gloire à Dieu, qui irradie sa lumière sur le visage de l'homme et donne aux facultés humaines le pouvoir royal de dominer les créatures qui l'entourent (cf. Gn 1,20 cf. S. irénée, Gloria Dei vivens homo). C'est là une pensée, un principe, qui devra toujours davantage devenir une source de méditation pour l'homme moderne et susciter en lui, non pas l'orgueil et la tragédie de Prométhée, mais ce sentiment primordial et dynamique de sympathie et de confiance à l'égard de la nature dont nous faisons partie et dont nous sommes les explorateurs (cf. einstein, Cosmic Religion, New York 1931, PP 52-53), ce sentiment de jeunesse et d'intelligence qui s'appelle l'admiration et qui, passant de l'observation enchanteresse des choses à la recherche suprême de leur origine, devient découverte du mystère, devient adoration, devient prière.


Lois de la matière et présence de Dieu


Chers Travailleurs, ces paroles sont-elles difficiles ? Non. Ce sont des paroles consolantes, et consolantes pour vous, précisément, qui vivez dans ce cadre. C'est un cadre qui semble, à première vue, une formidable énigme, un ensemble incompréhensible de machines et d'énergies, un royaume de la matière déployant certains de ses secrets, que vous transformez, mais au prix d'une lutte terrible et très habile, en éléments utiles à d'autres travaux, pour être ensuite utilisés pour le service et les besoins de l'homme. Vous avez devant vous une vision extrêmement réaliste, mais qui n'est pas, pour autant, matérialiste. Vous savez comment traiter la matière, qui semble ingrate et réfractaire à toute tentative de l'art humain ; vous savez la traiter et la dominer, parce que, d'une part, vous et ceux qui vous dirigent êtes devenus si intelligents que vous découvrez les lois nouvelles du métier humain, c'est-à-dire de l'art de dominer les choses; et d'autre part, vous avez découvert, vous et vos maîtres, les lois cachées dans les choses elles-mêmes. Les lois ? Que sont les lois, sinon des pensées ? Des pensées cachées dans les choses, pensées impératives, qui non seulement définissent les choses avec nos mots habituels : fer, feu, ou autre ; mais qui leur donnent une existence particulière, une existence que, par elle-même, — c'est évident — les choses ne peuvent pas se donner, une existence que nous appelons créée. Vous rencontrez, à chaque phase de votre dur travail, cette existence créée, c'est-à-dire pensée. Pensée par qui ? Sans vous en apercevoir, vous tirez des choses une réponse, une parole, une loi, une pensée, qui est dans les choses ; une pensée qui, à y bien réfléchir, nous porte à rechercher la main, la puissance, que disons-Nous ? la présence, immanente et transcendante — c'est-à-dire au-dedans et au-dessus de cette matière — d'un Esprit Pensant et Tout-Puissant, Auquel nous sommes habitués à donner le nom qui, en ce moment, tremble sur Nos lèvres, le nom mystérieux de Dieu.

Vous voyez, chers Travailleurs, vous voyez comment, lorsque vous travaillez dans cette usine, c'est, en un certain sens, comme si vous étiez à l'Eglise. Sans y penser, vous êtes ici en contact avec l'oeuvre, avec la pensée, avec la présence de Dieu. Vous voyez comment travail et prière ont une racine commune, même si l'expression est différente. Si vous êtes intelligents, si vous êtes de vrais hommes, vous pouvez et vous devez être religieux, ici, dans ces immenses pavillons du travail terrestre, sans faire autre chose qu'aimer, penser, admirer votre fatigant travail.

Nous avons dit fatigant ; Nous avons reconnu, par là, l'aspect humain de votre oeuvre. Ici, deux mondes se rencontrent : la matière et l'homme : la machine, l'instrument, la structure industrielle d'une part ; la main, la fatigue, la condition de vie du travailleur de l'autre. Le premier monde, celui de la matière, a une secrète révélation spirituelle et divine, disions-Nous, à faire à ceux qui savent l'accueillir ; mais cet autre monde qu'est l'homme, engagé dans son travail, accablé de labeur, plein lui-même de sentiments, de pensées, de besoins, de fatigue, de douleur, quel sort trouve-t-il ici ? Quelle est, en d'autres termes, la condition du Travailleur engagé dans l'organisation industrielle ? Sera-t-il lui aussi une machine ? Un pur instrument qui vend, sa fatigue pour avoir du pain, du pain pour vivre ; car, avant et après tout, la vie est chose plus importante que toute autre; l'homme vaut plus que la machine et plus que sa production. Nous savons bien toutes ces choses, qui ont pris dans le temps passé et prennent encore dans notre temps une importance nouvelle, immense, prédominante ; elles ont eu leur expression dans cet ensemble de problèmes et de luttes que Nous appelons la question sociale. Tout le monde sait quels ont été les phénomènes culturels, historiques, sociaux, économiques, politiques, dans lesquels la question sociale s'est posée et se pose. Ce n'est pas en ce moment qu'il faut en parler.


L'Eglise n'est ni aveugle ni sourde aux appels du monde ouvrier


En ce moment, ce qui Nous préoccupe — Nous, et vous aussi, certainement — c'est de donner une réponse, fût-elle très sommaire, à l'objection que Nous avons Nous-même soulevée en entrant. Que vient faire ici le messager de l'Evangile ? Que peut dire le représentant du Christ à ce monde du travail moderne qui est le vôtre ? Et à vous spécialement, Travailleurs manuels, qui fournissez la fatigue physique, humble et exténuante, qu'aucune machine ne peut encore remplacer ?

Chers Travailleurs ! Sous cet aspect — l'aspect humain — il Nous devient plus facile de vous parler, et les mots viennent du coeur, car il Nous semble les lire aussi dans votre coeur. Qu'avez-vous dans le coeur ? Vous êtes des hommes. Etes-vous heureux pour autant ? Avez-vous tout ce qui vous est dû comme hommes, tout ce que vous désirez profondément ? Ce n'est certainement pas possible. Ce ne l'est pour personne ; ce l'est encore moins, peut-être, pour vous. Chacun porte au fond de son âme une souffrance. Etes-vous malheureux ? Etes-vous vraiment libres ? Etes-vous affamés de justice et de dignité ? Avez-vous besoin de santé, besoin d'amour ? Avez-vous dans le coeur des sentiments de rancoeur et de haine, êtes-vous désireux de vengeance et de rébellion ? Où est pour vous la paix, la fraternité, la solidarité, l'amitié, la loyauté, la bonté, en vous et hors de vous ?

Nous vous dirons une chose, que vous devrez vous rappeler : Nous vous comprenons. Et en disant Nous, Nous disons l'Eglise. Oui, l'Eglise, comme une mère, vous comprend. Ne dites et ne pensez jamais que l'Eglise est aveugle devant vos besoins, sourde à vos appels. Avant même, que vous ayez conscience de vous-mêmes, de vos conditions réelles, totales et profondes, l'Eglise vous connaît, vous étudie, vous interprète, vous défend. Encore plus, parfois, que vous ne le pensez. Que diriez-vous si Nous, l'Eglise, Nous Nous limitions à connaître les passions qui ont agité, en tant de manières, les classes laborieuses ? Qu'est-ce qui agitait ces passions ? Le désir, le besoin de justice. L'Eglise ne partage pas les passions de classe, quand celles-ci explosent en sentiments de haine et en gestes de violence. Mais l'Eglise reconnaît le besoin de justice du peuple honnête, elle le défend comme elle peut et le promeut. Et remarquez bien que l'homme ne vit pas seulement de pain, dit l'Eglise répétant les paroles du Christ, ce n'est pas seulement de justice économique, de salaire, de quelque bien-être matériel qu'a besoin le Travailleur : c'est de justice civile et sociale. Pour cette revendication aussi, l'Eglise vous comprend et vous aide. Il y a plus : vous avez d'autres besoins et d'autres droits, pour la défense desquels l'Eglise, bien souvent, reste votre unique avocate. Ce sont les besoins et les droits de l'esprit, ceux qui sont propres aux enfants de Dieu, ceux des citoyens du royaume des âmes appelées aux vrais et suprêmes destins de la plénitude de la vraie vie, présente et future. N'êtes-vous pas élevés à cette égalité, qui dépasse toute différence sociale ? Bien plus : n'êtes-vous pas, entre tous, les préférés de l'Evangile, si vous êtes petits, si vous êtes pauvres, si vous êtes souffrants, si vous êtes opprimés, si vous êtes assoiffés de justice, capables de vraie joie et de véritable amour ?


Nécessité de l'Evangile devant le risque de déshumanisation


Cela, l'Eglise le pense et le dit de vous et pour vous. Et la raison en est claire : c'est que l'Eglise est la continuation du Christ. L'Eglise est la voie qui porte à travers les siècles et diffuse par toute la terre la Parole du Seigneur, et aussi la présence — perceptible seulement par celui qui croit — de Jésus, de ce Jésus dont en cette nuit nous commémorons et renouvelons en nous, spirituellement, la naissance.

Trouvez-vous alors étrange, trouvez-vous anachronique, trouvez-vous antipathique, ici, le message de l'Evangile ? N'y a-t-il pas ici des hommes vivants, des hommes qui souffrent, des hommes qui ont besoin de dignité, de paix, d'amour, des hommes qui ne comprennent pas le danger d'être réduits à devenir des êtres d'« une seule dimension » : celle d'instruments, et qui ne s'aperçoivent pas que c'est justement ici (Nous voulons dire au coeur du monde industriel en grand style), ici où le péril de cette déshumanisation est le plus grand, que le souffle de l'Evangile, comme oxygène d'une vie digne de l'homme, est plus que jamais à sa place, et la présence humble et pleine d'amour du Christ, plus que jamais nécessaire.

Voilà, fils très chers, voilà pourquoi Nous sommes venu ici. Nous sommes venu pour vous. Nous sommes venu afin que notre présence vous montre la présence consolatrice, salvatrice du Christ au milieu du monde, merveilleux, mais vide de foi et de grâce, du travail moderne. Nous sommes venu pour lancer d'ici, comme un éclat de trompette résonnant dans le monde, la bienheureuse annonce de Noël à l'humanité qui monte, qui étudie, qui travaille, qui peine, qui souffre, qui pleure et qui espère ; et l'annonce est celle des Anges de Bethléem : aujourd'hui est né votre Sauveur, le Christ Seigneur.








Au rendez-vous du Peuple de Dieu: Lundi 6 janvier 1969

GRANDEURS ET EXIGENCES DE L'EPISCOPAT

60169

Le 6 janvier, en la fête de l'Epiphanie, Paul VI a donné l'ordination épiscopale, dans la Basilique Saint-Pierre, à douze évêques de différentes nationalités. A cette occasion il a prononcé l'allocution suivante :



Aujourd'hui l'Eglise célèbre le mystère de l'Epiphanie, le dessein divin selon lequel « il a plu à Dieu dans sa sagesse et sa bonté de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté (
Ep 1,9), grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l'Esprit Saint, auprès du Père, et sont rendus participants de la nature divine (cf. Ep 2,18 2P 1,4). Dans cette révélation le Dieu invisible (cf. Col Col 1,15 1Tm 1,17) s'adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu'à des amis (cf. Ex Ex 33,11 Jn 15,14-15), il s'entretient avec eux (cf. Ba Ba 3,38) pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie » (Const. Dei Verbum, DV 2). C'est la fête de la révélation, de la manifestation de Dieu dans un nouvel ordre, différent et supérieur, qui n'est pas opposé à celui de la connaissance traditionnelle dans le cadre de la nature ; c'est une manifestation qui nous ouvre d'une certaine manière, mais déjà immensément riche et ineffable, à une vision supérieure de la vérité divine en elle-même ; du plan divin sur nous et donc sur la vérité de notre existence et de notre salut ; elle inaugure un rapport merveilleux surnaturel entre Dieu et l'homme, établit une relation vitale, une religion vraie, une communion entre la réalité vivante et transcendante de la divinité et chacun de nous, et aussi avec l'humanité qui accueille le don, la lumière, la vie de cette révélation. Ce dessein s'accomplit en Jésus-Christ et se communique à nous à travers notre acceptation, qui est la foi, pour se mêler alors aux autres courants dérivant de l'Esprit Saint, auxquels nous donnons le nom de charité, de grâce, faisant de nous croyants, ainsi régénérés, un seul corps dans le Christ, l'Eglise.

La Révélation, cette lumière céleste, s'est trouvée à un moment multiforme, mais précis dans le temps, dans l'histoire, dans la réalité humaine, sociale et visible ; un moment, comme nous le disions, qui rayonne sa plénitude dans le Christ; mais après Lui, et par sa volonté, elle nous atteint à travers une transmission, une tradition, à travers un ministère humain, véhicule de la révélation, un magistère : les Apôtres qui coordonnent à la médiation du Christ, unique et originelle, la leur, subalterne et instrumentale, mais indispensable, comme canal, alimenté du charisme de leur élection, faite par le Christ lui-même (Jn 6,70 Jn 15,16), et de leur fonction institutionnelle et permanente (Mt 28,19 Lc 10,16) ; charisme qui ne procède pas de la « communie fidelium », mais qui est ordonné à son édification. Les Apôtres, avec des hommes de leur entourage, consignèrent par écrit le message de salut ; et pour « que l'Evangile fût toujours gardé intact et vivant dans l'Eglise, ils laissèrent comme successeurs les évêques, auxquels ils remirent leur propre fonction d'enseignement » (comme l'enseigne, se faisant la voix de la tradition, saint irenée, Adv. Haer. III, 3, 1 : PG 7, 848 ; Dei Verbum, DV 7).


Représentants qualifiés du Christ


Et nous voici donc logiquement et calmement conduits à considérer en vous, frères vénérés et très chers, que Nous avons élevés aujourd'hui à l'ordre de l'Episcopat et adjoints au collège épiscopal, le mystère de l'Epiphanie, le dessein de la Révélation. Vous êtes les héritiers de ce trésor de vérités révélées, vous êtes les gardiens du « dépôt » (1Tm 6,20), vous êtes les représentants qualifiés du Christ, vous êtes les ministres de ses pouvoirs magistraux, sacerdotaux, pastoraux ; par rapport à l'Eglise, vous représentez, dans la forme la plus authentique et la plus complète, le Seigneur; « là où apparaît l'évêque, là se regroupe la communauté (saint ignace d'antioche, Smyrne, 8, 2), de telle manière que là où est le Christ Jésus, là est l'Eglise catholique»; vous en êtes les préposés, et en tant que tels les responsables à un titre si plein, si exigeant, que la charité a, dans l'évêque, son expression évangélique la plus parfaite et le signale comme celui qui consacre toute sa vie à s'identifier à l'amour qui se donne lui-même (cf. Jn 15,13) et qui fait de la marche derrière le Christ la norme essentielle et déterminante de son existence (cf. Jn 21,19 Jn 21,22). Vous êtes par conséquent, plus qu'aucun autre, voués au service de l'Eglise : cette idée revient souvent dans la Tradition dans chaque discours sur l'Episcopat ; et parmi les nombreuses voix, rappelons celle d'Origène qui, parlant de l'évêque, affirme : « Qui vocatur... ad episcopatum non ad principatum vocatur, sed ad servitutem totius Ecclesiae » (In Is., hom. VI, 1 : ) ; saint Augustin ne sera jamais las de répéter : « Vobis non tam praeesse, sed prodesse delectet (Sermo 140, 1 : PL 38, 1484).

Mais, pour revenir à la pensée qui retient notre attention, au cours de la liturgie d'aujourd'hui, Nous devons rappeler les rapports multiples qui existent entre l'Apôtre ainsi que ses successeurs et la divine révélation. Personne plus que lui ne la reçoit, ne l'écoute, ne la médite, ne la fait sienne ; les paroles de Jésus dans le discours à la dernière Cène nous l'enseignent et nous le répètent (Jn 15,14 etc. ; Mc 4,11) : vous êtes les disciples par excellence de la révélation. Et personne plus que vous n'est gardien de cet héritage de divine vérité, gardien dans sa fidèle intégralité (1Tm 6,20), et gardien dans son application pratique (Lc 11,28 Jn 14,15 Jn 21-23).

A vous, plus qu'à tout autre dans l'Eglise de Dieu, est promise l'effusion de l'Esprit Saint, qui donne l'intelligence et ouvre les profondeurs de la révélation (Jn 14,26 Jn 15,26). Et d'auditeurs privilégiés vous devenez maîtres de la doctrine divine : le magistère est un des pouvoirs les plus grands et les plus spécifiques confiés par le Christ à ses apôtres et à leurs successeurs dans la diffusion du message de vérité et de salut qu'est l'Evangile (Mt 28,20). Et avec le magistère, le témoignage. La doctrine de la foi ne s'impose pas par elle-même, une fois annoncée, comme les vérités d'ordre rationnel qui peuvent être écoutées et répandues par leur évidence intrinsèque ; elle se fonde sur la parole de Dieu et du Christ et de ceux qui en sont les fidèles témoins (cf. Lc 24,48 Ac 1,8 et Ac 10,39), autorisés et décisifs (cf. Ga 1,8 Const. Dei Verbum, DV 10 denz.-sch. DS 3884-3887/2313-2315). Et avec le témoignage, le danger, le risque, le choix de la divine vérité, au prix — si c'est nécessaire — de sa propre vie (cf. Jn 16,2 He 10,20 ss. ; He 11,1 ss.).


Ministres et témoins


Vous êtes devenus avec Nous, avec tout l'épiscopat catholique, frères très chers, ministres et témoins du Christ (cf. Ac 26,16), les défenseurs de l'Evangile (Ph 1,16), mis à part pour servir l'Evangile (Rm 1,1), les confesseurs de l'Evangile (cf. Rm 1,16). La Parole de Dieu doit pénétrer notre vie de manière à établir un rapport vivant de parenté spirituelle avec le Christ (Lc 11,28) ; nous, les disciples, nous les fidèles, nous les imitateurs, nous les images vivantes du Seigneur (cf. 1Co 4,16 1Co 11,1 1P 5,3) ; nous devons d'une certaine manière personnifier, incarner dans notre humble vie le Verbe de Dieu pour que sa révélation à travers notre ministère et notre exemple continue à resplendir dans l'Eglise de Dieu et dans le monde. Notre sort est grand, notre sort est grave ; nous sommes, Jésus l'a dit, la lumière du monde (Mt 5,14) ; cette lumière ne peut, ne doit s'éteindre. Telle est la signification, telle est la valeur de l'acte sacramentel accompli dans vos personnes. Nous avons fait de vous une flamme ardente de la vérité et de la charité du Maître : oh ! puissiez-vous brûler toujours et vous consumer en rayonnant et en diffusant la lumière pascale du Christ.

Nous ne vous dirons rien d'autre sur le mystère célébré et accompli : vous en savez d'ailleurs tout. Mais vous accepterez quelques exhortations que Nous, à qui est échu l'honneur, l'office, de vous engendrer à l'épiscopat (cf. 1Co 4,15), portons dans le coeur, non seulement pour votre édification mais encore plus pour la Nôtre, afin qu'à une si grande faveur divine réponde le plus dignement possible notre reconnaissance, notre acceptation.



Fidélité à la Foi dans une orthodoxie sans équivoque


Nous pensons que notre première attitude en face de notre vocation épiscopale, c'est la foi : comme pour les mages, comme pour tout croyant, une foi pure et entière en la vérité révélée ; une fidélité cohérente et joyeuse aux devoirs qu'elle comporte. Ce n'est pas là une attitude originale, puisqu'elle concerne tout chrétien ; mais en nous, maîtres, en nous pasteurs, en nous évêques, cette attitude doit être parfaite et exemplaire. Si l'orthodoxie doit caractériser tout membre de l'Eglise, c'est par nous en premier lieu, par nous surtout, que l'orthodoxie doit être clairement et fortement professée.

Aujourd'hui, comme chacun le voit, l'orthodoxie, c'est-à-dire la pureté de la doctrine, ne semble pas être à la première place dans la psychologie des chrétiens : que de choses, que de vérités sont mises en question et en doute ; que de libertés ne revendique-t-on vis-à-vis du patrimoine authentique de la doctrine catholique, non seulement pour l'étudier dans ses richesses, pour l'approfondir et pour mieux l'expliquer aux hommes de notre temps ; mais parfois pour le soumettre à ce relativisme dans lequel la pensée profane cherche sa nouvelle expression et expérimente sa précarité, ou encore pour l'adapter ou quasiment pour la placer au niveau du goût moderne et de la capacité réceptive de la mentalité courante. Frères, soyons fidèles, et soyons assurés que dans la mesure même de notre fidélité au dogme catholique, ni l'aridité de notre enseignement ni la surdité de la génération présente n'étoufferont notre parole ; mais sa fécondité, sa vivacité, sa capacité de pénétrer les coeurs, notre parole les trouvera comme par une prodigieuse vertu (cf. He He 4,12 2Co 10,5).


Le Pape a poursuivi en français :

Ce que Nous avons dit sur la jalouse observance de l'orthodoxie doctrinale n'est pas en contradiction avec l'anxiété pastorale ni avec l'habileté didactique soucieuse de communiquer aux hommes de notre temps le message de la révélation sous une forme et dans un langage qui le rende plus acceptable, dans une certaine mesure plus compréhensible, et en tout cas béatifiant.

Aujourd'hui, le mystère de l'Epiphanie, c'est-à-dire de la révélation chrétienne, demande à être considéré par les hommes comme la vraie et la plus haute vocation de l'humanité, vocation de tous les peuples et de toutes les âmes. Tous et chacun de ces peuples et de ces âmes doivent savoir découvrir en eux-mêmes de secrètes et profondes prédispositions à la foi chrétienne : ils doivent reconnaître dans la foi chrétienne l'interprétation sublime de ces prédispositions, c'est-à-dire de leur façon caractéristique d'incarner l'humanité « capable de Dieu» ; ils doivent y trouver l'appel à la plénitude de vie que seul le Christianisme peut leur offrir dans une expression toujours nouvelle et moderne. Rappelons-nous saint Paul : « Je me dois, disait-il, aux Grecs et aux Barbares, aux savants et aux ignorants » (Rm 1,14).


« Je vous ai choisis... »



en anglais :

De cette manière, mes Frères, la parole dont nous sommes les gardiens deviendra apostolique, c'est-à-dire sera répandue partout, et deviendra missionnaire. Ceci appartient en propre à la révélation. La fête que nous célébrons, l'Epiphanie, nous apprend que le plan de Dieu veut voir universalisées la vocation chrétienne et l'économie du salut. C'est une force agissant en celui qui a été appelé par un mystérieux dessein à l'office d'enseignement et à la fonction de ministre de l'Evangile, au degré le plus élevé de ce choix, l'élection à l'épiscopat. « Je vous ai choisis, dit le Seigneur, et je vous ai établis pour que vous donniez des fruits » (Jn 15,16). C'est l'intention de Dieu pour sa révélation qu'elle rayonne dans les ténèbres du monde, non seulement sans aucune discrimination préconçue, mais avec la plus large diffusion possible. Mais cette diffusion requiert un service confié à des hommes qui en ont été chargés. La vérité révélée demande un ministère doctrinal qualifié (cf. Rm 10,14 ss.) ; elle demande des frères, des pasteurs, des maîtres, qui porteront l'Evangile, message de salut, aux hommes ; elle demande des apôtres, des évoques. On vous a confié ce service de vérité pour la foi : un service qui rend responsable devant Dieu, le Christ, l'Eglise et le monde, celui qui en a été chargé. « C'est une charge qui m'est imposée » proclame saint Paul, «Malheur à moi si je ne prêche l'Evangile». Cela demande du zèle, du courage, l'esprit d'initiative, la hardiesse de prêcher: «Même si votre voix est faible et votre langue malhabile, donnez-vous à la parole de Dieu » (origène, ibid.).

Le Bon Pasteur



en espagnol :

Ce devoir épiscopal, est d'annoncer le message de la révélation divine ; il est très grave et pourrait donc sembler dépasser nos forces. Mais ici une autre attitude complète le portrait moral du héraut de l'Evangile. Si la force est une vertu caractéristique de l'évêque — spécialement à cette époque pleine de difficultés pour l'exercice autorisé du ministère, aujourd'hui fréquemment contesté, et du magistère, lui aussi fréquemment affaibli par la critique, le doute, l'arbitraire doctrinal — le bon pasteur ne doit pas craindre. Il essaiera d'améliorer avec une profonde sensibilité (cf. Mt 11,16 Jn 2,25), avec une humble douceur (cf. Mt 11,29), avec esprit de sacrifice (cf. Jn 10,15 2Co 12,15), son art de guider les hommes, fils et frères, et de les porter à aimer cette obéissance dans laquelle se déroule toute l'économie de la rédemption (cf. Ph 2,8 He 13,7-17) ; mais il ne devra pas avoir peur. L'Evêque n'est pas seul ; le Christ est avec lui (Jn 14,9 Mt 28,20). Un don de l'Esprit l'assiste (Mt 10,20 Jn 15,18 ss. ). Un exercice habituel de la maîtrise de soi et de la conscience de la réalité spirituelle, dans laquelle il a été appelé à vivre, sera la confiance dans le Seigneur et l'abandon à sa volonté et à sa providence (cf. Lc 22,35). Nous, au terme de ce discours, Nous vous rappelons, à vous Frères, et Nous rappelons à Nous-même, comme à ceux qui Nous écoutent, la parole de Jésus : « Dans le monde vous aurez de la tribulation, mais, confiance, j'ai vaincu le Monde » (Jn 16,33).

D'abord l'authenticité du témoignage


Comment conclure notre discours ?

Par la confirmation de la fonction de l'évêque investi du devoir de la sauvegarde et de la diffusion du message de la révélation. Cherchant à reconnaître comme voulue par le Christ cette fonction, nous remercierons Dieu « qui a donné un tel pouvoir aux hommes » (Mt 9,8). Nous l'honorerons, reconnaissant qu'elle est nécessaire et bénéfique, car elle est ministère de vérité et de charité, indispensable sur la route du salut. Nous, Evêques, qui sommes chargés de cette fonction, nous ferons tout pour l'exercer dans l'humilité du service, dans la fidélité de l'interprétation, dans la force propre de la parole de Dieu. Et diffusant cette parole divine dans le peuple de Dieu, nous chercherons d'obtenir de lui la docilité à l'écoute et d'apporter le réconfort que celui qui est favorisé par le « sensus fidei » peut trouver dans notre mission. Nous ne nous occuperons pas du sort qui sera réservé à notre prédication, qu'il soit heureux ou dangereux (cf. 2Tm 2,9 Jn 15,20-21). Nous serons uniquement attentifs à l'authenticité de notre témoignage « pour que ne soit pas réduite à néant la croix du Christ » (1Co 1,17 ss.). « A lui la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen » (Ap 1,6).






Paul VI Homélies 15107