Paul VI Homélies 19039

SOLENNITÉ DE SAINT JOSEPH: Mercredi 19 mars 1969

19039

Saint Joseph exemple et modèle de notre vie chrétienne


La fête de ce jour nous invite à la méditation sur saint Joseph, père légal et putatif de Jésus Notre-Seigneur. En raison de sa fonction près du Verbe Incarné pendant son enfance et sa jeunesse, il fut aussi déclaré protecteur de l'Eglise, qui continue dans le temps et reflète dans l'histoire l'image et la mission du Christ.

Pour cette méditation, de prime abord la matière semble faire défaut: que savons-nous de saint Joseph, outre son nom et quelques rares épisodes de la période de l'enfance du Seigneur? L'Evangile ne rapporte de lui aucune parole. Son langage, c'est le silence; c'est l'écoute de voix angéliques qui lui parlent pendant le sommeil; c'est l'obéissance prompte et généreuse qui lui est demandée; c'est le travail manuel sous ses formes les plus modestes et les plus rudes, celles qui valurent à Jésus le qualificatif de « fils du charpentier » (
Mt 13,55). Et rien d'autre: on dirait que sa vie n'est qu'une vie obscure, celle d'un simple artisan, dépourvu de tout signe de grandeur personnelle.

Cependant cette humble figure, si proche de Jésus et de Marie, si bien insérée dans leur vie, si profondément rattachée à la généalogie messianique qu'elle représente le rejeton terminal de la descendance promise à la maison de David (Mt 1,20), cette figure, si on l'observe avec attention, se révèle riche d'aspects et de significations. L'Eglise dans son culte et les fidèles dans leur dévotion traduisent ces aspects multiples sous forme de litanies. Et un célèbre et moderne sanctuaire érigé en l'honneur du Saint par l'initiative d'un simple religieux laïc, Frère André, de la Congrégation de Sainte-Croix de Montréal, au Canada, met ces titres en évidence dans une série de chapelles situées derrière le maître-autel, toutes dédiées à saint Joseph sous les vocables de protecteur de l'enfance, protecteur des époux, protecteur de la famille, protecteur des travailleurs, protecteur des vierges, protecteur des réfugiés, protecteur des mourants.

Si vous observez avec attention cette vie si modeste, vous la découvrirez plus grande, plus heureuse, plus audacieuse que ne le paraît à notre vue hâtive le profil ténu de sa figure biblique. L'Evangile définit saint Joseph comme « juste » (Mt 1,19). On ne saurait louer de plus solides vertus ni des mérites plus élevés en un homme d'humble condition, qui n'a évidemment pas à accomplir d'actions éclatantes. Un homme pauvre, honnête, laborieux, timide peut-être, mais qui a une insondable vie intérieure, d'où lui viennent des ordres et des encouragements uniques, et, pareillement, comme il sied aux âmes simples et limpides, la logique et la force de grandes décision, par exemple, celle de mettre sans délai à la disposition des desseins divins sa liberté, sa légitime vocation humaine, son bonheur conjugal. De la famille il a accepté la condition, la responsabilité et le poids, mais en renonçant à l'amour naturel conjugal qui la constitue et l'alimente, en échange d'un amour virginal incomparable. Il a ainsi offert en sacrifice toute son existence aux exigences impondérables de la surprenante venue du Messie, auquel il imposera le nom à jamais béni de Jésus (Mt 1,21); il Le reconnaîtra comme le fruit de l'Esprit-Saint et, quant aux effets juridiques et domestiques seulement, comme son fils. S. Joseph est donc un homme engagé. Engagé — et combien! —: envers Marie, l'élue entre toutes les femmes de la terre et de l'histoire, son épouse non au sens physique, mais une épouse toujours virginale; envers Jésus, son enfant non au sens naturel, mais en vertu de sa descendance légale. A lui le poids, les responsabilités, les risques, les soucis de la petite et singulière Sainte Famille. A lui le service, à lui le travail, à lui le sacrifice, dans la pénombre du tableau évangélique, où il nous plaît de le contempler et, maintenant que nous savons tout, de le proclamer heureux, bienheureux.

C'est cela, l'Evangile, dans lequel les valeurs de l'existence humaine assument une tout autre mesure que celle avec laquelle nous avons coutume de les apprécier: ici, ce qui est petit devient grand (souvenons-nous des effusions de Jésus, au chapitre XI de saint Matthieu: « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux simples »); ici, ce qui est misérable devient digne de la condition sociale du Fils de Dieu fait fils de l'homme; ici, ce qui est le résultat élémentaire d'un travail artisanal rudimentaire et pénible sert à initier à l'oeuvre humaine l'Auteur du cosmos et du monde (cf. Jn 1,3 Jn 5,17) et à fournir d'humble pain la table de celui qui se définira lui-même « le pain de vie » (Jn 6,48); ici ce que l'on a perdu par amour du Christ est retrouvé (cf. Mt Mt 10,39), et celui qui sacrifie pour Lui sa vie en ce monde la conserve pour la vie éternelle (cf. Jn 12,25). Saint Joseph est le type évangélique que Jésus, après avoir quitté l'atelier de Nazareth pour entreprendre sa mission de prophète et de maître, annoncera comme programme pour la rédemption de l'humanité. Saint Joseph est le modèle des humbles que le christianisme élève à de grands destins. Saint Joseph est la preuve que pour être bon et vrai disciple du Christ, il n'est pas nécessaire d'accomplir de grandes choses; qu'il suffit de vertus communes, humaines, simples, mais authentiques.

Et ici la méditation porte son regard de l'humble Saint au tableau de notre humaine condition personnelle, comme il advient d'habitude dans l'exercice de l'oraison mentale. Elle établit un rapprochement, une comparaison entre lui et nous: une comparaison dont nous n'avons assurément pas à nous glorifier, mais où nous pouvons puiser quelque bonne réflexion. Nous serons portés à imiter saint Joseph suivant les possibilités de nos conditions respectives; nous serons entraînés à le suivre dans l'esprit et la pratique concrète des vertus que nous trouvons en lui si vigoureusement affirmées, de la pauvreté, spécialement, dont on parle tant aujourd'hui. Et nous ne nous laisserons pas troubler par les difficultés qu'elle présente, dans un monde tourné vers la conquête de la richesse économique, comme si elle était la contradiction du progrès, comme si elle était paradoxale et irréelle dans notre société de consommation et de bien-être. Mais, avec saint Joseph pauvre et laborieux, occupé comme nous à gagner quelque chose pour vivre, nous penserons que les biens économiques aussi sont dignes de notre intérêt de chrétiens, à condition de n'être pas considérés comme fin en soi, mais comme moyens de sustenter la vie orientée vers les biens supérieurs; à condition de n'être pas l'objet d'un égoïsme avare, mais le stimulant et la source d'une charité prévoyante; à condition encore de n'être pas destinés à nous exonérer d'un travail personnel et à favoriser une facile et molle jouissance des prétendus plaisirs de la vie, mais d'être au contraire honnêtement et largement dispensés au profit de tous. La pauvreté laborieuse et digne de ce saint évangélique nous est encore aujourd'hui un guide excellent pour retrouver dans notre monde moderne la trace des pas du Christ. Elle est en même temps une maîtresse éloquente de bien-être décent qui, au sein d'une économie compliquée et vertigineuse, nous garde dans ce droit sentier, aussi loin de la poursuite ambitieuse de richesses tentatrices que de l'abus idéologique de la pauvreté comme force de haine sociale et de subversion systématique.

Saint Joseph est donc pour nous un exemple que nous chercherons à imiter; et, en tant que protecteur, nous l'invoquerons. C'est ce que l'Eglise, ces derniers temps, a coutume de faire, pour une réflexion théologique spontanée sur la coopération de l'action divine et de l'action humaine dans la grande économie de la Rédemption. Car, bien que l'action divine se suffise, l'action humaine, pour impuissante qu'elle soit en elle-même (cf. Jn 15,5), n'est jamais dispensée d'une humble mais conditionnelle et ennoblissante collaboration. Comme protecteur encore, l'Eglise l'invoque dans un profond et très actuel désir de faire reverdir son existence séculaire par des vertus véritablement évangéliques, telles qu'elles ont resplendi en saint Joseph. Enfin l'Eglise le veut comme protecteur, dans la confiance inébranlable que celui à qui le Christ voulut confier sa fragile enfance humaine voudra continuer du ciel sa mission tutélaire de guide et de défenseur du Corps mystique du même Christ, toujours faible, toujours menacé, toujours dramatiquement en danger. Et puis nous invoquerons saint Joseph pour le monde, sûrs que dans ce coeur maintenant comblé d'une sagesse et d'une puissance incommensurables réside encore et pour toujours une particulière et précieuse sympathie pour l'humanité entière. Ainsi soit-il.






Au rendez-vous des Nations et des Frères dans le Christ

Genève, Mardi 10 juin 1969

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A l'occasion de la célébration du Cinquantenaire de la fondation de l'Organisation Internationale du Travail, et à l'invitation du Bureau de cette organisation, Paul VI s'est rendu à Genève le 10 juin 1969.

Il a profité de ce voyage pour rendre visite au Conseil Oecuménique des Eglises. Enfin, dans la soirée, le Saint-Père a célébré la messe, en plein air, au parc de la Grange, devant 70000 personnes.


L’homélie de Paul VI au Parc de la Grange




« C'EST L'AMOUR QUI EST FORT ET LE PLUS FORT »


Frères vénérés, Fils très chers,

Quel bonheur, quelle joie pour Nous de pouvoir vous rencontrer, au terme de Cette journée historique, et unir Notre prière à la vôtre, ô membres fidèles de l'Eglise Catholique, ô loyaux citoyens de votre libre et noble Pays, la Suisse ! Quel repos, quel réconfort, quelle grâce pour le Pasteur pèlerin que Nous sommes ! Quelle plénitude débordante de sentiments humains et spirituels remplit Notre coeur, au souvenir d'autres visites — privées et quasi furtives — qu'en des années maintenant lointaines Nous fîmes à cette terre aimable et hospitalière ! Que d'images de personnes chères et vénérées, de sites merveilleux et accueillants, Nous reviennent en mémoire !

Et voici que la Suisse Nous offre, encore une fois, un instant de détente et de réflexion. Qu'à vous tous aille Notre remerciement et Notre salut. A tous et à chacun. Outre les deux Cardinaux de cette Nation, que Nous avons appelés à une plus étroite collaboration avec Nous, Nous voulons nommer explicitement votre Evêque, Monseigneur François Charrière, Pasteur de ce diocèse tripartite. A lui, comme aux autres Evêques suisses ici présents, Nous voulons laisser, comme encouragement et gage de fécond ministère auprès de leur peuple, Notre Bénédiction Apostolique.

Mais célébrant maintenant les saints mystères, qui appellent parmi nous la présence réelle et sacramentelle du Corps et du Sang du Christ et perpétuent le sacrifice de sa passion rédemptrice, Nous devons faire Nôtre, à votre intention, une de ses paroles ; Nous devons, comme apôtre et témoin de son Evangile, Nous faire, pour un instant, l'écho de sa voix. Oh ! Frères et Fils très chers, ce n'est pas Notre voix, c'est la sienne, celle du Seigneur Jésus, que vous entendez, en écoutant cette parole éternelle de lui que Nous vous adressons maintenant.

« Bienheureux les pacifiques — ceux qui procurent la paix (eirenopoioi) — car ils seront appelés enfants de Dieu ».

Il Nous semble que ce message convient à Notre ministère, qu'il convient à votre mission comme catholiques et fils de la Nation helvétique, et qu'il convient à l'heure présente et future de l'histoire du monde moderne.

Nous Nous sommes bien souvent — et aujourd'hui encore — efforcé d'affirmer le rapport essentiel qui existe entre la justice et la paix : celle-ci dérive de celle-là. Mais ici Nous pouvons établir un rapport encore plus profond et plus opérant, celui qui existe entre l'amour et la paix.

Deux forces opposées, peut-on dire, soulèvent le monde : l'amour et la haine. C'est comme le flux et le reflux qui ne cessent d'agiter l'océan de l'humanité. Et le conflit semble s'amplifier avec le temps, opposant non plus cité à cité, ou nation à nation, mais continent à continent.

A l'égard de Dieu, la révélation évangélique du Dieu d'amour a transformé la situation spirituelle de l'humanité. Il lui faut désormais ou bien dire oui à un Dieu, qui est Amour et qui nous demande l'amour, notre suprême amour : alors elle — l'humanité — est soulevée par une force et une espérance encore inconnues de l'histoire du monde. Ou bien il lui faut refuser le Dieu d'Amour, et elle en sera ébranlée jusque dans ses fondements : viendront la tentation de la haine absolue, de la violence absolue, la folie des guerres mondiales.

Car l'amour construit, mais la haine détruit. A certains moments, du fait qu'elle libère des forces jusque-là convergentes, — et c'est ce qui se produit dans la désintégration de l'atome — la haine peut paraître la plus forte. Mais c'est une illusion. La haine et la violence détruisent et se détruisent. Elles tendent au néant. C'est l'amour qui est fort et qui est le plus fort. A la suite de Jésus les saints l'ont compris. Les saints, à chaque point du temps et de l'espace où ils vivent, nous apportent comme un rayon particulier, détaché de la sainteté infinie de Jésus. La vie de chacun d'eux est pour l'époque où il Vit comme une réalisation existentielle et immédiate d'une des béatitudes du Sermon sur la Montagne. L'histoire de votre grand Saint national est typique à cet égard. Saint Nicolas de Flüe a vécu pour son époque la béatitude que Nous venons de rappeler, la béatitude de ceux dont le Sauveur a dit : Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés enfants de Dieu.

La paix, selon la formule célèbre de S. Augustin, est définie « la tranquillité de l'ordre » (De Civ. Dei, 19, 11, 1). Elle n'est pas une force, une puissance; elle est un ordre de l'amour : « ordo amoris », une harmonie suprême, une constante victoire de l'amour sur les passions et les désirs contrastants qui habitent le coeur de l'homme. La justice peut préparer et conditionner la paix, mais elle ne peut à elle seule la créer ; seule la force unitive, la vis unitiva de l'amour peut créer la paix (S. thomas,
II-II 29,3, ad 3).

Le Dieu d'Amour est un Dieu de Paix, le « Deus pacis et dilectionis », dont parle S. Paul aux Corinthiens (2Co 13,11).

Les saints, en se plongeant dans l'amour de Dieu, se plongent dans la paix de Dieu, et, revenant à nous, c'est la paix de Dieu qu'ils nous apportent. Ils sont des pacificateurs, des faiseurs de paix divine au milieu des hommes; encore une fois écoutons le refrain évangélique : Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés enfants de Dieu.

Nicolas de Flüe, sous les yeux duquel nous sommes ici rassemblés, a été un homme de Dieu, un pacificateur. Le message secret que, dans la nuit du 21 au 22 décembre 1481, Heini am Grund vint chercher dans la silencieuse petite cellule du Ranft, fut suffisant pour dissiper les haines et étouffer la guerre civile (cf. Ch. Journet, Saint Nicolas de Flüe, Seuil, 1947, PP 74-76).

Votre Saint croyait à la victoire de l'esprit de paix : La paix, disait-il, est toujours en Dieu, car Dieu est la Paix. Et la paix ne peut être détruite, mais la discorde se détruit elle-même. Comme on est loin de ceux qui déclareront la guerre plus féconde que la paix, et qui proclameront que la haine est plus noble que l'amour (ibid.) !

Les derniers mots de la Lettre de Nicolas à ses concitoyens sont émouvants : « Je ne doute pas, leur dit-il, que vous ne soyez de bons chrétiens. Je vous écris pour vous avertir, afin que, si le mauvais esprit vous tente, vous lui résistiez d'autant mieux, en chevaliers. C'est tout. Dieu soit avec vous » (ibid., p. 86).

Vous voyez comment, aux paroles du Christ, font suite celles de votre Saint, dans lequel se reflète de façon impressionnante la figure ascétique et prophétique du Seigneur Jésus, et dans lequel, comme on l'a dit, « les Suisses voyaient leur meilleur moi » (ibid., p. 75).

Comme ces reflets sont pleins de lumière et de mystère ! Comme elles sont éloquentes, aujourd'hui encore, ces résonances, qui, à travers les tumultueuses expériences de l'histoire, arrivent aux oreilles de notre âme !

Tâchons d'être sensibles aux impressions de l'Esprit, aux signes des temps! En hommes authentiques et forts de notre temps, en chrétiens désireux d'être disciples fidèles du Divin Maître, en catholiques vivant dans le mystère de vérité et de charité qu'est la sainte Eglise de Dieu, efforçons-nous d'être — qu'il s'agisse de la cellule intérieure de nos âmes, de nos familles, et de nos relations sociales immédiates, ou du rayon plus ample du monde où la Providence nous a placés — efforçons-nous d'être de généreux artisans de paix dans la charité : et nous recevrons la récompense de la béatitude évangélique, qui vaut pour la vie présente et pour la future : nous serons mis au nombre des enfants de Dieu.

Qu'il en soit ainsi, avec Notre Bénédiction Apostolique.





PÈLERINAGE APOSTOLIQUE EN OUGANDA


CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE EN CONCLUSION DU SYMPOSIUM DES ÉVÊQUES D'AFRIQUE: Kampala (Ouganda), Jeudi 31 juillet 1969

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L'Eglise d'Afrique à l'heure africaine

Messieurs les Cardinaux,
Frères vénérés,
Très chers fidèles, et vous tous,
Fils d'Afrique ici présents,

A vous tous, notre salut plein de respect et d'affection!

Notre salut de Frère, de Père, d'Ami, de serviteur, aujourd'hui votre hôte! A vous, notre salut d'Evêque de Rome, de successeur de Saint Pierre, de Vicaire du Christ, de Pontife de l'Eglise catholique, lequel a la chance d'être enfin et comme premier Pape sur cette terre africaine. Notre salut porte avec lui celui de toute la fraternité catholique; nous pouvons dire, avec Saint Paul: « Toutes les Eglises du Christ vous saluent » (
Rm 16,16)!

Accueillez ce salut, vous, Messieurs les Cardinaux de ce continent. Nous Nous réjouissons et Nous sommes honoré de vous avoir comme membres du Sacré Collège, comme collaborateurs et conseillers personnels, comme représentants autorisés de l'Eglise africaine dans les dicastères du Siège Apostolique. Merci du signe de votre adhésion que vous Nous donnez par votre présence. Et merci à vous, Frères très chers dans l'Episcopat! Nous savons vos soucis pastoraux et vos mérites. Nous vous embrassons tous et Nous vous bénissons. Et aux Prêtres, aux Religieux, aux Religieuses, aux Catéchistes, aux Maîtres, et à tous les coopérateurs du Laïcat catholique, à tous les Fidèles: nos remerciements, nos voeux et nos bénédictions.

Deux sentiments remplissent en ce moment notre coeur. Un sentiment de communion. Nous remercions le Seigneur qui Nous en donne l'ineffable expérience. Nous devons vous dire que c'est dans le désir de cette expérience spirituelle que Nous avons entrepris ce voyage: pour être avec vous, pour jouir de la foi commune et de la commune charité qui nous unissent, pour affirmer, même de façon sensible, que nous sommes une unique famille dans le corps mystique du Christ, son Eglise! Nous devons vous dire que Nous sommes heureux de répéter ici les paroles de l'Apôtre des gentils: « Nous sommes un seul corps et un seul Esprit, ... appelés à une seule espérance. Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Un seul Dieu et Père de tous ... » (Ep 4,4-6). Si ce sentiment de communion est aussi en vous, comme Nous l'espérons, et s'il constitue le souvenir de cette rencontre, Nous pourrons dire que notre voyage aura déjà obtenu un résultat grandement satisfaisant.

Un autre sentiment, Frères et Fils, est maintenant dans notre coeur: celui de respect, pour vos personnes, pour votre terre, pour votre culture. Nous sommes plein d'admiration et de dévotion pour vos Martyrs, que Nous sommes venu honorer et invoquer. Nous n'avons d'autre désir que de promouvoir ce que vous êtes: chrétiens et africains. Nous voulons que notre présence parmi vous soit le signe que Nous reconnaissons votre maturité et que Nous désirons vous montrer comment la communion qui nous unit n'étouffe pas, mais alimente l'originalité de votre personnalité individuelle, ecclésiale et même civile. Nous demandons au Seigneur la grâce de pouvoir être utile à votre progrès, en éveillant les bons germes et en stimulant les énergies humaines et chrétiennes qui sont dans le génie de votre vocation à la plénitude spirituelle et temporelle. Ce ne sont pas nos intérêts, mais les vôtres, qui sont l'objet de notre ministère apostolique.

Cette pensée nous permet de donner tout d'abord un très bref coup d'oeil récapitulatif aux questions caractéristiques de l'Eglise africaine. Nous savons que beaucoup de ces questions ont été traitées par vous, Evêques de ce continent; et à leur sujet, il ne Nous reste plus qu'à apprécier vos études et à encourager votre zèle: ayez des idées claires et concordantes, et allez de l'avant, méthodiquement et courageusement, avec la conscience d'un grand mandat: construire l'Eglise!

Nous Nous limitons maintenant à mentionner quelques aspects généraux de la vie catholique africaine en ce moment historique.

Le premier aspect Nous semble celui-ci: Vous, Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires. L'Eglise du Christ est vraiment implantée sur cette terre bénie (cf. Decr. Ad gentes AGD 6). Et il est un devoir que Nous devons accomplir: Nous devons évoquer le souvenir de ceux qui, en Afrique, avant vous et encore aujourd'hui avec vous, ont prêché l'Evangile. L'Ecriture Sainte nous y invite: « Souvenez-vous de vos prédécesseurs, qui vous ont annoncé la parole de Dieu, et considérant la fin de leur vie, imitez leur foi » (He 13,7). C'est une histoire que nous ne devons pas oublier; elle confère à l'Eglise locale la note de son authenticité et de sa noblesse: la note « apostolique ». Elle est un drame de charité, d'héroïsme, de sacrifice, qui fait de l'Eglise africaine, depuis les origines, une Eglise grande et sainte. C'est une histoire qui dure encore et qui devra durer longtemps, même si vous, Africains, vous en prenez maintenant la direction. L'aide de collaborateurs provenant d'autres Eglises vous est aujourd'hui encore nécessaire: estimez-la précieuse, faites-lui honneur et sachez l'unir à votre oeuvre pastorale.

Etre vos propres missionnaires: c'est dire que vous, Africains, vous devez poursuivre la construction de l'Eglise sur ce continent. Les deux grandes forces (oh! combien différentes et inégales!), voulues par le Christ pour édifier son Eglise, doivent être à l'oeuvre ensemble avec une grande intensité (cf. Ad gentes AGD 4): la hiérarchie (et Nous entendons par là toute la structure sociale, canonique, responsable, humaine, visible de l'Eglise, avec les Evêques en première ligne, et l'Esprit-Saint (c'est-à-dire la grâce avec ses charismes: cf. Congar, Esquisses du mystère de l'Eglise , pp. 129 ss.); ces deux forces doivent être à l'oeuvre de façon dynamique, comme il convient justement à une Eglise jeune, appelée à rencontrer une culture ouverte à l'Evangile, comme c'est le cas pour votre culture africaine. A l'impulsion que donnait à la foi l'action missionnaire de Pays étrangers, doit s'unir et succéder l'impulsion venant de l'intérieur de l'Afrique. L'Eglise, par sa nature, demeure toujours missionnaire. Mais le jour viendra où Nous n'appellerons plus « missionnaire » au sens technique, votre apostolat, mais natif, indigène, vraiment vôtre.

Un travail immense se prépare pour votre labeur pastoral; celui spécialement de la formation des chrétiens, appelés à l'apostolat: le Clergé, les Religieux, les Catéchistes, les Laïcs actifs. De la préparation de ces éléments locaux, éléments choisis et agissants du Peuple de Dieu, dépendront la vitalité, le développement, l'avenir de l'Eglise africaine. C'est clair. C'est le plan voulu par le Christ: les frères doivent sauver leurs frères; mais pour accomplir cette entreprise évangélique, il faut que des frères qualifiés soient les ministres, les serviteurs, les diffuseurs de la parole, de la grâce, de la charité, en faveur des autres frères, appelés eux-mêmes par la suite, à coopérer à l'oeuvre commune d'édification de l'Eglise. Vous savez bien tout cela. Nous ne devons rien faire d'autre qu'encourager et bénir vos projets.

Une question qui demeure très vive et suscite beaucoup de discussions se présente à votre oeuvre évangélisatrice, celle de l'adaptation de l'Evangile, de l'Eglise, à la culture africaine. L'Eglise doit-elle être européenne, latine, orientale ... ou bien doit-elle être africaine? Le problème paraît difficile, et en pratique il peut l'être en effet. Mais la solution est prête, avec deux réponses. Votre Eglise doit être avant tout catholique. Autrement dit, elle doit être entièrement fondée sur le patrimoine identique, essentiel, constitutionnel de la même doctrine du Christ, professée par la tradition authentique et autorisée de l'unique et véritable Eglise. C'est là une exigence fondamentale et indiscutable. Tous nous devons être jaloux et fiers de cette foi dont les apôtres furent les héros et les Martyrs, c'est-à-dire les maîtres scrupuleux. Vous savez à quel point l'Eglise est par-dessus tout tenace, disons conservatrice, sous ce rapport. Pour empêcher que le message de la doctrine révélée ne puisse s'altérer, l'Eglise est allée jusqu'à fixer en quelques formules conceptuelles et verbales son trésor de vérité; et même si ces formules sont parfois difficiles, elle nous fait une obligation de les conserver textuellement. Nous ne sommes pas les inventeurs de notre foi; nous en sommes les gardiens. Toute religiosité n'est pas bonne, mais seulement celle qui interprète la pensée de Dieu, selon l'enseignement du magistère apostolique, établi par l'unique Maître, Jésus-Christ.

Mais cette première réponse étant donnée, il Nous faut passer à la seconde: l'expression, c'est-à-dire le langage, la façon de manifester l'unique foi peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un pluralisme est légitime, même souhaitable. Une adaptation de la vie chrétienne dans les domaines pastoral, rituel, didactique et aussi spirituel, est non seulement possible, mais est favorisée par l'Eglise. C'est ce qu'exprime, par exemple, la réforme liturgique. En ce sens, vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain. Oui, vous avez des valeurs humaines et des formes caractéristiques de culture qui peuvent s'élever à une perfection propre, apte à trouver dans le christianisme et par le christianisme, une plénitude supérieure originale, et donc capable d'avoir une richesse d'expression propre, vraiment africaine. Il y faudra peut-être du temps. Il faudra que votre âme africaine soit imprégnée profondément des charismes secrets du christianisme, afin que ceux-ci se répandent ensuite librement, en beauté et en sagesse, à la manière africaine. Il faudra que votre culture ne se refuse pas, mais au contraire en tire profit, à puiser dans le patrimoine de la tradition patristique, exégétique, théologique de l'Eglise catholique, les trésors de sagesse qui peuvent être considérés comme universels, et de façon spéciale ceux qui sont plus facilement assimilables par la mentalité africaine. L'Occident aussi a su puiser aux sources des écrivains africains, comme Tertullien, Ottavius de Milet, Origène, Cyprien, Augustin ... (cf. Décret Optatam totius OT 16): cet échange des plus hautes expressions de la pensée chrétienne alimente, sans l'altérer, l'originalité d'une culture particulière. Il faudra une incubation du « mystère » chrétien dans le génie de votre peuple, pour qu'ensuite sa voix originale, plus limpide et plus franche, s'élève harmonieuse dans le choeur des autres voix de l'Eglise universelle. Devons-Nous vous rappeler, à ce propos, à quel point il sera utile pour l'Eglise africaine, d'avoir des centres de vie contemplative et monastique, des centres d'études religieuses, des centres de formation pastorale? Si vous savez éviter les périls possibles du pluralisme religieux, et par conséquent vous abstenir de faire de votre profession chrétienne une espèce de folklorisme local, ou bien de racisme exclusiviste ou de tribalisme égoïste, ou encore de séparatisme arbitraire, vous pourrez demeurer sincèrement africains même dans votre interprétation de la vie chrétienne; vous pourrez formuler le catholicisme en termes absolument appropriés à votre culture et vous pourrez apporter à l'Eglise catholique la contribution précieuse et originale de la « négritude » dont, à cette heure de l'histoire, elle a particulièrement besoin.

L'Eglise africaine a devant elle une tâche immense et originale à réaliser: elle doit s'adresser comme « mère et éducatrice » — Mater et Magistra — à tous les fils de cette terre du soleil. Elle doit leur offrir une interprétation traditionnelle et moderne de la vie. Elle doit former les populations aux formes nouvelles de l'organisation civile, tout en purifiant et conservant celles si sages impulsion pédagogique à vos vertus individuelles et sociales d'honnêteté, de sobriété, de loyauté. Elle doit accroître toute activité en faveur du bien public, notamment l'école, comme aussi l'assistance aux pauvres et aux malades. Elle doit aider l'Afrique sur la voie du développement, de la concorde et de la paix.

Oui, ce sont là de grands devoirs, des devoirs toujours nouveaux. Nous en reparlerons. Mais Nous vous disons, au nom du Seigneur, qu'ensemble nous suivons et aimons: vous avez la force et la grâce nécessaires pour les remplir, parce que vous êtes membres vivants de l'Eglise catholique, parce que vous êtes chrétiens et africains.

Que vous y aide Notre Bénédiction Apostolique.



Sanctuaire des Martyrs ougandais de Namugongo, Kampala

Samedi 2 août 1969

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A L'EXEMPLE DE VOS MARTYRS, VIVEZ VOTRE FOI »




Pendant la cérémonie au Sanctuaire des Martyrs de l'Ouganda, Paul VI a exalté la vertu de foi inspiratrice de leur vie et de leur sacrifice.



Fils très chers ! Jeunesse chrétienne de l'Ouganda !

Et vous, Frères vénérés, Evêques et prêtres !

Vous, Religieux et Religieuses,

Catéchistes et Laïcs d'Action catholique !

Vous, Frères chrétiens de toute dénomination !

Vous, Autorités civiles ici présentes,

que Nous remercions particulièrement de votre aimable accueil et de votre assistance qui nous honore !


Soyez tous salués et bénis !

Sachez tous combien vous êtes présents dans Notre prière au cours de ce saint rite.

Et c'est toute l'Afrique, que Nous considérons en ce moment comme participant symboliquement à cette cérémonie sacrée, parce que c'est pour toute l'Afrique que Nous voulons dédier celle-ci au Christ, pour sa prospérité, pour sa paix, pour son salut.

A ces jeunes, à ces catéchumènes, à ces enfants, en tant que signes de l'Afrique nouvelle, nous adressons maintenant, de façon spéciale, ce bref discours.

A vous, fils très chers, je demande à présent :

— Pourquoi suis-je venu en Afrique, en Ouganda, jusqu'ici, à Namugongo ?

Je suis venu pour rendre honneur à vos martyrs. Ici, s'élève un Sanctuaire à la gloire du Seigneur, en leur mémoire ; et j'ai voulu venir de Rome pour bénir l'autel de ce Sanctuaire. Mon intention est de vénérer aussi, par cet acte, tous les autres chrétiens qui ont donné leur vie pour la foi catholique en Afrique, ici et partout.

— Mais pourquoi, me demanderez-vous, doit-on honorer les Martyrs ?

Je vous réponds : parce qu'ils ont accompli l'action la plus héroïque et donc la plus grande et la plus belle ; ils ont donné, comme je vous disais, leur vie pour leur foi, autrement dit pour leur religion et la liberté de leur conscience. Ils sont ainsi nos champions, nos héros, nos maîtres. Ils nous enseignent comment nous devons être chrétiens. Ecoutez-moi : un chrétien doit-il être lâche ? doit-il avoir peur ? doit-il trahir sa propre foi ? Non, n'est-ce pas ? Vos martyrs nous enseignent comment doivent être les vrais chrétiens, et spécialement les jeunes, les Africains. Les chrétiens doivent être, comme l'écrivait Saint Pierre, « forts dans la foi » (
1P 5,9). Vos Martyrs nous enseignent tout ce que veut la foi !

— La foi, me demandez-vous, vaut vraiment plus que la vie ?

Oui, la foi vaut plus que notre vie présente qui est une vie mortelle, tandis que la foi est le principe de la vie immortelle et bienheureuse, c'est-à-dire de la vie de Dieu en nous. Vous savez, vous, cette vérité si importante ? Oui, me répondez-vous, parce que vous avez appris que la foi est l'adhésion à la Parole de Dieu ; et qui accepte la Parole de Dieu commence à vivre de Dieu lui-même.


— Est-ce que la foi suffit pour être vivants en Dieu et pour être sauvés ? pourriez-vous me demander.

Mais vous connaissez votre catéchisme : la foi est nécessaire, mais ne suffit pas ; avec la foi, il faut la grâce, il faut l'Esprit-Saint, il faut le sacrement, le grand sacrement qui nous fait chrétiens, le baptême. Et puis il faut aussi les autres sacrements, qui nous font vivre comme fils de Dieu, comme frères du Christ, comme tabernacles de l'Esprit-Saint. Ils nous rendent bons et saints, ils font de nous des membres de l'Eglise, ils nous font mériter le Paradis. Le sacrement de l'Eucharistie tient une place spéciale entre tous : c'est le sacrement le plus mystérieux, mais aussi le plus saint, le plus vivifiant ; il nous donne Jésus-Christ lui-même qui, en se sacrifiant pour nous, s'est fait le pain vivant pour nos âmes.


— Par conséquent, pouvez-vous dire, c'est si beau d'être chrétien ?

Oui, fils très chers, c'est très, très beau. Je voudrais que cette pensée demeurât gravée dans votre mémoire, bien plus, dans votre conscience, pour toujours : c'est très beau d'être chrétien. Mais faites attention : c'est très beau, mais ce n'est pas toujours facile. Regardez vos Martyrs. Pour leur fidélité au Christ, ils ont dû souffrir. Qui est chrétien doit vivre selon sa propre foi ; et alors il peut arriver que le fait de vivre en accord avec la foi exige le sacrifice. Parfois, il exige de grands sacrifices, mais le plus souvent, il exige seulement beaucoup de petits sacrifices, fréquemment, des sacrifices pourtant bien précieux et marqués d'une vigueur noble et virile, qui rendent la vie chrétienne forte et vertueuse, la conservent pure et honnête, la disposent toujours à l'amour ; à l'amour de Dieu qui est la première chose que nous devons réaliser, et puis à l'amour des autres hommes, de ceux qui nous sont plus proches à un titre spécial, et qui constituent « notre prochain », et à l'amour aussi de toutes les personnes humaines, bonnes et mauvaises, proches ou lointaines.


— Alors, me demandez-vous encore, être chrétien, c'est important aussi pour la vie présente, parce que cela nous oblige à vouloir du bien à tous et à faire du bien à toute la société ?

Je vous réponds : c'est précisément cela. La vie chrétienne a une grande importance aussi pour cette vie terrestre ; elle a de l'importance pour toute l'activité humaine, pour toute la vie en société : pour la famille, pour l'école, pour le travail, pour la paix entre toutes les classes sociales, entre les tribus, entre les nations. Elle promeut le bien partout : elle veut la liberté, elle veut la justice ; elle s'occupe des faibles, des pauvres, de ceux qui souffrent et aussi des ennemis, et encore des défunts. La vie chrétienne, quand elle porte vraiment le Christ dans le coeur, est comme une fontaine de bonté et d'amour, répandant le bien qu'elle tire de l'intérieur d'elle-même (cf. Jn 4,14).


Vous me posez peut-être cette dernière question :

— Comment fait-on pour bien vivre notre foi chrétienne ?

Voici comment je résume tout ce que je voudrais vous dire : d'abord aimez beaucoup Jésus-Christ ; cherchez à bien le connaître, soyez-lui bien unis, ayez beaucoup de foi et de confiance en lui. Deuxièmement : soyez fidèles à l'Eglise, priez avec elle, aimez-la, travaillez à son développement, soyez toujours prêts, comme vos Martyrs, à lui donner un franc témoignage. En troisième lieu : soyez forts et courageux ; soyez contents, soyez joyeux, soyez pleins d'allégresse, toujours. Car la vie chrétienne, souvenez-vous-en, est très belle ! (cf. Ph 4,4).






Paul VI Homélies 19039