Paul VI Homélies 12067

12 juin 1977: Fête-Dieu - LE SACREMENT DE L’AMOUR QUI TRANSFORME NOTRE VIE

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Vénérables Frères et très chers Fils !

Nous célébrons aujourd’hui à Rome la fête du « Corpus Domini » — (la Fête-Dieu), non plus le jour traditionnel, le jeudi suivant le dimanche dédié à la Très-Sainte Trinité, mais bien le dimanche suivant cette dernière fête. Ce déplacement, rendu nécessaire pour harmoniser le calendrier liturgique au calendrier civil ne signifie d’aucune manière la moindre diminution du culte à la Très-Sainte Eucharistie. Au contraire cette mesure tend plutôt à raffermir ce culte, à le rendre plus accessible, à en permettre une meilleure participation à tout le Peuple fidèle. A vous, Pasteurs de l’Eglise de Dieu, à vous Prêtres, ministres de ce grand sacrifice et sacrement, à vous Religieux et Religieuses qui professez une dévotion toute particulière à l’égard de l’Eucharistie, et à vous tous, Catholiques invités toujours au mystérieux et très saint banquet eucharistique, nous adressons la plus vive recommandation de renouveler l’éternel engagement de célébrer avec une conviction inaltérée, ou plutôt accrue, cette très belle fête, due souverainement au Christ qui, venant à notre rencontre avec une telle prodigalité d’amour et de grâce, est vraiment, ineffablement, pour chacun de nous comme pour toute la communauté catholique le Pain de vie pour notre pèlerinage dans le temps vers l’éternelle possession de Dieu.

Vénérables Frères et très chers Fils !

Ecoutez cette année encore quelques mots sur le « Corpus Domini », dans une attitude de prière ! Le premier objectif de cette célébration est pédagogique, c’est-à-dire éducatif ; celui de nous rendre attentifs, exultants, conscients de la réalité du mystère eucharistique. L’homme est un être qui s’habitue aux choses extraordinaires et souvent il réduit l’impression exceptionnelle d’un moment donné à une expression ordinaire, conventionnelle et superficielle. L’homme s’habitue ; et même il finit par trouver normales les réalités qui dépassent sa faculté d’entendement. Il les considère comme contenues dans un espace purement verbal qui les qualifie, sans leur attribuer ni reconnaître l’exubérante richesse de signification intérieure qui leur est propre. Cela se passe souvent ainsi pour cet ineffable sacrement de l’Eucharistie qui n’offre plus à notre connaissance sensible que les images apparentes, les espèces du pain et du vin, alors que ces espèces qui, sur l’autel contiennent les éléments d’un sacrifice, cachent la chair et le sang d’une victime immolée, du Christ crucifié, Corps uni à son propre sang, à son âme, et à la divinité du Verbe. Oui, c’est cela le « mystère de Foi » présent dans l’Eucharistie (cf. Concile de Trente, Décr. De Euch., ch. 3). Ceci constitue le premier effort spirituel auquel nous invite et nous oblige ce Sacrement, un effort de connaissance non soutenu par une expérience sensible — qui va bien au-delà des apparences (si éloquentes cependant, mais d’une signification autre que matérielle et ordinaire, (cf.
Jn 6,63), mais un effort de foi, d’adhésion donc à une Parole qui domine les choses créées, une Parole, un Verbe divin présent.

Pour accéder au Sacrement de l’Amour il faut franchir le seuil de la Foi (cf. St Thomas III, III 73,3 ad 3). Mystère de la Foi ! Et comme nous sommes entrés dans le camp de la Foi qui nous invite à lire dans les signes sacramentels l’ineffable Réalité qu’ils localisent et représentent, le Christ sacrifié et se faisant nourriture spirituelle pour nous, une question, en même temps timide et audacieuse, se forme dans notre âme ébahie : pourquoi as-tu voulu, ô Seigneur, assumer cette apparence ? pourquoi viens-tu à nous ainsi caché et ainsi dévoilé ? Retenons un instant notre souffle et écoutons. Oui, une parole de Jésus est pour ainsi dire prononcée par le don eucharistique mis devant nous; écoutons-la de nouveau dans l’Evangile ; Jésus dit encore et toujours : « Venez à moi, vous tous qui peinez et portez un fardeau accablant, et je vous soulagerai » (Mt 11,18). Jésus est donc dans une attitude d’invitation, de connaissance et de compassion pour nous, et même d’offre, de promesse, d’amitié, de bonté, de remède à nos maux, de consolateur, et plus encore d’aliment, de pain, de source d’énergie et de vie. « Je suis le pain de vie » (Jn 6,48), suggère le Seigneur dans son éloquent silence.

Jésus, pain ! Jésus, aliment ? Mais où veut-il en venir, le Seigneur ? N’est-ce pas trop, déjà, qu’il soit venu dans le monde pour nous ? ou mieux qu’il se soit rendu accessible au point de multiplier sa présence sacramentelle pour chaque autel, pour chaque table, où, son autre présence représentative et opérante, celle du Prêtre, rend possible la multiplication sans fin de ce prodige ? (cf. De la Taille, Mysterium Fidei, Eluc. 36, et ss.).

Les aspects de cette doctrine se dilatent et se multiplient au fur et à mesure qu’on y réfléchit, au point de confondre notre esprit si l’intention du Seigneur ne nous avait pas été éclairée par la célèbre parole de l’Apôtre Paul à qui cette Basilique est dédiée, une parole devenue extrêmement courante dans notre langage religieux. Et quelle est cette divine et suprême intention, et quelle est cette parole qui nous l’éclairé ? Cette parole, ce terme c’est « communion », en grec koinonia, une expression verbale qui nous monte toujours aux lèvres quand nous voulons indiquer que nous nous approchons de ce sacrement : « communier, faire la communion » signifie s’approcher de la Sainte Table, recevoir l’Eucharistie, recevoir Jésus dans le sacrement qui, dans sa profonde réalité, consiste en l’unité du Corps mystique du Seigneur (cf. St Thomas III 73,3). En utilisant un langage humain, nous donnons plutôt au terme « communion » un sens bien à nous, subjectif comme si cet acte était exprimé de manière adéquate par le geste de nous approcher de l’Eucharistie, tandis que nous faisons moins attention à l’initiative du Christ qui nous donne la possibilité de le recevoir, Lui, qui s’offre à nous en instituant et en renouvelant cet admirable sacrement avec les saintes paroles : « Prenez et mangez ; Ceci est mon corps donné en sacrifice pour vous... Ceci est le calice de mon sang versé pour vous... ». Ici se trouve révélée l’intention extrême de Jésus à l’égard des hommes appelés à sa religion, intention finalement déclarée : l’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13 et ss. ; cf Pr 8,31).

Sommes-nous dignes ? non, certainement — sommes-nous capables de pénétrer au coeur de cette « exaltation » religieuse ? Combien d’hommes ne sont pas capables de la comprendre; et combien, même s’ils en entrevoient le secret, ne savent pas l’accepter ? Ici l’amour envers Dieu, le grand, le suprême de Dieu. Nous sommes aimés avant même que nous soyons disposés à aimer ; Il nous a aimés le premier (1Jn 4,10-19) et, tant de fois, nous nous sommes soustraits à son amour, nous qu’il a créés, faits pour Lui ; nous avons refusé de nous rencontrer avec Lui (cf. la parabole de l’invitation au banquet, Mt 22,1-10 Lc 14,15-24), peut-être par une lâche et secrète crainte d’être conquis à un Amour qui changerait notre vie... L’Eucharistie est l’invitation la plus directe, la plus forte à l’amitié, à la compagnie du Christ. Et de plus, l’Eucharistie est l’aliment qui nous donne l’énergie et la joie pour y répondre. L’Eucharistie place ainsi le problème de notre vie sur un suprême jeu d’Amour, de choix, de fidélité; et, si nous l’acceptions, de religieux ce jeu se fait social, suivant les paroles révélatrices de l’Apôtre Paul que nous répéterons comme conclusion et souvenir de cette célébration. L’Amour reçu de Jésus dans l’Eucharistie est une communion avec Lui et, pour cela même, il se transforme et se manifeste dans notre communion avec les frères, effectifs ou possibles, que tous les hommes sont pour nous. Nourris du corps réel et sacramentel du Christ, nous devenons toujours Plus intimement le Corps mystique du Christ : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas une communion au sang de Jésus-Christ ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps de Jésus-Christ ? Parce qu’il y a un seul pain, nous ne sommes qu’un corps, malgré notre grand nombre, attendu que nous recevons tous notre part de ce pain unique » (1Co 10,16-17).

Répétons avec Saint Augustin : « O Sacrement de piété ! O signe d’unité ! O lien de charité ! Qui veut vivre, a de quoi vivre » (Tr 26, 19 ; PL. 35, 1615). Qu’il en soit ainsi pour nous, Frères et Fils bien-aimés !




19 juin 1977

Canonisation de Jean Népomucène Neumann

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TÉMOIN AUTHENTIQUE DE L’AMOUR DE DIEU POUR L’EGLISE ET POUR LES HOMMES



Salut à vous, Frères, Fils et Filles des Etats-Unis d’Amérique ! Au nom du Seigneur nous vous souhaitons la bienvenue.



L’Eglise Catholique toute entière vous accueille ici avec joie, près de la Tombe de l’Apôtre Pierre. Unie à vous, toute l’Eglise élève un hymne triomphal vers Saint Jean Népomucène qui accède aujourd’hui à l’honneur de ceux qui vivent dans la gloire du Christ.

Pour les autres pèlerins, nous allons, en quelques brèves paroles, exposer certains détails de sa vie que vous, vous connaissez déjà.

Nous rendons gloire au Seigneur qui nous accorde la joie de pouvoir déclarer Saint l’Evêque de Philadelphie aux Etats-Unis d’Amérique, Jean Népomucène Neumann à qui nous avons déjà reconnu le titre de Bienheureux le 13 octobre 1963. Honneur à l’Eglise Catholique des Etats-Unis qui inscrit dans la phalange des Saints son premier exemplaire. Rappelons quelques données biographiques. Jean Népomucène Neumann était un immigré originaire de Bohême, né à Prochatitz le 28 mars 1811 ; il fut éduqué au séminaire de Budéjovice qui appartenait à l’époque à l’Empire Austro-Hongrois, puis à Prague où il perfectionna ses études de théologie. Son ordination sacerdotale ayant été différée à cause du nombre très élevé des séminaristes appelés à la prêtrise, le jeune Neumann se rendit à Strasbourg, s’associant à un projet de mission pour l’Amérique ; il passa quelque temps à Paris, puis au Havre où il s’embarqua, seul et pauvre, à destination de New York. Là, l’Evêque du lieu, Mgr Dubois, l’ordonna prêtre le 25 juin 1836. Il fut envoyé dans la région des chutes du Niagara, à Williamsville, puis à North Buse, exerçant pendant ces quatre années, son dévoué ministère pastoral parmi les bûcherons. Un désir de perfection et de vie communautaire l’incita à entrer chez les Rédemptoristes originaires de la Péninsule italique, et il consacra de préférence ses soins pastoraux aux immigrés de langue allemande, d’abord à Baltimore où il prononça ses voeux, puis à Pittsburgh où il fut appelé à diriger la Maison que les Rédemptoristes y avaient ouverte. Pendant 3 années Pittsburgh fut le centre de sa vaste activité. Revenu à Baltimore, il y exerça le ministère paroissial en l’église St-Alphonse, étant ainsi le premier curé rédemptoriste d’Amérique ; toujours le premier au travail et au sacrifice, toujours le dernier au repos, il se montra inlassablement un modèle de régulière observance religieuse.

En 1852 il dut accepter sa nomination au siège épiscopal de Philadelphie. Ces nouvelles responsabilités redoublèrent son zèle pastoral. Surmontant des difficultés de tous genres il réussit à fonder une centaine d’écoles catholiques, poursuivant inlassablement ses visites pastorales et ses contacts avec les populations pauvres et laborieuses. Il fonda à Philadelphie la première paroisse italienne dédiée à la Sainte florentine Marie-Madeleine de Pazzi, et entreprit la construction de la monumentale église Catholique. En 1854 il vint à Rome pour la publication du dogme de l’Immaculée Conception puis alla visiter son pays natal. Il rédigea différentes oeuvres, parmi lesquelles un célèbre catéchisme, réédité de nombreuses fois. Il mourut, emporté, par un mal soudain qui le frappa dans la rue ; il n’avait pas 49 ans ; sa dépouille repose en l’église Saint-Pierre de Philadelphie. Et, à présent, il vit dans la communion des Saints, dans la gloire du Christ.

Aujourd’hui, nous nous demandons : quelle est la signification de cet événement extraordinaire, la signification d’une canonisation ? C’est la célébration de la sainteté ! Et qu’est-ce que la sainteté ? c’est une perfection humaine, un amour humain élevé à son plus haut niveau dans le Christ en Dieu.

A l’époque de Jean Neumann, l’Amérique représentait de nouvelles valeurs, de nouvelles espérances. L’Evêque Neumann considéra celles-ci par rapport à l’ultime, à la suprême possession à laquelle est destinée l’humanité. Avec Saint Paul il pourrait témoigner que « tout est à vous ; mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (
1Co 3,23). Et avec Saint Augustin il comprit que « notre coeur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose dans le Seigneur » (Confessions, 1, 1).

Son amour pour les gens était authentiquement de l’amour fraternel. C’était réellement de la charité : charité pastorale et missionnaire. Comme Jésus le Bon Pasteur, il donna sa vie pour ses brebis, pour le troupeau du Christ: afin de pourvoir à leurs besoins, pour les guider vers le salut. Et aujourd’hui nous proclamons solennellement avec Jean l’Evangéliste : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (15, 13).

Le zèle pastoral de Jean Neumann se manifestait de nombreuses manières. Par un service fidèle et persévérant, il mena à son total accomplissement la générosité de son acte initial de dévouement missionnaire. Il aida les enfants à satisfaire leur besoin de vérité, leur besoin de doctrine chrétienne, le besoin de l’enseignement du Christ dans leur vie. Il réalisa ceci par l’instruction catéchistique et par la promotion, avec une énergie inépuisable, du système scolaire catholique aux Etats-Unis. Et nous aimons rappeler les paroles de notre ancien Délégué Apostolique à Washington, le regretté Cardinal Amleto Cicognani : « Vous Américains, dit-il, vous possédez deux grands trésors. L’Ecole catholique et la Confraternité de la Doctrine chrétienne. Protégez-les comme la pupille de vos yeux » (cf. Lettre du 2 juin 1963).

Et comment pourrait-on s’empêcher d’admirer l’amoureux intérêt que Jean Neumann portait au Peuple de Dieu dans son ministère sacerdotal d’abord, puis dans ses visites pastorales comme Evêque ? Il aimait profondément le Sacrement de la Réconciliation : et comme un vrai fils de Saint Alphonse il apportait le pardon et la force salvatrice du Rédempteur dans la vie d’innombrables fils et filles de l’Eglise : il se tenait tout proche des malades; avec les pauvres, il se trouvait comme chez lui ; il était un ami pour les pécheurs. Et aujourd’hui, il est l’honneur des immigrés ; et du point de vue des Béatitudes, il est le symbole du succès chrétien.

Jean Neumann était à l’image du Christ. Il expérimenta au plus profond de son être le besoin de proclamer par la parole et par l’exemple la sagesse et la puissance de Dieu et de prêcher le Christ crucifié. Il trouva dans la Passion du Seigneur la force et l’inspiration pour son ministère : Passio Christi conforta me !

Le Sacrifice Eucharistique était le centre de sa vie et constituait pour lui ce que le Concile Vatican II appellerait plus tard : « la source et le sommet de toute évangélisation » (Presbyterorum Ordinis PO 5). Avec grande efficacité, grâce à la « Dévotion des quarante heures » il aida ses paroisses à devenir d’authentiques communautés de foi et de service.

Mais pour accomplir sa tâche, il lui fallait aimer. Aimer signifie donner, aimer signifie le sacrifice. Et dans son sacrifice, le service de l’Evêque Neumann trouvait sa plénitude. Il conduisit son peuple le long des sentiers de la sainteté. Dans sa génération, il était un effectif témoin de l’amour de Dieu pour l’Eglise et pour le monde.

Nombreux sont ceux qui ont vécu et vivent encore le divin commandement de l’amour généreux. L’amour implique encore et toujours le don de soi-même à autrui, car l’Amour est descendu jusqu’à l’humanité, et de l’humanité l’amour remonte à sa source divine ! Comme ils sont nombreux, les hommes et les femmes qui font de ce plan de Dieu le programme de leur existence ! Et notre prière s’élève pour le clergé, les religieux et les laïcs catholiques d’Amérique qui, fidèles à l’Evangile vivent conformément à ce plan de sacrifice et de service. Saint Jean Neumann est, à cet égard, un authentique modèle pour nous. Il n’est pas suffisant d’acquérir les bonnes choses de cette terre, car elles peuvent être dangereuses si elles empêchent que notre amour remonte vers sa source et atteigne son but. Rappelons-nous toujours que le premier et le plus grand des commandements est celui-ci : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu » (Mt 22,36).

Humanisme vrai dans le christianisme. Le vrai christianisme — répétons-le — est sacrifice de soi-même pour autrui, pour le Christ, pour Dieu. Ceci se voit par des signes ; cela se manifeste par des actes. Le christianisme est sensible à la souffrance, à l’oppression, à l’affliction du prochain, à la pauvreté, aux nécessités humaines, la première de celles-ci étant la vérité.

La cérémonie d’aujourd’hui est donc la célébration de la sainteté. Elle est, en même temps, une prophétique anticipation — pour l’Eglise, pour les Etats-Unis, pour le monde — d’un renouvellement de l’amour : amour pour Dieu, amour pour le prochain.

Et dans cette charité vitale, poursuivons ensemble, chers Fils et Filles, pour édifier tous ensemble une véritable civilisation de l’amour.

Saint Jean Neumann, par le vivant pouvoir de votre exemple et par l’intercession de vos prières, aidez-nous aujourd’hui et pour toute l’éternité.

Nous adressons maintenant des souhaits tout particulièrement cordiaux, de bienvenue à cette cérémonie mémorable, aux fidèles ici présents qui nous viennent du pays natal du nouveau Saint, Jean Népomucène Neumann.

Son leitmotiv Passio Christi conforta me — la Passion du Christ me donne la force — nous révèle le secret de sa vie et la source inépuisable de la vigueur avec laquelle il a réalisé des oeuvres si fécondes et sanctifiantes.

Puisse le Saint missionnaire et évêque Jean Népomucène Neumann être également pour vous, ses compatriotes, un puissant protecteur dans l’épreuve et le besoin et un guide sûr vers la patrie éternelle.




29 juin 1977

LÀ OÙ EST PIERRE, LÀ EST L’EGLISE

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Pour la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul, le Pape affirme : « Ubi Petrus, ibi Ecclesia »

Durant la concélébration du mercredi 29 juin en la Basilique Saint Pierre de Rome, Paul VI a prononcé un discours dont voici la traduction :



Comme il est prescrit avec sagesse, nous suspendons un moment le rite pour en méditer, pour en pénétrer, avec quelque pensée, avec une vigilante prière, la signification.

Ce rite, que nous présente-t-il ? Il nous présente deux personnages : les deux Apôtres Pierre et Paul, auxquels Rome fait remonter ses propres origines chrétiennes. Ils sont des témoins ; à chacun d’eux nous pouvons rapporter, bien qu’à des titres différents, les paroles que le Seigneur adressa au groupe des apôtres, avant son Ascension : « vous serez mes témoins... » (
Ac 1,8). Il leur fut confère, à eux, une mission spécifique, celle de répandre un Message, le message évangélique, une Parole ; une doctrine, une Vérité que « l’Esprit de Vérité » leur enseigna (Jn 16,13), avec le pouvoir simultané de promulguer certains rites, les sacrements, qui communiquent des effets surnaturels.

Aujourd’hui, nous les commémorons solennellement ! et tout ce qui est offert ici, immédiatement, à notre sensibilité, nous stimule à célébrer joyeusement leur mémoire historique, vénérable, glorieuse ; c’est leur fête que nous voulons exalter ; et tout nous en offre le motif : le rythme annuel du temps qui nous rappelle que ce jour béni est lié à la commémoration des Saints Pierre et Paul; dé même notre présence dans la Basilique monumentale érigée sur les tombes des Apôtres eux-mêmes entraîne notre pensée vers leurs saintes figures au point qu’on arrive, presque spontanément, à penser qu’ils sont vivants parmi nous ; puis l’histoire séculaire qui remonte à ces deux annonciateurs de l’Evangile dans l’Urbs semble assumer une actualité presque réelle devant nos yeux heureux et émerveillés d’en contempler le panorama ; et, enfin, la piété qui fait naître sur les lèvres de tous quelque prière pour obtenir l’intercession des Saints Apôtres accroît, jusqu’à en faire déborder nos âmes, la confiance de notre conversation avec eux, Saint Pierre et Saint Paul.

Tout ceci est vrai, et c’est très bien. Cette fête est la nôtre, et la joie qui en caractérise la liturgie caractérise également l’esprit de celui qui la vit et l’exprime. Faisons donc en sorte que cet effort d’attention se résolve avant tout en un sentiment de sécurité intérieure. Ou, disons mieux, un sentiment intérieur de foi. Nous sommes cernés de signes, de stimulants qui suffisent à la réveiller, à la fortifier. La religion assume ici un accent de joyeuse certitude, particulièrement propice dans la solitude spirituelle qui est le propre de notre siècle, dans l’accoutumance à la mentalité vacillante et désolante du subjectivisme mal entendu — du pluralisme comme on l’appelle — en matière de religion; un subjectivisme donc, en vertu duquel chacun se croit autorisé à penser à la religion de la manière qui plaît le plus à son propre arbitre critique ou à sa propre fantaisie affranchie de la précision sans équivoque du dogme catholique. Ici, la foi, ramenée à ses sources apostoliques et à l’autorité magistrale qui la professe, la défend et l’enseigne, retrouve sa consistance objective garantie par la parole originelle du Christ : « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10,16). La personnalité du fidèle qui accepte, qui croit, qui tâche de conformer sa vie à sa propre foi, puise à la source de la Vérité transcendante (Ga 2,16 Ga 3,11), se recompose et devient forte ; forte pour soutenir, pour diffuser ce merveilleux complexe de vérités qui est, précisément, la clé de l’interprétation, de l’explication supérieure du monde et de la destinée humaine ; il est le rayonnement missionnaire de la foi, la raison du programme apostolique de l’Eglise. Nous connaissons le caractère tout à fait spécial des pouvoirs d’évangélisation conférés par le Christ à ses disciples, et parmi ceux-ci, aux Douze à qui Il a conféré le titre d’Apôtre (Lc 6,13), avec une considération toute particulière pour Pierre, pasteur des pasteurs (Jn 21,17 Lc 22,32 Ac 1,16 etc. ) et une autorité extraordinaire conférée également à Paul qui dit de lui-même : « Positus sum ego praedicator et apostolus... doctor gentium in fede et veritate — j’ai été établi, moi, héraut et apôtre, docteur des gentils, dans la foi et la vérité » (1Tm 2,7 Rm 15,16 cf Journet, L’Eglise du Verbe Incarné, I, Rm 180 et ss. ).

Nous savons comment non seulement le nom, mais aussi le ministère des deux Apôtres est lié à Rome (cf. Epître de Saint Paul aux Romains et son incarcération à Rome, Ac 28), et comment la discussion au sujet de remplacement de la tombe de Pierre s’est heureusement conclue pour en revendiquer le siège et l’histoire, précisément dans les fondations de la Basilique qui nous accueille exactement là où le Prince des Apôtres reçut la sépulture et eut son mausolée conçu par Michel-Ange.

Et il n’est certainement personne qui ne sache que l’histoire de la religion catholique, c’est-à-dire de l’Eglise, a eu son centre et son siège en cette Basilique. Ici, nous pouvons répéter avec une conviction toujours émue et comme confirmation sensible de l’affirmation de Saint Ambroise : « Ubi Petrus, ibi Ecclesia » (L’Eglise est là où est Pierre). Nous la répéterons, cette maxime-synthèse, pour retrouver dans le souvenir apostolique la vertu dont l’Eglise qui vit et qui souffre a besoin aujourd’hui. Les paroles que Jésus lui-même eut pour ses deux apôtres de prédilection : « J’ai prié pour toi », Pierre (Lc 22,32) ; et, concernant Paul : « Cet homme m’est un instrument de choix pour porter mon nom devant les païens, les rois et les fils d’Israël » (Ac 9,15), constituent encore aujourd’hui, pour nous qui avons tant besoin de forces, une garantie pour la foi, pour l’unité, pour la charité. C’est une promesse, c’est un réconfort pour nous dont le mandat apostolique tient des Apôtres sa nature et son urgence ; c’est une invitation, c’est un message que nous devons porter aux hommes de notre temps, à nos frères, prédisposés, peut-être par le même esprit de vertige qui les entraîne, à se rendre à notre fortune apostolique.

Nous sommes heureux de saluer tous ceux qui sont venus participer à cette cérémonie, et entourer le Pape et les nouveaux Cardinaux de leur affection et de leur prière. La fête des saints Pierre et Paul invite au courage de la foi, à l’unité du Peuple de Dieu autour de ses Pasteurs, et à l’attachement à l’Eglise. Que l’intercession des bienheureux Apôtres aide chacun à donner joyeusement ce témoignage.

Nous désirons également adresser quelques mots aux fidèles de langue allemande. Vous avez pu participer à la cérémonie en l’honneur des nouveaux cardinaux et, aujourd’hui, vous fêtez avec nous les Saints Apôtres Pierre et Paul. Que de force pour votre foi, que d’assurance pour votre témoignage de Chrétiens peuvent vous apporter ces deux événements !

Chers Frères et Soeurs, puissiez-vous retirer tous leurs fruits de ces deux cérémonies ; c’est ce que nous souhaitons en vous bénissant.





17 septembre 1977

Pescara

17097
LE CHRIST AVEC NOUS



Le Pape s’est rendu à Pescara le Samedi 17 septembre. Voici le texte de l’homélie qu’il a prononcé au cours de la cérémonie eucharistique :



Notre présence ici à Pescara, à l’occasion du 19° Congrès eucharistique national, ne saurait se passer d’une parole qui introduise la réflexion religieuse à laquelle Nous oblige cette célébration. Et cette parole comporte elle aussi une telle richesse de thèmes et de buts qu’elle suffirait en elle-même à justifier un long discours. Nous le condensons maintenant en une simple salutation, pleine de cordialité et de respect, que Nous sommes heureux d’adresser à tous ceux qui sont présents, au nom du Christ que Nous avons, Nous le dernier et le plus indigne des hommes, le devoir de représenter. Nous saluons d’abord notre légat, le Cardinal Giovanni Colombo, Archevêque de Milan, Monseigneur Antonio Jannucci, digne Evêque de ce diocèse à la fois ancien et plein de jeunesse, Messieurs les Cardinaux, nos vénérés Frères dans l’épiscopat, les prêtres, les religieux, les religieuses, les séminaristes, le laïcat catholique et tous les fidèles présents que Nous avons la chance de rencontrer, le Peuple de Dieu tout entier, qu’il soit rassemblé ici, ou représenté, ou spirituellement présent, bref, à tous les membres de l’Eglise, elle-même une, sainte, catholique et apostolique : à vous la grâce et la paix dans le Christ Jésus. Ici, se trouve actuellement l’Eglise, et Pierre, dans la personne très humble de son Successeur, ne pouvait manquer d’y être. Nous voici donc avec vous pour une heure de plénitude et de joie, avec notre salutation de bonheur : grâce et paix !

Nous ne pouvons pas taire non plus la proximité, dans la prière et dans l’espérance, que Nous avons avec quelques dignes Représentants de portions d’Eglises, actuellement encore séparées de nous : à eux aussi et à tous ceux qui s’honorent du nom de chrétiens et qui se tournent vers ce lieu dans l’ardent désir, qui fut et qui demeure celui du Christ, de pouvoir se fondre avec nous dans l’unité et la charité. Nous adressons notre salutation sincère et pleine d’espoir.

Notre salut s’adresse ensuite, avec respect et reconnaissance, aux Autorités civiles et militaires, au niveau de la nation, de la région, de la province et de la cité, qui ont accordé un espace et des marques d’honneur à cette manifestation religieuse et populaire. Nous exprimons une reconnaissance particulière aux Autorités du Gouvernement et à celles de la Commune qui se sont honorées en faisant bénéficier de leur collaboration autorisée, de leur présence, de leur parole, de leur adhésion, la réalisation heureuse et bien ordonnée tout comme la haute signification spirituelle, morale et civile de ce grand Congrès eucharistique national, digne expression des traditions de foi catholique et des moeurs du Peuple italien toujours épris de jeunesse et de concorde et particulièrement dans les Abruzzes.

Mais laissez-Nous maintenant appeler votre attention pour un instant, comme les autres maîtres de la parole sacrée l’ont déjà fait remarquablement, sur le sens intime de la célébration religieuse que nous sommes en train d’accomplir.

Le Christ avec nous : c’est, Nous semble-t-il, la pensée dominante à laquelle nous nous arrêtons, c’est une expression qui rayonne comme le soleil sur nos esprits, rendus plus lumineux par la ferveur de foi et d’amour due à la circonstance exceptionnelle que constitue ce Congrès et qui se répercute dans le ciel au-dessus de nous, et, pour mieux dire, dans le climat historique qui nous enveloppe, en une réponse heureuse : nous avec le Christ !

La parole « communion » scelle cette expression par un terme que l’habitude religieuse a rendu familier. Mais quel sens prenant et profond il contient et dévoile dès qu’on commence à en considérer les aspects ! Nous en rappelons quelques-uns, qui nous ramènent aussitôt à un océan de mystère, mais que nous n’osons pas, que nous ne pouvons pas éluder, dès que nous évoquons les paroles d’adieu du Christ, lorsqu’il quitte la scène sensible de ce monde, sans toutefois l’abandonner, emporté comme il est dans la gloire ultra-terrestre du ciel : « Voici, dit-il que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (
Mt 28,20).

Parole divine, parole éternelle, parole actuelle : Jésus-Christ demeure avec nous. Jésus se cache, mais Jésus continue sa présence au milieu de nous.

Mais comment ? Par sa Parole ? Oui, il a assuré aussi cette présence : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » (Mt 24,35). Reste-t-il par une présence mystique et invisible là où ses fidèles sont réunis en son nom : « Je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20). Mais c’est sous une forme non sensible, toute intérieure, indicible. Et d’autres paroles de l’Evangile, du Nouveau Testament, nous révèlent cette intention générale et suprême de Dieu, par le dessein que l’on peut dire constitutif de la religion : dessein d’établir des rapports d’amitié, de vie, de rédemption entre Dieu et l’humanité : « Son nom est Emmanuel ce qui signifie ‘Dieu avec nous’ » (Mt 1,23).

Mais personne ne supposait que ce dessein en arriverait à faire du Christ le Pain de la Vie. Vous souvenez-vous des paroles indiscutables de Jésus lui-même : « Je suis le pain de vie » (Jn 6,35 et 48) ? Rappelez-vous aussi les paroles qui suivent : elles présentent la vision du Christ victime qui s’offre non seulement comme aliment vital mais comme agneau destiné à être immolé et qui donne sa chair et son sang en sacrifice pour le salut des hommes. Et cette double affirmation se réfère à un fait permanent, à un devoir inéluctable, qui concerne l’Eglise entière. Ces paroles mystérieuses prononcées par le Seigneur qui, dans le texte du discours évangélique, les fait aboutir à l’aliment de sa propre chair et de son propre sang, ce n’est pas pour rien que les commentateurs y ont lu l’annonce aussi bien de l’institution de l’Eucharistie que du sacrifice de la croix, lequel aura dans l’Eucharistie elle-même son mémorial perpétuel. O Jésus, pain indispensable, ô Jésus, agneau irremplaçable, tes disciples comprendront-ils que sans toi ils ne peuvent avoir la vie véritable et victorieuse de la mort ? Le monde le comprendra-t-il ? Discours bien difficile ! « Ce langage-là est trop fort ! Qui peut l’écouter ? » (Jn 6,60). Trop fort, il le fut le jour même où il fut prononcé après le surprenant miracle de la multiplication des pains qui n’avait pas réussi à stupéfier et à rassurer le peuple qui en avait bénéficié, ni à susciter en lui la faim de ce pain du Ciel qu’aussitôt le Christ thaumaturge annonçait dans la logique de sa révélation. L’auditoire fut déçu et se dispersa. Il aurait voulu la répétition du miracle sur le plan concret, et il faisait preuve d’incompréhension et de méfiance devant un miracle d’un ordre différent, supérieur, relatif à un pain céleste.

Ainsi aujourd’hui la psychologie de notre société, dans la perspective restreinte de la réalité humaine qui trouve des adeptes même dans les rangs des disciples du Christ, attend de lui avant tout la solution des problèmes économiques et sociaux, et accuse son école — toute tournée vers les mystères et les conquêtes du monde surnaturel — de faillir à sa mission pour n’avoir pas encore su satisfaire la faim légitime de pain temporel. On refuse ainsi de tenir compte du double aspect de la providence du Christ qui, transposant les aspirations humaines dans la sphère supérieure de l’économie de la foi et de la grâce, satisfait les exigences supérieures et inéluctables de l’esprit humain et par là même insiste pour que soient satisfaites également les nécessités temporelles de la vie terrestre et en fournit la possibilité. Le règne de Dieu, règne de la charité, connaît ces richesses de deux sortes, et les met dans un rapport consécutif : « Cherchez d’abord — enseigne l’Evangile — le Royaume de Dieu et sa justice », et toutes les autres choses nécessaires à l’ordre de la vie présente vous seront données par surcroît, (cf. Mt 6,33).

Cette vision de l’histoire et de la réalité humaine ne supprime pas pour tous la difficulté de comprendre le mystère eucharistique. Certaines lois physiques et métaphysiques subissent dans la doctrine de ce mystère des transformations si graves et tellement supérieures — pour ne pas dire contraire — à l’expérience sensible, que la pensée vacille devant les paroles du Christ sur le pain et sur le vin de l’Eucharistie : « Ceci est mon corps; ceci est mon sang », que nous-mêmes, en célébrant ce Congrès eucharistique, nous élevons au faîte de notre foi et donc de notre adoration.

Comment ferons-nous pour aimer et accomplir notre devoir religieux qui, chaque semaine et à l’occasion de quelques fêtes extraordinaires, nous demande de célébrer dans le recueillement et la prière, n’ayant plus « qu’un coeur et qu’une âme » (Ac 4,32), cet heureux mémorial de la Pâque du salut qu’est la messe dominicale ? Un Congrès comme celui-ci ne peut rester inefficace dans les efforts de restauration d’une coutume qui, encore une fois, se révèle le « gond » sur lequel repose la vie religieuse ; il doit au contraire marquer une date dans la reprise communautaire de l’observance, pleine d’amour et de fidélité, de ce précepte vital. Frères et Fils !

Renouvelons notre conscience catholique en répondant au dessein du Christ! Ravivons notre foi et essayons de graver dans nos coeurs les paroles incomparables de l’apôtre saint Jean : « Nous avons cru à l’Amour». C’est cette foi en l’Amour du Seigneur pour nous que nous professons solennellement et humblement en cet instant. Et elle remet sur nos lèvres et dans nos coeurs ces autres paroles — elles sont de l’apôtre Pierre — que Nous avons l’honneur de faire revivre dans l’humilité de notre personne mais aussi dans l’authenticité de notre mission apostolique : à Jésus, abandonné par ses auditeurs incrédules après le discours eucharistique de Capharnaüm, il répondit comme nous le proclamons tous aujourd’hui : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous croyons, nous, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6,68-69).






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