1999 Le prêtre



CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ



LE PRETRE, MAITRE DE LA PAROLE,

MINISTRE DES SACREMENTS

ET GUIDE DE LA COMMUNAUTÉ

EN VUE DU TROISIEME MILLÉNAIRE CHRÉTIEN\b\i


Du Vatican, le 19 mars 1999
Solennité de Saint Joseph
Patron de l'Église Universelle



A leurs Éminences et leurs Excellences les Ordinaires

1 L'Église entière se prépare, en esprit de pénitence, à l'entrée imminente dans le Troisième Millénaire de l'Incarnation du Verbe; la sollicitude apostolique continuelle du Successeur de Pierre l'incite à se remémorer toujours mieux la volonté de son Fondateur divin.
En communion intime d'intention avec une telle ferveur, la Congrégation pour le Clergé, dans son Assemblée Plénière des 13-15 octobre 1998, a décidé de confier à chaque Prélat cette Lettre Circulaire, qu'elle adresse par leur intermédiaire à tous les prêtres. Le Saint-Père, dans l'allocution prononcée à cette occasion, affirmait que " la perspective de la nouvelle évangélisation trouve son moment fort dans l'engagement du Grand Jubilé. Ici se recoupent providentiellement les voies tracées dans la Lettre apostolique Tertio Millennio adveniente, dans les Directoires pour les Prêtres et pour les Diacres permanents, dans l'Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres, et dans ce qui sera issu de cette Plénière. Grâce à l'application universelle et convaincue de ces documents, l'expression "nouvelle évangélisation" qui nous est devenue habituelle pourra se traduire plus efficacement en acte ".
Il s'agit donc d'un instrument destiné à provoquer un examen de conscience en tenant compte des circonstances actuelles de la part de chaque prêtre et des presbytériums, sachant que le nom de l'amour, au cours du temps, est fidélité. Le texte reprend les enseignements conciliaires et pontificaux, en référence aux autres documents invoqués par le Souverain Pontife: il s'agit en effet de documents fondamentaux pour répondre aux exigences authentiques des temps, et pour ne pas courir en vain dans la mission évangélisatrice.
Les questionnaires reportés à la fin de chaque chapitre ne sollicitent aucune réponse à la Congrégation; ils constituent plutôt un secours, en tant qu'ils essayent d'interpeller la réalité de chaque jour à la lumière des enseignements susmentionnés. Les destinataires pourront s'en servir de la manière qui leur paraîtra la plus fructueuse.
Conscients qu'aucune entreprise missionnaire ne pourrait être accomplie sans l'engagement motivé et enthousiaste des prêtres, les premiers et plus précieux collaborateurs de l'Ordo épiscopal, par cette Lettre Circulaire nous désirons, entre autre, aider également aux journées sacerdotales, aux retraites, aux exercices spirituels et aux réunions presbytérales de chaque circonscription, au cours de ce temps de préparation au Grand Jubilé, et encore plus pendant son déroulement.
Formant le voeu que la Reine des Apôtres guide comme une Étoile brillante les pas de ses chers Prêtres, ses fils dans son Fils, sur les chemins de la communion effective, de la fidélité et de l'exercice généreux et intégral de leur indispensable ministère, je vous souhaite toute sorte de vrai bien dans le Seigneur et je vous assure de mon dévouement le plus cordial, dans le lien de l'affection collégiale!

Dario Card. Castrillon Hoyos
Préfet
Csaba Ternyak
Secrétaire


INTRODUCTION

2 Étant née et s'étant développée sur le terrain fertile de la grande tradition catholique, la doctrine qui décrit le prêtre comme maître de la Parole, ministre des sacrements et guide de la communauté chrétienne qui lui est confiée, constitue un chemin de réflexion sur son identité et sur sa mission au sein de l'Église. Toujours identique, mais toujours nouvelle, cette doctrine a besoin d'être méditée aujourd'hui encore avec foi et espérance, en vue de la nouvelle évangélisation à laquelle le Saint-Esprit appelle tous les fidèles à travers la personne et l'autorité du Saint-Père.
Un effort apostolique croissant de tous dans l'Église, à la fois personnel et communautaire, renouvelé et généreux, est nécessaire. Pasteurs et fidèles, particulièrement encouragés par le témoignage personnel et par l'enseignement lumineux de Jean-Paul II, doivent comprendre toujours plus profondément que le temps d'accélérer le pas est arrivé; le temps aussi de regarder en avant avec un esprit apostolique ardent, de se préparer à franchir le seuil du XXIe siècle dans une attitude visant à ouvrir toutes grandes les portes de l'histoire à Jésus-Christ, notre Dieu et unique Sauveur. Pasteurs et fidèles doivent se sentir appelés à oeuvrer pour qu'en l'an 2000 retentisse " avec une force renouvelée la proclamation de la vérité: Ecce natus est nobis Salvator mundi ".(1)
" Dans les pays de vieille tradition chrétienne mais parfois aussi dans les Églises plus jeunes, des groupes entiers de baptisés ont perdu le sens de la foi vivante ou vont jusqu'à ne plus se reconnaître comme membres de l'Eglise, en menant une existence éloignée du Christ et de son Evangile. Dans ce cas, il faut une "nouvelle évangélisation" ou une "réévangélisation" ".(2) La nouvelle évangélisation représente donc, avant tout, une réaction maternelle de l'Eglise face à l'affaiblissement de la foi et à l'obscurcissement des exigences morales de la vie chrétienne dans les consciences de nombre de ses enfants. De fait, beaucoup de baptisés, citoyens d'un monde indifférent sur le plan religieux, bien que conservant une certaine foi, vivent pratiquement dans l'indifférentisme religieux et moral, loin de la Parole et des Sacrements, sources essentielles de la vie chrétienne. Mais également beaucoup d'autres, nés de parents chrétiens et peut-être même baptisés, n'ont pas reçu les fondements de la foi et mènent une existence pratiquement athée. L'Eglise les regarde tous avec amour, ressentant particulièrement à leur égard le devoir urgent de les attirer dans la communion ecclésiale où, avec la grâce de l'Esprit Saint, ils retrouveront Jésus-Christ et le Père.
En plus de cet effort de nouvelle évangélisation, qui doit raviver la lumière de la foi dans de nombreuses consciences chrétiennes et faire retentir la Bonne Nouvelle du salut dans la société, l'Eglise ressent fortement la responsabilité de sa mission permanente ad gentes, à savoir le droit-devoir de porter l'Evangile à tous les hommes qui ne connaissent pas encore le Christ et ne participent pas à ses dons salvifiques. Pour l'Eglise, Mère et Maîtresse, la mission ad gentes et la nouvelle évangélisation sont, aujourd'hui plus que jamais, des aspects inséparables du mandat d'enseigner, de sanctifier et de conduire tous les hommes au Père. Même les chrétiens fervents, qui sont nombreux, ont besoin d'un encouragement aimable et continu à rechercher la sainteté à laquelle Dieu et l'Eglise les appellent. Tel est le véritable moteur de la nouvelle évangélisation.
Chaque fidèle chrétien, chaque enfant de l'Eglise devrait se sentir interpellé par cette responsabilité commune et urgente, mais très particulièrement les prêtres, qui ont été spécialement choisis, consacrés et envoyés pour faire ressortir le caractère contemporain du Christ dont ils deviennent d'authentiques représentants et messagers.(3) La nécessité s'impose donc d'aider tous les prêtres séculiers et religieux à assumer personnellement " la tâche pastorale prioritaire de la nouvelle évangélisation " (4) et à redécouvrir, à la lumière de cet engagement, l'appel divin à servir la portion du Peuple de Dieu qui leur est confiée, comme maîtres de la Parole, ministres des sacrements et pasteurs du troupeau.

22 Notes:

(1) Jean-Paul II, Lettre apost. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994),
TMA 38: AAS 87 (1995), p. 30.
(2) Jean-Paul II, Encycl. RMi (7 décembre 1990), RMi 33: AAS 83 (1991), p. 279.
(3) Cf. Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres Tota Ecclesia, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 1994, n. 7.
(4) Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), PDV 18: AAS 84 (1992), p. 685.



Chapitre I

AU SERVICE DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION

"Je vous ai choisis et établis pour que vous alliez" (Jn 15,16)


La nouvelle évangélisation, tâche de toute l'Eglise

3 L'appel et l'envoi par le Seigneur sont toujours actuels, mais ils acquièrent un relief particulier dans les circonstances présentes. La fin du XXe siècle présente, en effet, quelques phénomènes discordants du point de vue religieux. Si, d'un côté, nous constatons un degré élevé de sécularisation de la société, qui tourne le dos à Dieu et se ferme à toute référence transcendante, d'un autre côté nous voyons toujours plus émerger une religiosité qui cherche à combler l'aspiration innée à Dieu présente dans le coeur de tout homme mais sans parvenir à trouver toujours un débouché satisfaisant. " La mission du Christ Rédempteur, confiée à l'Eglise, est encore bien loin de son achèvement. Au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d'ensemble porté sur l'humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service ".(5) Cet engagement missionnaire urgent, aujourd'hui, s'exerce pour une bonne part dans le cadre de la nouvelle évangélisation de nombreux pays de vieille tradition chrétienne où, toutefois, le sens chrétien de la vie semble être en grande partie déchu. Mais il s'exerce aussi dans le contexte plus vaste de l'humanité entière, là où les hommes n'ont pas encore entendu, ou n'ont pas encore bien compris, l'annonce du salut apporté par le Christ.
La présence, en de nombreux endroits et dans beaucoup de milieux de vie, de personnes qui ont entendu parler de Jésus-Christ, mais qui semblent connaître et accepter sa doctrine plutôt comme un ensemble de valeurs éthiques générales que comme un engagement de vie concrète, est une douloureuse réalité. Un grand nombre de baptisés s'éloignent de la sequela Christi et vivent selon un style marqué par le relativisme. Le rôle de la foi chrétienne s'est réduit, dans bien des cas, à celui d'un facteur purement culturel, souvent restreint à une dimension essentiellement privée, sans aucune influence sur la vie sociale des hommes et des peuples.(6)
Les domaines ouverts à la mission apostolique au bout de vingt siècles de christianisme ne sont ni rares ni restreints. Tous les chrétiens doivent se savoir appelés, en vertu de leur sacerdoce baptismal (Cf.
1P 2,4-5 1P 2,9 Ap 1,5-6 Ap 1,9-10 Ap 20,6) , à collaborer, selon leurs circonstances personnelles, à la nouvelle mission évangélisatrice qui apparaît comme une responsabilité ecclésiale commune.(7) La responsabilité de l'activité missionnaire " incombe avant tout au collège des évêques, avec à sa tête le successeur de Pierre ".(8) En tant que " collaborateurs de l'évêque, les prêtres, en vertu du sacrement de l'Ordre, sont appelés à partager la sollicitude pour la mission ".(9) On peut donc dire que, en un certain sens, les prêtres sont " les premiers responsables de cette nouvelle évangélisation du troisième millénaire ".(10)
La société contemporaine, encouragée par les nombreuses conquêtes scientifiques et techniques, a développé un profond sens d'indépendance critique vis-à-vis de toute autorité ou doctrine, qu'elles soient séculières ou religieuses. Cela exige que le message chrétien du salut, qui reste toujours mystérieux, soit expliqué à fond et présenté avec l'amabilité, la force et la capacité d'attraction qui furent les siennes lors de la première évangélisation, en se servant prudemment de tous les moyens adaptés qu'offrent les techniques modernes, sans toutefois oublier que les instruments ne pourront jamais remplacer le témoignage direct d'une vie de sainteté. L'Eglise a besoin de témoins véritables qui communiquent l'Evangile dans tous les secteurs de la vie sociale. Il en découle que les chrétiens en général, et les prêtres en particulier, doivent acquérir une formation philosophique et théologique aussi profonde que droite,(11) qui leur permette de donner raison de leur foi et de leur espérance et de ressentir l'impérieuse nécessité de les présenter d'une manière toujours constructive, par une attitude personnelle de dialogue et de compréhension. L'annonce de l'Evangile ne peut cependant, en aucune façon, se réduire au dialogue. En effet, le courage de la vérité est un défi inéluctable face à la tentation du conformisme, de la recherche de la popularité facile ou de sa petite tranquillité!
Il ne faut pas non plus oublier, au moment d'accomplir l'oeuvre d'évangélisation, que certains mots et certaines notions, qu'elle a traditionnellement employés, sont devenus pratiquement inintelligibles pour la majeure partie des cultures contemporaines. Des concepts comme ceux de péché originel avec ses conséquences, de rédemption, de croix, de nécessité de la prière, de sacrifice volontaire, de chasteté, de sobriété, d'obéissance, d'humilité, de pénitence, de pauvreté, etc., ont perdu, dans ces contextes, le sens positif qu'ils possédaient au début du christianisme. C'est pourquoi la nouvelle évangélisation, dans une extrême fidélité à la doctrine de la foi constamment enseignée par l'Eglise et avec un grand sens de responsabilité à l'égard du vocabulaire doctrinal chrétien, doit être capable également de trouver des moyens appropriés de s'exprimer de nos jours, en aidant à retrouver le sens profond de ces réalités humaines et chrétiennes fondamentales, sans pour autant renoncer aux formulations de la foi, établies et acquises une fois pour toutes, contenues de façon synthétique dans le Credo.(12)

23 Notes:

(5) Jean-Paul II, Encycl.
RMi 1: l.c., p. 249.
(6) " Souvent la religion chrétienne risque d'être considérée comme une religion parmi les autres, ou d'être réduite à une pure éthique sociale au service de l'homme. Ainsi, sa bouleversante nouveauté dans l'histoire ne ressort pas toujours: elle est "mystère", elle est l'événement du Fils de Dieu qui s'est fait homme et qui donne à ceux qui l'accueillent le "pouvoir de devenir enfants de Dieu" (Jn 1,12) " (Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 46: l.c., pp. 738-739).
(7) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décret Presbyterorum Ordinis, PO 2 Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 13: l.c., pp. 677-678; Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres Tota Ecclesia, nn. 1, 3, 6; Congrégation pour le Clergé, Conseil pontifical pour les Laïcs, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, Congrégation pour les Évêques, Congrégation pour l'Évangélisation des Peuples, Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique, Conseil Pontifical pour l'Interprétation des Textes législatifs, Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres Ecclesia de mysterio (15 août 1997), Avant-propos: AAS 89 (1997), p. 852.
(8) Jean-Paul II, Encycl. RMi 63: l.c., p. 311.
(9) Ibid., RMi 67: l.c., p. 315.
(10) Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres Tota Ecclesia, Introduction; cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 2 PDV 14: l.c., pp. 659-660; 678-679.
(11) Cf. Jean-Paul II, Encycl. Fides et Ratio (14 septembre 1998), FR 62.
(12) Cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, CEC 171


Le rôle nécessaire et irremplaçable des prêtres

4 Bien que les pasteurs sachent " qu'ils n'ont pas été institués par le Christ pour assumer à eux seuls tout l'ensemble de la mission salutaire de l'Eglise à l'égard du monde ",(13) ils remplissent un rôle évangélisateur absolument irremplaçable. L'exigence d'une nouvelle évangélisation rend donc pressante la nécessité de trouver une approche de l'exercice du ministère sacerdotal qui corresponde à la situation actuelle, qui l'imprègne de dynamisme et le rende capable de répondre d'une manière adéquate aux circonstances dans lesquelles il doit s'accomplir. Cependant, cela doit se faire en se tournant toujours vers le Christ, notre unique modèle, sans que les conditions de notre époque détournent notre regard de l'objectif final. En effet, ce ne sont pas seulement les circonstances socioculturelles qui doivent nous pousser à un renouveau pastoral valable, mais surtout l'amour ardent du Christ et de son Eglise.
Le but de tous nos efforts n'est autre que le Règne définitif du Christ, la récapitulation en lui de toutes les choses créées. Ce but ne pourra être atteint qu'à la fin des temps, mais dès aujourd'hui ce Règne est présent à travers l'Esprit vivifiant, par lequel Jésus-Christ a constitué son Corps, qui est l'Eglise, comme sacrement universel du salut.(14)
Le Christ, Tête de l'Eglise et Seigneur de toute la création, continue d'agir de façon salvifique parmi les hommes et c'est précisément dans ce cadre d'action que le sacerdoce ministériel trouve sa juste place. Pour attirer tous les hommes à lui (cf.
Jn 12,32) , le Christ requiert la participation spéciale de ses prêtres. Nous sommes ici en présence d'un dessein divin (la volonté de Dieu d'impliquer l'Eglise et ses ministres dans l'oeuvre de la rédemption), qui peut certes être clairement attesté du point de vue de la doctrine de la foi et de la théologie, mais qui présente de nombreuses difficultés pour être accepté par les hommes de notre temps. De fait, aujourd'hui beaucoup contestent la médiation sacramentelle et la structure hiérarchique de l'Eglise; ils s'interrogent sur sa nécessité et sa motivation.
Comme la vie du Christ, celle du prêtre aussi doit être une vie consacrée, en son nom, à l'annonce autorisée de la volonté aimante du Père (cf. Jn 17,4 He 10,7-10) . Tel fut le comportement du Messie: les années de sa vie publique furent dédiées à " faire et à enseigner " (Ac 1,1) , en prêchant en homme qui a autorité (cf. Mt 7,29) . Cette autorité lui venait, certainement et en premier lieu, de sa condition divine, mais aussi, aux yeux des gens, de sa façon d'agir sincère, sainte et parfaite. De même, le prêtre doit associer à l'autorité spirituelle objective, qu'il possède en vertu de son ordination sacrée,(15) l'autorité subjective provenant de sa vie sincère et sanctifiée,(16) de sa charité pastorale, manifestation de la charité du Christ.(17) L'exhortation que saint Grégoire le Grand adressait à ses prêtres n'a rien perdu de son actualité: " Il faut qu'il (le pasteur) soit pur de pensée, exemplaire dans l'action, discret dans son silence, utile par sa parole; qu'il soit proche de chacun par sa compassion et qu'il soit, plus que tous, dédié à la contemplation; qu'il soit l'humble allié de qui fait le bien mais, par son zèle pour la justice, qu'il soit inflexible contre les vices des pécheurs; qu'il ne délaisse pas le soin de sa vie intérieure dans ses occupations extérieures, ni ne néglige de pourvoir aux nécessités extérieures pour la sollicitude du bien intérieur ".(18)
De nos jours, comme à chaque époque, l'Eglise a besoin " de hérauts de l'Evangile, experts en humanité, qui connaissent à fond le coeur de l'homme d'aujourd'hui, partageant ses joies et ses espoirs, ses angoisses et ses tristesses et qui soient, en même temps, des contemplatifs épris de Dieu. C'est pourquoi affirmait le Saint-Père à propos de la rechristianisation de l'Europe, mais avec des mots à la portée universelle il faut de nouveaux saints. Les grands évangélisateurs de l'Europe ont été les saints. Nous devons supplier le Seigneur d'augmenter l'esprit de sainteté de l'Eglise et de nous envoyer de nouveaux saints pour évangéliser le monde d'aujourd'hui ".(19) Il faut se rappeler que beaucoup de nos contemporains se font une idée du Christ et de l'Eglise avant tout à travers les ministres sacrés; leur témoignage authentiquement évangélique devient donc encore plus urgent comme " image vivante et transparente du Christ prêtre ".(20)
Dans le cadre de l'action salvifique du Christ, nous pouvons saisir deux objectifs inséparables. D'un côté, une finalité que nous pourrions qualifier d'intellectuelle: enseigner, instruire les foules qui étaient comme des brebis sans berger (cf. Mt 9,36) et orienter les intelligences vers la conversion (cf. Mt 4,17) . L'autre aspect consiste à provoquer dans le coeur de ceux qui l'écoutaient le désir de repentir et de pénitence pour leurs péchés, en ouvrant la voie à l'accueil du pardon divin. Il continue à en être ainsi aujourd'hui: " l'appel à la nouvelle évangélisation est avant tout un appel à la conversion " (21) et, quand la Parole de Dieu a instruit l'intellect de l'homme et a mu sa volonté, l'éloignant du péché, alors l'activité évangélisatrice atteint son apogée dans la participation fructueuse aux sacrements et, surtout, à la célébration de l'Eucharistie. Comme l'enseignait Paul VI, " le rôle de l'évangélisation est précisément d'éduquer tellement dans la foi qu'elle conduise chaque chrétien à vivre et non à recevoir passivement, ou à subir les sacrements comme de véritables sacrements de la foi ".(22)
L'évangélisation comporte: annonce, témoignage, dialogue et service; et elle se fonde sur l'union de trois éléments inséparables: la prédication de la Parole, le ministère sacramentel et la conduite des fidèles.(23) Une prédication qui ne formerait pas continuellement les fidèles et ne déboucherait pas sur la pratique sacramentelle n'aurait aucun sens, pas plus qu'une participation aux sacrements séparée de la pleine acceptation de la foi et des principes moraux, ou à laquelle manquerait la conversion sincère du coeur. Si, d'un point de vue pastoral, la première place dans l'ordre de l'action revient logiquement à la fonction de prédication,(24) dans l'ordre de l'intention ou finalité, la première place doit être assignée à la célébration des sacrements et, en particulier, à celle de la Pénitence et de l'Eucharistie.(25) C'est précisément en conjuguant harmonieusement ces deux fonctions qu'on retrouve l'intégrité du ministère pastoral du prêtre au service de la nouvelle évangélisation.
Un aspect de la nouvelle évangélisation qui est en train d'acquérir une importance toujours plus grande est la formation oecuménique des fidèles. Le Concile Vatican II a exhorté tous les fidèles catholiques " à prendre une part active à l'effort oecuménique " et à " (apprécier) les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source au commun patrimoine et qui se trouvent chez nos frères séparés ".(26) En même temps, il faut aussi relever que " rien n'est plus étranger à l'oecuménisme que ce faux irénisme, qui altère la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et certain ".(27) Par conséquent, les prêtres devront veiller à ce que l'oecuménisme soit mené en respectant fidèlement les principes indiqués par le magistère de l'Eglise, qui ne connaît pas de fractures, mais une continuité harmonieuse.

24 Notes:

(13) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium,
LG 30
(14) Cf. ibid., LG 48
(15) Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 21: l.c., pp. 688-690.
(16) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décret Presbyterorum Ordinis, PO 12 Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 25: l.c., pp. 695-697.
(17) Cf. Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres Tota Ecclesia, n. 43.
(18) Saint Grégoire le Grand, Règle pastorale, II, 1.
(19) Jean-Paul II, Discours au VIème Symposium des évêques européens (11 novembre 1985): Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, (1985)(1985), pp. 918-919.
(20) Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 12: l.c., pp. 675-677.
(21) Jean-Paul II, Allocution d'ouverture de la IVème Conférence générale de l'épiscopat latino-américain, Saint-Domingue (12 octobre 1992), n. 1: AAS 85 (1993), p. 808; cf. Exhort. ap. post-synodale Reconciliatio et paenitentia (2 décembre 1984), RP 13: AAS 77 (1985), pp. 208-211.
(22) Paul VI, Exhort. ap. Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), EN 47: AAS 68 (1976), p. 37.
(23) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, LG 28
(24) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décret Presbyterorum Ordinis, PO 4 Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 26: l.c., pp. 697-700.
(25) Cf. Conc. oecum. Vat. II, Décret Presbyterorum ordinis, PO 5 PO 13 PO 14 Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 23 PDV 26 PDV 48: l.c., pp. 691-694; 697-700; 742-745; Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres Tota Ecclesia, n. 48.
(26) Conc. oecum. Vat. II, Décret Unitatis redintegratio, UR 4.
(27) Ibid., UR 11


SUGGESTIONS POUR REFLECHIR SUR LE CHAPITRE I

5 1. La nécessité et l'urgence de la nouvelle évangélisation sont-elles réellement ressenties dans nos communautés ecclésiales, en particulier parmi nos prêtres?
2. Sont-elles présentes dans la prédication? Figurent-elles dans les réunions du presbyterium, dans les programmes pastoraux, dans les moyens de formation permanente?
3. Les prêtres s'efforcent-ils particulièrement de promouvoir une mission évangélisatrice nouvelle " dans son ardeur, dans ses méthodes, dans son langage " (28) ad intra et ad extra de l'Eglise?
4. Les fidèles considèrent-ils le sacerdoce comme un don divin, aussi bien pour celui qui le reçoit que pour la communauté, ou le voient-ils dans l'optique d'une simple fonctionnalité sur le plan de l'organisation? Montre-t-on la nécessité de prier pour que le Seigneur accorde des vocations sacerdotales et pour que la générosité nécessaire ne fasse pas défaut pour répondre affirmativement?
5. Dans la prédication de la Parole de Dieu et dans la catéchèse, maintient-on des proportions correctes entre l'instruction dans la foi et la pratique sacramentelle? L'activité évangélisatrice des prêtres est-elle caractérisée par la complémentarité entre prédication et sacramentalité, " munus docendi " et " munus sanctificandi "?

Notes:

(28) Cf. Jean-Paul II, Allocution aux évêques du CELAM (9 mars 1983): Insegnamenti, VI, (1983)(1983), p. 698; cf. Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis,
PDV 18: l.c., pp. 684-686.



Chapitre II

MAITRES DE LA PAROLE

" Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création " (Mc 16,15)


Les prêtres, maîtres de la Parole " in nomine Christi et nomine Ecclesiae "

6 Un bon point de départ pour une compréhension correcte du ministère pastoral de la Parole est de considérer la Révélation de Dieu en elle-même. " Dans cette Révélation le Dieu invisible (cf. Col 1,15 1Tm 1,17) s'adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu'à des amis (cf. Ex 33,11 Jn 15,14-15) , il s'entretient avec eux (cf. Ba 3,38) pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie ".(29) Dans l'Ecriture, l'annonce du Royaume parle non seulement de la gloire de Dieu, mais elle la fait jaillir de l'annonce elle-même. L'Evangile prêché dans l'Eglise n'est pas seulement un message, mais une action divine et salutaire dont font l'expérience ceux qui croient, qui entendent, qui obéissent au message et qui l'accueillent.
Par conséquent, la Révélation ne se limite pas à nous instruire sur la nature de ce Dieu qui vit dans une lumière inaccessible, mais elle nous informe aussi sur ce que Dieu fait pour nous par la grâce. Rendue présente, actualisée " dans " et " par " l'Eglise, la Parole révélée est un instrument par lequel le Christ agit en nous par son Esprit. Elle est à la fois jugement et grâce. Dans l'écoute de la Parole, la confrontation actuelle avec Dieu luimême interpelle le coeur des hommes et requiert une décision qui ne se résout pas au niveau de la seule connaissance intellectuelle, mais qui exige la conversion du coeur.
" Les prêtres, comme coopérateurs des évêques, ont pour premier devoir d'annoncer l'Evangile de Dieu à tous les hommes; ainsi (...) ils font naître et grandir le peuple de Dieu ".(30) C'est précisément parce que la prédication de la Parole n'est pas la simple transmission intellectuelle d'un message, mais " force de Dieu pour le salut de tout homme qui croit " (Rm 1,16) , accompli une fois pour toutes dans le Christ, que son annonce dans l'Eglise requiert, chez les prédicateurs, un fondement surnaturel garantissant son authenticité et son efficacité. La prédication de la parole par les ministres sacrés participe, en un certain sens, du caractère salvifique de la Parole elle-même, non par le simple fait qu'ils parlent du Christ, mais bien parce qu'ils annoncent l'Evangile à leurs auditeurs, avec ce pouvoir d'interpeller qui provient de leur participation à la consécration et à la mission du Verbe de Dieu incarné. Ces paroles du Seigneur retentissent encore à l'oreille des ministres: " Qui vous écoute m'écoute, qui vous rejette me rejette " (Lc 10,16) et ceux-ci peuvent dire avec saint Paul: " Nous n'avons pas reçu, nous, l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits. Et nous en parlons non pas avec des discours enseignés par l'humaine sagesse, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit, exprimant en termes spirituels des réalités spirituelles " (1Co 2,12-13) .
La prédication demeure ainsi configurée comme un ministère qui jaillit du sacrement de l'Ordre et qui s'accomplit par l'autorité du Christ. Toutefois, la force de l'Esprit Saint ne garantit pas de la même manière tous les actes des ministres. Alors que cette garantie est donnée pour l'administration des sacrements, de sorte que même le péché du ministre ne peut empêcher le fruit de la grâce, il existe beaucoup d'autres actes où l'empreinte humaine du ministre acquiert une importance considérable. Cette empreinte peut profiter, mais aussi nuire, à la fécondité apostolique de l'Eglise.(31) Bien que le caractère de service doive imprégner tout le munus pastoral, il apparaît particulièrement nécessaire dans le ministère de la prédication car plus le ministre devient vraiment serviteur de la Parole, et non son maître, plus la Parole peut dispenser son efficacité salvifique.
Ce service exige le dévouement personnel du ministre à l'égard de la Parole prêchée, un dévouement accordé en dernier ressort à Dieu lui-même, à ce " Dieu, à qui je rends un culte spirituel en annonçant l'Evangile de son Fils " (Rm 1,9) . Le ministre ne doit lui interposer aucun obstacle, ni en poursuivant des fins étrangères à sa mission, ni en s'appuyant sur la sagesse des hommes, ni sur des expériences subjectives qui pourraient rendre trouble l'Evangile. La Parole de Dieu ne pourra donc jamais être instrumentalisée! Au contraire, le prédicateur " doit tout d'abord acquérir une grande familiarité personnelle avec la Parole de Dieu (...) et être le premier "croyant" en la Parole, dans la pleine conscience que les paroles de son ministère ne sont pas "siennes", mais de Celui qui l'a envoyé ".(32)
Il existe donc un rapport essentiel entre oraison personnelle et prédication. De la méditation de la Parole de Dieu dans la prière personnelle devra aussi jaillir spontanément " la primauté donnée au témoignage de vie, qui fait découvrir la puissance de l'amour de Dieu et rend sa parole persuasive ".(33) Une prédication qui est aussi le fruit de la prière personnelle devient incisive non seulement en vertu de sa cohérence spéculative, mais parce qu'elle est née d'un coeur sincère et priant, conscient que la tâche du ministre consiste à " enseigner, non pas leur propre sagesse, mais la Parole de Dieu, et (à) inviter tous les hommes avec insistance à la conversion et à la sainteté ".(34) La prédication des ministres du Christ exige donc, pour devenir efficace, d'être solidement enracinée dans leur esprit de prière filiale: " sit orator, antequam dictor ".(35)
La conscience de la nature ministérielle des prêtres, le sens vocationnel de leur vie et leur foi vivante et apostolique trouvent un soutien et une impulsion dans leur vie personnelle de prière. C'est là, jour après jour, qu'ils puisent leur zèle pour l'évangélisation. Celle-ci, devenue conviction personnelle, se traduit par une prédication persuasive, cohérente et convaincante. En ce sens, la récitation de la Liturgie des Heures ne concerne pas seulement la piété personnelle et ne se réduit pas à une prière publique de l'Eglise; elle est aussi d'une grande utilité pastorale,(36) car elle devient une occasion privilégiée de se familiariser toujours davantage avec la doctrine biblique, patristique, théologique et magistérielle, d'abord intériorisée, puis délivrée au peuple dans la prédication.

25 Notes:

(29) Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum,
DV 2
(30) Conc. oecum. Vat. II, Décret Presbyterorum Ordinis, PO 4
(31) Cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, CEC 1550
(32) Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, PDV 26: l.c., p. 698.
(33) Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres Tota Ecclesia, n. 45.
(34) Conc. oecum. Vat. II, Décret Presbyterorum Ordinis, PO 4
(35) Saint Augustin, De doctr. christ., 4, 15, 32: PL 34, 100.
(36) Cf. Paul VI, Const. ap. Laudis canticum (1er novembre 1970), n. 8: AAS 63 (1971), pp. 533-534.



1999 Le prêtre