Jérôme - Hommes illustres


OEUVRES DE SAINT JROME




Publiées par M. BENOIT MATOUGUES,

sous la Direction

DE M. L. AIM-MARTIN.

PARIS AUGUSTE DESREZ,IMPRIMEUR-EDITEUR

Rue Neuve-Des-Petits-Champs, n°50.

MDCCCXXXVIII

Abbaye Saint Benoît de Port-Valais

CH-1897 Le Bouveret (VS)





Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/



TABLEAU DES CRIVAINS ECCLSIASTI QUES, ou LIVRE DES HOMMES ILLUSTRES.



AVANT-PROPOS. A DEXTER, PRFET DU PRTOIRE.


Vous voulez, mon cher Dexter, qu'à l'imitation de Suétone je fasse un tableau des écrivains ecclésiastiques, et que je suive pour nos grands hommes le plan dont cet auteur s'est servi dans son énumération des littérateurs profanes; vous m'invitez, en d'autres termes, à vous faire connaître sommairement tous ceux qui ont publié quelque chose sur les saintes Ecritures, depuis la Passion de Jésus-Christ jusqu'à la quatorzième année du règne de Théodose.

Parmi les Grecs, Hermippus le péripatéticien, Antigone de Cacos, le docte Satyrus et Aristoxène le musicien, homme supérieur à eux tous par l'érudition, ont entrepris ce travail; parmi les Latins, il a été tenté par Varron, Sautra, Népos, Lyginus, et enfin par Suétone dont vous me proposez l'exemple. Mais je ne suis point placé dans les mêmes conditions qu'eux. En effet, ceux-ci pouvaient moissonner dans un vaste champ pour composer leur ouvrage ; et moi, que puis-je faire, privé de guides et n'ayant de maître que moi-même? Or suivant une sage maxime, le moi est le pire des maîtres. J'ai beau m'aider puissamment de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Pamphilis, et trouver pour la plupart du temps l'âge des auteurs dont je veux parler attesté par leurs ouvrages eux-mêmes , tous ces secours sont insuffisants.

Il me reste donc à prier notre seigneur Jésus-Christ de me donner assez de force pour satisfaire votre demande, et pour pouvoir énumérer les écrivains de cette Eglise ; genre de travail que votre Cicéron, ce géant de l'éloquence romaine, n'a pas dédaigné en donnant dans son Brutus la liste des orateurs latins. Que si quelques-uns de ceux qui ont écrit jusqu'à nos jours se trouvent omis dans cet. opuscule , ils doivent s'en prendre à eux plutôt qu'à moi; car pour ce qui est des ouvrages inédits, je n'ai pu connaître ce que je n'avais pas lu. D'un autre côté, bien des choses, que d'autres ont peut-être connues, ne me sont point parvenues dans ce coin de terre. Quant aux écrivains qui ont acquis de la célébrité, ils ne s'infligeront pas à coup sûr du tort que leur cause mon silence. Je veux apprendre aux Celse, aux Porphyre, aux Julien , ces bêtes féroces acharnées contre Jésus-Christ ; je veux apprendre à leurs sectateurs, qui pensent que l’Eglise n'a eu ni savants, ni orateurs, ni philosophes, en quel nombre et quels étaient les hommes qui l'ont fondée, qui l'ont élevée, qui font embellie; je veux qu'ils cessent de taxer notre foi d'imbécillité grossière, et qu'ils reconnaissent leur ignorance à eux-mêmes. Le Seigneur vous tienne en sa sainte garde.

SIMON PIERRE, fils de Jean, frère d'André apôtre, et prince des apôtres, naquit à Bethsaïdeen Galilée. Après avoir fondé l'Eglise d'Antioche, dont il fut l’évêque, et après avoir prêché l'vangile aux Juifs convertis qui étaient dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie-Mineure et la Bithynie, il vint à Rome la deuxième année du règne de l'empereur Claude, pour confondre Simon-le Magicien. Il y occupa pendant vingt-cinq ans la chaire pontificale, jusqu'à la quatorzième et dernière année du règne de Néron, époque à laquelle il reçut la palme du martyre. Il fut mis en croix la tête en bas, se jugeant indigne de mourir de la même manière que son divin maître. il a écrit deux épîtres appelées catholiques : la plupart des auteurs prétendent que la seconde n'est pas de lui, parce qu'elle fait disparate avec le style de la première; mais Marc l'évangéliste, qui avait été son disciple et son interprète, la lui attribue. Les ouvrages intitulés Evangile, Prédication, Apocalypse, Jugement, Actes de Pierre sont tous les cinq rejetés comme livres apocryphes. Il fut enterré à Rome dans le Vatican, près de la voie Triomphale. Le monde entier vénère et célèbre sa mémoire.

JACQUES, surnommé le juste et appelé aussi le frère du Seigneur, était selon les uns issu de Joseph par un premier mariage, ou bien , ce qui me semble plus probable, était fils de Marie, cette soeur de la mère de Jésus-Christ dont Jean parle dans son évangile. Après la Passion du Sauveur, les apôtres l'instituèrent évêque de Jérusalem. Il a écrit une seule épître qui fait partie des sept pîtres catholiques ; on prétend même qu’elle fut publiée sous son nom par un autre auteur, quoiqu'il se soit écoulé peu de temps avant qu'elle commençât à faire autorité. Hégésippe, qui vivait dans des temps rapprochés des apôtres, parlant de Jacques dans le cinquième livre de ses commentaires, s'exprime ainsi : " Jacques , le frère du Sauveur, surnommé le juste, reçut des mains des apôtres la direction de l'Eglise de Jérusalem. Plusieurs ont porté le nom de Jacques; celui dont nous parlons fut saint pour ainsi dire avant de naître. Il ne but jamais de vin ou d'autres liqueurs spiritueuses, et ne mangea jamais de chair; jamais il ne coupa ses cheveux, et il ne connut point l'usage des parfums et des bains. Il n'était permis qu'à lui seul de pénétrer dans le sanctuaire. Ses vêtements étaient faits de lin et non de laine. Il entrait seu1 dans le temple et se prosternait devant le peuple pour prier. Ses genoux avaient fini par devenir aussi durs que la peau du chameau. " Hégésippe ajoute une foule de détails qu'il serait trop long de rapporter.

Joseph, dans le vingtième livre de ses Antiquités, et Clément dans sa septième Hypotypose, racontent qu'à la mort de Festus, gouverneur de Judée, Néron envoya Albinus pour le remplacer. Or Ananus, fils d'Ananas et issu de la famille sacerdotale, grand-prêtre quoique très jeune, prit. le temps qu'Albinus n'était pas arrivé pour assembler un conseil devant lequel il fit venir publiquement Jacques, pour le forcer à renier lé Christ, fils de Dieu. Comme ce saint homme s'y refusait, il le condamna à être lapidé. Jacques, précipité de la plate-forme du temple , se brisa les jambes dans sa chute. Alors levant les mains vers le ciel, il s'écria à demi mort: " Pardonnez-leur, mon Dieu, ils ne savent ce qu'ils font. " Un foulon l’acheva en lui assénant sur la tête un coup de levier doux il se servait pour fouler ses draps.

Le même Joseph rapporte que sa piété était si grande et si vénérée du peuple, que sa mort avait, pensait-on, attiré la ruine de Jérusalem. Paul, dans son épître aux Galates, fait mention de ce saint homme. " Je n'ai vu, dit-il, aucun autre apôtre que Jacques, le frère du Seigneur. " Les Actes des apôtres le citent fréquemment. L'évangile intitulé selon les Hébreux, que j'ai traduit depuis peu en grec et en latin, et dont Origène s'est servi, ajoute le passage suivant au récit de la résurrection de Jésus-Christ : " Le Seigneur, après avoir donné son suaire au serviteur du prêtre, alla vers Jacques et lui apparut. Or Jacques, depuis qu'il avait bu dans la coupe du Sauveur , avait juré de ne plus manger de pain jusqu'à ce qu'il l'eût vu ressuscité d'entre les morts. Le Seigneur dit alors : " Apportez-moi une table et du pain; " et quand on lui eut donné ce qu'il demandait, il prit le pain, le bénit, le rompit et le donna à Jacques en lui disant : " Mon frère, mangez ce pain, parce que le fils de l'homme est ressuscité d'entre les morts. " Jacques gouverna l'glise de Jérusalem pendant trente ans, c'est-à-dire jusqu'à la septième année du règne de Néron. Il fut enterré contre le temple, dans l'endroit où il avait été précipité. Quelques auteurs ont pensé, mais à tort, qu'il avait été enseveli dans le jardin des Olives.

MATHIEU, aussi nommé Lévi, était publicain avant de devenir apôtre. Il fut le premier en Judée qui mit par écrit l'vangile de notre seigneur Jésus-Christ , et il le rédigea en hébreu à l'usage des Juifs convertis. On ne connaît pas au juste celui qui l'a traduit en grec. On en a conservé jusqu'à nos jours, dans la bibliothèque de Césarée, un exemplaire hébreu que Pamphile le martyr avait écrit avec le plus grand soin. Les chrétiens de Béroa en Syrie se servent aussi du texte hébreu , et je me le suis fait copier par eux. Toutes les fois que. l'évangéliste invoque , soit en son nom , soit au nom du Seigneur, le témoignage de l'Ancien-Testament, il recourt non point à la traduction des Septante, mais à l'original lui-même. Par exemple , ces deux prophéties : " J'ai appelé mon fils de l'gypte; il sera appelé le Nazaréen, " sont tirées du texte hébreu.

JUDAS , frère de Jacques, a laissé une petite épître qui fait partie des sept catholiques. Il s'appuie dans cette épître du livre apocryphe d'Enoch ; c'est ce qui la fait rejeter par quelques auteurs. Toutefois le temps et l'usage lui ont assuré de l'autorité, et elle est rangée parmi les saintes critures.

PAUL, apôtre, s'appelait Saul avant de s'adjoindre aux douze apôtres. Il était de la tribu de Benjamin et il naquit à Giscale en Judée. Cette ville ayant été prise par les Romains, il émigra à Tharse en Cilicie avec sa famille. Ses parents l'envoyèrent ensuite à Jérusalem pour y étudier les lois. Là il suivit les leçons de Gamaliel, homme très érudit dont Luc fait mention. Après avoir assisté et contribué à la mort d'tienne, il accepta du grand-prêtre la mission de persécuter les chrétiens. Il se rendait à Damas dans ce dessein, quand il fut ramené à la foi par cette révélation dont on peut voir le récit dans les Actes des apôtres, et de persécuteur qu'il était, il devint un vase d'élection. Le premier à qui sa prédication fit embrasser 1a vraie croyance fut Paul Sergius, proconsul de Chypre; et ce dernier, reconnaissait de lui devoir sa conversion, donna son nom à l'apôtre. S'étant adjoint Barnabé, il parcourut plusieurs villes ; puis il revint à Jérusalem , où Pierre, Jacques et Jean lui conférèrent l'apostolat.

Nous ajouterons peu de choses au récit détaillé que les Actes des apôtres font de sa vie. La vingt-deuxième année après la Passion de Jésus-Christ, c'est-à-dire la deuxième du règne de Néron, à l'époque où Festus succéda à Félix dans le gouvernement de la Judée, Paul fut conduit à Rome chargé de fers. Il y resta deux ans sous la surveillance seulement d'un gardien , et il employa ce temps en controverses avec les Juifs sur l'arrivée du Messie. Il fut mis en liberté par Néron, dont la domination n'était pas affermie, et qui ne s'était pas encore livré à ces crimes effrénés que l'histoire lui reproche. Si Paul échappa à cette première persécution, ce fut pour qu'il pût prêcher l'vangile dans les pays d'Occident, comme il le déclare lui-même dans l'épître qu'il écrivit du fond de sa prison à Timothée, Vannée de sa mort : " Lors de ma première persécution , personne ne me vint en aide, mais tous m'abandonnèrent ; que le ciel le leur pardonne ! mais le Seigneur me secourut et me rendit ma force, afin que par moi son nom fût annoncé en tous lieux et que toutes les nations l'entendissent. J'ai été délivré de la gueule du lion. " Ces derniers mots font évidemment allusion à Néron, dont ils peignent la férocité. Il ajoute plus loin " Dieu m'a délivré de toute embûche et m'a sauvé dans son céleste royaume. " On voit qu'il sentait approcher son martyre: il avait dit plus haut dans la même épître : " Je suis une victime déjà sacrifiée, et l’heure de ma mort est arrivée. "

Paul reçut le martyre le même jour que Pierre : il eut la tète tranchée à Rome, fan trente-sept de la Passion de Jésus-Christ; on l'enterra sur la voie d'Ostie. Il a laissé neuf épîtres adressées aux sept Eglises de Rome, de Corinthe, de Galatie, d'Ephèse, de Philippes, de Colosses et de Thessalonique; il en a en outre composé quatre autres pour ses disciples Timothée , Tite et Philémon. Quant à l'épître aux Hébreux, l'authenticité en est contestée à cause de la discordance du style et des idées. Tertullien l'attribue à Barnabé; suivant d'autres, elle serait l'ouvrage de Luc l'évangéliste, ou bien de Clément, depuis évêque de Rome, qui passe pour s'être approprié les pensées de Paul et les avoir mises en ordre et revêtues de son style. On peut supposer encore que Paul est l'auteur de cette épître, et qu'il a retranché au commencement la formule de salut à cause de la haine que les Juifs avaient vouée à son nom. Hébreu lui-même et écrivant à des Hébreux, il employa la langue nationale avec tant d'élégance que les beautés de l'original passèrent dans la traduction grecque. Voilà d'où provient la différence qui semble exister entre cette épître et les antres ouvrages de Paul. Quelques auteurs ont mis sous son nom une épître aux Laodicéens, mais elle est généralement rejetée.

BARNAB, nommé d'abord Joseph, était de la tribu de Lévi et natif de Chypre. Il fut créé apôtre des gentils avec Paul, et écrivit en faveur de l'établissement de l'Eglise une épître qui est rangée au nombre des livres apocryphes. Après s'être séparé de Paul pour suivre le disciple Jean-Marc, il n'en remplit pas moins la mission qui lui était imposée de prêcher l'Evangile.

Luc, médecin d'Antioche, comme l'indiquent ses ouvrages, était très versé dans la littérature grecque. Disciple de Paul , il l'accompagna dans tous ses voyages. Il a publié l'évangile qui lui a valu cet éloge de ce grand apôtre : " Nous envoyons le frère que la publication de son évangile a couvert de gloire, et dont le nom est célèbre dans toutes les Eglises. " Dans l’épître aux Colossiens Paul s'exprime ainsi : " Luc, le médecin bien-aimé, vous salue; " et dans celle à Timothée : " Luc est seul avec moi. " Ce dernier a encore composé un excellent ouvrage intitulé Actes des apôtres. Cette relation historique va jusqu'au séjour de Paul à Rome, c'est-à-dire à la quatrième année du règne de Néron. On peut conjecturer par là que l’ouvrage a été écrit dans cette ville.

Nous rejetons parmi les livres apocryphes les Voyages de Paul et de Thécla et toute la fable du Baptême du Lion; car comment se pourrait-il qu'unique compagnon de l’apôtre, Luc eût ignoré cette particularité parmi ses autres aventures ? Tertullien, voisin de ces temps, prétend qu un prêtre d'Asie , ayant été convaincu par Jean d'être l'auteur de ce livre et ayant avoué qu'il l’avait fait par amour pour Paul, fut chassé de son Eglise.

Quelques auteurs pensent que, toutes les fois que Paul se sert dans ses épîtres de ces expressions: " suivant mon évangile, " il entend parler de l'ouvragé de Luc; et que c'est non-seulement de Paul, qui n'avait pas vécu avec le Seigneur, mais encore des autres apôtres que l'évangéliste tient les faits qu'il raconte. Il le déclare lui-même en ces termes au commencement de son livre : " Ces choses nous ont été transmises par ceux qui les avaient vues dans le principe, et qui furent les ministres de la parole. " Il écrivit donc l'évangile d'après ce qu'il avait entendu; mais quant aux Actes des apôtres, il les rédigea d'après ce qu'il avait vu. Son tombeau est à Constantinople, où ses os furent transportés avec les reliques de l'apôtre André, la vingtième année du règne de Constantin.

MARC, disciple et interprète de Pierre, écrivit, à la demande de ses frères de Rome, un évangile résumé d'après ce qu'il avait recueil. li de la bouche de Pierre lui-même. Cet apôtre l'ayant lu, l'approuva, le fit publier, et ordon na qu'il fût lu dans les églises. Ces faits son attestés par Clément dans le sixième livre de ses Hypotyposes. Pappias, évêque d'Hiéropolis, a fait mention de Marc, et Pierre, dans première épître, s'exprime ainsi : " Vos confrères de Babylone et Marc, mon fils chéri vous saluent. " Par le mot de Babylone il désigne figurément l'Eglise de Rome. Marc alla ensuite en Egypte, emportant avec lui l'évangile qu'il avait rédigé. Il commença par prêcher la religion chrétienne à Alexandrie, y fonda une Eglise, et obtint tant d'influence par sa science et par la pureté de ses moeurs que les sectateurs de Jésus-Christ le prirent pour modèle. Comme les membres de cette première Eglise suivaient encore quelques pratiques judaïques, Philon, le plus grand des écrivains juifs, composa un traité sur le genre de vie des néophytes d'Alexandrie, croyant faire le panégyrique de sa nation. Les chrétiens de Jérusalem mettaient, au rapport de Luc, tous leurs biens en commun: Philon prétend qu'il en était de même à Alexandrie sous les enseignements de Marc. Cet évangéliste mourut la huitième année du règne de Néron, et fut enterré dans cette ville. Il eut, pour successeur Anianus.

JEAN, l'apôtre que Jésus-Christ aimait le plus, était fils de Zébédée et frère de Jacques, apôtre, à qui Hérode fit trancher la tête après la Passion du Seigneur. A la demande des évêques d'Asie, il écrivit le dernier son évangile, pour combattre Cerinthus et la secte naissante des ébionites, qui soutenait que le Christ n'existait pas avant Marie. Ce fut le motif qui le détermina à proclamer hautement la naissance divine du Sauveur. Quelques auteurs expliquent différemment la cause de cet ouvrage : selon eux, Jean, ayant lu les trois évangiles de Mathieu, de Marc et de Luc, approuva le fond de leur récit et reconnut qu'ils avaient toujours respecté la vérité; mais il observa qu'ils n'avaient guère relaté que les faits accomplis l’année de la Passion de Jésus-Christ, c'est-à-dire postérieurement à l'emprisonnement de Jean-Baptiste. Quant à lui, omettant l'année dont ses trois prédécesseurs avaient fait l'histoire, il s’attacha surtout à raconter les événements antérieurs à l'emprisonnement de Jean le précurseur. On peut s'en convaincre en lisant attentivement les quatre évangiles. Cette explication sauvé les discordances qui existent entre Jean et les autres évangélistes. Cet apôtre a aussi écrit une épître qui commence ainsi: " La parole de vie qui fut dès le commencement, que nous avons ouïe, que nous avons contemplée, que nous avons vue de nos yeux et touchée de nos mains. " Cet ouvrage est reconnu par toutes les Eglises et par tous les gens instruits. Quant aux deux autres épîtres qui commencent, la première par ces mots: " L'ancien à la femme élue et à ses fils, " et la seconde par ceux-ci: " L'ancien à son cher et bien-aimé Caïus, " on les attribue au prêtre Jean, dont on voit encore le tombeau à Ephèse. Plusieurs savants ont prétendu que ce tombeau était un double monument élevé à la mémoire de ce dernier et à celle de Jean l'évangéliste : nous examinerons ce point quand nous en serons arrivés à Pappias, son disciple. La persécution commencée par Néron ayant été renouvelée la quatorzième année du règne de Domitien, Jean fut relégué dans l'île de Pathmos, et il v écrivit son Apocalypse, qui fut commenté depuis par Justin le martyr et par Irénée A la mort de Domitien, le sénat annula, a cause de leur excessive cruauté, les actes qui émanaient du tyran.

Jean revint sous Nerva à Ephèse, où il demeura jusqu'au règne de Trajan. Il employa ce temps à fonder et à diriger les Eglises d'Asie. Ce saint apôtre mourut, accablé de vieillesse, l'an 78 après la Passion de Jésus-Christ, et fut enterré près d'Ephèse.

HERMAN, dont Paul a fait mention en ces termes dans son épître aux Romains: " Saluez Herman, Patrobe, Phlégon et les frères qui sont avec eux, " passe pour être l'auteur du livre intitulé le Pasteur, qui se lit publiquement dans quelques Eglises grecques. Cet ouvrage est en effet rempli d'enseignements utiles, et plusieurs anciens écrivains en ont invoqué le témoignage. Il est resté presque inconnu aux Latins.

PHILON le Juif était issu de la race sacerdotale et natif d'Alexandrie. Nous le rangeons su nombre des écrivains ecclésiastiques parce que, dans son livre sur la première Eglise d'Alexandrie fondée par Marc l'évangéliste, il fait l'éloge de nos frères. Il atteste que les chrétiens remplissaient non-seulement cette ville, mais qu'ils étaient encore répandus dans plusieurs provinces et qu'ils habitaient les monastères. Lé même ouvrage nous apprend encore que ces fidèles menaient primitivement un genre de vie semblable à celui auquel les moines aspirent de nos jours : ils ne possédaient rien en propre; parmi eux point de riches, point de pauvres; les biens se distribuaient aux indigents; leur temps était consacré à la prière et aux chants des Psaumes; ils ne s'attachaient qu'à acquérir de la science et à vivre purement. Ils étaient tels, en un mot, que Luc nous dépeint les premiers chrétiens de Jérusalem.

On a dit qu'ayant été envoyé par sa nation en ambassade près de Caligula, il courut beaucoup de dangers à Rome. Il fit un second voyage dans cette ville sous le règne de Claude, et il y connut l’apôtre Pierre, dont il gagna l’amitié. C'est ce qui l'engagea à faire, de retour à Alexandrie, l'apologie des sectateurs de Marc, disciple lui-même de Pierre.

Il a laissé de nombreux et remarquables ouvrages dont voici les titres : Sur les cinq livres de Moise; De la confusion des langues; De la nature et de l'art, un livre; Des craintes et des aversions instinctives, un livre; De l'érudition, un livre; De l'héritage des choses divines, un livre; De la séparation des semblables et des contraires, un livre; Des trois vertus, un livre; Examen des raisons pour lesquelles plusieurs personnages ont changé de nom dans tes saintes Ecritures, un livre; Des pactes, deux livres; La vie du sage, un livre; Sur les géants, un livre; Les songes nous sont envoyés par Dieu, traité en cinq livres; Questions et solutions sur l'Exode, cinq livres; Sur le Tabernacle et le Décalogue, quatre livres; Des victimes et des réprouvés ; De la Providence ; Sur la nation juive ; Sur les usages de la vie, Sur Alexandre; Traité sur l’intelligence des animaux; La perte de la sagesse entraîne celle de la liberté; un traité sur la vie des hommes apostoliques, ouvrage dont nous -avons déjà parlé et qui est intitulé: Vie contemplative des suppliants (il nous peint ces saints personnages toujours en prières et en contemplation des choses célestes) ; De l'agriculture; De l'ivresse. Ces deux derniers ouvrages n'ont pas été publiés sous ces titres. Il existe encore plusieurs autres productions du génie de Philon que nous n'avons pas entre les mains. Les Grecs disent proverbialement en parlant de lui: "Ou Platon philonise, ou Philon platonise; " jeu de mots qui exprime la parfaite conformité que ces deux grands écrivains ont entre eux sous le rapport du style et des idées,


LUCIUS ANNEUS SNEQUE, de Cordoue, était disciple de Sotion le stoïque et beau-père du poète Lucain. Il se distingua par une grande pureté de moeurs Nous ne le rangerions pas parmi les écrivains ecclésiastiques, sans la correspondance avec Paul que quelques auteurs lui attribuent. Quoiqu'il fût le précepteur de Néron et le plus grand personnage de son temps, il déclare dans ces lettres qu'il désirerait avoir parmi ses concitoyens le rang que Paul occupait parmi les chrétiens. Il mourut, par ordre de Néron, deux ans avant que Paul et Pierre reçussent la palme du martyre.

JOSEPH, frère de Mathias et prêtre de Jérusalem, fut fait prisonnier par Vespasien qui, en partant de Judée, le laissa avec son fils Titus. Il vint à Rome et y écrivit ses sept livres De la captivité des Juifs, qu'il dédia à l'empereur et qui furent placés dans les bibliothèques publiques. L'éclat de son génie lui fit élever une statue à Rome. Il composa ensuite ses vingt livres des Antiquités judaïques, qui s'étendent depuis le commencement du monde jusqu'à la quatorzième année du règne de Domitien ; il fit paraître en outre ses deux dissertations contre Appion, grammairien d'Alexandrie. Ce dernier avait été envoyé en ambassade par ses concitoyens près de Caligula, et avait publié, en réponse à Philon, un livre injurieux pour la nation juive. Joseph a encore laissé un ouvrage admirablement écrit, intitulé L'empire de la raison : le martyre des Macchabées y est raconté.

Dans le dix-huitième livre de ses Antiquités Joseph avoue, de la manière le plus manifeste, que les pharisiens firent mourir le Christ à cause de l'éclat de ses miracles; il déclare en outre que Jean-Baptiste fut un véritable prophète, et que le meurtre de Jacques l'apôtre attira la ruine de Jérusalem. Voici comment il s'exprime sur le Sauveur: " Dans ce temps-là vivait Jésus, homme plein de sagesse, si toutefois on doit le considérer simplement comme un homme, tant ses actions étaient admirables. Il enseignait ceux qui prenaient plaisir à être instruits de la vérité, et il avait pour sectateurs des Juifs et des gentils; il croyait être le Christ. Des principaux de notre nation l'ayant pris en haine, Pilate le fit crucifier, et ceux qui l'avaient aimé pendant sa vie ne l'abandonnèrent pas après sa mort. II leur apparut vivant au bout de trois jours. Il fit plusieurs autres miracles et accomplit les prédictions des prophètes. C'est de lui que la secte des chrétiens, qui subsiste encore aujourd'hui, a tiré son nom."

JUSTE, de Tibériade en Galilée, entreprit d'écrire une histoire des Juifs et de composer quelques courts commentaires sur les Ecritures. Joseph l'accuse de sacrifier la vérité. Ces deux auteurs ont écrit dans le même temps.

CLMENT, sur lequel Paul, dans son épître aux Philippiens, s'est exprimé en ces termes " Le nom de Clément et de ses autres collaborateurs est écrit dans le livre de vie, " fut après Pierre le quatrième évêque de Rome; Lin avait été le second et Anaclet le troisième. Toutefois, la plupart des Latins pensent que Clément succéda immédiatement à Pierre. Il a écrit à l’glise de Corinthe, au nom de l’glise de Rome, une épître remplie d'enseignements utiles qu'on lit publiquement dans plusieurs endroits. L'ensemble de cet ouvrage me semble avoir beaucoup de rapports avec l'épître aux Hébreux, qui est sous le nom de Paul: Clément lui emprunte des idées, et même des expressions. On attribue encore à ce dernier une seconde épître que les anciens auteurs rejettent, et en outre une dissertation entre Pierre et Appion, dont Eusèbe a fait la censure dans le troisième livre de son Histoire ecclésiastique. Il mourut la deuxième année du règne de Trajan. On a construit à Rome en son honneur une église qui porte encore soin nom.

IGNACE, troisième évêque d'Antioche après Pierre, ayant été enveloppé dans la persécution allumée sous Trajan, fut condamné à être exposé aux bêtes, et conduit à Rome chargé de fers. Dans le trajet il passa par Smyrne dont Plycarpe disciple de Jean, était évêque, et y composa quatre épîtres qu'il adressa aux chrétiens d'Ephèse, de Magnésie, de Tralles et de Rome. En partant il en écrivit trois autres pour les Eglises de Smyrne et de Philadelphie, et pour Polycarpe lui-même, à qui il recommanda son Eglise d’Antioche. Dans cette dernière épître il emprunte, au sujet du Christ, le témoignage suivant à l’Evangile que j'ai dernièrement traduit : " Je l’ai vu en chair et on os, après sa résurrection, et je suis convaincu qu'il existe. Quand le Christ s'approcha de Pierre et de ses compagnons, il leur adressa ces paroles : " Me voici : touchez-moi et voyez que je ne suis point un esprit incorporel." Aussitôt ils le touchèrent et ils crurent. "

Nous ne pouvons, en parlant de ce saint homme, nous dispenser de citer quelques passages de son épître aux Romains. " Depuis la Syrie jusqu'à Rome, sur terre et sur mer, j’ai à combattre contre les bêtes; je suis nuit et jour garrotté au milieu de dix léopards : ces bêtes féroces, ces léopards, ce sont les soldats qui me gardent, et que les bienfaits ne font que rendre plus méchants. Leurs mauvais traitements tournent au profit de mon salut; mais, hélas! je n'ai point encore trouvé grâce aux yeux de Dieu. Que n'ai-je le bonheur de me voir face à face avec les lions qui me sont destinés ! Plaise au ciel qu'ils se hâtent de me mettre en pièces et de me dévorer, et qu’il n’en soit pas de moi comme des martyrs qu'ils n'ont osé approcher! S'ils hésitaient à se jeter sur moi, je les exciterais moi-même. Ne vous inquiétez pas, mes enfants : je sais ce qui m'est avantageux. Je commence à être le disciple de Jésus-Christ : je ne désire rien des biens d'ici-bas; je veux être réuni à mon. Dieu. Que m'importent le feu, la croix, les bêtes féroces! que m'importe d'avoir les os brisés, les membres arrachés et le corps mis en poussière, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ! Je défie tous les tourments que la rage du démon peut inventer. " Ayant été exposé aux bêtes, il s'écriait en entendant rugir les lions et dans son impatience du martyre : " Je suis le froment de Dieu : il faut que la dent des bêtes me réduise en poudre, afin que je devienne un pain assez pur pour lui être offert. " Son martyre arriva la onzième année du règne de Trajan. Ses restes mortels furent enterrés dans le cimetière d'Antioche, au-delà de la porté de Daphnée.

POLYCARPE, disciple de l'apôtre Jean et créé par celui-ci évêque de Smyrne, devint patriarche d'Asie. Il connut et eut pour maîtres plusieurs des apôtres qui avaient vu le Seigneur. Sous le règne d'Antonin le pieux, il vint à Rome pour y consulter l'évêque Anicet sur la célébration de la fête de Pâques. Là, il ramena à la foi plusieurs chrétiens qui avaient été séduits par. les artifices de Marcion et de Valentin. Marcion, ayant été à sa rencontre, lui dit : " Me reconnaissez-vous? — Oui, répondit Polycarpe, je vous reconnais pour le fils aîné de Satan. " La quatrième persécution depuis Néron ayant été allumée par les ordres de Marc-Aurèle et de Commode, le saint évêque fut brûlé vif dans l'amphithéâtre de Smyrne, en présence du proconsul et au milieu des cris de la populace. Il a écrit aux Philippiens une épître qui contient d'excellents préceptes, et qui se lit encore de nos jours dans les Eglises d'Asie.

PAPPIAS, disciple de Jean et évêque d'Hiéropolis en Asie, a rédigé cinq traités qu'il a intitulés Explication des paroles du Seigneur. Dans la préface il déclare qu'il n'a pas pris pour guides les opinions du vulgaire, mais qu'il s'en est seulement référé à l'autorité des apôtres. " Je n'ai eu égard, dit-il, qu'aux enseignements que nous ont donnés André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean l'évangéliste, Aristion, Jean l'ancien et les autres disciples du Seigneur. La lecture des livres ne m'a point été aussi utile que les traditions transmises de vive voix par ces saints apôtres. " Il paraît, d'après ce passage de Pappias, que Jean l’évangéliste est autre que ce Jean l'ancien dont il cite le nom après celui d'Aristion. Nous faisons cette observation à cause de l'assertion de quelques auteurs qui, comme nous l'avons vu plus haut, pensent que les deux dernières épîtres de Jean viennent, non pas de l'apôtre, mais du prêtre. Pappias passe pour être l'auteur de la secondé période judaïque de mille ans; opinion qu'ont adoptée Irénée, Apollinaire et tous ceux qui pensent que le Seigneur doit, après sa résurrection, régner avec les saints sous une forme matérielle. Tertullien, dans son livre sur la foi des fidèles, Victorin et Lattante, ont aussi embrassé cette opinion.

QUADRATUS, disciple des apôtres, remplaça comme évêque d'Athènes Publius, martyr de la foi. Par son habileté et sa piété il rassembla les débris de son Eglise, que la terreur avait dispersés. Adrien ayant passé l'hiver à Athènes pour assister aux fêtes d'Eleusis, les ennemis des chrétiens, le voyant initié à presque tous les mystères de la Grèce, saisirent cette occasion de se livrer à de nouvelles persécutions sans y être autorisés par l'empereur. Quadratus présenta à ce dernier un ouvrage qu'il avait écrit en faveur de notre religion. Cet ouvrage, rempli de leçons utiles, de raison et de foi, est digne en tous points de la doctrine des apôtres. Il y donne à connaître son extrême vieillesse, car il prétend avoir vu en Judée des malades qui avaient été guéris et des morts ressuscités par le Seigneur.

ARISTIDE, philosophe athénien très éloquent, avait commencé par être disciple du Christ. Il offrit à Adrien, en même temps que Quadratus, un livre renfermant les principes de notre religion, ou, en d'autres termes, une apologie du christianisme. Ce livre, qui s'est conservé jusqu'à nos jours, porte, selon les philologues, le cachet de son talent.

AGRIPPA, surnommé Castor, homme d'une grande érudition, réfuta avec force les vingt livres que Basilide l'hérésiarque avait écrits contre l'Evangile. Il donna la clef de ses mystères. il énuméra ses prophètes, Barcabas, Barcob et tous ces autres noms, la terreur des oreilles qui les entendent prononcer, et fit sentir l'absurdité du Dieu suprême Abranas, que Basilide soutenait formé du nombre 365, nombre des jours de l’année suivant les Grecs. Basilide mourut à Alexandrie sous Adrien, et donna naissance à la secte des gnostiques. Pendant l'orage qu'il souleva, Cochebas, chef de la faction juive, fit mourir un grand nombre de chrétiens dans les supplices.

HGSIPPE naquit à une époque rapprochée du temps des apôtres, et composa une Histoire ecclésiastique en cinq livres, qui s'étend depuis la Passion de Jésus-Christ jusqu'aux jours où il écrivait. Il a rassemblé dans cet ouvrage, écrit d'un style simple, une foule de choses utiles pour le lecteur, et il cherche à imiter le langage des hommes dont il trace la vie. Hégésippe prétend qu'il vint à Rome sous Anicet, dixième évêque depuis Pierre, et qu'il y resta jusqu'à l'épiscopat d'Eleuthère, jadis diacre d'Anicet. S'attaquant ensuite à l'idolâtrie, Hégésippe en fit l’histoire : il remonte à l'erreur qui lui donna naissance et la suit aux jours de son plus grand développement. Nous en citerons ce passage: " Les païens ont conservé de nos jours l'usage d'élever des monuments à leurs morts et d'en faire des temples. Nous en avons vu un exemple pour Antinoüs, familier de l'empereur Adrien : par l'ordre de ce prince on bâtit une ville qui prit le nom du favori; on inaugura un cirque en son honneur; un temple lui fut élevé et des prêtres y furent attachés. Antinoüs passe pour avoir été l'objet des infâmes amours d'Adrien. "


Jérôme - Hommes illustres