F. de Sales, Lettres 177

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Par quels signes on peut connaître si les sentiments de dévotion que l'on a, viennent de Dieu ou de l'esprit malin.



A Annecy, le 16 janvier 1603

Ma très-chère et très-aimée soeur et fille en Jésus-Christ, Dieu soit votre repos et consolation.

J'ai reçu vos deux lettres par M. le président Favre, un peu plus tard que vous ne pensiez et que je n'eusse désiré, mais assez tôt pour me donner de la consolation, y voyant quelque témoignage de l'amendement de votre esprit. Dieu en soit loué éternellement.

Pour réponse, je vous dirai premièrement que je ne veux pas que vous usiez d'aucune parole de cérémonie ni d'excuse en mon endroit, puisque, par la volonté de Dieu, je vous porte toute l'affection que vous sauriez désirer, et ne m'en saurais empêcher. J'aime votre esprit fermement, parce que je pense que Dieu le veut, et tendrement, parce que je le vois encore faible et jeune. Apportez toute confiance et liberté de m'écrire, et demandez ce que vous penserez être propre pour votre bien. Cela soit dit une fois pour toutes.

Je vois en votre lettre une contradiction, laquelle vous y avez mise sans y penser ; car vous me dites que vous êtes délivrée de votre inquiétude, et néanmoins je vous vois encore tout inquiète à la recherche d'une précipitée perfection. Ayez patience, je vous dirai tantôt ce que c'est.

Vous me demandez si vous devez recevoir et prendre des sentiments ; que sans eux votre esprit languit, et néanmoins vous ne pouvez les recevoir qu'avec soupçon, et vous semble que vous les devez rejeter. Une autre fois, si vous m'écrivez sur quelque semblable sujet, donnez-moi exemple de l'action de laquelle vous me donnez l'avis ; comme serait à dire de quelqu'un de ces sentiments qui vous aura donné le plus de soupçon pour n'être pas reçu: car j'apprendrai bien mieux votre intention. Cependant voici un avis sur votre demande.

Les sentiments et douceurs peuvent être de l'ami ou de l'ennemi, c'est-à-dire du malin esprit ou du très-bon. Or on peut connaitre d'où ils viennent, par certains signes que je ne saurais pas bien dire tous : en voici seulement quelques-uns, qui suffiront.

Quand nous ne nous arrêtons pas en iceux, mais que nous nous en servons comme de récréation, pour par après faire plus constamment notre besogne et l'oeuvre que Dieu nous a donnée en charge, c'est bon signe ; car Dieu nous en donne quelquefois pour cet effet. Il condescend à notre infirmité, il-voit notre goût spirituel-affadi ; il nous donne un petit de sauce, non afin que nous ne mangions que la sauce, mais afin qu'elle nous provoque à manger la viande solide. C'est donc une bonne marque quand on ne s'arrête pas aux sentiments ; car le malin, donnant des sentiments, veut que l'on s'y arrête, et, qu'en ne mangeant que la sauce, notre estomac spirituel en soit affaibli et gâté petit à petit.

Secondement, les bons sentiments ne nous suggèrent point des pensées d'orgueil ; mais au contraire, si le malin prend occasion d'iceux de nous en donner, ils nous fortifient à les rejeter ; si que la partie supérieure demeure tout humble et soumise, reconnaissant que Caleb et Josué n'eussent jamais rapporté le raisin de la terre de promission (
Nb 13,21-28), pour amorcer les Israélites à la conquête d'icelle, s'ils n'eussent pensé que leurs courages étaient faibles et auraient besoin d'être piqués : si qu'au lieu de s'estimer quelque chose par le sentiment, la partie supérieure juge et reconnait sa faiblesse, et s'humilie amoureusement devant son époux, qui répand son baume et son parfum, afin que les jeunes fillettes et tendres âmes comme elles, le reconnaissent, l'aiment et le suivent (Ct 1,2) là où le mauvais sentiment nous arrêtant, au lieu de nous faire penser à notre faiblesse, nous fait penser qu'il nous est donné pour récompense et guerdon.

Le bon sentiment passé ne nous laisse pas affaiblis, mais fortifiés ; ni affligés, mais consolés : le mauvais, au contraire, arrivant, nous donne quelque allégresse, et, partant, nous laisse pleins d'angoisses. Le bon sentiment, à son départ, nous recommande qu'en son absence nous caressions, servions et suivions la vertu, pour l'avancement de laquelle il nous avait été donné : le mauvais nous fait croire qu'avec lui la vertu s'en va, et que nous ne la saurions bien servir.

Bref, le bon ne désire point d'être aimé, mais seulement que l'on aime celui qui le donne (non qu'il ne nous donne sujet de l'aimer, mais ce n'est pas cela qu'il cherche), là où le mauvais veut que l'on l'aime sur tout.

Et partant, le bon ne nous empêche pas à le chercher ni à le caresser ; mais la vertu, par manière d'explication, soi-disant que nous procure le mauvais, nous empresse et inquiète à le rechercher incessamment.

Par ces quatre ou cinq marques, vous pourrez connaître d'où viennent vos sentiments : et, venant de Dieu, il ne faut pas les rejeter ; mais, reconnaissant que vous êtes encore un pauvre petit enfant, prenez le lait des mamelles de votre père, qui, par la compassion qu'il nous porte, vous fait encore l'office de mère. Tes mamelles, dit l'époux de sa bien-aimée, sont meilleures que le vin, fragrantes et odoriférantes de très-bons onguent et baume (Ct 1,2). Elles sont comparées au vin, parce qu'elles réjouissent, animent, et font faire bonne digestion à l'estomac spirituel, lequel, sans ces petites consolations, ne pourrait pas quelquefois digérer les travaux qu'il lui faut recevoir. Recevez-les donc au nom de Dieu, avec cette seule condition, que vous soyez prête à ne les recevoir pas, et ne les aimer pas, et les rejeter, quand vous connaitrez, par l'avis de vos supérieurs, qu'ils ne sont pas bons ni à la gloire de Dieu ; et que vous soyez prête de vivre sans cela quand Dieu vous en jugera digne et capable. Recevez-les donc, dis-je, ma chère soeur, vous estimant faible de l'estomac spirituel, puisque le médecin vous donne du vin, nonobstant les fièvres des imperfections qui sont en vous. Que si S. Paul conseille du vin à son disciple pour la faiblesse corporelle (1Tm 5,23), je vous en puis conseiller du spirituel pour la spirituelle.

Voilà ma réponse assez clairement, ce me semble, à laquelle j'ajoute que vous ne fassiez jamais de difficulté de recevoir ce que Dieu vous envoie à dextre ou à gauche, avec la préparation et résignation que je vous ai dite ; et quand vous seriez la plus parfaite du monde, vous ne devriez pas refuser ce que Dieu vous-donne, à condition d’étre prête à le refuser si tel était son plaisir: néanmoins vous devez croire que quand Dieu vous enverra ses sentiments, c'est pour votre imperfection, laquelle il faut combattre, non pas les sentiments qui-servent contre elle:

Et pour vous, j'ai seulement un scrupule, en ce que vous me dites que ces sentiments sont de la créature ; mais je pense que vous avez voulu dire qu'ils viennent à vous par la créature, et néanmoins de Dieu ; car il me semble que, par le reste de votre lettre, vous m'en donnez des arguments. Mais quand ils seraient de la créature, encore ne seraient-ils pas à rejeter, puisqu'ils conduisent à Dieu, ou au moins qu'on les y conduit ; il faudrait seulement prendre garde à ne se point laisser surprendre, selon les règles générales de l'usage des créatures.


2. Je vous dirai maintenant ce-que je vous avais promis. Il me semble que je vous vois empressée avec grande inquiétude à la quête de la perfection ; car c'est cela qui vous fait craindre ces petites consolations et ces sentiments. Or, je vous dis en vérité, comme il est écrit au livre des Rois : Dieu n'est ni au vent fort, ni en l'agitation, ni en ces feux, mais en cette douce et tranquille portée d'un veut presque imperceptible (1R 19,11-12); Laissez-vous gouverner à Dieu, ne pensez pas tant à vous-même. Si vous désirez que je vous commande, puisque votre mère maîtresse le veut, je le ferai volontiers, et vous commanderai premièrement qu'ayant une générale et universelle résolution de servir Dieu en la meilleure façon que vous pourrez, vous ne vous amusiez pas à examiner et éplucher subtilement quelle est la meilleure façon. C'est une impertinence propre à la condition de votre esprit délié et pointu, qui veut tyranniser votre volonté, et la contrôler avec supercherie et subtilité.

Vous savez que Dieu veut en général qu'on le serve, en l'aimant surtout, et notre prochain comme nous-mêmes (Mt 22,37-40); en particulier il veut que vous gardiez une règle : cela suffit ; il le faut faire à la bonne foi, sans finesse et subtilité, le tout à la façon de ce monde, où la perfection ne réside pas, à l'humaine et selon le temps, en attendant un jour de le faire à la divine et angélique et selon l'éternité. L'empressement, l'agitation du dessein n'y sert de rien. Le désir y est bon, mais qu'il soit sans agitation. C'est cet empressement que je vous défends expressément, comme la mère imperfection de toutes les imperfections.

N'examinez donc pas si soigneusement si vous êtes en la perfection ou non ; en voici deux raisons : l'une, que pour néant examinons-nous cela, puisque, quand nous serions les plus parfaits du monde, nous ne le devons jamais savoir ni connaitre, mais nous estimer, toujours imparfaits ; notre examen ne doit jamais tendre à connaitre si nous sommes imparfaits, car nous n'en devons jamais douter. De là s'ensuit que nous ne devons pas nous étonner de nous voir imparfaits, puisque nous ne devons jamais nous voir autrement eh cette vie, ni nous en contrister, car il n'y a remède, oui bien nous en humilier, car par là nous en réparerons nos défauts ; et nous amender doucement, car c'est l'exercice pour lequel nos imperfections nous sont laissées, n’étant excusables de n'en rechercher, pas l'amendement, ni inexcusables de ne le faire pas entièrement ; car il n'en prend pas des imperfections, comme des péchés.


3. L'autre raison est que cet examen, quand il est fait avec anxiété et perplexité, n'est qu'une perte de temps; et ceux qui le font ressemblent aux soldats qui, pour se présenter à la bataille, feraient tant de tournais et d'excès entre eux, que, quand ce viendrait à bon escient, ils se trouveraient las et recrus; ou comme les musiciens qui-s'enroue-raient à force de s'essayer pour chanter- un motet; car l'esprit se lasse à cet examen si grand et continuel, et, quand le point de l'exécution arrive, il n'en peut plus. Voilà mon premier commandement.

L'autre, en suite du premier : Si votre oeil est simple, tout votre corps le sera, dit le Sauveur (Mt 6,22). Simplifiez votre jugement, ne faites point tant de réflexions et de répliques, mais allez simplement et avec confiance. Il n'y à pour vous que Dieu et vous en ce monde ; tout le reste ne vous doit point toucher, sinon à mesuré que Dieu vous le commandé, et comme il vous le commande. Je vous prie, ne regardez pas tant çà et là; tenez votre vue ramassée en Dieu et en vous : vous ne verrez jamais Dieu sans bonté, ni vous sans misère ; et vous verrez sa bonté propice à votre misère, et votre misère l'objet de sa bonté et miséricorde. Ne regardez donc rien que cela, j'entends d'une vue fixe, arrêtée et expresse, et tout le reste en passant.

Partant, n'épluchez guère ce que font les autres, ni ce qu'ils deviendront ; mais regardez-les d'un oeil simple, bon, doux et affectionné. Ne requérez pas en eux plus de perfection qu'en vous, et ne vous étonnez point de la diversité des imperfections ; car l'imperfection n'est pas plus imperfection pour être extravagante et étrange. Faites comme les abeilles, sucez le miel de toutes les fleurs et herbes.

Mon troisième commandement est que vous fassiez comme les petits enfants : pendant qu'ils sentent leurs mères qui les tiennent par les manchettes, ils vont hardiment et courent tout autour, et ne s'étonnent point dés petites bricoles que la faiblesse de leurs jambes leur fait faire : ainsi; tandis que vous apercevrez que Dieu vous tient par la bonne volonté et résolution qu'il vous a donnée de le servir, allez hardiment, et ne vous, étonnez point de ces petites secousses et choppements que vous ferez, et ne s'en faut fâcher, pourvu qu'à certains intervalles vous vous jetiez entre ses bras, et le baisiez du baiser de charité (Ct 1,1). Allez joyeusement et à coeur ouvert, le plus que vous pourrez ; et si vous n'allez pas toujours joyeusement, allez toujours courageusement et fidèlement.

Né fuyez point la compagnie des soeurs, encore qu'elle ne soit pas selon votre goût ; fuyez plutôt votre goût, quand il ne sera pas selon la conversation des soeurs. Aimez la sainte vertu de support et de souplesse : car ainsi, dit S. Paul, vous accomplirez la loi de Jésus-Christ (Ga 6,2).


4. Enfin, Dieu vous a donné un père temporel sur lequel vous pouvez prendre beaucoup de consolation spirituelle. N'aimez point plus votre esprit que votre corps : retenez ses avis comme de Dieu ; car Dieu vous donnera beaucoup de bénédictions par son entremise. Il m'a envoyé sa traduction de l'Institution de Blosius : je l'ai fait lire à la table, et l'ai goûtée incroyablement ; je vous prie, lisez-la, et la savourez, car elle le vaut.

Au demeurant, quand il vous viendra des doutes en cette vie que vous avez entrepris de suivre, je vous avertis de ne vous point attendre à moi ; car je suis trop loin de vous pour vous assister, cela vous ferait trop languir : il ne manque pas de pères spirituels pour vous aider; employez-les avec confiance. Ce n'est pour désir que j'aie de ne recevoir pas de vos lettres ; car elles me donnent de la consolation, et je les désire, voire avec toutes les particularités des mouvements de votre esprit ; et la longueur de la présente vous témoignera assez que je ne me lasse pas de vous écrire : mais afin que vous ne perdiez pas de temps, et qu'attendant le secours de si loin, vous ne soyez battue et endommagée de l'ennemi.

Quant à mes sacrifices, ne doutez pas que vous n'y ayez, part perpétuellement : tous les jours je vous présente sur l'autel avec le Fils de Dieu ; j'espère que Dieu l'aura pour agréable.

Assurez de même notre soeur Anne Seguier, ma fille très-chère en Jésus-Christ ; et madame votre maîtresse, de laquelle j'ai présenté lés salutations au bon monsieur Nouvelet, qui en a fait grand cas.

Si vous saviez la grande multiplicité des affaires que j'ai, et l'embarrassement où je suis en cette charge, vous auriez pitié de moi, et prieriez quelquefois Dieu pour moi ; et il l'auroit bien agréable.

Je vous en supplie, et la soeur Anne Seguier, dites souvent à Dieu, comme le Psalmiste : Je suis vôtre, sauvez-moi (Ps 119,94), et comme là Magdeleine étant à ses pieds, Rabbouni, ah ! mon maître (Jn 20,16): Et puis laissez-le faire : il fera de vous, en vous, sans vous, et néanmoins par vous et pour vous, la sanctification de son nom, auquel soit honneur et gloire. Votre affectionné serviteur en Jésus, etc.



LETTRE XLV. A ANTOINE DE REVOL, NOMMÉ A L'ÉVÊCHÉ DE DOL.

Avis sur la conduite intérieure, et sur la dignité et les devoirs d'un évêque.

A Annecy, 3 juin 1603

Monsieur,

1. J'ai reçu deux de vos lettres, auxquelles je n'ai pas encore fait réponse, parce que, quand elles arrivèrent ici, je n'y étais pas, mais en Piémont, où j'ai été contraint de faire un voyage pour les biens temporels de cet évêché. Maintenant, monsieur, je vous envoie là provision ne Rome que vous désirez, laquelle j'ai ouverte, pour savoir si tout ce dont vous avez besoin y était ; et je vois que tout y est, et quelque chose davantage, dont vous n'avez que faire, ne préjudiciant en rien la provision pour le reste qui vous est requis. Voilà donc ma promesse accomplie pour ce particulier. Que s'il vous reste quelque difficulté, prenez-en la même confiance avec moi. Je vous assure, monsieur, que jamais je ne me lasserai de rendre du service à votre consolation, et à votre esprit, lequel j'espère que Dieu adressera pour le service de plusieurs autres.

2. L'autre partie de ma promesse m'est plus malaisée à mettre en effet, pour les infinies occupations qui m'accablent ; car je pense être en la plus fâcheuse charge qu'aucun autre de cette qualité. Néanmoins voici un abrégé de ce que j'ai à vous proposer.

Vous entrez en l'état ecclésiastique, et tout ensemble à la cime de cet état : je vous dirai ce qui fut dit à un berger qui fut choisi pour être roi sur Israël: Mutaberis in virum alterum (1S 10,6). Il faut que vous soyez tout autre en votre intérieur et cii votre extérieur ; et pour faire cette grande et solennelle mutation, il faut renverser votre esprit et le remuer partout; et, plût à Dieu que nos charges, plus tempêteuses que la mer, eussent aussi la propriété de la mer, de faire jeter et vomir toutes les mauvaises humeurs à ceux qui s'y embarquent! Mais il n'en est pas ainsi; car bien souvent nous nous embarquons, et mettons la voile au vent étant très-cacochymes, et plus nous voguons et avançons en la haute mer, plus nous acquérons de mauvaises humeurs. Hélas! Dieu soit loué; qui vous a donné le désir de n'en faire pas de même ; j'espère qu'il vous en donnera encore le pouvoir, afin que son oeuvre soit parfaite en vous.

3. Pour vous aider à ce changement, il faut que vous employiez les vivants et les morts ; les vivants, car il vous faut trouver un ou deux hommes bien spirituels, de la conversation desquels vous puissiez vous prévaloir. C'est un extrême soulagement que d'avoir des confidents pour l'esprit. Je laisse à part M. du Val, qui est bon à tout, et universellement propre pour semblables offices. Je vous en nomme un autre, M. Galcmant, curé d'Aumalé ; si par fortune il était à Paris, je sais qu'il vous, aiderait beaucoup. Je vous en nomme un troisième, homme à qui Dieu a beaucoup donné, et qu'il est impossible d'approcher sans beaucoup profiter; c'est M. de Bérulle. Il est tout tel que je saurais désirer être moi-même; je n'ai guère vu d'esprit qui me revienne comme celui-là, ains je n'en ai pas vu ni rencontré; mais il y a ce mal, c'est qu'il est extrêmement occupé; il faut s'en prévaloir avec autant de confiance que de nul autre, mais avec quelques respects à ses affaires. J'ai un très-grand ami, que M. Eau-bon connait, c'est M. de Soulfour; il peut beaucoup en ces occasions : je désirerais que vous le connussiez, estimant que vous en auriez beaucoup de consolation.

4. Quant aux morts, il faut que vous ayez une petite bibliothèque de livres spirituels de deux sortes ; les uns pour vous, en tant que vous serez ecclésiastique ; les autres pour vous, en tant que vous serez évêque. De la première sorte, vous en devez avoir avant que d'entrer en charge, et les lire et mettre en usage ; car il faut commencer par la vie monastique avant que de venir à l'économique et politique. Ayez, je vous prie, Grenade tout entier, et que ce soit votre second bréviaire; le cardinal Borromée n'avait point d'autre théologie pour prêcher, que celle-là, et néanmoins il prêchait très-bien : mais ce n'est pas là son principal usage; c'est qu'il dressera votre esprit à l'amour de la vraie dévotion, et à tous les exercices spirituels qui vous sont nécessaires. Mon opinion serait que vous commençassiez à le lire par la Grande Guide des pécheurs, puis que vous passassiez au Mémorial, et enfin que vous le lussiez tout ; mais pour le lire fructueusement, il ne faut pas gourmander, ains il faut le peser et le priser, et chapitre après chapitre le ruminer et appliquer à l'aine, avec beaucoup de considérations et de prières à Dieu. Il faut le lire avec révérence et dévotion, comme un livre qui contient les plus utiles inspirations que l'âme peut recevoir d'en haut ; et par là réformer toutes les puissances de l'âme, les purgeant par détestation de toutes leurs mauvaises inclinations, et les adressant à leur vraie fin par de fermes et grandes résolutions.

Après Grenade, je vous conseille fort les oeuvres de Stella ; notamment De la Vanité du monde, et toutes les oeuvres de François Arias, jésuite. Les Confessions de S. Augustin vous seront extrêmement utiles; et, si vous m'en croyez, vous les prendrez en français de la traduction de M. Hennequin, évêque de Rennes. Bellientioni, capucin, est encore propre pour voir distinctement plusieurs belles considérations sur tous les mystères de notre foi ; et les oeuvres de Costerus, jésuite. Mais, après tout, il me souvient de vous recommander les Épîtres spirituelles de Jean Avila, èsquelles je suis assuré que vous verrez plusieurs belles considérations et leçons pour vous et pour les autres; et, tout d'un train, je vous recommande les Épîtres de S. Jérôme, en son excellent latin.

En tant qu'évêque, pour vous aider à la conduite de vos affaires, ayez le livre des Cas de conscience, du cardinal Tolet, et le voyez fort : il est court, aisé et assuré ; il vous suffira pour le commencement. Lisez les Morales de S. Grégoire, et son Pastoral ; S. Bernard en ses Épîtres, et es livres de la Considération. Que s'il vous plait d'avoir un abrégé de l'un et de l'autre, ayez le livre intitulé Stimulus pastorum, de l'archevêque de Braccarence, en latin, imprimé chez Keruer ; Decreta Ecclesiae Mediolanensis vous est nécessaire ; mais je ne sais s'il est imprimé à Paris. Item je désire que vous ayez la Vie du bienheureux cardinal Borromée, écrite par Charles a Basilica Pétri, en latin; car vous y verrez le modèle d'un vrai pasteur ; mais surtout ayez toujours es mains le Concile de Trente et son Catéchisme.

Je ne pense pas que cela ne vous suffise pour la première année, pour laquelle seule je parle ; car pour le reste vous serez mieux conduit que cela, et par cela même que vous aurez avancé en la première année, si vous vous renfermez dans la simplicité que je vous propose. Mais excusez-moi, je vous supplie, si je traite avec cette confiance ; car je ne saurais rien en autre façon, pour la grande opinion que j'ai de votre bonté et amitié.

 J'ajouterai encore ces deux mots : l'un est qu'il vous importe infiniment de recevoir le sacre avec une grande révérence et dévotion, et avec l'appréhension entière de la grandeur du ministère. S'il vous était possible d'avoir l'oraison qu'en a faite Stanislaus Scolonius, intitulée, De sacra episcoporum consecratione et inauguratione, au moins selon mon exemplaire, cela vous servirait beaucoup; car, à la vérité, c'est une belle pièce. Vous savez que le commencement en toutes choses est fort considérable ; et peut-on bien dire : Primum in unoquoque genere est mensura caeterorum.

5. L'autre point est que je vous désire beaucoup de confiance et une particulière dévotion à l'endroit du saint ange gardien et protecteur de votre diocèse, car c'est une grande consolation d'y recourir en toutes les difficultés de sa charge. Tous les Pères et théologiens sont d'accord que les évêques, outre leur ange particulier, ont l'assistance d'un autre, commis pour leur office et charge. Vous devez avoir beaucoup de confiance en l'un et en l'autre, et, par la fréquente invocation d'iceux, contracter une certaine familiarité avec eux, et spécialement pour les affaires avec celui du diocèse, comme aussi avec le saint patron de votre cathédrale. Pour le superflu, monsieur, vous m'obligerez de m'aimer étroitement et de me donner la consolation de m'écrire familièrement, et croyez que vous avez en moi un serviteur et frère de vocation autant fidèle que nul autre.

J'oubliais de vous dire que vous devez en toute façon prendre résolution de prêcher votre peuple.

Le très saint concile de Trente, après tous les anciens, a déterminé que le premier et principal office de l'évêque est de prêcher; et ne vous laissez emporter à pas une considération. Ne le faites pas pour devenir grand prédicateur, mais simplement parce que vous le devez et que Dieu le veut; le sermon paternel d'un évêque vaut mieux que tout l'artifice des sermons élaborés des prédicateurs d'autre sorte. Il faut bien peu de choses pour bien prêcher à un évêque : car ses sermons doivent être de choses nécessaires et utiles, non curieuses ni recherchées; ses paroles simples, non affectées; son action paternelle et naturelle, sans art ni soin; et pour court qu'il soit et peu qu'il dise, c'est toujours beaucoup. Tout ceci soit dit pour le commencement ; car le commencement vous enseignera par après le reste. Je vois que vous écrivez si bien vos lettres, et fluidement, qu'à mon avis, pour peu que vous ayez de résolution, vous ferez bien les sermons ; et néanmoins je vous dis, monsieur, qu'il ne faut pas avoir peu de résolution, mais beaucoup, et de la bonne et invincible. Je vous supplie de me recommander à Dieu; je vous rendrai le contre-change, et serai toute ma vie, monsieur, votre, etc.



LETTRE XLVI, A QUELQUES DIOCÉSAINS.

Instructions sur certaines pratiques touchant l'administration des sacrements d'eucharistie et de mariage, surtout l'usage de la coupe.


Octobre 1605.

Messieurs, ayant su que vous prenez quelque sorte de scandale de quoi l'on vous donne l'ablution dans un verre après que vous avez communié, et parce que l'on conduit les époux et épouses devant l'autel pour célébrer le mariage, je vous ai voulu faire ces deux mots, pour vous exhorter de ne point vous faire ce tort à vous-mêmes, que de croire que ce que l'Église notre mère ordonne puisse être mauvais ou inutile. Or, elle ordonne que les laïques reçoivent la communion sous l'espèce du pain seulement, en laquelle ils participent néanmoins parfaitement, au corps et au sang de notre Seigneur, tout autant comme s'ils le recevaient encore sous l'espèce du vin ; puisque ce même Sauveur a dit : Qui me mange, il vivra pour moi; et, Qui mange ce pain vivra éternellement (Jn 6,58-59)). En sorte que ce qui se boit après la communion par le peuple, ce n'est pas le sang du Sauveur, mais seulement du vin, qui se prend pour laver la bouche, et faire plus entièrement avaler le précieux corps et sang déjà reçu en la très-sainte communion. C'est pourquoi cela ne doit pas être présenté dans le calice, mais dans un autre vase, ou de verre, ou autrement. Que si par ci-devant il a été autrement fait, c'a été par abus, et par la nonchalance et paresse des officiers de l'Église, et contre l'intention de l'Église môme.

Et quant au mariage, il n'est pas raisonnable de le célébrer ailleurs que devant l'autel, puisque c'est un sacrement si grand (Ep 5,5), et que ceux qui le reçoivent ne sont pas hors de l'Église, comme les petits enfants qu'on apporte au baptême, ains sont déjà baptisés, et par conséquent introduits en l'Église et à l'autel.

Laissez-vous donc conduire, mes amis et frères, comme de bonnes brebis, à ceux, qui, sous mon autorité et celle du Saint-Siège apostolique, vous ont été donnés pour pasteurs'; et Dieu vous bénira, ainsi que je l'en prie, étant de tout mon coeur, votre, etc.




LETTRE XLVII, A SA SAINTETÉ,LE PAPE CLÉMENT VIII.

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Annecy, 13 novembre 1603.



Repetito altius principio, Berncnsium Lutherano-rum irruptionem in Sabaudiam ; rcs benè et féliciter in causa fldei gestas; multa capitum milliaad Pctri caulas revocata ; Carolum Emmanuclem non modo imperatorcm invictissimum, sed eliam con-cionatorem potentissimum, describit.



Beatissime Pater,

Cum rerum christianarum firmitas à sanctae sedis apostolicae sollicitudine, secundum Deum, pendeat, multum sanè interest, ut quae iu rem Ecclesiaî distinctis passim locis geruntur, verè et ex fide apud eam proférante ; ne scilicet, objecta summa; illius cura pastorali, vera.pro faJsis, aut falsa. pro veris exponantur.

Quamobrem, cum in hâc dioecesi, quae mini sedis apo.stolicae voluntate commissa est, maxima facta sit his nostris tempombus rerum in melius mutatip ; non debeo committere quin de vero il-larum statu, quàm potero, clarè et distincte, om-nino autem ex veritate, apud sedem apostolicam narrationein defcram.'Ea autem ut plena sil, paulô altius ordiar necesse est.

Quo tempore Gallorum rex Franciscus I om-nem propemodum Sabaudiam oçcupavit, Berncn-scs Helvetii, Lutheranà ac ZuingUanâ lue non ità pridem infecti, in partem Sabaudioe sibi viciriio-rem irruptionem feccrunt, animosque civibus Ge-bennensibus addjderunt, ut Christi suavissimum jugum ac proprii principis imperium excuterent, ac in istam seditiosam democratiam, quà nunc vexantur, speluncam scilicet latronum et exulum, infelici mutatione degenerarent.

Verum, ut à Gallorum armis initium duxerat Bernensium irruptio et tyrannis in nostrosSabau-dos, ità ctiam pax,cumconditionererumrestituen-darum in integrum, inter Henricum II, Francisci régis filium, et Emmanuelcm Philibertum Sabau-dice ducem, ansam dédit Bernensibus de restitu-tione provinciarum quas occupaverant scriô cogi-tandi.

Adduci tamen non potuerunt, ut omnia quoe ceperant redderent, nec ut ea qua; restituerc pa-rati erant sine injustâ conditione remitterent. Quare cum res non ferret, ut tune cum eis armis decerneretur, actnm factumque est, ut dux reciperet quatuor illa quae vocant balliagia, Thono-nense, Terniense, G-alliardense et Gaianum, sive Gexense, quai quatuor ex partibus civitatem Ge-bennensem cingunt, illique circumcircà obvol-yuntur ; hoc tamen addito pacto, riulla ut in eis catholicaî religio.nis officia celebrarentur : iniqua plané conditio; sed spe melioris eventûs tole-randa, et illorum temporum ac rerum constitu-tioni congruens.

Inter hase Emmanuel Philibertus dux, ut erat apprimè catholicus, nulluin cogitandi finem facit quànam demum ratione illius conditionis vexatio-nem redimere queat; sed frustra, cum divina providentia non il li tantum honorera, sed Carolo Emmanueli filio destinasset.

Cum ergô, anie aliquot annos, Bernenses et Genevenses cum Gallis copias conjunxissent, fide priorum contractuum fractâ, iterum in eadem balliagia impetum armis faciunt, perfidiâ sanè, quoad dici potest, plané faustâ et opportunà, quando dux, violatoe fldei occasione, inviolatoe fidei populos illos restituit. Gui tamen operi ne multorum hominum mérita deessent, illud sine multis ac diuturnis bellorum laboribus, multoque sparso hinc indè sanguine, perfici non potuit, dum, pro armorum vicissitudine, varié ab utrâque parte de-certatum est. At tandem aliquando induciee fiunt, cum dux balliagia duo, Thononense et Terniense, jam teneret.

 Nulla mora : rébus vix stantibus, Carolus Emmanuel, iniqua conditione Uberatum se sentiens, in ipso propemodum ihdueiarum articula, cpis-copnm proedecessorém meum ( cujus rriemoria in benedictione est) stàtim monetut catholicos con-cionatares illis populis convertendis immittat; velle se omninô catholicam religionem illis restitui.

Episcopus, mirum in modum gavisus, Terniensi balliagio'duos concïoriatores, unum ex Domini-canà familià, alterum è societate Jesu addicit ; Thonohiensï autem duos è suà cathedrali, Ludo-vicum de Sales, qui nunc proepositus est ipsius cc-clesiae, et me, nunc quidem episcopum indignum, tune autem praepositum.

Jam ergô de eo quod vidi loquor, et quod, ut ità dicatn, manus mese contreclaverunt, ut sim impudentissimus si mentior, imprudentissimus si -si remnescio.

Igitur cum balliagia illa ingressi sumus, misera ubique rerum faciès apparebat. Videbamus enim sexaginta quinque parochias, in quibus, ex-ceptis ducis officiariis, quos semper habuit catholicos, ne centum quidem ex tôt h'ominum mil-libus catholici inveniebantur.

Templa partim diruta, partira nuda; nullibi crucis signa, nullibi altaria ; ac ubique ferè om-nia antiquae et ver» fidei deleta vestigia ; ubique ministri, ut vocant, hoc est, haeresis doctores, domos ev'ertentes, sua dogmata ingerentes, ea-thedfas occupantes, turpis lucri gratiâ.

Bernenses, Genévenses, et id genus perdition nis filii, per suos exploratores minis populum dèterrêre,ab audiendis nostrôrum concionibus: Inducias nimirum istas inducias esse, pacem non-dum eonstitutam, mox ducem atque saeerdotes expelléndos armis, haeresim sartam tectam re-mansuram.

Nostri tamen rem pro virili promovent, ac primarios primum viros aliquot ex hceresis vortici-bus in commuhionis catholicae portum recipiunt; sexque variis locis ereetae catholicae parochioe, très in ïhononensi, très item in Ternieiisi agro. Cur autem plures non erigerentur, in causa état partim operariorum paucitas, partim quod non suppeteret undè commode sustentari possent, partim quia, pace non.dum firmà, res adhuc incertoe videbahtur.

Atque ità biennium traducitur, et è patrum capneinorum ordine novi àc strenui advenerunt messores, qui alacntate ac zelo multorum ope-ras supplebant : cum dux, in re quam suis gerebat praecôrdiis impatiens morarum, ipsemet venire, Thononenses qui praecipui videbantur convenire, ac cum. eis coram, agere, constituit.

Idque accidit anno, millesimp, quingentesima nonagesimo octayo, adeôque féliciter successif, ut illustrissimus ac reverendissimuscardinalis Flo-rentinus, à la.tere sanctoe sçdjs apostoliea; legatus, diebus aliquot interpositis adveniens, multa jam hominum millia viderit..conversa esse; quibus quidem ipse partim abs§lutionem contulit, partim ab episcopo preedccè.si).i'e meo, partim etiam à me dari voluit, cum scilicet, in tantâ poeniten-tium copia, omnibus diei horis paratus esse de-beret aliquis, qui ad caulas Christi redeuntes reciperet.

Quem profectô tam insignem et ingentem ani-m'orum motum, ut in supremum rerum omnium motorem immobilem referre dignum et justum est ; sic quoque ingénue fatendum, illum ducis zelo, tanquam optimo instrumente, vel maxime usum fuisse. Illis enim aliquot mensibus, quibus duxhuic conversioni procurandae incubuit, atque adeô ïhononi moratus est, cor ejus, peculiari quâdam gratiâ, in manu Dei esse videbatur ; ut ad quodeumque vellet converteret illud, cum, suis publicis cohortationibus ac vocibus catholico principe dignis, sive privatis monitis ad ebs qui videbantm haeresis majores columnae, sive exem-plis bonorum op'erum, omnibus animi dotibus ac viribus cum populo illo universo contenderet ut illum EcclesioB catholica; intérêt referretque, con-stitutus scilicet à Deo dux super plebem illam, praedicans pracèptum. ejus.

Nec destitit unquam, donec immutatâ rerum facie, veluti exacte hieme, et redeuijte vête, ubique appareret arbor décora et fulgida vivifica; crucis, ubique Ecclêsioe cantus, ut vox turturis, audiretur in terra illâ, et vineas illas instauratae re-cqnterque florentes darent odorem suum.

Dicam intrépide, nusquàm suavius, nusquàm efficacius hoc nostro tempore hosreticorum tanta copia ad sacram fidem adducta est : hucusque tamen pars ista maxima illorum populorum ad Ec-clesiam reversa aliquot habebat immixtos utrius-que sexiis haereticos, qui, coeteris obstinatiores in érrore permanebant ; quibus cum mederi aliter non posset dux, ne reliquat» plebem inficerent, eos demum edicto publico discederet proscepit. Hujus edicti terrore perculsi, aliquot etiam con-versi sunt ; nimirum dum configilar spina (
Ps 31), et afflictio dat intellectum auditui (Is 28,19).

Ut nullum lapidem reliquerit dux religiosissi-mus, quem ipsemet suis, ut ità dicam, manibus non iiioverit, per blanditias, per minas, ut, quoad per eum fleri posset, populi illi converterentur et, quod laude dignius. est, magnâ sui consilii parte contra sentiente et consulente. Nam et rectè memini interfuisse me consilio super cà ié habito, speciali nimirum mandato principis ac-çcrçitus, yi quo plerique consiUariorum rem illara tum aggrediendi tempus non esse, resque non Terre, mordicus asserebant ; neque sanè sine probabili illarum, qutJs&s'tàtûs appellant, ratio-num momento : quibaspimen omnibus unam religibiiis rationem dux'sanctissimè proeposuit^ac proetulit ; idque videntibus, spcctantibus, ac trè-mentibus Bernensium legatis, qui illis ipsis die-bus, ut id averterent, solemnem egerunt légationnem. :

Verum balliagium Galliardense remancbat in potestate Genevensium ex induciarum conditio-nibus; atque ade6 ad illud nullus catholicoe fldei patebat aditus. At cum paulô post per pacis décréta redditum étiam fuisset duci, in illud im-missi operarii, ducis expensis, ex societate Jesu, et cleri saicularis sacerdotes, qui exiguo tempore magnis laboribus, maximâ Dei gratis, rem prope-modum omnem perfecerunt.

ltaque, ut rem magnam paucis dicam, ante duodecim annos in sexaginta quinque parochiis urbis Genevac vicinioribus, murisque illius, ut ità dicam, adjacentibus, hsercsis publicô doce-batur, ac ità universa occupabat, ut nullus catho-licoe religioni locus superesset. Nunc autem to-tidem, iisdemque locis, Ecclesia catholica extendit palmites suos, ac ità viget, ut nullus hajresi locus sit relictus ; cumque anteà ne centum quidem viri in tôt parochiis catholici apparerent, nunc ne centum quidem hoeretici videntur : sed ubique catholica; fidei sacra fiant, celebranturque, adhi-bitis unicuique parochioe propriis curionibus : sicque factum, ut illa tria balliagia, quoe ex pacis conditionibus duci obtigerunt, omninô Ecclesioe restituta sint, ac, quod caput est,, ità in fide et religione receptà persévèrent, ut nullis extremo-rum bellorum persecutionibus, nullis hoereti-corum minis ab eà se dimoveri passi sint. Qui sariè unicus et ferè solus bellorum exactorum fructus huic dioecesi contigit.

Superest verô, Pater beatissime, ut opus hoc, magnum profectô et acceptione dignum, ducem tanti operis instrumentum efficax, dioecesim hanc univérsam ; multis nominibus miserandam, sedes apostolica intima sollicitndine ac gratià complec-tatur ac foveat. Idque imis summisque precibus humillimè à vestra sanctitatis clementiâ expeto pariter et expecto, Christumque semper illi pro-pit.ium precor.

Ut antè'm omnia quoe hic scripta sunt, omninô ex veritate et sincerà religione narrata esse non sit dubium, iis subscripsi, sigillumque hujus epi-scopatus GebenViensis imprimendum curavi : et quia plerique meae ecclesiae cathedralis canonici, et alii spectata; fidei et doctrinoe viri ea ipsa vide-runt, imô etiam tetigerunt, cum illis populis eru-diendis operam suatn in Domino collocaverint, rerumque rectè gestarum pars magna fuerint; eos quoque subscripsisse opéras pretium duxi, ut veritati plurimorum testimonio roborata; plurima ipioque ac constans fides adhibeatur.





Il continue de rendre compte au saint père de l'état de la religion dans son diocèse; et, reprenant de plus loin le fll de sa narration, il décrit les irruptions des luthériens de Berne et de Savoie, l'heureux succès des négociations dans les affaires de la foi ; il loue le zèle du duc de Savoie.



Très-saint Père,

1. Puisque raffermissement de la république chrétienne dépend, après Dieu, du soin toujours vigilant du Saint-Siège apostolique, il importe aussi beaucoup qu'on lui fasse un fidèle rapport de tout ce qui se fait dans tous les lieux de sa juridiction, pour le bien et l'honneur de la sainte Eglise ; de peur qu'abusant de la charité inséparable de la dignité du souverain pontife, et de la multitude innombrable de ses occupations, on ne surprenne sa religion, faisant passer à son tribunal pour vrai ce qui est faux, et pour faux ce qui est vrai.:

C'est pourquoi, comme dans ce diocèse, dont la charge m'a été confiée par le Saint-Siège, il s'est fait de nos jours un très-grand et très-heureux changement dans les affaires de la religion, je ne crois pas pouvoir me dispenser d'en faire à votre sainteté un récit naïf, exact et particularisé ; et, pour la mettre encore mieux au fait- de cette narration, il est nécessaire que je reprenne les choses de plus haut, afin qu'il n'y manque rien pour la rendre intéressante.

Dans le temps que François I", roi de France, s'empara de la Savoie, les Suisses du canton de Berne, qui depuis peu étaient infectés du poison de l'hérésie luthérienne et zwinglienne, firent une irruption dans les contrées de la Savoie les plus voisines de la Suisse, et engagèrent le peuple de Genève à secouer l'aimable joug de Jésus-Christ, et se révolter contre leur légitime souverain, et à changer la forme de leur gouvernement en une malheureuse démocratie. Or, cette république, qui est la retraite de tous les brigands (Mt 21,13) et de tous les gens bannis de leur pays, est aujourd'hui le supplice de ses propres citoyens, par les séditions qui l'agitent continuellement.

Mais comme les armes des Français avaient donné lieu à cette irruption et à cette tyrannie des Bernais, par la même raison la paix, qui se fit entre le roi de France Henri ]ï, fils de François I, et Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, et la condition du traité, que tout ce qui avait été pris sur l'ennemi serait rendu, furent cause que les Suisses songèrent à restituer les provinces qu'ils avaient envahies.

Néanmoins ils ne purent se résoudre à une entière restitution ; et s'ils en rendirent une partie, ce ne fut qu'à des conditions désavantageuses au duc de Savoie, qui, n'étant pas en état de se faire droit par la force des armes, fut contraint d'accepter les conditions qu'on lui offrait, et de terminer le différend à l'amiable. Il fut donc conclu que le duc reprendrait les quatre bailliages de Thonon, de Ternier, de Gaillard et de Gex, qui environnent la ville de Genève, avec cette clause expresse, qu'il ne s'y ferait aucun exercice de la religion catholique : condition tout-à-fait injuste ; mais, eu égard à l'état présent des affaires, et dans l'espérance d'une meilleure conjoncture, elle parut encore tolérable, et on en demeura dans ces termes.

Cependant le duc Philibert, qui était un prince catholique, pensait incessamment au moyen d'anéantir cet article du traité ; mais en vain, parce que la divine providence n'en voulait pas faire l'instrumentée ses miséricordes : elle avait réservé cette gloire à son fils Charles-Emmanuel. Voici comme la chose arriva.

Il y avait quelques années que les Suisses du canton de Berne et les Genevois avaient fait alliance avec la France. Ayant rompu, en conséquence de leur traité, la foi donnée antécédemment à la dernière paix, ils sont venus fondre de nouveau sur les quatre bailliages dont j'ai déjà parlé, par la plus noire perfidie ; mais cette perfidie-là même a causé un grand bien, puisque le duc de Savoie en a su profiter pour faire revenir ces peuples de leurs égarements. Néanmoins, comme la destinée de cette affaire dépendait, selon l'ordre de la Providence, des efforts et des lumières d'un grand nombre de personnes, elle ne put être terminée qu'après beaucoup de travaux et des guerres longues et sanglantes, où l'on combattit de part et d'autre avec des succès bien différents, selon le caprice des armes.

Enfin on convint d'une trêve entre les parties, lorsque le duc était déjà en possession des deux bailliages de Thonon et de Ternier.

Aussitôt que son altesse vit les affaires changer de face, et prendre un air de consistance, se sentant délivrée de l'injuste condition ci-dessus mentionnée, elle fit savoir, presque dans le temps même de la conclusion de la trêve, à mon prédécesseur, de sainte mémoire (Si 45,1), que son inclination était qu'il envoyât des prédicateurs orthodoxes, pour travailler à la conversion des peuples des deux bailliages, parce qu'elle voulait que la religion catholique y fût rétablie.

Ce digne prélat reçut cette nouvelle avec une joie qui ne peut s'exprimer, et envoya sur-le-champ au bailliage de Ternier deux missionnaires, l'un desquels était de l'ordre de S.-Dominique, et l'autre de la société de Jésus; et au bailliage de Thonon deux autres pris de son église cathédrale, savoir Louis de Sales, maintenant prévôt de ladite église, et moi, qui en suis aujourd'hui l'évêque bien indigne, et qui en étais pour lors prévôt.

Je parle donc de ce que j'ai vu, et pour ainsi dire, de ce que mes mains ont touché (cf. Jn 8,38 1Jn 1,1-3); en sorte qu'il faudrait que j'eusse perdu tout honneur si je ne disais pas la vérité, ou que je n'eusse pas l'ombre du bon sens si j'en ignorais la moindre circonstance.

Nous n'eûmes pas plus tôt mis le pied dans ces champs évangéliques, que nous aperçûmes de toutes parts les ravages de l'hérésie. Dans l'espace de soixante-dix paroisses, qui contenaient bien des milliers d'ames, l'on n'eût pas trouvé seulement cent catholiques, si l'on excepte cependant les officiers de son altesse, qui n'en voulait point avoir à son service qui ne professassent la véritable religion.

On ne voyait que des églises désertes, pillées ou détruites; que des croix abattues, pulvérisées, anéanties; que des autels profanés et renversés : à peine pouvait-on trouver quelque vestige de l'ancienne religion et de la foi orthodoxe ; les ministres, c'est-à-dire les docteurs de l'hérésie, n'étaient occupés partout qu'à troubler les familles, en y introduisant leur doctrine, et s'emparant des chaires dans la vue d'un gain sordide et d'une infâme avarice (Tt 1,11).

Les Bernais et les Genevois, et autres semblables enfants de perdition (Jn 17,12), menaçaient le peuple par leurs émissaires, à dessein de le détourner d'entendre nos prédications. Ils criaient incessamment que les trêves n'avaient rien de solide ni de durable ; que la paix n'était point faite ; que bientôt on chasserait du pays et le duc et les prêtres ; que leur parti enfin prendrait le dessus avec plus de force que jamais, et serait désormais à couvert de toute insulte.

Loin que nos missionnaires fussent découragés par tant d'efforts de l'enfer, ils redoublèrent leurs soins et leurs travaux ; et s'attachant d'abord aux plus qualifiés et aux principaux seigneurs des contrées infectées, ils vinrent à bout, avec le secours de Dieu, d'en retirer quelques-uns du gouffre de l'hérésie, et de les ramener au port de la communion catholique. Au moyen de cela, on parvint à ériger six paroisses seulement, à savoir, trois dans le pays de Thonon, et trois dans celui de Ternier ; tant à cause du petit nombre des ouvriers évangéliques, que parce qu'il ne se trouvait pas assez de fonds-pour en faire subsister davantage; mais surtout parce que la paix n'étant pas affermie, les choses paraissaient être encore dans l'incertitude.

Deux années se passèrent de la sorte, après lesquelles l'ordre des pères capucins envoya dans le champ du Seigneur, à notre secours, de nouveaux moissonneurs, si zélés et si ardents que l'un d'entre eux faisait l'ouvrage de plusieurs. Mais, malgré cela, le prince n'était pas content; il ne supportait qu'avec la dernière impatience le moindre retardement à une affaire qu'il portait dans ses entrailles ; c'est ce qui le fit déterminer à se transporter à Thonon, pour traiter lui-même en personne avec ceux qui paraissaient être les principaux et les plus distingués du parti.

Ce fut en l'année 1598 qu'il entreprit ce voyage, et il réussit avec tant de bénédiction, que l'illustrissime et révérendissime cardinal de Florence, légat à latere du Saint-Siège apostolique, y arrivant quelques jours après, fut témoin de la conversion de plusieurs milliers de personnes. Son éminence eut la bouté de recevoir l'abjuration de plusieurs ; pour les autres, il les envoya à l'évoque mon prédécesseur, et à moi-même, le nombre des pénitents étant si grand qu'il ne pouvait y suffire. Il était même nécessaire qu'il y eût toujours quelque ecclésiastique tout prêt pour réconcilier ces pauvres brebis qui revenaient en foule à la bergerie de Jésus-Christ.

S'il est juste de rapporter cet événement admirable et ce prodigieux changement des coeurs et des esprits à la bonté toute-puissante du Créateur, qui change tout quand il veut, sans être changé en lui-même, on ne peut au moins se dissimuler que le duc de Savoie fût son instrument, et que son zèle fit des miracles. En effet, pendant le temps que son altesse travailla à cette conversion, et séjourna à Thonon, son coeur, par une grâce singulière, semblait être entre les mains de Dieu (Pr 21,1), vu qu'il en suivait tous les mouvements et toutes les impressions. Tantôt il faisait publiquement des exhortations au peuple, et disait des choses vraiment dignes d'une grande âme et d'un prince orthodoxe ; tantôt il conférait en particulier, d'une façon toute paternelle, avec ceux que l'on regardait comme les colonnes de l'hérésie (cf. Ga 2,9); surtout il prêchait d'exemple, s'efforçant d'attirer les âmes à l'Église catholique par une infinité de bonnes oeuvres ; ou bien il entrait en lice, devant tout le peuple, avec tous ceux qui se présentaient, faisant tête à tous dans des disputes réglées, où il ne manquait pas de convaincre ses adversaires par la force de ses raisons, et de gagner les coeurs par la douceur et l'éloquence de ses discours. Enfin, il parlait comme un homme envoyé de Dieu pour gouverner son peuple et pour lui annoncer ses vérités (Ps 2,6).

Ce grand prince n'eut point de cesse qu'il n'eût fait replanter de toutes parts l'arbre vivifiant de la croix, qu'il n'eût entendu retentir les airs du chant de l'Église, cette chaste tourterelle (Ct 2,11-13), dans cette terre désolée, et que ces vignes renouvelées et refleurissantes ne rendissent partout une odeur de salut (Ct 2,11-13). En un mot, il eut la satisfaction de voir les affaires changer de face, comme un beau printemps qui succède à un affreux hiver. Je puis dire avec assurance qu'il n'y a point eu de nos jours en aucun endroit du monde un si grand nombre de personnes converties à la vraie foi, avec tant de douceur et plus d'efficace.

3. Néanmoins il y a toujours eu jusqu'à ce temps quelques hérétiques de l'un et de l'autre sexe mêlés avec ces nouveaux catholiques. Ces gens-là, plus obstinés que les autres, croupissent dans leurs erreurs. Or son altesse, craignant qu'ils n'infectassent le reste de leurs compatriotes, ne trouva point d'expédient plus propre pour empêcher ce désordre, que de rendre un édit par lequel il leur commanda de sortir du pays. Quelques-uns, redoutant la sévérité de cette ordonnance, se sont enfin reconnus ; et il leur est arrivé la même chose qu'au prophète royal, lorsqu'il disait : Je me suis converti à Dieu au milieu de mes peines, tandis que les épines me faisaient sentir leurs pointes (Ps 31,4). En effet, comme dit Isaïe, l'affliction donne de l'intelligence ().

Pour revenir à notre propos, il est aisé de concevoir que ce duc si religieux n'a rien épargné de tout ce qui était en sa puissance pour la conversion de ces pauvres peuples, soit caresses, soit menaces ; mais ce qui mérite encore plus nos éloges, c'est qu'il agissait de la sorte lorsque ses ministres lui conseillaient le contraire. Car je me souviens qu'assistant par son ordre à son conseil pour cette afiaire, et les entendant opiner, plusieurs jugèrent pour des raisons d'état, qu'il n'était pas temps de rien entreprendre, ni de mettre au jour ce dessein. Cependant il passa outre, préférant les intérêts de Dieu et l'avancement de la foi à toute autre considération ; et il le fit à la face même des députés du canton de Berne, qui avaient été envoyés, avec toutes les solennités requises, à dessein de parer ce coup, et qui demeurèrent interdits et tremblants de la résolution du prince. Selon les articles de la trêve, le bailliage de Gaillard demeurait encore sous la puissance des Genevois, et par conséquent la foi catholique ne pouvait y avoir d'entrée; mais, par le traité de paix, ayant été rendu au duc de Savoie, il y envoya à ses dépens des missionnaires de la compagnie de Jésus et des prêtres séculiers, qui, en peu de temps et par un travail infatigable et un zèle enflammé, mais surtout par une grande miséricorde du Seigneur, ont porté les choses presque à leur perfection.

Pour en faire le récit en peu de mots, il n'y a que douze ans que l'hérésie était enseignée publiquement dans soixante-cinq paroisses aux environs de Genève, en sorte que la religion romaine en était tout-à-fait bannie ; et maintenant l'Église a étendu ses branches en autant de lieux, et y a tellement pris racine que l'hérésie n'ose plus s'y montrer. En effet, on aurait assez de peine à trouver cent hérétiques en ces lieux où auparavant on n'aurait pas trouvé cent catholiques. Il n'y en a pas un où l'on ne célèbre aujourd'hui le saint sacrifice de la messe et tout le reste du service divin ; et chaque paroisse est desservie par son curé. Enfin ces trois bailliages, qui par le traité de paix appartiennent à présent sans contradiction au duc de Savoie, sont entièrement convertis et revenus à l'Église; et ce qu'il y a de mieux encore, c'est qu'ils ont persévéré constamment dans leur résolution, malgré les persécutions qu'ils ont souffertes et les horreurs de la guerre. Voilà sans doute un grand avantage que ce fléau a procuré à ce diocèse; aussi est-il presque le seul.

Il n'y a plus qu'une chose à désirer, très-saint père, c'est que le saint-siége prenne à coeur cette affaire, et y apporte tous ses soins, n'y ayant rien de plus grand, de plus digne et de plus important (1Tm 1,15); et que votre sainteté donne toutes sortes de marques de bienveillance et de tendresse à son altesse sérénissime monseigneur le duc de Savoie, qui a été l'instrument de la bonté divine, et qui a travaillé si efficacement au salut de son peuple ; en un mot, que votre charité se signale envers ce diocèse, pour le consoler, et lui faire perdre, s'il est possible, jusqu'au souvenir de ses malheurs : grâce que je demande avec toutes sortes d'instances et la plus profonde humilité, et que j'attends, de votre clémence avec une confiance parfaite, suppliant notre Seigneur sus-Christ de vous être toujours propice.

Mais, pour donner une, entière créance à ce que j'avance dans cette lettre comme ne contenant rien que de très-avéré, j'ai souscrit mon nom au bas, et j'y ai fait apposer le sceau de l'évêché de Genève. Outre cela, plusieurs chanoines de mon église cathédrale, et autres personnages d'une probité reconnue, ayant été témoins oculaires, des choses que je viens de raconter, et même ayant travaillé à l'instruction des mêmes peuples, avec autant de succès que de gloire, j'ai cru qu'il était à propos qu'ils se souscrivissent aussi, afin que la vérité des faits étant constatée, par le témoignage de plusieurs, il ne pût rester aucun doute dans les esprits. J'ai l'honneur d'être, avec un très-profond respect, très-saint père, etc.






F. de Sales, Lettres 177