F. de Sales, Lettres 1575

LETTKE CCCCXIX, À MADAME DE CHANTAL, ALORS A PARIS

1575
Courage et résignation de notre Saint à la volonté de Dieu ; mépris pour les honneurs du monde et le séjour de la cour.

Annecy, 30 novembre 1619.

Je vois, ma très-chère mère, par la dernière de vos lettres, du 12 du passé (1), que M. N. est toujours en peine, et que je suis expose à divers jugements pour son mariage; Pour lui je n'ai rien à dire, sinon que bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de justice ; car ils seront rassasiés (
Mt 5,6). Et bien que ce rassasiement s'entende pour le jour du jugement, auquel on fera justice à tous ceux à qui elle a manqué, et qui par conséquent en ont eu faim et soif en ce monde; si est-ce que j'espère que le parlement enfui rassasiera ce personnage après qu'il aura eu faim et soif de justice; et Dieu veuille pardonner à ceux qui le persécutent. Pour moi, je dis qu'il faut que je pratique l'enseignement de saint Paul : Ne vous défendez point, mes bien-aimés ; mais laissez le passage à la passion (Rm 12,19).

Et néanmoins, puisque vous le trouvez à propos, j'écrirai au premier jour, à M. Bergier, afin qu'il ait de quoi rejeter la calomnie, assuré de sa parfaite charité pour moi qui l'estime et honore plus qu'il ne se peut dire.

Demeurez en paix, ma très-chère mère sur tout cela. La Providence suprême sait la mesure de la réputation qui m'est nécessaire pour bien faire le service auquel elle me veut employer, et je n'en veux ni plus ni moins que ce qu'il lui plaira que j'en aie. Or sus, c'est assez pour ce coup.


1569 Chambéry, 30 octobre 1619

- Madame S. A. et M. le prince, ont voulu que je fusse le grand aumônier de ma dite dame : et vous me croirez, je pense, aisément, quand je vous dirai que je n'ai directement ni indirectement ambitionné cette charge : non, véritablement, ma très-chère mère; car je ne sens nulle sorte d'ambition, que celle de pouvoir utilement employer le reste de mes jours au service de notre Seigneur. -Non, certes, la cour m'est en souverain mépris, parce que ce sont les souveraines délices du monde, que j'abhorre de plus en plus, et lui, et son esprit, et ses maximes, et toutes ses niaiseries.

Soyez à jamais bénite, ma très-chère mère; et que votre coeur, et le mien soient à jamais remplis du divin et très-pur amour, que la divine bonté vous a fait la grâce de vouloir parfaitement aimer.



LETTRE CCCCXX, A MADAME DE CHANTAL, A PARIS.

1584
L'on ne doit pas se conduire selon les règles de la prudence humaine, mais par les maximes de l'Évangile.


Annecy, 13 décembre 1619.

1. "Vive Jésus, auquel, et pour lequel, et par lequel je suis parfaitement vôtre, ma très-chère mère. Je viens d'écrire trois grandes lettres, que je vous envoie ouvertes, afin que vous les voyiez, et cri icéi les plusieurs choses qu'il faudrait que je vous écrivisse; et je n'en ai pas le loisir, étant bien tard.

Enfin donc j'écris à M. de Montelon ; mais avant que de lui envoyer ma lettré, faites-la voir, s'il vous plaît, à, M. des Haies, et considérez s'il sera à propos qu'elle lui soit rendue ; car quant à moi, ma très-chère mère, j'ai remis tous ces mauvais vents à la providence de Dieu : qu'ils soufflent ou qu'ils s'accoisent, selon qu'il lui plaira ; la tempête et la bonace me sont indifférentes. Bienheureux soyez-vous, quand les hommes diront tout mal contre vous pour l’amour de moi; en mentant (
Mt 5,8). Si le monde ne trouvait à redire sur nous, nous ne serions pas bonnement serviteurs de Dieu.

2. L'autre jour, nommant S. Joseph à la messe, je me ressouvins de cette souveraine modération dont il usa, voyant son incomparable épouse toute enceinte, laquelle, il avait cru être toute, vierge. Et je lui recommandai l'esprit et la langue de ces bons messieurs, afin qu'il leur impétrât un peu, de cette douceur et débonnaireté ; et tôt après, il me vint en l'esprit que Notre-Dame en cette perplexité ne dit mot, ne s'excusa point, ne se troubla point, et la providence de Dieu la délivra ; et je lui recommandai cette affaire, et me résolus, de lui en laisser le soin, et de me tenir coi : aussi, bien que gagne-t-on de s'exposer aux vents et aux, vagues, sinon de l'écume!

3. O ma, chère mère! il ne faut pas être si tendre sur moi. Il faut bien vouloir qu'on me censure : si je ne le mérite pas d'une façon, je le mérite de l'autre. La mère de celui qui méritait une éternelle adoration ne dit jamais un seul mot quand on le couvrit d'opprobres et d'ignominies. Aux patients et débonnaires demeurent la terre et le ciel (Mt 5,5 Mt 5,10). Ma mère, vous êtes trop sensible pour ce qui me regarde. Et donc, faut-il que moi seul au monde je sois exempt d'opprobres? Je vous assure que rien ne m'a tant touché en cette occasion que de vous voir touchée. Demeurez en paix, et le Dieu de paix sera avec vous, et il foulera les aspics et les basilics; et rien ne troublera notre paix si nous sommes ses serviteurs. Ma chère mère, il y a bien de l'amour-propre à vouloir que tout le monde nous aime,- que tout nous soit à gloire. :

 4. Je prêche ici (2) les avents, les commandements de Dieu, qu'ils ont désiré ouïr de moi ; et je suis merveilleusement écouté : mais aussi je prêche de tout mon coeur, duquel coeur je vous dirai, ma très-chère mère, que Dieu par sa honte infinie le favorise fort, lui donnant beaucoup d'amour des maximes du christianisme, et cela ensuite des clartés qu'il me donne de leur beauté, et de l'amour que tous les saints leur portent au ciel, m'étant avis que là-haut on chante avec une joie incomparable : Bienheureux les pauvres d'esprit, car à eux appartient le royaume des cieux (Mt 5,3).

 Sur le commencement de la semaine qui vient, je ferai ma revue pour un renouvellement extraordinaire que notre Seigneur m'invite de faire, afin qu'à mesure que ces années périssables passeront, je me prépare aux éternelles.

5. Nos soeurs d'ici (4) feront fort bien ; il n'y a rien à redire, sinon qu'elles veulent trop bien faire, afin que notre mère revenant trouve que tout va bien : cela les presse un peu. Hier nous fîmes un entretien où je m'essayai de les mettre un peu au large.

Je salue nos très-chères soeurs Anne-Catherine-et Jeanne-Marie. Je leur écrirai aussi trois mots-au premier jour, s'il plaît à Dieu ; et à notre soeur Marie-Anastase nulle salutations. C'est une petite jacobite (5); car notre Seigneur l'a touchée à la cuisse : et elle ira mieux boiteuse au chemin de la perfection qu'elle n'eût fait autrement, comme j'espère. Je salue notre très-grande novice, et toutes tant qu'elles sont mes très-chères soeurs et filles en notre Seigneur. Je n'écrirai-point pour ce coup à ces dames, que j'honore tant, et que Dieu veut que j'honore de plus en plus : saluez-les toute chèrement es occurrences. Dieu les veuille combler de ses grâces.



(2) A Annecy.

(4) D'Annecy.

(5) C'est une allusion au patriarche Jacob, qui, ayant lutté pendant toute la nuit avec un ange, en ut touché à la cuisse, et en demeura boiteux.




LETTRE CCCCXXI, A M. DE BOISSÏ, SON FRÈRE, CHANOINE DE L'ÉGLISE CATHÉDRALE DE S. PIERRE DE GENÈVE, VICAIRE-GÉNÉRAL DU DIOCESE.

1586
(Tirée du monastère de la Visitation de la rue Saint-Antoine.)

Cette lettre traite d'un grand nombre d'affaires domestiques et autres.

16 décembre 1619.



Mon très-cher frère,

1. le bon poissonnier qui m'a apporté vos lettres de Rivole nous assura de venir dans la huitaine prendre les nôtres et vos habits ; mais la quinzaine passe, et il ne vient point: c'est pourquoi je vous envoie tout à coup mes vieilles lettres, et celle-ci par laquelle je réponds à celles que j'ai reçues depuis par le sieur Trulard, et par autre voie.

M. le doyen ne veut point aller à la cour, sa. dévotion le tirant ailleurs, où il prétend se rendre dans six semaines ou deux mois ; mais il désire qu'on ne le sache pas, ne s'en étant découvert qu'à moi et au supérieur claustral du lieu où il aspire, sur le rivage de ce lac.

Je verrai à Lesorches M. l'abbé de Seyserieux, et saurai en quelle disposition il se trouve : et quant à M. Duchûtelard, il me dit l'autre jour, qu'en l'avertissant un mois auparavant, il se tiendra prêt.

Reste M. Favre, qui désire d'attendre M. de Chamessay. Si quelqu'un de votre connaissance voulait entrer au premier quartier, en m'avertissant dans quinze ou dix-huit jours, afin que je n'en fisse pas tenir prêt l'un des susnommés, cela-serait bon, comme je pense. Je pense aussi que la division de l'aumône sera à propos, ainsi que-vous l'avez projeté.

2. M. de Drum aura réponse par les ci-jointes, que M. de la Salle aura cent mille francs de son père, et trente mille de sa mère, ainsi que M. de Médio m'assure.

M. Favre m'écrit que M. de Forax n’est pas encore hors de prison, par opiniâtreté de ses parents qui font le pis qu'ils peuvent. J'écris à M. de Monlelon, pour voir si on le pourra détourner de la fausse créance qu'il a de mon procédé, dont je ne me repens point, ni n'ai sujet aussi de me repentir.

Je ne savais pas aussi que les livres de visites fussent à Paris, car on me l'a celé ; mais il y a apparence que monsieur le président, en aura soin. Je les lui demandai l'autre jour, et il m'écrivit qu'il en avait un peu affaire pour encore, et qu'il me les enverrait par après.

3. Je vous, envoie le projet que monseigneur le prince me commande de faire pour la réformation des monastères de deçà, m'ayant semblé à propos qu'il lui fût remis parmi les fêtes, en-temps auquel-telles pensées sont de saison. Vous lui pourrez dire que j'ai été après avoir conféré avec M. de Montoux et M. l'abbé d'Abondance, et qu'il sera expédient que les mémoires soient dressés en italien ou en latin, mais plutôt en italien de quelque bonne main.

4. Vous verrez que nous n'avons pas oublié notre Église, pour laquelle il se présente encore une occasion, dont le chapitre m'a prié de vous donner avis, afin que dextrement vous sachiez si on en pourrait réussir. C'est que monsieur le révérendissime du Mont-Denis a, ce dit-on, un prieuré près de Piolée, qui s'appelle Consier, duquel s'il Voulait se défaire en faveur de notre Église, on lui assurerait une bonne pension; pourvu qu'elle n'excédât pas tous les fruits ; et après on pourrait traiter avec le chapitre de Bellay, du doyenné de Seyserieux. Or, je vois en cela une extrême difficulté, à cause du placet du roi, qui très-mal volontiers ordonnera pour unir à un corps qui est hors du royaume. Néanmoins, parce que le chapitre a cela en désir, vous pourrez avec dextérité savoir ce qui se pourra faire par delà avec monseigneur du Mont-Denis.

M. le prévôt goûta merveilleusement la bonne pensée que vous avez faite, de voir si on pourrait loger mon neveu de là Forige chez monseigneur le prince cardinal; et s'il se peut, ce sera une très-grande charité.

5. Mon frère, ledit sieur, vous écrit de la lettre que les gens de bien font voir par-ci par-là à la dérobée. Il y a apparence qu'ils feront ce qu'ils pourront pour ravaler le peu de faveur qu'ils voient naître pour nous ; mais il ne faut pas que vous vous en remuiez, ains que vous répondiez seulement par bienfaits à leur médire : c'est le vrai moyen de les fâcher et combattre, méprisant leurs efforts par l'assurance que nous témoignerons d'avoir dans notre innocence et inviolable affection aux services de nos princes.

M. le marquis de Saint-Damian s’en reva, qui m'est venu voir avec beaucoup de démonstration de nous aimer; il faut donc correspondre, afin que de toutes parts nous fassions paraître que nous sommes nous-mêmes.

6. M. de Cormans a fiancé la bonne mademoiselle de la Croix, et crois que Ton est ap.Pès.de poursuivre la dispense. M. de Leaval s'était chargé de retirer la dépêche du sieur Menyer. S'il ne va pas bientôt en Piémont, madame de Charmôisy vous prie de procurer qu'on Je-fasse, et de donner avis de l'argent qu'il faut pour la retirer, afin qu'on l'envoie soudain. Je crois, bien quel pour celui de naturalité de M. de Benmères, il faudrait donner quelque chose en chancellerie ; mais il n'y a-remède si c'est peu de fait, il faudra avancer.

Les soeurs de Sainte-Glaire de Demun me conjurent fort de vous recommander leur affaire, eu laquelle M. le marquis de Salins les aidera-font: ce porteur est l'un de leurs religieux.

Je suis grandement aise de savoir que madame de Saint-George demeurera, sachant-combien elle a de pouvoir et de vouloir pour, te bierr de l'esprit de notre maîtresse, et par conséquent pour le contentement plus désirable de son altesse et de monseigneur notre prince, et le bonheur de cet État. La connaissan.ee que j'ai des qualités de cette dame, m'a toujours fait souhaiter qu'elle demeurât, et loue Dieu de tout mon coeur que cela soit. Saluez-la chèrement de ma part, et l'assurez de mon service très humble, et de même toutes les dames qui me font l'honneur de m'aimer : mais, comme vous saurez bien faire, mettez à part la signora dona Geuovefa ma très-chère fille; je ne saurais lui écrire, ni quasi plus à personne : ce sera au premier jour, et à notre très-cher frère le père dom Juste, duquel j'ai reçu la boite et la lettre du père Justin.

Les deux dames qui vous ont écrit de France sont mesdemoiselles de Crevant, qui s'appelle Anne de Bragelonne, et de Verson, qui s'appelle Marie de Bragelonne.

Nous avons achevé l'annuel de M. de Charmoisy ce matin; et la bonne madame de Charmoisy se sent grandement obligée à votre amitié, et pour le soin que vous avez de son Henri.

Monseigneur de Turin me recommande le père Sommier pour la prébende de l'abbaye d'AuIps-; mais c'est là, et non ici où il faut faire l'office : vous le ferez, s'il vous, plaît, envers monseigneur le prince cardinal, et puis eu rendrez compte à monseigneur l'archevêque.

Las et recru de tant écrire, je prie Dieu qu'il vous comble de contentement, et suis votre, etc.



LETTRE CCCCXXII, A LA MERE-ANGÉLIQUE ARNAULD, ABBESSE DE PORT-ROYAL.

1585
Une grande perfection ne s'acquiert pas en un jour.

Le Saint s'abandonne à la Providence pour le temporel ; il ne veut pas retourner à Paris, malgré l'espérance qu’il avait d'en être l’évêque. Sa compassion pour les âmes.


16 décembre 1619.

1. Je commence par où vous finissez, ma très-chère et très-véritablement bien-aimée fille ; car votre dernière lettre d’entre celles que j'ai reçues finit ainsi : Je crois que vous me connaissez bien. Or il est vrai, certes, je vous connais bien, et que vous avez toujours dedans le coeur une invariable résolution de vivre toute à Dieu, mais aussi que cette grande activité naturelle vous fait sentir une grande vicissitude de saillies. O ma fille! non, je vous prie, ne croyez pas que l'oeuvre que nous avons entrepris de faire en vous puisse être sitôt faite.

Les cerisiers portent bientôt leurs fruits, parce que leurs fruits ne sont que des cerises de peu de durée; mais les palmiers, princes des arbres, ne portent leurs dattes que cent ans après qu'on les a plantés, ce dit-on. Une médiocre vie ne peut s'acquérir en un an ; mais la perfection à laquelle nous prétendons, ô Dieu ! ma chère fille, elle ne peut venir qu'en plusieurs années, parlant de la voie ordinaire.

Dites bien encore ceci à cette fille que je vous ai tant recommandée, qu'en vérité je ne la puis publier ni jour ni nuit, mon âme réclamant incessamment là grâce de Dieu sur elle, et dites-lui hardiment, que non je ne m'étonnerai jamais de ses faiblesses et imperfections. Ne serais-je pas un déloyal arrogant, si je ne la regardais en douceur parmi les efforts qu'elle a faits de s'affermir en la douceur, en l'humilité, en la simplicité ? Qu'elle continue fidèlement ses poursuites, et, je continuerai sans cesse.de soupirer et respira pour son bien et avancement. Le bon père me remercie si bonnement de la dilection que je porté à cette chère fille, sans considérer que c'est une affection qui m'est si précieuse et tellement naturalisée en mon âme, que personne ne m'en doit savoir non plus de gré que de quoi je me souhaite du bien à moi-même.

2. Mais dites-lui, à cette chère fille, qu'en l'exercice du matin elle mette son coeur en posture d'humilité, de douceur, et de tranquillité, et qu'elle s’y remette après dîner, pendant grâces, et à vêpres; et le soir ; et que parmi la journée elle se souvienne que je le lui ai dit.

Dites-lui que je demeure ici en mon diocèse, tandis qu'il plait à Dieu; et que comme rien ne m'en peut tirer que quelque particulière occasion que je croirai être à la gloire de notre Seigneur ; aussi cela se présentant je n'aurai non plus de difficulté de me déprendre maintenant des faveurs que je reçois, qu'auparavant qu'elles me fussent données. Je suis et serai, et veux être à jamais à la merci de la providence de Dieu, sans que je veuille que ma volonté y tienne autre rang que de suivante. Vous avez toujours tout, mais ménagez-le.

On m'invite d'aller derechef a P. eh une agréable condition. J'ai dit : Je n'irai point là, ni ne demeurerai ici, sinon ensuite du bon plaisir céleste! Ce pays est ma patrie, selon ma naissance naturelle : selon ma naissance spirituelle, c'est l'Église. Partout où je penserai mieux servir celle-ci, j'y serai volontiers, sans m'attacher à celle-là.

Non, ma fille; ne laissez pas l'oraison, que pour des occasions qu'il est presque impossible de recouvrer. Il n'y a point de mal, ains du bien, à traiter avec notre bon ange.

3. Mais disons un mot de nos chères filles. Hélas ! la pauvre N. perdra-t elle aussi le fruit de sa vocation? O mon Dieu! ne le permettez pas. Sa pauvre soeur est en grand danger, à ce qu'on m'écrit; et je vous assure que mon âme en est toute affligée et voudrais, si je pouvais, beaucoup faire pour retenir ces deux soeurs pour Dieu, qui les veut, pourvu qu'elles ne résistent.

Je n'écris point pour le présent à notre chère soeur Catherine de Gènes. Je crois que l'assemblée de L. n'aura rien pu contre elle, puisque vous ne m'en dites rien. O non ; car Dieu protégera cette chère âme, et ne permettra pas qu'une si rude tempête la vienne accabler. Qu'elle reprenne cet esprit, et qu'elle vive joyeuse.

Quant à la C., il ne faut pas trouver étrange le refus qu'on en a fait : le bien qui en doit réussir est trop grand pour n'avoir point de difficulté et de contradiction. M. reviendra à soi; certes, je ne me suis su empêcher de lui écrire bien amplement, encore que je ne le connaisse point, m'étant avis que je le devais pour le bien des affaires de notre Seigneur.

Demeurez en paix, ma très-chère fille, et priez souvent pour mon amendement, afin que je sois sauvé, et qu'Un jour nous tressaillions en la joie éternelle, nous ressouvenant des attraits dont Dieu nous a favorisés, et des réciproques consolations qu'il a voulu que nous eussions eu parlant de lui en ce mondé. O ma fille, il soit à jamais l'Unique prétention de nos coeurs! Amen.




LETTRE CGCCXXIII, A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION.

1589
Exhortation à adorer notre Seigneur, et à célébrer la fête du jour de sa naissance.

Annecy, le 18 décembre 1619.

Ma très-chère fille, voilà le tant petit aimable Jésus qui va naître en notre commémoration ces fêtes-ci prochaines ; et puisqu'il naît pour nous visiter de la part de son père éternel, et que les pasteurs et les rois le viendront réciproquement visiter, au berceau, je crois qu'il est le père et l'enfant tout ensemble de cette sainte Marie de la Visitation.

Or sus, caressez-le bien ; faites-lui bien l'hospitalité avec toutes nos soeurs; chantez-lui bien de beaux cantiques, et surtout adorez-le bien fortement et doucement, et en lui sa pauvreté, son humilité, son obéissance et sa douceur, à l'imitation de sa très-sainte mère et de saint Joseph : et prenez-lui une de ses chères larmes, douce rosée du ciel, et la mettez sur votre coeur, afin qu'il n'ait jamais de tristesse que celle qui réjouit ce doux enfant ; et quand vous lui recommanderez votre âme, recommandez-lui quant et quant la mienne, qui est certes toute vôtre.

Je salue chèrement la chère troupe de nos soeurs, que je regarde comme de simples bergères veillant sur leurs troupeaux (
Lc 2,8-16), c'est-à-dire sur leurs affections ; qui averties par l'ange vont faire l'hommage au divin enfant, et pour gage de leur éternelle servitude lui offrent le plus beau de leurs agneaux, qui est leur amour, sans réserve ni exception. Votre, etc.



LETTRE CCCCXXIV, A SOEUR DE BLONAY, MAITRESSE DES NOVICES DE LA VISITATION DE LYON.

1591 Le Saint l'exhorte à régler son zèle, en le rendant doux et paisible, en supportant les défauts d'autrui, et en s'éloignant du zèle amer, inquiet et empressé.

Annecy, 19 décembre 1619.

O ma fille! Dieu vous a fait une grande miséricorde, d'avoir rappelé votre coeur au gracieux support du prochain, et d'avoir saintement jeté le baume de la suavité de coeur envers autrui dans le vin de votre zèle. Voyez-vous, enfin je réponds', quoique tard, à la lettre que vous m'écriviez après mon passage ; et réponds courtement, simplement, amoureusement, comme à ma très-chère fille, que j'ai aimée presque dès le berceau, parce que Dieu l'avait ainsi disposé.

Il ne vous fallait que cela, ma très-chère fille : votre zèle ôtait tout bon ; mais il avait ce défaut d'être un peu amer, un peu pressant, un peu pointilleux. Or le voilà purifié de cela ; il sera désormais doux, bénin, gracieux, paisible, supportant. Hé ! qui ne voit le cher petit enfant.de Bethléem, duquel le zèle pour nos âmes est incomparable? car il vient pour mourir, afin de les sauver. Il est si humble, si doux, si aimable.

Vivez joyeuse et courageuse, ma chère fille, je dis en la portion supérieure de votre âme ; car l'ange, qui préconise la naissance de notre petit Maître, annonce en chantant, et chante en annonçant qu'il publie une joie, une paix, un bonheur aux hommes de bonne volonté (
Lc 2,10-14); afin que personne n'ignore qu'il suffit, pour recevoir cet enfant, d'être de bonne volonté, encore que jusqu'ici on n'ait pas été de bon effet; car il est venu bénir les bonnes volontés, et petit à petit il les rendra fructueuses et en bon effet, pourvu qu'on les lui laisse gouverner, comme j'espère que nous ferons les nôtres, ma très-chère fille. Ainsi soit-il.

Je suis ensuite tout entièrement vôtre.



LETTRE CCCCXXV, A UNE DEMOISELLE DE PARIS.

1577
Le Saint l'engage à suivre l'inspiration de Dieu, qui l'invitait à se consacrer à lui.

Octobre-décembre 1619.

Mademoiselle, vous me le fîtes promettre, et je le fais soigneusement. Je prie Dieu qu'il vous donne sa sainte force, afin que vous rompiez généreusement tous les liens qui empêchent votre coeur de suivre ses célestes attraits. Mon Dieu, il faut dire la vérité; c'est pitié de voir une aimable avette embarrassée parmi les viles toiles des araignées. Mais si un vent favorable rompt cette chétive trame et ces fâcheux filets, pourquoi est-ce que cette chère avette ne prend cette occasion pour se démêler et déprendre de ces pièges, et pour aller faire son doux miel ?

Vous voyez, ma très-chère fille, mes pensées : faites voir les vôtres à ce Sauveur qui vous se-mond. Je ne puis n'aimer pas votre âme que je connais être bonne, et ne puis ne lui souhaiter, le très désirable amour de la généreuse perfection, me ressouvenant des larmes que vos yeux répandirent, lorsque vous disant adieu, je vous désirais à Dieu ; et que pour, être plus à Dieu, vous disiez adieu à tout ce qui n'est pas pour Dieu. Je vous assure cependant, ma très-chère fille, que je suis grandement votre-serviteur en Dieu.



LETTRE CCCCXXVL, A MADAME DE CHANTAL A BOURGES (fragment).

1496
Le Saint lui témoigne son dégoût pour le séjour de la cour et la condition de courtisan. Il place bien au-dessus de tout cela la vie chrétienne et religieuse.


Paris, 29 décembre 1619.

Je vous assure, ma très-bonne et très-chère mère, que la vue des grandeurs de ce monde me fait paraître plus grande la grandeur des vertus chrétiennes, et me fait estimer davantage leur mépris. Quelle différence, ma très-chère mère, entre cette assemblée de divers prétendants (car la cour est cela et, n'est que cela), et l'assemblée des âmes religieuses, qui n'ont point de prétention qu'au ciel ! Oh ! si nous savions en quoi consiste le vrai bien.

1. ... Ne croyez pas, ma très-chère mère, qu'aucune faveur de la cour me puisse engager. O Dieu ! que c'est chose bien plus désirable d'être pauvre en la maison de Dieu, que d'habiter dans les grands palais des rois (
Ps 83,11)! Je fais ici le noviciat de la cour ; mais jamais je n'y ferai profession, Dieu aidant. La veille de Noël, je prêchai devant la reine, aux Capucins, où elle fit sa communion; mais je vous assure que je ne prêchai ni mieux, ni de meilleur coeur devant tous ces princes et, princesses, que je fais en notre pauvre petite Visitation d'Annecy.

2. O Dieu ! ma très-chère mère, il faut bien mettre son coeur en Dieu, et ne point jamais l'en ôter. Il est lui seul notre paix (Ep 2,14), notre consolation et notre gloire: que reste-til sinon que nous nous unissions de plus en plus à ce Sauveur, afin que nous portions bon fruit (Jn 15,14) ? Ne sommes-nous pas bien heureux, ma très-chère mère, de pouvoir enter nos ceps sur celui du Sauveur, qui est enté sur la Divinité? Car ainsi cette souveraine essence est la racine de l'arbre duquel nous sommes les branches (Jn 15,5), et nos amours les fruits : c'a été le sujet de ce matin.

Courage, ma chèrement unique mère ; ne cessons point d'élancer nos coeurs en Dieu; ce sont ces pommes de senteur qu'il se plaît à manier ; laissons-les lui manier à son gré. Oui, Seigneur Jésus, faites tout à votre gré de notre coeur,; car nous n'y prenons ni part, ni portion ; ains le vous donnons, consacrons et sacrifions pour jamais., Or sus, demeurez toujours bien en paix entre les bras du Sauveur qui nous aime chèrement, et duquel le seul amour nous doit servir de rendez-vous général pour toutes nos consolations ; ce saint amour, ma mère; sur lequel le nôtre est fondé, enraciné, crû, nourri, sera éternellement parfait et perdurable.

3. Je salue chèrement nos soeurs. Je suis marri que notre soeur N. ait la fantaisie de changer de maison. Quand sera-ce-que nous ne voudrons rien, ains laisserons entièrement le soin à ceux à qui il appartient de vouloir pour nous ee qu'il faut? Mais il n'y a remède : la propre volonté est bridée par l'obéissance, et toutefois on ne peut l'empêcher de regimber et faire des caprices. Il faut porter cette infirmité : il y va bien du temps avant que nous soyons du tout dépouillés de nous-mêmes, et du prétendu droit de juger ce qui nous, est meilleur, et de le désirer. J'admire le petit enfant de Bethléem, qui savait tant, qui ppuvaittant, et, sans dire mot quelconque, se laissait manier, et bander, et attacher, et envelopper comme on voulait. Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, et du mien, ma très-chère mère.



LETTRE CCCCXXVH, A UNE PRIEURE DES CARMÉLITES......

Éloge de la bienheureuse Marie de l'Incarnation, dite dans le monde madame Acarie, fondatrice des carmélites en France (l)

Janvier 1620.

Ma très-chère fille et révérende mère, j'ai reçu vos deux lettres avec un contentement à la vérité tout particulier, d'avoir vu en icelles des marques évidentes que l'affection que Dieu avait mise en votre coeur pour moi, il y a dix-huit ans, était non-seulement toute en vie, mais avait pris de saints accroissements avec celle que vous ayez pour la divine bonté, que l'excellente profession que vous faites a rendue, je m'assure, très-grande.

C’est une qualité des amitiés que le ciel fait en nous, de ne pétii jamais, non plus que la source dont elles sont issues ne tarit jamais, et que la présence.ne les nourrit,, non plus que l'absence ne les fait languir, ni finir ; parce que leur fondement est partout, puisque c'est Dieu, auquel j'ai rendu grâces très-humbles de votre vocation, et de celle des deux chères soeurs à un si saint institut ; et surtout de quoi il vous y maintient avec tant de faveur, que toutes trois vous y rendez du fruit, et devenez toutes, les unes après les autres, mères en une si honorable fcuéifle, pour rétablissement de laquelle en France votre véritablement sainte mère avait tant prié et travaillé, comme pour sa finale retraite et votre habitation en cette vie.

O mon Dieu ! ma très-chère fille, ma mère, que de bénédictions sur vous! que de fidèles correspondances votre âme doit rendre à la douceur que la divine Providence a exercée en votre coeur ? Oserais-je bien palier en confiance à votre coeur? Certes, je ne peiisb jamais à votre bienheureuse mère, que je n'en ressente du profit spirituel; avec mille consolations de voir que ses voeux ont été exaucés en ses trois filles. Or, j'espère que ses trois fils aussi, quoiqu'il tarde, recevront quelque bonne affluence de la miséricorde de celui à-qui je sais qu'elle les avait consacrés. J:'ai eu le bien de les avoir tous revus à ce dernier voyage: que j'ai fait en France (1), et le contentement d'avoir reconnu en leurs âmes de grandes marques du soin que le Saint-Esprit a d'eux.

Vous me demandez par votre première lettre, ma révérende mère, certaines reliques que je m'essaierai de trouver; et si ma quête en cela se rencontre heureuse, je vous les enverrai; mais préparez-vous aussi de m'envoyer alors une image d'un portrait que vous avez, que j'eusse sans doute fait copier tandis que j'étais à Paris, si j’eusse su qu'il y en eût eu au monde.

Et pour finir, ma très-chère fille, ce m'est une satisfaction non pareille, que la supérieure et les soeurs de Sainte-Marie de la Visitation vous-aient vue ; parce que je sais que cela les aura toutes encouragées à servir bien le Fils et la Mère de-Dieu, à qui elles sont consacrées. A la vérité, étant ce qu'elles me sont, elles ne pourront qu'avoir eir vous une très-cordiale.et très-assurée confiance en votre dilection, en vous rendant toujours, et à tout votre monastère, un véritable honneur et respect, selon la grande estime et nmoiir que toute la maison de cette villei dont elles sont, a conçu de toutes les vôtres. Et puisque je parle avec vous, ce-me semble, coeur à coeur, je puis ajouter, et selon la véritable Vcgle'que je leur ai souvent inculquée, qu'il fallait que chacun cultivât là vigne en laquelle il était, fidèlement très-amoureusement pour l’amour de celui qui nous y a envoyés; mais qu'U ne fallait pour cela laisser de connaître et reconnaître franchement la plus grande et-excellente des autres, et àiinjême,, mesure leur porter toute révérence et vénération-V C'est assez pour cette fois, car je me promets de vous écrire souvent ; et, si vous>me le permettez, de joindre toujours le mot de notre ancienne alliance, vous appelàrit ma fille, à celui que le rang que Vous tenez en-votre ordre vous a acquis; et suis de tout mon coeur-à jamais, ma révérende mère ; vôtre, etc.



(1) S. François de Sales avait connu M. de Marillac et madame Acarie, épouse d'un maître des comptes de Paris; dans le voyage qu'il fit en cette ville en 1602. Ce fut principalement à l'occasion d'une assemblée de personnes éminentes en piété, qui se réunissaient chez cette dame, et où l'on s'occupait de l'introduction des carmélites en France. S. François-de Sales fut prié d’écrire au pape pour obtenir, un bref à ce sujet. « Les choses étant bien examinées, « écrivit-il au Saint-Père, nous avons reconnu avec évidence que ce dessein était inspiré de Dieu, et qu'il retourneroiUi sa plus grande gloire, et au salut. « d'un grand nombre de personnes. »

Bientôt après, M. de Bérulle, depuis cardinal, partit pour l'Espagne, muni de l'autorisation du pape pour, en amener des filles de sainte Thérèse; et Henri IV chargea son ambassadeur à Madrid de traiter de cette affaire en son nom à la cour d'Espagne. Ce fut madame Acarie qui reçut ces religieuses à leur arrivée en France; et son zèle suffit, non-seulement à la fondation de la première maison de cet ordre à Paris, mais à celles de Pontoise, d'Amiens, de Dijon, de Rouen et de Tours.

Cette sainte femme contribua aussi beaucoup à la fondation des ursulines, faite par madame de Sainte-Beuve, épouse d'un conseiller au parlement de Paris. « Vos soins, disait madame Acarie à ces religieuses « destinées à l'éducation des jeunes filles, contribueront peut-être à la réforme générale des moeurs. « Lés enfants sont plus sous la surveillance de leur mère que sous celle de leur père. Les mères ayant reçu de bons principes, les transmettront ensuite à leurs enfants; et quand bien même ceux-ci s'en écarteraient, ils y reviendraient tôt ou tard, parce que les premières impressions qu'on a reçues ne s'effacent pas entièrement. »

Madame Acarie, ayant perdu son mari, se fit soeur converse aux carmélites d'Amiens, et mourut en odeur de sainteté dans la maison du même ordre, à Pontoise, en 1618.

« Le jugement que ût d'elle, après sa mort, le « bienheureux évêque de Genève, dit Auguste de Sales « dans la vie de son oncle, fut tel, que c'était véritablement, une servante, du Seigneur, de laquelle il « avait regardé l'humilité; et, quant à lui, qu'il ne « la regardait pas comme sa pénitente, mais comme « un vaisseau d'élection que le Saint-Esprit avait consacré pour son usage et ce sont ses paroles très expresses : O quelle faute je commis quand je ne profitai pas de sa très-sainte conversation ! car elle m'eût librement découvert toute mon âme; mais le très-grand respect que je lui portais, faisait que je n'osais pas m'enquérir de la moindre chose. »

Le clergé de France demanda au pape Innocent X, en 1651 qu'il abrégeât, en faveur de la vénérable soeur Marie de l'Incarnation, le délai de cinquante ans prescrit pour les béatifications; mais cette demande ne fut pas accordée et le délai étant expiré, l'affaire ne fut pas reprise: Ce n'est qu'en 1782, que l'assemblée du clergé de France, les religieuses carmélites et ursulines, Louis XVI, madame Louise, et la chambre des comptes de Paris, ont renouvelé auprès du pape Pie VI la demande de la béatification de madame Acarie; et elle a été prononcée par ce pape en 1701.
 (1) L'année précédente 1610.






LETTRE CCCCXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION.,

Dieu veut être servi parfaitement; pour y parvenir il faut le regarder en toutes choses ; l'uniemè moyen d'obtenir le don d'oraison, c'est d'avoir de l'Humilité; une aumône promise pour un bien et non délivrée, peut changer de destination, lorsque le bien est égal de part et d'autre.


1620.

O combien de bénédictions Dieu répandra-t-il sur votre coeur, et que de consolations sur le mien, si vous allez croissant en la pratique parfaite du divin amour, ma très-chère fille ! Le Saint-Esprit tient quelquefois la méthode d'inspirer par parties ce qu'il veut taire du tout, et ses vocations ont accoutumé d'être grandement solides..

Ce bon homme de l'Evangile ayant deux garçons, dit à l'un d'iceux (Mt 21,28-31) : Va, mon enfant, en ma vigne pour y travailler. Et il dit Je n'en ferai rien. Puis, faisant réflexion et revenant à soi: il y alla, et travailla très-bien. - Pw^ le père dit à l’autre : Mon enfant, va travailler, en ma vigne. Et il répondit : Je m'y en vais. El néanmoins il n'en.fit rien. Or, dit (notre Seigneur), - lequel des deux a fait la volonté du père?, Sans doute le premier, ma très-chère fille.

Vous-avez le courage trop bon pour ne pas faire parfaitement ce qu'il faut faire pour l'amour de celui qui ne-veut être aimé que totalement ;-;inarr chez donc bien ainsi, ma très chère fille, l'esprit relevé en-Dieu, et qui ne regarde que le visage et les yeux de l'époux céleste pour faire toutes choses à son gré-; et ne doutez point qu'il ne répande sur vous sa-très-sainte grâce, pour vous donner des forces-égales au courage qu'il vous a inspiré. Le don Sacré de l’oraison est tout prêt en la main droite du Sauveur, - soudain que vous serez vide de vous-même, c'est-à-dire de cet amour de votre corps et de votre volonté propre ; c'est-à-dire, quand vous serez bien humble, il le versera dedans votre coeur. Ayez patience d'aller le petit pas jusqu'à ce que vous ayez des jambes à courir, ou plutôt des ailes à voler. Soyez volontiers pour encore une petite nymphe (1), bientôt vous deviendrez une brave avette.

Humiliez-vous amoureusement devant Dieu et les hommes ; car Dieu parle aux oreilles abaissées. Ecoute, dit-il à-son épouse, et considère,- et abaisse ton oreille, et oublie ton-peuplé, et la maison de ton père (Ps 45,11). Ainsi le fils bien-aimé se prosterne sur sa face quand il parle à son père éternel, et qu'il attend la réponse de son oracle. Dieu remplira votre vaisseau de son baume, quand il le verra vide des parfums de ce monde ; et quand vous serez humble, il vous exaltera. Mais, ma très-chère fille, né dites pas comme le jeune fils de cet homme : J'irai travailler, qu'avec un ferme désir d'y aller.

Or sus, c'est la vérité que j'ai écrit une seule fois à N. qu'une aumône vouée, eU non-délivrée, pouvait être en quelque sorte transférée d'un lieu auquel elle était destinée, en un autre, d'égale piété; mais qu'étant vouée, délivrée et exécutée, on ne pouvait plus s'en dédire, puisqu'une aumône délivrée n'est plus à celui qui l'a faite, mais de plein droit et très certainement appartient à celui qui l'a reçue, et surtout quand il l'a reçue sans condition,, -ou avec une condition - qu'il est prêt de son côté à exécuter. ;,.

Mais que je me sois plaint de vous-certes:,; je ne rai.jiunais fait, ni n'ai nullement inculpé mon avis, qui est l'avis de tous les théologiens. Voilà cependant qui va le mieux du monde, que vous le veuillez suivre, nonobstant-ce que b.munde voudrait dire : aussi vous est-il égal de donner ou ici, ou là, puisque le Dieu du monastère de N. est le Dieu du monastère de N., et que toutes les deux maisons sont également à la très-sainte Vierge, et à vous, ma très-chère fille, que je conjure de persévérer à m'aimer constamment en notre Seigneur, comme très-invariablement je sais ;i jamais et sans réserve vôtre, et ne cesse point de supplier la très-sainte Vierge, la plus aimée dame du ciel et de la terre, qu'elle vous aime et vous rende toute bienaimée de son fils, par les continuelles inspirations qu'elle vous impétrera de sa majesté divine. Votre, etc.


(1) On appelle nymp/ite les abeilles, nouvellement écloses et non développées : quand elles ont Meurs ailes, S. François de Sales –les appelle, avettes,. du mot latin apiçûla.



LETTRE CCCCXX1X, A MADAME DE CHANTAL.

1600
F. de Sales, Lettres 1575