F. de Sales, Lettres 1615

LETTRE CCCCXXXVHI, A MERE DU CHASTEL, SUPERIEURE DE LA VISITATION DE GRENOBLE.

1615

Le Saint la console dans sa maladie. L'ordre de la Visitation, asile des infirmes. Il ne faut pas se décourager à cause de ses imperfections.


7 février 1620.

Ce papier va trouver vos yeux, pour saluer par leur entremise votre coeur très-aimé du mien, ma très-chère fille. O ce pauvre coeur! je le vois tout alangouri à la lettre que vous m'écrivîtes le 12 décembre, que je reçus fort tard ; mais je parle mal sans y penser, ma très-chère fille : ce n'est pas votre coeur qui est alangouri, c'est votre corps ; et à cause de la liaison qui est entre eux, il semble au coeur qu'il a le mal du corps. Mon Dieu ! ma fille, ne vous tenez nullement chargée, de souffrir ce qu'il faut que vous souffriez, c'est pour la très-sainte volonté de Dieu, qui a donné ce poids et cette mesure à votre état corporel; mais l'amour sait tout et fait tout; il me rend, ce me semble, médecin.

Je suis grand partisan des infirmes, et ai toujours peur que les incommodités que l'on en reçoit n'excitent un esprit de prudence dans les maisons, par lequel on tâche de s'en décharger sans congé de l'esprit de charité, sous lequel notre congrégation a été fondée, et pour lequel on a fait exprès la distinction des soeurs qu'on y veut. Je favorise donc le parti de votre infirme, et pourvu qu'elle soit humble, et se reconnaisse obligée à la charité, il la faudra recevoir, la pauvre fille ; ce sera un saint exercice continuel pour la dilection des soeurs.

O ma très-chère fille! demeurez en paix; ne vous amusez point à vos imperfections, mais tenez les yeux hauts et élevés en l'infinie bonté de celui qui, pour nous contenir dans son humilité, nous laisse vivre dans nos infirmités. Ayez toute votre confiance en sa bonté; et il aura un soin de votre âme, et de tout ce qui la regarde, que jamais vous ne sauriez penser.

Je servirai eu ce que je pourrai monsieur N. ; mais il faut avouer qu'en matière de négociation et affaires, surtout mondaines, je suis plus pauvre prêtre que je ne fus jamais, ayant, grâce à Dieu, appris à la cour à être plus simple et moins mondain.

Demeurez en paix, ma très-chère fille, et vivez tout en Dieu. Je salue très-cordialement nos chères soeurs, et suis infiniment vôtre, ma très-chère fille. Notre mère a bien de la besogne taillée en France, pour la multitude de maisons qu'on demande. Vive Jésus, et son nom soit béni es siècles des siècles. Amen. Vous êtes ma très-chère fille, et Dieu veut que j'aie de la consolation à le dire.




LETTRE CCCCXXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. ANDRÉ FRÉMIOT,

ARCHEVÊQUE DE BOURGES, PRIMAT D'AQUITAINE, FRERE DE MADAME DE CHANTAL.

(Communiquée par M. l’abbé de Faverney.)

Le Saint lui témoigne son amitié, et lui donne quelques nouvelles de la mère de Chantal.


Annecy, 8 février 1620.

Monsieur, enfin il se faut consoler ; rien n'est si agréable ni si salutaire en cette vie mortelle que de bien aimer Dieu, et pour Dieu le prochain ; je le vois, certes, et je sens que vous m'aimez cordialement, et que vous y avez bien du plaisir. Et croyez aussi, je vous prie, que de mon côté j'ai un contentement nonpareil en l'extrême affection que notre Seigneur m'a donnée pour vous. El puis voilà la très-chère soeur qui de même ne respire presque que la bienveillance de son beau-frère, et aime finalement ce chétif père spirituel, de qui Dieu lui adonné une si-entière et parfaite amitié, qu'elle ne se peut exprimer, et s'il faut que je vous le dise, mon cher frère (et ne voulez-vous pas ce titre cordial ? ) que cette pauvre me fait un peu de pitié (1), comme la voyant la es champs un peu trop tristement solitaire. Mais c'est son calice, ne faut-il pas qu'elle le boive? et puis je m'imagine que vous lui écrivez souvent, et allégez son tendre coeur par la communication des sentiments du vôtre. Mais n'attendez pas, mon cher frère, que je vous fasse le remerciement que je devrais de votre ljolte toute pleine de parfums sacrés : seulement je vous assure que j'estime plus ce présent que l’or et la topase, car il vient de votre dilection, et ne rend que dévotion.

Je me ressouviens fort bien que j'allai (1) visiter une demoiselle, grande amie de madame l'abbesse de Baume, et elle sera bien donc la mienne, puisqu'elle est la vôtre; car les coeurs qui sont unis à un coeur, ne peuvent qu'ils ne soient unis ensemble (2).

Mon frère ne se peut déprendre de la cour, où le service et les faveurs de Madame (3) l'attachent: mais je puis bien répondre pour lui, qu'il est grandement votre serviteur très-humble.

Il faut que je m'arrête, puisque le porteur me presse. Vivez toujours uniquement en Dieu, mon très-cher et très-véritablement toujours plus cher frère, et aimez continuellement mon âme, laquelle souhaite mille et mille consolations et prospérités saintes à la vôtre, vous chérit, et vous honore invariablement.

Monsieur mon très-cher frère, c'est la véritable profession de votre très-humble, etc.


(1) Pendant que les religieuses de la Visitation demeuraient au faubourg Saint-Michel, elles eurent beaucoup à souffrir, même du côté du nécessaire. Souvent elles n'avaient de la nourriture qu'à demi : les habits, le linge et les meubles leur manquaient ; plusieurs étaient réduites à s'asseoir à terre et à souffrir le froid le plus rigoureux, faute d'avoir du bois et des couvertures la nuit : plusieurs couchaient dans les greniers sur un tas de fagots ; il arrivait quelquefois qu'en se levant elles étaient couvertes de neige.
(1) En 1608, pendant un voyage de Bourgogne et de Franche-Comté.
(2) Quae sunt eadem uni tertio, sunt cadem inter se. Axiome de philosophie.
(5) La princesse de Piémont.




LETTRE CCCCXL, A MADAME DE GRANIEU.

1620
Consolations à une dame au sujet de la maladie de son mari. Que l'humilité et la patience sont nécessaires dans les afflictions.


17 février 1620.

A vous, ma très-chère fille, il ne faut point de cérémonie : car Dieu ayant rendu mon coeur si fortement serré au vôtre, il n'y a point d'entre-deux, ce me semble. C'est pour dire que je ne vous écris que ces deux mots, réservant le loisir pour écrire à d'autres à qui il faut faire réponse.

Mais que sont-ils ces deux mots? humilité et patience. Oui, ma très-chère fille, et toujours, certes, plus chère fille, vous êtes environnée de croix, tandis que le cher mari a du mal : or, l'amour sacré vous apprendra qu'à l'imitation du grand amant, il faut être en la croix avec humilité, comme indigne d'endurer quelque chose pour celui qui a tant enduré pour nous ; et avec patience, pour ne pas vouloir descendre de la croix qu'après la mort, si ainsi il plaît au Père éternel.

O ma très-chère fille ! recommandez-moi à ce divin amant crucifié et crucifiant, afin qu'il crucifie mon amour et toutes mes passions, en sorte que je n'aime plus que celui qui, pour l'amour de notre amour, a voulu être douloureusement, mais amoureusement crucifié.

Mon frère de Boisy, votre hôte, s'en va être évêque pour me succéder, Madame l'ayant ainsi désiré, et son altesse sérénissime voulu, sans que jamais ni directement, ni indirectement, je l'aie recherché. Cela me fait espérer un peu de repos, pour écrire encore je ne sais quoi du divin amant et de son amour, et pour me préparer à l'éternité.

Ma très-chère fille, je suis incomparablement votre serviteur très-humble, et de monsieur votre mari, et de M. C*, mais surtout de votre chère âme que Dieu bénisse. Amen.




LETTRE CCCCXLI, A MADAME DE VEYSSILIEU.

1621
Le Saint lui mande qu'il accepte une pauvre fille pour être religieuse, à sa recommandation. Il l'exhorte à mettre sa confiance en Dieu.


17 février 1620.

Cette fille me sera chère, venant de la main de la providence de Dieu, et surtout par votre recommandation, ma très-chère fille, qui m'est de très-grande estime en toute façon. Plaise à cette môme bonté céleste de répandre ses grâces sur nous, afin que nous suivions tous les sacrés attraits de la sainte vocation. Je n'ai point encore parlé de monsieur N. ; mais à vue de pays je ne laisse pas de vous dire, ma très-chère fille, que vous teniez la tête hautement relevée en Dieu, et les yeux dans l'éternité bienheureuse qui vous attend.

Qu'est-ce qui peut nuire aux enfants du Père éternel, qui ont confiance en sa débonnaireté? En loi, Seigneur, j'ai mis mon espérance (
Ps 30,1) : disons bien ceci, ma très-chère fille, mais disons-le souvent, disons-le ardemment, disons-le hardiment, et ce qui s'ensuit nous arrivera : Je ne serai point confondu (Ps 30,1)

Non, ma fille, ni pour cette vie, ni pour la future, jamais nous ne serons confondus : espérons en Dieu ; faites bien (Ps 36,3) et continuez vos exercices ; aimez les pauvres, et demeurez en paix: pour moi, je chéris votre coeur de plus en plus, je le bénis de plus en plus, et suis en vérité de plus en plus, votre, etc.



LETTRE CCCCXLII, A MERE FAVRE, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE LYON.

1624
Les religieuses ne doivent aller au parloir que s'il y a nécessité. La multiplicité de leurs pratiques se réduit à l'unique esercice de la charité. Conduite que doit tenir une maîtresse des novices à l'égard d'une fille qui craint de s'assujettir aux exercices de la maison.

Annecy, 22 février 1620.

Or sus, je vous dis, ma très chère fille, que si j'ai dit en quelque entretien, douze heures dans la maison pour une au parloir, j'ai dit ce qui serait désirable, s'il était praticable. On dit souvent de telles propositions qui se doivent entendre commodément, c'est-à-dire, quand les choses se peuvent bonnement faire, selon les lieux, les personnes, et les affaires que l'on a. Demeurez donc en paix, et faites valoir ce document sagement, prudemment, non durement, ni rigoureusement, ni ric-à-ric.

Le directoire de noviciat propose quantité d'exercices, il est vrai : et il est encore bon et convenable pour le commencement, de tenir les esprits rangés et occupés : mais quand, par le progrès du temps, les âmes se sont un peu exercées en cette multiplicité d'actes intérieurs, et qu'elles sont façonnées, dérompues etdésengour-dies, alors les exercices s'unissent à un exercice de plus grande simplicité, ou à l'amour de complaisance, ou à l'amour de bienveillance,.ou à l'amour de confiance, ou de l'union et réunion du coeur à la volonté de Dieu, de sorte que cette multiplicité se convertit en unité.

Et de plus, s'il se trouve quelque âme, voire meme au noviciat, qui craigne trop d'assujettir son esprit aux exercices marqués, pourvu que cette crainte ne procède pas de caprice,.. outrecuidance, dédain, ou chagrin, c'est à la prudente maîtresse de les conduire par une autre voie ; bien que pour l'ordinaire celle-ci soit utile, ainsi que l'expérience le fait voir. Vivez toute à Dieu, en paix, en douceur, courageusement et saintement, ma très-chère fille. Je suis en lui parfaitement vôtre tout-à-fait.



LETTRE CCCGXHII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL, A PARIS.

Louis XIII, ayant dessein d'attacher le Saint à la France, lui fit proposer, dans son dernier voyage en ce royaume, par le cardinal de Retz, archevêque de Paris, la coadjutorerie de cette ville avec une pension considérable. C'est à ce sujet que le Saint marque sa soumission à la conduite de la Providence, et une grande indifférence pour les biens et les honneurs de la terre.



26 février 1620.

O ma mère ! soit que la providence de Dieu me fasse changer de séjour, soit qu'elle me laisse ici; (car cela m'est tout un), ne sera-ce pas mieux de -n'avoir pas tant de charge, afin que je puisse un peu respirer en la croix de notre Seigneur, et écrire quelque chose en sa gloire? Cependant nous écouterons ce que Dieu ordonnera à la plus grande gloire duquel je veux tout réduire, et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant-sa grâce : car vous savez, ma très-chère mère, quelle fidélité notre coeur lui a vouée. C'est pourquoi sans réserve je la veux laisser régenter au-dessus de mes affections, es occasions où je-verrai ce qu'elle requiert de moi.

Certes, je me tâte partout pour voir si la vieillesse ne me porte point à l'humeur avare, et je trouve au contraire qu'elle m'affranchit" de souci, et me fait négliger de tout mon coeur et de toute mon âme toute chicheté, prévoyance mondaine, et défiance d'avoir besoin ; et plus je vais avant, plus je trouve le monde haïssable, et les prétentions des mondains vaines, et ce qui est encore pis, plus injustes.

Je ne puis rien dire de mon âme sinon qu'elle sent de plus en plus le désir très-ardent de n'estimer rien que la dilection de notre Seigneur crucifié; et que je me sens-tellement invincible aux événements de ce monde, que rien ne me touche presque. O ma mère ! Dieu comble de bénédictions votre coeur, que je chéris comme mon coeur propre. Je suis sans fin vôtre, en celui qui sera par sa miséricorde, s'il lui plaît, et sans fin tout nôtre.

(Non confundar in aeternum.


LETTRE CCCCXLIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Haute estime du Saint pour les maximes de l'Évangile et de la doctrine de la croix. La prudence humaine est une chimère.

Avant le 6 mars 1620.

Que vous dirai-je ? Rien autre, ma très-chère mère, sinon qu'il me semble que mon âme est un peu plus solidement établie en l'espérance qu'elle a eue de pouvoir un jour jouir des fruits de la mort et résurrection de notre Seigneur; lequel, comme il m'est avis, parmi les jours de la semaine sainte, et jusqu'à présent, non-seulement m'a fait voir plus clairement, mais avec une certitude et consolation intellective, et toute en la pointe de l'esprit, les sacres axiomes et les maximes évangéliques plus clairement et suavement, dis-je, que jamais : et je ne puis assez admirer comme ayant toujours eu une si grande estime de ces maximes et de la doctrine de la croix, j'ai si peu pris soin pour les pratiquer.

O ma très-chère mère! si je revenais au monde avec mes sentiments présents, je ne crois pas que toute la prudence de la chair et des enfants de ce siècle me pût ébranler en la certitude que j'ai que cette prudence est une vraie chimère et une véritable niaiserie.

Or sus, j'ai dit ces quatre mots pour obéir à votre coeur', que je chéris incomparablement et comme le mien propre. Je vous écrirai une autre fois d'autres choses.

La coadjutorerie s'en va être tout arrêtée et accomplie avec tant de faveur, que rien plus, et ne se peut croire combien mon frère témoigne d'esprit et de vertu auprès de Madame et de ses grands princes ; de sorte que je commence d'être connu et aimé, parce que je suis son frère.

La petite soeur est allée conduire sa fille à Vanchy : madame de la Flechère est toujours bonne fort solidement, et toujours accablée d'affaires et de mauvaise santé. Ce bon père vous dira tout le resté. Ma très-chère mère, Dieu soit au milieu de votre coeur. Amen.




LETTRE CGCCXLV, A SON ALTESSE LE DUC DE SAVOIE, VICTOR AMEDEE.

1632
Le Saint le remercie d'avoir nommé son frère Jean-François de Sales, pour son coadjuteur et successeur dans l'évêché.

Annecy, le 6 mars 1620.

Monseigneur, les faveurs les moins méritées sont à la vérité les moins honorables, mais elles sont aussi les plus obligeantes ; et quand elles viennent d'un haut lieu et d'une maison souveraine, elles sont estimées parfaites, et ôtent à ceux qui les reçoivent le pouvoir d'en faire de dignes actions de grâces.

Pour cela, monseigneur, je ne destine pas ces lignes au très-humble remerciement que je devrais faire à votre altesse pour la grâce qu'il lui a plu d'exercer envers mon frère et moi, le nommant à ma succession en cet évêché ; mais je lui en fais seulement très-humblement la révérence, pour témoignage qu'en cette nouvelle obligation je renouvelle et confirme l'hommage et la fidèle obéissance que je dois à la bonté de votre altesse.

La suppliant en toute humilité de continuer, comme elle a commencé, de me protéger toujours avec mes frères, sous la douceur de sa débonnaireté, puisque nous ne respirons jamais si chèrement et cordialement autre chose quelconque de ce monde, que l'immuable devoir par lequel nous sommes si heureux que d'être et vivre en la sujétion de votre altesse, à laquelle souhaitant incessamment le comble de toute sainte prospérité, je suis, monseigneur, très-humble, très-fidèle, etc.



LETTRE CÇCCXLTL, S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME LA PRINCESSE DE PIÉMONT.

1635
Le Saint la remercie par cette lettre d'avoir contribué à la nomination de son frère à la coadjutorerie de Genève.

Annecy, le 20 mars 1620. (éd d'Annecy: 6 mars 1620)

Madame, si vous mesurez vos faveurs à ce que Dieu-a voulu que vous fussiez, il n'y en aura jamais de trop grandes : mais si elles sont balancées avec le mérite de ceux qui les reçoivent, celle dont il vous a plu gratifier mon frère et moi, en la nomination faite par son altesse, sera sans doute des plus excessives ; et faudra avouer, madame, qu'elle n'a nul fondement qu'en la grandeur de votre bonté ; sinon que parmi plusieurs grâces de Dieu vous avez encore celle-là de connaitre les coeurs, et que dedans les nôtres votre altesse ait regardé l'incomparable passion que Dieu même y a mise, pour nous rendre um> uiment dédiés à votre service, et nous faire résigner à jamais, à l'obéissance de vos commandements : car, en ce cas, madame, s'il vous a semblé bon de mettre en considération notre très-humble soumission, votre altesse aura bien eu quelque sujet de nous départir ce bienfait, duquel je lui rends très-humbles grâces; et lui en faisant révérence avec un extrême respect, je prie la divine majesté qu'elle comble la royale personne de votre altesse de l'abondance de ses bénédictions, qui suis, madame, votre très-humble, etc.



LETTRE CCCCXLVII, A M. MONTENET CUREUR FISCAL A SALINS.

1636
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Salins. )

Marques d'amitié et de considération particulière.

Annecy, 21 mars 1620.

Monsieur, cette bonne soeur Jeanne m'a souvent dit que vous conserviez toujours quelque souvenance de moi, continuant à me faire ainsi que vous me promîtes la dernière fois que j'eus le bien de vous voir. Et j'ai un si grand plaisir de savoir cela, que je n'ai pas voulu laisser partir cette soeur Jeanne sans lui donner ce billet, par lequel je vous remercie de tout mon coeur, et vous assure que réciproquement je vous honore passionnément, et voudrais bien être si heureux que de vous rendre quelque service. Mais cependant je vous souhaite toute sainte bénédiction, et à mademoiselle Montenet votre femme, que je salue cordialement ; et suis, monsieur, votre très-humble, etc.



LETTRE CCCCXLVIII, A LA MÈRE FAVRE.

1639

(Tirée du monastère de la "Visitation de la ville de Rouen.)

Embarras du saint évêque pour trouver des sujets propres à former les nouveaux établissements de l'ordre de la Visitation.


27 mars 1620.

Ma très-chère fille, ce garçon est venu en un temps auquel je n'ai pour tout su le dépêcher que ce matin 27 du mois, accablé je vous assure d'affaires si pressantes, que je n'ai pu m'en échapper. Je vous supplie de donner sûre adresse aux lettres de Paris, et de recommander à notre soeur de Moulins celle de Bourges qui importe à la supérieure de ce lieu-là. Quant à Clermont, je trouve votre réponse toute bonne, puisque vous avez des filles pour fournir cette maison-là. Mais y aurait-il encore outre cela une fille pour être supérieure ou maîtresse des novices ? car je vois que de toutes parts on demande des maisons : et voilà que celle de Turin se va dresser, où il en faudra bien, tant pour la qualité du pays que pour satisfaire à madame. Or, Dieu fera des filles, quand il les devrait tirer des pierres (Cf.
Mt 3,9), et donnera l'esprit de gouvernement à mesure qu'il voudra multiplier les maisons. Ma très-chère fille, je suis uniquement vôtre. J'ai grand désir de savoir ce que monseigneur l'archevêque fera pour l'exécution du bref apostolique ; et espère que l'humilité et douceur ne vous manqueront pas en toutes occurrences. Je salue chèrement nos soeurs, et très-uniquement votre coeur, ma très-chère fille. Amen.


LETTRE CCCCXLIX, A MADAME LA DUCHESSE DE NEMOURS, ANNE DE LORRAINE.

1646
(Communiquée par M. l'abbé Simon, vicaire de S. Landoy, en la cité.)

Il la prie de s'intéresser auprès de M. le duc son époux, pour faire expédier des dépêches pour la continuation des bienfaits de sa grandeur à la veuve et au fils de feu M. Charmoisy, et pour deux autres grâces en faveur de deux de ses enfants.


Annecy, 11 avril 1620.

Madame, je pense que votre grandeur aura bonne souvenance que donnant avis à Monsieur de là mort du feu sieur Charmoisy, je le suppliai très-humblement de continuer sa grâce et ses bienfaits à la veuve et au fils du défunt; ce que sa grandeur m'accorda avec une très-grande démonstration de sa volonté et inclination à cela, et votre grandeur, madame, ajouta sa toute-puissante faveur à ma recommandation. Maintenant donc, renouvelant ma supplication, je recours derechef à cette même gratification qu'il plut à votre grandeur de témoigner, afin qu'il lui plaise d'en commander les dépêches, comme aussi ceux de deux autres grâces que je demandai à Monsieur pour deux autres de mes amis ; puisque, si je ne me trompe, l'une est de justice pour réparation d'un tort fait à un gentilhomme nourri et envieilli au service de Monsieur ; et l'autre est de piété pour l'assoupissement d’un procès que les gens de sa grandeur ont avec deux filles pupilles ; et je me garderai fort bien de jamais rien demander, ni même désirer de votre bonté, madame, ni de celle de Monsieur, qui ne soit selon les lois de l'honneur et bonheur que j'ai d'être de votre grandeur, madame, le très-humble, etc.



LETTRE CCCCL.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE DE BLONAY, SUPÉRIEURE A LYON.

(Tirée de la vie de la mère de Blonay, par Ch.-Aug. de Sales.)

Le Saint rappelle à son souvenir les premières années de la mère de Blonay, et se plaît à s'en entretenir aussi bien que du temps de sa mission.



Mai 1620.

Je vous peux bien appeler ma très-chère fille, car vous m'avez été chère en vérité, je le puis dire ainsi, dès le ventre de votre mère, ou au moins dès la mamelle, où je vous ai cent fois bénite, et souhaité la couronne et le loyer des vierges épouses de Jésus-Christ; en ce temps bienheureux, ma chère fille ; où avant d'être pasteur en chef j'avais la grâce de courir chercher les brebis de mon maître, et que j'étais si courtoisement et si amiablement accueilli chez vous (1). Ma vraie fille, il me fait, je vous assure, grand bien de m'entretenir avec vous de ces premières années de mon premier service à la très-sainte Église. Cela m'anime en la ferveur, et me fait doucement souvenir combien il y a longtemps que vous êtes ma fille.

(I) Le château de Blonay est sur les bords du lac de Genève, au fond du Chablais, théâtre des premières missions de S. François de Sales.


LETTRE CCCGLI, A MADAME DE CHANTAL, A PARIS.

1655

Humilité et désintéressement du Saint.


14 mai 1620.

Or sus, ma mère, je suis dans votre parloir, où il m'a fallu venir pour écrire ces quatre ou cinq lettres que je vous envoie. Il faut donc que je vous dise que je ne puis avoir opinion que rien se fasse de ce côté là, que vous savez, si Dieu ne le veut de sa volonté absolue ; car premièrement, ce fut ce que d'abord je dis à monsieur le cardinal, que si je quittais m'a femme, ce serait pour n'en avoir plus. Je vais doucement, quoique avec grand travail, supportant les charges de la mienne, avec laquelle je suis envieilli : mais avec une toute nouvelle à moi, que ferais-je ? La seule gloire de Dieu, manifestée par mon supérieur le pape, me peut ôter de cette démarche.

2. Voilà mon frère évêque : cela ne m'enrichit pas, il est vrai ; mais cela m'allège et me donne quelque espérance de me pouvoir retirer de la presse. Cela vaut mieux qu'un chapeau de cardinal.

3. Mais vos neveux seront pauvres ? Ma mère, je considère qu'ils ne le sont pas déjà tant, comme ils étaient quand ils naquirent : car ils naquirent nus ; et puis deux ou trois mille écus, ni quatre même, ne me donneraient pas de quoi les secourir sans diminution de la réputation d'une prélature en laquelle il faut tant d'aumônes, d'oeuvres pies, et de frais justes et requis.

4. Voilà son altesse qui me mande avertir que de toute nécessité il veut que j'accompagne monseigneur le cardinal son fils à Rome : et en effet, il sera à propos, pour le service même de l'Église, que je fasse ce voyage ; bien qu'en toute vérité, ma mère, il ne soit nullement selon mon inclination ; car en somme, c'est toujours aller, et j'aime à demeurer ; et c'est toujours aller à la cour, et j'aime la simplicité. Mais il n'y a remède; puisqu'il le faut, je le ferai, et de bon coeur, et tandis les pensées de ce grand prélat de delà auront le loisir de se dissiper. En somme, je ne ferai rien pour ce parti-là que je ne sois grandement assuré que Dieu le veuille. N'en parlons donc plus que selon les occurrences, ma mère.

Je suis à jamais sans réserve et sans comparaison, c'est-à-dire au-dessus de toute comparaison, vôtre, et certes, comme vous savez très-bien vous-même, je suis vôtre très-parfaitement.



LETTRE CCCCLII, A LA MÈRE FAVRE, SUPÉRIEURE DE LA CONGRÉGATION DE LA VISITATION A LYON.

1657
(Tirée du monastère de la Visitation du faubourg Saint-Jacques.)

Le Saint déclare, d'après le concile de Trente, que est le temps déterminé pour le noviciat des religieux et religieuses ; que les supérieurs peuvent néanmoins le prolonger, mais pour de bonnes rai sons, et non par caprice.



Annecy, 14 mai 1620.

1. Croyez-moi, ma très-chère fille, ne faites point la discrète avec moi pour ne m'oser pas écrire tous les jours quand vous voudrez ; car jamais je ne verrai de vos lettres qu'avec très-grande consolation pour moi. Or, je réponds à la vôtre dernière.

Je trouverai fort bon que vous veniez un pei à l'avantage ici, pour plusieurs raisons, et qui vous passiez à Grenoble, puisque môme ains faisant vous gagnerez le passage de Chàmbéri quand vous irez à Turin; d'autant qu'y ayant été en venant, et vu monsieur votre père, vous n'aurez pas sujet de vous détourner pour y repasser ; ains irez le droit chemin et avancerez d'une journée. Mais de vous dire bien précisément quand vous irez à Turin, je ne le puis encore ; mon frère m'écrivait dernièrement que ce serait environ la fin de juin ou le commencement de juillet.

2. Le concile de Trente préfige absolument une année de noviciat ; en sorte que nul ne peut en établir deux, ni même un seul mois davantage, sans spécial privilège du pape, bien qu'es cas particuliers les supérieurs, ains la supérieure et les soeurs, peuvent différer la profession quand il y a cause légitime, comme quand avec un peu de loisir la novice pourra se rendre plus capable, ainsi qu'il est dit es constitutions ; mais cette vérité il la faut doucement ménager, et ne point l'alléguer par manière de résistance, mais plutôt la lui faire dire par quelque homme qui la sache dire avec dextérité.

Si d'Auvergne (1) on poursuivait pour vous avoir un mois au commencement de la fondation, je pense que cela serait bon et à propos pour la consolation des soeurs qui iront.

3. Cependant, ma très-chère fille, me voyez bien marri d'être réduit à l'impossible pour aller prêcher à Lyon, son altesse voulant très-absolument que j'accompagne monseigneur le prince cardinal à Rome, qui fera le voyage cet automne. En ce regret néanmoins j'ai ce contentement de devoir servir un si bon prince, de pouvoir servir votre petite congrégation, et de vous voir allant et revenant.

Je salue votre âme de tout mon coeur, ma très-chère et très-aimable fille, et lui souhaite incessamment les saintes bénédictions du Ciel ; et à ma soeur toute chère Marie-Aimée (de Blonay), Anne F. F. Hiéronyme, et toutes nos soeurs, que je chéris très-parfaitement et la malade, et tout à part notre M. Brin.

(I) On parlait alors de la fondation du monastère de la Visitation de Sainte-Marie, à Montfeirand en Auvergne.




LETTRE CCCCLIII, A LA MERE ANGÉLIQUE ARNAULD, ABBESSE DE PORT-ROYAL.

1656
Les supérieurs doivent avoir une grande charité et une grande condescendance pour les âmes imparfaites qui ont bonne volonté, et dont le mal vient d'une trop grande vivacité ; moyens de les tempérer et de les encourager.



Annecy, 14 mai 1620.

1. Pour tout ce que vous m'écrivez en trois de vos lettres, ma très-chère fille, je ne laisse pas d'avoir une très-parfaite confiance que la fille que je vous ai tant recommandée, et qu'en vérité j'aime comme mon âme propre, réussisse une grande servante de Dieu ; car elle ne fait point de faute à dessein, ni pour aucune volonté qu'elle ait de nourrir ses inclinations revêches, vaines et un peu mutines.

Or, cela étant, il n'y a rien à craindre; sa promptitude naturelle est la cause de tout son mal; car elle anime sa vivacité, et sa vivacité anime sa promptitude. Partant vous lui direz de ma part que son soin principal soit à tenir son esprit dans la modestie, douceur et tranquillité, et que pour cela même elle alentisse toutes ses actions extérieures, son port, son pas, sa contenance, ses mains; et s'il lui plaît encore, un peu sa langue et son langage, et qu'elle ne trouve point étrange si cela ne se fait point en un instant : pour mettre un jeune cheval au pas ; et l'assurer sous la sellé et la bride, on emploie des années entières.

2. Mais voyez-vous, ma très-chère fille, vous lui êtes un peu trop sévère à la pauvre fille ; il ne lui faut point tant faire de reproches, puisqu'elle est fille de bons désirs : dites-lui que, pour toute broncharde qu'elle pourrait être, jamais elle ne s'étonne, ni ne se dépite contre soi-même ; qu'elle regarde plutôt Notre Seigneur qui du haut du ciel la regarde, comme un père fait son enftnt, qui encore tout foible a peine d'assurer ses pas, et lui dit : Tout bellement, mon enfant; et s'il tombe l'encourage, disant : Il a sauté ; il est bien sage ; ne pleurez point ; puis s'approche et lui tend la main. Si cette fille est un enfant en humilité, et qu'elle sache tien qu'elle est enfant, elle ne s'étonnera point d'être tombée ; car elle ne tombera pas aussi d'en haut.

3. O Dieu, ma très-chère fille, si vous saviez combien mon coeur aime cette fille, et de quels yeux je la regarde dès ici à tous moments, vous auriez un grand soin d'elle, encore pour l'amour do moi, outre ce que vous lui êtes ; car vous m'aimez d'un amour qui est assez fort pour vous faire aimer tout ce que j'aime.

Quand le grand apôtre recommande à Philémon le pauvre garçon Onésime, et lui dit mille paroles si douces qu'elles ravissent d'amour : Si tu m’aimes, dit-il, si tu m'as reçu dans ton coeur, recois aussi mes entrailles (
Phm 1,10-20), appelant ainsi le pauvre cher Onésime, qui avait fait un mauvais trait à Philémon, pour lequel Philémon était courroucé. O ma chère Philémone, ma fille, veux-je dire, si vous m'aimez, si vous m'avez reçu dedans votre coeur, recevez-y aussi ma chère fille Onésime, et la supportez, c'est-à-dire, recevez mes entrailles ; car cette fille est en vérité cela pour notre Seigneur : et si quelquefois elle vous donne la peine, supportez-la suavement à ma considération ; mais surtout à la considération de celui qui l'a tant aimée, que pour l'aller prendre dans son néant, où elle était, il s'est abaissé jusques à la mort, et la mort de la croix (Ph 2,8).

Et quant à vous, ma très-chère fille, comme n'aimerez-vous pas Dieu, qui vous aime tant ? Quel témoignage de son amour, ma fille, en cet heureux trépas de ce bon père, auquel vous avez tant souhaité une telle fin ! Certes, j'en suis ravi. Mille bénédictions sur votre coeur, ma chère fille, et sur toutes nos chères soeurs, et sur tout ce qui est à vous, en vous et pour vous : et j'y aurai donc ma bonne part, puisque je suis infiniment à vous en Jésus-Christ, et pour Jésus-Christ.



LETTRE CCCCLIV. A LA MÈRE SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DE LA VISITATION, A GRENOBLE.

1658
Les Religieuses de la Visitation peuvent recevoir chez elles de petites filles : a quelles conditions. Rang et fonctions de leurs associées, etc. Du grand office et du petit. Il n'y a pas de bien sans charge en ce monde.



Annecy, 16 mai 1620.

Ma très-chère fille,

1. la fille de laquelle vous m'écrivez étant de telle conséquence, pourvu qu'elle eût environ douze ans, pourra être fort bien reçue. Il est vrai que ces jeunes gens donnent de la peine ; mais que fera-t-on là ? Je ne trouve point de bien sans charge en ce monde.

Il faut tellement admettre nos volontés, que, ou elles ne prétendent point de commodité, ou, si elles en prétendent et désirent, elles s'accommodent aussi doucement aux incommodités, qui sont indubitablement attachées aux commodités. Nous n'avons point de vin sans lie en ce monde. Il faut donc balancer : est-il mieux qu'en notre jardin il y ait des épines pour y avoir des roses, ou de n'avoir point de roses pour n'avoir point d'épines? Si cette fille apporte plus de bien que de mal, il sera bon de la recevoir ; si elle apporte plus de mal que de bien, il ne la faut pas recevoir.

Et à propos de petites filles, la soeur N. (Jeanne Marie, fille de madame la concierge), qui a été reçue si jeune, est malade d'une maladie douloureuse, et, comme dit M. N. (Grandis) (1), mortelle ; car elle est pulmonique. Je la fus voir l'autre jour avec une incroyable consolation de voir une si douce indifférence à la mort et à la vie, une patience si suave, et un visage riant parmi une fièvre ardente, et beaucoup de peines, ne demandant pour toute consolation que de pouvoir faire la profession avant que de mourir.

2. Or, si vous recevez celle que vous dites, il est vrai qu'il ne la faut pas lier aux exercices; car cela la pourrait rebuter en cette si tendre jeunesse, qui ne peut encore savourer ce que c'est de l'esprit pour l'ordinaire.

Pour l'habit, il ne le lui faut pas; je ne pense pas qu'il le lui faille donner avant l'âge, mais oui bien lui en procurer un fort simple, et une petite écharpe qu'elle tienne sur sa tête ; en sorte qu'elle ressemble en quelque sorte à une religieuse, et sera bon qu'il soit ou noir ou tanne (2), sans ornement, comme j'ai vu à Saint-Paul de Milan, où il y avait environ cent cinquante religieuses, et vingt ou vingt-cinq novices, et bien autant de prétendantes, qui y étaient en pension et attente ; et celles-ci étaient toutes vêtues d'une même couleur bleue, et des voiles de même, et tout leur appareil égal. J'en dis de même pour la petite Lambert ; et ce sera comme une petite préparation à l'habit, lequel es filles bien disposées on peut bien donner quelques mois avant le temps, mais non pas la qualité de novices, comme on a fait à la soeur Jeanne-Marie : et toutefois il me semble qu'il ne le faille pas faire, sinon pour des occasions pressantes. Un petit habit tanné ou blanc, ou de la couleur que vous jugerez plus propre : avec un peu de forme approchant de celle de la religion, qui montrerait qu'elles sont en prétention et attendant l'âge, les pourrait contenter.

3. Que les filles aillent à Lyon, ou ailleurs, il n'importe nullement; et ne vous en mettez point en peine. Quand vous serez en notre monastère (1), ses commodités feront leur attraction comme les autres, et les filles y viendront comme les colombes aux colombiers qui sont blancs. Cependant, ma très-chère fille, qui ne cherche que la gloire de Dieu la trouve dans la pauvreté comme dans les commodités. Ces bonnes filles n'aiment pas la pauvreté nécessiteuse, et nous, certes, n'en sommes pas non plus ravis d'amour. Laissez donc doucement et paisiblement aller à Lyon qui voudra ; Dieu vous garde mieux que SSUt cela.

4. Vous m'excuserez, ma très-chère fille, j'espère que Dieu nous assistera, afin que le grand office ne soit jamais introduit en cette congrégation, et le pape même (2) en donna quelque instruction ; et nonobstant cela (5), il est bon qu'il y ait des soeurs associées pour faire la charité à tout plein de personnes qui ne sauraient dire l'office, ou pour avoir la vue trop faible et basse, ou pour avoir manquement d'estomac (4), ou pour quelque autre infirmité;

C'est pourquoi l'on n'a pas marqué les exercices qu'il leur faut donner en lieu de l'office au choeur ; car selon leur infirmité il les faut pourvoir. Si elles ont faute de vue, on leur peut donner des chapelets : si c'est infirmité d'estomac et non de vue, elles pourront dire les Heures ; et la supérieure pourra disposer d'elles à quelque office non incompatible avec leur infirmité. Depuis peu j'ai lu la première constitution, où il est assez clairement dit que les soeurs associées, comme les domestiques, diront des Pater et Ave en lieu de l'office ; c'est en la page 118 et 119. C'est pourquoi il ne sera nul besoin qu'elles disent les Heures : ains suffira qu'elles fassent ce qui est porté en l'article de cette constitution : et qu'au reste la supérieure les emploie selon qu'elle verra qu'elles pourront faire.

5. Il sera bon que notre mère de Lyon (5) passe à Grenoble pour vous voir; vous en recevrez de la consolation toutes deux : et ne vous mettez nullement en peine de cette petite touche que votre coeur en ressent ; car cela n'est rien, et sert beaucoup pour nous faire humilier doucement, pour nous faire voir la misère de notre nature, et pour -nous faire désirer parfaitement de vivre selon la grâce, selon l'Évangile, selon l'esprit de notre Seigneur. Parlez-moi toujours hardiment ; car je proteste devant Dieu et ses saints que je suis vôtre, ma très-chère et véritablement bien-aimée fille.

Je salue nos soeurs tendrement, et ces bonnes dames.


(I ) Ce M. Grandis est un médecin.
(2) Brun.
(1) Les religieuses de la Visitation de Grenoble habitaient alors une maison qui ne leur appartenait point, en attendant qu'elles eussent un monastère.
(2) C'est-à-dire, le pape a marqué son intention là-dessus.
(3) C'est-à-dire, et nonobstant que vous disiez le petit office seulement, il est bon qu'il y ait des soeurs associées, etc.
(4) Qui les empêche de chanter au choeur.
(5) C'est la mère Favre qui allait être supérieure à Montferrand, ville de la basse Auvergne, et laisser à sa place la mère de Blonay, supérieure.




F. de Sales, Lettres 1615