F. de Sales, Lettres 1396

LETTRE CCCLV, AU ROI LOUIS XIII.

1396
Réplique aux propositions que le père provincial des carmes de la province de Narbonne avait faites au roi Louis XIII pour l'établissement d'un couvent de son ordre à Gex. Il marque à sa majesté les conditions avec lesquelles cela peut se faire ; puis, entrant dans la pensée du roi, il propose l'établissement de quelques communautés religieuses et autres, et les moyens pour y réussir.

Annecy, 21 janvier 1618.

Sire,

1. pour obéir au commandement que votre majesté me fait par sa lettre du dernier jour d'août 1617, que je n'ai reçue sinon quatre mois après, je dirai ce qu'il me semble sur la proposition que le père provincial des carmes de la province de Narbonne lui a faite, pour le rétablissement du couvent que ceux de son ordre avaient jadis à Gex ; et attendu qu'il y a quelques restes des édifices et des biens dudit couvent, je crois bien, sire, qu'il serait bon qu'ils fussent remis en l'ordre duquel ils dépendent, à la charge que le service y fût fait selon la proportion du revenu qui en proviendrait.

Et parce que maintenant il n'y a pas suffisamment pour entretenir une seule personne, s'il plaisait à votre majesté leur ordonner les cent cinquante livres sur les tailles, que ledit père provincial lui a demandées en aumône, il pourrait par ce moyen y colloquer quelque habile et discret religieux, qui, par les voies ordinaires de la justice et des lois publiques, retirerait petit à petit les pièces égarées dudit couvent, sans que pour cela aucun ait à se plaindre, ni que personne en fût grandement incommodé.

2. Mais quant aux trois cents livres que ledit père provincial demandait sur les autres revenus ecclésiastiques, remis entre mes mains pour le rétablissement de l'exercice catholique es églises du bailliage du lieu, je ne vois pas que cela lui doive ni puisse être accordé, vu que tout est remis pour être employé aux services et offices divins, et à l'entretien et réparation des édifices sacrés, sans qu'on en puisse rien ôter, ainsi que j'ai clairement fait voir audit père provincial par les comptes de ceux qui, de la part de votre majesté, ont été établis et commis à la recette desdits revenus ; outre que, s'il y avait quelque chose de plus, il devrait plutôt être destiné à l'accommodement des pères capucins, qui depuis plusieurs années en çà résident audit lieu de Gex, et y travaillent avec beaucoup de zèle et d'incommodité.

Et quant à ce que votre majesté veut savoir, s'il ne serait point plus à propos d'introduire en la ville dudit Gex quelques compagnies de religieux réformés, je pense, sire, qu'il n'y a point de doute ; puisque les dévoyés ne sont pas moins attirés à la connaissance du bon chemin par les bons exemples que par les bonnes instructions ; mais le reste des biens du couvent des carmes, étant si petit, servirait de peu à cela, qui ne peut être fait que par le dessein exprès de votre majesté, et par l'union de quelque bénéfice riche, quand il viendrait à vaquer, ou par quelque autre libéralité royale.

3. Et lors, sire, si votre majesté me commandait de nommer quelque compagnie, que j’estimerais plus propre pour ce lieu-là, je nommerais celle des prêtres de l'oratoire, bons à toutes sortes de services spirituels, et qui plus aisément peuvent se mêler parmi les adversaires. Que si d'abondant votre majesté me commandait de lui marquer un autre moyen grandement utile à l'avancement de la foi catholique en ce bailliage de Gex, je dirais, sire, que ce serait d'y mettre des officiers catholiques ; et sans ce moyen ici, les autres n'opéreront que faiblement.

Je prie Dieu cependant qu'il comble de bénédiction votre majesté, votre couronne et votre royaume ; qui suis et serai à jamais, sire, votre, etc.



LETTRE CCCLYI, A (UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION) MERE FAVRE.

Les dames de la Visitation ne doivent pas recevoir des enfants avant qu'elles aient l'âge compétent ; leur institut n'est pas pour l'éducation des petites filles.


1398
Annecy, 24 janvier 1614 (fragment)

Ma très-chère fille,

(...) il faut demeurer coi en ce que Dieu dispose et ordonne : nous l'avons même fait ce jourd'hui ; à sept heures du matin, nous avons perdu pour cette vie le père dom Simplicien, et à trois heures le bon M. de Sainte-Catherine, deux grands serviteurs de Dieu, sans qu'il y ait presque aucun malade en cette ville. O providence céleste ! sans éplucher vos effets, je les adore et embrasse de tout mon coeur et acquiesce à tous les événements qui en succèdent par votre volonté. (...)



23 janvier 1618.

Ma très-chère fille, il faut tout-à-fait éviter de recevoir des filles avant l'âge ; car Dieu n'a pas élu votre institut pour l'éducation des petites filles, ains pour la perfection des femmes et filles qui, en âge de pouvoir discerner ce qu'elles font, y sont appelées ; et non-seulement l'expérience, mais la raison nous apprend que les filles si jeunes étant réduites sous là discipline d'un monastère, qui est ordinairement trop disproportionnée à leur enfance, la haïssent et prennent à contrecoeur; et si elles désirent par après de prendre l'habit, ce n'est pas le vrai et pur motif que requiert la sainteté de l'institut ; et ne s'ensuit pas que ce qui se fait pour cette fois, il le faille faire pour des autres, non plus qu'il ne s'ensuit pas qu'un homme s'étant chargé d'une juste charge pour un ami, il doit se surcharger d'une seconde charge pour un second ami ; et ceux qui seront amis de notre institut auront patience jusqu'à ce que leurs enfants soient d'âge convenable.

O ma très-chère fille, que les cogitations des hommes sont inégales ! que de gens crient, quand on reçoit leurs enfants grands, mûrs et rassis, et que de gens voudraient les donner dès le berceau!




LETTRE CCCLVJI.

S. FRANÇOIS. DE SALES, AU PRIEUR ET AUX CHANOINES RÉGULIERS DE L'ABBAYE DE SIX.

ORDRE DE SAINT-AUGUSTIN.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il leur donne ratification de la promesse qu'ils avaient faite, par acte capitulaire, de reprendre la première règle et forme de leur institut.

23 janvier 1618.

Il y a longtemps que nous avons désiré que tous les religieux de notre diocèse vinssent à reprendre la première règle et forme de leur institut; mais principalement nous avons désiré et tâché par exhortations que cela se fit es monastères qui ont été laissés à notre charge, sollicitude et juridiction ordinaire. C'est pourquoi nous avons non-seulement approuvé et ratifié, approuvons et ratifions cet acte des promesses des dévots chanoines de Saint-Augustin du monastère de Six, mais les louons et aimons de tout notre pouvoir dans les entrailles de Jésus-Christ; et, selon notre puissance et notre autorité ordinaire sur ce monastère et chanoines réguliers d'i-celui, mandons et commandons qu'il soit observé ; baillant notre bénédiction paternelle à tous ceux qui embrasseront cette pauvreté qui s'observe par tous ceux qui vivent en commun.


LETTRE CCCLVIII, A MADAME BOURGEOIS, ABBESSE DU PUITS-D'ORBE.

1400
(Tirée des instructions et pratiques de piété. Déd. à Mad. de Maintenon.)

Le Saint lui conseille de ne pas transporter sa communauté hors du diocèse de Langres; il lui désigne les lieux qui étaient propres à cette translation. Il désapprouve les affections de déférence, et la remise des pensions entre les mains des religieuses.


Annecy, 30 janvier 1018.

1. Dieu, qui a fait votre coeur pour son paradis, ma très-chère fille, lui fasse la grâce d'y bien aspirer ! Je vous écris sans loisir, comme je fais presque toujours, eu cette multiplicité d'affaires qui m'accablent.

Je vous ai déjà écrit qu'il ne fallait nullement penser à transplanter votre monastère à Lyon ; car à quel propos ôter une si noble fondation d'une province et d'un diocèse, pour le porter en un autre ? Ni le pape, ni l'évêque, ni le pays, ni le parlement, ne le permettront jamais. Demeurez donc ferme en la résolution de le transférer des champs à la ville, mais en une ville de la province et du diocèse ; s'il se pouvait, à Langres, ou à Châtillon, ou à Dijon ; et ici, il serait mieux : et ne faut point craindre que vos parents vous y fâchassent ; car y vivant en une bonne et sainte réformation, chacun vous y reverra avec un amour nonpareil ; et puis il ne faut pas tant regarder à votre personne particulière qu'au public et à la postérité. Mais si vous ne pouvez ranger votre esprit à cet avis, du moins que ce soit à Châtillon (1).

2. Je n'approuve nullement que vous sépariez vos filles, tenant les unes comme vos affectionnées et partisanes, et les autres comme distraites de l'affection qu'elles vous doivent, ni qu'on leur remette leurs pensions ou autres particularités. Il ne faut que votre courage à tout cela ; et croyez que si vous êtes bien résolue de vivre en charité avec elles, leur montrant un coeur de douce mère, qui a oublié tout ce qui s'est passé jusqu'à présent, vous les verrez toutes revenir à vous dans bien peu de mois.

3. Madame la première (2) vous écrira. Je vous prie, écrivez-lui en esprit de douceur et d'humilité; et, sans faire compte des choses passées, témoignez que vous êtes fille de notre Seigneur crucifié.

Et non-seulement à elle, mais écrivez aussi à M. le président (5) et à M. d'Origny (4) ; leur disant qu'après tant de tourments que vous avez soufferts, enfin notre Seigneur et votre vocation vous convient de les prier de vous assister au dessein qui a toujours été en votre âme, de réduire votre monastère à quelque perfection de la vie religieuse, et qu'es occasions vous les avertirez des moyens requis à cet effet, à ce qu'ils vous aident. Car enfin, ma très-chère fille, il faut avoir la paix, et la paix naît de l'humilité. De renvoyer ce point à eux,- il n'est pas raisonnable ; il faut que ce soit vous qui commenciez.

En somme, il faut amollir et briser ce coeur, ma très-chère fille, et convertir notre fierté en humilité et résignation.

Je salue nos soeurs, et particulièrement madame la prieure (5). Dieu par sa bonté vous comble de son Saint - Esprit, afin que vous viviez en lui et à lui.


(1) C'est à quoi l'abbesse s'est tenue ; car leur translation se fit en 1619 à Châtillon-sur-Seine.
(2) Madame Brulart, épouse de M. Brulart, premier président au parlement de Bourgogne, et soeur de l'abbesse.
(5) M. Bourgeois de Crépy, père de l'abbesse, président au parlement de Bourgogne.
(1) M. d'Origny, oncle de la même abbesse.
(5) C'est encore une soeur de l'abbesse.



LETTRE CCCLIX, A MADAME DE CHANTAL.

1397
Il lui apprend la mort de messire Philippe Goéx, surnommé M. de Sainte-Catherine, chanoine et grand pénitencier de l'Église de Genève, son confesseur et leur ami.


Annecy, 24 janvier 1618.

Ma très-chère mère, quand on m'a ôté d'auprès de vous, c'a été pour M. de Sainte-Catherine
120 ; mais je pensais que ce fût un accident comme l'autre fois, et voilà que c'a été pour lui faire saintement dire dix ou douze fois Vive Jésus ! et protester qu'il avait toute son espérance en la mort de notre Seigneur, qu'il a prononcé avec beaucoup de force et de vivacité, et puis s'en est allé où nous avons nos prétentions, sous les auspices du grand saint Paul.

Dieu, qui nous l’avait donné pour son service, nous l'a ôté pour sa gloire ; son saint nom soit béni (Jb 31,21). Demeurez cependant en paix avec mon coeur ail pied de la providence de ce Sauveur pour lequel nous vivons, et auquel, moyennant sa grâce, nous mourrons. Dieu réparera cette perte et nous suscitera des ouvriers, en lieu de ces deux 1008 qu'il lui a plu retirer de sa vigne pour les faire asseoir à sa table (Lc 22,30). Mais tenez votre coeur en paix, car il le faut ; et, comme dit l'Écriture, pleurez un peu sur les trépassés (Si 22,11), mais pourtant tenez Dieu en consolation, puisque notre espérance est vive. Amen.



LETTRE CCCLX, A SOEUR DE BLONAY, MAITRESSE DES NOVICES DE LA VISITATION DE LYON.

1406
Dieu nous regarde avec amour, pourvu que nous ayons bonne volonté, quand même nous serions de grands pécheurs. Le coeur de Jésus doit être l'objet de notre amour et de notre complaisance. Le vrai amour de Dieu ne consiste pas dans les consolations. Nos imperfections ne doivent ni nous plaire, ni nous étonner, ni nous décourager. Dieu aime l'homme imparfait, quoiqu'il n'aime pas ses imperfections.

Annecy, 18 février 1618.

1. Ce m'eût été une consolation sans paire, de vous voir toutes en passant
1388 ; mais Dieu ne l'ayant pas voulu, je m'arrête à cela ; et cependant, ma très-chère fille, très-volontiers je lis vos lettres et y réponds.

O Notre-Dame ! ma très-chère fille, si notre Seigneur pense en vous, et s'il vous regarde avec amour ? Oui, ma très-chère fille, il pense en vous ; et non-seulement en vous, mais au moindre cheveu de votre tête (Mt 10,30 Lc 21,18) : c'est un article de foi, et n'en faut nullement douter ; mais je sais bien aussi que vous n'en doutez pas, ains seulement vous exprimez ainsi l'aridité, sécheresse et insensibilité en laquelle la portion inférieure de votre âme se trouve maintenant. Vraiment Dieu est en ce lieu, et je n'en savais rien (Gn 28,16), disait Jacob ; c'est-à-dire, je ne m'en apercevais pas, je n'en avais nul sentiment, il ne me le semblait pas.,.J'ai parlé de ceci au livre de l’Amour de Dieu, traitant de la mort de la volonté, et des résignations ; je ne me souviens pas en quel livre (3).

2. Et que Dieu vous regarde avec amour, vous n'avez nul sujet d'en douter ; car il voit amoureusement les plus horribles pécheurs du monde, pour peu de vrai désir qu'ils aient de se convertir. Et dites-moi, ma très-chère fille, n'avez-vous pas intention d'être à Dieu? Ne voudriez-vous pas le servir fidèlement ? Et qui vous donne ce désir et cette intention, sinon lui-même en son regard amoureux ? D'examiner si votre coeur lui plaît, il ne le faut pas faire ; mais oui bien, si son coeur vous plaît: et si vous regardez son coeur, il sera impossible qu'il ne vous plaise; car c'est un coeur si doux, si suave, si condescendant, si amoureux des chétives créatures, pourvu qu'elles reconnussent leur misère ; si gracieux envers les misérables, si bon envers les pénitents ! et qui n'aimerait ce coeur royal paternellement maternel envers-nous?

3. Vous dites bien, ma très-chère fille, que ces tentations vous arrivent, parce que votre coeur est sans tendreté envers Dieu : car c'est la vérité que si vous aviez de la tendreté, vous auriez de la consolation ; et si vous aviez de la consolation, vous ne seriez plus en peine. Mais, ma fille, l'amour de Dieu ne consiste point en consolation ni en tendreté : autrement notre Seigneur n'eût pas aimé son père, lorsqu'il était triste jusqu'à la mort (Mt 26,58), et qu'il criait : Mon père, mon père, pourquoi m'as-tu abandonné (Mt 27,48) ? et c'était lors toutefois qu'il faisait le plus grand acte d'amour qu'il est possible d'imaginer.

4. En somme, nous voudrions toujours avoir un peu de consolation et de sucre sur nos viandes, c'est-à-dire avoir le sentiment de l'amour et la tendreté, et par conséquent la consolation ; et pareillement nous voudrions bien être sans imperfection ; mais, ma très-chère fille, il faut avoir patience d'être de la nature humaine, et non de l'angélique.

Nos imperfections ne nous doivent pas plaire ; ains nous devons dire avec le grand apôtre : Ompi misérable! qui me délivrera du corps de cette mort (Rm 7,24)? Mais elles ne nous doivent pas ni étonner, ni ôter le courage ; nous en devons voirement tirer la soumission, humilité et défiance de nous-mêmes ; mais non pas le découragement, ni l'affliction du coeur, ni beaucoup moins la défiance de l'amour de Dieu envers nous. Ainsi Dieu n'aime pas nos imperfections et péchés véniels, mais il nous aime bien nonobstant iceux. Ainsi, comme la faiblesse et infirmité de l'enfant déplaît à la mère, et pourtant non-seulement ne laisse pas pour cela de l'aimer, ains l'aime tendrement et avec compassion : de même, bien que Dieu n'aime pas nos imperfections et péchés véniels, il ne laisse pas de nous aimer tendrement; de sorte que David eut raison de dire à notre Seigneur : Ayez miséricorde, Seigneur, parce que je suis infirme (Ps 6,3).

5. Or sus, c'est assez, ma très-chère fille ; vivez joyeuse : notre Seigneur vous regarde, et vous regarde avec amour, et avec d'autant plus de tendreté que vous avez d'imbécillité. Ne permettez jamais à votre esprit de nourrir volontairement des pensées contraires ; et quand elles vous arriveront, ne les regardez point elles-mêmes ; tournez vos yeux de leur iniquité, et redétournez devers Dieu avec une courageuse humilité, pour lui parler de sa bonté ineffable, par laquelle il aime notre chétive, pauvre et abjecte nature humaine, nonobstant ses infirmités.

Priez pour mon âme, ma très-chère fille, et me recommandez à vos chères novices, lesquelles je connais toutes, fors ma soeur Colin.

Je suis entièrement vôtre en notre Seigneur, qui vive à tout jamais en nos coeurs !

(3) C'est au liv. IX, c. ni, xii, xiii, xiv, xv et xvi.


LETTRE CCCLXI, A MERE FAVRE, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE LYON.

1407
Le Saint console une supérieure de la Visitation, qui avait beaucoup de malades dans sa communauté, et l'encourage à la charité et à la patience. Exhortation aux souffrances. Quels sont les joyaux et les festins des épouses de Jésus-Christ crucifié.

Annecy, 19 février 1618.

1. Je vous vois, ma très-chère fille, toute malade et dolente sur les maladies et douleurs de vos filles. On ne peut être mère sans peine. Qui est celui qui est malade, dit l'apôtre, que je ne le sois avec lui (
2Co 11,29) ? Et nos anciens Pères ont dit là-dessus que les poules sont toujours affligées de travail tandis qu'elles conduisent leurs poussins, et que c'est cela qui les fait glousser continuellement, et que l'apôtre était comme cela.

Ma très-chère fille, qui êtes aussi ma grande fille, le même apôtre disait aussi que quand il était infirme, alors il était fort (2Co 12,10), la vertu de Dieu paraissant parfaite en l'infirmerie (2Co 12,9). Et vous donc, ma fille, soyez bien forte parmi les afflictions de votre maison. Ces maladies longues sont de bonnes écoles de charité pour ceux qui y assistent, et d'amoureuse patience pour ceux qui les ont, car les uns sont au pied de la croix avec Notre-Dame et S. Jean, dont ils imitent la compassion, et les autres sont sur la croix avec notre Seigneur, duquel ils imitent la passion.

2. Quant à la soeur de laquelle vous m'écrivez (4), Dieu vous fera prendre le conseil convenable. Cette douceur es souffrances est un pronostic de la future faveur abondante de notre Seigneur en cette âme, où qu'elle aille ou demeure.

Saluez, je vous supplie, ces deux filles tendrement de ma part, car je les aime ainsi.

Au demeurant, s'il est trouvé convenable de renvoyer cette novice, il le faudra faire avec la charité possible ; et Dieu réduira tout à sa gloire. Dieu garde et bénit les sorties (Ps 120,8) aussi bien que les entrées de celles qui font toutes choses pour lui, et qui n'occasionnent pas leurs sorties par leurs mauvais déportements. Sa providence fait vouloir le sacrifice qu'elle, empêche par après d'être fait, comme on voit en Abraham (cf. Gn 22,10-12). Et me semble que je dis je ne sais quoi de ceci au livre de l'Amour de Dieu (1), mais je ne me souviens pas où.

Dilatez cependant votre coeur, ma chère fille, mon âme, parmi les tribulations; agrandissez votre, courage, et voyez le grand Sauveur penché du haut du ciel vers vous, qui regarde comme vous marchez eu ces tourmentes, et par un filet de sa providence imperceptible, tient votre coeur, et le balance, en sorte qu'à jamais il le veut retenir à soi.

3. Ma très-chère fille, vous êtes épouse, non pas encore de Jésus-Christ glorifié, mais de Jésus-Christ crucifié : c'est pourquoi les bagues, les carcans et enseignes qu'il vous donne, et dont il vous veut parer, sont des croix, des clous et dés épines ; et le festin des noces est de fiel, d'hysope, de vinaigre (cf. Mt 27,34 Mt 27,48 Jn 19,29). Là-haut nous aurons les rubis, les diamants, les émeraudes (Ap 21,19-20), le moût, la manne et le miel (Ap 21,11 Ap 21,17). Je ne dis pas ceci, non, ma chère grande fille, vous tenant pour découragée, mais vous tenant pour adoulourée, et m'étant avis que je dois mêler mes soupirs avec les vôtres, comme je sens mon âme mêlée avec la vôtre, voyez-vous.

Ne me dites point que vous abusez de m'a bonté à m'écrire de grandes lettres ; car en vérité je les aime toujours suavement.

4. Ce bon père dit que je suis une fleur, un vase de fleurs, et un phénix ; mais en vérité, je ne suis qu'un puant homme, un corbeau, un fumier. Mais pourtant aimez-moi bien, ma très chère fille; car Dieu ne laisse pas de m'aimer, et de me donner des extraordinaires désirs de le servir et aimer purement et saintement. En somme, après tout, nous sommes trop heureux d'avoir prétention en l'éternité de la gloire par le mérite de la passion de notre Seigneur, qui fait trophée de notre misère, pour la couvrir en sa miséricorde, à laquelle soit honneur et gloire es siècles des siècles. Amen.

Je suis vôtre, ma très-chère fille, vous le savez bien, je dis vôtre d'une façon incomparable.

(4) Il paiolt que c'est la novice dont il est parlé plus bas. (1) Liv. IX, C. VI, de la pratique de l'indifférence amoureuse dans les choses du service de Dieu..




LETTRE CCCLXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Le Saint lui parle de ses prédications du carême à Grenoble. Il la félicite d'avoir choisi Jésus-Christ pour son époux, au lieu de celui qu'elle a perdu.

Mars 1618.

Ma chère fille, cette nuit parmi mes réveils j'ai eu mille bonnes pensées pour la prédication ; mais les forces m'ont manqué en l'enfantement. Dieu sait tout, et j'adresse tout à sa plus grande gloire ; et, adorant sa providence, je demeure en paix. Il n'y a remède : il faut que je fasse ce que je ne veux pas; et le bien que je veux, je ne le fais pas (Rm 8,19). Me voici au milieu des prédications et d'un grand peuple, et plus grand que je ne pensais pas ; mais si je n'y fais rien, ce me sera peu de consolation.

Croyez que cependant je pense à tous moments à vous et à votre âme, pour laquelle je jette incessamment mes souhaits devant Dieu et ses anges, afin que de plus en plus elle soit remplie de l'abondance de ses grâces. Ma très-chère fille, que j'ai d'ardeur, ce me semble, pour votre avancement au très-saint amour céleste, auquel, en célébrant ce matin, je vous ai derechef dédiée et offerte, m'étant avis que je vous élevais sur mes bras comme on fait les petits enfants, et les grands encore quand on est assez fort pour les lever. Voyez un peu quelles imaginations notre coeur fait sur les occurrences. Vraiment je lui en sais bon gré, d'employer ainsi toutes choses pour la suavité de son incomparable affection, en les rapportant aux choses saintes.

Je n'ai manqué de faire une spéciale mémoire du cher mari défunt. Ah ! que vous fîtes néanmoins un heureux échange en ce jour-là, embrassant l'état de cette parfaite résignation, auquel avec tant de consolation je vous ai trouvée ! et votre âme, prenant un époux de si haute condition, a bien raison d'avoir une extrême joie en la commémoration de l'heure de votre fiancement avec lui. Or sus, il est vrai, ma très-chère fille, notre unité est toute consacrée à la souveraine unité; et je sens toujours plus vivement la vérité de notre cordiale conjonction, qui me gardera bien de vous oublier jamais, qu'après et longtemps après que je me serai oublié de moi-môme, pour tant mieux m'attacher à la croix. Je dois à jamais tâcher de vous tenir hautement et constamment dans le siège que Dieu vous a donné en mon âme, qui est établi à la croix.

Au demeurant, allez de plus en plus, ma chère fille, établissant vos bons propos, vos saintes résolutions; approfondissez de plus en plus votre considération dans les plaies de notre Seigneur, où vous trouverez un abime de raisons qui vous confirmeront en votre généreuse entreprise, et vous feront sentir combien est vain et vil le coeur qui fait ailleurs sa demeure, et qui niche sur un autre arbre que sur celui de la croix. O mon Dieu ! que nous serons heureux, si nous vivons et mourons en ce saint tabernacle ! Non, rien, rien du monde n'est digne de notre amour : il le faut tout à ce Sauveur qui nous a tout donné le sien.

Vraiment j'ai eu de grands sentiments, ces jours passés, des infinies obligations que j'ai à Dieu ; et, avec mille douceurs, j'ai résolu derechef de le servir avec plus de fidélité qu'il me sera possible, et tenir mon âme plus continuellement en sa divine présence ; et avec tout cela, je me sens une certaine allégresse, non point impétueuse, mais ce me semble, efficace pour entreprendre ce mien amendement. N'en serez-vous pas bien aise, ma chère fille, si un jour vous me voyez bien fait au service de notre Seigneur ? Oui, ma chère fille ; car nos biens intérieurs sont inséparablement et invisiblement unis. Vous me souhaitez perpétuellement beaucoup- de grâces ; et moi, avec ardeur nonpareille, je prie Dieu qu'il vous rende très-absolument toute sienne.

Mon Dieu ! très-chère fille de mon âme, que je voudrais volontiers mourir pour l'amour de mon Sauveur ! Mais au moins, si je ne puis mourir pour cela, que je vive pour cela seul. O ma fille, je suis fort pressé : que vous puis-je plus dire, sinon que ce même Dieu vous bénisse de sa grande bénédiction ?

Adieu, ma chère fille : pressez fort ce cher crucifié sur votre poitrine. Je le supplie qu'il vous serre et unisse de plus en plus en lui. Adieu encore, ma très-chère fille; me voici bien avant dans la nuit, mais plus avant dans la consolation que j'ai de m'imaginer le doux Jésus assis sur votre coeur. Je le prie qu'il y demeure au grand jamais.



LETTRE CCGLXIII, A L'EPOUSE DU PRESIDENT LE BLANC DE MIONS

1420
Il blâme une de ses filles spirituelles qui, en parlant de lui, disait des choses outrées à son avantage ; il charge une dame de lui en faire une charitable réprimande.

Annecy, 22 avril 1618.

Ma très-chère fille de mon coeur, sachez que j'ai une fille, laquelle m'écrit que mon éloignement a fait approcher ses douleurs ; que si elle ne tenait ses yeux, ils verseraient autant de larmes que le ciel jette de gouttes d'eau, pour pleurer mon départ, et semblables belles paroles. Mais elle passe bien plus avant ; car elle dit que je ne suis pas homme, mais quelque divinité envoyée pour se faire aimer et admirer ; et, ce qui importe, elle dit qu'elle passerait bien plus outre, si elle: osait.

Que dites-vous, ma très-chère fille : vous semble-t-il qu'elle n'ait pas tort de parler ainsi ? Ne sont-ce pas des paroles excessives? Rien ne les peut excuser, que l'amour qu'elle me porte, lequel est certes tout saint, mais exprimé par des termes mondains.

Or, dites-lui, ma très-chère fille, qu'il ne faut jamais attribuer, ni en une façon ni en l'autre, la divinité aux chétives créatures ; et que penser encore de pouvoir passer plus outre en la louange, c'est une pensée déréglée ; ou au moins de le dire, ce sont des paroles désordonnées ; qu'il faut avoir plus de soin d'éviter la vanité es paroles qu'es cheveux et habits ; que désormais son langage soit simple, sans être frisé. Mais pourtant dites-le lui si doucement, aimablement et saintement, qu'elle trouve bonne cette réprimande, laquelle part du coeur plus que paternel que vous connaissez comme fille, certes, très-chère de mon coeur, mais fille en laquelle j'ai mis toute confiance. Dieu soit à jamais notre amour, ma très-chère fille, et vivez en lui et pour lui éternellement. Amen.




LETTRE CCCLXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN RELIGIEUX.

Pourquoi les religieuses de la Visitation disent plutôt le petit office que le grand, inconvénient du bréviaire pour les filles.

26 avril 1618.

Mon révérend père, quant à la demande que fait le bon seigneur duquel vous m'écrivez sur l'occupation des soeurs de la Visitation, en cas qu'elles ne disent le grand office, il y a deux raisons,

La première, que les soeurs disant le petit office gravement et avec pause, elles y emploient autant de temps comme la plupart des autres religieuses en mettent à dire le grand office, sans autre différence, sinon que les unes le disent avec plus d'édification et meilleure prononciation que les autres.

Certes, il y a huit jours qu'étant en un monastère près de cette ville, je vis des choses qui pouvaient bien faire rire les huguenots ; et des religieuses me dirent qu'elles n'avaient jamais moins, de dévotion qu'à l'office, où elles savaient de faire toujours beaucoup de fautes, tant faute de savoir les accents et quantités, que faute de savoir les rubriques., comme encore pour la précipitation avec laquelle elles étaient contraintes de le dire; et que, ne sachant ni n'entendant rien de tout ce qu'elles disaient, il leur était impossible, parmi tant d'incommodités, de demeurer en attention. Je ne veux pas dire pourtant qu'il les faille décharger, sinon quand le saint-siége, ayant compassion d'elles, le trouvera bon. Mais je veux bien dire pourtant qu'il n'y a nul inconvénient, ains beaucoup d'utilité à laisser le seul petit office en la Visitation. En somme, mon révérend père, ce petit office est la vie de la dévotion en la Visitation.

La deuxième réponse, c'est qu'en la Visitation il n'y a pas un seul moment qui ne soit employé très-utilement en prières, examen de conscience, lecture spirituelle, et autres exercices. Je m'assure que le Saint-Siège favorisera cette oeuvre, qui n'est ni contre les lois, ni contre l'état religieux, et qui lui acquiert beaucoup de maisons d'obéissance en un temps et en un royaume où il en a tant perdu ; et puisque même il n'y a pas tant de considérations à faire pour des maisons de filles, d'autant qu'elles ne sont de nulle conséquence pour les autres ordres, ni ne peuvent être occasion de plaintes aux fondées sous autres statuts. La seule considération de la plus grande gloire de Dieu me donne ce désir, et l'utilité de plusieurs âmes capables de servir beaucoup sa divine majesté en cette congrégation, avec la seule charge du petit office, incapables autant de pouvoir suivre le grand office. Sera-ce pas une chose digne du christianisme, qu'il y ait des lieux où retirer ces pauvres filles, qui ont le coeur fort, et les yeux et la complexion faibles ? Pour le reste, mon révérend père, travaillez diligemment à faire réussir l'entreprise de votre séminaire; car j'ai opinion qu'il sera meshui nécessaire.




LETTRE CCCLXV.

S: FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE DE BRÉCHARD, SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DE LA VISITATION DE MOULINS.

(Tirée du monastère de la Visitation de S.-Jacques.)

Il la console au sujet de quelques intérêts temporels ; il lui promet de la voir dans un voyage qu'il doit faire en France; il. lui donne des nouvelles de sa famille et de son pays.

Annecy, 2 mai 1618.

Ma très-chère mère, je ne puis m'empêcher d'être un peu en peine de votre tracas survenu si mal à propos ; mais il faut être constant et ferme auprès de la croix, et sur la croix même, s'il plaît à Dieu de nous y mettre. Bienheureux sont les crucifiés, car ils seront glorifiés. J'ai cuidé connaître que M. Colomb venait à double intention : hier il me demanda comme ma soeur avait disposé ; et je le lui dis franchement, et il témoigne de le trouver bon, hormis qu'il eût voulu que madame de Chantal eût eu les trois mille écus, ce dit-il.1 Je ne lui parlai point des mille écus de la légitime. Que s'il faut défendre au notaire de n'en rien montrer, je vous prie d'en prendre la peine ; -car je m'en vais dans demi-heure au collège.

Il me parla du mariage de M. de Forax en termes extrêmement extravagants, et me dit qu'il avait charge de vous en parler et à ma fille ; mais ces paroles procèdent d'un mauvais fondement : car ils croient que l'on vous ait fait la demande et à madame de Chantal, pour qu'on veuille mépriser le consentement du frère et de l'oncle.-Je dis que l'on n'avait fait aucune demande, ains quelques significations par-ci par-là, lesquelles ne requéraient point de réponse, laquelle aussi on n'avait point faite.

Soulagez-vous, ma très-chère mère, au mieux qu'il se pourra. Je vous irai voir sans faillir. Dieu soit à jamais au milieu de notre coeur. Amen.

Il faut toujours témoigner à ma très-chère grande fille que j'ai une continuelle mémoire d'elle, et un mot suffit pour cela.

Me voici de retour, ma très-chère fille, et parmi l'espérance de la paix, je nourris celle de vous voir en l'occasion du voyage de M. le prince cardinal, s'il est vrai qu'il se fasse, comme nos courtisans m'assurent.'Si moins, je ferai mon voyage à Saint Brocard ; et, allant ou revenant, je prendrai la consolation de voir cette grandement très-chère fille, que mon âme aime très-singulièrement, et avec elle ces autres chères filles qui l'environnent.

Cependant le bon père viendra ici faire les rogations avec nous, et madame la présidente et les frères, où nous ne serons pas sans parler de vous. De vous dire des nouvelles de Grenoble, ce serait chose superflue, car notre mère vous en fera part suffisante : de celles d'ici que vous dirais-je, sinon que tout y va très-bien?

Reste que vous continuiez aussi comme vous faites, que vous m'aimiez toujours cordialement, et que vous priiez Dieu pour mon coeur, afin qu'il vive tout à lui : le vôtre sait bien que je suis sien.




F. de Sales, Lettres 1396