F. de Sales, Lettres 2025

2025
Sur la fête de la Chandeleur. - Garnier, lettre 304

Vous me dites, ma très-chère fille, que ces attendrissements au grand et irrévocable adieu que nous avons dit au monde sont passés : c'est bien dit, ma fille; laissons-le là ce monde, pour rien qu'il vaille. Ah ! qu'à jamais cette Egypte avec ses aulx, ses oignons et ses chairs pourries nous soient à dégoût, pour savourer tant mieux la délicieuse manne que notre Sauveur nous donnera dans le désert où nous sommes entrés (cf.
Ex 16 Nb 11): et vive donc, et règne Jésus!

Vous désirez de ne mentir point, c'est un grand secret pour attirer l'esprit de Dieu en nos entrailles : Seigneur, qui habitera en vos tabernacles ? dit David. Celui, répond-il, qui parle, la vérité de tout son coeur (Ps 14,1-3). J'approuve bien le peu parler, pourvu que ce peu que vous parlerez se fasse gracieusement et charitablement, et non point mélancoliquement ni artificieusement. Oui, parlez peu et doux, peu et bon, peu et simple, peu et rond, peu et amiable.

Ma fille, il faut de temps en temps vous exercer à cette abnégation et nudité, et la demandera Dieu en tous vos exercices ; mais quand il vous arrivera quelque autre trait d'amour, d'union envers Dieu, et de confiance, il faut les bien exercer sans les troubler par l'abnégation, à laquelle vous laisserez sa place à la fin et en son lieu.

Que de douceur hier à considérer cette belle accouchée avec le petit poupon pendu à ses mamelles, qu'elle va présenter au temple, et avec cette paire de colombes, plus heureuses, ce me semble, que les plus grands princes du siècle, d'avoir été sacrifiées pour le Sauveur (cf. Lc 2,22-24)! Ah ! qui nous fera la grâce que nos coeurs le soient aussi un jour? Mais ce Siméon n'est-il pas bien glorieux d'embrasser cet enfant divin ? Oui ; mais je ne lui peux savoir gré du mauvais tour qu'il voulait faire ; car, étant hors de soi-même, il le voulait emporter avec soi en l'autre monde. Maintenant, dit-il, laissez aller votre serviteur en paix (Lc 2,28-29). Hélas ! ma chère fille, nous en avions encore besoin, nous autres. Embrassons-le, vivons et mourons en ces doux embrassements. Mettez ce-doux Jésus sur votre coeur, comme un Salomon sur son trône d'ivoire (1R 10,18); faites souvent aller votre âme auprès de lui, comme une reine de Saba (2Ch 9,17 2Ch 9,1-7), pour ouïr les sacrées paroles qu'il inspire et respire perpétuellement. Mais, voyez-vous, ce coeur doit être d'ivoire en pureté, en fermeté, en sécheresse, desséché des humeurs du monde, ferme en ses résolutions, pur éh ses affections.

Je ne vais pas, ma très-chère fille, là par où l'on vous avait dit, car je vis encore en obédience qui m'est imposée, non de la part de Dieu, mais du monde, permise néanmoins de sa divine providence ; c'est pourquoi j'y acquiesce. Vivez toute pour celui qui, pour être tout nôtre, s'est fait petit enfant. Je suis en lui tout vôtre.




LETTRE DCCXIV,

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Sur l'ascension de notre Seigneur. - Garnier, lettre 305

Je vous donne la joie de quoi notre Sauveur est monté au ciel, où il vit et règne, et veut qu'un jour nous vivions et régnions avec lui. O quel triomphe au ciel, et quelle douceur en la terre ! Que nos coeurs soient où est leur trésor (Mt 6,21) ; et que nous vivions au ciel, puisque notre vie est au ciel. Mon Dieu ! ma fille, que ce ciel est beau maintenant que le Sauveur y sert de soleil (Ap 21,25), et la poitrine d'icelui d'une source d'amour de laquelle les bienheureux boivent à souhait ! Chacun se va regarder là-dedans, et y voit son nom écrit d'un caractère d'amour, que le seul amour peut lire, et que le seul amour a gravé.

Ah Dieu ! ma chère fille, les nôtres n'y seront-ils pas ? Si seront sans doute ; car bien que notre coeur n'a pas l'amour, il a néanmoins le désir de l'amour et le commencement de l'amour; et le nom sacré de Jésus n'est-il pas écrit en nos coeurs? Il m'est avis que rien ne le saurait effacer. Il faut donc espérer que le nôtre sera écrit réciproquement en l'esprit de Dieu. Quel contentement, quand nous verrons ces divins caractères marques de notre bonheur éternel ! Pour moi, je n'ai rien su penser ce matin qu'en cette éternité de biens qui nous attend, mais en laquelle tout me semblerait peu ou rien, si ce n'était cet amour invariable et toujours actuel de ce grand Dieu qui y règne toujours.

Mon Dieu ! ma chère mère, que j'admire la contrariété qui est en moi d'avoir des, sentiments si purs et des actions si impures ! car vraiment il m'est avis que le paradis serait parmi toutes les peines d'enfer, si l'amour de Dieu y pouvait être; et si le feu d'enfer était un feu d'amour, il semble que ces tourments seraient désirables. Je yoyois ce matin tous les contentements célestes être un vrai rien auprès de ce régnant amour. Mais d'où m'arrive-t-il que je n'aime pas bien, puisque dès maintenant je puis bien aimer? O ma fille, prions, travaillons, humilions-nous, invoquons cet amour sur nous.

Jamais la terre ne vit le jour de l'éternité sur son rond jusqu'à cette sainte fête, que notre Seigneur, glorifiant son corps, donna, comme je pense, envie aux anges d'avoir de pareils corps, à la beauté desquels les cieux et le soleil ne sont pas comparables. Ah ! que nos corps sont heureux d'attendre un jour la participation à tantde gloire, pourvu qu'ils servent bien à l'esprit en cette vie mortelle !






LETTRE DCCXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Sur les fêtes de la Pentecôte et sur les dons du Saint-Esprit. - Garnier, lettre 306

Ote-toi d'ici autour, ô vent de bise ; et viens, ô vent du midi, et souffle dans mon jardin, et les parfums en sortiront abondamment (Ct 4,16). O ma très-chère fille, que je souhaite ce gracieux vent qui vient du midi de l'amour divin! ce Saint-Esr prit qui nous donne la grâce d'aspirer à lui, et de respirer pour lui ! Ah ! que je voudrais bien vous faire quelque don, ma chère fille ! mais outre que je suis si pauvre, il n'est pas convenable qu'au jour auquel le Saint-Esprit fait ses présents, nous nous amusions à vouloir faire les nôtres ; il ne faut entendre qu'à recevoir au jour de cette grande largesse.

Mon Dieu! que j'en ai voirement bien besoin, de l'esprit de force ! car je suis certes faible et infirme ; de quoi néanmoins je me glorifie, afin que la vertu de notre Seigneur habite en moi (). J'aime mieux être infirme que fort devant Dieu ; car les infirmes, il les prend entre ses bras, et les forts, il les mène par la main. La sapience éternelle soit à jamais dans notre coeur, afin que nous, savourions les trésors de l'infinie douceur de Jésus-Christ crucifié.

Dites à la grande fille, que, comme moi, elle se glorifie en la foiblesse qui est toute propre pour recevoir la force ; car à qui donner la force qu'aux faibles ?

Bonsoir, ma très-chère fille. Ce feu sacré qui change tout en soi veuille bien transmuer notre coeur, afin qu'il ne soit plus qu'amour, et qu'ainsi nous ne soyons plus aimants, mais amour ; non plus deux, mais un seul nous-même, puisque l'amour unit toutes choses en la souveraine unité. Adieu, ma chère fille; persévérons au désir de cette unité, de laquelle Dieu nous ayant fait jouir dès ici, autant que notre condition infirme le peut porter, il nous en fera plus parfaitement jouissance au ciel.;



LETTRE DCCXVI, A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION.

2020
Explication des deux principaux mystères de notre foi, la Trinité et l'incarnation, par une comparaison tirée de la nature humaine. - Garnier, lettre 307

Vers le 25 décembre

1. Ma chère fille, le premier, principal et fondamental article de foi, c'est de croire qu'il n'y a qu'un très-unique et très-vrai Dieu. Le second article principal, c'est que ce seul vrai Dieu est Père, Fijs, et Saint-Esprit, dont le Père est la première personne de la très-sainte Trinité, le Fils la seconde, et le Saint-Esprit la troisième : en sorte que les trois personnes ne sont pas plusieurs Dieux, ains un seul vrai Dieu, bien que l'une des personnes ne soit pas l'autre ; car le Père n'est pas le Fils, et Je Fils n'est pas le Saint-Esprit ; d'autant qu'encore que le Père ne soit pas un autre Dieu que le Fils et le Saint-Esprit, il est néanmoins une autre personne ; et de même le Fils n'est pas un autre Dieu que le Père et le Saint-Esprit, ains seulement une autre personne; et le Saint-Esprit n'est pas un autre Dieu que le Père et le fils, ains seulement une autre personne.

2. La difficulté consiste à bien entendre ceci et il se peut aucunement comprendre par cet exemple. Vous n'avez qu'une âme, ma chère fille ; et néanmoins cette âme est entendement, mémoire et volonté. Votre entendement n'est pas mémoire ; car il y a beaucoup de choses que vous entendez, desquelles vous ne vous ressouvenez pas quelque temps après : votre entendement et votre mémoire ne sont pas votre volonté ; car il y a beaucoup de choses que vous entendez et desquelles vous avez mémoire, lesquelles vous ne voulez pas, comme sont les péchés que vous détestez. Votre âme donc est une toute seule ; ses puissances sont trois, entendement', mémoire, volonté : et bien que l'une des puissances ne soit pas l'autre, si est-ce que toutes trois ne sont / qu'une seule âme ; l'entendement étant âme, la mémoire âme, la volonté âme, et non trois âmes, ains une âme ; et bien que ce ne soit qu'une âme, si est-ce que cette âme en tant qu'entendement n'est pas mémoire, en tant que mémoire n'est pas volonté.

Ainsi il n'y a qu'un seul Dieu en trois personnes, desquelles trois l'une n'est pas l'autre, et toutes trois ne sont qu'un seul Dieu : en sorte que le père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, et non trois Dieux, mais un seul Dieu ; parce que encore qu'il y ait trois personnes, toutes trois ensemble n'ont qu'une seule et unique divinité; comme encore qu'il y ait trois puissances en notre âme, toutes trois néanmoins ne sont qu'une seule âme.

3. Or Dieu, qui n'est qu'un en divinité ou nature divine, après avoir créé le monde, et longtemps après, c'est-à-dire environ cinq mille ans après la création, prit la nature humaine, joignant l'humanité à sa divinité au ventre de la Vierge, et par ce moyen il se rendit homme : car, comme ayant la divinité, il est Dieu, aussi ayant l'humanité il est homme. Mais il faut noter qu'encore que ce soit le seul unique vrai Dieu qui ait pris notre humanité, si est-ce qu'il ne l'a prise en m personne du Père, ni en la personne du Saint-Esprit, ains seulement en la personne du Fils.

Comme si je disais que votre âme a pris la connaissance d'écrire, je ne dirais pas pour cela que c'est votre volonté qui a pris cette connaissance ; car ce n'est pas la volonté qui connaît, c'est l'entendement : et néanmoins l'entendement et la volonté ne sont qu'une seule âme. De même je dis vrai quand-je dis que votre âme agit dedans votre coeur et dedans votre cerveau ; et néanmoins au coeur elle agit par la volonté et l'amour, et au cerveau elle agit par l'entendement et la connaissance. Et encore que ce ne soit qu'une seule âme, néanmoins l'une des facultés agit en un endroit, où l'autre n'agit pas. Ainsi le seul Fils est incarné, et non le Père ni le Saint-Esprit ; bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne soient qu'un Dieu.

Il faut encore savoir que le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, un seul vrai Dieu, sont partout et totalement par tout le monde, comme votre âme est par tout votre corps; mais parce qu'au ciel sa divine majesté se manifeste plus clairement, nous imaginons plus facilement sa présence au ciel.

4. Maintenant donc, ma chère fille, quand vous vous représentiez notre Seigneur revenant d'Egypte, vous considériez Dieu le Fils, lequel, bien qu'il fût partout, selon qu'il est Dieu, était néanmoins par les chemins en travail, selon qu'il est homme. Quand vous vous représentiez Dieu le Père au ciel, vous le considériez selon la commune imagination qui le représente plutôt au ciel qu'en terre ; et, quand vous vous représentiez que le Père et le Fils étaient deux, vous pensiez la vérité : car ce sont deux personnes, encore qu'ils ne soient qu'un seul Dieu. Quand vous disiez qu'il n'était qu'un, vous disiez bien aussi ; car ils ne sont qu'un seul Dieu et très-unique, bien qu'ils soient deux personnes.

5. Mais il y a de plus: c'est que vous considériez notre Seigneur en tant qu'homme : cl, en cette sorte, il est vraiment différent d'avec le Père en nature : car le Père n'est pas homme, ains seulement Dieu, et leFils est Dieu, et un même Dieu avec le Père et lé Saint-Esprit. Mais, outre cela, il est vrai homme, ayant deux natures, l'une divine qui est celle-là môme du Père et du Saint-Esprit, l'autre humaine qu'il a prise au ventre de la Vierge ; comme nous avons deux natures, l'une spirituelle qui est notre âme, l'autre corporelle qui est la chair. Et comme le fer enflammé a la nature du fer et celle du feu, et peut être dit fer et feu tout ensemble ; ainsi notre Seigneur ayant saisi la nature humaine, comme le feu saisit le fer, il est vraiment Dieu à raison du feu de la divinité, et vraiment homme à raison dii fer de l'humanité;

Et comme le fer ne laisse pas d'être fer, et pesant, et massif, et ferme, et dur pour être enflammé, et que le feu ne laisse, pas d'être feu, chaud, lumineux, ardent pour être enferré ; ainsi l'humanité de notre Seigneur ne laissa pas d'être petite, et tendre, et gémissante, et frileuse en la crèche, de Bethléem, encore qu'elle fût jointe à la divinité ; et la divinité ne laisse pas d'être toute puissante, toute glorieuse, pour être jointe à l'humanité.

6. Ma chère fille, je ne pense pas, non, vous avoir déclaré l'affaire ; car c'est un cbime lequel il faut regarder, simplement et humblement, sans se beaucoup tourmenter pour l'entendre. Il suffît que votre méditation allait bien, et que notre Seigneur a plus agréable votre simplicité que la science de ceux qui pensent/ beaucoup être. Si vous n'entendez pas cette lettre, ne vous fâchez pas : je l'ai seulement écrite pour vous donner un peu de jour, et non pas le jour du midi que nous aurons en paradis. Bonsoir, ma très-chère fille; faites dévotement les fêtes auprès de ce vrai Dieu petit enfant, auquel je suis tout vôtre.



LETTRE DCCXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE BERNARDINE.

Sur la fête du saint sacrement de l'autel. - Garnier, lettre 308

Votre coeur sera pur, ma chère petite fille, puisque votre intention est pure, et les pensées vaines qui vous surprennent, ne le sauraient souiller en sorte quelconque. Demeurez en paix, et supportez doucement vos petites misères : vous êtes à Dieu sans réserve ; il vous conduira bien : que s'il ne vous délivre pis sitôt de vos imperfections, c'est pour vous en délivrer plus utilement, et vous exercer plus longuement en l'humilité, afin que vous soyez bien enracinée en cette chère vertu. Qui reçoit la très-sainte communion, il reçoit Jésus-Christ vivant. C'est pourquoi son corps, son âme et sa divinité sont en ce divin sacrement; et d'autant que sa divinité est celle-là même du Père et du Saint-Esprit qui ne sont qu'un seul Dieu avec lui, qui reçoit la très-sainte Eucharistie reçoit le corps du fils de Dieu, et par conséquent son sang et son âme, et par conséquent la très-sainte Trinité.

Mais néanmoins ce divin sacrement est principalement institué afin que nous reçussions le corps et le sang de notre Sauveur avec sa vie vivifiante: comme les habillements couvrent principalement le corps de l'homme ; mais parce que l'âme est unie au corps, ils couvrent par conséquent l'âme, l'entendement, la mémoire et la volonté.

Allez bien simplement en cette croyance, et saluez souvent le coeur de ce divin Sauveur, qui, pour nous témoigner son amour, s'est voulu couvrir des apparences du pain, afin de demeurer très-familièrement et très-intimement en nous et près de notre coeur.

Voyons bien en esprit les saints anges qui environnent le très-saint sacrement pour l'adorer, et, en cette sainte octave, répandent plus abondamment des inspirations sacrées sur ceux qui, avec humilité, révérence et amour, s'en approchent. Ma chère fille, ces divins esprits vous apprendront comme vous ferez pour bien célébrer ces jours solennels, et surtout l'amour intérieur qui vous fera connaitre combien est grand l'amour de notre Dieu, qui pour se rendre plus nôtre, a voulu se donner en viande pour la santé spirituelle de nos coeurs, afin que, les nourrissant, ils fussent plus parfaits.




LETTRE DCCXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Considérations sur le saint sacrement. - Garnier, lettre 309

Or il est vrai, ma très-chère soeur ma fille, j'ai, été un peu las de corps; mais d'esprit et de coeur, comment le pourrois-je être après avoir tenu sur ma poitrine, et tout joignant mon coeur, un si divin épithème, comme j'ai fait ce matin tout au long de la procession? Hélas! si j'eusse eu mon coeur bien creux par l'humilité, et bien abaissé par abjection, j'eusse sans doute, attiré ce sacré gage à moi, il se fût caché dedans moi, car il est si amoureux de ces vertus, qu'il s'élance à force où il les voit.

Le passereau trouve un repaire, et la tourterelle un nid où elle met ses poussins (Ps 84,4), dit David. Mon Dieu ! que cela m'attendrit quand on a chanté ce psaume ! car je disais : O chère reine du ciel, chaste tourterelle, est-il possible que votre poussin ait maintenant pour son nid ma poitrine? Cette parole de l'Épouse m'a bien encore touché : Mon bien- aimé est mien, et moi je suis toute sienne (Ct 2,18); il demeure entre mes mamelles (Ct 1,12), car je le tenais là ; et celles-ci de l'Époux : Mets-moi comme un cachet sur ton coeur (Ct 8,6). Hélas ! oui, ma fille : mais ayant ôté le cachet, je ne vois point l'impression des traits d'icelui en mon coeur. Ya-t-il une douceur comparable?

Quant à l'affaire, je ne saurais que dire, sinon qu'en une heure on se peut résoudre au moins mal ; et, la résolution prise, on se doiu donner du contentement sur ce que, de quel côté que l'on retourne les affaires de ce inonde, il se trouvera toujours beaucoup de choses à désirer et redire ; en sorte qu'après qu'on s'est déterminé, il ne faut plus s'amuser à soupirer après les imaginations des choses meilleures, mais à bien passer les difficultés présentes, lesquelles aussi bien ne saurions-nous échapper sans en rencontrer d'autres aussi fortes, puisque tout en est plein. Bonsoir, ma très-chère fille; le divin Sauveur, unique amour de notre coeur, soit notre éternel repos. Amen.






LETTRE DCCXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Sur la fête de S. Jean-Baptiste. - Garnier, lettre 310

Or sus, ma chère fille, si vous ne pouvez bonnement communier souvent réellement, vous vous communierez tant que vous voudrez spirituellement. Hélas! vous me demandez une bonne pensée sur saint Jean : celle-ci m'est extrêmement douce. En plusieurs occurrences il avait connu notre Seigneur dès le ventre de sa mère, tressaillant d'aise de sa présence et de la voix de la mère d'icelui (Lc 1,44) - il témoigna bien dès-lors le contentement qu'il aurait de le voir, de l'ouïr, de converser avec lui ; néanmoins il fut privé de tout cela ; et en tout ce que l'Écriture témoigne, il ne lui parla jamais deux bonnes fois : ains sachant que ce divin Sauveur prêchait et se communiquait à tout le monde en Judée, il demeura solitaire dans un désert tout voisin, sans oser le venir voir réellement, quoiqu'il le vit toujours spirituellement.

Fut-il jamais une mortification égale, d'être si proche de son unique et souverain amour, et, pour l'amour de lui, demeurer sans le voir, sans l'ouïr, sans l'écouter? Hé bien, ma chère fille, vous en ferez de même proche du sacrement où Jésus est ; car vous ne le goûterez qu'en esprit, comme saint Jean.

Mon Dieu ! on ne saurait dire si c'a été un homme céleste ou un ange terrestre. Sa casaque d'armes, faite de poil de chameau, représentait son humilité qui le couvrait partout; sa ceinture de peau morte, mise sur son ventre et sur ses reins, signifiait la mortification avec laquelle il rétrécissait et serrait toutes ses concupiscences. Il mangeait des sauterelles, pour montrer que si bien il était en terré, il sautait néanmoins perpétuellement en Dieu; le miel sauvage lui servait de sauce, parce que la suavité de l'amour de Dieu assaisonnait toutes ses austérités ; mais cet amour était sauvage, parce qu'il ne l'avait pas appris des maîtres, ains des arbres et des pierres, comme dit S. Bernard.

Mon Dieu ! ma fille, mangeons et du sauvage et du domestique ; amassons de ce saint amour à toutes occasions, et par l'exemple de nos soeurs, et par la considération des autres créatures ; car tout crie aux oreilles de notre coeur : Amour, amour. O saint amour, venez donc, et possédez nos coeurs très-uniquement.

"Vraiment, nos bonnes dames de la Visitation font merveille, et qui les voit en est tout consolé. Vive Jésus ! je suis en lui extrêmement vôtre, ma chère fille.




LETTRE DCCXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Sur la fête de S. Jean-Baptiste.

Ma très-chère mère, je voudrais bien, certes, avoir quelque beau bouquet du désert de notre glorieux S. Jean, pour le présenter à votre chère âme; mais la mienne plus stérile que le désert, n'a su en trouver aujourd'hui, bien qu'en vérité elle ait eu ce matin était encore présentement un certain petit insensible sentiment de ne vouloir plus vivre selon la nature, mais, tant qu'il se pourra, selon la foi, l'espérance et la charité chrétienne, à l'imitation de cet homme angélique, que nous voyons dans ce profond désert ne regarder que Dieu et soi-même.

O que bienheureux est l'esprit de celui qui ne voit que ces deux objets, dont l'un le ravit à la dilection souveraine, et l'autre le ravale à l’abjection extrême ! car que pouvait dire ce grand ermite en un lieu où il n'y avait que Dieu et lui, sinon : Qui êles-vous, Seigneur? et qui suis-je? Je prie notre Seigneur, qui est l'agneau que notre grand S. Jean nous montr;i, qu'il vous revête toute de la très-sainte laine de ses mérites, ma très- chère mère ma fille.

O Dieu! quelle admirable pureté de coeur! quelle indifférence à toutes choses en cet admirable ange humain ou homme angélique, qui semble n'aimer quasi pas son nuitre, pour l'aimer davantage et plus purement ! Je ne sais comment il eut lé courage de demeurer en son désert après qu'il eut vu son Sauveur, et qu'il l'eut vu s'en aller de là. Il continue néanmoins ses prédications, et d'une sainte dureté il ne se laisse point, vaincre à la tendresse et suavité de l'amour de la présence de son souverain bien ; mais avec un amour austère, constant et fort, il le sert en absence pour son amour. Dieu et le grand S. Jean vous veuillent visiter en la douceur de leurs consolations avec toutes nos filles.



(1) Quant à votre treille, je pense qu'il la faut pour le présent faire de bois, tandis que vous êtes à louage; et qu'il y faut faire une porte, sans que toute la treille s'ouvre.

Car quant à la profession, le Pontifical revu et imprimé par ordre du pape, fait sortir les filles pour venir faire le voeu.

Et quant à parer l'autel, on verra si on pourra continuer à faire sortir ; je n:y vois nul inconvénient, mais il faut subir l'esprit des autres.

Vraiment, si l'on veut faire professe ma chère soeur Anasthase, le jour de la Visitation, je serai bien aise d'être l'officiant. On pourra supplier un de ces seigneurs pour un autre jour, en prenant le dimanche dans l'octave.

(1) Toute cette fin est dans le manuscrit original du monastère de la Visitation de la Flèche. Les anciennes éditions ne la présentent pas autrement ; elle n'a été rétablie que dans les édition!: modernes.




LETTRE DCCXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE:

Louanges et prérogatives de S. Jean-Baptiste.

Hélas ! ma très-chère fille, que n'ai-je quelque digne sentiment de joie pour cet homme angélique, ou cet ange humain, duquel nous célébrons la naissance ! Mon Dieu ! que j'aurais de suavité de m'en entretenir moi-même ! Mais je vous assure que la grandeur de mon intérieure pensée m'empêche de me donner cette satisfaction à moi-même.

Je le trouve plus que vierge, parce qu'il est vierge même des yeux, qu'il a plantée sur les objets insensibles du désert, et ne sait point par les sens qu'il y a deux sexes ; plus que confesseur, car il a confessé le Sauveur avant que le Sauveur se soit confessé lui-même ; plus que prédicateur, car il ne prêche pas souvent de la langue, mais de la main et du doigt, qui est le comble de la perfection ; plus que docteur, car il prêche sans avoir ouï la source de la doctrine ; plus que martyr, car les autres martyrs meurent pour celui qui est mort pour eux, mais lui meurt pour celui qui est encore envie, et contre-change, selon sa petitesse, la mort de son Sauveur avant qu'il la lui ait donnée; plus qu'évangéliste, car il prêche l'Évangile avant qu'il ait été fait ; plus qu'apôtre, car il précède celui que les apôtres suivent ; plus que prophète, car il montre celui que les prophètes prédisent ; plus que patriarche, car il voit celui qu'ils ont cru ; et plus qu'ange, et plus qu'homme, car les anges ne sont qu'esprit sans corps, et les hommes ont trop de corps et trop peu d'esprit : celui-ci a un corps; et n'est qu'esprit:-

J'ai un goût extrême à le regarder dans ce sombre mais bienheureux désert qu'il parfume de toutes parts de dévotion, et dans lequel il répand jour et nuit des soliloques et devis extatiques devant le grand objet de son coeur ; coeur qui, se voyant seul à seul, jouit de la présence de son amour, trouve en la solitude la multitude des douceurs éternelles, là où il suce le miel céleste, qu'il ira après bientôt distribuer dans les âmes des Israélites auprès du Jourdain.

Mon Dieu ! ma chère fille, que voilà un admirable saint ! Il naît d'une stérile, il vit dans les déserts, il prêche au coeur aride et pierreux, il meurt parmi les martyrs; et parmi toutes ces âpretés, il a son coeur tout plein de grâces et de bénédictions ! Mais ceci est encore admirable, que notre Seigneur ayant dit qu'entre tous ceux qui étaient nés de femme, nul n'étaitplus grand que Jean (Lc 7,28), il ajoute: Voire mais celui qui est le moindre au royaume des deux, c'est-à-dire en l'Église, est plus grand que lui (Lc 7,28). O ma chère fille ! il est vrai; car le moindre chrétien communiant est plus grand que saint Jean : et que veut dire que nous sommes si petits en sainteté?

Bonsoir, ma chère fille, et toute la chère troupe de nos filles. Le bon S. Jean les veuille bénir avec leur chère mère.




LETTRE DCCXXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

 Sur la fête de S. Jean-Baptiste.

Ne faut-il pas, ma chère soeur, que, ne pouvant vous voir, je vous aille au moins donner la bonne fête en esprit? O Dieu, que voici un grand saint qui se présente aux yeux de notre âme ! Quand je le considère dans ces déserts, je ne sais si c'est un ange qui fait semblant d'être homme, ou un homme qui prétend de devenir ange. Quelles contemplations! quelles élévations d'esprit fait-il là-dedans !

Sa viande est admirable ; car le miel représente la suavité de la vie contemplative, toute ramassée sur les fleurs des mystères sacrés. Les locustes représentent la vie active : car la locuste no chemine jamais sur terre, ni ne vole jamais en l'air ; mais, par un mystérieux mélange, tantôt on la voit sautante, et tantôt touchant la terre pour reprendre son air ; car ceux qui font la vie active sautent et touchent terre alternativement : elle vit de la rosée, et n'a point d'exercice que de chanter. Ma chère fille, bien que, selon notre condition mortelle, il nous faut toucher la terre pour donner ordre aux nécessités de cette vie, si est-ce que notre coeur ne doit savourer que la rosée du bon plaisir de Dieu en tout cela, et doit tout rapporter à la-louange de Dieu.

Mais que cet ange terrestre est habillé de poil de chameau, que signifie-t-il ? Le chameau bossu, et proprement fait à porter des fardeaux, représente le pécheur. Hélas ! pour gens de bien que soient les chrétiens, ils doivent néanmoins se ressouvenir qu'ils sont environnés du-péché ; et, si le péché ne les touche pas, au moins y a-t-il toujours du poil des cogitations, des tentations et des dangers. Ah ! que c'est un habit propre à conserver la sainteté, que la robe de l'humilité.

Eh ! voyez, je vous prie, ce saint jeune homme enfoncé dans la solitude ; il y est par obéissance, attendant qu'on l'appelle pour venir au peuple. Il se tient éloigné du Sauveur, qu'il connaissait et baisait par affection dès le ventre de sa mère, afin de ne point s'éloigner de l'obéissance, sachant bien que, de trouver le Sauveur, hors de l'obéissance, c'est le perdre tout-à-fait.

Au demeurant,-il naît d'une vieille stérile, pour nous apprendre que les sécheresses et stérilités ne laissent pas de produire en nous la sainte grâce ; car Jean veut dire grâce.

Mais surtout, ma chère fille, voyez que (Lc 1,63) tout aussitôt que son père Zacharie eut écrit le nom de ce glorieux enfant sur ses tablettes, il commence à prophétiser et chanter le beau cantique Benedictus Dominus Deus Israël. Certes ce nom bien gravé dans nos coeurs, je veux dire l'honneur et l'imitation de ce saint, nous fera prophétiser et bénir Dieu abondamment.

J'aime ce beau rossignol du bois, qui, étant toute voix et tout chant, sortant sur les avenues de la Judée, annonce le premier la venue du soleil. Je le prie qu'il vous donne de son miel, de ses locustes, et qu'il vous communique son manteau.






LETTRE DCCXXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Sur la fête de S. Jean-Baptiste.

Voyez-vous une rose, ma très-chère fille? Elle représente le glorieux S. Jean, duquel la vermeille charité est plus éclatante que la rose, à laquelle encore il ressemble parce que, comme elle, il a vécu parmi les épines de beaucoup de mortifications.

Mais pensez comme ce grand homme avait gravé au milieu de son coeur la sainte Vierge et son enfant, depuis le jour de la Visitation, auquel il ressentit, le premier des mortels, combien la mère de cet enfant et l'enfant de cette mère était aimable.

Hors de cette mère et de cet enfant, rien ne doit occuper le coeur de ma fille et de son père. Qu'à jamais ce glorieux et divin Jésus vive et règne en nos esprits, entre les bras de sa sainte mère, comme en son trône florissant.

Et voilà donc, ma très-chère fille, un bouquet spirituel où vous voyez deux lis dans une rose, l'un qui est né dans l'autre, et qui tous deux bénissent, de l'odeur de leur suavité et de la perfection de leur beauté, la rose des coeurs, qui, par une parfaite mortification poignante, vivent nus, dépouillés, et quittes de toute autre chose pour eux. Eh ! qui nous fera la grâce que nous savourions bien le miel que cette mère abeille fait au milieu de cette fleur aimable ? Bonsoir, ma très-chère mère ; le bonsoir à toutes nos soeurs.




LETTRE DCCXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

Sur la fête de S. Pierre.

Notre grand S. Pierre, réveillé de son sommeil par l'ange (Ac 12), vous donne le bonjour, ma très-chère mère. Combien de douceur en l'histoire de cette délivrance ! car son âme est tellement saisie, qu'il ne sait s'il songe ou s'il ne songe pas. Que puisse notre ange toucher ce jourd'hui notre flanc, nous donner le réveil de l'attention amoureuse à Dieu, nous délivrer de tous les liens de l'amour-propre, et nous consacrer à jamais à ce céleste amour, afin que nous puissions dire : Maintenant je sais, certes, que Dieu a envoyé son ange, et m'a délivre'.

Pierre, m'aimes-tu (Jn 21,13)? non point qu'il en doutât, mais pour le grand plaisir qu'il prend à nous souvent ouïr dire et redire et protester que nous l'aimons.

Ma chère mère, aimons-nous pas le doux Sauveur? Ah! il sait bien que, si nous ne l'aimons, pour le moins désirons-nous de l'aimer. Or, si nous l'aimons, paissons ses brebis et ses agneaux ; c'est là la marque de l'amour fidèle. Mais de quoi faut-il repaître ces chères brebiettes ? De l'amour même : car ou elles ne vivent pas, ou elles vivent d'amour; entre leur mort et l'amour il n'y a point d'entre-deux: il faut mourir ou aimer ; car qui n'aime, dit S. Jean, il demeure en la mort (Jn 3,14).

Mais savez-vous une jolie pensée ? Nôtre Seigneur va dire à son cher S. Pierre : Quand lu étais jeune, tu mettais là ceinture, et allais où tu voulais; mais quand tu seras vieil, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne veux pas (Jn 21,18).

Les jeunes apprentis en l'amour de Dieu se ceignent eux-mêmes, et prennent les mortifications que bon leur semble ; ils choisissent leur pénitence, résignation et dévotion, et font leur propre volonté parmi celle de Dieu : mais les vieux maîtres au métier se laissent lier et ceindre par autrui, se soumettant au joug qu'on leur impose, vont par les chemins qu'ils ne voudraient pas selon leur inclination. Il est vrai qu'ils tendent la main ; car, malgré la résistance de leurs inclinations, ils se laissent gouverner volontairement contre leur volonté, et disent qu'il vaut mieux obéir que faire des offrandes () : et voilà comme ils glorifient Dieu, crucifiant non seulement leur chair, mais leur esprit.

Vraiment, hier, tandis que l'on chantait l'invitatoire, et qu'on disait, Vive le roi des apôtres] venez et adorez-le (3), j'eus un si doux et amiable sentiment que rien de plus, et soudain je désirais qu'il s'épanchât sur tout notre coeur. O Dieu, notre Sauveur nous soit à jamais toutes choses ! Tenez le coeur en haut dans le sein de la divine bonté et providence j car c'est le lieu de son repos, c'est lui qui m'a rendu tout vôtre et vous toute mienne, afin que nous fussions plus purement, parfaitement et uniquement siens. Ainsi soit-il.

(3) Regem apostolorum Dominum, venite, adoremus. (Invitatorium ex Off. apostolorum breviarii romani.),




LETTRE DCCXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Belles considérations sur le mystère de la Visitation de Notre-Dame. Circonstances qui précèdent et accompagnent son voyage et son séjour chez Zacharie et Elizabeth. Réflexions et applications. - Garnier, lettre 311

Mais que je suis aise, ma chère fille, que ces deux filles de notre coeur ne puissent pas jeûner demain (4), et qu'en échange elles aient des petites mortifications involontaires ; car j'aime singulièrement le mal que la seule élection du Père céleste nous donne au prix de celui que nous choisissons ! Mais vous, qui êtes robuste (1), jeûnerez donc en pain et eau ; cela s'entend, ma chère fille (car vous ne l'entendez pas, si je ne le vous dis), cela s'entend l'année qui vient, si l'heure échoit; car pour celle-ci, vraiment il faut être Juif aux Juifs, et gentil aux gentils, manger avec les mangeants, rire avec les riants (Rm 12,15), dit le grand apôtre de ce-jourd'hui (3).

Or paissez donc vos petites brebis, ma chère fille, mais demain vous verrez la pauvre petite jeune dame enceinte du Fils de Dieu, qui vient doucement occuper l'esprit de son cher et saint mari, pour avoir le congé de faire la sainte visite de sa vieille cousine Elisabeth. Vous verrez comme elle dit adieu à ses chères voisines pour trois mois, qu'elle pense être aux champs et es montagnes ; car ce mot est bon. Je pense que toutes la laissent avec tendreté ; car elle était si aimable et amiable, qu'on ne pouvait être avec elle sans amour ni la laisser sans douleur.

Elle entreprend son voyage avec un peu d'empressement; car l'Évangile le dit, que ce fut hâtivement. Ah ! les prémices des mouvements de celui qu'elle a en ses entrailles ne se peuvent faire qu'avec de la ferveur. O saint empressement, qui ne trouble point, et qui nous hâte sans nous précipiter !

Les anges se disposent à l'accompagner, et S. Joseph à la conduire cordialement. Je voudrais bien savoir quelque chose des entretiens de ces deux grandes âmes, car vous prendriez bien plaisir que je le vous dise : mais je pense que la Vierge ne s'entretient que de ce quoi elle est pleine, et qu'elle ne respire que le Sauveur. S. Joseph réciproquement n'aspire qu'au Sauveur, qui, par des rayons secrets, lui touche le coeur de mille extraordinaires sentiments; et, comme les.vins enfermés dans les caves ressentent, sans les sentir, l'odeur des vignes florissantes, ainsi le coeur de ce saint patriarche ressent, sans les sentir, l'odeur, la vigueur et la force du petit enfant qui fleurit en sa belle vigne.

 O Dieu ! quel beau pèlerinage ! Le Sauveur leur sert de bourdon, de viande et de petite bouteille à vin : à vin, dis-je, qui réjouit les anges et les hommes, et qui enivre le père d'un amour démesuré. Je vous laisse à penser, ma fille, quelle bonne odeur répandit en la maison de Zacharie cette belle fleur de lis. Pendant trois mois qu'elle y fut, comme chacun en était embaumé ! et comme, avec peu mais de très excellentes paroles, elle versait de ses sacrées lèvres le miel et le baume précieux ! car que pourrait-elle épancher que ce de quoi elle était pleine ? or elle était pleine de Jésus. Mon Dieu! ma fille, je m'admire, tant que je suis encore si plein de moi-même après avoir-si souvent communié. Eh ! cher Jésus, soyez l'enfant de nos entrailles, afin que nous ne respirions ni ressentions partout que vous. Hélas! vous êtes si souvent en moi, pourquoi suis-je si peu souvent en vous ? vous entrez en moi, pourquoi suis-je tant hors de vous ? vous êtes dans mes entrailles, pourquoi ne suis-je dans les vôtres, pour y fouiller et recueillir ce grand amour qui enivre les coeurs ? Ma fille, je suis tout parmi cette chère Visitation, en laquelle notre Seigneur, comme un vin tout nouveau, fait bouillonner de toutes parts cette affection amoureuse dedans le ventre de sa sacrée mère.

(4) Veille de la fête de la Visitation de la sainte Vierge.
(1) Il paroît que c'est une petite ironie.
(3) C'était le jour de la commémoration de S. Paul.



LETTRE DCCXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Considérations sur le trépas de la sainte Vierge. - Garnier lettre 312

Ma très-chère mère, je considérais au soir, selon la faiblesse de mes yeux, cette reine mourante d'un dernier accès d'une fièvre plus suave que toute santé, qui est la fièvre d'amour, laquelle, desséchant son coeur", ;enfin l'enflamme, l'embrase et le consume; de sorte qu'il exhale son saint esprit, lequel s'en va droit entre les mains de son fils. Ah ! veuille cette sainte Vierge nous faire vivre par ses prières en ce saint amour. Qu'il soit à jamais le très-unique objet de notre coeur. Que puisse notre unité rendre à jamais gloire à l'amour de Dieu, qui porte le sacré nom d'unissant.'

Je n'ai pas une si heureuse naissance, ma très-chère mère, que d'avoir paru en ce monde au jour auquel la très-sainte Vierge notre reine parut au ciel,

En son beau vêtement de drap-d'or récamé, Et d'ouvragés divers à l'aiguille semé (Ps 45,10),

ainsi que nous dirons dimanche, jour auquel je naquis avec cette gloire", que c'a été entre les octaves de cette grande Assomption (2). Ah ! Dieu, ma très-chère mère, que je veux approfondir creusement notre coeur devant cette dame élevée, afin qu'il'lui plaise le remplir de cette surabondante rosée d'Hermon, qui distilla de toutes parts de sa sainte plénitude de grâces.

(2) S. François de Sales est né le 21 août 1567.

Oh ! quelle perfection toute souveraine de cette colombe, au prix de laquelle nous sommes des corbeaux ! Hélas ! parmi le déluge de nos misères, j'ai souhaité qu'elle trouvât le rameau de l'olive du saint amour de la pureté, de la douceur, de l’oraison, pour le rapporter en signe de paix à son cher colombeau, à son Noé. Vive Jésus, vive Marie, le support de ma vie ! Amen.




LETTRE DCCXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE BERNARDINE, SA COUSINE.

Sur les fêtes de la Toussaint et de la Commémoration des morts. - Garnier lettre 313

Il faut souffrir cette incommodité de l'amour de nos parents, qui ne pensent pas qu'il y ait de la comparaison entre la satisfaction d'être chez eux, et celle que l'on prend au train du service de Dieu. Soyez donc, ma chère cousine ma fille, en la solitude mentale, puisque vous ne pouvez être en la solitude réelle. Tout est doux aux doux, et tout est saint aux saints (Tt 1,15). Vous savez de quelle sorte il faut résister à toutes ces petites attaques d'impatience, chagrin, et autres.

Bénissez Dieu, ma chère fille, de ces petits essais qui vous arrivent pour témoigner votre fidélité. Oyez la messe dans votre coeur quand vous ne pourrez l'ouïr ailleurs, et adorez le saint Sacrement.

Quant aux bonnes fêtes qui approchent, vous n'avez rien à faire de plus après vos offices, qu'à tenir votre esprit en la céleste Jérusalem, parmi ces rues glorieuses où vous verrez de toutes parts retentir les louanges de Dieu : voyez cette variété de saints, et vous enquéi ez d'eux comme ils sont parvenus là ; et vous apprendrez que les apôtres y sont allés principalement par l'amour, lés martyrs par la constance, les docteurs par la méditation, les confesseurs par la mortification, les Vierges par la pureté de coeur, et tous généralement par l'humilité. Vous irez le jour des morts dans le purgatoire, et verrez ces âmes pleines d'espérance, qui vous exhorteront de profiter, le plus que vous pourrez, en la iç>iété,:afin qu'à votre départ vous soyez moins retardée d'aller au ciel. Bonsoir, ma chère fille.






LETTRE DCCXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE BERNARDINE, SA COUSINE.

Sur les fêtes de la Toussaint et de la commémoration des morts.

O ma chère fille, puisque la cessation de votre exercice ne vous donne aucun allégement, vous pourriez le reprendre, mais tout bellement, n'y employant que demi-heure à la fois.

Il est vrai sans doute, l'humilité, la patience, l'amour de celui qui nous donne les croix, requiert que nous les recevions sans en faire des plaintes. Mais voyez-vous, ma très-chère fille, il y a différence entre dire son mal et s'en plaindre. On le peut donc dire, ains en beaucoup d'occasions on est obligé de le dire, comme on est obligé d'y remédier ; mais cela se doit faire paisiblement sans l'agrandir par paroles ni plaintes.

C'est cela que dit la mère Thérèse : car se plaindre ce n'est pas dire son mal, mais le dire avec des lamentations, doléances, et témoignages de beaucoup d'afflictions. Dites-le donc naïvement et véritablement sans nul scrupule : mais que ce soit en sorte que vous ne témoigniez point de ne vouloir pas y acquiescer doucement. Car aussi faut-il y acquiescer de très-bon coeur.

Passez bien dévotement ces saintes fêtes : voyez bien ces belles rues de la Jérusalem céleste où tant de bienheureux saints résident, où tous jubilent autour de leur grand roi, et où l'amour de Dieu, comme une céleste source vive, répand de toutes parts ses eaux qui arrosent ses glorieuses âmes, et les font fleurir, chacune selon ses conditions, d'une beauté incompréhensible. Que là soient nos soeurs, ma fille, où sont ces vrais et désirables plaisirs. Vive Jésus, n'est-ce pas notre mot du guet ! Non, rien n'entrera dans nos coeurs, qui ne dise en vérité : Vive Jésus ! Il sait ce doux Sauveur, que je suis en vérité tout vôtre.




LETTRE DCCXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Saumur.)

Sur la fête de la Pentecôte. - Garnier lettre 316

Ma très-chère fille, n'en doutez point, je vous aime plus que jamais, parce que je vous vois en état d'entrer dans cette voie d'une véritable dévotion qui commence à détacher son coeur de toutes les choses du monde, afin d'être tout à Dieu, et qu'il puisse absolument disposer de vous pour n'aimer que ce que Dieu aime, pour faire sa volonté et suivre ses conseils, pour fuir avec un soin extrême tout ce qui le peut offenser, mortifier ses passions, et régler sa vie sur les maximes de Jésus-Christ, être humble et patiente.

Car le grand secret pour entretenir une bonne dévotion, c'est d'avoir beaucoup d'humilité ; soyez humble, et Dieu sera pour vous, et appuiera votre bonne volonté, vous donnant à lui sans déguisement et sans réserve, lui disant du fond de votre coeur, que si jusqu'à présent vous ne l'avez pas assez bien servi, qu'il ait la bonté de vous pardonner et fortifier dans la résolution que vous avez prise de vous détacher de toutes les affections du monde, et de ne vous attacher à rien, sinon à l'amour de Dieu, et de tout votre coeur à le servir fidèlement.

Je veux bien encore, ma chère fille, vous faire quelque part de ce que je viens d'écrire à la grande mère Agnès aux Carmélites, sur les dispositions pour bien recevoir le Saint-Esprit, à cette grande fête de la Pentecôte ; cet amour incréé, qui sans égard à ses propres avantages, s'emploie partout à chercher notre bien, nous cachant souvent les plus belles flammes où nous le pensions moins à ce saint artifice, pour nous engager à l'aimer de toute notre puissance, et parce que cet amour est un don gratuit de son amour. Aussi devons-nous le chercher de toutes nos forces. Nous ne devons pas nous troubler pour nos offenses, car souvent ce divin esprit est plus libéral de ses dons à ceux qui lui ont été plus avares de leur coeur et de leurs affections.

Mais, ma très-chère fille, il faut que nous témoignions à Jésus-Christ toute notre confiance avec les saints apôtres et disciples sur lesquels il ne voulut pas envoyer le Saint-Esprit qu'après être monté au ciel, et, si vous me demandez pourquoi cela, il faut avant savoir que le Saint-Esprit est le vin du ciel, chez S. Bernard qui disait qu'au ciel il y avait surabondance de ce vin, je veux dire l'allégresse du Saint-Esprit et la joie béatifique ; mais ils n'avaient ce pain sacré de l'humanité de Jésus-Christ. La terre au contraire avait ce pain sacré dont elle faisait ses délices et sa joie, elle n'avait pas ce vin si suave et si brillant du Saint-Esprit, qui devait enivrer nos âmes et les combler de joie.

Et voici cette admirable induction de Jésus-Christ, remontrant à ses apôtres qu'il n'était pas juste de garder l'humanité de Jésus-Christ, et de prendre encore ce vin admirable du ciel. Il faut donc, leur dit Jésus-Christ, qu'il y ait entre vous un saint commerce (Jn 16,7) entre vous et les anges, vous aurez infailliblement du ciel ce vin si puissant du Saint-Esprit, en lui faisant part de votre pain sacré qui est encore sur la terre et comme entre vos mains, c'est-à-dire l'humanité de Jésus-Christ. Je crois, ma chère fille, que c'est assez pour bien ouvrir votre coeur à la réception du Saint-Esprit et de ces langues de feu et de flammes adorables. Adieu, je suis tout vôtre.






LETTRE DCCXXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Il lui donne des remèdes contre l'impatience et occurrences du ménage. - Garnier lettre 317

Ma très-chère fille, ce sera toujours quand je pourrai que vous aurez de mes lettres, mais maintenant c'est de meilleur coeur que je vous cens, parce que M. Moyron, présent porteur, est mon plus proche voisin de cette ville, mon grand ami et mon allié, par le retour duquel vous me pourrez écrire en toute assurance : et si l'image de la mère Thérèse était faite, il la prendrait, paierait et apporterait, ainsi que je l'en ay prié. Mais, ma fille, il m'est advis que je ne vous dis pas bien, par ma dernière lettre, ce que je désirais touchant vos menues, mais fréquentes impatiences es occurrences de vostre ménage. Je vous dis donc qu'il faut que vous ayez une spéciale attention et vous y teiiir douce, et qu'étant levée le matin, sortant de l'oraison, revenant de la messe, ou communion, et toujours, quand vous rentrerez en ces affaires domestiques, il vous faut être attentive à commencer doucement, et coup sur coup regarder votre coeur, voir s'il est doux: et s'il ne l'est pas, l'adoucir avant toutes choses : que s'il l'est, il en faut louer Dieu, et l'employer aux affaires qui se présentent, avec un soin spécial de ne point le laisser dissiper.

Voyez-vous, ma fille, ceux qui mangent souvent du miel, trouvent les choses aigres plus aigres, et les amères plus amères, et se dégoûtent aisément des viandes après : votre âme s'entretenant souvent aux exercices spirituels qui sont doux et agréables à l'esprit, quand elle revient aux exercices corporels, extérieurs et matériels, elle les trouve bien dspres et fascheux; c'est pourquoi aisément elle s'impatiente; et partant, ma chère fille, il faut qu'en ces exercices vous considériez la volonté de Dieu, qui y est, et non pas la chose même qui se fait. Invoquez souvent l'unique et belle colombe de l'époux céleste, afin qu'elle impètre pour vous un vrai coeur de colombe, et que vous soyez colombe non-seulement volant par l'oraison; mais encore dedans votre nid, et avec tous ceux qui sont autour, de vous. Dieu soit à jamais au milieu de vostre coeur, ma bonne, ma chère fille, et vous rende un même esprit avec luy.

Je salue par vostre entremise la bonne mère, et toutes les soeurs carmélites, implorant l'aide de leur oraison. Si je savais que mademoiselle notre chère soeur Jacob fust là, je la saluerais aussi, et sa petite Françon ; comme je fais votre Magdeleine, qui est encore mienne. Vive Jésus.




LETTRE DCCXXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, V UNE DEMOISELLE.

Il l'exhorte de tenir toujours ses affections rangées sous celles d'i Dieu. - Garnier lettre 318

Mademoiselle, pleut à Dieu que j'eusse autant de liberté que ce porteur en a, pour aller où je voudrais : vous me verrieî au moins toutes les années une bonne fois auprès de vous, avec le contentement que les plus tendres enfants ont d'es-tre en la présence de leur bonne mère : car vostre bienveillance et mon affection me rendent cela en vostre endroit.

Mais puisque Dieu m'a voulu entraver comme les mauvais chevaux, afin que je demeurasse en ce champ, c'est bien la raison que je m'y accommode et que sa divine volonté soit faite : encore voudrais-je bien la mienne plus souple à m'humilier sous cette souveraine providence, afin de non-seulement incliner mes affections au vouloir de mon Dieu ; mais aussi d'aimer tendrement et affectueusement son sacré vouloir.

Continuez, mademoiselle, ma chère et bonne mère, continuez à servir cette suprême bonté en sincérité et douceur d'esprit, puisqu'avec tant d'amour et suavité elle vous y a invitée, et de si bonne heure.

Tenez bien rangées vos affections sous celle de ce grand Sauveur, et vous gardez d'en nourrir aucune, sous quelque prétexte que ce soit, qui ne soit battue au sceau du roi céleste. N'aymcz point, s'il se peut, la volonté de Dieu, parce qu'elle est selon la vostre; mais aymez la vostre, quand et parce qu'elle sera selon celle de Dieu. Je suis bien éloigné de cette pureté : pour y parvenir, secourez-moi en ce dessein, je vous supplie, par vos prières et oraisons; ainsi que de mon costé je ne présente jamais le très-saint sacrifice au Père éternel que je ne luy demande pour vous abondance de son saint et sacré amour, et ses plus désirables bénédictions, et pour vostre famille.




LETTRE DCCXXXII.

MADAME DE CHANTAL, A MONSIEUR CHARLES-AUGUSTE DE SALES, ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENÈVE, TROISIÈME SUCCESSEUR DU SAINT.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Caen.)

Elle remercie M; Charles-Auguste de Sales de l'assistance qu'il a donnée à une supérieure durant une maladie, et de son affection pour son ordre.

Mon très-honoré seigneur, vous ne sauriez croire combien la douceur de votre lettre est entrée bien avant dans mon coeur. Je l'ai reçue avec le respect que je vous dois, et avec une consolation sensible de voir la tendre affection que votre coeur paternel a pour ces chères âmes que la divine Providence a données à votre piété et confiées à votre soin. Je supplie cette infinie bonté de leur continuer longues années ce bonheur, par la conservation de votre vie, mon cher seigneur, et à vous si douce joie et consolation que vous prenez en leur dévotion, et en l'amour et obéissance filiale qu'elles vous doivent, et désirent de toute leur affection vous rendre, y étant très-étroitement obligées, en particulier par l'assistance charitable que vous avez rendue à notre chère soeur la supérieure pendant sa maladie, de laquelle elle ne peut assez-se louer, ainsi qu'elle me le témoigne par sa lettre, dont je vous rends mille très-humbles grâces, mon très-cher seigneur. Vous imitez bien en toute façon la douceur et débonnaire charité de celui (1) que vous honorez avec un amour et respect tout filial. Je le supplie de vous obtenir de la divine miséricorde une abondance de grâces et de bénédictions célestes ; et vous, mon cher seigneur, je vous conjure de me donner quelquefois part en vos saints sacrifices et en vos prières, puisque je suis avec une affection pleine de vénération.et dedilection, monseigneur, votre très-humble, etc.

(1) S. François de Sales, son oncle, qu'il appelait son père, et qu'il honorait comme tel.




LETTRES DE S. FRANÇOIS DE SALES

ADRESSÉES A DES GENS DU MONDE.



LETTRE DCCXXXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME LA COMTESSE DE SALES, SA MÈRE.-

Il la console sur son absence par l'espérance de la revoir bientôt.
Tirée de la Maison naturelle du saint, par Hauteville

Mai 1599.

Je vous écris ceci, ma très-chère et bonne mère, en montant à cheval pour Chambéry. Ce billet n'est point cacheté, et je n'en ai nulle inquiétude; car, par la grâce de Dieu, nous ne sommes plus en ce fâcheux temps (1) où il fallait nécessairement nous cacher pour nous écrire, et pour nous dire quelques paroles d'amitié et de consolation. Vive Dieu, ma bonne mère ; il est vrai que le souvenir de ce temps-là produit toujours en mon âme quelque sainte et douce pensée. Conservez toujours la joie en notre Seigneur, ma bonne mère, et soyez assurée que votre pauvre fils se porte bien par la divine miséricorde, et se prépare à vous aller voir au plus tôt, et à demeurer avec vous le plus long-temps qu'il lui sera possible, car je suis tout à vous, et vous le savez, que je suis votre fils.

(1) Ce fâcheux temps était celui où son père, pour le forcer d'abandonner la mission du Cbablais, avait défendu de lui donner aucun secours, et même de lui écrire ; de sorte que sa mère était obligée de se cacher pour lui faire parvenir ce dont il avait besoin, lui donner de ses nouvelles, et recevoir de ses lettres. Le duc de Savoie, qui venait de reprendre ce pays sur les Bernais, avait voulu faire escorter les missionnaires par des troupes ; mais François de Sales les refusa, disant que Luther et Calvin avaient planté leurs hérésies par les armes ; mais qu'à l'exemple des apôtres, il fallait les arracher par la seule parole. En conséquence, il s'était engagé dans le Chablais, accompagné seulement d'un de ses parents, qui était chanoine de Genève, et d'un domestique. Il y fut d'abord exposé à toutes sortes d'insultes, et bientôt après il y courut les plus grands dangers : ce fut alors que le comte de Sales voulut l'obliger de revenir, « étant d'avis que, s'obstiner plus longtemps ce serait tenter Dieu, et ajoutant qu'à la douleur qu'il avait eue, lorsqu'il avait été forcé de consentir que son fils ainé, l'espoir de ses vieux jours, fût d'église, il ne voulait pas ajouter celle de le voir périr inutilement. » Mais le saint missionnaire, qui avait été envoyé par son évéque, crut devoir persévérer ; et après quatre ans de travaux, ses prédications, l'exemple de ses grandes vertus, et surtout sa patience et sa douceur inaltérables, ramenèrent tout le pays à l'Église catholique. Ce fut à cette époque qu'il fut nommé coadjuteur de l'évêque de Genève. Peu d'années après, il assista son père dans sa dernière maladie : ce vieillard, presque octogénaire, « ne pouvait se rassasier de ses saints et suaves entretiens; et se disait être trois et quatre fois heureux d'avoir un tel fils. » (Vie de ] S. François de Sales, par Auguste de Sales.)



F. de Sales, Lettres 2025