F. de Sales, Lettres 437

LETTRE DCCXLVI, A MADAME DE LA FLECHERE.

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Moyens de conserver la paix intérieure.

8 avril 1608.

Madame,

1. j'ai reçu votre première lettre avec une particulière consolation, comme un bon commencement de la communication spirituelle que nous devons avoir ensemble, pour l'avancement du royaume de Dieu dans nos coeurs. Veuille ce môme Dieu me bien inspirer ce qui sera plus propre pour votre conduite.

Il n'est pas possible que vous soyez si tôt maîtresse de votre âme, et que vous la teniez en votre main si absolument de premier abord. Contentez-vous de gagner de temps en temps quelque petit avantage sur votre passion ennemie. Il faut supporter les autres; mais premièrement il se faut supporter soi-même, et avoir patience d'être imparfait.

Mon Dieu! ma chère fille, voudrions-nous bien entrer au repos intérieur, sans passer par les contradictions et contestes ordinaires ?

2. Observez bien ces points que je vous ai dits.

Préparez donc dès le matin votre âme à la tranquillité : ayez un grand soin le long du jour de l'y rappeler souvent, et de la reprendre en votre main.

S'il vous arrive quelque acte de chagrin, ne vous en épouvantez point, ne vous en mettez nullement en peine : mais l'ayant reconnu, humiliez-vous doucement devant Dieu, et tâchez de remettre votre esprit en posture de suavité ; dites à votre âme : Or sus, nous avons fait un faux pas, allons maintenant tout bellement, et prenons garde à nous. Et toutes fois et quantes que vous retomberez, faites-en de même.

3. Quand vous aurez le repos, employez-le vivement, faisant le plus d'actes de douceur que vous pourrez, es occasions les plus fréquentes que Vous en ayez, pour petites qu'elles soient; car, comme dit notre Seigneur : Qui est fidèle es petites choses, on lui confiera les grandes (
Lc 16,10).

Surtout, ma fille, ne perdez point courage, ayez patience, attendez, exercez-vous fort à l'esprit de compassion : je ne doute point que Dieu ne vous tienne de sa main ; et bien qu'il vous laissera broncher, ce ne sera que pour vous faire con-noître que s'il ne vous tenait, vous tomberiez du tout, et afin que vous lui serriez la main de plus fort. Adieu, madame ; à Dieu soyez-vous entièrement, absolument, irrévocablement. Je suis en lui, votre, etc.




LETTRE DCCXLVII. a madame la présidente BRULART.

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Ne pas vouloir trop ce que l'on veut, c'est la source de l'inquiétude. Remède à ce mal. Le désir de la communion est une disposition a bien communier. -Sur la légèreté de l'esprit dans l'oraison.

Annecy, 25 juin 1608.

Madame ma très-chère soeur,

1. j'ai reçu votre lettre du 16 mai. Que je serai marri si les bons projets de la réformation de ce monastère (2) s'évanouissent comme cela ! Si est ce pourtant que si l'espérance que j'ai d'aller en Bourgogne n'est point vaine, je me résous d'aller jusque-là, pour voir ce que c'est. Je ne suis point un homme extrême, et me laisse volontiers emporter à mitiger, quand on ne peut faire absolument. Je n'écris point à madame l'abbesse, quoique je le désire, parce que je n'en ai pis le loisir, et il faut que je lui écrive un peu à mon aise. C'est grand cas : je pense toujours que si je la vois à souhait avec toute sa troupe, si not s ne faisons pas tout ce qui est désirable, nous en ferons quelque chose ; car j'ai quelque confiance en la confiance qu'elle à en moi, qui aussi la chéris d'un amour fort particulier en notre Seigneur.

2. Vous me parlez de votre impatience. Est-ce bien une vraie impatience ? ou sont-ce point seulement des répugnances naturelles? Mais puisque vous la nommez impatience, je la tiendrai pour telle ; et en attendant de vous en parler plus amplement de bouche, devant que l'automne se passe, je vous dirai, mi chère soeur, en esprit de liberté, qu'à ce que j'ai reconnu de vous par vos lettres, plus que par Ici peu de conversation que j'ai eue avec vous, vous avez un coeur qui s'attache puissamment aux moyens de votre prétention.

Vous ne prétendez, je le sais bien, que l'amour de notre Dieu : pour y parvenir, il faut employer des moyens, des exercices, des pratiques. Or je dis que vous vous attachez puissamment aux moyens que vous goûtez, et voudriez tout réduire là : c'est pourquoi vous avez de l'inquiétude quand on vous empêche ou qu'on vous distrait.

3. Le remède serait de prendre la peine de bien persuader et bien détromper votre esprit en ce sentiment : c'est que Dieu veut que vous le serviez ainsi comme vous êtes, et par les exercices convenables à cet état, et par les actions qui en dépendent ; et, ensuite de cette persuasion, il faut que vous vous rendiez tendrement amoureuse de votre état et des exercices d'icelui, pour l'amour de celui qui le veut ainsi. Mais voyez-vous, ma chère soeur, il ne faut pas penser à ceci simplement en passant ; il faut mettre cette cogitation bien avant dans votre coeur, et, par des récollections et attentions particulières, vous rendre cette vérité savoureuse et bienvenue dans votre esprit ; et croyez-moi, tout ce qui est contraire à cet avis n'est autre chose qu'amour-propre.

Quant à la sainte communion, j'approuve que vous continuiez à la désirer fort fréquente, pourvu que ce soit avec la soumission que vous devez avoir à votre confesseur, qui voit l'état présent de votre âme, et est si digne personnage.

Cette variété, en laquelle votre esprit se voit, en l'oraison et hors de l'oraison, tantôt fort, tantôt faible, tantôt regardant le monde avec plaisir, tantôt avec dégoût, ce n'est autre chose qu'un sujet que Dieu vous laisse de vivre bien humblement et doucement : car vous voyez par ce moyen quelle vous êtes de vous-même, et quelle avec Dieu ; de sorte que vous ne devez nullement vous en décourager pour cela.

4. Il n'est jà besoin que madame votre chère soeur l'abbesse m'envoie un homme pour me faire savoir de ses nouvelles, ni pour savoir comme elle me pourra voir; car si je fais mon voyage, comme j'espère, je vous avertirai assez devant mondé-part pour cela.

Je vous recommande à notre Seigneur continuellement, et ai votre dilection fort avant dans mon coeur. Je ferai mémoire de vous en mes sacrifices.

Je présente mes recommandations à là mère prieure des carmélites; j'honore généralement tout cet ordre, et la remercie de la charité dont elle use à mon endroit, de prier pour moi, qui suis des plus nécessiteux de la sainte Église.

Qu'à jamais le saint amour de Dieu vive et règne dans nos esprits. Amen. Votre très-affectionné et tout dédié frère et serviteur.

(2) Du Puits-d'Orbe.


LETTRE DCCXLVIII, (A UNE DAME) A UNE RELIGIEUSE.

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Conseils pendant une maladie
303 .

Annecy, 9 septembre 1608.

Je m'avise, ma chère fille, que vous êtes malade d'une maladie plus fâcheuse que dangereuse; et je sais que telles maladies sont propres à gâter l'obéissance que l'on doit aux médecins ; c'est pourquoi je vous veux dire que vous n'épargniez nullement ni le repos, ni les médecines, ni les viandes, ni les récréations qui vous seront ordonnées ; vous ferez une sorte d'obéissance et de résignation en cela, qui vous rendra extrêmement agréable à notre Seigneur : car enfin voilà une quantité de croix et mortifications que vous n'avez pas choisies ni voulues. Dieu vous les a données de sa sainte main, recevez-les, baisez-les, aimez-les. Mon Dieu, elles sont toutes parfumées de la dignité du lieu d'où elles viennent.

Bonjour, ma chère fille, je vous chéris avec empressement : que si j'avais le loisir, j'en dirais davantage ; car j'affectionne infiniment que vous soyez fidèle en ces petites et fâcheuses occurrences, et que tant au peu qu'au prou vous disiez toujours : Vive Jésus.



LETTRE DCCXLIX, A MADEMOISELLE DE TRAVES.

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Exhortation à l'amour de Dieu.

18 décembre 1608.

Mademoiselle, mon frère qui va là vous dira peut-être que je vous chéris et honore bien fort; mais vous croiriez peut-être bien aussi qu'il me ferait ce bon office par charité, et je désire que vous sachiez que c'est mon coeur qui a vraiment ce sentiment-là. C'est pourquoi je l'écris ainsi de ma main et de mon coeur. Mais dites-moi donc, mademoiselle, je vous supplie ; l'amour de Dieu règne-t-il pas toujours en votre âme ? N'est-ce pas lui qui tient les rênes de toutes vos affections, et qui dompte toutes les passions de votre coeur ? Oh, je n'en doute nullement : mais, mademoiselle, il faut que vous permettiez à un esprit qui vous aime chèrement, de vous demander ce qu'il sait, pour le plaisir qu'il prend d'ouïr dire et de redire votre bonheur. On demande si souvent : Vous portez-vous bien ? encore que l'on voie ceux qu'on interroge en fort bonne santé : ayez donc agréable que sans défiance de votre vertu et constance, je vous demande par amour : Aimez-vous bien Dieu, mademoiselle ? Si vous l'aimez bien, vous vous plairez à le considérer souvent, à parler à lui et de lui, à vous réunir souvent à lui au très-saint sacrement. Qu'à jamais puisse-t-il être notre propre coeur. Mademoiselle, je suis en lui, votre, etc.






LETTRE DCCL.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME LA PRÉSIDENTE BRULART.

Avis spirituels.

Décembre 1608.

Madame ma très-chère soeur, vous m'avez infiniment consolé à m'écrire si souvent, comme vous avez fait : de mon côté, je n'ai jamais manqué de vous écrire par toutes les commodités qui s'en sont présentées. Je vous ai jusqu'à présent répondu de point en point à tout ce que vous m'avez demandé et je sais que vous avez maintenant des lettres en main. Il me reste à vous dire que j'ai écrit à madame l'abbesse votre bonne soeur, que j'espère qu'elle en sera consolée.

Je sais que sa santé corporelle dépend en bonne partie de la consolation spirituelle. Il me semble qu'elle a un petit trop de crainte que je ne m'offense, si elle communique son intérieur à quelque autre ; et la vérité est que quiconque veut profiter, il ne faut pas l'aller épanchant çà et là indistinctement, ni changer à toute apparence de méthode et façon de vivre : mais aussi doit-on vivre avec une honnête liberté ; et quand il est requis, il ne faut faire nulle difficulté d'apprendre d'un chacun, et de se prévaloir des dons que Dieu met en plusieurs. Je ne désire rien tant que de voir en elle un coeur étendu, et sans aucune contrainte au service de Dieu : je le vous dis aussi, afin que vous me connaissiez fort, et que vous alliez à votre aise, tant qu'il se peut, en la voie de la sainte perfection.

J'ai écrit assez amplement à M. N. à qui j'avais jeté beaucoup de mon amitié, étant par-delà. Je prie qu'il voie, le plus qu'il pourra, le monastère du Puy d'Orbe : je m'assure qu'il lui sera utile ; et Dieu sans doute l'a préparé pour cela, dont je loue sa divine majesté de tout mon coeur.

Pour vous, ma chère soeur, je vous ai déjà dit en une autre lettre, que non-seulement j'approuvais le choix que vous aviez fait d'icelui pour être votre confesseur, mais que je m'en consolais; et vous disais que vous pourrez apprendre de lui ce qui sera convenable touchant les aumônes, et autres charités que vous voulez et devez faire : vous ferez bien aussi de lui obéir en tout le reste de votre conduite intérieure et spirituelle, sans que pourtant je me veuille exempter de contribuer tout ce que Dieu me donnera de lumière et de force ; car il ne me serait pas possible de défaire la sainte liaison que Dieu a mise entre nous.

Affermissez tous les jours de plus en plus la résolution que vous avez prise avec tant d'affection de servir Dieu selon son bon plaisir, et d'être tout entièrement sienne, sans vous rien réserver pour vous ni pour le monde. Embrassez avec sincérité ses saintes volontés, quelles qu'elles soient, et ne pensez jamais avoir atteint à la pureté de coeur que vous lui devez donner, jusqu'à ce que votre volonté soit, non-seulement du tout, mais en tout, et même es choses plus répugnantes, librement et gaiement soumise à la sienne très-sainte ; regardant à ces fins, non le visage des choses que vous ferez, mais celui qui vous le commande, qui tire sa gloire et notre perfection des choses les plus imparfaites et chétives, quand il lui plaît:

Non, plus de cérémonies entre nous ; nos liens ne sont pas faits de ces cordes-là : ils sont invariables, incorruptibles et éternels, puisque nous nous aimerons au ciel pour le même amour de Jésus-Christ, qui nous joint de coeur et d'âme ici-bas, et qui me rend votre, etc.




LETTRE DCCLI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Le saint lui parle du dessein qu'on avait à la cour de France de l'attirer dans ce royaume.


Fin de 1608.

On parle de m'agrandir, mais c'est à bon jeu bon argent, et du côté de delà. Cela m'a mis en peine ; car c'est avec b; titre de la plus grande gloire de Dieu et du service de l'Église. Or demeurez en paix, ma très-chère fille ; car il ne se fera rien que selon le bon plaisir de sa divine majesté, et sous sa conduite. Je ne sais d'où cela peut arriver, que ce grand prince (Henri IV) continue si fort à me favoriser, sans que j'aie jamais fait nulle chose pour cela. J'ai fait réponse (car, comme je vous dis, c'est tout de bon) que j'étais tout à Dieu, et que je lui dirais : O Seigneur, que voulez-vous que je fasse? (Ac 9,6) Entre ci et deux mois, je serai hors de cette peine, par une résolution absolue. Priez donc bien pour moi, ma chère fille, afin que mon coeur se tienne pur de toutes vanités et prétentions mondaines. Pour moi, je proteste que je ne veux que Dieu pour mon partage, comme que ce soit.

La commodité de nos résolutions ne se peut bonnement perdre, mais de plus en plus faciliter, moyennant la grâce divine. O ma fille, quand serons-nous unis à notre Dieu, de l'union parfaite! Quand aurons-nous des coeurs embrasés de son amour ! Courage, ma chère fille, nous sommes destinés à cette heureuse fin : ne nous troublons point des stérilités, car les stérilités enfanteront enfin ; ni des sécheresses, car la terre sèche se convertira en sources d'eaux vivantes (Is 35,7).

L'autre jour en l'oraison, considérant le côté ouvert de notre Seigneur, et voyant son coeur, il m'était avis que nos coeurs étaient tout alentour de lui, qui lui faisaient hommage, comme au souverain roi des coeurs. Qu'à jamais soit-il notre coeur. Amen.

Et cette petite Aimée (3) sera des très-mieux aimées soeurs du monde ; car je serai son frère : mais avec tout cela, ceci ne sera que notre alliance extérieure, car celui à l'oeil duquel le fond de mon coeur est ouvert, sait bien que le lien intérieur, duquel il joint mon esprit au vôtre, est totalement indépendant de tous ces accidents, qui ne peuvent ni ajouter, ni diminuer à cette intime et très-pure affection et union que Dieu a faite en nous.


 (3) Marie Aimée de Rabutin de Chantal, qui devait épouser le baron de Torens, frère du Saint.



LETTRE DCCLII, A MADEMOISELLE DE TRAVES.

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Le Saint l'engage à ne pas se marier, et à supporter courageusement ses peines domestiques, et la charge de sa famille.

Annecy, 18 avril 1609.

Mademoiselle, vous voulant honorer, chérir, et servir toute ma vie, je me suis enquis de madame votre chère cousine ma sceur, de l'état de votre coeur, duquel elle m'a dit chose qui m'a consolé. Que vous serez heureuse, ma chère fille, si vous persévérez à mépriser les promesses que le monde vous voudra faire ! Car, en vraie vérité, ce n'est qu'un vrai trompeur. Ne regardons jamais tout ce qu'il propose, que nous ne considérions ce qu'il cèle. Il est vrai, sans doute, c'est une grande assistance que celle d'un bon mari ; mais il en - est peu, et pour bon qu'on l'ait, on reçoit plus de sujétion que d'assistance. Vous avez un grand soin pour la famille qui est sur vos bras ; mais il n'amoindrirait pas, quand vous entreprendriez la charge d'une autre peut-être aussi grande. Demeurez ainsi, je vous prie, et croyez-moi, faites-en une résolution aussi forte et si sensible, que nul n'en doute plus. L'exercice auquel vous êtes maintenant, vous servira d'un petit martyre, si vous continuez à joindre les travaux que vous y aurez à ceux du Sauveur, de Notre-Dame, et des Saints et Saintes, qui emmi la variété et multiplicité des importunités que leur soin leur donnait, ont conservé inviolablement l'amour et la vraie dévotion à la très-sainte unité de Dieu, en qui, par qui, et pour qui ils ont conduit leurs vies à une fin très-heureuse. Que puissiez-vous donc comme eux conserver et consacrer à Dieu votre coeur, votre corps, votre amour, et toute votre vie. Je suis en toute sincérité, etc; Votre, etc.



LETTRE DCCLIII, A MADAME DE CORNILLON, SA SOEUR (1).

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(1) Epouse de Melchior de Cornillon, seigneur de Mérans.

Le Saint l'encourage à prendre patience dans les contradictions qu'elle avait à souffrir de la part de son beau-père, et sur la mort de leur jeune soeur.


Annecy, 15 mai 1609.

1. Mon Dieu ! ma chère fille ma soeur, soyez joyeusement dévote. Que vous serez heureuse, si vous embrassez constamment ce dessein ! La pauvre petite soeur (de la Thuille (1)
258 ) qui s'en est allée si chrétiennement et si soudainement, a bien réveillé mon esprit à l'amour de ce souverain bien, auquel toute notre courte vie doit être rapportée. Aimons-nous bien, chère soeur, et nous tenons bien ensemblement à ce Sauveur de nos âmes, en qui seul nous pouvons avoir notre bonheur. Je suis tout plein d'espérance que notre Seigneur sera de plus en plus fidèlement servi, obéi et honoré de vous, qui est lé plus grand bien que je vous puisse souhaiter.

La multitude des ennuis que vous avez es affaires de votre maison (desquels mon bon frère me parla l'autre jour) vous serviront infiniment, pour rendre votre âme vertueuse si vous vous exercez à supporter le tout en esprit de douceur, de patience et de débonnaireté. Tenez toujours bien votre coeur bandé à cela, et considérez souvent que Dieu vous regarde de son oeil d'amour parmi toutes ces petites incommodités et brouilleries, pour voir comme vous vous y comportez selon son gré : faites donc bien joliment à la pratique de son amour en ces occasions : et s'il vous arrive quelquefois de vous impatienter, ne vous troublez point de cela, mais vous remettez soudainement en douceur. Bénissez ceux qui vous affligent; et Dieu, ma chère fille, vous bénira. Je l'en supplie de tout mon coeur, comme pour ma soeur bien aimée, et ma fille très-chère, à laquelle je suis tout dédié.

(1) Elle mourut à Tolte, l'une des terres de la baronne de Chantal, et auprès de la pieuse baronne, qui prenait soin de son éducation!





LETTRE DCCLIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Les embarras des affaires sont des occasions de pratiquer les vertus.



19 mai 1609.

Je me ressouviens que vous me dites combien la multiplicité de vos affaires vous chargeait ; et je vous dis que c'était une bonne commodité pour acquérir les vraies et solides vertus. C'est un martyre continuel, que celui de la multiplicité des affaires; car comme les mouches font plus de peine et d'ennui à ceux qui voyagent en été, que ne fait le voyage même ; ainsi la diversité et la multitude des affaires fait plus de peine que leur pesanteur même.

Vous avez besoin de la patience, et j'espère que Dieu vous la donnera, si vous la lui demandez soigneusement, et que vous vous efforciez de la pratiquer fidèlement ; vous y préparant tous les matins par une application spéciale de quelque point de votre méditation, et vous opiniâtrant de vous mettre en patience le long de la journée, tout autant de fois que vous vous en sentirez distraite. Ne perdez nulle occasion, pour petite qu'elle soit, d'exercer la douceur de coeur envers un chacun.

Ne vous confiez pas de pouvoir réussir en vos affaires par votre industrie, ains seulement par l'assistance de Dieu ; et partout reposez-vous en son soin, voyant qu'il fera ce qui sera mieux pour vous, pourvu que de votre côté vous usiez d'une douce diligence. 3e dis douce diligence, parce que les diligences violentes gâtent le coeur et les affaires, et ne sont pas diligences, mais empressements et troubles.

Mon Dieu ! madame, nous serons bientôt en l'éternité, et lors nous verrons combien toutes les affaires de ce monde sont peu de choses, et combien il importait peu qu'elles se fissent, ou ne se fissent pas. Maintenant néanmoins nous nous empressons comme si c'étaient des choses grandes. Quand nous étions petits enfants, avec quel empressement assemblions-nous des morceaux de tuiles, de bois, de la boue, pour faire des maisons et petits bâtiments ! Et si quelqu'un nous les ruinait, nous en étions bien marris, et pleurions : maintenant nous connaissons bien que tout cela importait fort peu. Un jour nous en serons de même au ciel, que nous verrons que nos affections au monde n'étaient que de vraies enfances.

Je ne veux pas ôter le soin que nous devons avoir de ces petites tricheries et bagatelles ; car Dieu nous les a commises en ce monde pour exercice; mais je voudrais bien ôter l'ardeur et la chaleur de ce soin. Faisons nos enfances, puisque nous-sommes enfants; mais aussi ne nous morfondons pas à les faire; et si quelqu'un ruine nos maisonnettes et petits dessins, ne nous en tourmentons pas beaucoup; car aussi quand ce viendra le soir, auquel il faudra se mettre à couvert, je veux dire la mort, toutes ces maisonnettes ne seront pas à propos : il faudra se retirer en la maison de notre père. Soignez fidèlement vos affaires, mais sachez que vous n'avez point de plus dignes affaires, que celle de votre salut, et l'acheminement du salut de votre âme à la vraie dévotion.

Ayez patience avec tous ; mais principalement avec vous-même : je veux dire, que vous ne vous troubliez point de vos imperfections, et que vous ayez toujours courage de vous en relever. Je suis bien aise de quoi vous recommencez tous les jours : il n'y a point de meilleurs moyens pour bien achever la vie spirituelle, que de toujours recommencer, et ne penser jamais avoir assez fait.

Recommandez-moi à la miséricorde de Dieu, laquelle je vous supplie de vous faire abonder en son saint amour. Amen. Je suis, votre, etc.



LETTRE DCCLV, A MADEMOISELLE DE BRECHARD.

525
Il lui recommande de ne pas laisser trop engager son coeur dans l'amour de ses parents.

Annecy, mi-mai 1609.

 Or sus, ma chère nièce ma fille, vous voilà donc auprès de monsieur votre père, que vous regardez comme une image vivante du Père éternel : car c'est en cette qualité que nous devons honneur et service à ceux desquels il s'est servi pour nous produire.

Tenez bien votre âme en vos mains, afin qu'elle ne vous échappe ni à gauche ni à droite ; je veux dire, ni qu'elle s'amollisse entre les affections des parents, ni qu'elle s'attriste parmi leurs passions et les diversités des humeurs avec lesquelles il vous faut vivre.

Vraiment je crois fort bien que vous fûtes vivement touchée en vous séparant de votre chère mère, car elle m'écrit que de son côté elle fut extrêmement pressée ; mais un jour cette société durera éternellement, s'il plaît à l'Éternel, et en attendant demeurons tous bien unis en son saint amour.

J'admire que monsieur N. se soit persuadé cette opinion, que l'on ne puisse pas communier sans ouïr la messe ; car non-seulement elle est sans raison, mais elle est s ans apparence de raison : puisque toutefois il faut que vous passiez par-là, multipliez, tant plus les communions spirituelles que nul ne vous peut refuser.

Dieu vous veut aussi sevrer, ma chère nièce, et vous faire manger des viandes solides, c'est-à-dire des viandes dures ; car de plus solides, il n'y en a point au ciel ni en la terre, que la sainte communion : mais son refus qui est plus dur à votre âme qui aspire à son saint amour, requiert aussi des désirs plus forts.

Je vous écris sans loisir, ma chère nièce ma fille, et prie notre Seigneur qu'il soit toujours en votre coeur. Je suis en lui entièrement votre, etc.






LETTRE DCCLVI. S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL

Le Saint déplore le malheur d'une dame qui était tombée dans l'hérésie. L'onction qui se trouve dans les livres des saints Pères et dans les discours des catholiques, contribue plus que les controverses à ramener à l'Église nos frères errants.


2 décembre 1609.

O Dieu ! quel malheur ! Cette pauvrette se veut donc perdre avec son mari ! Les Confessions de S. Augustin, et le chapitre que je lui montrai passant vers elle, devaient suffire pour la retenir, si elle n'est lancée à son précipice que par les considérations qu'elle allègue. Dieu, au jour de son grand jugement, se justifiera contre elle, et fera bien voir pourquoi elle l'a abandonné. Ah ! un abîme en attire un autre. Je prierai Dieu pour elle, et spécialement le jour de S. Thomas, que je conjurerai par son heureuse infidélité, d'intercéder pour cette pauvre âme si malheureusement infidèle.

Quelles actions de grâces devons-nous à ce grand Dieu, ma chère fille ? Mais moi attaqué par tant de moyens, en un âge frêle et fluet, pour me rendre à l'hérésie, et que jamais je ne lui aie pas seulement voulu regarder au visage, sinon pour lui cracher sur le nez ; et que mon faible et jeune esprit parcourant sur tous les livres plus empestés, n'ait pas eu la moindre émotion de ce malheureux mal ! O Dieu ! quand je pense à ce bénéfice, je tremble d'horreur de mon ingratitude.

Mais accoisons-nous en la perte de ces âmes ; car Jésus-Christ, à qui elles étaient plus chères, ne les laisserait pas aller après leur sens, si sa plus grande gloire ne le requérait. Il est vrai que nous les devons regretter et soupirer pour elles, comme David sur son Absalon pendu et perdu.

Il n'y eut pas grand mal en ces dédains que vous témoignâtes parlant avec elle. Hélas ! ma fille, on ne se peut quelquefois contenir en des accidents si dignes d'être abhorrés.

Les épîtres de S. Jérôme lui seront encore bonnes : car voyez-vous, entre les témoignages qui sont épars çà et là es écrits des saints Pères en faveur de l'Église (car enfin ils parlent tous comme nous), l'esprit même de ces grands personnages respire partout contre l'hérésie.

L'autre jour, de grand matin, un homme grandement docte, et qui avait été ministre longtemps, vint me voir, et me racontant comme Dieu l'avait retiré de l'hérésie : J'ai eu, ce me dit-il, pour catéchiste, le plus docte évêque du monde. Je m'attendais qu'il me nommât quelqu'un de ces grands renommés de cet âge : il me va nommer S. Augustin. Il s'appelle Corneille, et maintenant fait imprimer un beau et digne livre pour la foi. Il n'est pas encore reçu à l'Église, et m'a donné espérance que ce sera moi qui le recevrai. Je n'ai jamais vu homme si docte de ceux qui sont hors de l'Église. Hélas! le bon homme s'en alla satisfait d'avec moi, disant que je Pavais caressé amoureusement, et que j'avais le vrai esprit de chrétien. Enfin il faut conclure que ces anciens Pères ont un esprit qui respire contre l'hérésie, es points même èsquels ils ne disputent pas contre elle.

Étant-à Paris, et prêchant en la chapelle de la reine le jour du jugement (ce n'est pas un sermon de dispute), il se trouva une demoiselle, nommée madame de Perdreauville, qui était venue par curiosité : elle demeura dans les filets, et sur ce sermon prit résolution de s'instruire, et dans trois semaines après amena toute sa famille à confesse vers moi, et fus leur parrain de tous en la confirmation. Voyez-vous? ce sermon-là, qui ne fut point fait contre l'hérésie, repirait néanmoins contre l'hérésie car Dieu me donna lors cet esprit en faveur de ces âmes.

Depuis j'ai toujours dit que, qui prêche avec amour, prêche assez contre l'hérétique, quoiqu'il ne dise un seul mot de disputé contre lui. Et c'est pour dire qu'en général tous les écrits des Pères sont propres à la conversion des hérétiques.

O mon Dieu ! ma chère fille, que je vous souhaite des perfections ! une pour toutes, cette unité, cette simplicité. Vivez en paix et joyeuse, ou au moins contente de tout ce que Dieu veut et fera dans votre coeur.

Je suis en lui et par lui, tout votre frère. Votre, etc.






LETTRE DCCLVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A SON ALTESSE SÉRÉNISSIME LE DUC DE SAVOIE.

L'évêque de Genève se justifie d'une accusation calomnieuse.



Avant le 4 décembre 1609.

Monseigneur, ayant été averti par quelqu'un de mes amis, que l'on m'avait calomnié auprès de votre altesse, de faire certains manèges d'état avec les étrangers contre son service, j'en ai été le plus étonné du monde, comme ne pouvant pas penser sur quel fondement on a pu bâtir une telle imposture. Car encore que ces jours passés le devoir de ma charge m'ait nécessité d'aller à Gex, et m'y arrêter quelque temps, si est-ce que non plus là qu'ailleurs, je ne me suis mêlé, ni de faire ni de dire que ce qui est de ma profession, en prêchant, disputant, réconciliant les églises, et administrant les sacrements. Et non-seulement je n'ai point fait de manèges contre le service de votre altesse (ce qui n'est jamais arrivé ni arrivera jamais, ni en effet ni en pensées), mais au contraire, autant que la discrétion et respect que j'ai à ma qualité me le permettent, j'ai soigneusement remarqué tout ce que je pouvais estimer être utile à son service, pour lui en donner avis, comme j'eusse fait par lettres, si à mon retour je n'eusse trouvé le commandement que votre altesse me donnait de les dire de bouche à M. le marquis de Lans, auquel je les dis avec toute fidélité et naïveté; l'assurant que tous les bruits touchant le dessein des François sur Genève n'étaient autre chose que des chimères que quelqu'un avait peut-être fabriquées pour rendre probables leurs prétendus services. Je lui dis plusieurs autres particularités, desquelles je m'assure qu'il aura eu bonne mémoire pour les représenter à votre altesse, laquelle je supplie très-humblement de croire que j'ai gravé trop avant en mon coeur le devoir que je lui ai, pour jamais me relâcher à faire aucune sorte de chose qui puisse tant soit peu nuire au service de ses affaires, et que j'ai une trop grande opposition au tracas des affaires d'État pour jamais m'en vouloir entremettre : aussi ne pensai-je pas qu'homme du monde en parle avec moins de goût, et y pense moins d'attention que moi, qui ayant assez d'autres choses à faire, qui sont propres à ma profession, ne dis jamais rien de ces sujets qu'étant provoqué, et n'y pense que par manière de distraction involontaire.

Ni moi, monseigneur, ni pas un de mes proches n'avons rien, ni en effet ni en prétention, hors l'obéissance de votre altesse. Je ne sais pas donc comment la calomnie ose me représenter avec des affections étrangères ; puisque même je vis, Dieu merci, de telle sorte, que comme je ne mérite pas d'être en la bonne grâce de votre altesse, n'ayant rien qui puisse correspondre à cet honneur-là, aussi méritai-je de n'être nullement en sa disgrâce, puisque je ne fais rien, et n'affectionne rien qui me doive porter à ce malheur, que je ne crains aussi point me devoir jamais arriver, moyennant l'aide de notre Seigneur, qui en faveur de la véritable fidélité que j'ai à votre altesse, ne permettra point que les brouillons et les calomniateurs m'ôtent la gloire d'être invariablement, son très-bon et très-obéissant serviteur et orateur.



LETTRE DGCLVIII, A M. DESHAYES, GOUVERNEUR DE MONTARGIS.

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Il lui fait part des événements qui avaient donné de l'ombrage sur son compte au duc de Savoie, et qui avaient amené la lettre précédente.

Annecy, 4 décembre 1609.

Monseigneur,

1. Ayant été près de deux mois entiers en Bourgogne, partie au duché pour assister aux noces de mon frère Groisy, qui doit tant être votre serviteur, partie au comté pour l'exécution d'un commandement que le parie avait confié à monseigneur l'évêque de Bâle et à moi conjointement, j'ai trouvé à mon retour la lettre que vous aviez pris la peine de m'écrire par le bon monsieur de Soulfour
390 , qui passa à Chambéry tandis que j'étais en mon voyage ; lettre comme toutes les autres, pleine de marques de ce grand et fort amour que vous me portez, et duquel je suis réciproquement amoureux de toute l'étendue de mon coeur, et autant glorieux qu'homme du monde à qui vous les sussiez départir. ,

2. Si vos affaires retardent votre pèlerinage à la sainte Magdeleine 536 , il n'en sera.que tant plus délicieux une autre fois, quand vous les aurez heureusement achevées, comme je souhaite; et tandis, je m'éclaircirai aussi, de mon côté, d'une autre que j'ai trouvée à mon retour fort inopinément ; laquelle, afin que je vous le dise, monsieur, à qui je voudrais être toujours ouvert, consiste en un éclaircissement d'un ombrage que quelque insolent a fait par l'interposition de la calomnie entre l'esprit de son altesse et moi, comme si j'avais certains intelligence sur ma misérable Genève, pour y entrer et régner par un autre moyen que celui de sa grâce.

Le fondement du médisant a été dix- ou douze jours entiers que je fus à Gex ce mois de septembre passé, et où allant, par une certaine imprudente hardiesse, je passai tout au travers de Genève, après avoir fait dire à la porte à celui qui marchait immédiatement devant moi que j'étais monsieur l'évêque, et écrit en la bullette : François de Sales, évêque de ce diocèse ; car il se faut un peu étendre à dire les particularités des saillies de ma vaillance.

Sur tout cela donc on a fait cet argument : Qu'a-t-il tant fait à Gex, et qui lui donne cette assurance de passer en cette ville tant ennemie du nom qu'il porte et de sa qualité, et en laquelle ses prédécesseurs ne sont jamais entrés dès la révolte (1), sans sauf-conduit, sans se déguiser, sans désavouer sa qualité? Mais en vraie vérité, ils ont peu de connaissance de mon âme, s'ils me jugent si plein de considération et d'appréhension, que je ne puisse pas faire une petite témérité. Le temps, mon innocence, mais surtout la providence de Dieu accommodera tout cela; de quoi néanmoins j'ai écrit à son altesse tout ce qui m'en semblait, ayant premièrement su qu'elle s'était laissé porter à quelque sorte de défiance de moi, de manière que j'en demeure en tout bon repos.

Voilà mes nouvelles d'état :

3. quant à celles de ce pays, nous nous réjouissons grandement en l'espérance de voir un bon fruit du voyage de M. de Jacob, et attendant que Monsieur vienne pour passer en France achever ce mariage que nous désirons tant, et qu'on diffère tant. Notre monsieur de Charmoisy cependant est tout joyeux en sa maison des champs et témoigne d'aimer tant sa retraite, qu'il ne veut pas qu'on traite de l'en tirer : néanmoins si Monsieur vient, je ferai, si je puis, selon votre conseil; je désirerais bien y pouvoir beaucoup, comme aussi de savoir, le temps étant venu, que Paris ait un chef, auquel mon coeur ait tant d'alliance et de correspondance d'amitié comme il a avec vous.

J'envoie ces trois livres aucunement corrigés de tant de fautes que l'imprimeur y a laissées glisser ; je les offre à madame votre chère moitié, et un par son entremise à mademoiselle de Touteville, sinon que vous en voulussiez prendre la peine vous-même, et un autre à madame la marquise de Menclay (536 ,6). J'aurais honte de tout cela, si votre faveur ne devait couvrir la nudité qui y est, comme encore, ce que j'ose vous adresser tant de lettres qui sont en ce paquet. Notre Seigneur vous conserve, monsieur, et vous comble de tout bonheur ; c'est le continuel souhait de votre, etc.


(1) Il faut suppléer, et d'y passer.




F. de Sales, Lettres 437