F. de Sales, Lettres 1842

LETTRE DCCCXXII, A UNE DAME DE PARIS.

1842
Les services que l'on rend à Dieu dans les désolations et les sécheresses, lui sont plus agréables que ceux qu'on lui rend dans les temps de consolations.

20 septembre 1621.

Ce m'a été une très-douce consolation de savoir des nouvelles de votre âme, ma très-chère fille ; de votre âme, dis-je, qu'en toute vérité la mienne chérit très-singulièrement.

La peine que vous avez à vous mettre en l'oraison, n'en diminuera point l'esprit devant Dieu, qui préfère les services qu'on lui rend parmi les contradictions, tant intérieures qu'extérieures, à ceux que l'on lui fait entre les suavités; puisque lui-même, pour nous rendre aimables à son Père éternel, nous a réconciliés à sa Majesté en son sang, en ses travaux, en sa mort (
Col 1,19-22).

Et ne vous étonnez pas nullement, si vous ne voyez pas encore beaucoup d'avancement, ni pour vos affaires spirituelles, ni pour les temporelles : tous les arbres, ma très-chère fille, ne produisent pas leurs fruits en même saison ; ainsi ceux qui les jettent meilleurs, demeurent aussi plus longtemps à les produire, et la palme même cent ans, à ce qu'on dit.

Dieu a caché dans le secret de sa providence la marque du temps auquel il vous veut exaucer, et la façon en laquelle il vous exaucera : et peut-être vous exaucera-t-il excellemment, en ne vous exauçant pas selon vos pensées, mais selon les siennes. Demeurez ainsi eh paix, ma très-chère fille, entre les bras paternels, du soin très-amoureux que le souverain Père céleste a et aura de vous, puisque vous êtes sienne, et n'êtes plus vôtre.

Car en cela ai-je une suavité nonpareille, de me ramentevoir le jour auquel, prosternée devant les pieds de sa miséricorde, après votre confession, vous lui dédiâtes votre personne et votre vie, pour, en tout et partout, demeurer humblement et filialement soumise à sa très-sainte volonté. Ainsi soit-il, ma très-chère fille; et je suis irrévocablement, votre, etc.

O mon Dieu, ma très-chère fille, que cette Providence éternelle a de moyens différents de gratifier les siens! 0 que c'est une grande faveur quand il conserve et réserve ses gratifications pour la vie éternelle ! J'ai dit ce mot pour achever de remplir la page. Dieu soit à jamais notre tout. Amen.



LETTRE DCCCXXIII, A MADEMOISELLE DE PEICHPEIROU.

1848
Le Saint lui souhaite mille bénédictions, et réclame ses prières.

Annecy, 12 octobre 1621.

Tenez, voilà donc, ma très-chère fille, trois mots tout fin seul, pour vous dire que mon coeur chérit le vôtre et luy désire mille et mille bénédictions affin qu'il vive constant et consolé parmi les accidents si variants de cette vie mortelle. Mais, priez bien Dieu, ma très-chère fille, qu'il me fasse la miséricorde de me pardonner mes péchés, affin que je puisse un jour voir sa sainte face avec vous et notre chère madame de « Villesavin es siècles des siècles. Amen.

« Vostre serviteur très-humble.

« Signe François, évêque de Genève. »,




LETTRE DCCCXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME. Les vraies consolations ne se trouvent pas ici-bas.

13 octobre 1621.

Il ne faudrait pas vous avoir -au milieu de mon coeur, ma très-chère fille; pour ne pas avoir avec vous part aux afflictions; mais il est tout vrai qu'étant ce que je vous suis, et à votre maison, je compatis grandement à toutes vos afflictions, et de madame de la N. votre soeur. Mais, ma très-chère fille, il me semble que vous êtes un peu plus susceptible de ces consolations, que cette chère soeur : c'est pourquoi je vous dis que nous avons tort, si nous regardons nos parents, nos amis, nos satisfactions et contentements comme choses sur lesquelles nous puissions établir nos coeurs. Ne sommes-nous pas, je vous prie, en ce monde avec les conditions des autres hommes, et de la perpétuelle inconstance dans laquelle il est établi ? Il faut s'arrêter, ma très-chère fille, et ne reposer nos attentes qu'en la sainte éternité à laquelle nous aspirons.

Q paix du coeur humain, on ne te trouve qu'en la grâce et en la croix de Jésus-Christ. Ma très-chère fille, vivez ainsi, et réjouissez saintement votre coeur bien-aimé, en la véritable espérance de jouir un jour éternellement de la bienheureuse et invariable éternité. Je suis presse, ma très-chère fille, et ne me reste le loisir que pour vous dire que je suis à jamais votre, etc.



LETTRE DCCCXXV, A M. ET MADAME DE FORAX.

1862
Le Saint les félicite d'avoir terminé es procès, et les exhorte à une mutuelle amitié.

Annecy, 11 novembre 1621.

Mille et mille bénédictions à Dieu, de quoi enfin, monsieur mon très-cher frère, et madame tout-à-fait ma très-chère soeur, ma fille, vous voilà exempts de ces fâcheux procès, par lesquels comme parmi les épines, Dieu a voulu que les commencements de votre heureux mariage
1564 se soient passés. Monsieur de Chalcédoine et moi en avons fait un petit feu de joie, comme participants à tout ce qui vous regarde. Or sus, bien que votre grossesse vous incommode un peu sensiblement tous deux, ma fille qui la sentez, et mon très-cher frère qui la ressentez; il me semble toutefois que je vous vois tous deux avec deux coeurs si contents et si courageux à bien servir Dieu, que ce niai même que vous sentez et ressentez, vous console, comme marque que n'ayant pas exemption entière de toute affliction en ce monde, votre parfaite félicité vous est réservée au ciel, où je m'assure que vous avez vos principales prétentions. O mon très-cher frère ! continuez à bien soulager par votre aimable présence ma très-chère fille. O ma très-chère soeur ! persévérez à bien lier mon très-cher frère à votre coeur ; car puisque Dieu vous donne l'un à l'autre, soyez bien toujours comme cela : et croyez bien tous deux que je suis de l'un et de l'autre, mon très-cher frère et ma très-chère fille, ma fille, votre, etc.

P. S. Je vous prie de saluer chèrement de ma part mademoiselle de Lamoignon 1546 . S'il vous arrive quelque commodité, mon très-cher frère, de voir madame de Soret, je vous supplie de me ramentevoir en sa chère et sainte bienveillance.



LETTRE DCGCXXVI, A LA COMTESSE DE DALET.

1907
Remèdes à la trop grande crainte des jugements de Dieu, et aux tentations de l'ennemi du salut.

Annecy, 8 février 1622.

Madame, je réponds à notre chère soeur supérieure de Montferrant (1), sur ce que vous me proposez par votre lettre ; bien marri que pour ce qui regarde sa personne, je ne puis pas seconder le désir de madame de Chazeron
1894 ; car quant au vôtre, madame, je sais bien les limites dans lesquelles vous le contenez, afin que le service de Dieu soit en toutes occasions purement pratiqué : c'est pourquoi je ne vous fais point d'excuse.

Quant à la crainte de la mort et de l'enfer qui afflige votre chère âme, c'est véritablement une tentation de l'ennemi; mais que l'ami bien-aimé de votre coeur emploiera par sa bonté à votre progrès en la pureté et humilité ; et quand par une entière soumission et résignation à sa Providence, vous vous dépouillerez du soin du succès de votre vie même éternelle, es mains de sa douceur et de son bon plaisir, il vous délivrera de cette peine ou vous donnera tant de force pour la supporter, que vous aurez sujet d'en bénir la souffrance.

Ma très-chère fille, les suggestions de vantance, oui même d'arrogance et outrecuidance, ne peuvent nuire à une âme qui ne les aime pas, qui tous les jours dit souvent à son Dieu, avec le roi David : Seigneur, je suis fait comme un néant devant vous : et je suis toujours avec vous (Ps 73,22-23 Ps 73,25); comme s'il eût voulu dire : Je vous regarde, ô-souveraine bonté ! comme l'être infini, et me regarde comme un néant devant vous ; et bien que vous soyez tel, et moi telle, je demeure toujours pleine de confiance avec vous: mon néant espère en votre douce infinité avec d'autant plus d'assurance que vous êtes infini. J'espère en vous, en comparaison duquel je suis un vrai néant.

Ma très-chère fille, demeurez en paix dedans votre amertume (cf. Is 38,17). Vous savez bien en la pointe de votre esprit que Dieu est trop bon pour rejeter une âme qui ne veut point être hypocrite, quelque tentations et suggestions qui lui arrivent. Or sus.je recommanderai votre nécessité à ce grand Dieu d'affluence et d'abondance ; et cependant soupirez souvent devant lui, et présentez-lui doucement vos intentions : Je suis vôtre, Ô Seigneur! sauvez-moi (Ps 119,94). Il le fera, ma très chère fille ; et qu'à jamais son saint nom soit béni. Je suis sans réserve, votre, etc.

(1) C'est la mère Favre, qui de Lyon avait été transférée à Monferrant en 1620.



LETTRE DCCCXXVII; A UNE DAME.

1933
Il faut correspondre aux attraits de la grâce. Communion permise tous les huit jours. On doit se comporter le jour de la communion d'une manière qui fasse voir l'estime qu'on en fait. Ce que c'est que les larmes de Vendôme.


Pinerolo, 7 juin 1622.

Je confesse, ma très-chère fille, que je ne suis pas satisfait de vous avoir si peu vue ; mais je le suis grandement de vous avoir si bien vue, puisque j'ai vu votre coeur bien-aimé, et au milieu de votre coeur notre cher Rédempteur, qui a rallumé le feu sacré de son amour céleste. O mon Dieu ! ma très-chère fille, combien êtes-vous obligée à cet amour éternel, qui vous est si bon et si doux, et qui, comme un bon père, a tant de soin de vous inspirer continuellement le désir d'être toute sienne ! Comme pourriez-vous jamais éconduire ses paternelles semonces, ni rompre le sacré et avantageux marché qu'il a fait avec vous, par lequel il se donne tout-à-fait à vous, pourvu que vous soyez tout-à-fait à lui ? Soyez-le meshui sans réserve, ma très-chère fille, et sans condition quelconque. C'est-le grand et inviolable désir que j'ai pour vous et pour moi, qui seul étant observé et pratiqué, vous consolera au départ de ce monde.

Je le veux bien, ma très-chère fille, puisque vous en avez du désir, que vous fassiez la sacrée communion tous les huit jours : m'assurant qu'à mesure que vous approcherez plus souvent de ce divin sacrement, vous tâcherez de lui rendre aussi plus d'amour et de fidélité en son service, et que le jour de votre communion vous vous garderez de donner sujet à ceux avec lesquels vous converserez, de penser que vous n'estimiez pas assez l'honneur de la réception de votre salut.

Tenez, voilà une des larmes de Vendôme, c'est-à-dire une goutte de l'eau dans laquelle on a trempé,1a fiole, dans laquelle est, ainsi qu'on tient par la tradition ancienne des habitants de Vendôme, de la terre sur laquelle tombèrent les larmes de notre Seigneur, tandis qu'au temps de sa mortalité et de ses peines il pria et adora son Père éternel pour la rémission de nos péchés.

On dit cela, et le tient-on pour certain au diocèse d'Orléans, d'où notre soeur Claude-Agnès, qui est supérieure là d'un monastère de la Visitation, me l'a envoyée ; mais comme que ce soit, gardez cette représentation de larmes, comme un mémorial de celles de notre Seigneur, qui vous fasse ramentevoir de l'obligation que vous avez à la dilection, qui fit pleurer cette infinie bonté pour nous, et d'un motif parfait de né jamais offenser une si merveilleuse et aimable douceur. Votre, etc.



LETTRE DCCCXXVIII, A UNE DAME.

1976
Mépris des grandeurs de ce monde ; désirs de l'éternité. Saint François de Sales écrivit cette lettre à Lyon, neuf jours avant sa mort (1).

Lyon, 19 décembre 1622.

Mille remercîments à votre coeur bien-aimé; ma très-chère-fille, pour les faveurs qu'il fait à mon âme, lui donnant de si douces preuves de son affection. Mon Dieu! que bienheureux sont ceux qui, désengagés des cours et des compliments qui y règnent, vivent paisiblement dans la sainte solitude aux pieds du crucifix ! Certes, je n'eus jamais bonne opinion de la vanité ; mais je la trouve encore bien plus vaine parmi les faibles grandeurs de la cour.

Ma très-chère fille, plus je vais avant dans la voie de cette mortalité, plus je la trouve méprisable, et toujours plus aimable la sainte éternité à laquelle nous aspirons, et pour laquelle, nous nous devons uniquement aimer. Vivons seulement pour cette vie, ma très-chère fille, qui seule mérite le nom de vie, en comparaison de laquelle la vie des grands de ce monde est une très-misérable mort. Je suis de tout mon coeur très-véritablement tout vôtre, ma très-chère fille, votre, etc.


 (1) Le duc de Savoie voulant saluer Louis XIII à son passage à Avignon, à la fin de l'année 1622, donna ordre au saint évêque de venir le joindre dans cette ville. Sa santé était fort altérée depuis quelque temps; cependant il se disposa à partir, après avoir témoigné à plusieurs personnes qu'il ne croyait pas revenir de ce voyage, et avoir fait son testament. « Il parut bien dans cette occasion, dit un des historiens du Saint, combien il était aimé de son peuple. L'opinion de sa mort prochaine causa partout une consternation générale. Il ne sortait plus qu'il ne se vit environné d'une foule de peuple; tout le monde sortait des maisons, et les ouvriers mêmes quittaient leur travail pour lui venir demander sa bénédiction. Le saint prélat ne se contentait pas de la leur donner, il s'arrêtait presque à chaque pas : il disait à l'un quelque mot de consolation, il donnait à l'autre quelque avis sur la patience, il faisait l'aumône à tous ceux qui la lui demandaient, et il les exhortait tous à aimer et à servir Dieu, de la manière qui convenait à chacun dans son état. Les enfants mêmes sentaient l'impression de sa sainteté, et l'on en a vu souvent entre les bras de leurs nourrices, témoigner l'impatience qu'ils avaient qu'on les approchât de lui. La bonté du saint prélat ne lui permettait pas de passer outre ; il s'arrêtait pour un enfant comme il eût fait pour la personne du monde la plus raisonnable. Il leur faisait le signe de la croix sur là poitrine, sur le front, sur la bouche ou sur les yeux, et ce n'était presque jamais sans effet. On en a vu plusieurs guérir dans le même moment du mal de dents, de la colique, et des autres petits maux que cet âge tendre a coutume de ressentir. Ses aumôniers et ceux qui l'accompagnaient s'impatientaient souvent de le voir ainsi s'arrêter pour des enfants ; alors le saint évêque leur disait que Jésus-Christ en avait usé ainsi, qu'il avait beaucoup aimé les enfants, et qu'il ne pouvait y avoir de l'indécence à l'imiter. »

Le jour de son départ, le saint évêque dit la messe à l'église des religieuses de Sainte-Marie d'Annecy, et leur donna sa dernière bénédiction en leur disant : « Si Dieu ne veut pas que nous nous revoyions, en ce monde, mes chères filles, ce sera dans le paradis. » Il s'embarqua sur le Rhône le 9 novembre, et descendit ainsi à Avignon, où il reçut le plus favorable accueil de Louis XIII, qui avait hérité de l'affection d'Henri IV pour ce saint prélat. Il revint peu de jours après à Lyon avec les deux cours de France et de Savoie. Les fatigues de ce voyage, les prédications, les entretiens continuels qu'il accordait aux personnes qui venaient le consulter de toutes parts, achevèrent de détruire sa santé. Le jour de la fête de saint Jean l'évangéliste, il dit la messe quoique très-souffrant, et à quatre heures après midi, il fut frappé d'une apoplexie dont il mourut le lendemain 28 décembre, après avoir souffert avec une patience admirable les applications les plus douloureuses du fer et du feu qu'on employait alors dans ce genre de maladie, et avoir montré les plus sublimes sentiments de l'amour divin qui l'avait animé pendant sa vie.

Le coeur de S. François de Sales fut remis à l'église des religieuses de la Visitation de Lyon, et Louis XIII le fit renfermer dans un magnifique reliquaire : le corps fut porté à l'église de la Visitation d'Annecy, conformément aux dernières volontés du saint évêque. L'opinion universelle de sa sainteté, les miracles par lesquels le ciel la manifesta, le firent béatifier en 1661, et canoniser eh 1666.

Sainte Jeanne-Françoise de Chantal survécut 19 ans à S. François de Sales; elle fonda quatre-vingt-sept couvents de son ordre, tarif en France qu'en Italie et en Savoie, et travailla avec le plus grand zèle à procurer au public tous les écrits du Saint : on lui doit particulièrement le Recueil de ses Lettres et ses Entretiens. Elle a été béatifiée en 1731, et canonisée en 1767.




LETTRE DCCCXXIX, A UNE DAME.

Maximes pour persévérer dans la piété au milieu des afflictions.,



Annecy, 28 avril 1622.

Plaise au Saint-Esprit de m'inspirer ce que j'ai à vous écrire, madame, et s'il vous plaît, ma très-chère fille: Il n'est besoin, pour vivre constamment en dévotion, que d'établir de fortes et excellentes maximes en son esprit.

La première que je souhaite au vôtre c'est celle de saint Paul (Rm 8,28). Tout revient au bien de ceux qui aiment Dieu. Et à la vérité, puisque Dieu peut " et sait tirer le bien du mal', pour qui fera-t-il cela, sinon pour ceux qui, sans réserve, se sont donnés à lui? Oui, même les péchés dont Dieu, par sa bonté, nous défende, sont réduits par la divine Providence au bien de ceux qui sont à lui. Jamais David n'eût été si comblé d'humilité, s'il n'eût péché ; ni Madeleine si amoureuse de son Sauveur, s'il ne lui eût remis tant de péchés ; et jamais il ne les lui eût remis, si elle ne les eût commis.

Voyez, ma chère fille, ce grand artisan de miséricorde ; il convertit nos misères en grâces, et fait, la thériaque salutaire à nos âmes, de la vipère de nos iniquités. Dites-moi donc, je vous prie, que ne fera-t-il pas de nos afflictions, de nos travaux, des persécutions qu'on nous fait? Si donc il arrive jamais que quelque déplaisir vous touche de quelque côté que ce soit, assurez votre âme, que si elle aime bien Dieu, tout se convertira en bien. Et quoique vous ne voyiez pas les ressorts par lesquels ce bien vous doit arriver, demeurez tant plus assurée qu'il arrivera. Si Dieu vous jette la boue (Jn 9,6) de l'ignominie sur les yeux, c'est pour vous donner la belle vue, et vous rendre un spectacle d'honneur. Si Dieu vous fait prendre une chute, comme à saint Paul qu'il jeta en terre, c'est pour vous relever à gloire.

La seconde maxime, c'est qu'il est vôtre Père : car autrement il ne vous commanderait pas de dire : Notre Père qui êtes au ciel. Et qu'avez-vous à craindre, qui êtes fille d'un tel père, sans la providence duquel pas un seul cheveu de votre tête ne tombera jamais (Lc 21,18 Mt 10,50) ? C'est une merveille qu'étant fils d'un tel père nous ayons ou puissions avoir autre souci que de le bien aimer et servir. Ayez le soin qu'il veut que vous ayez en votre personne et en votre famille, et non plus; car ainsi vous verrez qu'il aura soin de vous. Pense en moi, dit-il à sainte Catherine de Sienne, de laquelle nous célébrons aujourd'hui la fête, et je penserai en toi. O Père éternel! dit le sage, votre providence gouverne tout (Sg 14,5).

La troisième maxime que vous devez-avoir, c'est celle que notre Seigneur enseigna à ses apôtres. Qu'est-ce qui vous a manqué ? Voyez-vous, ma chère fille, notre Seigneur avait envoyé ses apôtres ça et là sans argent, sans bâton, sans souliers, sans besace, revêtus d'une seule soutane, et il leur dit par après : Quand je vous ai ainsi envoyés, quelque chose vous a-t-elle manqué ? Et ils lui dirent : Non (Lc 22,52). Or sus donc, ma fille, quand vous avez eu des afflictions, même du temps que vous n'aviez pas tant de confiance en Dieu, êtes-vous périe dans l'affliction ? Vous me direz : Non. Et pourquoi donc n'aurez-vous pas courage de réussir de toutes les autres adversités ! Dieu ne vous a pas abandonnée jusqu'à présent, comme vous abandonnerait-il dès à présent, que plus qu'auparavant vous voulez être sienne ?

N'appréhendez point le mal à venir de ce monde, car peut-être ne vous arrivera-t-il jamais; et cri tout événement, s'il vous arrive, Dieu vous fortifiera. Il commanda à saint Pierre de marcher sur les eaux; et saint Pierre voyant le vent et l'orage eut appréhension, et l'appréhension le fit enfoncer, et il demanda secours à son maître, qui lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté (Mt 14,28-29 Mt 14,50-51)? Et lui tendant la main, il l'assura. Si Dieu vous fait marcher sur les flots de l'adversité, ne doutez point, ma fille, n'appréhendez point, Dieu est avec vous : ayez bon courage, et vous serez délivrée.

La quatrième maxime, c'est celle de l'éternité. Peu m'importe que je sois parmi ces moments passagers, pourvu qu'éternellement je sois en la gloire de mon Dieu. Ma fille, nous allons à l'éternité, nous y avons presque déjà l'un des pieds ; pourvu qu’elle nous soit heureuse, qu'importe-t-il que ces instants transitoires nous soient fâcheux? Est-il possible que nous sachions que nos tribulations de trois ou quatre jours opèrent tant d'éternelles consolations (2Co 4,7), et que nous ne veuillions pas les supporter ? Enfin, ma très-chère fille,

Ce qui n'est pour l'éternité, Ne peut être que vanité.

La cinquième maxime, celle de l'apôtre. Je n'advienne que je me glorifie, sinon en la croix de mon Jésus (Ga 6,14). Plantez en votre coeur Jésus-Christ crucifié, et toutes les croix de ce monde vous sembleront des roses. Ceux qui sont piqués des épines de la couronne de notre Seigneur qui est notre chef, ne sentent guère les autres piqûres.

Vous trouverez- tout ce que je vous ai dit es troisième; quatrième ou cinquième et dernier livre de L’Amour de Dieu. Vous trouverez beaucoup de choses à ce propos en la grande Guide des Pécheurs de Grenade. Il faut que je finisse; car on me presse. Écrivez-moi confidemment, et me marquez ce que vous jugerez que je puisse pour votre coeur, et le mien le contribuera très-affectionnément'; car je suis en toute vérité, madame, votre, etc.


LETTRE DCCCXXX, A MADAME LA PRÉSIDENTE BRULART.

Avis sur la réforme d'une maison.



Madame ma soeur, je vous écrivis il y a six semaines, pour répondre à tout ce que vous m'aviez demandé ; et ne cloute nullement que vous n'ayez reçu ma lettre, ce qui me fera tenir plus resserré en celle-ci.

Selon ce que vous me proposez par la vôtre du vingt-sixième septembre, j'approuve que notre bonne abbesse (2) commence à bien établir ces petites règles que notre père a dressées, non pas pour s'arrêter là, mais pour passer par après plus aisément à plus grande perfection.

Rien ne nuit tant à cette entreprise que la variété des propositions qui se font, et surtout celles qu'on fait d'une règle si exacte ; car cela épouvante l'esprit de notre soeur, et des autres aussi. Il ne faut pas, ce me semble, leur dire combien elles ont de chemin à faire pour tout le voyage, mais seulement du jour à la journée. Et combien que notre soeur aspire à la perfection de la réforme, si ne faut-il pas pour cela la presser, car cela l'étourdirait ; au contraire, il lui faut prêcher la patience et longue haleine, autrement elle voudra que tout se fasse à coup ; et s'il y a quelque retardation, elle s'impatientera, et quittera tout ; et à là vérité, il y a occasion de se contenter de ce que notre Seigneur a mis en elle jusqu'à présent : il l'en faut remercier, et lui en demander davantage.

Pour ma petite soeur (1), je vous la laisse et ne m'en mets nullement en peine, mais je ne voudrais pas que notre père (2) eût peur qu'elle ne devint trop dévote, comme il a toujours eu peur de vous; car je suis assuré qu'elle ne péchera pas en excès de ce côté là. Mon Dieu! le bon père que vous avez ! Hélas ! ils ont un peu de jalousie de leur empire et domination, qui leur semble être aucunement" violée, quand on fait quelque chose sans leur autorité et commandement. Que voulez-vous? il leur faut permettre cette petite humanité. Ils veulent être maîtres, et n'est-ce pas la raison ? Si est certes, en ce qui dépend du service que vous leur devez ; mais les bons seigneurs ne considèrent pas que pour le bien de Pairie il faut croire les directeurs et médecins spirituels, et que sauf les droits qu'ils ont sur vous, vous devez procurer votre bien intérieur, par les moyens jugés convenables par ceux qui sont établis pour conduire les esprits.

Mais nonobstant tout cela, il faut beaucoup condescendre à leur volonté, supporter leurs petites affections ; et plier le plus qu'il se pourra, sans rompre nos bons desseins. Ces accommodements agréeront à notre Seigneur. Je vous l'ai dit autrefois : moins nous vivons à notre goût, et moins il y a de notre choix en nos actions, plus il y a de bonté et de solidité de dévotion. Il est force que quelquefois nous laissions notre Seigneur pour agréer aux autres pour l'amour de lui. ,'

Non, je ne me puis contenir, ma chère fille, que je ne vous dise ma pensée : je sais que vous trouverez tout bon ce qui vient de ma sincérité. Peut-être avez-vous donné occasion à ce bon père et à ce bon mari de se mêler de votre dévotion, et de s'en cabrer; que sais-je moi? A l'aventure que vous êtes un peu trop empressée et embesognée, et que vous avez voulu les presser eux-mêmes et les astreindre. Si cela est, sans doute, c'est la cause qui les fait tirer à quartier maintenant. Il faut, s'il se peut, nous empêcher de rendre notre dévotion ennuyeuse. Or je vous dirai maintenant ce-que vous ferez.

Quand vous pourrez communier sans troubler vos deux supérieurs, faites-le selon l'avis de vos confesseurs. Quand vous craindrez de les troubler; contentez-vous de communier d'esprit ; et croyez-moi, cette mortification spirituelle, cette privation de Dieu, agréera extrêmement à Dieu, et vous le mettra bien avant dans le coeur. Il faut quelquefois reculer pour mieux sauter.

(2) Madame l’abbesse du Puy-d'Orbe, soeur de madame Brulart.
(1) Une jeune soeur de madame Briilart.
(2) Le président de Crépy, père de madame Bru-larl.



J'ai souvent admire l'extrême résignation de S. Jean-Baptiste, qui demeura si longtemps au désert, tout proche de notre Seigneur, sans s'empresser de le voir, de le venir écouter et suivre ; et comme est-ce qu'après l'avoir vu et baptisé, il put le laisser aller sans s'attacher à lui de présence corporelle, comme il était si étroitement lié de présence cordiale. Mais il savait que ce même Seigneur était servi de lui par cette privation de sa présence réelle. Je veux dire, que pour un peu Dieu sera servi, si pour gagner l'esprit de ces deux supérieurs qu'il vous a établis, vous souffrez la privation de la communion réelle ; et me sera une bien grande consolation, si je sais que ces avis que je vous donne, ne mettent point votre, coeur en inquiétude. Croyez-moi; cette résignation, cette abnégation vous sera extrêmement utile. Vous pourrez néanmoins gagner des occasions secrètes pour communier ; car pourvu que vous défériez et compatissiez aux volontés de ces deux personnages, et que vous ne les mettiez point en impatience, je ne vous donne point d'autre règle de vos communions que celle, que vos confesseurs vous diront ; car ils voient l'état présent de votre intérieur, et peuvent connaître ce qui est requis pour votre bien.

Je réponds de même pour votre fille : laissez-lui désirer la très sainte communion jusqu'à Pâques, puisqu'elle n'a pu la recevoir sans offenser son bon père avant ce temps-là ; Dieu récompensera cette attente.

Vous êtes, à ce que je vois, au vrai essai de la résignation et indifférence, puisque vous ne pouvez pas servir Dieu à votre volonté. Je connais une dame des plus grandes âmes que j'aie jamais rencontrées, laquelle a demeuré longtemps à telle sujétion sous les humeurs de son mari, qu'au plus fort de ses dévotions et ardeurs, il fallait qu'elle portât sa gorge ouverte, et fût toute chargée de vanité en l'extérieur, et qu'elle ne communiât jamais, sinon que ce fût à Pâques, qu'en secret et à déçu de tout le inonde ; autrement elle eût excité mille tempêtes en sa maison ; et par ce chemin elle est arrivée bien haut, comme je le sais, pour avoir été son père de confession fort souvent.

Mortifiez-vous donc joyeusement; et à mesure que vous serez empêchée de faire le bien que vous désirez, faites tant plus ardemment le bien que vous ne désirez pas; Vous ne désirez pas ces résignations, vous en désireriez d'autres ; mais faites celles que vous ne désirez pas, car elles en valent mieux.

Les psaumes de David traduits ou imités par Desportes, ne vous sont nullement ni défendus ni nuisibles ; an contraire, tous sont profitables : lisez-les hardiment et sans doute ; car il n'y en a point. Je ne contredis jamais personne ; mais je sais fort bien que ces psaumes ne vous sont nullement prohibés, et qu'il n'y a nul lieu d'en faire scrupule. Il se peut faire que quelque bon père n'agrée pas que ses enfants spirituels les lisent, et peut-être le fait-il avec quelque bonne considération ; mais il ne s'ensuit pas que les autres n'aient de si bonnes considérations, et voire meilleures pour les conseiller aux leurs. Une chose est bien assurée, c'est que vous les pouvez lire en toute bonne occurrence.

Comme ainsi vous pouvez entrer au cloître du Puy-d'Orbe sans scrupule ; mais il n'y a pourtant pas lieu de vous ordonner pénitence pour le scrupule que vous en avez fait, puisque ce scrupule même est une assez grande peine à ceux qui le nourrissent ou souffrent; sans qu'on en impose d'autres. Alcantara est fort bon pour l'oraison.

Tenez votre coeur fort large, pour y recevoir toutes sortes de croix et de résignations ou abnégations, pour l'amour de celui qui en a tant reçu pour nous. Qu'à jamais son nom soit béni, et que son royaume se confirme es siècles éternels. Je suis en lui, et par lui, votre, et plus que votre frère et serviteur. "




LETTRE DCCCXXXI.

S. FRANÇOIS DE SAIES, A MADAME LA PRÉSIDENTE BRULART.

Moyens pour arriver à la perfection dans l'état du mariage.



Madame, je ne puis vous donner tout-à-coup ce que je vous ai promis ; car je n'ai pas assez d'heures franches pour mettre tout ensemble ce que j'ai à vous dire sur le sujet que vous avez désiré vous être expliqué par moi. Je vous le dirai à plusieurs fois : et outre la commodité que j'en aurai, vous aurez aussi celle-là, que vous aurez du temps pour bien remâcher mes avis.

Vous avez un grand désir de la perfection chrétienne : c'est le désir le plus généreux que vous puissiez avoir : nourrissez-le, et le faites croître tons les jours. Les moyens de parvenir à la perfection sont divers, selon la diversité des vocations : car les religieux, les veuves et les mariés doivent nous rechercher cette perfection, mais non pas par mêmes moyens. Car à vous, madame, qui êtes mariée, les moyens sont de vous bien unir à Dieu, et à votre prochain, et à ce qui dépend d'eux. Le moyen pour s'unir à Dieu, ce doit être principalement l'usage des sacrements et l'oraison.

Quant à l'usage des sacrements, vous ne devez nullement laisser écouler aucun mois que vous ne communiez ; et même dans quelque temps, selon le progrès que vous aurez fait au service de Dieu, et selon le conseil de vos pères spirituels, vous pourrez communier plus souvent.

Mais quant à la confession, je vous conseillerai bien de la fréquenter encore plus, principalement s'il vous arrivait quelque imperfection de laquelle votre conscience fût affligée, comme il arrive bien souvent au commencement de la vie spirituelle : néanmoins, si vous n'aviez pas les commodités requises pour vous confesser, la contrition et repentance y suppléera.

Quant à l'oraison, vous la devez fort fréquenter, spécialement la méditation, à laquelle vous êtes assez propre, ce me semble. Faites-en donc tous lés jours une petite heure le matin avant de sortir, ou bien avant le souper : et gardez-vous bien de la faire, ni après le dîner, ni après le souper ; car cela gâterait votre santé.

Et pour vous aider à la-bien faire, if faut qu'avant icelle vous sachiez le point sur lequel vous devez méditer; afin que commençant l'oraison vous ayez vôtre matière prête, et à cet effet vous ayez les auteurs qui ont couché les points des méditations sur la vie et mort de notre Seigneur, comme Grenade, Bellintani, Capillia, Bruno, dans-lesquels vous choisirez la méditation que vous voudrez faire, et la lirez attentivement, pour vous en ressouvenir au temps de l'oraison, et n'avoir d'autre chose à faire que de les remâcher, suivant toujours la méthode que je vous mis par écrit en la méditation que je vous donnai le Jeudi-Saint.

Outre cela, faites souvent des oraisons jaculatoires à notre Seigneur, et à toutes les heures que vous pourrez, et en toutes compagnies ; regardant toujours Dieu dans votre coeur, et votre coeur en Dieu.

Prenez plaisir à lire les livres que Grenade a faits de l'oraison et méditation ; car il n'y en a point qui vous instruisent mieux, ni avec plus de mouvement. Je voudrais qu'il ne se passât aucun jour, sans que vous donnassiez une demi-heure, ou une heure, à la lecture de quelque livre spirituel ; car cela vous servirait de prédication.

Voilà les principaux moyens de se bien unir avec Dieu'. Quant à ceux qui servent pour se bien unir avec le prochain, ils sont en grand nombre ; mais je n'en dirai que quelques-uns.

Il faut considérer le prochain en Dieu, qui veut que nous l'aimions et caressions. C'est l'avis de S. Paul, qui ordonne (Ep 6,3-7) aux serviteurs de servir Dieu en leurs maîtres, et leurs maîtres en Dieu. Il faut s'exercer en cet amour du prochain, le caressant extérieurement : et bien qu'il semble au commencement que c'est à contrecoeur, ne le faut point laisser pour cela ; car cette répugnance de la partie inférieure enfin sera vaincue de l'habitude et bonne inclination, qui sera produite par la répétition des actions. Il faut rapporter à ce point les oraisons et méditations ; car après avoir demandé l'amour de Dieu, il faut toujours demander celui des prochains, et particulièrement de ceux auxquels notre volonté n'a mille inclination.

Je vous conseille de prendre quelquefois la peine de visiter les hôpitaux, consoler les malades, considérer leurs infirmités, attendrir votre coeur sur icelles, et prier pour eux en leur faisant quelque assistance.

Mais eh tout ceci prenez garde soigneusement que monsieur vôtre mari, vos domestiques, et messieurs vos parents ne soient offensés par de trop longs séjours aux églises, des trop grands retirements et abandonnements du soin de votre ménage : ou, comme il arrive quelquefois, vous rendant contrôleuse des actions d'autrui, ou trop dédaigneuse des conversations où les règles de dévotion ne sont pas si exactement observées ; car en tout cela il faut que la charité domine et nous éclaire, pour nous faire condescendre aux volontés du prochain, en ce qui ne sera pas contraire aux commandements de Dieu.

Vous ne devez pas seulement être dévote et aimer la dévotion, mais vous la devez rendre aimable, utile et agréable à chacun. Les malades aimeront votre dévotion, s'ils en sont Charitablement consolés : votre famille l'aimera, si elle vous reconnaît plus soigneuse de son bien, plus douce aux occurrences des affaires, plus aimable à reprendre, et ainsi du reste : monsieur votre mari, s'il voit qu'à mesure que votre dévotion croit, vous êtes plus cordiale en son endroit, et sbuè'vé en l'affection que vous lui portez : messieurs vos parents et vos amis, s'ils reconnaissent en vous plus de franchise, de support et de cou-descendance à leurs volontés qui ne seront pas contraires à celles de Dieu. Bref, il faut, tant qu'il est possible, rendre votre dévotion attrayante.

J'ai fait un petit avertissement sur le sujet de la perfection de; la vie chrétienne, dont je, vous envoie une copie, que je désire être communiquée, à madame du Puy-d'Orbe; prenez-la en bonne part, comme aussi cette lettre, qui sort d'une amé; qui est entièrement- affectionnée à votre bien spirituel, et qui ne désire rien plus que de voir l'oeuvre de Dieu parfaite en votre esprit. Je vous supplie de me donner quelque part en vos prières et communions, comme aussi je vous assure que je vous ferai toute ma vie part aux miennes, et serai sans lin, votre, etc.




LETTRE DCCCXXXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Avis sur l'entrée d'une fille en religion. Dangers des fréquentations entre les confesseurs et les pénitentes. Conseil sur la fréquente communion.



Ma très-chère soeur, ma fille, j'ai vos deux lettres, dont la première est de l'onze du mois passé, et la seconde de l'onzième de celui-ci ; et j'ai tant à répondre à la première, parce que je l'ai reçue seulement depuis peu, et non guère plus tôt que la seconde.

Vous devez croire le confesseur N. en ce qui regarde son entrée en religion ; car vous ne sauriez mieux apprendre l'intention de notre Seigneur que par l'avis de celui qu'il a donné pour directeur à la fille dont il s'agit, que sa divine majesté ne voulait pas cet holocauste en effet final, mais seulement en affection et application commencée, comme il fit d'Isaac: c'est-à-dire, si cette chère fille, étant entrée en l'ordre, ne se trouvait pas forte pour y persévérer, mon Dieu ! quel mal y aurait-il en cela ? Nul, sans doute; et en ce cas il faudrait renoncer à nos goûts et plus secrètes affections, pour acquiescer à la sainte volonté de Dieu.

Puisque donc maintenant elle est prête, au jugement de son père spirituel et bonnes mères carmélites, et que M. son père contribue son consentement, il semble qu'en toute assurance vous en pouvez faire l'offrande, et que notre Seigneur l'aura fort agréable, sauf néanmoins en son bon plaisir de disposer de sa persévérance en cet état particulier, ou de sa sortie, selon que sa providence trouvera meilleur; à quoi nous nous conformerons toujours, et sans répliquer. Car il n'est pas raisonnable de prescrire à cette infinie sapience la façon de laquelle il nous veut rendre siens. Voilà pour le premier point.

Pour le second, je regrette infiniment que ce personnage se laisse si longtemps tromper, et trompé soi-même en cette indiscrète et superflue hantise, et surtout puisqu'elle donne du scandale. 0 Dieu ! que ce leur serait chose utile à tous deux de renoncer à ces inutiles et inconsidérées complaisances, et que ce serait aussi une grande charité de les en retirer ! Mais quant à la personne que je connais, quoique jadis elle fût aucunement intéressée en ce mal, qui, pour n'être pas vicieux, ne laisse pas d’être périlleux, je ne trouve aucun inconvénient que quelquefois, selon les occurrences, elle se confesse en toute liberté à ce personnage-là, dans le coeur duquel, s'il y avait quelque impureté, elle ne s'y glisserait pas par la confession, mais oui bien par les autres conférences, conversations ou privautés et hantises. Qu'elle s'y confesse donc librement es occasions, mais qu'elle ne lui parle pas hors de là que courtement et promptement.

Pour le troisième, croyez fermement que vous n'avez ni retenez à votre escient aucune affection contre la volonté de Dieu, c'est-à-dire pour le péché véniel, encore que plusieurs imperfections et de mauvaises inclinations de temps en temps vous surprennent; et ne laissez pas de faire la communion le jeudi, et les fêtes sur semaine, et les mardi du carême : mais cela n'en doutez plus, ains employez votre coeur à être bien fidèle en l'exercice de la pauvreté parmi les richesses, de la douceur et tranquillité parmi le tracas, et de la résignation du coeur de tout ce qui doit vous arriver en la providence de Dieu. Qu'est-ce qui nous peut manquer, ayant Dieu ?

Pour le quatrième, il est mieux en toute façon que vous oyez la sainte messe tous les jours, et y faire l'exercice de la messe, que de l'ouïr pas, sous prétexte de continuer l'oraison chez vous. Je dis qu'il est mieux, non-seulement parce que cette réelle présence de l'humanité de notre Seigneur en la messe ne peut être suppléée par la présence mentale, bien que pour quelque digne respect on demeure éloigné, d'icelle, mais aussi parce que l'Église désire fort que l'on assiste à la messe : et ce désir tient lieu de conseil, auquel cette espèce d'obéissance doit s'accommoder quand on le peut bonnement; et parce que votre exemple est utile au simple peuple en la qualité que vous êtes : or il n'aura point d'exemples de ce que vous ferez en votre oratoire. Arrêtez-vous donc à ceci, ma très-chère fille !

Je ne prêcherai ce carême qu'au monastère de cette ville, et cinq ou six fois en la grande église. Je suis plein.de santé, à mon avis ; fus-je plein de sainteté, comme mon rang et ma charge le requièrent !

La bonne madame de Chantal a témoigné et témoigne une vertu toute particulière en l'occasion du trépas de monsieur son père, qu'elle n'a su que depuis trois jours, parce que, la voyant si affaiblie de sa maladie, je lui celai cette mauvaise nouvelle, tant que je pus, sachant bien que cela retarderait le retour de sa santé. Vanité des vanités, et toutes choses sont vanités, ma très-chère fille, sinon d'aimer et de servir Dieu (1). Cette bonne soeur a été toute consolée d'entendre que son père était mort en l'acte de repentance. Demeurez toute en Dieu, ma très-chère fille, vivez saintement joyeuse, douce et paisible. Je suis, mais fort absolument, ma très-chère fille, votre, etc.



(1) Vanitas vanitatum, et omnia vanitas, praeter amare Deum et illi servire. De Imitatione Chr., lib. t, c. i, n. 50.




LETTRE DGCCXXXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE

Qui trouvait des obstacles à son désir d'être religieuse.



Mademoiselle, vous devez vous résigner entièrement entre les mains de notre bon Dieu, lequel quand vous aurez fait votre petit devoir à la sollicitation de ce dessein que vous avez, aura très-agréable tout ce que vous ferez, encore que ce sera beaucoup moins. Bref vous devez avoir courage à bien procurer que vous soyez religieuse, puisque Dieu vous en donne, tant de désir : mais si après tous vos efforts vous ne pouvez pas réussir, vous ne sauriez davantage plaire à notre Seigneur, que de lui sacrifier votre volonté, et demeurer en tranquillité, humilité et dévotion, entièrement remise et soumise à son divin vouloir et bon plaisir, lequel vous reconnaîtrez assez, quand ayant fait votre possible, vous ne pourrez pas jouir de vos souhaits.

Car notre bon Dieu éprouve quelquefois notre courage et notre amour, en nous privant des choses qui nous semblent, et qui sont très-bonnes à l'âme ; et s'il nous voit ardents à la poursuite, et néanmoins humbles, tranquilles et résignés au manquement et à la privation de la chose, poursuivie, il nous donne des bénédictions plus grandes en la privation, qu'il ne nous en donne en la possession de l'état désiré ; car en tout, et partout, Dieu aime ceux qui de bon coeur et simplement, en toutes occasions, et en tous accidents peuvent, lui dire - "Votre volonté soit faite.




LETTRE DCCCXXXIV:

s. fkançois de sales, a un gentilhomme

Qui voulait se retirer du monde.



Monsieur, allez et bénissez notre Seigneur de la favorable inspiration qu'il vous a donnée pour vous retirer de ce grand et large train, que ceux de votre âge et de votre profession ont accoutumé de suivre, ;et par lequel ils arrivent ordinairement à mille sortes de vices et d'inconvénients, et de là bien souvent à la damnation éternelle. Au demeurant, pour rendre cette divine vocation fructueuse, et pour plus clairement apprendre l'état que vous devez choisir, pour la plus grande satisfaction de cette miséricorde infinie, qui vous semond à son parfait amour, je vous conseille de pratiquer ces exercices pour ces trois mois suivants.

Premièrement, que vous retranchiez quelques satisfactions sensuelles, que vous pourriez autrement prendre sans offenser Dieu, et que pour cela vous vous leviez toujours à six heures du matin, soit que vous ayez bien dormi, ou mal dormi, pourvu que vous ne soyez pas malade (car alors il faudrait condescendre au mal), et pour faire quelque chose de plus les vendredis, vous vous leviez à cinq heures. Ce point ici vous donnera plus de loisir de faire l'oraison et la lecture.

Item, que vous vous accoutumiez à dire tous les jours après pu devant l'oraison, quinze Pater noster et quinze Ave Maria, les bras étendus en guise de crucifix. ...

Davantage,- que vous renonciez aux plaisirs du goût, mangeant les viandes que vous pourrez avoir à table, lesquelles vous seront les moins agréables, pourvu qu'elles ne soient point malsaines, et laissant, celles auxquelles votre goût aura plus d'inclination.

Encore voudrais-je que quelquefois la semaine vous couchassiez vêtu.

Car ces petites et faibles austérités vous serviront à double fin ; l'une, pour impétrer plus aisément la lumière requise à votre esprit pour faire son choix (car la dépérition du corps, en ceux qui ont les forces et la santé entière, élève merveilleusement l'esprit); l'autre, pour essayer et tâter l’âpreté, afin de voir si vous la pourriez embrasser, et quelle répugnance vous y aurez; car cet essai vous est requis pour l'épreuve de la faible inclination que vous avez à la retraité du monde ; et si vous êtes fidèle en la pratique du peu que je vous propose, on pourra juger quel vous seriez en beaucoup, qui s'exerce aux religions. ;

Priez instamment notre Seigneur qu'il vous illumine, et lui dites souvent la- parole de saint Paul, «Seigneur, que voulez vous que je fasse ? » Domine, quid me vis facere (Ac 9,6).? et celle de David : Doce me facere voluntatem tuam quia Deus meus es tu (Ps 143,10),- surtout, si parmi la nuit vous vous éveillez, employez bien ce temps-là à parler seul à notre Seigneur sur votre choix ; protestez souvent à sa majesté que vous lui résignez ; et laissez en ses mains la disposition de tous les moments de votre vie, et qu'il lui plaise les employer à son gré.

Ne faites point de faute de faire l'oraison le matin et le soir; quand vous pourrez, une petite retraite avant souper pour élancer votre coeur en notre Seigneur.

Faites les passe-temps qui seront plus vigoureux, comme de monter à cheval, sauter, et autres tels ; et non pas les mollets, comme de jouer aux cartes et danser. Mais si de ceux-là vous êtes touché de quelque gloire, hélas! direz-vous, que me sert tout ceci à l'éternité ?

Communiez tous les dimanches, et toujours avec prières, pour impétrer la lumière requise : et ces jours-lâ de fête, vous pourrez bien visiter par manière d'exercice les lieux saints des capucins, saint Bernard, les chartreux. Dieu vous veuille donner sa paix, sa grâce, sa lumière et sa très-sainte consolation.

Si vous sentez l'inspiration prendre force du côté de la religion, et que votre coeur en soit pressé, conférez avec votre confesseur ; et en cas que vous preniez résolution, allez disposant le grand-père à cela, afin que moins qu'il sera possible, l'ennui et le déplaisir de votre retraite ne tombent sur la religion, et vous seul en soyez chargé. « O que Dieu est bon à son Israël! Qu'il « est bon à ceux qui sont droits de coeur (Ps 73,1) ! »


SUITE DE LA LETTRE.
Considérations propres à une personne qui a une inspiration de quitter le monde.


Ier POINT. — Considérez premièrement, que notre Seigneur ayant pu obliger ses créatures à toutes sortes de services et obéissances envers lui, il ne l'a pas néanmoins voulu faire, ains s'est contenté de nous obliger à l'observation de ses commandements. De manière que s'il eût plu ordonner que nous jeûnassions toute notre vie, que nous fissions tous vie d'ermites, de chartreux, de capucins, encore ne serait-ce rien au respect du grand devoir que nous lui avons ; et néanmoins, il s'est contenté que nous gardassions simplement ses commandements.

IIe POINT. — Considérez secondement, qu'encore qu'il ne nous ait point obligés à plus grand service qu'à celui que nous lui rendons en gardant ses commandements, si est-ce qu'il nous a invités, et conseillés, à faire une vie très-parfaite, et observer l'entier renoncement des vanités et convoitises du monde.

IIIe POINT. — Considérez troisièmement, que, soit que nous embrassions les conseils de notre Seigneur, nous rangeant à une vie plus étroite, soit que nous demeurions en la vie commune, et en l'observance seule des commandements, nous aurons eh tout de la difficulté; car si nous nous retirons du monde, nous aurons de la peine de tenir perpétuellement bridés et sujets nos appétits,- renoncer à nous-mêmes, résigner notre propre volonté, et vivre en une très-absolue sujétion sous les lois de l'obéissance, chasteté et pauvreté. Si nous demeurons au chemin commun, nous aurons une peine perpétuelle à combattre le monde qui nous environnera, à résister aux fréquentes occasions de pécher qui nous arrivent, et à tenir notre barque sauve parmi tant de tempêtes.

IVe POINT. — Considérez quatrièmement, qu'eu l'une et en l'autre vie, servant bien notre Seigneur, nous aurons mille consolations hors du monde. Le seul contentement d'avoir tout quitté pour Dieu, vaut mieux que mille mondes; la douceur d'être conduit par l'obéissance, d'être conservé par les lois, et d'être comme à couvert des plus grandes embûches, sont de grandes suavités ; laissant à part la paix et tranquillité qu'on y trouve, le plaisir d'être occupé nuit et jour à l'oraison et choses divines et mille telles délices. Et quant à la vie commune, la liberté, la variété du service qu'on peut vendre à notre Seigneur, l'aisance de n'avoir à observer que les commandements de Dieu, et cent autres telles considérations, la rendent fort délectable.

CONCLUSION — Sur tout cela, hélas ! direz-vous à Dieu, Seigneur en quelle condition vous servirai-je ? Ah ! mon âme ! où que ton Dieu t'appelle, tu lui seras fidèle. Mais de quel côté t'est-il avis que tu ferais mieux? Examinez un peu votre esprit, pour savoir s'il sent point aucune inclination plutôt d'un côté que d'autre; et l'ayant découvert, ne faites encore point de résolutions, ains attendez jusqu'à ce qu'on vous le dise.


Autre méditation, ou Considérations sur la naissance du Sauveur dans l'étable de Bethléem.


Ier POINT. — Imaginez-vous de voir S. Joseph avec la sainte Vierge sur le point de son accouchement, arriver en Bethléem, et chercher partout à loger, sans trouver aucun qui les veuille recevoir. O Dieu ! quel mépris et rejet le monde fait des gens célestes et saints, et comme ces deux saintes âmes embrassent volontiers cette abjection ! Ils ne s'élèvent point, ils ne font point de remontrances de leur qualité, mais tout simplement reçoivent ces refus et âpretés avec une douceur non pareille. Ha ! misérable que je suis, le moindre oubli que l'on fait de l'honneur pointilleux qui m'est dû, ou que je m'imagine m'être dû, me trouble, m'inquiète, excite mon arrogance et ma fierté; partout je me pousse à vive force es premiers rangs. Hélas ! quand aurai-je cette vertu, le mépris de moi-même et des vanités !

IIe POINT. — Considérez comme S. Joseph et Notre-Dame entrent dans l'entrée et porche qui servait parfois d'établerie aux étrangers, pour y faire le glorieux enfantement du Sauveur. Où sont les superbes édifices que l'ambition du monde élève pour l'habitation des vils et détestables pécheurs ? Ah ! quel mépris des grandeurs du inonde nous a enseigné ce divin Sauveur ! Que bienheureux sont ceux qui savent aimer la sainte simplicité et modération! Misérable que je suis ! il me faut des palais; encore n'est-ce pas assez : et voilà mon Sauveur sous un toit tout percé et sur du foin, pauvrement et piteusement logé !

IIIe POINT. — Considérez ce divin petit enfançon né, nu, frileux dans une crèche, enveloppé de bandelettes. Hélas! que tout est pauvre! que tout est vil et abject en cet accouchement ! Que nous sommes douillets, et sujets à nos commodités, amoureux de sensualités ! Il faut grandement exciter en nous le mépris du monde, et le désir de souffrir pour notre Seigneur les abjections, mésaises, pauvretés et manquements.

CONCLUSION — Si vous êtes quelquefois un peu difficile à traiter en vos infirmités temporelles, petit à petit cela se passera. L'esprit humain fait tant de tours et retours, sans que nous y pensions, qu'il ne se peut qu'il ne fasse des mines ; celui pourtant qui en fait le moins est le meilleur.





F. de Sales, Lettres 1842