Bernard sermons 4030

4030 3. Le même apôtre continue: « En effet, qui est-ce qui est vainqueur du monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu (1Jn 5,5) ? » Il n'y a rien de plus certain que cela, mes frères, il est bien sûr que quiconque ne croit pas au Fils de Dieu, non-seulement est déjà vaincu, mais jugé même, car sans la foi il n'est pas possible de plaire à Dieu (He 11,6). Toutefois, un doute peut-être s'élève dans votre esprit, en voyant que, parmi tant d'hommes qui croient que Jésus est le Fils de Dieu, il y en a si peu qui ne soient pas dans les liens de leurs passions. Pourquoi donc dire . « Qui est-ce qui vaine le monde, sinon celui qui croit que Jésus est Fils de Dieu, » puisque le momie lui-même tout entier le croit maintenant? Est-ce que les démons ne le croient pas aussi, et ne tremblent-ils pas? Je réponds à cela, qu'il ne faut pas croire que c'est regarder Jésus comme le Fils de Dieu, que de ne se sentir ni effrayé de ses menaces, ni attiré par ses promesses, ni obéissant à ses préceptes, ni soumis à ses conseils. Celui qui en est là, quand même il confesserait de bouche qu'il le tient pour Dieu, ne le niet-il point par sa conduite? Or, « la foi sans les oeuvres est une foi morte (Jc 2,20), » en elle-même. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'une foi pareille ne soit pas le moins du monde victorieuse, puisqu'elle n'est pas même vivante.

4. Vous me demandez quelle est, pour moi, la foi vive et victorieuse? C'est celle par laquelle le Christ habite dans nos coeurs, attendu que le Christ est notre force et notre vie. En effet, selon l'Apôtre : « Lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, viendra à paraître, vous paraîtrez aussi alors dans la gloire (Col 3,4). » Mais d'où viendra cette gloire, sinon de la victoire, et pourquoi apparaîtrons-nous avec lui sinon parce que nous vainquons avec lui? D'ailleurs, s'il n'y a qu'à ceux qui reçoivent le Christ qu'il est donné d'être faits enfants de Dieu, il s'ensuit que ce n'est que d'eux aussi qu'il a été dit : « Quiconque est né de Dieu vainc le monde. » De là vient encore que après avoir dit : « Quel est celui qui vainc le monde si ce n'est celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu. » L'Apôtre, voulant nous rendre encore plus précieuse la foi par laquelle, ainsi que je l'ai dit, le Christ habite dans nos coeurs, nous parle aussitôt de son avènement et nous dit : « C'est ce même Jésus qui est venu nous purifier avec l'eau et avec le sang (1Jn 5,6). » Il nous montre même une voie plus élevée encore en continuant : « Et c'est l'Esprit aussi qui rend témoignage que Jésus-Christ est le Fils de Dieu (1Jn 5,6). Je pense que par ces mots qu'il place entre le commencement et la fin, de sa phrase, « non-seulement avec l'eau, mais aussi avec le sang, » il veut nous faire sentir la différence qu'il y a entre Jésus et Moïse qui vint dans l'eau seulement, d'où son nom de Moïse.

4031 5. Que ceux qui connaissent l'histoire de l'ancien Testament se rappellent comment, à l'époque où tons les enfants mâles des Israélites étaient tués en Egypte, Moïse fut exposé sur le Nil et sauvé par la fille du Pharaon , et qu'ils me disent s'il n'est pas évident qu'il fut en cette circonstance la figure de Jésus-Christ. En effet, comme Hérode, le Pharaon d'Egypte cède à la crainte lorsqu'il a recours à la cruauté, mais comme lui aussi, il fut déçu dans son attente. Dans les deux cas, bien des enfants périrent à cause de la crainte que ces tyrans avaient conçue d'un seul enfant, et dans les deux cas aussi, c'est celui à qui ils en voulaient, qui échappe à la mort. Bien plus de même que c'est la fille de Pharaon qui reçut Moïse dans ses mains et le sauva, ainsi est-ce l'Egypte qu'on peut regarder avec raison comme la fille du Pharaon qui reçut le Christ et le sauva. Toutefois il est clair qu'il y a bien plus en cet enfant que dans Moïse, puisqu'il ne vient pas seulement dans l'eau, mais dans l'eau et dans le sang. « En effet, les grandes eaux, dit saint Jean, ce sont tous les peuples (Ap 17,9). » Ainsi celui qui n'a réuni qu'un peuple, mais ne. l'a point racheté, est venu dans l'eau seulement. Quant à la délivrance de la servitude d'Égypte, ce n'est pas à Moïse mais au sang même de l'Agneau qu'elle est due; or, elle est la figure de notre délivrance, de notre sortie de la vie pleine de vanité que nous menions dans le monde, par la vertu du sang de Jésus-Christ, l'Agneau immaculé! C'est lui qui est notre législateur, celui en qui se trouvent une foule de miséricordes, qui n'est pas mort seulement pour son peuple, mais pour tous les enfants de Dieu qui étaient dispersés, afin de les rassembler en un seul peuple. Rappelez-vous que Jean l'évangéliste lui-même a vu ce qu'il nous rapporte, et nous savons que son témoignage est véridique, qu'il a vu, dis-je, le sang et l'eau couler du côté du Sauveur endormi sur la croix, alors que pendant le sommeil de mort de ce nouvel Adam, l'Église naquit et fut rachetée en même temps.

6. C'est donc ainsi qu'il vient aujourd'hui à nous par l'eau et par le sang, de manière que le sang et l'eau soient un témoignage de son avènement et de la victoire de là foi. Mais il est un témoignage bien plus grand que celui-là encore, c'est le témoignage de l'esprit même de vérité. Ce triple témoignage est vrai et certain, heureuse l'âme qui mérite de le recevoir. « En effet, il y a trois témoins qui rendent témoignage sur la terre, c'est l'esprit, l'eau et le sang. » Or dans l'eau, voyez le baptême, dans le sang, le martyre et dans l'esprit la charité, car c'est l'esprit qui donne la vie, et la vie de la foi est la charité. Et si vous me demandez quel rapport il y a entre le Saint-Esprit et la charité, Paul vous répondra : « C'est que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rm 5,5). » Or, il faut absolument que le Saint-Esprit s'ajoute à l'eau et au sang puisque, toujours depuis le même Apôtre, tout ce que nous avons sans la charité ne sert à rien (1Co 13,3).

4032 7. Mais si je dis que l'eau désigne ici le baptême, et le sang le martyre, cela n'empêche pas que le baptême soit en même temps unique et quotidien, de même que le martyre. Il y a, en effet, un martyre spirituel et un acte d'effusion de sang dans les mortifications journalières de la chair, de même qu'il y a une sorte de baptême dans la componction du coeur et dans l'effusion des larmes. Voilà comment les coeurs faibles et infirmes, qui ne peuvent verser leur sang tout d'un coup pour Jésus-Christ, se trouvent dans la nécessité de le répandre, dans un martyre plus doux, mais beaucoup plus long. Il en est de même du baptême : comme il ne peut se réitérer, il ne reste à ceux qui tombent fréquemment encore dans le péché qu'à le suppléer par de fréquentes ablutions. Voilà pourquoi le Prophète disait : « Je laverai toutes les nuits mon lit de mes larmes et j'arroserai ma couche de mes pleurs (Ps 6,7). » Voulez-vous donc savoir qui est celui qui vainc le monde? Remarquez ce qu'il y a à vaincre en lui, c'est saint Jean lui-même qui vous l'apprend en ces termes : « Mes chers amis, n'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde; car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou ambition du siècle (1Jn 2,15 1Jn 2,26). » Voilà ce qu'il faut entendre par les trois colonnes d'attaque qu'ont formées les Chaldéens, mais cela me rappelle que le saint patriarche Jacob marcha aussi sur trois colonnes quand il revint de Mésopotamie, parce qu'il appréhendait le courroux de son frère. A vous aussi, mes frères, il faut trois sortes de remparts contre ces trois sortes de tentations, la mortification de la chair vous fera vaincre la concupiscence, et, si vous vous le rappelez, je vous ai dit que le témoignage du sang ne signifiait pas autre chose que la mortification ; quant à la concupiscence des yeux, c'est par les sentiments de la componction et la fréquence des larmes que vous en viendrez à bout, et pour ce qui est de l'ambition, c'est la charité qui en anéantira la vanité, car il n'y a qu'elle pour châtier l'âme et purifier l'intention. D'ailleurs, vous êtes sûrs d'avoir triomphé du monde si vous mortifiez votre corps, et le conduisez en esclavage, de peur qu'il n'abuse de sa liberté pour s'adonner aux plaisirs; si vous avez des yeux plutôt pour pleurer que pour satisfaire votre dissipation et votre curiosité; si enfin, embrasés d'un amour tout spirituel vous n'ouvrez votre coeur à aucune vanité.

8. C'est avec bien juste raison qu'il est dit que c'est un seul et même esprit qui rend témoignage en même temps dans le ciel et sur la terre ; en effet pour ce qui est de l'affliction de la chair, elle aura un terme, et la source des larmes se tarira un jour; mais quant à la charité, elle ne faillira jamais; nous n'en avons qu'une sorte d'avant-goût dans la vie présente, nous en aurons la plénitude et la consommation dans l'autre. Toutefois, quoique l'esprit demeure après l'eau et le sang, attendu que ni l'eau ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu, il est bien rare, en attendant, qu'il se trouve sans eux si tarit est qu'il puisse subsister maintenant sans eux, car, dit saint Jean, « Tous les trois ne font qu'un (1Jn 5,7) » en sorte que si l'un des trois fait défaut on ne peut dire que les deux autres subsistent. Ensemble ces trois témoignages méritent toute créance, et celui en qui ils se trouvent réunis ici-bas ne saurait manquer d'avoir un bon témoignage dans les cieux. Il confesse le Fils de Dieu devant les hommes, non pas de la voix et en ses paroles seulement, mais par les oeuvres et en vérité, et le Fils de Dieu le confessera à son tour devant les anges de Dieu. Le témoignage du Père pourra-t-il lui manquer s'il a celui du Fils? Non certainement, et le Père certainement rendra témoignage de ce qu'il a vu dans le secret (Mt 6,6). Quant au Saint-Esprit, il ne se sépare ni du Père, ni du Fils, puisqu'il est l'esprit et du Père et du Fils. D'ailleurs, comment pourrait-il être privé dans le ciel du témoignage qu'il a mérité de recevoir de lui sur la terre? « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit (1Jn 5,7). » N'allez pas croire par hasard que ces trois témoins ne concordent point ensemble, tous trois ne font qu'un. Assurément ceux que le Père recevra dans les cieux avec le titre d'enfants et d'héritiers, que le Fils appellera à lui comme ses frères, et ses co-héritiers, et que le Saint-Esprit confondra en un seul et même Esprit avec Dieu, à qui ils sont étroitement unis, car le Saint-Esprit est le lien indissoluble de la Trinité, celui par qui avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a daigné le demander pour ses disciples à leur Père, nous sommes faits un avec le Père et le Fils de même que par lui aussi le Père et le Fils ne font qu'une même chose, ne saurait recevoir un petit témoignage dans les cieux.


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SECOND SERMON POUR LE DIMANCHE DE L'OCTAVE DE PAQUES. Sur les trois témoignages.

1. Il nous a été lu aujourd'hui un passage de la lettre de saint Jean, où nous voyons que, de même qu'il y a trois témoignages dans le ciel, il y en a aussi trois sur la terre (1Jn 5,7). A mon avis, le triple témoignage des cieux est celui de la stabilité, et le triple de la terre celui de la réparation; l'un concerne les anges, et l'autre, les hommes. Ainsi les anges qui, au moment de la révolte de l'orgueilleux Lucifer, sont demeurés dans la vérité, reçoivent le témoignage de la vision de la . Trinité; et les hommes que la divine miséricorde sauve, reçoivent celui de l'Esprit, de l'eau et du sang. Pourquoi le Père ne rendrait-il point témoignage à ceux par qui il a été honoré comme Père? Quant à toi, perfide ennemi, voilà en quels termes il s'adresse à toi : « Si je suis Père où donc est l'honneur que vous me rendez (Ml 1,6) ? » Tu ne saurais donc avoir pour toi le témoignage du Père, toi qui t'efforces d'usurper la gloire qui lui est due, toi qui au lieu de lui rendre honneur n'as qu'un désir, celui de l'égaler. « Je m'assoirai, dit-il, sur la montagne de l'alliance... et je serai semblable au Très-Haut (Is 14,14-15). » Ainsi, toi qui n'es qu'un être créé, tu partagerais le trône du Père même des esprits célestes? Mais pourtant ce n'est pas encore à toi qu'il a dit : « Asseyez-vous à ma droite (Ps 109,1). » Si tu l'ignores, ô impudent, apprends qu'il n'y a que le Fils unique du Père, que son éternelle génération rend égal au Père et fait asseoir à ses côtés. En songeant à usurper l'égalité avec Dieu, tu portes atteinte dans ta jalousie à la gloire du Fils, à cette gloire qu'il tient du Père comme engendré de lui, en sorte que tu ne peux plus t'attendre maintenant à avoir son témoignage pour toi. Mais s'il ne peut comptes sur le témoignage du Père ni du Fils, se flattera-t-il de celui du Saint-Esprit qui procède de l'un et de l'autre? On ne saurait douter que l'Esprit, qui est ami de la paix déteste les coeurs superbes et inquiets autant qu'il se plaît à se reposer sur les humbles et les pacifiques, et que celui qui est le lien même de l'unité, s'élève contre toi pour la paix et pour l'unité.

2. Faut-il s'étonner, mes frères, si nous craignons que le solitaire farouche ne se mette à ravager la vigne du Seigneur? Que de bourgeons de la vigne céleste la première incursion de ce solitaire a brisés! Mais peut-être avez-vous plus remarqué en lui, l'orgueil que la solitude. Eh bien, dites-moi, quand tous les anges se tenaient debout, celui qui seul ose concevoir la pensée de s'asseoir, ne s'est-il pas signalé à tous les yeux, par le vice de la singularité? Mais peut-être me demandez-vous où j'ai appris que tous les anges se tenaient debout. Je le tiens de deux témoins, dont l'un, c'est Is 7,12); » et l'autre, Daniel, me dit : « un million d'anges le servaient, et il y en avait un million qui se tenaient debout devant lui (Da 7,10). » Voulez-vous que je vous cite un troisième témoin, afin que ce que je vous dis se trouve confirmé par un triple témoignage (Mt 18,16)? Eh bien, je vous rappellerai les paroles de l'Apôtre lui-même, qui, après avoir été ravi jusqu'au troisième ciel, nous dit en en descendant : « Tous les anges ne sont-ils point des esprits qui tiennent lieu de serviteurs (He 1,14)? » Et toi, ennemi de la paix, iras-tu t'asseoir là où tous se tiennent debout dans l'attitude de serviteurs? Tu contrastes ainsi profondément le Saint-Esprit qui met l'union entre les frères de la maison; tu heurtes la charité par ta conduite, car tu romps l'unité, tu brises le lien de la paix. Aussi est-ce un témoignage bien mérité que l'Esprit-Saint qui réprouve ta jalouse envie, ta singularité, et l'inquiétude de ton coeur, rend à la charité, à l'unité et à la paix des anges qui n'ont point quitté leur rang et sont demeurés à leur poste. Mais j'en ai dit assez sur le témoignage qui est donné dans les cieux.

4034 3. Il y a un autre témoignage qui est donné sur la terre, il discerne ceux qui y sont en exil, de ceux qui y ont trouvé leur patrie, c'est-à-dire les citoyens du ciel des citoyens de Babylone. Le Seigneur a-t-il, en effet, jamais laissé ses élus sans témoignage? Où serait donc leur consolation quand ils se trouvent flottants d'inquiétude entre la crainte et l'espérance, s'ils n'avaient absolument aucun témoignage qui leur montrât qu'ils sont élus? Dieu tonnait ceux qui sont à lui et même il n'y a que lui qui sache qui sont ceux qu'il a élus dès le principe; quant aux hommes, où est celui qui sache s'il est digne de haine ou d'amour? Mais si toute certitude sur ce point nous est absolument refusée à tous ici-bas, ce dont on ne peut douter, les quelques signes d'élection que nous pourrons trouver par hasard, ne nous en sembleront-ils pas d'autant plus agréables? Quel repos pourrait goûter notre âme, tant qu'elle n'a point encore de marques de prédestination ? S'il est une vérité certaine et digne d'être reçue avec toute sorte de déférence, c'est celle qui nous fait connaître les signes de notre élection. En même temps qu'elle console les élus, elle ôte toute excuse aux réprouvés. En effet, une fois les signes de la vie bien connus, quiconque les néglige montre évidemment qu'il a reçu son âme en vain (Ps 23,4), et qu'il ne fait aucun cas de la terre, si désirable de la patrie.

4. « Il y en a trois, lisons-nous, qui rendent témoignage sur la terre, ce sont l'Esprit, l'eau et le sang. » Vous n'ignorez pas, mes frères, que nous avons tous péché dans le premier homme, et que tous nous sommes tombés avec lui, mais tombés dans une sorte de cachot rempli de fange et de pierres. Et, après une telle chute, nous sommes restés étendus, captifs, souillés, brisés, jusqu'à ce que vînt le désiré des nations, celui qui devait nous racheter, nous laver et. nous aider. Car il a donné son propre sang pour nous racheter, puis il a laissé couler aussi de l'eau de son côté, pour nous laver de nos souillures, et enfin il nous a envoyé, du haut des cieux, son esprit pour venir en aide à notre faiblesse. Voulez-vous donc savoir, mon frère, si ces trois choses opèrent en vous, si vous n'êtes pas coupable du sang du Seigneur, que vous rendriez inutile autant qu'il est en vous; si cette eau même, qui devait vous purifier de vos souillures , ne monte point pour vous entraîner dans la condamnation, parce que vous ne voulez point sortir de votre fange, si enfin l'Esprit Saint aussi, à qui vous résistez, ne laissera point impunies vos lèvres blasphématrices et médisantes (Sg 1,6)? Car il vous faut bien prendre garde que ces trois choses ne soient stériles pour vous, attendu qu'elles ne pourraient point ne pas vous être en même temps funestes.

5. Or, qui est-ce qui peut se rendre témoignage que le sang du Christ n'a pas été répandu en vain pour lui, sinon celui qui renonce au péché? Car quiconque pèche est esclave du péché; si donc vous pouvez désormais vous tenir éloigné du péché, et secouer de votre cou, le joug de sa malheureuse servitude, vous avez le plus sûr témoignage qui se puisse avoir, de la rédemption que le sang du Christ peut seul opérer. Mais ce n'est pas assez pour le pécheur de se tenir éloigné du péché, si en même temps il ne fait pénitence. C'est donc à l'eau qu'il demandera ce second témoignage, à l'eau, dis-je, mais à l'eau de ses larmes, dont il arrose toutes les nuits sa couche en gémissant. Car, de même que le sang versé par le Sauveur nous rachète de l'esclavage, et ne permet point au péché d'asseoir son empire dans notre chair mortelle, ainsi les larmes de la pénitence nous lavent des péchés que nous avons commis auparavant. Mais quoi, ne sommes-nous point brisés par la longue durée des chaînes que nous avons portées, et par le cruel séjour que nous avons fait dans les cachots du péché, et ne sommes-nous point tombés tout meurtris et couverts de blessures le long du chemin de la vie? Invoquons l'esprit qui vivifie et qui aide, et soyons sûrs que notre Père des cieux nous le donnera, si nous le lui demandons en bon esprit; or il n'est point un témoignage plus certain d'une vie nouvelle, que la présence en nous d'un esprit nouveau. Je me résume en trois mots : nous recevons le témoignage du sang, de l'eau et de l'esprit, si nous nous éloignons du péché, si nous faisons de dignes fruits de pénitence, et si enfin nous produisons des oeuvres de vie.


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SERMON POUR LES ROGATIONS. Sur les trois pains.

1. « Si quelqu'un d'entre vous avait un ami, etc (Lc 11,5). » Que veut dire cet ami qui survient, et qui ne se contente point de demander un pain? Est-il donc si fort mangeur qu'il n'ait pas assez d'un pain pour assouvir sa faim? Car on ne s'explique pas qu'il faille servir trois pains à un homme. Je suppose qu'il était arrivé avec sa femme et un serviteur, et qu'il veut donner un pain à chacun. Quant à moi, dans l'ami qui vient à moi, je ne vois que moi, attendu que nul ne m'est plus cher, ni plus proche parent que moi. L'ami qui vient me voir en passant n'est donc autre que moi-même, lorsque, renonçant aux choses passagères, je rentre dans mon propre coeur, selon le conseil du Prophète : « Pécheurs rentrez dans votre coeur (Is 46,9). » D'ailleurs, nul ne se montre plus ami de soi-même, que celui qui s'éloigne ainsi de sa voie, car quiconque aime l'iniquité hait soit âme (Ps 50,10 Ps 50,6). C'est donc le jour où je me suis converti, que mon meilleur ami est venu chez moi, il arrivait d'une contrée lointaine, où il avait fait paître les pourceaux, et où, bien souvent, il avait désiré en vain partager leur ignoble pâture. Il mourait de faim en arrivant, il tombait même d'inanition, le jeûne l'avait exténué. Il avait besoin de retrouver un ami en arrivant, et c'est chez moi, dans ma pauvre demeure, qu'il est descendu pour se loger. Hélas il est entré dans une hôtellerie dénuée de toute ressource. Que ferai-je donc pour cet ami malheureux et misérable! Je n'ai absolument rien à lui offrir : sans doute il est mon ami, mais moi, je suis un pauvre mendiant, je n'ai pas même un pain dans ma maison. Allons vite, me dit-il, courez en toute hâte chez cet ami puissant, que vous avez, dont l'amitié pour vous dépasse toute autre amitié, et dont les richesses sont plus considérables que celles de qui que ce soit; tirez-le de son sommeil. Cherchez, demandez, frappez; car celui qui cherche trouve, quiconque demande reçoit, et on ouvre à ceux qui frappent (Mt 8,7). Criez à sa porte, et dites-lui : « Mon ami, prêtez-moi trois pains (Lc 11,5).»

2. Or, que faut-il entendre par ces trois pains, mes frères? Puissions-nous être assez heureux pour les recevoir. Peut-être nul ne les connaît-il qu'il ne les ait reçus. Pour moi, je crois que les trois pains que nous devons demander, ce sont ceux de la vérité, de la charité et de la force; car c'est ce dont j'ai le plus besoin, lorsque mon ami revient chez moi, après un long voyage, attendu, comme je le disais tout à l'heure, qu'il m'arrive avec sa femme et un serviteur. Ce qui en .moi représente l'homme, le mari, c'est ma raison, elle tombe en défaillance faute de connaître la vérité ; ma volonté languit faute d'affection, et ma chair tombe de faiblesse, tant les forces lui manquent. En effet, ma raison ne comprend guère ce qu'il faut faire, et si elle le comprend, ma volonté l'aime peu, et puis mon corps, qui est sujet à la corruption, appesantit mon âme et n'empêche de voir ce que je veux. Mon coeur et mon corps se sont desséchés également, parce que j'ai oublié de prendre ma nourriture; je ne tomberais pas ainsi en défaillance si ma raison était toujours occupée de la recherche de la vérité; si ma volonté était constamment ranimée par les ardeurs de la charité; si ma chair n'avait point perdu l'habitude de pratiquer la vertu. Prêtez-moi donc trois pains, ô mon ami, le pain de l'intelligence, celui de l'amour et celui de votre volonté, car la vie n'est que là, et mon esprit ne respire qu'en se nourrissant de ces pains-là, selon le langage même du Prophète qui dit : « La vie se trouve dans sa volonté (Ps 29,6). »


ASCENSION




PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. Sur l'Evangile du jour.

4036
1. « Jésus apparut aux onze apôtres lorsqu'ils étaient à table (
Mc 16,14). » On peut bien dire qu'alors apparurent la bonté de notre Sauveur et son amour pour les hommes (Tt 3,4). En effet, quelle confiance ne nous donne-t-il point qu'il viendra au milieu de nous, lorsque nous serons en prières, quand nous le voyons arriver parmi ses disciples au moment même où ils sont à table? Oui, dis-je, on a vu apparaître alors la bonté de celui qui connaît le limon dont nous sommes pétris et qui, bien loin de dédaigner nos misères, en a plutôt pitié si nous ne prenons de notre corps que le soin que la nécessité, non la concupiscence de la chair, veut que nous en prenions. C'est dans cette pensée que l'Apôtre disait : « Soit que nous mangions, soit que nous buvions, ou que nous fassions toute autre chose, faisons tout pour la gloire de Dieu (1Co 10,31). » Peut-être pourrait-on dire aussi que si le Sauveur leur apparut pendant qu'ils étaient à la table, c'est parce que, dans une circonstance, les Juifs avaient critiqué la conduite des apôtres qui ne jeûnaient point. Le Seigneur avait répondu : «Les amis de l'Époux ne peuvent être dans le deuil pendant que l'Épouse est avec eux (Mt 9,15). »

L'Évangéliste continue : « Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur coeur, parce qu'ils n'avait point ajouté foi aux paroles de ceux qui l'avaient vu ressusciter (Mc 14,14). » Vous l'entendez, le Christ reprend ses apôtres, que dis-je, le mot de l'Évangile est plus énergique encore, il leur adresse des reproches, et cela, à un moment (a) où il semble qu'il aurait dû se montrer moins sévère, puisqu'il était sur le point de les priver pour toujours de la vue de sa présence corporelle. Ne vous fâchez donc point désormais, vous-mêmes, mes frères, s'il arrive que le vicaire de Jésus-Christ vous adresse aussi quelques reproches, c'est ce que nous dit la conduite que nous voyons Jésus lui-même tenir envers ses apôtres, au moment où il allait les quitter pour remonter au ciel. Mais pourquoi leur reproche-t-il « de n'avoir pas ajouté foi aux paroles de ceux qui l'avaient vu ressusciter?» Qui sont, en effet, ceux qui ont eu le bonheur de voir de leurs propre yeux le miracle de la résurrection du Seigneur ? Car, on ne lit point dans l'Évangile, et on ne dit nulle part que quelqu'un eut ce bonheur. C'est donc des anges qu'il voulait parler, et, en effet, malgré le témoignage qu'ils rendaient de la résurrection du Sauveur, les apôtres hésitaient à croire aux anges mêmes.

a Le pape saint Grégoire le Grand exprime la même pensée dans sa vingt-neuvième homélie sur l'Évangile, quoique, d'après saint Luc, le reproche que Jésus adressa à ses apôtres fut de plusieurs jours antérieur à son ascension (Lc 24). Voir les interprètes.

4037 2. Mais, pour que ces paroles du Psalmiste: « Enseignez-moi la bonté, la discipline et la science (Ps 118,66), » trouvent leur accomplissement, il faut que la grâce que le Sauveur fait à ses apôtres en les visitant, que son blâme et ses reproches soient suivis d'un enseignement doctrinal, et qu'il leur dise : « Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé (Mc 16,16). » Que dirons-nous, mes frères, en entendant ce langage ? Ne donne-t-il pas aux gens du monde une confiance excellente, et n'y a-t-il pas lieu de craindre qu'ils n'en abusent pour choyer la chair, et ne comptent outre mesure sur la foi et le baptême, indépendamment des bonnes oeuvres; mais, avant de le penser, écoutons ce qui suit : « Or, voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru (Mc 17). » Peut-être, ces paroles ne semblent-elles pas moins propres à jeter le découragement parmi les religieux que les premières à inspirer un excès de confiance aux gens du monde. En effet, qui est-ce qui fait les miracles de foi dont il est parlé ici? Or, sans la foi, nul ne saurait être sauvé, car il est écrit « Celui qui ne croira pas, sera condamné (Mc 16).» Et encore : « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu (He 11,6). » Or, je vous le demande, où sont ceux qui chassent les démons, qui parlent de nouvelles langues, qui prennent des serpents dans les mains, sans qu'ils leur fassent du mal? Eh quoi! s'il n'y a personne, ou du moins, s'il n'y a presque personne qui fasse ces sortes de miracles de nos jours, n'y aura-t-il donc personne de sauvé, ou du moins, n'y aura-t-il que ceux qui peuvent se glorifier de ce pouvoir miraculeux qui, après tout, est beaucoup moins un mérite que la conséquence du mérite, puisque, au jugement dernier, ceux qui diront : « Seigneur, n'avons-nous pas chassé les démons en votre nom, et, toujours en votre nom, n'avons-nous pas fait beaucoup de miracles (Mt 7,22) ? » entendront cette réponse du souverain juge : « Je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquités (Mt 23)? » Où serait, d'ailleurs, ce que disait l'Apôtre en parlant du juste juge : « Il rendra à chacun selon ses oeuvres (Rm 2,6). » Si, ce qu'à Dieu ne plaise, si, dis-je, au jugement dernier, il était tenu plus de compte des miracles que de bonnes oeuvres ?

3. Il y des signes plus certains et des miracles plus salutaires que ceux-là, ce sont les mérites. Et je ne crois pas qu'il soit difficile de savoir en quel sens on doit entendre les miracles dont il est parlé en cet endroit, pour qu'ils soient des signes certains de foi, et par conséquent de salut. En effet, la première oeuvre de la foi, opérant par la charité, c'est la componction de l'âme, car elle chasse évidemment les démons, en déracinant les péchés de notre coeur. Quant aux langues nouvelles que doivent parler les hommes, qui croient en Jésus-Christ, cela a lieu, lorsque le langage du vieil homme cesse de se trouver sur nos lèvres, et que nous ne parlons plus la langue antique de nos premiers parents, qui cherchaient dans des paroles pleines de malice à s'excuser de leurs péchés (Ps 140,4). Dès que par la componction du coeur et la confession de la bouche, nos premiers péchés sont effacés, en sorte que nous ne retombons plus dans nos anciennes fautes qui rendaient notre état pire qu'il n'était auparavant, alors nous sommes arrivés au point de prendre les serpents dans nos mains sans qu'ils nous nuisent, c'est-à-dire, nous savons étouffer dans notre coeur les suggestions envenimées du malin esprit. Mais, qu'arrivera-t-il néanmoins si quelque rejeton mauvais vient à pousser des racines qu'il ne nous soit pas possible d'arracher à l'instant même, c'est-à-dire si la concupiscence de la chair assaille notre âme? Il arrivera infailliblement que «le breuvage mortel que nous aurons pu avaler ne nous fera aucun mal (Mc 16,18) ; » car, à l'exemple du Sauveur, à peine en aurons-nous approché les lèvres que nous ne voudrons point y goûter davantage; non, ce breuvage de mort ne nous fera point de mal; car, il n'y a plus de damnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ : le sentiment de la concupiscence n'est absolument rien sans l'assentiment de notre âme. Mais quoi? La lutte que nous avons à soutenir contre cette affection morbide et corrompue n'en est pas moins pénible et pleine de périls; mais «ceux qui croiront, imposeront les mains sur les malades et les malades seront guéris (Mc 18), » c'est-à-dire, ils couvriront ces affections morbides de l'appareil des bonnes oeuvres, et ils les guériront par ce remède.


DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. Comment le Seigneur monte au ciel afin d'accomplir toutes choses.

4038 1. La solennité de ce jour, mes frères, est glorieuse en même temps que joyeuse, si vous me permettez de le dire; en ce jour, en effet, le Christ reçut une gloire unique, et nous, nous trouvons un sujet tout particulier de joie. Elle est la clôture, la terminaison de toutes les autres fêtes chrétiennes et l'heureux terme du pèlerinage du Fils de Dieu ici-bas. En effet, c'est le même qui descendait sur la terre, qui remonte aujourd'hui au plus haut des cieux, afin d'accomplir toutes choses (Ep 4,10). Après avoir montré qu'il est le maître de tout ce qui est sur la terre, au fond de la nier et dans les enfers, il ne lui restait plus qu'à montrer de même, ou plutôt, par des preuves plus convaincantes encore , qu'il est le maître des airs. La terre, en effet, avait reconnu son Sauveur, lorsqu'à ce cri puissant, tombé de ses lèvres: « Lazare, sortez dehors (Jn 11,44), » elle rejeta un mort de son sein. La mer le reconnut aussi, lorsqu'elle se fit solide sous ses pas le jour où ses disciples le prenaient pour un fantôme (Mt 14,25). Enfin, les enfers le reconnurent pour leur maître et Seigneur, le jour où il rompit leurs portes de fer (Ps 106,16), et brisa leurs gonds d'airain, le jour, dis-je, où il garrotta l'homicide dont la rage est insatiable, le diable, dis-je, Satan (Ap 12,9 Ap 20,2) Oui,. celui qui ressuscita les morts, guérit les lépreux, rendit la vue aux aveugles, fit marcher droit les boiteux, et, d'un souffle, mit en fuite tout le cortége de nos infirmités, s'est montré le maître de toutes choses, en restaurant toutes celles qui s'étaient détériorées, de la même main qui les avait créées. De même, il a bien prouvé qu'il était le Seigneur de la mer et de tout ce qui se meut dans son sein, quand il prédit à son disciple qu'il trouverait une pièce d'argent dans le ventre du poisson qu'il allait prendre (Mt 17,26). Enfin, quand il a traîné à sa suite les puissances de l'air et les a attachées à sa croix, il a fait voir qu'il avait plein pouvoir sur les puissances infernales. Il a passé, en effet, en faisant le bien, et en délivrant les possédés du démon, ce Jésus qui, dans un lieu champêtre, instruisait la foule qui le suivait et devant son juge, se tenait debout pour recevoir un soufflet, et qui, pendant tout le temps qu'il passa sur la terre, vécut parmi des hommes, toujours debout malgré d'innombrables fatigues, et opérait notre salut au milieu de la terre.

2. Et maintenant, Seigneur Jésus, pour mettre la dernière main à votre tunique sans couture, pour donner à l'édifice de notre foi son couronnement, li ne reste plus qu'à vous montrer le maître des airs à vos disciples, en vous élevant, à leurs yeux, dans le ciel. Alors, il sera évident pour eux que vous êtes le Seigneur de toutes choses, puisque, vous aurez accompli tout en toutes choses, et c'est alors que tout genou devra fléchir à votre seul nom dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et toute langue proclamer que vous êtes dans la gloire assis à la droite du Père (Ph 2,40). A cette droite, se trouvent des délices sans fin; aussi quand l'Apôtre nous exhorte à rechercher les choses qui sont dans le ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu (Col 3,1), c'est parce que c'est là qu'est Jésus-Christ, notre trésor, celui en qui sont. cachés tous les trésors de la sagesse et de la science, parce que c'est en lui que la plénitude de la divinité habite corporellement (Col 2,3).

4039 3. Mais, je vous le demande, mes frères, de quelle douleur et de quelle crainte le coeur des apôtres ne fut-il tout à coup inondé quand ils virent le Seigneur Jésus se séparer d'eux et s'élever dans les airs, non pas à l'aide d'échelle ou de tables, mais au milieu d'une troupe d'anges qui lui faisaient cortège ? Il ne s'appuyait point sur eux, mais il allait vers les cieux dans toute la plénitude de sa puissance. C'est alors que s'accomplirent ces paroles : « Vous ne pouvez me suivre là où j'irai (Jn 7,34). » En quelque lieu du monde qu'il fût allé, ils l'auraient tous suivi, ils se seraient même jetés à la mer, comme Pierres le fit un jour (Mt 14,29), eût-il fallu y périr avec lui; mais ils ne pouvaient le suivre dans cette voie, parce que « le corps qui se corrompt appesantit l'âme, cette demeure terrestre abat l'esprit par la multiplicité des soins dont elle l'occupe sans cesse (Sg 9,15).» La douleur de ces enfants de l'Epoux, en voyant celui pour qui ils avaient tout laissé soustrait à leurs sens, enlevé à leurs regards, leur crainte en se trouvant orphelins au milieu des Juifs, avant d'avoir été confirmés par la vertu d'en haut, étaient donc beaucoup trop grandes pour qu'ils ne laissassent point couler des larmes au départ du Sauveur. Pour lui, en s'élevant dans les airs il les bénissait; les entrailles de sa miséricorde infinie étaient sans doute émues au moment où il se séparait de ses disciples attristés, et quittait la pauvre petite troupe des siens; il ne l'aurait point fait, si ce n'eût été pour aller leur préparer une place, et parce qu'il leur était avantageux qu'il les privât de sa présence sensible. Quel heureux, quel beau cortège que celui auquel les apôtres n'étaient point encore dignes de se joindre, alors que leur Maître remonte vers son Père, suivi de la troupe triomphale des vertus célestes et des âmes des saints, et va s'asseoir à la droite de son Père ! C'est bien en ce moment qu'il a tout accompli; car, après être venu au monde parmi les enfants des hommes, après avoir passé toute sa vie avec eux, enfin, après avoir souffert la passion et la mort pour eux, il ressuscite, il monte dans les cieux et va s'asseoir à la droite de Dieu. Je reconnais là cette tunique d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas, elle se termine,au séjour des cieux, là où Notre-Seigneur Jésus-Christ consomme toutes choses et se trouve lui-même consommé dans la gloire.

4. Mais quelle part y a-t-il pour moi dans ces solennités? Qui est-ce qui me consolera, ô bon Jésus, moi qui ne vous ai vu ni attaché à la croix, ni couvert. de plaies livides, ni dans la pâleur de la mort ? moi qui n'ai pas compati au crucifié, qui ne suis point allé visiter son sépulcre, afin de faire couler au moins le baume de mes larmes sur ses plaies ? Comment m'avez-vous pu quitter sans me donner un dernier salut, alors que dans tout l'éclat de votre parure de fête vous avez été accueilli par le cour céleste tout entière, ô Roi de gloire ? Oui, mon âme aurait repoussé tonte espèce de consolations si les anges n'étaient,venus à moi avec des paroles de jubilation sur les lèvres pour me dire : « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous ainsi immobiles les yeux attachés au ciel? Ce Jésus qui, en se séparant de vous, s'est élevé dans les cieux, en reviendra un jour de la même manière que vous l'y avez vu monter (Ac 1,11). » Il reviendra, disent-ils, de la même manière. Viendra-t-il donc nous chercher dans ce cortège unique et universel, ou descendra-t-il précédé de tous les anges et suivi de tous les hommes pour juger les vivants et les morts? Il est bien certain qu'il reviendra sur la terre, mais il y reviendra de la même manière qu'il s'en éloigne aujourd'hui, non pas comme il y descendit 1a première fois. En effet, lorsqu'il vint pour sauver nos âmes, il se fit humble; mais quand il reviendra pour tirer ce cadavre de son sommeil de mort, pour le rendre semblable à son corps glorieux, et remplir d'une gloire abondante ce vase si faible aujourd'hui, il se montrera dans toute sa splendeur. Aussi, reverrons-nous alors avec une grande puissance et une grande majesté celui qui la première fois s'était caché sous les infirmités de notre chair. Non content de diriger mes regards vers lui, je pourrai le contempler, mais non point encore de près, et cette seconde apparition, pleine de gloire et d'éclat, dépassera manifestement l'éclat et la gloire de sa première glorification.

4040 5. Mais en attendant celui qui est les prémices des hommes, le Christ, s'est offert en sacrifice, il est monté à la droite de son Père, et il se tient maintenant devant sa face pour nous. Il est assis là (Ps 102,8), sa main droite pleine de miséricorde et sa gauche de justice ; miséricorde et justice en lui sont infinies, dans sa main droite est l'eau, et dans la gauche est le feu.,Quant à sa miséricorde il l'a rendue égale à la .distance qui sépare la terre des cieux, pour ceux qui le craignent; le trésor de ses miséricordes remplit pour eux l'intervalle de la terre aux cieux. Les desseins du Seigneur sont immuables sur eux, et sa miséricorde, à leur égard, va d'un bout de l'éternité à l'autre, du bout de leur éternelle prédestination, au bout de l'éternelle rémunération. Mais il en est de même pour les réprouvés; il se montre terrible pour les enfants des hommes, en sorte que, dans les deux sens, sa sentence est à jamais fixée aussi bien pour ceux qui sont sauvés que pour ceux qui sont, perdus. Qui me dira si tous ceux que je vois en ce moment devant moi ont leurs noues écrits dans les cieux, consignés dans le livre de la prédestination ? Il me semble bien que je vois quelques marques de vocation et de justification dans votre vie toute d'humilité; aussi de quels torrents de joie mes os même seraient inondés, s'il m'était donné d'avoir sur votre salut une entière certitude; mais il n'est point donné à l'homme de savoir s'il est digne d'amour ou de haine (Qo 9,1).

6. Persévérez donc, mes très-chers frères, persévérez dans la règle que vous avez embrassée, afin de monter par l'humilité à la sublimité, car l'une est la voie qui conduit à l’autre, et il p'en est pas de plus sûre que l'humilité pour arriver à la sublimité. Quiconque y tend par un autre chemin tombe plus qu'il ne monte, car il n'y a que l'humilité qui nous élève, il n'y a qu'elle qui nous puisse conduire à la vie. Et Jésus-Christ lui-même qui, étant Dieu, ne pouvait, à cause de sa divinité, ni croître ni monter, puisqu'il n'y a rien au-dessus de Dieu, a trouvé un moyen de croître en descendant, en venant s'incarner, souffrir et mourir pour nous arracher à la mort éternelle; aussi Dieu son Père, l'a-t-il exalté quand il est ressuscité, quand. il s'est élevé dans les cieux et qu'il est allé s'asseoir à la droite de Dieu. Allez, mon frère, et faites de même; vous ne sauriez monter si vous ne commenciez par descendre, car tel est l’arrêt, la loi éternelle : « Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé (Lc 14,11 Lc 18,4). » O perversité! ô abus des enfants d'Adam ! Quand il est si difficile de monter et si facile de descendre, ils montent à Dieu d'un pied leste et dégagé, et ne descendent qu'avec infiniment de peine, et sont toujours prêts aux honneurs, toujours disposés à s'élever aux dignités ecclésiastiques, dont les anges eux-mêmes trembleraient d'accepter le fardeau. Mais dans la voie que vous avez tracée, c'est à peine si l'on trouve, b Seigneur Jésus, quelques âmes qui vous suivent, ou plutôt, qui se traînent après vous et consentent à se laisser conduire dans les sentiers de vos commandements. Les uns sont comme entraînés et peuvent s'écrier : « Entraînez-moi à votre suite (Ct 1,3); » et les autres sont conduits et disent : « Le Roi lui-même m'a introduit dans ses celliers (Ct 1,3).» Enfin, il en est des troisièmes qui sont ravis, comme l'Apôtre le fut, au troisième ciel. Heureux sont les premiers, attendu qu'ils possèdent leur âme dans la patience; les seconds sont plus heureux encore, c'est volontairement qu'ils confessent son saint nom; mais les derniers sont mi ne peut plus heureux, attendu que la puissance de leur libre arbitre, se trouvant comme ensevelie au sein même le plus profond de la miséricorde de Dieu, ils sont ravis dans un esprit d'ardeur, vers les richesses et la gloire, sans savoir si c'est avec ou sans leur corps, ne sachant qu'une chose, c'est qu'ils sont ravis. Heureux, Seigneur Jésus, quiconque n'a que vous pour guide, non point cet esprit transfuge qui, ayant à peine tenté de s'élever, se vit à l'instant frappé de votre droite divine. Pour nous, qui sommes votre peuple et les brebis de votre bercail, puissions-nous vous suivre, ne marcher que par vous, que vers vous qui êtes la voie, la vérité et la vie (Jn 16,6); la voie par l'exemple, la vérité dans les promesses, la vie dans la récompense. Vous avez, en effet, Seigneur, les paroles de la vie éternelle, et nous savons bien, et nous croyons bien que vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant (Jn 6,79), et que vous êtes Dieu et béni par dessus tout, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Bernard sermons 4030