Bernard sermons 7032

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. De trois sortes de jugement, du jugement propre, du jugement des hommes et du jugement de Dieu.

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1. «Que les hommes nous considèrent comme les ministres de Jésus-Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu (
1Co 4,1).» Tout ministre de Jésus-Christ doit se conduire de telle sorte que, par les mceurs de l'homme extérieur qui se voit, on puisse juger de l'homme intérieur qui ne se voit pas, et qu'il ne puisse être jugé ni par un autre, ni par lui-même, et qu'il dise avec le même Apôtre: «Pour moi, je me mets peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit: je ne me juge pas moi-même, c'est le Seigneur qui me juge (1Co 4,3-4).» On voit par ces paroles qu'il y a trois sortes de jugement, le jugement que les hommes portent de nous, celui que nous en portons nous-mêmes et le jugement porté de Dieu. Les hommes peuvent juger des choses extérieures qui sont perçues par les sens, mais ils ne sauraient juger des choses intérieures. Voilà pourquoi il est écrit: «Quel homme connaît ce qui est dans un homme, sinon l'esprit de cet homme qui est en lui (1Co 2,11).» Ainsi l'esprit qui est dans l'homme peut juger ce qui est en lui; mais Dieu peut le juger bien mieux encore, puisque l'Apôtre nous déclare qu'il ne saurait échapper à son jugement, bien qu'il se fût mis déjà au dessus du sien propre, et de celui des hommes. En effet, il ne faisait point un grand cas du jugement des hommes, celui qui disait: «Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit,» et il ne redoutait guère son propre jugement quand il ajoutait: «Je ne me juge pas moi-même; car ma conscience ne me reproche rien.» Il n'y a donc que le jugement de Dieu, et c'est de lui qu'il dit: «C'est le Seigneur qui me juge.»

2. Toutefois (a), chacun doit se montrer irréprochable autant que

a Tout ce passage se trouve rapporté dans le livre VII des Fleurs de saint Bernard, chap, VI.

possible, d'abord aux yeux de Dieu, et ensuite aux yeux des hommes. Voilà ce qui fait dire ailleurs au même Apôtre: «Ayez soin de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes (Rm 12,17).» Or, nous faisons le bien devant les hommes de trois manières différentes, c'est-à-dire par notre manière d'être, par notre conduite et, par notre langage: par notre manière d'être, en ne nous faisant point remarquer; par notre conduite, en l'ayant irréprochable, et par notre langage, en ne. le rendant point digne de mépris. Nous avons également trois manières de faire le bien devant Dieu, par la pensée, par le sentiment et par l'intention. Quant à la pensée, il faut qu'elle soit sainte, aussi est-il écrit: «La pensée sainte vous sauvera.» Le sentiment doit être pur et l'intention droite. Or, ces trois choses, je veux dire la pensée, le sentiment et l'intention, sont dans l'âme; mais en même temps, elles semblent y avoir chacune une place distincte; en effet, la pensée est dans la mémoire; le sentiment, dans la volonté, et l'intention dans la raison.

3. Mais, pour en apercevoir plus clairement encore l'usage et la différence, prenons un exemple tiré des choses extérieures. Ainsi dans les corps, si une couleur laide n'affecte que la peau, le corps peut en être rendu moins beau, mais cela ne lui fait rien perdre de sa santé. Mais si la chair est atteinte par quelque pourriture, ou si elle devient le siège d'une humeur de mauvaise apparence, clora ce n'est plus seulement la beauté du corps qui est altérée, mais sa santé même est en péril. S'il arrive que le mal s'accroisse, et pénètre jusque dans la moëlle des os comme il s'est insinué dans sa chair, alors on s'inquiète, non sans raison, de sa vie. Il en est de même pour l'âme, si le péché n'entre dans la mémoire que par la pensée, sans que la volonté l'aime et que la raison réfléchie y consente, j'avoue qu'il en résulte une sorte de laideur qui empêche qu'il ne soit dit à l'âme: «Vous êtes toute belle, mon amie (Ct 4,7),» évidemment, c'est une tache, mais ce n'est point une maladie. S'il arrive que la volonté, préoccupée par la pensée du péché, en éprouve une certaine délectation, bien que la raison réfléchie résiste encore, l'âme est malade, mais elle n'est point morte encore, et elle doit s'écrier: «Seigneur, guérissez-moi et je serai guérie (Jr 17,14).» Mais on peut dire qu'elle de meurt, quand la raison elle-même se courbe par l'intention vers le péché. En effet, elle consent alors] et c'est d'elle qu'il est dit: «L'âme qui pèche, mourra (Ez 18,4).» Ce sont ces trois degrés que déplore David dans la personne du pécheur, quand il dit au Seigneur au moment où il le chasse du paradis terrestre pour le long exil de ce monde, «Vous avez appesanti votre main sur moi (Ps 37,3).» Or, comme les désirs charnels sont la peine du péché, «il n'est rien resté de sain dans ma chair à la vue de votre colère,» et même ma raison a perdu toute sa force, car à la vue de mes péchés il n'y a plus aucune paix dans mes os. Ailleurs, David, dans la personne du juste, parle encore de ces trois degrés dans ses chants; il dit, en effet: «Je me suis souvenu de Dieu, j'y ai trouvé une joie, et je me suis exercé dans la méditation (Ps 76,4);» il s'est réjoui par la volonté et exercé par la raison.

4. Si vous ne voulez pas que la foule envahissante de vos pensées, semblable à une vile populace qui se précipite dans une demeure, ne chasse Dieu de votre mémoire, placez à la porte un portier qui s'appelle le souvenir de votre propre profession, et quand votre âme se sentira accablée par ces pensées honteuses, il se gourmandera lui-même et se dira: sont-ce là les pensées que tu dois avoir, toi qui es prêtre, ou clerc, ou moine? Est-ce que celui qui cultive la justice doit se permettre quoi que ce soit d'injuste? Convient-il au serviteur du Christ, à l'amant d'un Dieu, d'avoir même un seul instant de pareilles pensées? En parlant ainsi, il repassera le flux des pensées illicites par le souvenir de sa propre profession. De même à la porte de la volonté où ont coutume d'habiter les désirs charnels comme une famille demeure dans sa maison, placez un autre portier qu'on appelle le souvenir de la patrie céleste; car, semblable au coin qui chasse le coin, il peut chasser les mauvais désirs et ouvrir sans retard à celui qui dit: «Me voici à la porte et je frappe (Ap 3,2).» Mais auprès du lit de la raison il faut placer un gardien si féroce qu'il n'épargne personne, et écarte tout ennemi quel qu'il soit qui osera tenter d'y entrer, soit ouvertement, soit en secret; je veux parler du souvenir de l'enfer. Pour les deux premières, c'est-à-dire pour la mémoire et la volonté, il n'est pas aussi intolérable de voir, soit la mémoire accueillir quelquefois une pensée un peu vague, soit la volonté, une affection impure. Mais ce qu'il y a de plus grave et de vraiment dangereux, c'est quand il arrive que la raison perd la droiture d'intention.


TRENTE-TROISIÈME SERMON. Sur ces paroles du Psaume: Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur?»

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1. C'est une parole d'exhortation, mes frères; puisque tous nous nous efforçons de monter, tous nous tendons en haut, tous nous aspirons à nous élever, et tous nous faisons des efforts pour grandir, efforçons-nous du moins de monter là où nous puissions être bien, où nous nous trouvions en sûreté, d'où nous ne puissions tomber, là enfin, où nous puissions nous tenir fermes. Mais si le Prophète demande où est celui qui montera sur cette montagne, ce n'est pas seulement pour exciter eu nous le désir d'y monter, mais encore afin de nous apprendre le moyen de le faire si nous en avons le désir. Heureux celui qui a disposé dans son coeur des degrés pour s'élever sur cette montagne et qui soupire après la maison du Seigneur, et tombe presque en défaillance par la force de ce désir. Cette montagne est fertile, où se trouve le comble de tous les biens, c'est la montagne d'éternelle volupté, la montagne de Dieu. Et «bienheureux ceux qui demeurent dans votre maison, Seigneur, ils vous loueront dans les siècles des siècles (Ps 83,5).» Ci vous voulez être sûrs que c'est effective ment une maison, écoutez un témoin fidèle qui vous le dira: «O Israël que la maison de Dieu est grande, et combien étendu est le lieu, qu'il possède! Il est vaste et n'a point de bornes, il est élevé, il est immense (Ba 3,24).» Que dis-je, non-seulement c'est une montagne, mais c'est le mont des monts; on y voit beaucoup d'habitations, beaucoup d'autres montagnes, ses fondements mêmes se trouvent placés dans les montagnes saintes (Ps 86,2).

2. Le saint prophète Isaïe ne s'en tait pas non plus: «La montagne, dit-il, qui est la demeure du Seigneur, sera fondée sur le haut des monts, et s'élèvera au dessus des collines. (Is 2,2).» Et pourquoi ne serait-ce pas le mont des monts (fondé sur les hauteurs mêmes) de la terre entière, où se trouve une abondance si variée de toutes sortes de délices, où seulement est la plénitude de toutes les abondances? En effet, ce sera le mont de la paix, le mont de la joie, le mont de la vie, le mont de la gloire. Or, tous ces monts ne forment qu'un mont, le mont de la félicité consommée N'est-ce point le mont de la paix, la paix même sur la paix, la paix qui passe tout sentiment? Oui, certainement c'est un mont bien élevé que la paix dans le coeur, la paix dans la chair, la paix du côté des hommes méchants, la paix avec tous nos proches, la paix de la part des démons mêmes, la paix avec Dieu. Or, cette paix sera sans fin. Il y aura aussi de la joie, mais une joie telle que le Seigneur la dépeint, «une joie pleine (Jn 16,22).» Une joie sûre, une joie que personne ne nous ravira. Nous aurons aussi la vie, nous l'aurons même avec une grande abondance, car la venue d'un si grand pasteur, qui n'est venu vers ses brebis, comme il le dit lui-même, que «pour qu'elles aient la vie et qu'elles l'aient avec abondance (Jn 10,10),» ne saurait demeurer sans effet. Est-ce qu'il ne vous semble pas aussi que cette montagne c'est ce poids éternel de gloire qui s'élève au delà de toute mesure? Or, tout cela et tout ce qu'on peut encore se figurer d'aussi désirable, ce n'est point autre chose que la bonne mesure de la félicité, la mesuré foulée, agitée, et qui se répand par dessus les bords (Lc 6,38), c'est comme si on accumulait les uns sur les autres pour n'en plus faire qu'un seul, un mont d'or, un mont d'argent, un mont d'hyacinthe, un mont d'émeraudes et de toutes les plus belles pierres fines, un mont d'étoffes de pourpre, d'écarlate et de lin et de toutes choses aussi précieuses. En effet, tout nous sera rendu avec usure, ceux qui auront élevé sur le fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, verront avec surprise, leur humble construction se changer en d'immenses montagnes; ils n'auront répandu qu'une modique semence et ils moissonneront, je ne dis pas de grandes gerbes, mais de grands monceaux de gerbes.

3. «Qui donc montera sur la montagne du Seigneur, et qui se tiendra dans son lieu saint? Ce sera celui dont les mains sont innocentes, et dont le coeur est pur (Ps 23,4).» Heureux cet homme-là, si toutefois il en existe un tel. Qui peut se flatter d'avoir les mains innocentes et le coeur pur? «personne n'est sans souillure, pas même l'enfant qui ne compte encore qu'un seul jour d'existence sur la terre (Jb 15,14).» Toutefois, parmi tant de coupables, il s'en trouve un de pur, il y en a un de libre, au milieu de tous ces morts, nul autre que lui ne saurait compter; c'est celui dont on lit: «personne n'est monté aux cieux que celui qui en est descendu, le Fils de l'homme qui est dans les cieux (Jn 14,13)?» Il avait, en effet, les mains innocentes lui qui, non-seulementn'a point fait de péché, mais encore a fait beaucoup de bonnes oeuvres, et qui pouvait dire aux Juifs librement: «Qui de vous me convaincra de péché (Jn 8,46).» Comment douter de la pureté parfaite d'un coeur qui était personnellement uni à la Sagesse par excellence, dans laquelle il ne se trouve rien de souillé et qui atteint partout à cause de sa pureté? Ce n'est pas en vain que celui qui a eu le pouvoir de déposer la vie et de la reprendre, quand il a voulu, a reçu son âme (Jn 10,18). Non, ce n'est pas en vain qu'il l'a reçue en naissant, qu'il l'a déposée en mourant, et qu'il l'a reprise en ressuscitant.

4. Mais comment dit-on qu'il n'a pas fait un serment faux et trompeur à son prochain, qu'il n'a pas pris son âme en vain, en un mot qu'il n'a pas fait tout cela en vain, s'il n'y a que lui qui ait reçu la bénédiction du Seigneur? Fallait-il donc que le Christ souffrit, qu'il ressuscitât et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (Lc 24,26)? Mais cette gloire était à lui. Quel profit trouvons-nous dans son sang, puisque nous sommes tous destinés à la corruption des tombeaux? Où est la vérité de ses promesses, s'il est vrai d'un autre côté, comme je l'ai dit plus haut, que «personne ne monte au ciel que celui qui en descend (Jn 3,13)?» Eh bien, soit, que la bénédiction ne soit que pour lui, mais quel besoin a-t-il de la miséricorde? Si vous y faites attention, il ne recevra point seul cette bénédiction, ou du moins il ne la recevra point pour lui seul. Relisez les paroles du Prophète, et remarquez comment, sans qu'il y paraisse, il amène la multitude. Il ne parlait que d'un et il disait: «Il recevra;» et aussitôt il passe à la race des hommes et dit: «Telle est la race de ceux qui le cherchent .» pour nous donner à entendre, dans l'unique dont il parle, non pas l'unité de personne, mais l'unité de l'esprit. En effet, quoique nous voyions un époux et une épouse, nous savons quel est celui qui a dit: ils ne feront plus l'un et l'autre qu'une même chair (Ep 5,31). Voilà comment il monte et reçoit la bénédiction, et comment nous monterons avec lui, ou plutôt en lui, car c'est de lui que nous recevrons la bénédiction. Entendons là-dessus comment s'exprime le Prophète: «Celui qui a donné la loi donnera aussi sa bénédiction, et on s'avancera de vertu en vertu (Ps 83,8).» Voilà pourquoi il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât d'entre les morts (Lc 24,46); pour qua la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom, la pénitence qui doit tenir lieu de l'innocence, et la rémission pour remplacer la pureté. En effet, il est dit: «Bienheureux,» non pas celui en qui le Seigneur n'a point trouvé, mais celui «à qui il n'impute pas le péché (Ps 31,2). J'ai trouvé, dit-il , un homme selon mon coeur (Ac 13,22). Est-ce que cet homme peut se flatter d'avoir le coeur pur? non certes , car «les étoiles mêmes ne sont point pures à ses yeux (Jb 25,5).» Mais!Dieu ne méprise pas un coeur contrit et humilié (Ps 50,19). Un coeur contrit est bien près d'être un coeur pur. Voilà ce qu'on entend par être selon le coeur de Dieu, puisqu'il est dit qu'il se tient tout près de ceux qui ont le coeur troublé. Il est le Samaritain qui se tient pour le prochain de l'homme tombé entre les mains des voleurs. Non, il en fera point un serment trompeur à son prochain (Ps 23,4), mais il fera ce qu'il a promis, quand il a dit: «En vérité, je vous le déclare, vous serez assis comme des juges (Mt 19,28).»

5. Soyons donc nous aussi, mes frères, à notre petite manière, amis de l'innocence des mains et de la pureté du coeur. Avant tout, apportons tous nos soins, je ne dis point à nous garder entièrement, la fragilité humaine ne le permet pas; mais à nous éloigner du péché, autant que nous le pourrons, non-seulement en action, mais encore en pensée. Et, pour le reste, si nous ne voulons pas avoir reçu nos âmes raisonnables en vain, exerçons-nous nus bonnes couvres et suivons les conseils de la raison. Comment un homme quine songerait qu'aux voluptés corporelles et ne suivrait que les appétits de la chair, comme un être sans raison, n'aurait-il pas reçu son âme en vain? Le Prophète ajoute encore: «Et il n'a point trompé son prochain par de faux serments.» C'est que, en effet, de même que nous devons être purs dans le coeur, nous devons être innocents au dehors pour le prochain; voilà comment il faut faire en nous, et envers le prochain, des oeuvres de vertu, des couvres de charité. Ne soyons donc point des êtres inutiles à nous-mêmes, si nous ne voulons point avoir reçu nos âmes en vain; et ne soyons pas inutiles au prochain, de peur d'être convaincus .par-là de l'avoir trompé par de faux serments. L'Esprit qui faisait parler le Prophète connaît le limon dont nous sommes formés, et il n'a pas voulu seulement nous rappeler les intérêts du prochain. Il nous remet nos sarments en mémoire, afin que nous reconnaissions notre dette, et que nous craignions de rendre vaine la foi jurée, car nous nous sommes tous engagés, par serment, envers le, prochain, avec qui nous ne faisons qu'un dans l'Église. Et cette profession de da foi chrétienne fait que celui qui vit ne vit plus seulement pour lui, mais pour celui qui est mort lui-même pour tous les hommes.

6. Et qu'on ne me dise pas: je vivrai pour lui, mais non pour vous; attendu que lui non-seulement a vécu, mais encore est mort pour nous tous (1Co 5,15). Comment, en effet, vivre pour lui, quand on ne tient aucun compte de ceux qu'il a aimés à ce point? Comment vivre pour lui, quand on n'observe point sa loi, quand on n'accomplit pas son commandement? Vous me demandez de quelle loi, de quel commandement je veux parler? Il vous répond lui-même: «Voilà quel est mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés moi-même (Jn 13,34).» et l'Apôtre vous dit après lui «Portez les fardeaux les uns des autres, et de cette manière, vous accomplirez la loi du Christ (Ga 6,2).» N'allez donc pas croire que c'est un bien gratuit que vous donnez au prochain, et que vous pouvez le lui refuser, si vous voulez: vous lui devez sous la foi du serment, et vous y êtes tenus à raison de votre profession. «Celui-là donc recevra la bénédiction du Seigneur et la miséricorde du sauveur son Dieu.» Celui-là, dit le Prophète, c'est parce qu'il n'y en a qu'un qui reçoit la palme dans la lutte, mais ne le regardez point comme n'étant qu'un seul homme, «il comprend la race entière de ceux qui cherchent le Seigneur.» Il recevra la bénédiction, parce que le chef et les membres ne forment qu'un seul Christ (1Co 19). Mais il est toute une génération, parce que nous parviendrons tous à la mesure de l'âge et de la plénitude de Jésus-Christ (Ep 4,13).

7. Peut-être faut-il voir le Seigneur lui-même dans cette montagne du Seigneur, dont le Prophète a dit: «Qui montera sur la montagne du Seigneur ou bien qui pourra se tenir ferme dans son lieu saint?» Évidemment, il est la pierre qui s'est détachée sans le secours d'aucune main, et qui est devenue une montagne immense (Da 2,45): il est aussi «la montagne grasse , la montagne compacte (Ps 67,16)» qui, en s'élevant de terre, attire tout à elle. Et vous , ô Juifs, pourquoi ces soupçons à l'égard de cette montagne, au sol compacte de cette montagne, dis-je, dans laquelle Dieu se complaît à habiter? «C'est, disent-ils, parce que, s'il chasse les démons, ce n'est que par Béelzebub qu'il le fait (Mt 12,24).» O soupçon exécrable, ô blasphème digne de tout blâme! Le Christ est un prince, un grand prince, à la puissance duquel les démons mêmes ne peuvent se soustraire; leur empire divisé contre lui-même sera désolé (Mt 12,25), et le sien est uni et parfait, il n'aura même jamais de fin (Lc 1,33). Il y a donc une grande différence entre ce prince et ces princes, et on ne saurait établir de comparaison entre cette montagne, au sol compacte et fertile, et ces autres montagnes qui ne sont que grasses. Votre Béelzebub, dont vous parlez, n'est qu'une montagne au sol compacte, mais non fertile; au contraire, elle est maudite et stérile à jamais. C'est une montagne parce qu'il s'est élevé, une montagne au sol compacte, parce que ses écailles sont imbriquées les unes sur les autres, et que son coeur est dur comme le lait pris en fromage.

8. Notre-Seigneur Jésus-Christ est une montagne, mais une montagne au sol compacte et fertile. C'est une montagne, car il est élevé, une montagne compacte, car elle se compose de beaucoup d'êtres, une montagne grasse, à cause de sa charité. Voyez maintenant comment il attire tout à lui, comment il s'unit tout dans une unité substantielle, personnelle, spirituelle, sacramentelle. Il a le Père en lui, et il ne fait avec lui qu'une seule et même substance; li a pris l'homme, et ne fait qu'une seule personne avec lui; il s'est attaché l'âme fidèle avec laquelle il ne fait plus qu'un seul et même esprit; il a pour épouse l'Église de tous les élus, avec laquelle il ne fait plus qu'une chair. Peut-être même cette union devrais-je l'appeler charnelle, mais je préfère l'appellersacramentelle, je trouve ce mot plus digne, surtout après avoir entendu l'Apôtre dire: «Ce sacrement est grand, je veux dire en Jésus-Christ et dans l'Église (Ep 5,32).» Oh! oui, c'est une montagne très-grasseet très-fertile , où Dieu se plaît à habiter, aussi l'a-t-il oint d'une huile de joie, d'une manière bien plus excellente que tous ceux qui ont part à sa gloire (Ps 44,8). Il est la montagne des célestes parfums, la montagne des grâces spirituelles, il n'a pas reçu l'esprit avec mesure, mais il a reçu toute la plénitude des grâces. Il est la grande montagne où sont cachés tous les trésors de science et de sagesse, où habitent toute la vérité de l'humanité et toute la plénitude de la divinité: c'est une montagne haute, immense, où se trouve réuni tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, en sorte que Dieu soit tout en tous (Ep 1,10).

9. Venez, moutons sur cette montagne, mes frères, si la route nous parait raide, laissons là notre fardeau; si elle nous semble étroite, ne craignons pas de nous rapetisser; si elle est longue, hâtons le pas d'autant plus, et si elle est difficile , écrions-nous: «Entrainez-nous après vous, et nous courrons dans l'odeur de vos parfums (Ct 1,3).» Heureux celui qui courra de manière à saisir le but ou plutôt à en être saisi lui-même, et à mériter d'être admis dans cette grande et vaste montagne et dans la plénitude du corps de Jésus-Christ. Heureux celui qui montera sur cette montagne béatifique avec de si ardents désirs et une telle persévérance que méritant de recevoir une place, ou se tenir dans ce saint lieu, il apparaisse à, Dieu le Père dans son sanctuaire, et contemple en même temps sa vertu et sa gloire, qui n'est autre, après tout, que celui qui est le mont des monts, la montagne au sol compacte et fertile, Jésus-Christ même, Notre-Seigneur (Ps 62,3). Car c'est en lui que, de toute éternité, nous avons apparu par la prédestination devant les yeux de celui qui nous a aimés et nous a gratifiés de son fils chéri, en qui il nous a élus avant la création du monde. Alors nous le connaîtrons comme nous sommes connus (1Co 13,14), quand cette montagne élevée , très-haute et très-fertile, attirera tout à elle avec plus de plénitude et de force, elle qui est le Dieu béni par dessus tout, dans tous les siècles. Ainsi soit-il.



TRENTE-QUATRIÈME SERMON. Sur les paroles d'Origène.

7034
1. Je crains que le passage qu'on vous a lu hier, d'une homélie d'Origène, sur le chapitre de la Loi (
Lv 10,3), qui défend à Aaron et à ses fils de boire du vin quand ils doivent monter à l'autel, n'ait produit une mauvaise impression sua plusieurs d'entre vous, s'ils l'entendent simplement et au pied de la lettre. Il disait: «Mon Sauveur pleure encore maintenant mes péchés, et sa douleur durera aussi longtemps que notre erreur. a Il continue ainsi dans un style plus abondant peut-être que prudent,, et -dans un langage plus disert que sobre. Que signifient ce grognement insolite et ce je ne sais quel murmure qui s'élève parmi vous! Je sais bien que ceux qui sont instruits dans la loi de Dieu, se rient de ces paroles, mais je ne m'en reconnais pas moins le débiteur de ceux qui sont moins instruits. Il n'est pas question de la manière dont Origène entendait ses propres paroles; il a pu s'exprimer ainsi par hyperbole; c'est son affaire non point la nôtre. Toutefois, je ne puis passer sous silence que les saints Pères nous ont donné comme très-certain qu'il a écrit plusieurs choses contre la foi, et qu'ils nous avertissent de ne le lire, par conséquent, qu'avec circonspection. Quant au passage qui nous occupe, il n'est pas question pour moi de rechercher quelle fut sa pensée; je ne me propose seulement de vous prémunir, vous tous qui n'avez que des sentiments parfaitement conformes à la saine doctrine, contre l'impression que pourraient vous faire les paroles citées plus haut.

2. Il faut bien se garder de croire qu'il y ait place au ciel pour la tristesse non plus que pour le péché. On ne saurait y faillir ni y verser des larmes, de même que sur la terre il n'y aurait jamais eu de peine s'il n'y avait eu d'abord une faute. Or, dans le ciel, il n'y a que la justice, et par conséquent on n'y tonnait que la joie; dans l'enfer, il n'y a que le péché et la peine du péché. Entre l'un et l'autre, on trouve le mélange des deux extrêmes;aussi ne sont-ils point consommés. Nous souffrons en bien des choses parce que «nous péchons tous en bien des points (Jc 3,1).» C'est parce qu'il n'y 'a point place dans le ciel pour la souffrance et la douleur, que le Fils unique de Dieu le Père, voulant racheter les hommes par sa passion, non-seulement prit un corps dans lequel il pût souffrir, attendu qu'il ne pouvait souffrir dans sa divinité, mais encore «il se montra sur la terre et vécut parmi les hommes (Ba 3,38),» afin de s'humilier lui-même dans le lieu de l'affliction. Il a donc bien voulu se troubler ici-bas, éprouver de la frayeur et de l'abattement, être tenté en toutes choses pour nous ressembler, sauf le péché. Oui, dis-je, sur la terre Jésus a versé des larmes, il s'est vraiment attristé, il a vraiment souffert, il est vraiment mort, et il a été véritablement enseveli; mais, par sa résurrection, toutes les choses anciennes ont passé. Ne cherchez plus maintenant davantage votre bien-aimé dans votre lit; il est ressuscité, il n'est plus là. C'est le mot de l'Epouse: «J'ai cherché dans mon lit celui qu'aime mon âme; je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé (Ct 3,1).» C'est Marie qui a cherché le Seigneur dans son lit;.elle l'a cherché dans le tombeau et ne l'a point trouvé: mais les gardes l'ont trouvée elle, et lui ont dit: «Pourquoi cherchez-vous un vivant parmi les morts (Mt 28,5)?» Il a été en effet, parmi les morts, mais il n'y est plus; oui, il fut couché parmi les morts, mais alors même il n'était pas moins libre; car c'est lui-même qui s'est troublé, c'est lui-même qui a déposé son âme, «s'il a été offert c'est parce qu'il l'a bien voulu (Is 53,7).» Toute faiblesse en lui fut le résultat de sa propre volonté, non pas de la nécessité; voilà pourquoi ce qui parait en Dieu une faiblesse est plus fort que, les hommes (1Co 1,25); C'était alors un grand parmi des petits, un Dieu plein de santé au milieu d'infirmes, un être libre entre les morts.

3. Il semble, à la vérité, qu'au sein même de nos tribulations, nous jouissons aussi d'une certaine liberté, quand, par une charité aussi libre que libérale, nous faisons des oeuvres de pénitence pour les péchés du prochain, nous pleurons, nous jeûnons et nous nous mortifions pour lui, payant ainsi des dettes que nous n'avons point contractées. C'est même ce qui faisait dire à saint Paul: «Quand j'étais libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous (1Co 9,19).» Mais, d'ailleurs, il n'y a là aucun rapport avec la liberté de celui qui n'eut point de péché qui lui fût propre, qui e devait rien à la mort et qui ne mérita aucune tribulation. Pour nous, au contraire, si le prochain n'est pas en droit d'exiger de nous ces pénitences volontaires, Dieu, toutefois, les exige; et s'il se trouve des hommes qui semblent rendre au prochain plus qu'ils ne lui doivent, jamais ils ne rendent à Dieu tout ce dont ils lui sont redevables. Aussi l'Apôtre dit-il: «Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par quelque homme que ce soit; je n'ose pas me juger moi-même (1Co 4,3)..» Remarquez bien ce qu'il dit ailleurs: «Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés (1Co 11,31),» et ailleurs: «L'homme spirituel décide de tout (1Co 2,15).» Il ne dit pas simplement «il juge» mais, «il décide» de tout, parce que celui qui décide d'une chose l'approuve; il dit, en effet, ailleurs: «Bienheureux celui que sa conscience ne condamne point en ce qu'il approuve ().» Il se mettait donc fort peu en peine d'être jugé par ceux envers qui sa conscience ne lui reprochait d'avoir omis aucun devoir, d'avoir commis aucune faute, à qui plutôt il savait qu'il avait rendu tous les services possibles, au point qu'il pouvait dire ingénument et en pleine sûreté de conscience: «Lui est faible parmi vous, sans que je m'affaiblisse avec lui Qui est scandalisé sans que je brûle (2Co 11,29)?» En effet, pour les Juifs il s'est fait Juif afin de les gagner tous; et pour ceux qui n'avaient point la Loi, il a vécu comme s'il ne l'eût pont eue lui-même; enfin il s'est fait tout à tous pour les sauver tous (1Co 9,22). Aussi a-t-il bien raison de se mettre peu en peine du jugement que pouvaient porter de lui ceux à qui il avait donné si peu d'occasion de scandale et au milieu de qui il avait si bien fait honneur à son ministère. Mais il ne se jugeait pas même dans les choses qu'il approuvait, bien qu'il s'acquittât parfaitement, même envers lui, de ce qu'il se devait, en châtiant son corps, en affligeant son âme et en gardant son propre coeur avec toute sorte de sollicitude, en sorte que sa conscience n'avait rien à lui reprocher en ce qui concernait les devoirs qu'il se devait à lui-même. «Mais je ne suis pas justifié pour cela, dit-il, c'est le Seigneur qui est mon juge (1Co 4,4):» Pour celui-là, je ne saurais échapper à son jugement, et quand même je serais juste je ne lèverai point la tête, car toute ma justice à ses yeux est semblable aux linges souillés d'une femme à son époque (Is 44,6). Non, personne, pas un seul homme ne saurait se dire juste à ses yeux.

4. Car il n'y a personne qui ne doive dire à Dieu: «J'ai péché contre vous (Ps 50,6),» mais celui-là est bien grand qui peut dire «Je n'ai péché que contre vous.» De même il n'y a de vraiment libre parmi les morts, que celui qui n'a point fait de péché et dont la justice est semblable aux montagnes de Dieu. D'ailleurs, il n'est plus parmi les morts, il s'est élevé du milieu d'eux, changé de corps, changé de coeur, il est entré dans les puissances du Seigneur, exempt de toute faiblesse, après avoir quitté les vêtements souillés dont il apparut d'abord revêtu, dans le Prophète Zacharie, (Za 3,3), pour se revêtir d'habits splendides selon ces paroles du Psalmiste: «Vous avez déchiré mon sac et vous m'avez revêtu de joie (Ps 29,12).» Comme il avait pris véritablement la substance de la chair et de l'âme humaines, ainsi que leur vraie nature, il connut les souffrances du corps et celles de l'âme, mais il a trouvé dans les unes et dans les autres une source de gloire. C'est je crois de la glorification de l'une et de l'autre que le Prophète a voulu parler quand il a dit dans ce petit verset: «Le Seigneur a régné, et il a été revêtu de gloire, le Seigneur a été revêtu de force (Ps 92,1).» Par la gloire de son corps il veut dire l'éclat dont il est revêtu, et par la force, l'état inaltérable de son âme. Enfin si le Seigneur a dit: «Mon âme est triste jusqu'à la mort (Mt 26,83);» plus tard, en inclinant la tête, il s'est écrié: «Tout est consommé (Jn 19,30);» afin que désormais on ne soupçonnât pas l'ombre de la faiblesse en lui.

5. Origène a dit encore: «Si son apôtre pleure sur quelques fidèles qui ont péché auparavant, et n'ont point fait pénitence de leurs fautes, que dirai-je de celui qui est appelé le Fils de la charité?» Et ailleurs il continue: «Quoi donc, après avoir cherché nos intérêts, il ne nous chercherait plus à présent, et ne songerait plus à ce qui nous touche, il ne serait plus affligé de nos erreurs, et il ne pleurait point sur notre perte et sur notre ruine, lui qui a pleuré sur Jérusalem?» Ailleurs il dit encore: «Et maintenant puisque le Seigneur est compatissant et miséricordieux, il verse plus de larmes encore que son apôtre avec ceux qui pleurent, et il pleure ceux qui ont péché auparavant; car on ne saurait croire que pendant que Paul gémit et pleure pour les pécheurs, le Seigneur ne verse aucune larme.» Si on entend les choses ainsi, pourquoi ne point chercher encore le bien aimé dans son petit lit? Un mort ne saurait chercher ailleurs que dans le sépulcre, ni un infirme ailleurs que dans son lit, ni un petit enfant ailleurs que dans son berceau, celui qu'aime leur âme. Mais pour lui, comme je l'ai dit plus haut, non moins glorifié de corps que de coeur, que dis-je, d'autant plus glorifié de coeur que l'âme est plus grande et plus capable de gloire que le corps, s'il ne peut négliger les siens, il ne saurait non plus pleurer pour eux. Mais quand sera-t-il donné à la fragilité humaine de comprendre comment il a pitié sans être affecté par la tristesse, comment il aime, et même beaucoup ceux qui souffrent, et sont en danger sans toutefois éprouver lui-même ni trouble ni douleur? Mais cela est bien au dessus de tout ce que nous éprouvons; toutefois il n'y a rien d'impossible à Dieu. Aussi peut-il donner, soit à lui-même, soit à tous les siens qu'il a revêtus de force après qu'ils eurent dépouillé les faiblesses de la chair, et qu'il a introduits dans ses puissances, une charité telle qu'elle puisse se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, sans pleurer avec ceux qui pleurent, et réunir par les liens les plus sûrs et les plus affectueux celle qu'elle aime, sans cesser toutefois de demeurer imperturbable elle-même. On ne saurait même révoquer en. doute que cette charité ne soit bien plus grande que l'autre, de même qu'un médicament, s'il en existait qui guérît nos blessures et ne perdît absolument rien de sa vertu ni de sa substance, serait regardé comme plus précieux que ceux dont la vertu s'épuise et la substance s'altère. Ainsi quoique le Seigneur ait pleuré sur Jérusalem (Lc 19,41), désormais il ne pleurera plus; de même, qu'étant mort et ressuscité, il ne doit plus mourir (Rm 6,9), et qu'après avoir reposé sur son lit tumulaire, il ne doit plus y être cherché maintenant qu'il est ressuscité.

6. Et pourtant les saints sont doués d'une sensibilité infiniment plus grande et plus efficace que ceux qui pleurent pour les pécheurs ou qui sacrifient leur vie pour leurs frères, bien que, pour le Seigneur, il ne puisse plus faire ni l'un ni l'autre maintenant que son oeuvre est accomplie. C'est le propre de notre faiblesse de pouvoir pleurer avec ceux qui pleurent, parce que nous sommes encore dans le filet qui nous tire dans la mer et qui renferme des poissons de toute sorte (Mt 3,48) sans faire aucun discernement entre les uns et les autres. Pour ce qui est du Sauveur, au contraire, non-seulement de lui, mais aussi des apôtres et de tous les autres saints qui sont en lui, ils ont déjà touché au rivage et ils n'ont point placé pèle mêle toute sorte de poissons dans leurs vases; ils n'y ont placé que les poissons de choix, que les bons; quant aux mauvais ils les ont rejetés loin d'eux. Mais en attendant combien de mauvais poissons ne suis-je pas contraint de traîner dans mon filet; combien de poissons douteux, et quine me donnent que de la peine, n'ai-je pas rassemblés dans ce filet le jour où mon âme s'est attachée à vous! je me félicite avec ceux qui font des progrès, mes sentiments sont des sentiments de joie et de bonheur, parce que mon poisson est bon; mais je m'attriste avec ceux qui dépérissent, je pleure avec ceux qui pleurent, je partage les angoisses de ceux qui se trouvent en danger; je suis faible avec les faibles, et je brûle avec ceux qui sont scandalisés. Tous ces sentiments sont pénibles et poignants; mais aussi c'est que ces poissons sont de mauvais poissons; mauvais, entendons-nous, non pas à cause de leur péché, mais à cause de la peine qu'ils me donnent. Fasse le ciel que la multitude de ces mauvais poissons ne nous fasse point périr dans la pusillanimité de notre âtre sous les coups de la tempête, avant que nous soyons arrivés et débarqués au rivage où nous pourrons tirer et séparer les bons des mauvais, en sorte qu'il n'y aura plus ni pleurs, ni cri, ni affliction, ni aucun sentiment de crainte laps le pays de notre séjour (Ap 21,4), mais seulement des actions de grâce et des chants de joie et de bonheur.



Bernard sermons 7032