Bernard sermons 7035

TRENTE-CINQUIÈME SERMON (a). Des trois ordres de l'Eglise, aux pères abbés réunis en chapitre.

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a Ce sermon, dans un manuscrit de la Colbertined'une grande valeur, se trouve placé avant le sermon pour la nativité de la Vierge Marie; dans un manuscrit de la bibliothèque royale, il est placé après, avec ce titre: Sermon aux abbés venus au chapitre de Cîteaux. Le manuscrit français des Feuillants le place parmi les sermons du carême. Autrefois le chapitre de Cîteaux se tenait aux Ides de septembre. Dans les Fleurs de saint Bernard ce sermon est cité au livre 8, chapitre 11, et. au livre 8, chapitre XXXVI, XXXVII et autres.

1. Cette grande et vaste tuer, je veux dire le siècle présent si amer et si agité, est navigable pour chacune des trois sortes d'hommes d'une manière différente, s'ils veulent la traverser sains et saufs. Il y a, en effet, trois hommes, Noé, Daniel et Job, (
Ez 14,14); le premier lapasse sur l'arche, le second sur un pont, et le troisième à gué. Or, ces trois hommes sont les trois ordres de l'Église. En effet, Noé a dirigé la marche de l'arche pour qu'elle ne périt pas dans le déluge, et je reconnais en lui la figure de ceux qui sont chargés de conduire l'Église. Daniel, l'homme de désirs, l'homme de l'abstinence et de la chasteté, représente l'ordre des pénitents et des continents qui ne vaquent qu'au service de Dieu. Quant à Job, qui sait faire un bon usage des biens de ce monde dans l'état du mariage, il est la figure du peuple fidèle qui possède licitement les biens de la terre. Je veux vous parler du premier et du second des trois, puisque il y a ici présents, d'un côté, nos vénérables frères et co-abbés qui sont du nombre des prélats de l'Église, et de l'autre, de simples moines qui sont de l'ordre des pénitents, ce n'est pas à dire pour cela que nous autres abbés nous devions nous regarder comme étant étrangers à cet ordre, à moins que nous n'ayons oublié notre profession. Quant au troisième ordre qui comprend les gens mariés, je n'en dirai que quelques mots, attendu qu'il nous touche de moins près. On peut le considérer plus particulièrement comme celui qui trac erse à gué la grande mer, traversée aussi laborieuse et aussi dangereuse que longue, attendu que celui qui la fait n'y trouve aucun profit. Que ce soit une traversée dangereuse, cela n'est que trop évident par le nombre de ceux que nous avons la douleur d'y voir périr en regard du petit nombre de ceux qui l'accomplissent comme il faut. Il est en effet bien difficile, surtout de nos jours où la malice est si grande, d'éviter les trous creusés par des pécheurs criminels, dans les eaux de ce siècle et dans les tourbillons des vices.

2. Quant à l'ordre des continents, ils passent la mer sur un pont, c'est comme on le sait, la voie la plus courte, la plus facile et la plus sûre. Mais sans la louer davantage, je veux vous en montrer les dangers, ce sera beaucoup meilleur et plus utile. Sans doute, mes très-chers, le sentier que vous suivez est droit et bien plus sûr que la vase où marchent les gens mariés, pourtant il n'est pas d'une sécurité complète. Il y a trois périls à craindre le long de ce chemin, ainsi, il est possible qu'on veuille y marcher de front avec un autre, regarder en arrière, s'arrêter ou s'asseoir au beau milieu du pont. Il est si étroit et la voie qui mène à la vie a si peu de largeur qu'ils ne permettent de faire ni l'une ni l'autre de ces trois choses. Contre le premier danger, disons tous de notre côté avec le Prophète, «que le pied de l'orgueil ne vienne point jusque à moi, car c'est là que sont tombés ceux qui commettent l'iniquité (Ps 35,42).» Quant à celui qui, après avoir mis la main à la charrue, regarde ensuite en arrière, il est certain qu'il tombe à l'instant même et que les flots de la mer l'engloutissent tout entier. Pour celui qui veut s'arrêter sur ce pont et qui, sans quitter l'Ordre, ne veut plus avancer, il ne peut que tomber aussi, parce qu'il est poussé et renversé par ceux qui viennent après lui, car le passage est étroit, et il empêche de passer ceux qui veulent aller plus loin et arriver au terme. Aussi arrive-t-il qu'ils le reprennent et le gourmandent, ils ne peuvent souffrir sa tiédeur et sa lenteur, ils le pressent en quelque sorte de l'aiguillon et le poussent de leurs mains. Or, de deux choses l'une, ou il avancera ou il tombera. Il ne saurait donc point s'arrêter, il ne peut non plus regarder en arrière, et, d'un autre côté, il ne lui est pas avantageux de vouloir marcher de front avec les autres; il faut donc que nous courions, que nous nous hâtions en toute humilité, si nous ne voulons pas que celui qui est parti comme un géant pour parcourir sa carrière ne s'éloigne beaucoup de nous. Si nous sommes sages, nous ne le perdrons jamais de vue, et, attirés par l'odeur de ses parfums, nous courrons plus vite et plus sûrement.

3. Après tout le pont ne semblera pas trop étroit encore à ceux qui voudront y courir. En effet, il est composé de trois essences de bois, et ceux qui voudront s'appuyer sur ces bois ne verront point le pied leur manquer en route. Or, ces trois essences sont: la peine du corps, la pauvreté des biens du monde, et l'humilité de l'obéissance. En effet, «c'est par beaucoup de peines et d'afflictions que nous devons entrer dans le royaume des cieux (Ac 14,21), et ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans les piéges du diable (1Tm 7,9);» enfin celui que la désobéissance a écarté de son Dieu, n'a qu'une voie sûre de revenir à lui, la voie droite de l'obéissance. Mais il faut que ces trois essences de bois soient bien liées ensemble; en effet, la peine du corps ne dure guère au milieu des richesses, et d'ailleurs sans l'obéissance elle ne sera pas facilement discrète; quant à la pauvreté au sein des jouissances et de la volonté propre, elle n'a aucun mérite et n'a absolument aucune valeur aux yeux de Dieu: pour ce qui est de l'obéissance dans les richesses et les plaisirs, elle n'a rien de stable, rien de glorieux.

4. Tout cela étant bien disposé, voyez si vous n'avez pas échappé parfaitement aux trois périls de cette mer, je veux dire à la concupiscence de la chair, à celle des yeux, et à l'orgueil de la vie: tout cela étant, dis-je, bien disposé., c'est-à-dire, étant disposé de telle sorte que dans la peine vous échappiez aux noeuds de l'impatience, dans la pauvreté vous évitiez la pierre d'achoppement de la cupidité, et dans l'obéissance la tache de la volonté propre. En effet, si ceux qui se sont laissés aller aux murmures périrent sous les morsures des serpents, (1Co 10,9) «ceux qui veulent devenir riches,» non pas ceux qui le sont, «tombent dans la tentation et dans les piéges du diable (1Tm 6,9).» Mais après tout qu'importe cela, si par hasard, ce qu'à Dieu ne plaise, vous désirez les choses de la pauvreté avec autant de force ou d'ardeur même que les hommes du monde soupirent après les richesses? Qu'importe la différence des objets qu'on désire, dès lors qu'on les désire d'une manière déréglée. Il semble même que s'il y avait une excuse dans l'un ou l'autre cas, ce serait plutôt pour le désir de ce qui est plus estimé. Mais quiconque fait ouvertement ou en secret tout ce qu'il peut pour que son père spirituel lui enseigne ce qui fait secrètement l'objet de sa volonté, se séduit lui-même, s'il se flatte d'avoir la vertu d'obéissance, car en cette occasion ce n'est pas lui qui obéit à son supérieur, mais c'est son supérieur qui lui obéit.

5. Toutefois, puisque, selon la parole du Sauveur, on doit se servir envers nous de la même mesure dont nous nous serons servis nous-mêmes (Mc 4,24), il est bon de donner beaucoup, afin d'être du nombre de ceux à qui on doit donner une bonne mesure, une mesure foulée, tassée, une mesure qui déborde de leur sein. Pour le salut, il suffit de souffrir patiemment les souffrances corporelles, mais le comble est de les embrasser de plein gré, et avec la ferveur de l'esprit. Il peut suffire de ne point rechercher le superflu, et de ne pas se laisser aller aux murmures, s'il vient à manquer; mais le comble c'est de se réjouir, de voir les autres pourvus du nécessaire, quand on est soi-même dans le plus complet dénuement, et de chercher les moyens qu'il en soit ainsi. C'est encore assez pour le salut de ne point contraindre la volonté de notre supérieur, ou par notre impatience, ou par nos feintes à se plier à nos désirs, mais le comble c'est de fuir les choses que nous sentons flatter notre volonté propre, autant toutefois que cela se peut faire, sans blesser la conscience.

6. Quant aux prélats, ils descendent sur la mer dans des vaisseaux, et ils travaillent au milieu des eaux (Ps 106,33). Ils ne sont resserrés ni par l'étroit passage d'un pont, ni par le peu de largeur d'un gué, ils peuvent voguer dans tous les sens, où il leur plaît, et aller au devant de qui il est nécessaire pour diriger le passage du pont ou du gué, veiller à la marche de ceux qui s'avancent, découvrir les périls et les écarter, exciter les tièdes, et soutenir les faibles. Enfin, ils montent jusqu'aux cieux, et descendent jusqu'aux enfers, et tantôt s'occupent de choses spirituelles et sublimes, et tantôt jugent des choses horribles et infernales. Mais où trouver un navire capable de soutenir le choc de flots si terribles, et de voguer en sûreté au milieu de si grands périls? Je vous répondrai: «L'amour est fort comme la mort, et le zèle de l'amour est inflexible comme l'enfer:» aussi suivant ce qui est dit ailleurs: «Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité (Ct 8,7).» Voilà le navire nécessaire, indispensable aux prélats; il doit avoir trois côtés, comme tous les navires, et se trouver conforme à la doctrine de saint Paul, quand il réclame la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience, et d'une foi sincère (1Tm 1,5).» Or, la pureté d'intention, pour un prélat, consiste à ne se proposer que d'être utile non point de faire sentir qu'il est le supérieur. Il doit donc rechercher dans son office de prélat, non son avantage personnel, ni les hommages du monde ou tout autre chose pareille, mais seulement le bon plaisir de Dieu, et le salut des âmes. Mais à la pureté d'intention, il faut joindre encore une vie irréprochable, être le modèle du troupeau, commencer par pratiquer soi-même la règle, avant de l'enseigner aux autres, et, suivant la règle de notre Maître, (S. Bénéd. in Reg. cap 2.) ne pas apprendre à ses disciples, par sa conduite, à faire ce qu'il leur a dit être contraire à leurs intérêts, s'il ne veut pas que les religieux murmurent quand il les reprendra, et disent: «Médecin, guérissez-vous vous-même (Lc 4,23).» Là où il peut en être ainsi, c'est la condamnation complète du supérieur, et la perte de beaucoup de ses intérieurs. Si je parle ainsi, ce n'est pas que je réussisse à ne pas tomber dans ce malheur, mais c'est que la Vérité même me crie , comme elle. crie à tous les supérieurs: Il faut que celui qui est le supérieur des autres soit irrépréhensible (1Tm 3,1) et qu'il puisse, avec le Seigneur, répondre, en toute sécurité de conscience, à ceux qui le blâment: «Quel est celui d'entre vous qui pourra me convaincre de péché (Jn 8,46)?» de ne veux pas dire qu'on puisse vivre en ce monde absolument sans péché, mais je dis qu'il faut qu'un supérieur évite tout particulièrement de tomber dans les fautes qu'il reproche à ses inférieurs.

7. Et, pour cela, il faut qu'il soit dans le secret même de sa vie, tel qu'il se montre dans sa conduite publique, de peur de n'être humble qu'au-dehors, tout en étant orgueilleux au fond du coeur, et plein d'une confiance présomptueuse dans sa sagesse, sa vertu et sa sainteté. On ne peut douter que la foi de celui qui ne met pas toute sa confiance dans la seule bonté de Dieu, comme l'humilité apparente de sa conduite le fait croire, ne soit une foi feinte. Or, voyez combien, à ces trois vertus, je veux dire à la pureté du coeur, à la bonne conscience, et à la foi vraie, non pas feinte, semblent se rapporter encore ces autres paroles l'Apôtre qui dit: «Pour moi, je me mets peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit, etc., car je ne me juge pas moi-même, dit-il, parce que ma conscience ne me reproche rien (1Co 4,3),» c'est-à-dire ne me reproche point de rechercher mon intérêt, je ne cherche que celui de Jésus-Christ. Si je me mets peu en peine que vous me jugiez, c'est parce que ma conscience est bonne, et ma conduite irréprochable: «Celui qui me juge, continue-t-il, c'est le Seigneur.» Il veut, par là, nous apprendre que toutes ses espérances sont placées en Dieu, sous la main puissante de qui il se tient humilié. Mais je vous laisse à juger si la triple question, faite par le Seigneur à Pierre, peut se rapporter aussi à ce que je viens de dire, en sorte que ces mots: m'aimes-tu, m'aimes-tu, m'aimes-tu (Jn 21,15), signifieraient: as-tu la charité qui vient d'art coeur pur, d'une bonne conscience, et d'une foi qui ne soit pas feinte. C'est d'ailleurs avec justice qu'il est demandé à celui qui doit être pêcheur d'hommes, si son navire a la charité.


TRENTE-SIXIÈME SERMON (a). Sur l'élévation et sur la bassesse de coeur.

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a Ce sermon ainsi que les trois suivants se trouvent placés dans tous les manuscrits parmi les Sermons du temps. à la suite de ceux du sixième dimanche après la pentecôte: mais dans le manuscrit de Cîteaux, il est dit que ces quatre sermons doivent être placés après le trente-neuvième des sermons divers; toutefois dans toutes les éditions ils se trouvent placés après le trente-cinquième.


1. Je vous disais dernièrement qu'il y en a qui regardent en haut, et d'autres qui regardent en bas; il m'est encore venu, sur ce sujet, quelques réflexions dont je ne veux point priver votre charité, en les passant sous silence. Car si les deux pensées que j'ai développées alors devant vous, si je m'en souviens bien, ne sont pas également parfaites; elles sont toutefois également utiles. Or, il y en a qui ont le coeur placé les uns d'une manière, les autres d'une autre, ou qui l'ont élevé, selon ce que Dieu s'est proposé quand il a fait l'homme droit, et qui pourraient répondre sans crainte à la voix du prêtre qui les invite à tenir leur coeur élevé.» Nous l'avons élevé vers Dieu.» Il y en a d'autres qui, semblables aux animaux sans raison, sont penchés vers la terre, s'exposant ainsi aux dérisions des esprits immondes, qui leur crient en se moquant: «Baissez-vous, que nous passions (
Is 51,23).» Vous savez, en effet, que dans toute réunion nombreuse il est impossible que i tous aient larriême force, le même corps et les mêmes moeurs, aussi notre règle, avec son autorité, nous rappelle-t-elle de souffrir patiemment la faiblesse des uns et des autres (S. Bened. Reg. Cap. LXXII), et la charité nous fait un devoir d'y condescendre, dans une certaine mesure. En voyant cela, peut-être s'en trouve-t-il qui se sentent plus portés à en ressentir de l'envie que de la compassion; aussi arrive-t-il souvent qu'on estime an fond du coeur quelqu'un bien heureux pour certaines choses qui le rendent malheureux, et qu'il supporte avec peine et parce qu'il ne peut pas faire autrement. Celui qui porte envie, même à la misère, montre assez qu'il est tout à fait. courbé vers la terre, et que, dans la bassesse de son coeur, il ne goûte que la chair; il n'a de coeur que pour les dispenses que son supérieur accorde, parce qu'il y est contraint par des pensées de charité, et pour le bien du prochain; il recherche de semblables dispenses et murmure contre le supérieur qui se refuse d'accéder à ses déraisonnables demandes. De là, les soupçons, les détractions, et les scandales.

2. Si je parle ainsi, mes très-chers frères, ce n'est pas que j'aie beaucoup à me plaindre de vous sur ce point, mais j'ai cru bon de vous engager à vous mettre sur vos gardes, et de vous prémunir, parce qu'il y en a beaucoup parmi vous qui sont encore jeunes ou délicats, et qu'il est nécessaire quelquefois d'adoucir pour eux, à cause de leur jeunesse ou de leurs infirmités, les rigueurs de la règle commune (a). Grâces à celui de qui vient tout don, j'en vois ici beaucoup, dont l'esprit tout entier à Dieu, est tellement éloigné de semblables pensées qu'ils ignorent même qu'il se trouve à côté d'eux des frères plus faibles qu'eux, et qui gémissent de faire eux-mêmes beaucoup moins que tous les autres. C'est qu'ils ont toujours les yeux sur ceux qui sont plus avancés qu'eux, et que, avec l'Apôtre, oubliant tout ce qui est derrière eux, ils ne songent qu'à marcher en avant. Quelle n'est pas, je vous le demande, mon admiration pour eux, quel respect n'ai-je point pour ces âmes au fond de mon coeur; quels sentiments de charité n'éprouvé-je point pour ces religieux qui paraissent ignorer ceux qu'ils voient tous les jours avec eux , ne font choix que d'un, de deux ou de plusieurs autres religieux qu'ils savent animés d'une plus grande ferveur, et, tout en étant plus parfaits qu'eux, ne laissent pas néanmoins de se mettre devant les yeux, et de se proposer pour exemples à suivre, leurs saintes études dans le Seigneur, leurs exercices corporels et même leurs exercices spirituels.

3. Je vous ai déjà raconté, si je m'en souviens bien, mais je ne ferai aucune difficulté de vous le redire encore, dans quelle sublime méditation un laïc passa un jour tout le temps des vigiles. M'ayant, le plus grand matin, attiré dans le parloir, il se jeta à mes pieds et me dit: «Je suis bien malheureux, car j'ai passé tout le temps des vigiles à considérer un religieux, en qui j'ai compté trente vertus, dont je ne possède pas même la première.» Or, peut-être ce religieux n'en avait-il aucune aussi grande que l'humilité dont ce laïc faisait preuve dans l'envie qu'il lui portait. La conséquence à tirer pour nous de ce récit, c'est que nous devons avoir les yeux constamment ouverts sur ce qu'il y a de plus élevé dans les autres, c'est en cela que se trouve le comble de l'humilité, s'il vous semble qu'en certain point vous avez reçu une plus grande grâce que votre frère, vous ne manquez pas, si vous êtes animé d'une sainte émulation d'en trouver beaucoup d'autres où

a On peut comparer avec ce passage le n. 4 de sermon sur le moine Humbert, qui se trouve plus haut.

vous lui êtes inférieur. Qu'importe, en effet, que vous puissiez travaillez ou jeûner plus que lui, s'il vous surpasse de son côté en patience, et s'il s'élève plus haut que vous par la charité? A quoi bon passer toute la journée à considérer sottement ce qu'il vous semble que vous avez de plus que lui? Mettez-vous plutôt en peine de savoir ce qui vous manque encore, c'est beaucoup mieux. Plaise à Dieu, mes frères, que nous soyons aussi avides de la grâce spirituelle que les gens du monde le sont des richesses temporelles. Nous devons certainement, et c'est même pour nous une obligation de le faire, nous devons, dis-je, l'emporter en bien sur le mai, et désirer la grâce spirituelle, d'autant plus ardemment que l'objet de nos désirs est plus précieux; mais plaise à Dieu que nous la désirions du moins aussi vivement que les hommes du monde désirent les richesses. N'est-ce pas un grand sujet de confusion peur nous, de voir que les mondains désirent les choses pernicieuses beaucoup plus vivement que nous les choses utiles? En effet, qui pourra nous faire comprendre à quel point l'avare est tourmenté par le désir de l'argent, l'ambitieux, consumé par celui de la gloire, et les voluptueux, attirés par l'objet de leur passion? Il faut voir pour combien peu de choses ils comptent ce qu'ils ont une fois acquis, et comme ils oublient la peine qu'ils ont prise et l'ardeur qu'ils ont déployée pour arriver enfin à grand'peine au but de leurs désirs. Tout ce qu'ils possèdent n'est plus rien à leurs yeux, en comparaison de choses moindres peut-être , mais qu'ils se prennent à envier encore aux autres.

4. Pour vous donc, mes frères, ne faites pas non plus. un bien grand cas de ce qu'il vous semble que vous possédez, excepté peut-être pour en rendre de temps en temps grâce à Dieu, et pour vous reconnaître débiteurs de tout ce qu'il vous a donné, ou encore pour vous consoler en cas de besoin et vous empêcher de tomber dans un excès de tristesse. Autrement, n'ayez des yeux que pour voir ce que les autres ont de plus que vous; cette pensée vous conservera dans l'humilité, et non-seulement vous tiendra éloignés de la pente de la tiédeur, mais encore allumera au dedans de vous le désir de faire des progrès. Au contraire, voyez quel mal peut résulter pour vous de la complaisance avec laquelle vous contempleriez ce que vous croyez avoir dans lame, en pensant qu'un autre ne l'a point. En effet, vous commencez à vous élever sur les ailes de l'orgueil, dès que vous vous croyez grands. Et vous commencez à baisser, dès l'instant où en vous comparant à un autre, il vous semble que vous êtes plus parfaits que lui; voilà comment on tombe dans la tiédeur, et on commence à se relâcher. Or, nous savons que «Dieu résiste aux superbes, et qu'il donne au contraire sa grâce aux humbles (Jc 4,9),» nous savons aussi «que celui qui s'acquitte avec négligence de l'oeuvre de Dieu est maudit (Jr 48,10).» Mais heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car si nous mortifions par l'esprit les oeuvres de la chair, nous vivrons, mais si nous vivons selon le chair, nous mourrons.


TRENTE-SEPTIÈME SERMON. I. Sur le travail (a) de la moisson,

à l'occasion de ces paroles du Psalmiste: «Telle est la race de ceux qui cherchent le Seigneur, de ceux qui cherchent à voir la face du Dieu de Jacob.»
7037 (Ps 23,6)

a Consulter le livre I de la Vie de saint Bernard, n. 34, et le sermon de l'abbé Guerri, pour l'Assomption de la Vierge Marie, n. 1, où il est parlé du travail de la moisson.

1. Avec quelle ardeur je viens aujourd'hui me joindre à votre troupe pour reposer mon esprit fatigué de la vue des hommes qui recherchent des choses si diverses à des sources si diverses elles-mêmes! Grâces à Dieu, je ne suis point déçu dans mes désirs et ne suis point frustré dans mes espérances. J'ai voulu voir (b), j'ai vu et mon âme s'est fondue. Je suis rempli de consolations, je surabonde de joie, tout ce qui est en moi bénit le nom du Seigneur, tous mes os s'écrient: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Oui, en regardant de loin, à mesure que j'approchais, il m'a semblé que je voyais des yeux du corps ceux que le Prophète ne vit d'avance qu'en esprit; et aussitôt il m'est venu à la pensée ces paroles qui étaient tombées de ses lèvres et que je répétais avec lui: «Voilà la race de ceux qui cherchent le Seigneur (Ps 33,6).»

2. II y a plusieurs races d'hommes, et si je ne rue trompe, celle que je vois et qui fleurit en vous est la troisième. La première est celle qui ne cherche pas encore le Seigneur, et que le Seigneur n'a point non plus cherchée; c'est celle des hommes que leur mère a enfantés dans l'oubli de son âme, et dans la souillure de leur iniquité. La seconde, celle qui vient tout de suite après, comme il est juste, nous a montré le remède qui venait en toute hâte vers nous de l'eau et de l'esprit, mais si cette race n'est pas encore la race de ceux qui cherchent le Seigneur, du moins est-elle elle-même recherchée par lui, car il la recherche alors qu'elle ne savait, ni ne pouvait encore le chercher. Il nous a donc cherchés, et il nous a acquis dans la seconde race , pour faire de nous un peuple acquis par lui. S'il arrive que notre aînée murmure et sèche d'envie, on lui répondra: «Il fallait bien faire bonne chère et nous réjouir puisque ton frère que voici, qui était perdu, a été retrouvé (Lc 15,32).»

3. D'ailleurs, si le Seigneur nous a cherchés aussitôt, c'était afin que nous le cherchassions en temps opportun, alors qu'il pouvait enfin être cherché et trouvé. Malheur à nous qui avons si longtemps différé et négligé de rechercher la vie, de rechercher cela seul qui est bon à ceux qui le cherchent, à l'âme qui espère en lui! Malheur à toi, race corrompue et irritante (Ps 77,8), race mauvaise et adultère, qui, jusqu'à ce jour, recherches le mensonge, aimes la vanité et ne garde

b On voit que ce sermon a été prêché par saint Bernard, après un retour de quelque grand voyage, peut-être du voyage de Rome.

point la bonne foi! A quelle vérité avais-tu donc été fiancée? N'est-il pas nécessaire qu'une pareille race reçoive une nouvelle naissance, soit engendrée de nouveau? Oh oui, très nécessaire même. Devenus une vraie race de vipères, tous ces hommes ont. d'autant plus besoin de rentrer dans le sein de leur mère, et de recevoir une seconde naissance, qu'on ne sait que trop que leur dernier étai est pire que le premier. Grâces à la grâce même, grâces à la miséricorde plus que gratuite, si je puis ainsi parler, qui accable de ses bienfaits, non-seulementceux qui ne les ont point mérités, mais encore ceux qui les ont démérités et sur les ingrats. Grâces à celui qui vous a régénérés encore cette fois dans l'espérance de la vie, pour que vous reçussiez l'adoption des enfants; car, à vrai dire, c'est volontairement, de votre part, qu'il vous engendre actuellement pour ses enfants, par la parole de la vérité; car auparavant, en vous engendrant par le sacrement de la charité, s'il vous a, quant à lui, engendrés volontairement, ce n'est pas par un effet de votre volonté que vous avez été engendrés, puisque vous étiez incapables de volonté, et que vous ne pouviez faire usage de votre raison: aussi n'avez-vous eu ni conscience de cet engendrement, ni connaissance d'un tel engendreur. Mais à présent votre génération est une génération volontaire qui offre un sacrifice volontaire, selon ce mot du Psalmiste: «Je vous offrirai un sacrifice volontaire, et je louerai votre nom parce qu'il est bon (Ps 53,6).»

4. Voici la race de ceux qui cherchent le Seigneur.» Est-ce de ceux qui cherchent ou de ceux qui ont déjà trouvé le Seigneur que je dois le dire? C'est de ceux qui l'ont déjà et qui le cherchent encore, car s'ils ne l'avaient pas, ils ne sauraient le chercher. Mais qu'ont-ils et que cherchent-ils? Ou plutôt comment l'ont-ils, et comment le cherchent-ils? Engendrés par le Verbe, ils ont le Verbe; or, est-ce que le Verbe n'est pas le Seigneur? Ecoutez la réponse. de Jean: «Et le Verbe était Dieu (Jn 1,1).» Qu'est-ce donc que la race de ceux qui cherchant le Seigneur, cherche de plus que ce qu'elle a? Remarquez ce qui suit dans le psaume: «Voici la race de ceux qui cherchent le Seigneur, de ceux qui cherchent à voir la face du Dieu de Jacob:» ils ont donc celui qu'ils cherchent encore, puisque le Verbe du Père et la splendeur de la gloire du Père, ne font absolument qu'un. Bien plus, peut être est-il possible de l'avoir sans l'avoir cherché, tandis qu'il est de toute impossibilité de le chercher si on ne l'a déjà. D'ailleurs, n'est-ce pas la sagesse même qui dit, en parlant d'elle: «Celui qui me mange aura encore faim (Qo 14,29)?» Il peut assurément se donner à celui qui ne le cherche point, car, ainsi que je l'ai dit plus haut, il cherche lui-même dans le comble de sa grâce et dans les douceurs de sa bénédiction, et il prévient ceux qui ne peuvent point encore le chercher. Mais personne n'est en état de le chercher tant qu'il ne le possède point, attendu, dit-il, que «personne ne vient à moi si mon Père ne l'attire (Jn 6,44).» Celui qui attire est donc là présent, et en même temps, dans un certain sens, il n'est pas présent, puisqu'il n'attire point ailleurs qu'à lui-même. En effet, jamais et nulle part le Père n'est présent, par la foi, sans le Fils pour attirer à le voir. Comment donc à présent mon esprit ne tressaillerait-il point d'allégresse; comment ne se laisserait-il point aller sans mesure à la joie dans la race de ceux qui cherchent le Seigneur. C'est la preuve qu'on a goûté à la sagesse, quand on en ressent encore une faim si dévorante. Pour moi, une preuve sûre, un argument indubitable que vous avez celui que vous cherchez et qu'il habite en vous, c'est qu'il vous attire fortement à lui. Car ce n'est pas une course qu'il est donné à l'homme de faire; qui donne la force pour cela; c'est la droite de celui à qui vous devez toujours crier: «Attirez-nous après vous, nous courrons dans l'odeur de vos parfums (Ct 1,3).» Non, ce genre de vie ne vient pas de l'homme, et je ne veux pas d'autre preuve que le Christ habite en vous, que celle que vous m'en donnez, en cherchant ainsi le Christ.

5. Vous voyez, en effet, mes frères, quel esprit vous avez reçu; c'est l'esprit qui vient de Dieu, afin que vous sachiez quels dons vous tenez de lui. Nous avons appris qu'il y a trois degrés: l'apostolique, le prophétique et l'angélique; je ne pense pas que nous puissions rien ambitionner de plus élevé. Or, il me semble reconnaître en vous quelque peu, beaucoup même de chacun de ces degrés. En effet, qui hésiterait à donner le nom de céleste, d'angélique, à votre célibat? Est-ce que vous n'êtes pas déjà, dès maintenant, comme les anges de Dieu, en ne vous mariant point, et tels que tous les élus doivent être après la résurrection. Aimez, mes frères, cette pierre extrêmement précieuse; embrassez cette vie de pureté qui vous rend semblables aux saints, qui fait de vous les familiers de Dieu, selon ce mot de l'Écriture: «La pureté parfaite approche l'homme de Dieu (Sg 6,20).» Ainsi donc ce n'est pas par votre propre mérite, mais par la grâce de Dieu que vous êtes ce que vous êtes; pour ce qui concerne la chasteté et la pureté, vous êtes les anges de la terre ou plutôt les citoyens du ciel, mais encore voyageurs sur la terre, car tant que nous vivons dans ce corps, nous sommes en exil loin du Seigneur.

6. Que dirai-je des prophéties? c La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean (Lc 16,16),» a dit la Vérité même. Et pourtant celui qui disait après que Jean avait cessé de vivre: «ce que nous avons maintenant de science et de prophéties est très-imparfait (1Co 13,9),» n'était pas un ennemi mais un disciple de la vérité. Ainsi les prophéties ont cessé, puisque nous avons maintenant la science, mais elles n'ont cessé qu'en partie, attendu que nous ne connaissons qu'en partie;» mais, lorsque nous serons dans l'état parfait, ce qui est imparfait cessera (1Co 13,10).» Eu effet, les prophètes qui ont précédé saint Jean, annonçaient dans leurs prophéties les deux avènements du Seigneur , et ni l'une ni l'autre partie du salut n'étant connue alors, elles étaient encore toutes deux l'objet des prophéties. Quant à votre genre de prophétie, il me semble bien grand; oui, dis-je, la prophétie que je vous vois faire a quelque chose de vraiment grand. Mais où sont vos prophéties? N'est-ce pas prophétiser que de ne point considérer, ainsi que l'Apôtre nous y engage, les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient point (2Co 4,18)? Marcher selon l'esprit, vivre de la foi, chercher les choses d'en haut, non point celles de la terre, oublier le passé pour ne plus tendre que vers les choses qui sont placées en avant, n'est-ce point prophétiser en grand? En effet, comment, sinon par un esprit de prophétie, notre vie peut-elle se passer dans les cieux? C'était certainement ainsi que jadis les prophètes cessant de vivre , si je puis parler ainsi, avec les hommes de leur temps, franchissaient les siècles par la vertu et une sorte d'élan de l'esprit, désiraient avec une grande ardeur de voir ce jour du Seigneur, le voyaient et étaient transportés d'allégresse.

7. Mais écoutez comment la vie religieuse est aussi une vie apostolique. «Voici que nous avons tout quitté, disent-ils, et vous avons suivi (Mt 19,27).» S'il est permis de se glorifier, nous avons un motif de le faire; mais, si nous sommes sages, nous ferons en sorte de ne nous glorifier qu'en Dieu, car il n'y a de vraie manière de se glorifier que de le faire dans le Seigneur. En effet, ce n'est pas notre main, si élevée qu'elle soit, mais le Seigneur qui a fait toutes ces choses. Oui, celui qui est puissant a fait en nous de grandes choses pour que notre âme eût un juste sujet de glorifier le Seigneur. En effet, c'est par une grande grâce de lui que nous avons si bien suivi le grand parti dont les grands Apôtres se glorifiaient eux-mêmes. Peut-être même si je veux me glorifier en cela, ne serai-je pas un insensé, car je puis bien dire avec vérité qu'il y en a ici qui ont quitté plus qu'une barque a et des filets de pécheurs. Mais qu'est-ce après tout? S'ils ont tout quitté, ce fut pour suivre le Seigneur, présent à leurs yeux dans sa chair. Mais ce n'est pas à nous d'en faire la remarque, laissons la parole au Seigneur lui-même, ce sera plus sûr pour nous. Il dit donc: «Vous avez cru, Thomas, parce que vous avez vu: heureux ceux qui ont cru sans voir (Jn 20,29).» Peut-être ce mode de prophétiser semblera-t-il plus excellent, parce que, sans s'arrêter à certaines choses temporelles qui passeront un jour, il ne voit que les spirituelles qui sont éternelles. Bien plus, le trésor de la charité dans un vase de terre est bien plus remarquable et la vertu dans une chair fragile est, à un certain point de vue , bien plus digne de louanges.

8. Quel comble de grâce n'est-ce donc point de trouver dans votre corps la vie des anges, dans votre coeur la vie des prophètes, dans l'un et dans l'autre en même temps, la perfection des apôtres? Que rendrez-vous au Seigneur, pour tous les biens qu'il vous a donnés. Vous êtes



a Il est certain que des hommes qui occupaient les premiers rangs dans la société entraient, à cette époque, dans l'ordre de Cîteaux, et surtout dans le monastère de Clairvaux, ainsi que saint Bernard le reconnaît lui-même dans son premier sermon pour le jour de la Dédicace de l'Église, n. 2. On peut lire le prologue d'Ernald au livre II de la Vie de saint Bernard ainsi que la lettre de Pierre de Roya n. 9, Tome I de cette édition.


élevés bien haut, par conséquent votre chute serait bien plus dangereuse. N'est-ce point au troisième ciel que nous sommes montés? Aussi que celui qui s'y tient prenne bien garde d'en tomber. «Je voyais, dit le Seigneur, Satan tomber du ciel comme la foudre (Lc 10,18).» C'est de haut qu'il est tombé; il s'est meurtri et brisé, et ses plaies sont incurables; il est devenu un esprit errant, qui ne revient plus à son point de départ. Et vous, voulez-vous aussi vous éloigner? Satan est tombé, voulez-vous tomber avec lui? Mieux vaut pour vous, vous tenir fermes dans les voies du Seigneur, vous maintenir solidement dans la grâce où vous vous trouvez, car celui qui s'est engagé dans les voies des pécheurs, n'est pas heureux. Bien plus heureux au contraire, Seigneur, est celui qui trouve en vous son secours. Ceux qui en sont là, marcheront de vertu en vertu, pour voir le Dieu de dieux dans Sion, pour le voir dans la bonté de vos, élus, Seigneur, et vous louer avec votre héritage, car ce sont eux qui sont votre héritage, tous sont des dieux et des fils du Très-Haut.

9. Aussi, mes frères, puisqu'il est bien certain et bien vrai que vous êtes la race qui cherche le Seigneur, qui cherche à voir la face du Dieu de Jacob, que vous dirai-je, sinon ce que le même prophète disait jadis: «Que le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur se réjouisse. Cherchez donc le Seigneur, et fortifiez-vous de plus en plus dans cette recherche, cherchez sa face sans cesse (Ps 104,3)?» et ce qu'un autre prophète disait aussi: «Si vous cherchez, cherchez.» Qu'est-ce à dire, «si vous cherchez, cherchez? cherchez-le dans la simplicité de votre coeur (Is 21,12).» Ne cherchez pas autre chose autant que lui, ni autre chose que lui, ni autre chose après lui. «Cherchez-le dans la simplicité de votre coeur.» Il est simple par sa nature, et il demande un coeur simple, d'ailleurs, c'est avec les simples qu'il converse. «Un homme double est inconstant dans toutes ses voies, (Jc 1,6).» Celui que vous cherchez ne peut être trouvé pas ceux qui ne croient que pour un, temps, et qui se retirent quand l'heure de la tentation arrive. Il est l'éternité même, on ne saurait donc la trouver, si on ne la recherche avec persévérance. Il est dit encore: «Malheur au pécheur qui parcourt la terre par deux routes à la fois (Si 2,14); car on ne peut servir deux maîtres en même temps (Lc 16,13).» Aussi ce tout, cette perfection, cette plénitude n'aime-t-elle point une telle duplicité. Il est indigne d'elle de se laisser trouver par ceux qui ne la recherchent point avec un coeur pur. Après tout, si on éprouve du dégoût «pour le chien qui retourne à ce qu'il a vomi, et pour le porc qui se vautre dans sa bauge de boue (), et si Dieu se met aussi à rejeter de sa bouche celui qu'il trouve tiède (Ap 3,16), que sera-ce de l'hypocrite et du traître? Si celui qui fait l'oeuvre de Dieu avec négligence est maudit, que sera-ce de celui qui le fait avec fraude. Fuyons cette duplicité, mes très-chers frères, et tenons-nous en garde, par tous les moyens possibles, contre le levain des Pharisiens. Dieu est vérité, et il veut que ceux qui le cherchent le cherchent en esprit et en vérité. Si nous ne voulons point le chercher en vain, cherchons-le avec persévérance. Ne cherchons pas autre chose que lui, ni autre chose avec lui, et ne nous détournons point de lui pour nous porter vers autre chose que lui. Il est plus facile que le ciel et la terre passent que de voir ceux qui le cherchent ainsi, ne le peint trouver, ceux qui le demandent de cette manière, ne point le recevoir, ceux qu frappent de la sorte, ne point se voir ouvrir la porte.




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