Bernard sermons 605

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TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE. L'enfant Jésus, Marie et Joseph.


1. Nous célébrons aujourd'hui la purification de la Sainte Vierge qui eut lieu, selon la loi de Moïse (Lv 12,2) quarante jours après la naissance du Seigneur. D'après la loi, toute femme qui, devenue grosse des oeuvres d'un homme, avait mis un fils au monde, était impure l'espace de sept jours, son enfant devait être circoncis le huitième; à partir de ce jour, toute entière au soin de se laver et de se purifier, elle devait se tenir un mois entier éloignée 'du temple, après quoi elle allait offrir son fils au Seigneur avec des présents. Mais qui ne comprend que, par les premiers mots de cette loi, la mère du Seigneur se trouvait exemptée de s'y soumettre? En effet, ne pensez-vous pas que Moïse eut peur en disant simplement, toute femme qui mettra un fils au monde, sera impure, de passer pour blasphémer contre la mère du Seigneur, et que c'est pour cela qu'il ajoute ces mots: «Toute femme devenue grosse des oeuvres d'un homme?» S'il n'avait pas prévu qu'une vierge concevrait un jour sans le secours de l'homme, pourquoi aurait il parlé de celles qui conçoivent par ce moyen? Il est donc évident que la loi de Moïse ne regardait pas la sainte Vierge, car elle n'a pas mis au monde un fils conçu par l'opération d'un homme, ainsi d'ailleurs que Jérémie l'avait annoncé en disant: «Le Seigneur doit faire un nouveau prodige sur la terre (Jr 31,22).» Vous me demandez de quel nouveau prodige il veut parler? Le voici «Une femme enceindra, un homme.» Elle ne recevra pas dans son sein un homme par l'opération d'un autre homme, elle ne recevra pas un fils selon les lois de la nature, mais elle renfermera un homme dans son sein demeuré intact et vierge, si bien que, soit en entrant, soit en sortant, selon le mot d'un autre prophète (Ez 44,2), le Seigneur laissera la porte de l'Orient constamment close.

2. Ne vous semble-t-il point, par conséquent, que Marie aurait pu protester dans son coeur et s'écrier: Qu'ai-je besoin de purification? Pourquoi m'abstiendrais-je d'aller au temple, moi dont le sein que l'homme n'a point touché, est devenu le temple du Saint-Esprit? Pourquoi enfin, ne pourrais-je entrer au temple du Seigneur même du temple? Dans cette conception, dans cet enfantement, il n'y eut rien, absolument rien d'impur, car le fruit de mes entrailles est là source même de la pureté, et n'est venu que pour laver les souillures des péchés. Qu'est-ce que la purification légale purifiera en moi, qui suis devenue parfaitement pure par mon enfantement immaculé? C'est vrai, ô Vierge bienheureuse, oui il n'y a pour vous aucun motif de vous purifier, nul besoin de purification. Mais votre fils avait-il besoin d'être circoncis? Soyez donc parmi les femmes comme l'une d'entre elles, puisque votre Fils a été comme l'un d'entre nos enfants. Il a voulu être circoncis, pourquoi ne voudrait-il pas plus encore être offert? Offrez donc votre fils, Vierge consacrée, et présentez au Seigneur le fruit béni de votre ventre; oui, offrez pour notre réconciliation à tous, cette hostie Sainte et agréable à Dieu. Certainement Dieu le Père aura pour agréable cette victime nouvelle, cette hostie infiniment précieuse dont il a dit lui-même: «celui-ci est mou Fils bien aimé, en qui j'ai mis toute mes complaisances (Mt 3,17).» Mais il me semble, mes frères, que cette offrande est bien douce, car on se contente de le présenter au Seigneur, puis on le rachète pour quelques oiseaux et on le remporte. Un jour viendra où il ne sera point racheté par un sang étranger, mais où il cachettera les autres par son propre sang, car son Père l'a envoyé pour être la rédemption de son peuple. Cette seconde oblation sera celle du sacrifice du soir, celle d'aujourd'hui est l'offrande du sacrifice du matin, celle-ci est plus douce, celle-là sera plus complète. L'une se fait aux premiers jours de sa vie, l'autre se trouve dans la plénitude de l'âge, mais dans l'un et l'autre cas on peut dire avec le Prophète. «Il a été offert parce qu'il l'a bien voulu (Is 53,7).» En effet, il est offert aujourd'hui, non parce qu'il avait besoin de l'être, non parce que la loi l'atteignait, mais uniquement parce qu'il l'a bien voulu; et sur la croix, il n'en fut pas moins offert également parce qu'il l'a bien voulu encore, non pas parce qu'il avait mérité de l'être, ou parce que le Juif avait le moindre pouvoir sur lui. Aussi, je vous offrirai volontiers mon sacrifice, Seigneur, parce que vous vous êtes vous-même offert volontairement pour mon salut, non point pour votre propre nécessité.

3. Mais qu'offrons-nous à Dieu, mes frères, et que lui rendons-nous pour tous les biens qu'il nous a donnés? Pour nous, il a offert l'hostie la plus précieuse qu'il y ait, et même il n'aurait pu en trouver de plus précieuse que celle-là; faisons donc aussi de notre côté tout ce que nous pouvons, offrons-lui ce que nous avons de meilleur, offrons-lui tout ce que nous sommes. Il s'est offert: qui êtes-vous donc, mon frère, pour hésiter à vous offrir de même? Ah, qui me fera la grâce de voir mon offrande acceptée d'une si grande Majesté? Seigneur, je n'ai que deux choses, mon corps et mon âme, elles sont de bien peu de valeur, plaise au ciel que je puisse vous les offrir, parfaitement, en sacrifice de louange! Car, s'il est quelque chose de bon, de glorieux, d'avantageux pour moi, c'est bien que je vous sois offert, plutôt que de me voir laissé par vous à moi-même. Abandonnée à elle-même, mon âme est dans le trouble, mais, en vous, Seigneur, si elle vous est véritablement offerte, elle est au comble du bonheur. Mes frères, au Seigneur qui devait être immolé un jour, le Juif n'offrait que des victimes immolées, mais aujourd'hui, dit le Seigneur, «je suis vivant, et je ne veux point la mort du pécheur, je veux plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 33,11).» Le Seigneur ne veut donc point ma. mort, et ce ne serait qu'à regret que je lui offrirais ma vie? C'est là pourtant une hostie propitiatoire, agréable à Dieu et vivante. Mais dans l'offrande du Seigneur, nous trouvons trois choses, de même le Seigneur veut rencontrer trois choses aussi dans les nôtres. Ainsi, à la présentation de Jésus, se trouvait Joseph, l'époux de la mère du Seigneur, celui dont Jésus passait pour être le fils; il y avait aussi la Vierge mère, et enfin on y voyait l'enfant Jésus lui-même qu'ils venaient offrir. Qu'il y ait ainsi dans notre offrande une constance virile, une chair continente, et une humble conscience. Oui, qu'on y retrouve la résolution virile de persévérer dans l'état que nous avons embrassé, une chasteté virginale dans la continence, et dans notre conscience, une simplicité et une humilité d'enfant. Ainsi-soit-il.





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PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE LA FÊTE DE SAINT VICTOR (a), CONFESSEUR,

a Le corps de saint Victor était conservé, du temps de Mabillon, dans le monastère de Moutier-Ramey, au diocèse de Troyes. Sa fête se célèbre le 26 février. On trouve son office dans le volume IV de la présente édition.

Voir la lettre trois cent quatre-vingt-dix-huitième de saint Bernard.

1. La vie et la gloire toute particulière de saint Victor excitent tous les coeurs droits au désir d'imiter ses vertus bien plus encore que de partager sa gloire. D'ailleurs, ce n'est pas le propre d'un esprit droit, mais d'une âme perverse, que d'aspirer à la gloire, avant de pratiquer la vertu, et de vouloir être couronné quand on n'a pas encore combattu le combat légitime. «C'est en vain, est-il dit, que vous vous levez avant le jour (Ps 126,3),» et c'est vrai. C'est en vain qu'on se lève pour la gloire avant le jour de la vertu, que les vierges folles se levèrent pour aller au devant de l'époux, quand leurs lampes étaient éteintes, et même elles n'étaient folles que parce qu'elles comptaient sur leurs lampes vides, et qu'elles n'avaient point fait provision de l'huile de la vertu. Dieu me garde de me glorifier autrement que ceux dont le Prophète disait avec éloge: «Ils marcheront, Seigneur, à la lumière de votre face, leur bonheur sera de célébrer les louanges de votre nom tant que durera le jour, et ils s'élèveront dans votre justice, parce que, continue le Prophète, vous êtes seul la gloire de leur vertu (Ps 88,16).» Ce n'est donc point leur gloire qui nous est montrée, mais c'est la gloire de leur vertu. La gloire sans la vertu ne nous est due à aucun titre, si on la désire, c'est à contre temps, et si on l'obtient ce n'est pas sans péril. La vertu, voilà le premier pas vers la gloire; la vertu, telle est la mère de la gloire. La gloire et la beauté quine viennent point d'elle sont vaines et trompeuses, il n'y a qu'à elle que la gloire est due, et qu'à elle aussi qu'elle est rendue sans danger.

2. Quant à saint Victor, ni la vertu ni la gloire ne lui ont fait défaut, mais ce qu'il est intéressant de savoir, c'est comment et dans quel ordre ces deux choses sont devenues son partage. II a combattu courageusement, et il a visiblement remporté la victoire, voilà comment il a fini par se couvrir de gloire et d'honneur. Comment, en effet, celui qui s'est battu volontairement pourrait-il ne point moissonner la gloire, et celui qui a vaincu ses ennemis, rester dans l'obscurité? D'ailleurs, au jour même de sa vertu, il ne fut point sans gloire, les prodiges et les miracles qu'il faisait le signalaient à l'admiration. Dans la vie de saint Victor, nous trouvons, mes frères bien-aimés, des choses belles à admirer, nous en trouvons aussi de salutaires à imiter. Ainsi, ce que j'admire, c'est de le voir puiser du vin dans le désert, non à une vigne, mais à un puits. Ce qui excite mon admiration, c'est de le voir encore enfant au sein de sa mère, remplir les démons de terreur, se faire déjà reconnaître d'eux, et même se faire dès lors appeler par eux de son nom. Ce n'est pas un nom vide de sens que celui que ses ennemis en fuite et contraints de confesser sa vertu, lui donnèrent, malgré son jeune âge, en signe de sa victoire. Qui ne serait encore frappé d'admiration en voyant ce voleur, d'abord saisi par le démon, puis bientôt après délivré de ses liens? Enfin, comment ne serait-on point dans une admiration voisine de la stupeur, en voyant un homme encore dans sa chair périssable, contempler le ciel entr'ouvert à ses yeux et fixer ses regards mortels sur la lumière incréée, voir les visions de Dieu, entendre le concert des anges, et s'instruire à leur école? Nous admirons tout cela et beaucoup d'autres choses semblables dans ce saint homme, mais nous n'ambitionnons point de l'imiter en ces choses, et nous avons besoin d'être dans ces sentiments, attendu que tout cela peut faire défaut sans aucun danger pour le salut, tandis qu'il n'est pas sans péril d'en être honoré. Il est bien plus sûr de chercher à imiter les choses solides, plutôt que ce qui est plus brillant, ce qui sent un peu plus la vertu, et un peu moins la gloire.

3. Efforçons-nous donc d'imiter dans sa conduite celui que nous ne saurions imiter dans ses miracles, quand même nous le voudrions. Imitons-le donc dans sa sobriété et dans ses sentiments de dévotion, dans sa douceur d'esprit, sa chasteté, son silence et sa pureté d'âme; réfrénons comme lui notre colère, réglons notre langue, donnons moins de temps au sommeil, et donnons-en plus à la prière, enfin, exhortons-nous les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels (Col 3,16), unissant ainsi le jour à la nuit; ne soyons occupés qu'à célébrer les louanges de Dieu. Que notre ambition soit d'acquérir les dons les meilleurs (1Co 12,31), et apprenons de lui qu'il a été doux et humble de coeur. Oui, ayons à coeur de l'imiter dans sa libéralité envers les pauvres, dans son aménité envers les étrangers, dans sa patience à l'égard des pécheurs, dans sa bienveillance pour tout le monde. Voilà qui vaut mieux que tout le reste, voilà où est pour nous la forme sur laquelle nous devons nous façonner; quant aux miracles, ils sont la source d'une gloire que nous devons bien nous donner garde d'ambitionner. Si les miracles nous flattent, que les vertus nous édifient, et si les premiers nous touchent, que les secondes nous excitent. Nous sommes invités à la table d'un riche personnage, mangeons, mes frères, cette table est abondamment pourvue de pains et chargée de mets délicieux. Pourquoi ne serait-ce point un riche pour nous que celui qui nous réconforte par ses exemples, nous protège par ses vertus, nous réjouit par ses miracles? Oui, c'est un riche, puisque aujourd'hui les anges et les hommes sont conviés en même temps à son repas de fête, les premiers pour y boire le bonheur et la joie, les seconds, pour y réparer leurs forces, et ensuite continuer leur route. Qu'est-ce qu'une vie remplie de bonnes couvres, sinon une table bien servie! mais tout ce qu'on y voit, n'est pas destiné à tous les convives, ce n'est offert que pour que chacun d'eux puisse choisir ce qui lui plait davantage et lui convient le mieux.

4. Pour moi, dans l'intérêt même de ma santé, je regarde avec soin ce qui m'est offert, et je me donne bien de garde de ne prendre que ce qui m'est destiné, sans toucher à ce qui est pour les autres. Ainsi, ce n'est pas moi qui porterai la main sur le gros don des miracles, de peur de perdre justement le peu que j'ai reçu, en voulant avoir ce qui ne m'est pas destiné. Je me garderai donc bien de lever les yeux en haut pour voir les cieux entr'ouverts, de peur d'être accablé par la gloire de Dieu (Pr 25,27), et de retomber à terre plein de confusion, pour me rappeler, mais trop tard, ce conseil du Sage: «Ne recherchez point ce qui est au dessus de vous, et ne tâchez point de pénétrer ce qui surpasse vos forces (Ap 3,22).» Sert-on sur les tables de l'eau changée en vin nouveau et vermeil? Ce n'est pas moi qui tendrai la main pour en prendre, je sais bien qu'il n'est point placé là pour moi, qui ne saurais changer de même les éléments des choses, et remplacer les substances de la nature. Si j'aperçois sur la table du riche Victor, qu'il lui fut donné d'entendre les anges mêmes chanter, me viendra-t-il à l'esprit que ce plat de chanteurs célestes est fait pour-moi, et que c'est pour moi que ces guitaristes jouent de leurs guitares, selon le mot de l'Apocalypse (Ap 14,2)? S'il commande aux démons lorsqu'il est encore dans son corps mortel, et si, dégagé des lieus du corps, il brise un jour les liens qui enchaînent le corps d'un prisonnier, ce sont pour moi des mets sur la table de Victor, mais ils ne sont point mis là pour moi, quelque agréables et délicieux qu'ils soient: aussi, mon âme n'y touche point, parce due je suis trop pauvre pour rendre de pareils divers. Mais en regardant bien, je vois que la table du saint est encore chargée de la rigueur du jugement, de la vigueur de la discipline, du miroir de la sainteté, de la forme de la vie, et du caractère distinctif de la vertu. Pour ces mets-là, j'en prends ma part, sans être présomptueux, et ce que j'en mange me fait du bien, et si j'oublie de rendre un dîner semblable, on sait bien me le réclamer sans me faire aucune grâce.

5. Mais laissez-moi vous dire encore ce que je regarde comme étant servi exprès pour moi. Si, de la table de ce riche, vous m'offrez le pain de la douleur et le vin de la componction, je l'accepte d'autant plus volontiers, que je suis pauvre, indigent même. Mes larmes me serviront de pain le jour et la nuit (Ps 41,4), et je mêlerai mes larmes à mon breuvage (Ps 101,10). Voilà pour moi qui ai bien des choses à pleurer. D'ailleurs, je ne serai pas trop fâché, du moins je le pense, de ce mets, car celui qui sert la science, sert en même temps la douleur. Si j'aperçois quelques uns des exemples de tempérance et de justice, de force et de prudence, je m'en empare aussitôt, parce que je n'ignore pas que ce sont là les plats que j'ai aussi à préparer; on m'a traité de ces mets-là, je ne puis douter qu'on exige. de moi que je traite à mon tour de la même manière! Est-ce qu'on nous demanderait des signes et des prodiges, pour que nous ayons à en préparer un plat pour le riche que nous devons traiter à notre tour? Mes frères, ce qui fait l'honneur du riche qui nous a invités, ce ne sont pas les mets des pauvres qu'il nous a servis, mais les vases dans lesquels il nous les a servis. Pour vous donc, mes frères, qui avez été invités, faites bien attention à ce qu'il a servi pour vous, et à ce qu'il a servi pour lui, car il ne faut pas croire que tout ce qu'il a mis sur la table soit pour vous. En effet, s'il vous a donné à boire dans une coupe d'or, la coupe n'est point pour vous, il n'y a que le breuvage; prenez ce dernier et laissez l'autre. Le père de famille fait donc part des exemples de bonnes oeuvres, et de la droiture des bonnes moeurs, à tous les gens de sa maison, et se réserve pour lui seul la prérogative d'opérer des miracles. Mais cela n'empêche point de glorifier dans les uns et dans les autres Celui qui donne également la grâce d'une vie sainte, et la vertu des miracles, le Dieu qui vit et règne dans la Trinité, pour les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.





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DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT VICTOR CONFESSEUR.


1. Mes frères bien aimés, réjouissez-vous dans le Seigneur qui, au milieu des bienfaits continuels de sa bonté, a donné au monde un homme dont les exemples contribuassent au salut de bien des gens. Oui, je vous le répète, réjouissez-vous de ce que, enlevé à nos regard, cet homme s'est rapproché de Dieu, et, peut ainsi, par son intercession, aider au salut de beaucoup plus de monde. Il y a maintenant auprès de Dieu un homme en considération de qui le Seigneur bon et miséricordieux, peut pardonner les péchés des hommes, et, de son côté, notre pieux et compatissant avocat a le temps, et se trouve en position d'intercéder pour nous, car le lieu où il est, est un lieu de paix, et ses jours, maintenant, sont des jours de repos. Il a paru sur la terre pour y être un exemple, et il a été repris par le ciel pour nous y protéger. Ici-bas, il nous forme à la vie, là haut, il nous invite à la gloire; après nous avoir encouragés à l'ordre, il est devenu notre médiateur pour le royaume, mais quel excellent médiateur! Il ne demande plus rien pour lui, et n'a qu'un désir, mettre à notre service toute son ardeur à intercéder, et nous faire jouir de tous les fruits de son intercession. En effet, que pourrait-il rechercher pour lui-même, maintenant qu'il n'a plus besoin de rien? Le Seigneur le conserve, le vivifie, le comble de bonheur et de gloire, rien ne saurait lui manquer désormais dans les gras pâturages où Dieu l'a placé. Nous célébrons aujourd'hui le jour de son glorieux départ pour le ciel, le jour de la plus grande joie de son âme, réjouissons-nous donc, et livrons-nous aussi à l'allégresse en ce jour. Il est entré dans les puissances du Seigneur, soyons-en heureux, puisqu'il est maintenant plus puissant pour notre salut.

2. Oui, c'est aujourd'hui que Victor a quitté son corps, le seul obstacle qui semblait s'opposer à ce qu'il entrât dans la gloire des Cieux; oui, c'est aujourd'hui que, dégagé et joyeux, il est entré dans le Saint des saints, et est devenu semblable aux saints dans la gloire. Aujourd'hui même, de l'humble et dernière place que, suivant le conseil du Sauveur, il avait préférée, il est monté plus haut à la voix du Père de famille qui l'y a invité comme un ami véritable, et il est dans la gloire avec tous ceux qui sont assis à la même table que lui. Aujourd'hui, méprisant le monde, triomphant du prince du monde, Victor s'élève au dessus du monde et va recevoir, de la main du Seigneur, la couronne de la victoire. Mais, s'il monte, c'est chargé de l'immense bagage de ses vertus, c'est brillant des triomphes qu'il a remportés, c'est éclatant des miracles qu'il a faits. Soldat émérite, il cesse aujourd'hui la lutte, et, après les sueurs et les fatigues où il vieillit, il entre dans un lieu de bonheur, et reçoit un trône et la couronne. Son âme va jouir à présent des biens au milieu desquels elle est établie (Ps 24,13). Vous me demandez où elle est maintenant? Elle est avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux. Oui, voilà avec qui et en quel lieu elle est assise, où elle est inondée d'un bonheur qui se manifeste par des chants de louanges. Voilà, dis-je, où elle est, plongée dans les délices, et parée de ses joyaux (Is 61,10), fortifiée de fruits et soutenue avec des fleurs (Ct 2,5), oui c'est là qu'elle trône, vide de soucis, inondée de délices, pleine de repos et de loisir, pour vaquer à la sagesse. Elle qui était assise et pleurait naguère sur le bord des fleuves de Babylone, se trouve maintenant à la source de vie, et passe sa vie sur le bord du torrent de volupté, dont le cours impétueux réjouit la cité de Dieu (Ps 45,5). Elle a découvert la fontaine des jardins, le puits des eaux vives (Ct 4,15), et, nouvelle Samaritaine, elle boit à sa source même les eaux de la sagesse et du salut, afin de ne plus ressentir les tourments de la soif pendant toute l'éternité. Il lui est donné du fruit de ses mains, ses oeuvres font son éloge dans l'assemblée des juges (Pr 31,31), et sa gloire est dans le témoignage de sa conscience, de sa conscience, dis-je, non pas de celle d'un autre. Elle est assise au milieu des anges, parce qu'elle est digne de leur société; elle en a les brûlants désirs, l'éclatante pureté, et la belle chasteté. Elle est au milieu des apôtres, cette âme d'un homme vraiment apostolique; il n'y a pas de raison pour qu'elle se tienne à l'écart de la troupe des prophètes, puisqu'il a porté et glorifié dans son corps Celui même dont ils ont parlé dans leurs prophéties. Il ne faut pas non plus que notre Victor se croie déplacé dans le choeur victorieux des martyrs, lui qui n'a cessé d'immoler l'hostie vivante de son corps dans un dur martyre de tous les jours.

3. Il est donc assis maintenant, comme un soldat vétéran qui goûte, en sécurité, la douceur d'un repos dû à ses travaux; mais s'il est en pleine sécurité maintenant, c'est sur ce qui le concerne, car pour nous il ne cesse point d'avoir des inquiétudes, car il ne faut pas croire, qu'en dépouillant la corruption de la chair, il s'est, en même temps, dépouillé de tout sentiment de charité, non, non, il n'a point revêtu sa robe de gloire pour se revêtir en même temps de l'oubli de notre misère et de sa commisération. Le lieu où notre Victor habite maintenant n'est point la terre de l'oubli, ce n'est pas non plus la terre du travail, où il ait quelque chose à faire; en un mot, ce n'est pas non plus la terre, c'est le ciel. Est-ce que le séjour du ciel endurcit les âmes qu'il reçoit, ou bien leur enlève-t-il la mémoire, les dépouille-t-il de leur charité? Mes frères, la largeur du ciel dilate les coeurs, au lieu de les resserrer, comble l'âme de joie, mais n'en aliène point les sentiments: il en étend les dispositions affectueuses, a lieu de les rétrécir. A la lumière de Dieu, la mémoire se rassérène, bien loin de s'obscurcir; à cette lumière on apprend ce qu'on ne sait point, au lieu d'oublier ce qu'on sait. Ces esprits célestes qui, depuis le commencement, habitent dans les cieux, méprisent-ils la terre, parce qu'ils ont le ciel pour séjour? Loin de là, ils la visitent et la fréquentent. Faut-il croire que parce qu'ils ne cessent de contempler la face du Père, ils en perdent le souvenir de leur ministère de charité? Non, non, tous ces esprits tiennent lieu de serviteurs et de ministres, envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut (He 1,14). Eh quoi? Les anges vont et viennent pour secourir les hommes, et ceux qui sont des nôtres, ne nous connaîtraient plus, ne sauraient plus compatir aux maux par lesquels ils ont passé eux-mêmes? Ceux qui ne connaissent point la douleur ressentent néanmoins les nôtres, et ceux qui sont venus de la grande tribulation ne reconnaîtraient plus l'état par lequel ils ont passé? Je sais quel est celui qui a dit: «Les justes sont dans l'attente de la justice que vous me rendrez (Ps 141,8).» Or, Victor est un juste aussi, et certainement il attend comme les autres justes la récompense qui nous est réservée. Il n'est point comme l'échanson du Pharaon gardant pour lui seul les bonnes grâces du roi qui lui avaient été rendues, et qui oublia son prophète demeuré en prison (Gn 11,23). Victor est le ministre du Christ, il marche sur les traces de son maître. Or le Christ n'a point oublié sa promesse, et il n'a point refusé de partager son royaume avec celui qui avait partagé sa passion. Le serviteur ne va pas contre son maître, Victor ne saurait donc faire autre chose que ce qu'il a vu faire au Maître. Il fait donc lui aussi ce que le Christ a fait.

4. Il est entré à présent dans ce ciel qu'il avait eu le bonheur de voir jadis entr'ouvert, et il contemple maintenant, à visage découvert, la gloire de Dieu ou il est noyé sans doute, mais où il n'a point oublié le cri des pauvres. O heureuse vision que celle où il est transformé en l'image même de ce qu'il contemple, en s'avançant de clarté en clarté, par l'illumination de l'esprit du Seigneur (2Co 3,18). Victor était bien petit encore pour la lutte, qu'il était grand déjà pour la victoire; il était caché encore dans le sein de sa mère qu'il chassait déjà les démons, et, après avoir vécu au milieu des pécheurs, en marchant de vertu en vertu et de mérite en mérite, il a été enlevé de la terre au ciel. O homme d'une insigne sainteté! qui s'est montré saint avant que d'être né, et Victor de fait avant de l'être de nom. Il était encore dans le sein de sa mère que déjà il triomphait de l'ennemi. O sainteté vénérable aux yeux des anges mêmes! C'est avec une ardeur égale, mais dans des dispositions bien différentes, que les bons anges recherchent sa société, et les mauvais la fuient. Je ne sais lequel des deux prouve davantage sa sainteté, de l'amour des uns, ou de la terreur des autres. Enfin, retenu par le corps sur la terre, mais habitant du ciel par l'esprit, il entendait les esprits célestes tantôt lui annoncer familièrement certaines choses, et tantôt charmer ses oreilles par les doux accents de leurs voix. Oui, ô Victor, votre âme est une de ces pierres précieuses qui vous ont apparu sur la croix, car, on peut dire qu'elle est effectivement attachée à la croix, depuis le moment où, noyée dans la gloire divine, elle s'est revêtue de l'éclatante lumière qu'elle a trouvée. Celui qui l'avait animée de son esprit dans la lutte lui ouvre maintenant son sein après la victoire. O, âme victorieuse, qui, prenant votre essor comme le passereau, avez échappé aux pièges de ce monde! Jetez un regard sur les âmes que vous y avez laissées dans les filets et au milieu du danger, et tirez-nous-en par votre protection.

5. O soldat émérite, qui avez échangé les durs labeurs de la milice chrétienne contre le repos et la félicité des anges! Jetez un regard sur vos compagnons d'armes, sur nous, dis-je, qui ne sommes que faiblesse et qu'inexpérience, et qui, aujourd'hui, au milieu des glaives ennemis et des puissances du mal, élevons la voix pour célébrer vos louanges. O illustre Victor, vous qui avez si glorieusement triomphé de la terre et; du ciel, en dédaignant d'un regard plein d'une noble fierté la gloire de l'une, et en ravissant, dans une pieuse violence, le royaume de l'autre! Du haut du ciel, abaissez les yeux sur les captifs de la terre, et mettez le comble à vos triomphes, en nous faisant sentir que vous avez enfin vaincu pour nous. Car, si votre nom vous vient de vos victoires, à nos yeux, il sera censé d'une vérité irrécusable s'il s'appuie sur notre délivrance. Il est évident qu'il manque quelque chose à la perfection du sens qu'il rappelle, tant que nous, qui sommes vôtres, nous ne sommes point délivrés. Qu'il est beau, qu'il est doux, qu'il est agréable, ô Victor, de chanter vos louanges, de vous honorer et de vous prier dans ce séjour d'affliction, et dans ce corps de mort. Votre nom et votre souvenir sont pour nous comme un rayon de miel aux lèvres des pauvres captifs. Oui, ceux qui se complaisent dans votre souvenir, semblent avoir le lait et le miel à la bouche. Eh bien donc, courageux athlète, doux patron, avocat fidèle, levez-vous, pour venir à notre secours, que, de notre côté, nous nous réjouissions aussi de notre délivrance, et que vous, du vôtre, vous recueilliez la gloire d'une victoire complète. Père tout-puissant, nous avons péché contre vous en devenant, pour vous, des enfants étrangers; mais nous nous sommes rapprochés de vous, en Victor; puisse-t-il triompher de votre courroux, comme il l'a fait de la cupidité, et nous rétablir fortement en grâce avec vous. O Jésus vainqueur, c'est vous que nous louons dans notre Victor, parce que nous n'ignorons pas que c'est vous qui avez été vainqueur en lui. Donnez-lui, ô très-bon Jésus, de se glorifier si bien de la victoire qu'il a remportée en vous, qu'il se souvienne encore de nous. Fils de Dieu, faites-le toujours se ressouvenir de nous, en votre présence, prendre en main et défendre notre cause, à notre redoutable jugement, Vous, mon Dieu, qui vivez et régnez avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT BENOIT.

1. Quand je vous vois assemblés pour entendre la parole du salut, j'appréhende beaucoup, mes frères, qu'il n'y en ait parmi vous qui né la reçoivent point comme il faut, et ne l'entendent pas comme il convient d'entendre la parole de Dieu. Je sais, en effet, qu'une terre souvent abreuvée des eaux du ciel, qui ne produit pas de bons fruits, est réprouvée, et bien près d'être maudite (He 6,8). Or, s'il ne dépendait que de moi, j'aimerais mieux répandre des bénédictions que des malédictions sur vous. Que dis-je, il n'est pas question de mes bénédictions à moi, mais de celle de notre Père qui est dans les cieux, qu'il me fait la grâce de répandre sur vous par mes lèvres; je souhaite de tout mon coeur que cette bénédiction demeure toujours en vous, et ne se change jamais pour vous en une malédiction.

2. Nous célébrons aujourd'hui la naissance dans les cieux, de notre glorieux maître saint Benoît. Je dois (a) donc, à cette occasion, vous parler de lui, selon qu'il est d'usage, et vous faire sur lui une instruction solennelle. Son doux nom est digne que vous l'écoutiez et l'honoriez avec toute sorte de sentiments de bonheur, car c'est celui de notre chef, de notre maître, de notre législateur. Moi-même, je me sens rempli de bonheur à son souvenir, bien que je n'ose prononcer même le nom de ce bienheureux Père sans rougir. En effet, à son exemple, j'ai avec vous renoncé au monde et embrassé la vie monastique, et même j'ai de plus avec lui quelque chose de commun que vous n'avez point; car comme lui, j'ai le titre d'abbé. Il fut abbé, en effet, et moi je le suis aussi. Quel abbé et quel abbé! Pour les deux, le nom est le même, mais dans l'un des deux il n'y a que l'ombre de ce grand nom. Le ministère est le même, mais, hélas! malheureux homme que je suis, combien différents sont les ministres, combien différente leur administration! Malheur à moi si je suis aussi loin de vous dans l'autre monde, ô bienheureux Benoît, que je le suis en celui-ci. Mais il n'est pas nécessaire que je m'étende longuement sur ce sujet devant vous, mes frères, car je ne parle qu'à des hommes qui me connaissent parfaitement; je vous prie seulement de vouloir bien adoucir, par votre compassion fraternelle, la honte et la crainte que je ressens.

a Le manuscrit de Marmoutiers présente en cet endroit, et plus loin encore, des différences de leçon assez nombreuses, mais qui ne changent pas le sens. Nous avons préféré celle de toutes qui est la plus généralement acceptée.


3. Puisque j'ai reçu mission de vous servir aujourd'hui le pain de la parole de Dieu, comme je n'ai rien chez moi à vous offrir, je vais demander au bienheureux Benoît de me prêter trois pains que je puisse vous servir. Ce sera donc le pain de sa piété, celui de sa justice et celui de sa sainteté, qui apaiseront votre faim. Rappelez-vous, mes frères, que tous ceux qui prirent part à l'entrée triomphale du Seigneur, n'étendirent point leurs vêtements le long du chemin, oui, dans cette procession que bientôt, avec la grâce de Dieu, nous allons célébrer en mémoire de celle où les populations se pressaient au-devant du Seigneur qui venait à Jérusalem pour sa passion, et qui s'avançait monté sur un âne, tous n'étendirent point leurs vêtements par terre sur son passage; il y en eut qui coupèrent des branches d'arbres devant lui. Il n'y avait dans leur fait, rien de bien grand, car ils donnaient gratuitement ce qu'ils prenaient sans frais. Et pourtant, ceux-ci n'étaient pas tout à fait inutiles, et on ne voit point qu'ils aient été exclus du cortège. Mais vous, mes frères, pieuses montures du Christ, vous qui pouvez dire avec le Prophète: «J'ai été devant vous comme une bête de somme, et je me suis toujours tenu attaché à vous (Ps 72,23); vous dis-je, que monte le Christ, puisque: «L'âme du juste est le trône de la Sagesse,» et que, selon l'Apôtre, «Le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu (1Co 1,24),» si je n'ai point de vêtements à étendre sous vos pieds, du moins je tâcherai de couper des branches d'arbres, afin de contribuer un peu, par mon ministère, à cette belle procession.

4. L'arbre, c'est saint Benoît, il est grand, il porte du fruit, c'est l'arbre planté près d'un ruisseau d'eau vive (Ps 1,3). Où rencontre-t-on des ruisseaux? N'est-ce point dans les vallées; n'est-ce point entre les montagnes que les eaux s'écoulent? Qui ne sait, en effet, que les torrents descendent toujours des flancs escarpés des montagnes, et que toujours les vallées se maintiennent dans une sorte d'humble milieu. Voilà comment Dieu résiste aux superbes, et donne sa grâce aux humbles (). C'est donc là que vous pourrez asseoir le pied en toute sécurité, vous qui êtes la monture du Christ; c'est sur ce rameau qu'il faut l'appuyer, c'est le sentier de la vallée que vous devez suivre. Sur la montagne s'est fixé l'antique serpent, pour mordre les chevaux aux jambes, et faire tomber les cavaliers qui les montent, à la renverse, préférez donc la vallée pour vos promenades et pour vos plantations. En effet, nous n'avons point l'habitude de choisir les montagnes pour faire des semis d'arbres, parce que le plus ordinairement elles sont arides et pierreuses. C'est dans les vallées qu'on trouve une terre grasse, que les plantes profitent, que les épis sont pleins, et que le grain rapporte cent pour cent, selon la remarque de celui qui a dit: «Les vallées seront fertiles en froment (Ps 64,14).» Ainsi, vous l'entendez, partout on fait l'éloge des vallées, partout on recommande l'humilité. Plantez donc là où les eaux ont établi leur cours, c'est là, en effet, que vous trouverez la grâce spirituelle en abondance; les eaux qui sont an dessus des cieux louent le nom du Seigneur, c'est-à-dire, les bénédictions du ciel font qu'il soit loué. Etablissons-nous dans l'humilité, mes frères, soyons-y plantés, si nous voulons ne point nous dessécher. Ne nous laissons point emporter à tout souffle de vent comme il est dit dans l'Ecriture: «Si l'Esprit de celui qui a la puissance, s'élève sur vous, ne quittez point pour cela votre place (Qo 10,4).» Jamais la tentation, quelle qu'elle soit, ne prévaudra contre vous, si vous ne vous élevez orgueilleusement au dessus de vous dans vos pensées (Ps 130,1), et si, au contraire, vous poussez des racines profondes et solides dans l'humilité et y demeurez fortement établis. C'est ainsi que, planté le long d'un ruisseau d'eaux vives, ce saint confesseur du Seigneur a produit du fruit en son temps.

5. Il y a des arbres qui ne portent point de fruit; il en est d'autres qui en portent; mais le fruit qu'ils donnent n'est pas leur fruit: enfin, il s'en trouve des troisièmes qui portent du fruit qui est bien le leur fruit, mais qui ne le portent point en son temps. Il y a donc, comme je le disais, des arbres stériles; tels sont les chênes, les ormeaux, et tous les arbres de la forêt; personne ne plante ces essences dans son verger, parce qu'elles ne produisent point de fruit, ou si elles en donnent, c'est un fruit qui ne peut servir à l'homme, qui n'est bon que pour les pourceaux. Tels sont les enfants de ce monde, qui passent leur vie dans la débauche et l'ivrognerie (Rm 13,13), dans l'excès des viandes et de la bonne chère, dans les dissolutions et les impudicités. Toutes ces choses-là peuvent être la nourriture des pourceaux, dont il est défendu à un vrai Israélite (Dt 14,8), je veux dire au chrétien de se nourrir, défendu même d'y tenir; la raison de cette défense est que, de même que la chair de porc, lorsque nous en mangeons, adhère à notre propre chair et finit par ne plus faire qu'une seule et même chair avec elle, ainsi le transgresseur des préceptes du Seigneur absorbe les esprits immondes en lui, et, en s'attachant à eux, finit par ne plus faire qu'un seul et même démon avec eux. S'il a été défendu aux Juifs d'offrir des pores en sacrifices, c'est parce que les porcs désignent des esprits impurs et immondes qui, fuyant tout ce qui est net et pur, ne se complaisent que dans la corruption, heureux de se plonger dans le bourbier des crimes et des vices. Voilà pourquoi, dans l'Évangile, cette légion maudite (Mc 5,12) en sortant du corps d'un homme, demande qu'il lui soit permis d'aller dans le corps d'animaux qui lui ressemblent, et obtient d'entrer dans un troupeau de pourceaux. Il n'y a que pour eux que les arbres qui ne portent point de fruits, et à la racine desquels il semble que la cognée soit déjà, portent les fruits qu'ils donnent.

6. Les arbres qui portent du fruit, mais non leur fruit, sont les hypocrites; semblables à Simon le Cyrénéen, ils portent une croix qui n'est pas leur croix, mais qui sont forcés de la porter, parce qu'ils manquent de toute pensée de religion; ils se voient, par l'amour et le désir de la gloire, contraints de faire ce qu'ils n'aiment point. Enfin, pour ce qui est des arbres qui portent du fruit, mais qui ne le portent point «en leur temps,» on entend ceux qui veulent aussi porter des fruits avant que le temps en soit venu. Est-ce que, quand les arbres de nos vergers poussent plus tôt qu'il ne faut, nous n'avons point de crainte pour leurs fleurs trop hâtives? Ainsi en est-il de ceux dont les fruits, pour être trop précoces aussi, ne réussissent pas bien. Tels sont ceux qui, dès les premiers temps de leur conversion, pensent pouvoir porter des fruits d'une autre époque, et se hâtent, en dépit du précepte, de labourer leurs champs avec le premier né de la génisse, et de tondre le premier agneau de la brebis. Voulez-vous savoir avec quel soin notre saint maître a évité de tomber dans ce défaut? C'est le rameau que je veux vous offrir. Connu de Dieu seul l'espace de trois ans, il demeura tout ce temps-là inconnu aux hommes. Il n'en porta pas moins du fruit, et même en abondance, comme vous pouvez le voir; mais il le porta en son temps. Il ne croyait pas que le temps était venu pour lui de donner des fruits, alors que les tentations de la chair le mettaient à une si rude épreuve, qu'il s'en fallut peu qu'il ne succombât, ou qu'il ne se retirât. Je ne veux point négliger de vous présenter ce rameau, s'il est hérissé et chargé en quelque sorte d'épines sur lesquelles notre Benoît du Seigneur se roula lui-même; cependant, il a son utilité; il en a une pour la monture du Seigneur qu'elle éloigne du fossé de la tentation, empêche d'y tomber par le consentement, et à qui elle donne la force de tenir bon, d'agir avec courage et d'attendre le Seigneur sans perdre tout espoir. Voilà le rameau sur lequel vous devez appuyer le pied, vous qui êtes la monture du Christ, qui doit vous apprendre à ne jamais céder à la tentation, si terrible qu'elle soit, et à ne pas vous croire alors abandonné de Dieu, mais à vous rappeler qu’il est écrit: «Invoquez-moi au jour de l'affliction, je vous en délivrerai, et vous m'honorerez (Ps 49,45).»

7. Saint Benoît ne pensait donc pas, comme je le disais, que le temps de porter des fruits fût encore venu pour lui, tant qu'il se sentait en butte à de si grandes tentations; mais ce temps vint enfin, et alors il donna du fruit en son temps. Or ce fruit, c'est ce dont j'ai parlé précédemment; sa sainteté, sa justice et sa piété. Ses miracles montrent la première, sa doctrine est une preuve de la seconde, et sa vie est là pour attester la troisième. Vous voyez, ô vous qui êtes la monture du Christ, vous voyez là des rameaux parés de feuilles verdoyantes, couverts de fleurs et chargés de fruits. Que votre pied s'appuie sur ces rameaux-là, si vous voulez diriger vos pas dans la droite voie. Mais pourquoi vous parlé-je de ses miracles? Est-ce pour vous suggérer le désir d'en faire? Dieu m'en garde; mais c'est pour que vous vous appuyiez sur ses miracles, c'est-à-dire, c'est pour que vous soyez plein de joie et de confiance, en vous voyant sous un ici pasteur, et en vous disant que vous avez le bonheur d'avoir un si grand patron. Car il est bien certain que celui qui se montra si puissant quand il n'était encore que sur la terre, ne peut manquer de l'être bien davantage, à présent qu'il est dans les cieux où il se trouve aussi élevé en gloire qu'il l'a été en grâce. On sait, en effet, que les rameaux de l'arbre sont en proportion de la grandeur de ses racines, et que les premiers, dit-on, sont en même nombre que les secondes. Par conséquent, si nous ne faisons point de miracles, nous autres, ce doit toujours être un grand sujet de consolation pour nous, que notre patron en ait fait. D'un autre côté, par sa doctrine il nous instruit et dirige nos pas dans les sentiers de la paix, et par la justice de sa vie, il nous donne des forces et du courage, et nous anime d'autant plus à faire ce qu'il nous a enseigné, que nous savons pertinemment qu'il ne nous a enseigné que ce qu'il a fait lui-même. Il n'est pas, en effet, d'exhortation si pleine de vie et d'efficacité que l'exemple, car celui qui fait ce qu'il conseille le rend facile à persuader, puisqu'il montre, par sa conduite, que ce qu'il conseille est praticable.

8. Voilà donc comment la sainteté fortifie, la piété instruit, et la justice confirme. Quelle ne fut donc pas en effet la piété de cet homme, qui, non content d'être utile à ceux de son temps, se mit en peine de l'être aussi à ceux qui viendraient après lui? Non-seulement cet arbre a porté du fruit pour ceux qui vivaient alors, mais il en a produit qui dure et persévère jusqu'à nos jours. Il était, certes, bien aimé de Dieu et des hommes, celui dont la présence fut en bénédiction, comme nous voyons que le fut celle de bien des saints, qui, n'étaient aimés que de Dieu, parce qu'ils n'étaient connus que de lui, mais dont le souvenir, de plue, est encore en bénédiction maintenant. En effet, jusqu'à ce jour, par la triple confession de son amour de Dieu, il paît le troupeau du Seigneur de trois sortes de fruits à la fois. Il le paît par sa vie, par sa doctrine et par son intercession. Sans cesse aidés par elle, portez aussi des fruits à votre tour, mes très-chers frères, car c'est pour cela que vous avez été établis, c'est pour que vous alliez, et que vous produisiez du fruit (Jn 15,16). Mais d'où devez-vous sortir pour aller? De vous mêmes, mes frères, selon ce mot de l'Écriture: «Détournez-vous de votre propre volonté (Si 18,30).» Ne lisons-nous point aussi du Seigneur que «celui qui sème s'en alla semer (Mt 13,3)?» Ainsi nous avons la semence, nous avons vu quels furent ses fruits; c'est à nous de l'imiter, mes frères, car il n'est venu que pour nous donner la forme, nous montrer la voie.

9. Mais peut-être le Seigneur lui-même est-il aussi un arbre, dont nous devions cueillir des rameaux, pour les jeter sous vos pieds. Que dis-je peut-être? Certainement il est un arbre, une vraie plante du ciel, plantée sur la terre, selon cette parole de l'Écriture: «La vérité s'est élevée de la terre, et la justice a regardé du haut du Ciel (Ps 84,12).» Je cueille donc à cet arbre le rameau de l'humilité, afin que vous entriez dans les sentiments qu'il eut quand il s'anéantit lui-même; et quand je vous dis que je vous cueille ce rameau, c'est l'Apôtre, devrais-je dire qui le jette à vos pieds, quand il vous dit: «Soyez dans les mêmes sentiments que se trouvait Jésus-Christ qui, étant en la forme de Dieu, n'a pas cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu: mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme de l'esclave, et se rendant semblable aux hommes, en sorte qu'il ne fut qu'un homme, par tout ce qui a para de lui au dehors (Ph 2,5-7).» Voilà comment, mes frères bien aimés, vous devez vous anéantir, vous humilier, vous perdre vous mêmes. Semez un corps tout charnel et il ressuscitera un corps spirituel (1Co 15,44). Perdez vos âmes, et vous les conserverez pour la vie éternelle. Voulez-vous savoir comment l'Apôtre, qui vous donne ce conseil, le mit lui-même en pratique? Écoutez-le vous dire: «Si nous sommes emportés hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu (2Co 5,13).» Et pour vous, ô Apôtre, qu'y a-t-il donc? «Pour moi, dit-il, je ne suis qu'un vase mis au rebut (Ps 30,16).» En effet, on peut bien dire qu'il s'est mis au rebut, puisqu'il ne fait rien pour lui, et que tontes ses intentions, tous ses désirs, sont d'être agréable à Dieu et utile à ses frères. D'ailleurs, dit-il encore, «l'homme qui sème dans sa chair moissonnera dans sa chair, mais ne moissonnera que la corruption (Ga 6,8).» Ailleurs on lit encore: «heureux les hommes qui sèment sur toutes les eaux (Is 32,20).» Mais comment semer sur toutes les eaux, peut-être faut-il entendre par toutes ces eaux, celles dont il est dit: «que les eaux qui sont au-dessus des cieux, louent le nom du Seigneur (Ps 148,4),» c'est-à-dire les vertus angéliques et les peuples des cieux. Oui, c'est là le sens du Prophète, «car nous sommes en spectacle au monde, aux anges, et aux hommes (1Co 4,9).»

10. Semons donc pour les hommes le bon exemple par des oeuvres faites sous leurs yeux; semons pour les anges une grande joie, par nos soupirs secrets, et par des ouvres semblables, qui ne sont connus que d'eux. Ainsi, c'est un sujet de joie pour les anges de Dieu, que la vue d'un seul pécheur qui fait pénitence (Lc 15,7). Voilà ce qui faisait dire à l'Apôtre: «nous tâchons de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais aussi sous les yeux des hommes (2Co 8,22) «Pour ce qui est de Dieu, nous sommes parfaitement connus de lui; aussi l'Apôtre dit-il «devant Dieu,» c'est-à-dire, devant ceux qui se tiennent constamment en sa présence; ceux-ci sont en effet extrêmement charmés, lorsqu'ils vous voient prier dans le secret, ou méditer quelque psaume dans votre esprit, ou faire quelque chose de pareil.

Voilà, mes frères bien aimés, la semence que vous devez répandre, voilà les fruits que vous devez porter. Oui, semez à votre tour, car il y en a eu beaucoup qui l'ont fait avant vous, et portez du fruit, attendu que c'est pour vous qu'ils ont semé. O lignée d'Adam, combien ont semé en toi, et quelle précieuse semence ils ont semée! Aussi, combien misérablement tu périras, combien méritée sera ta perte, si une telle semence périt en toi, et se perd avec le travail de tant de semeurs! Comme tu seras détruite par le laboureur, si tout cela se perd dans ton sein! Or c'est la Sainte Trinité, qui a semé dans notre terre; les anges et les apôtres y ont aussi semé, les martyrs, les confesseurs et les vierges, y ont également jeté leur semence. Dieu le Père y a semé, car son coeur a épanché sur elle son Verbe qui est une bonne semence; en effet, le Seigneur a répandu sa bénédiction sur nous, et notre terre a donné son fruit (Ps 84,13). Le Fils a semé aussi, car c'est lui qui est sorti pour aller semer sa semence (Mt 13,3 Lc 8,5); ce n'est pas le Père qui sortit, mais c'est le Fils qui procède du Père, et qui vient dans le monde, afin que celui qui avait été auparavant une pensée de paix dans le coeur du Père, devînt lui-même notre paix dans le sein de sa mère. Le Saint-Esprit a également semé sa semence, car il est venu aussi, et s'est montré aux apôtres sous les formes de langues de feu. Voilà comment toute la Trinité a semé sa semence: le Père a semé le. pain du haut du Ciel, le Fils a semé la vérité; et le Saint-Esprit a semé la charité.

11. Mais les anges aussi ont été des semeurs le jour où ils sont demeurés fermes quand tous les autres tombaient. En effet, le beau Lucifer qui n'est plus à présent lucifer, mais ténébrifer et vesper, a dit: «J'irai m'asseoir sur la montagne du testament, et je serai semblable au Très-Haut (Is 14,13).» O impudent et imprudent! Un million d'anges se tenaient debout devant lui et un million d'autres le servaient, et toi, tu vas aller t'asseoir? «Les chérubins, dit le Prophète, se tenaient debout (Da 7,10),» non point assis, qu'as-tu donc fait pour aller t'asseoir? Tous les esprits célestes sont des serviteurs envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut (He 1,14), et toi, tu veux aller t'asseoir? Qu'as-tu donc semé pour moissonner déjà? Non, non, ce n'est pas pour toi que tuas semé, mais c'est pour ceux à qui le Père le destine. Pourquoi leur portes-tu envie? Sois sûr qu'ils s'assoiront aussi un jour. Oui, un jour, ces vers de terre s'assoiront pour être des juges, et toi alors, non-seulement tu ne t'assoiras point, mais tu devras paraître debout devant eux pour être jugé. «Imaginez-vous, disait l'Apôtre, que nous jugerons les anges mêmes (1Co 14,3)?» Ces hommes qui s'en allèrent en pleurant, et jetaient leur semence le long du chemin, reviendront un jour, la joie dans l'âme, en portant la gerbe de leur riche moisson (Ps 125,6). Il y a deux gerbes que tu veux avoir, ce sont celles de l'honneur et celle du repos, tu veux t'élever et t'asseoir; mais, esprit impie, il n'en peut être ainsi; tu ne saurais moissonner puisque tu n'as point semé. Ceux-là seuls qui ont semé le travail et l'abaissement moissonneront, en même temps, le repos et l'honneur. Oui, en échange de la double semence d'humilité et de travail qu'ils ont répandue, ils feront une double récolte dans leur serre. C'est ce qui inspirait ce cri à l'un d'eux: «Regardez, Seigneur, dans quels travaux et dans quel abaissement je me trouve (Ps 24,18).» Vous avez entendu aujourd'hui même les promesses que le Seigneur fait dans son Évangile à ses apôtres, à qui il disait: «Vous serez assis sur des trônes et vous jugerez les douze tribus d'Israël (Mt 19,28).» Vous avez là le repos, «vous serez assis,» et l'honneur, «vous jugerez.» Mais Notre-Seigneur lui-même n'a pas voulu arriver à ce repos et à cet honneur sans passer par le travail et par les abaissements. S'il fut condamné à la mort la plus honteuse, mis à l'épreuve des tourments et rassasié d'opprobres, ce ne fut que pour couvrir de confusion son ennemi, et quiconque l'imite et le suit dans ses égarements. Voilà, esprit inique, voilà celui qui doit aller s'asseoir sur le trône de sa majesté, parce qu'il est semblable au Très-Haut et le Très-Haut avec lui. C'est à quoi ont pensé les saints anges qui ne voulurent point partager l'apostasie du Malin qu'ils ont vu précipité, et nous ont laissé ainsi un exemple, afin que, de même qu'ils ont mieux aimé se tenir au rang des serviteurs, nous fissions de même de notre côté. Quiconque fuit le travail et aspire aux honneurs doit donc savoir qu'il marche sur les pas de l'ange qui a aspiré à s'élever et à aller s'asseoir, et si la faute de cet esprit ne l'épouvante point, que du moins son châtiment l'effraie; car tout a tourné pour lui différemment de ce qu'il avait pensé, en sorte qu'il devint un objet de risée et qu'un feu éternel fut préparé pour le recevoir. C'est pour éviter ces malheurs que les saints anges ont semé pour nous la semence de la prudence, dont ils ont commencé de faire preuve eux-mêmes au moment où les autres sont tombés.

12. C'est aussi la semence que les apôtres ont répandue pour nous, lorsqu'ils s'attachèrent au Seigneur au moment où tant d'autres qui, préférant la sagesse de ce monde qui n'est que folie auprès de Dieu, et la prudence de la chair qui opère la mort et est ennemie de Dieu, s'éloignaient de lui, scandalisés de ce qu'ils lui entendaient dire, du sacrement de la chair et de son sang; ils ne continuèrent pas davantage à marcher à sa suite. Les disciples, au contraire, à la demande que leur fit le Seigneur pour savoir s'ils voulaient, eux aussi, le quitter, répondirent: «Seigneur à qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle (Jn 6,69).» Mes frères, il faut que nous imitions cette prudence, il y en a beaucoup encore qui marchent dans la société de Jésus jusqu'à ce que vienne le moment pour eux de manger sa chair et boire son sang, c'est-à-dire de prendre part à sa passion, car c'est ce que signifient ces paroles, c'est le sens même de ce sacrement, et qui alors se scandalisent aussi et retournent sur leurs pas, en disant: «C'est une parole dure à entendre (Jn 6,61).» Pour nous, partageons la prudence des apôtres et écrions-nous avec eux: «Seigneur, à qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle.» Non, nous ne vous quitterons point; vous nous donnerez la vie. L'homme ne vit pas seulement de pain, mais encore de toute parole qui tombe de la bouche de Dieu (Dt 8,3 Mt 4,4). Le monde n'est pas seul à avoir ses délices, il s'en trouve de plus grandes que les siennes dans vos paroles. C'est ce qui faisait dire au Prophète: «Que vos paroles semblent douces à mes lèvres! elles le sont plus que ne le serait le rayon de miel (Ps 118,103).» A qui donc pourrions-nous aller, Seigneur, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle, c'est-à-dire, des paroles qui sont au dessus de toutes celles que le monde peut avoir? Non-seulement, mes frères, il est la vie même, mais il en est aussi la promesse, il est l'attente des justes, il est leur joie, mais leur joie si grande que tout ce qu'on peut désirer ne lui pourrait être comparé. La prudence est donc la semence que les saints apôtres ont semée pour nous. Quant aux martyrs, il est clair que leur semence est une semence de force. Celle des confesseurs est la justice qu'ils n'ont cessé de poursuivre pendant toute leur vie; car il y a la même différence entre les martyrs et les confesseurs qu'entre Pierre qui laisse tout, à la fois, et Abraham qui emploie les biens de ce monde à de bonnes oeuvres. Les premiers ont, en effet, vécu beaucoup de temps en quelques instants, et les seconds ont passé leur vie au milieu de longs martyres de toutes sortes. Pour ce qui est des vierges saintes, il est de toute évidence que leur semence est celle de la tempérance puisqu'elles ont su fouler la passion aux pieds.






Bernard sermons 605