Bernard sermons 6017

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PREMIER SERMON POUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE. De la Susception du Christ et de celle de Marie.


1. En montant aujourd'hui dans les cieux, la glorieuse Vierge a certainement porté à son comble la joie des citoyens du ciel. Car elle n'est, rien moins que celle dont la voix fit tressaillir de joie, dans-les entrailles d'une, mère qu'elle a saluée, l'enfant qui. y était encore enfermé. Si l'âme d'un enfant qui n'était pas encore né, s'est fondue de bonheur é sa voix, quelle ne dut pas être l'allégresse des esprits célestes quand ils eurent le bonheur d'entendre sa voix, de contempler son visage? Et même pour nous, mes frères bien-aimés, quelle fête n'est point le jour de son Assomption, quels motifs de joie et de bonheur n'y a-t-il point dans son assomption? La présence de Marie éclaire le monde entier, c'est au point que les cieux eux-mêmes brillent d'un plus vif éclat, à la lumière de cette lampe virginale. C'est donc avec raison que, les actions de grâce et les chants de gloire retentissent dans les cieux; mais nous, mes frères, il semble que nous avons plus de motifs de gémir que d'applaudir. En effet, ce monde inférieur ne doit-il pas proportionner son deuil, quand elle le quitte, à l'allégresse même que sa présence répand dans les cieux? Pourtant, trêve de plaintes chez nous, car, après tout, nous. n'avons point ici une cité permanente, noua aspirons, à celle où Marie fait aujourd'hui son entrée; si nous devons un jour en être citoyens, il est juste que, même dans notre exil, et jusque sur les bords des fleuves de Babylone, nous l'ayons présente à la pensée, nous participions à ses joies, nous partagions son allégresse, surtout à celle qui remplit si bien aujourd'hui même, comme un torrent, cette cité de Dieu, que, même ici-bas, nous en recevons quelques gouttes qui tombent jusque sur la terre. Notre Reine nous a précédés, et le glorieux accueil qui lui est fait doit nous engager à suivre Notre Dame, nous ses humbles serviteurs, en nous écriant: «Attirez-nous à votre suite, nous courrons dans l'odeur de vos parfums.» Notre exil a envoyé en avant une avocate qui, en sa qualité de mère de notre Juge, de mère de la miséricorde, doit traiter en suppliante, mais en suppliante écoutée, l'affaire de notre salut.

2. Aujourd'hui notre terre a envoyé un précieux présent au ciel, pour rapprocher, par cet heureux échange de présents d'amitié, les hommes de Dieu, la terre des cieux, notre bassesse de l'élévation suprême. Un fruit sublime de la terre s'est élevé là d'où nous viennent tous dons excellents, tous dons parfaits, et une fois montée dans les cieux, la bienheureuse Vierge comblera à son tour lés hommes de ses dons. Pourquoi n'en serait-il point ainsi? Car le pouvoir ne lui manquera pas plus que la volonté. Elle est la Reine des cieux, et une Reine de miséricorde, et de plus elle est la Mère du Fils unique de Dieu; est-il rien qui puisse nous faire concevoir une plus haute estime de son pouvoir et de sa bonté? A moins qu'on ne croie pas que le Fils de Dieu honore sa mère, ou qu'on doute que les entrailles de Marie, où la charité même de Dieu a passé corporellement neuf mois entiers, se soient remplies de sentiments de charité.

3. Si je parle de la sorte, mes frères, c'est pour nous que je le fais, attendu que je n'ignore pas combien il est difficile que dans un si grand dénuement, on ne puisse trouver cette charité parfaite qui ne cherche point ses propres intérêts. Mais, sans parler des grâces que nous recevons pour sa glorification, pour peu que nous ressentions d'amour pour elle, nous nous réjouirons de la voir retourner à son Fils. Oui, mes frères, nous la féliciterons, à moins pourtant qu'il ne nous arrive, ce qu'à Dieu ne plaise, d'être tout à fait ingrats envers celle qui a trouvé; la grâce. Car elle est aujourd'hui reçue dans la cité sainte par celui qu'elle a reçu elle-même la première, lorsqu'il fit son entrée dans monde, mais avec quel honneur, avec quelle allégresse et quelle gloire! Sur la terre, il n'est point un seul endroit plus honorable que le temple du sein virginal où Marie reçut le Fils de Dieu, et, dans le ciel, n'est point de trône supérieur à celui sur lequel le Fils, de Dieu a placé sa mère. Recevant ou reçue, elle est également bienheureuse, elle l'est dans les deux cas d'un bonheur ineffable parce qu'elle l'est d'un bonheur inimaginable. Mais pourquoi lit-on aujourd'hui dans l'Eglise du Christ, précisément le passage où il est donné à entendre, que femme bénie entre les femmes a reçu le Sauveur? C'est, je pense pour nous faire estimer ou plutôt pour nous faire comprendre combien est inestimable la réception que Marie reçoit aujourd'hui de son Fils par celle qu'il lui a été donnée à elle-même de lui faire. En effet, qui pourrait dire, même en empruntant les secours de la langue des anges et de celle des hommes, comment expliquer de quelle manière le Saint-Esprit est survenu en Marie; la vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre, la vertu de Dieu par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair, de quelle manière enfin le Seigneur de majesté, que l'univers entier ne peut contenir, devenu homme, s'est enfermé dans les entrailles d'une Vierge?

4. Mais qui pourra se faire une juste idée de la gloire au sein de laquelle la reine du monde s'est avancée aujourd'hui, de l'empressement plein d'amour avec lequel toute la multitude des légions célestes s'est portée à sa rencontre; au milieu de quels cantiques de gloire elle a été conduite à son trône, avec quel visage paisible, quel air serein, quels joyeux embrassements, elle a été accueillie par son Fils, élevée par lui au-dessus de toutes les créatures avec tout l'honneur dont une telle mère est digne, et avec toute la pompe et l'éclat qui conviennent à un tel Fils? Sans doute, les baisers que la Vierge mère recevait des lèvres de Jésus à la mamelle, quand elle lui souriait sur son sein virginal, étaient pleins de bonheur pour elle, mais je ne crois pas qu'ils l'aient été plus que ceux qu'elle reçoit aujourd'hui du même Jésus assis sur le trône de son Père, au moment heureux où il salue son arrivée, alors qu'elle monte elle-même à son trône de gloire, en chantant l'épithalame et en disant: «Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche.» Qui pourra raconter la génération du Christ et l'Assomption de Marie? Elle se trouve dans les cieux comblée d'une gloire d'autant plus singulière que, sur la terre, elle a obtenu une grâce plus insigne que toutes les autres femmes. Si l'oeil n'a point vu, si l'oreille n'a point entendu, si le coeur de l'homme n'a point connu dans ses aspirations ce que le Seigneur a préparé à ceux qui l'aiment, qui pourrait dire ce qu'il a préparé à celle qui l'a enfanté, et, ce qui ne peut être douteux pour personne, qui l'aime plus que tous les hommes? Heureuse est Marie, mille fois heureuse est-elle, soit quand elle reçoit le Sauveur, soit quand elle est elle-même reçue par lui; dans l'un et dans l'antre cas, la dignité de la Vierge Marie est admirable, et la faveur dont la majesté divine l'honore, digne de nos louanges. «Jésus entra dans une bourgade, nous dit l'Évangéliste, et une femme l'y reçut dans sa maison (Lc 10,38).» Mais laissons plutôt la place aux cantiques de louanges, car ce jour doit être consacré tout entier à des chants de fête. Toutefois, comme le passage que je viens de vous citer, nous offre une ample matière à discourir, demain, lorsque nous nous réunirons de nouveau, je vous ferai part, sans céder à l'envie, de ce que le ciel m'aura inspiré pour vous le dire, afin que le jour consacré à la mémoire d'une si grande Vierge, non-seulement nous soyons excités à des sentiments de dévotion; mais encore a faire des progrès dans la pratique de notre profession, pour l'honneur et la gloire de son Fils, Notre-Seigneur, qui est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles. Ainsi soit-il.





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DEUXIÈME SERMON POUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE. Il faut nettoyer, orner et meubler la maison.


1. Jésus entra dans une bourgade et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison (Lc 10,88).» Il me semble que je ne puis mieux faire, en entendant ces mots, que de m'écrier avec le Prophète: «O Israël, que la maison de Dieu est grande, et que ses possessions sont étendues (Ba 3,24)!» Le sont-elles assez, en effet, pour qu'au prix d'elles l'immensité de cette terre ne soit qu'une petite bourgade? Sa patrie et le pays qu'il habite sont-ils assez grands pour que l'Évangéliste, en parlant de l'arrivée du Sauveur de ce monde, dise: il est entré dans une petite bourgade? A moins que par ce mot bourgade, il faille entendre autre chose que les foyers du fort armé du prince, de ce monde, dont un plus fort armé vient enlever tous les meubles. Hâtons-nous, mes frères, d'entrer dans ce vaste séjour du bonheur, là où la place de l'un ne prend point sur celle de l'autre, et où nous pourrons comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur. Ne désespérons point d'y arriver, quand nous voyons celui qui habité dans les cieux, et qui en est le créateur, ne pas dédaigner d'entrer dans l'étroit séjour de notre petite bourgade.

2. Mais, que dis-je, entrer dans notre petite bourgade? Il est même descendu dans l'étroite hôtellerie que lui offre le sein d'une vierge; n'est-il pas dit, en effet, que «une femme le reçut dans sa maison.» Oh! heureuse la femme qui reçoit non pas les espions venus à Jéricho, mais bien le vaillant, spoliateur, de ce sot ennemi qui est un vrai Jéricho, puisqu'il change comme la lune. Ce ne sont pas les envoyés de Jésus, fils de Marie, qu'elle héberge chez elle, mais c'est le vrai Jésus, fils de Dieu. Oui, heureuse celle dont la maison où elle reçut le Seigneur, s'est trouvée nettoyée, mais point vide de tout. En effet, qui pourrait dire vide, la demeure que l'Ange appelle pleine de grâces? Que dis-je? pleine de grâces? qu'il salue comme allant voir le Saint-Esprit même survenir en elle? Or, pourquoi surviendra-t-il en elle, sinon pour l'emplir et la suremplir? Pourquoi encore? sinon, pour que déjà remplie par le Saint-Esprit qui était venu en elle, elle en fût suremplie, elle en débordât sur nous. Plaise à Dieu que ces parfums, c'est-à-dire, les dons de sa grâce, découlent d'elle en nous, et que nous recevions tous de cette plénitude! Elle est notre médiatrice, c'est par elle que nous avons reçu votre miséricorde, ô mon Dieu; enfin, c'est par elle que nous recevons le Seigneur Jésus dans nos maisons. Car, nous avons tous notre castel et notre maison, et la Sagesse frappe à la porte de chacun de nous; pour entrer chez celui qui lui ouvrira et soupera avec lui. Un proverbe que tout le monde a à la bouche, et qui se trouve encore plus dans le coeur, dit: Celui qui garde son. corps, garde un bon castel; mais ce n'est pas le proverbe du Sage, le sien serait plutôt celui-ci: «Appliquez-vous à la garde de votre coeur, parce qu'il est la source de la vie (Pr 4,23).»

3. Toutefois, disons aussi avec la foule: Celui qui garde son corps, garde un bon castel; seulement voyons quelle garde il faut mettre à ce castel. Peut-on dire que l'âme a bien gardé le castel de son corps, lors qu'elle a laissé ses membres conspirer, si je puis parler ainsi, et en livrer la; possession à son ennemi? Il y en a qui ont fait une alliance avec la mort, et un pacte avec l'enfer (Is 28,12) «Mon ami, est-il dit, après s'être engraissé, oui, une fois engraissé, plein d'embonpoint et florissant de santé, s'est révolté (Dt 32,15).» Voilà e genre de garde que louent les pécheurs dans les désirs de leur chair. Que vous ensemble, mes, frères, devons-nous sur ce chapitre, être de l'avis de la multitude? Non, non, adressons-nous plutôt à Paul, le brave général de notre milice spirituelle. Dites-nous donc, ô Apôtre, comment vous avez gardé votre castel? «Moi, dit-il si je cours, ce, n'et point au hasard. si je combats, ce n'est point contre l'air que je dirige mes coups; mais je traite rudement mon corps st le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois, moi-même réprouvé (1Co 26).» Ailleurs, il dit: «Que le péché ne règne point dans votre corps mortel; et ne vous fasse point obéir à ses désirs déréglés (Rm 6,12).» Voilà la bonne garde à faire, et heureuse l'âme qui garde si bien son corps que jamais l'ennemi ne le tienne en son pouvoir. Il fut un temps où cet impie tenait mon castel sous son tyrannique empire, et commandait en maître, à tous mes membres. On peut se rendre compte du mal qu'il fait alors par la désolation et le dénuement qui, y règnent maintenant. Hélas! il n'y a laissé debout ni le mur de la continence, ni le contrefort de la patience. Il en a ravagé les vignes, saccagé les moissons, arraché les arbres; il n'est pas jusqu'à mes yeux qui n'aient porte la désolation dans mon âme. Si même le Seigneur n'était à mon secours, il s'en faudrait de peu que je ne fusse en enfer, je parle, de cet enfer inférieur, où il n'y a plus de place pour la confession et d'où il n'est donné à personne de sortir

4. D'ailleurs, dès lors même, ni la prison, ni l'enfer ne lui manquaient à mon âme pécheresse; car à peine victime de cette conjuration de cette trahison détestable, elle se trouva, chez elle-même dans une véritable prison. et livrée aux gens de sa maison pour être torturée. Elle eut pour prison sa propre conscience, peur bourreaux sa raison et sa mémoire, et ils s'acquittèrent de leur emploi pitié, avec rigueur, avec cruauté même; mais pourtant avec moins de cruauté que les lions rugissants prêts à la dévorer, auxquels elle allait être livrée (Si 51,4). Aussi, béni soit le Seigneur qui ne m'a point laissé en proie à leurs dents (Ps 123,4). Oui béni le Seigneur qu i m'a visité et racheté (Lc 1,68). En effet, au moment où le malin avait hâte de jeter mon âme dans l'enfer inférieur, et de livrer mon castel aux flammes éternelles pour l'y consumer, afin que mes membres reçussent la récompense de leur parjure, un plus fort que lui survint. Jésus entra dans mon castel, garrotta le fort armé et s'empara de ses meubles, pour faire des vases d'honneur, de ceux qu'il consacrait à l'ignominie, il brisa ses portes d'airain, rompit ses gonds de fer, arracha son prisonnier du fond de son cachot, et le tira des ombres de la mort. Or, c'est dans la confession que se fit cette sortie de prison; voilà, en effet, l'instrument qui servit en même temps à nettoyer et à parer son cachot; bientôt les joncs verdoyants des institutions régulières, rendirent à sa prison l'aspect d'une demeure habitable. Dès lors, cette femme a sa maison, elle a un endroit pour recevoir celui à qui elle est redevable de si grands bienfaits. D'ailleurs, malheur à elle, si elle ne le retient pas chez elle, si elle ne le force point à demeurer avec elle, quand le soir approche. Car celui qui en a été chassé reviendra, il la retrouvera sans doute nettoyée et parée, mais vide.

5. Et, en effet, il ne restera qu'une maison vide à l'âme qui aura négligé d'en faire une habitation digne du Seigneur. Mais vous me demanderez peut-être comment il peut se faire qu'une maison purifiée par la confession de ses anciens péchés, ornée par l'observation des pratiques régulières, peut encore être considérée comme indigne de devenir le séjour de la grâce et de recevoir le Sauveur. Il en est pourtant ainsi, n'en doutez point, tant qu'elle n'est nettoyée qu'au dehors et n'est pas couverte, comme je le disais, de joncs verdoyants, mais toute pleine de boue à l'intérieur. Qui pense qu'on peut recevoir le Seigneur dans des sépulcres blanchis, qui semblent beaux quand on ne les voit que par dehors, mais qui sont tout pleins au dedans de corruption et de pourriture? Supposons, en effet, que, attiré par de beaux dehors, il y mette le pied et condescende à faire faire à sa grâce une première visite dans cette âme, ne reculera-t-il point à l'instant indigné, ne se retirera-t-il point en criant: j'ai mis le pied dans une boue profonde où il n'y a point un seul endroit solide (Ps 68,5)? Car les apparences de la vertu sans la réalité ne sont que des accidents sans la substance. Or les légères apparences d'une vie qui est toute extérieure, ne sauraient offrir un terrain solide au pied de celui qui entre partout et va fixer sa demeure au plus profond du coeur. Si l'esprit de discipline ne peut habiter dans un corps manifestement soumis au péché, non-seulement il se détourne de celui qui y est soumis en feignant de ne point l'être, mais encore il le fuit, il s'en éloigne. Or, est-ce autre chose qu'une feinte abominable que de ne raser le péché qu'à l'extérieur, en en laissant subsister les racines au dedans? Soyez certain qu'il y pullulera de plus belle, et que le malin qui avait été chassé de cette maison, dont il avait fait sa demeure, y reviendra avec sept esprits pires que lui, en la retrouvant nettoyée, mais vide. C'est le chien qui retourne à son vomissement, elle est plus repoussante qu'elle ne l'était auparavant, car celui qui, après avoir obtenu le pardon de ses fautes, retombe dans les mêmes horreurs que précédemment, comme le sanglier retourne à sa bauge fangeuse, devient vingt fois fils de l'enfer.

6. Voulez-vous voir une maison nettoyée, ornée, mais vide? Jetez les yeux sur cet homme qui a confessé ses fautes, renoncé à ses péchés extérieurs qui le faisaient juger, et qui maintenant ne travaille que du corps aux oeuvres prescrites, parce que le coeur sec n'agit plus que par une sorte d'habitude, absolument comme la génisse d'Éphraïm, qui aime à fouler le grain. Il n'omet pas un seul iota de la loi, il n'en passe pas un point, il ne néglige pas la moindre des pratiques extérieures, mais s'il ne peut se résoudre à boire un moucheron, il avale un chameau. Au fond du coeur, il est esclave de sa propre volonté, rongé par l'avarice, avide de gloire, plein d'ambition, il cultive tous ces vices ensemble, ou, au moins, il en nourrit quelques uns: en cela l'iniquité se ment à elle-même, mais Dieu ne saurait en être la dupe. En effet, il arrive quelquefois des hommes qui se déguisent si bien, qu'ils se séduisent eux-mêmes, et ne remarquent point qu'ils ont un ver au coeur qui les ronge. Les dehors sont sauvés, et ils croient que par là tout est sauvé pour eux. Comme dit le Prophète: «Des étrangers ont dévoré toute leur force, et ils ne s'en sont pas même aperçus (Os 7,9).» Ils disent: Je suis riche, je n'ai besoin de rien, tandis qu'ils sont pauvres, dans le malheur et la misère (). En effet, à la première occasion, on voit la plaie, cachée sous l'ulcère, s'enflammer, et l'arbre coupé jusqu'à la racine, mais non point arraché, repousser toute une forêt de rejetons. Pour échapper à ce péril, il faut mettre la cognée à la racine de l'arbre, non à ses rameaux. Qu'on ne trouve donc point en nous rien que des pratiques corporelles, elles ne valent que bien peu, mais qu'on y trouve la piété qui est utile à tout, et les pratiques spirituelles.

7. L'Évangéliste continue: «Une femme nommée Marthe le reçut dans sa demeure; elle avait une soeur du nom de Marie.» Elles sont soeurs, elles doivent donc habiter ensemble, l'une s'occupera des détails du ménage, l'autre sera toute entière aux paroles du Seigneur. Marthe se chargea de parer la maison, et Marie de l'emplir; en effet, elle vaque au Seigneur, pour que le Seigneur ne laisse point sa demeure vacante. Mais qui se chargera du nettoyage? Car il faut que la maison où le Sauveur est reçu, s'il s'en trouve une quelque part, soit nettoyée, ornée et qu'elle ne soit point vide. Confions donc, si vous le voulez, le soin de la nettoyer à Lazare, car son titre de frère lui permet d'y demeurer avec ses soeurs. Or je parle de ce même Lazare qui est en terre depuis quatre jours, qui déjà sent mauvais, mais que la voix puissante de Jésus-Christ ressuscite d'entre les morts. Que le Sauveur entre donc dans cette maison, qu'il en fasse souvent sa demeure, car Lazare la nettoie, Marthe l'orne, et Marie la remplit en s'adonnant à la méditation de l'esprit.

8. Mais on me demandera, peut-être avec curiosité, pourquoi dans notre Évangile il n'est pas parlé de Lazare; je pense que ce n'est pas sans une raison qui a du rapport avec ce que j'ai, dit, plus haut. Le Saint-Esprit, voulant faire comprendre qu'il s'agissait d'une habitation virginale, ne fit aucune mention de la pénitence qui nécessairement ne vient qu'après le mal. Il s'en faut bien, en effet, qu'on puisse dire que cette maison ait été souillée en quoi que ce soit, et ait eu besoin que Lazare y passât le balai. Supposez qu'elle eût contracté de ses parents la faute originelle, tout au moins la piété chrétienne ne nous permet pas de croire qu'elle fût moins sanctifiée que Jérémie dans le sein maternel, et moins remplie du Saint-Esprit que saint Jean, dès le ventre de sa mère: en effet, s'il en était autrement, si elle n'avait été sainte en naissant, on ne ferait point une fête du jour où elle vint au monde (a). Enfin, quand on sait, à n'en point douter, que Marie a été purifiée par la grâce toute seule, de la faute originelle que, maintenant la grâce ne lave que dans les eaux du baptême, et que la pierre de la circoncision enlevait seule autrefois, s'il faut croire, comme il y a piété à le faire, que Marie ne commit jamais un seul péché actuel, il s'en suit nécessairement qu'elle ne connut jamais non plus le repentir. Que Lazare se trouve là où il y a des consciences qui ont besoin de se laver de leurs oeuvres de mort; qu'il se trouve parmi les blessés qui dorment dans leur sépulcre, il ne peut y avoir que Marthe et Marie dans la demeure de la Vierge (Lc 1,56), de celle qui alla rendre ses devoirs à sa parente Élisabeth, déjà vieille et grosse de trois mois environ, de celle qui méditait en son coeur tout ce qu'elle entendait dire de son fils (Lc 1,19).

9. Il ne faut pas voir une difficulté dans ce qu'il est dit que la femme qui reçut le Seigneur s'appelle Marthe, au lieu de Marie, puisque dans notre grande Marie on retrouve en même temps l'occupation de Marthe, et le calme repos de Marie. Toute la beauté de la fille du roi est à l'intérieur, ce qui n'empêche point qu'elle ne soit, au dehors, parée de vêtements de toutes sortes, (Ps 44,10). Elle n'est point du nombre des vierges folles, c'est une vierge prudente, qui a sa lampe et de l'huile dans son vase (Mt 25,12). Auriez-vous oublié la parabole de l'Évangile, qui nous représente les vierges folles exclues de la salle des noces? Leur demeure était pure; puisqu'elles étaient vierges, elle était ornée, puisque toutes, sages et folles avaient préparées leurs lampes, mais elles étaient vides, puisqu'elles avaient point d'huile dans leur vase. Or, c'est à cause de cela que l'Époux n'a voulu ni être reçu par elles dans leurs maisons, ni les recevoir elles-mêmes dans la salle de ses noces. Il n'en fut pas ainsi de la femme forte qui a écrasé la tête du serpent, car, entre autres éloges qui sont faits d'elle, il est dit: «Sa lampe ne s'éteindra point pendant la nuit (Pr 31,18).» C'est une allusion aux vierges folles qui, au milieu de la nuit, ou au moment où l'Époux arrivait, se plaignent, mais bien tard et disent: «Nos lampes se sont éteintes (Mt 25,8).» La glorieuse Vierge Marie s'est donc avancée avec sa lampe allumée, et fut, pour les anges eux-mêmes, un tel sujet d'étonnement, qu'ils s'écriaient: «Qu'elle est celle qui s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, et éclatante comme le soleil (Ct 6,9)?» En effet, ils voyaient briller plus que les autres celle que Jésus-Christ, son fils et Notre Seigneur, avait remplie de l'huile de sa grâce, bien plus que toutes ses compagnes.

a C'est à tort que Horstius fait dire en cet endroit à saint Bernard: «On fait une fête du jour où elle vint au monde. Enfin, etc.»




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TROISIÈME SERMON POUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE. Marie, Marthe et Lazare.


1. «Jésus entra dans une bourgade, et une femme, appelée Marthe, le reçut dans sa maison (Lc 10,38).» D'où vient, mes frères, que des deux soeurs, l'Évangéliste ne dit que d'une qu'elle reçut le Seigneur, surtout lorsque celle, qu'il nomme est la moindre des deux, car c'est Jésus lui-même qui nous atteste que Marie a pris une meilleure part que Marthe? C'est Rachel que Jacob préfère, mais on lui donne à la place Lia, sans qu'il s'en aperçoive, (Gn 29,23), et, s'il se plaint, on lui répond que ce n'est pas l'habitude de marier les filles plus jeunes avant leurs aînées. Mais si vous réfléchissez que c'est dans une maison de terre que le Seigneur est reçu, vous comprendrez que ce soit Marthe plutôt que Marie qui l'y reçoive. Quand l'Apôtre dit: «Glorifiez et portez Dieu dans votre corps (1Co 6,20),» c'est à Marthe, non à Marie qu'il s'adresse, attendu que la première sait mieux se servir de l'instrument de son corps que l'autre, pour qui il est plutôt un obstacle. Après tout, il est dit que «le corps qui se corrompt, appesantit l'âme, et cette demeure terrestre abat l'esprit par une multitude de soins qui réclament sa pensée (Sg 9,15),» il n'est point parlé de ceux qui absorbent son activité. Sur la terre, ce sera donc Marthe qui recevra le Sauveur dans sa maison: quant à Marie, elle songera bien plutôt à la manière dont elle sera reçue par lui, dans cette maison n'est pas laite de main d'homme, mais qui est éternelle dans les dieux. Peut-être, après tout, peut-on dire qu'elle a aussi reçu le Seigneur, mais qu'elle l'a reçu en esprit, car il est esprit.

2. «Elle,» c'est-à-dire Marthe, «avait une soeur du nom de Marie qui, se tenant assise aux pieds de Jésus, écoutait sa parole (Lc 10,39)» Comme vous le voyez, les deux Marie ont reçu le Verbe, l'une dans sa chair, et l'autre dans ses discours. Quant à Marthe, elle était fort occupée à préparer tout ce qu'il fallait, et, se présentant devant Jésus, elle lui dit: «Seigneur, ne remarquez-vous point que ma Soeur me laisse servir toute seule?» Vous représentez-vous des murmures dans la maison où Jésus-Christ est reçu? Oh, heureuse la maison, heureuse à jamais la communauté où Marthe se plaint de Marie, car pour ce qui est de Marie, elle ne saurait en aucun cas porter envie à Marthe, elle ne le peut point. D'ailleurs avez-vous jamais lu quelque part que Marie fût plainte de ce que sa Soeur la laissait vaquer seule à la méditation? Non certes, il s'en faut bien effet que ceux qui vaquent au service de Dieu, aspirent après les fonctions pleines de trouble de ceux de leurs frères qui ont un emploi. Toujours Marthe semblera ne pouvoir se suffire à elle-même, et, peu propre d'ailleurs à ce genre de vie, elle désire bien plutôt être chargée d'autres emplois. «Mais Jésus lui répondit: Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, et vous vous embarrassez de nous préparer plusieurs choses (Lc 10,41).» Remarquez les prérogatives de Marie, (a) et quel avocat elle trouve en toute circonstance. Si le Pharisien s'indigne, si sa Soeur se plaint, si même les disciples du Sauveur murmurent, Marie garde le silence, mais le Christ parle pour elle. «Marie a, dit-il, choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée (Lc 10,42),» jamais. Elle a choisi cet unique nécessaire, cette seule chose, que le Prophète demandait à Dieu, avec tant d'instances, quand il disait: «Je n'ai demandé qu'une seule chose au Seigneur, je ne rechercherai qu'elle (Ps 26,7).»

a Saint Bernard ne reconnaît ici qu'une seule Marie, comme dans son troisième sermon pour le sixième dimanche après la Pentecôte, et dans son quatrième sermon pour la Dédicace de l'Église, n. 3. Mais dans les douzième et treizième sermons sur le Cantique des cantiques, il laisse paraître un doute à ce sujet.

3. Mais que veulent dire ces paroles, mes frères, Marie a choisi la meilleure part ? Et que devient après cela ce que nous avons coutume de lui dire, quand il lui arrive de trouver que sa part est meilleure que celle si troublée, de la besogneuse Marthe? que devient le proverbe «l'homme qui fait du mal, vaut mieux encore que la femme qui fait du bien (Si 42,14)?» Ce mot encore, «si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera (Jn 12,26)?» Et cet autre: «Celui qui est le plus grand parmi vous, sera votre serviteur (Mt 20,26)?» D'ailleurs où sera la consolation de celle qui travaille, si on exalte la part de sa soeur au détriment de la sienne? De deux choses l'une, ou bien, il nous faut choisir tous, si cela dépend de nous, la part qui est louée en Marie, ou bien il faut reconnaître qu'elle a réuni les deux parts, en ne se précipitant point d'elle-même sur l'une des deux, et en se tenant prête à obéir au commandement du Maître, quelque chose qu'il lui ordonne. En effet, y a-t-il quelqu'un qui ressemble au fidèle David, qui aille et qui vienne, soumis avec empressement aux ordres du Roi (1S 22,14)? N'est-ce pas lui qui s'écriait: «Mon coeur est préparé, Seigneur, mon coeur est préparé (Ps 56,8)?» C'est peu d'une fois, il est deux fois préparé à vaquer au Seigneur, et préparé à servir le prochain. Voilà certainement quelle est la meilleure part qui ne doit point lui être ôtée; voilà la disposition d'esprit la meilleure, puisqu'elle ne saurait changer de quelque côté qu'on l'appelle. Il est dit: «Quiconque sert bien obtient un bon grade (1Tm 3,13),» peut-être celui qui vaque à Dieu en obtient-il un meilleur, mais celui qui obtient le grade le plus élevé, est celui qui excelle en l'un et l'autre emploi. J'ajoute encore un mot s'il m'est permis de soupçonner la pensée de Marthe. Peut-être regardait-elle sa soeur comme oisive, quand elle voulait que le Seigneur l'envoyât s'occuper avec elle. Mais il faudrait être charnel, et ne rien comprendre aux choses spirituelles de Dieu que d'accuser une âme qui vaque à Dieu de ne vaquer à rien. Que ceux donc qui penseraient ainsi, apprennent que c'est la meilleure part, celle qui demeure éternellement. En effet, ne vous semble-t-il point que l'âme complètement inhabile dans l'exercice de la contemplation de Dieu, aura une sorte de maladresse, quand elle arrivera dans le séjour où il n'y a point d'autre occupation, pas d'autre pensée, pas d'autre vie que la contemplation

4. Mais considérons, mes frères, comment une charité bien réglée a distribué trois emplois différents dans notre maison, en donnant l'administration à Marthe, la contemplation à Marie, et la pénitence à Lazare. Tout cela se trouve en toute âme parfaite; toute fois, il y en a à qui l'un ou l'autre de ces emplois conviennent mieux qu'à d'autres, en sorte que les uns vaquent à la sainte contemplation, les autres sont adonnés au service de leurs frères, et d'autres enfin, semblables aux blessés qui dorment au fond de leurs tombeaux, repassent leurs années dans l'amertume de leur âme. Voilà mes frères, oui voilà dans quels sentiments pieux et élevés Marie doit penser à son Dieu, dans quelles dispositions de bienveillance et de miséricorde, Marthe doit se trouver, par rapport au prochain, et quelles pensées humbles et misérables Lazare doit avoir de lui-même. Que chacun considère le rang où il se trouve. «Si ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, se trouvent dans ce pays-là, ils se délivreront eux-mêmes, par leur propre justice, dit le Seigneur, mais ils ne délivreront ni leur fils, ni leur filles (Ez 14,14).» Je ne flatte personne, et que personne de vous ne se flatte point non plus; ceux qui n'ont reçu aucun emploi, aucune charge à remplir, doivent se tenir assis, soit aux pieds de Jésus avec Marie, soit au fond du sépulcre avec Lazare. Et pourquoi Marthe, qui a pour fonction de s'occuper de tous les autres, ne serait-elle point affairée en mille choses? Mais à vous, qui n'avez point son emploi, il suffit de l'un des deux autres qui restent, vous n'avez point à vous montrer besogneux en quoique ce soit, mais seulement à goûter avec bonheur la présence de Dieu, ou, si vous ne le pouvez point encore, à laisser tout autre soin, pour vous replier sur vous-même, selon le mot du Psalmiste (Ps 41,7) quand il parle de lui-même.

5. Je vous le répète, mes frères, afin que vous ne puissiez alléguer votre ignorance, si vous n'avez pas mission de construire l'arche de Noé, ou de la diriger au milieu des eaux du déluge, il faut que vous soyez un homme de désirs comme Daniel, ou un homme de douleur, un homme de souffrances comme Job. Autrement, j'ai bien peur que le Seigneur ne vous trouve tièdes, que vous ne lui causiez des nausées, et qu'il ne vous rejette de sa bouche, quand il voudrait vous trouver chaud de sa considération, et brûlant du feu de son amour, ou froids par sa connaissance, et éteignant dans l'eau de la componction les traits embrasés du démon. Mais il faut que Marthe sache bien aussi elle-même que ce qu'on recherche avant tout dans les dispensateurs, c'est qu'ils se montrent fidèles (1Co 4,2); or, il en sera ainsi s'ils recherchent les intérêts de Jésus-Christ, non les leurs, s'ils ont une intention pure, s'ils font la volonté de Dieu non les leur, si enfin, leur action est bien réglée. Il s'en trouve en effet, dont l'oeil n'est pas pur; ceux-là reçoivent de suite leur récompense. Il y en a d'autres qui se laissent conduire par leurs propres mouvements, et tout ce qu'ils font est souillé par la tache de leur volonté propre qui s'y trouve imprimée. Venons-en maintenant au chant nuptial et considérons comment l'Époux, quand il appelle l'Épouse à lui, ne néglige aucune de ces trois choses; mais n'y en ajoute non plus aucune. «Levez-vous, dit-il, hâtez-vous; ma bien-aimée, ma colombe, ma belle et venez (Ct 2,10).» N'est-elle point son amie, l'âme qui ne songe qu'aux intérêts de son maître, et pousse la fidélité jusqu'à sacrifier sa vie pour lui? Car, toutes les fois que, pour le moindre de ceux qui sont à lui, elle laisse là tous les attraits pour les choses spirituelles, elle sacrifie, spirituellement parlant, sa vie, pour lui. N'est-elle pas belle cette âme qui; dans la contemplation de Dieu qu'elle voit face à face, se transforme en la même image et avance de clarté en clarté comme si elle était illuminée par l'esprit même du Seigneur (2Co 3,18)? Enfin, n'est-ce point une colombe que l'âme qui soupire et qui gémit dans le creux de la pierre, dans les trous de la muraille (Ct 2,14), comme si elle était sous la pierre du tombeau?

6. «Une femme, dit l'Évangéliste, nommée Marthe le reçut dans sa maison.» C'est évidemment l'image des religieux qui ont pour office de vaquer à différents emplois dans une pensée de charité fraternelle. Puissé-je me trouver du nombre des dispensateurs fidèles. A qui ces paroles élu Seigneur; Marthe, Marthe, vous vous embarrassez de bien des choses,» conviennent-elles mieux qu'aux supérieurs, s'ils se montrent dans leur poste, animés d'une bonne et digne préoccupation? En est-il d'autres occupés de plus de choses en même temps que ceux qui doivent embrasser dans leur sollicitude Marie, qui vaque à la contemplation, Lazare qui vaque à la pénitence, et tous ceux avec qui ils partagent leur propre fardeau? Voyez Marthe affairée, voyez Marthe occupée de mille détails, je veux dire cet apôtre qui, donnant des conseils aux prélats qui partageaient ses sollicitudes, est chargé en même temps lui-même du soin de toutes les églises. «Qui est faible, disait-il, sans que je m'affaiblisse avec lui? qui est scandalisé, sans que je brûle moi-même (2Co 11,29)?» C'est donc à Marthe qu'il appartient de recevoir le Seigneur dans sa maison, puisque c'est sur elle seule que repose l'administration de la maison entière. Il est le médiateur, et c'est à lui d'obtenir en même temps, pour lui et pour ses inférieurs, le salut et la grâce, selon ce mot de l'Écriture: «Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple; et les collines la justice (Ps 71,29).» Que ses aides reçoivent chacun en proportion de leur ministère. Qu'ils reçoivent le Christ, qu'ils servent le Christ, qu'ils lui rendent leurs devoirs dans ses membres, celui-là dans ses frères infirmes, cet autre dans les pauvres, ce dernier enfin dans les voyageurs et les étrangers.

7. Pendant que Marthe est ainsi absorbée par les mille occupations de son emploi, il faut que Marie voie comment elle vaque au sien, et reconnaisse combien le Seigneur est doux. Oui, elle doit voir avec quelle piété d'âme et quelle tranquillité d'esprit elle doit se tenir assise aux pieds de Jésus, l'avoir constamment sous les yeux, recevoir les paroles qui tombent de ses lèvres, car autant sa vue est agréable, autant ses entretiens sont doux. Une grâce admirable est répandue sur ses lèvres, et il surpasse en beauté tous les enfants des hommes (Ps 44,3), et les anges eux-mêmes. Réjouissez-vous et rendez grâces à Dieu, ê Marie, d'avoir choisi la meilleure part. Heureux, en effet, les yeux qui voient ce qu'il vous est donné de contempler, et les oreilles qui sont dignes d'entendre ce que vous entendez. Oui, heureuse êtes-vous, vous qui percevez le bruit imperceptible des entretiens divins, dans le silence où il est bon à l'homme d'attendre le Seigneur. Soyez simple, exempte non-seulement de tonte ruse et de toute feinte, mais même de nombreuses fonctions, afin de pouvoir vous livrer aux entretiens de Celui dont la voix est douce et la figure agréable à voir. Prenez garde pourtant d'abonder en votre sens, et de vouloir être plus sage qu'il ne faut, de peur qu'en poursuivant la lumière, vous ne donniez tête baissée dans les ténèbres, aveuglée par le démon du midi; mais ce n'est pas ici le moment de vous en parler. Qu'est, en effet, devenu Lazare? Où l'avez-vous déposé? C'est à ses soeurs que je le demande, à ses sueurs, dis-je, qui ont enseveli leur frère par la prédication et le ministère, par l'exemple et la prière. Où donc l'avez-vous mis? Il est placé dans la terre, au fond d'une fosse, il gît sous une pierre, il n'est pas facile de le trouver. Aussi, ne me semble-t-il pas hors de raison de réserver ce sujet pour le sermon du quatrième jour de cette octave, afin que, en entendant avec le Sauveur ces paroles: «Celui que vous aimez est malade (Jn 11,3), nous restions pour aujourd'hui au point où nous en sommes.





QUATRIÈME SERMON POUR L'ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE MARIE. Les quatre jours de l'ensevelissement de Lazare, et louange de la Vierge.

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Bernard sermons 6017