Bernard sermons 6038

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE LA DÉDICACE (a) DE L'ÉGLISE. Les cinq mystères de la Dédicace.

a Selon Chalemot, il y eut, le 13 novembre, une dédicace de la basilique de Clairvaux postérieure à celle dont saint Bernard parle dans ce sermon, attendu que la nouvelle basilique de ce monastère n'était pas encore terminée quand saint Bernard mourut. Si les sermons pour la Dédicace se trouvent placés à leur rang dans les anciennes éditions, la Dédicace de l'ancienne basilique de Clairvaux se célébrait après la fête de saint André.

1. La fête de ce jour doit nous trouver d'autant plus dévots qu'elle nous touche de plus près. En effet, si nous partageons avec toutes les autres églises les fêtes des saints, celle-ci nous est tellement propre, que, si elle n'est point célébrée par nous, elle ne l'est par personne. C'est donc notre fête, parce que c'est la fête de notre Église, mais elle l'est encore bien davantage, parce que c'est la fête de nos propres personnes. Vous êtes surpris, et vous rougissez peut-être quand vous m'entendez dire que cette fête est la fête de vos personnes, mais n'allez pas être semblables au cheval et au mulet qui n'ont point d'intelligence. Quelle sainteté peuvent avoir ces pierres pour que nous fassions une fête pour elles? Si elles sont saintes, ce n'est qu'à cause de vos corps. Or, y a-t-il quelqu'un qui doute que vos corps soient saints, quand ils sont les temples de, l'Esprit-Saint, en sorte que chacun de vous doit savoir posséder le vase de son corps dans la sainteté (1Th 4,4)? Ainsi vos âmes sont saintes parce que l'Esprit de Dieu habite en volts; vos corps sont saints parce qu'ils sont la demeure de vos âmes, et eut édifice est saint à cause de vos corps qui le fréquentent. Celui qui disait «Gardez mon âme, Seigneur, parce que je suis saint (Ps 86,2),» était encore dans une chair corruptible, dans un corps de péché, où son aine avait même commis l'énorme crime de l'adultère. Dieu est admirable dans ses saints, non-seulement dans les saints qui sont au ciel, munis encore dans ceux qui sont sur la terre. Puisqu'il a des saints dans l'un et dans l'autre endroit, il est admirable dans les uns, en les rendant bienheureux, et dans les autres, en les rendant saints.

2. Voulez-vous que je vous donne une preuve de la sainteté dont je vous parle, et que je vous montre les miracles des saints d'ici-bas? Or, il y en a beaucoup parmi vous qui, après avoir pourri sur leurs péchés et sur leurs vices, comme des bêtes de somme sur leur fumier, ont eu le courage de les quitter, et résistent maintenant avec forces à leurs attaques quotidiennes, selon ce mot de l'Apôtre qui dit, en parlant des saints: «Ils ont guéri de leur maladie, et sont devenus forts dans les combats (He 11,34).» Peut-on voir quelque chose de plus admirable que ces hommes qui, après avoir eu bien de la peine à passer deux jours seulement, loin de la luxure, des excès de la bonne chère, des délices de la table, de l'ivresse, dès débauches, des impudicités et de mille autres vices pareils, s'en tiennent maintenant éloignés des années, une vie tout entière? Où trouver un plus grand miracle que celui de tant de jeunes gens, de tant d'adolescents, de tant de nobles, de tous ceux, en un mot, que je vois là rester captifs, sans liens, dans une prison ouverte, où la seule crainte de Dieu les retient, et qui persévèrent dans les exercices pénibles de la pénitence, au delà de toute force humaine, malgré la nature et en dépit de toute habitude? Vous voyez, vous-mêmes, je pense, quels miracles il nous serait possible de trouver s'il nous était permis de rechercher eu détail comment chacun de vous a quitté l'Égypte pour entrer dans le désert, c'est-à-dire comment chacun a renoncé au siècle, est entré dans ce monastère, et quel genre de vie il y mène maintenant. Qu'est-ce que tout cela, mes frères, sinon des preuves manifestes que le Saint-Esprit demeure en vous? En effet, ce qui prouve qu'il y a une âme dans un corps, c'est la présence des esprits vitaux dans ce corps, de même ce qui, montre que le Saint-Esprit habite dans une âme, c'est la vie spirituelle de cette âme: or, l'une se reconnaît à l'ouïe et à la vue, et l'autre se juge à la charité, à l'humilité et aux autres vertus.

3. Ainsi, mes frères bien-aimés, cette fête est votre fête, c'est vous qui avez été dédiés à Dieu, c'est proprement vous qu'il a choisis et qu'il a priés, comme le dit le Prophète quand il s'écrie: «C'est à vous, ô mon Dieu, que le pauvre a été laissé, et c'est vous qui serez le protecteur de l'orphelin (Ps 9,38 Ps 10,34).» Quel bon échange vous avez fait, nies bien-aimés, quand vous avez renoncé à tout ce que vous pouviez posséder dans le monde, pour appartenir en propre à l'auteur même du monde, et pour posséder vous-mêmes également en propre celui qui est, sans aucun doute, la part de l'héritage des siens! En effet, on ne saurait dire avec l'enfant d'iniquité. «Bienheureux le peuple à qui tout cela,» c'est-à-dire les biens temporels que Dieu avait promis à son peuple, «appartient, qui a des celliers bien remplis et regorgeant les uns dans les autres (Ps 144,13),» el, le reste. Non il n'est pas heureux celui qui possède toutes ces choses, mais «Heureux seulement est celui dont le Seigneur est le Dieu.» Voyez donc s'il n'est pas juste que nous fassions un jour de fête du jour où il a pris possession de nous, s'est investi de nous par ses ministres et ses vicaires, et a accompli la promesse qu'il a faite autrefois en disant: «Au milieu d'eux, c'est moi qui serai leur Dieu (Za 2,5).» quant à nous, nous sommes son peuple, et les brebis de son troupeau. Car le jour où cette maison a été dédiée au Seigneur par la main de ses pontifes, c'est évidemment pour nous qu'elle le fut, et non-seulement c'est pour nous qui étions présents à cette cérémonie; mais pour tous ceux qui, jusqu'à la fin des siècles, viendront s'engager ici dans la milice du Seigneur,

4. Il faut donc que s'accomplisse spirituellement dans nos âmes ce qui a commencé par se faire sous nos yeux sur les murs; si vous me demandez de quoi je veux parler, c'est de l'aspersion, de l'inscription, de l'onction, de l'illumination et de la bénédiction, car voilà ce que les pontifes ont fait dans cette demeure visible, et c'est là ce que Jésus-Christ, le pontife des biens futurs, opère tous les jours invisiblement en nous. Et d'abord, il nous asperge avec de l'hysope pour notes purifier, nous laver et nous blanchir, afin qu'on puisse dire de notre âme: «Quelle est-elle celle qui monte ainsi dans sa blancheur (Ct 8,5)?» Il nous lave, dis-je, dans la confession, il nous lave dans 1a pluie de nos larmes, il nous lave dans la sueur de la pénitence, mais il nous lave surtout dans une eau bien précieuse, dans l'eau qui s'écoule d'une source de bonté, je veux dire de son coeur. Il nous arrose avec l'hysope qui est une plante petite et purgative et avec l'eau de la, sagesse qui est la crainte du Seigneur, le commencement de la sagesse et la source de la vie; il y ajoute lui peu de sel, afin que par l'espérance et la dévotion, notre crainte perde son insipidité. Ce n'est pas tout, mais le Seigneur trace en nous une inscription avec le doigt dont il chassait les démons, évidemment dans le Saint-Esprit. Il trace, dis-je, en nous, sa loi, non plus sur dus tables de pierre, mais sur les tables de chair de notre coeur; voilà comment il accomplit la promesse qu'il avait faite de nous ôter notre coeur de pierre pour nous en donner un de chair (Ez 11,19), c'est-à-dire un coeur qui ne fût ni dur ni obstiné, ni judaïque; mais qui fût pieux, doux, facile, et dévot. «Seigneur, heureux l'homme que vous avez vous-même instruit de la loi (Ps 94,12).» Oui, heureux, dirai-je, ceux qui en sont instruits et qui «se souviennent de ses préceptes,» mais «pour les accomplir (Ps 103,18).» Car «celui gui sait le bien qu'il doit faire et nu le fait pas, est coupable de péché (Jc 4,17),» et «le serviteur qui aura connu la volonté de son maître et ne l'aura pas faite, sera battu de plusieurs coups (Lc 12,47).»

5. Il faut donc que l'onction spirituelle de la grâce vienne aider notre faiblesse et adoucir, par sa pieuse vertu, la croix de nos observances et de toutes nos pénitences; car on ne, saurait sans la croix, suivre le Christ, non plus que supporter les aspérités de la croix sans l'onction de la grâce. Voilà ce qui fait qu'il y en a tant qui ont horreur de la pénitence et la fuient, c'est qu'ils ne voient que la croix et ne voient point l'onction. Mais vous qui la connaissez par votre propre expérience, vous savez à présent que notre croix ne va point sans l'onction, et que parla grâce du Saint-Esprit qui vient à notre aide, notre pénitence est douce et délectable, eu sorte que, s'il m'est permis de parler ainsi, notre amertume est très-douce. Après l'onction de la grâce, le Christ ne va point placer son flambeau sous le boisseau, mais sur le chandelier, attendu qu'il est temps alors que notre lumière apparaisse aux yeux des hommes, qu'ils voient nos bonnes oeuvres et glorifient notre Père qui est dans les cieux (Mt 5,16).

6. Il ne nous manque plus que la bénédiction que nous attendons pour la fin, alors que, ouvrant si main, il remplira tout être vivant de sa bénédiction. Les quatre premières cérémonies sont les mérites, la récompense est la bénédiction. Le comble de la grâce de la sanctification se trouve, en effet, dans la bénédiction, alors que nous passerons dans une maison qui n'est point faite de main d'hommes, mais qui est éternelle et dans les cieux, une maison construite avec des pierres vivantes, je veux dire avec les anges et les hommes, car la construction et la dédicace s'en feront en même temps. Les poutres et les pierres qui ne sont point rapprochées ne sauraient faire une maison, et personne ne, peut habiter au milieu de ces matériaux, il n'y a que leur réunion qui fasse une maison. C'est ainsi que l'union parfaite des esprits célestes, rapprochés les uns des autres sans aucun intervalle qui les sépare, forme, pour Dieu, une demeure entière et convenable que le séjour de la glorieuse majesté de Dieu remplit d'un bonheur ineffable. Qu'est-ce qui posséderait aussi bien tous les secrets des rois, qui connaîtrait aussi parfaitement leurs pensées et leurs discours que les bois et les pierres de leur palais, s'ils étaient doués d'intelligence? Aussi, les pierres vivantes et raisonnables du royal palais des cieux assistent-elles aux conseils de Dieu, connaissent-elles les mystères de la Trinité, et entendent-elles les paroles ineffables qu'il n'est point donné à l'homme de reproduire. «Heureux ceux qui demeurent dans votre maison, Seigneur, ils vous loueront dans les siècles des siècles (Ps 133,5);» car plus ils voient, comprennent et connaissent, plus aussi ils aiment, louent et admirent.

7. J'ai dit que cette maison est parfaitement unie dans toutes ses parties, et que les matériaux en sont étroitement rapprochés. Il ne me reste plus qu'à vous expliquer ce que j'entends par cette union et ce rapprochement. Nous lisons dans le prophète Isaïe. «Le ciment est bon (Is 41,7);» il est double, car les pierres de l'édifice sont scellées en même temps par une connaissance pleine et entière et par une charité parfaite. Elles sont même d'autant plus étroitement unies entre elles qu'elles sont plus rapprochées de la charité, qui n'est autre que Dieu. Il n'y a pas de soupçon assez fort pour les séparer les unes des autres, car les rayons pénétrants de la vérité ne permettent pas que ce qui existe dans l'une d'elles soit caché pour les autres. De plus, comme «quiconque demeure attaché. à Dieu ne fait plus qu'un seul et même esprit avec lui (1Co 6,17),» on ne saurait douter que les esprits bienheureux qui sont parfaitement unis à lui, ne pénètrent également toutes choses avec lui et en lui. Si vous désirez arriver à cette maison, que votre âme soupire après les tabernacles du Seigneur, et tombe en défaillance parla force de ses désirs (Ps 84,2), selon ces paroles du Prophète: «Je n'ai demandé qu'une chose au Seigneur et ne désire rien de plus, c'est d'habiter dans sa maison tous les jours de ma vie (Ps 27,4).» Imitez même ce prophète qui «fit un serment au Seigneur et un voeu au Dieu de Jacob, en disant: Si je puis entrer dans le secret de ma demeure, etc. (Ps 132,2).» Mais laissons ces considérations pour une autre instruction, selon ce que le Seigneur même m'inspirera de vous dire.





6039

DEUXIÈME SERMON POUR LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE. Comment nous devons être unis avec nous et avec les autres.


1. Un jour, un roi glorieux, un prophète du Seigneur, un saint, David, se sentit ému à la pensée pleine de piété qu'il était indigne que le Seigneur de Sabaoth n'eût point encore de demeure sur la terre, tamis qu'il avait lui-même un palais digne de la majesté royale (2S 7,2 1Ch 17,1). Voilà, mes frères, ce qui doit aussi nous préoccuper dans une pensée de foi, et ce à quoi nous devons également travailler avec courage. Mais si, en même temps que la pensée du Prophète plaisait au Seigneur, cependant l'accomplissement en fut réservé à Salomon, cela tient à des causes qu'il serait trop long de vous expliquer en ce moment. Pour toi, ô mon âme, tu habites dans une maison élevée que le Seigneur lui-même a construite pour toi. Je veux parler de ton corps qu'il a pris la peine de si bien construire, approprier à son usage, embellir et distribuer qu'il en a fait pour toi une demeure aussi belle que commode. Et pour ton corps lui-même, il lui a construit aussi une demeure aussi vaste que belle et bien disposée, je veux parler de ce monde sensible et habitable. N'y aurait-il donc point une sorte d'inconvenance, qu'après avoir construit une habitation pour toi, tu ne songeasses point à lui élever un temple à ton tour. Pour toi, tu as encore une demeure, mais sois sûre quelle ne peut tarder à s'écrouler, et que si tu n'a pas soin de t'en préparer une autre, tu vas te trouver exposée à la pluie, au vent et au froid. Mais, hélas! qui pourra supporter la rigueur de son froid (Ps 147,6)? Heureuse donc et mille fois heureuse l'âme qui peut dire: «Nous savons que si cette maison de terre où nous habitons, vient à s'écrouler, Dieu nous en donnera une autre dans le ciel qui ne sera point faite de main d'homme et qui durera éternellement (2Co 5,1).» Aussi, ô mon âme, ne permets pas à tes yeux de goûter le sommeil ni à tes paupières de se fermer (Ps 132,3), que tu n'aies trouvé un lieu convenable pour le Seigneur et dressé une tente pour le Dieu de Jacob.

2. Mais à quoi pensons-nous, mes frères? Où trouverons-nous un endroit convenable pour cet édifice et quel en sera l'architecte? Car si ce temple visible est fait pour nous, pour nous abriter, le Très-Haut n'habite point dans des édifices construits de main d'hommes. Quel temple pourrons-nous donc construire à celui qui a dit, mais qui l'a dit avec vérité: «Je remplis la terre et les cieux (Jr 23,24)?» Je serais dans un grand embarras, et mon esprit serait à la torture si je ne lui entendais dire: «Mon Père et moi, nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure en lui (Jn 14,13).» Je sais donc à présent où je dois lui préparer une demeure, il ne peut habiter que dans son image. Mon âme étant créée à son image est capable de le contenir. Hâtez-vous donc, ô Sion, et préparez votre chambre nuptiale, car le Seigneur a placé ses complaisances en vous, et votre contrée va se trouver habitée. Oui, réjouissez-vous de toutes vos forces, ô fille de Sion, votre Dieu va demeurer en vous. Dites-lui avec Marie: «Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (Lc 1,38).» Écriez-vous avec sainte Élisabeth: «D'où me vient cet honneur, que la majesté de mon Seigneur vienne à moi (Lc 1,43)?» Quelle n'est point, en effet, la bonté de Dieu, quelle n'est point sa condescendance; quelles ne sont point la dignité et la gloire de nos âmes, pour que le Seigneur de toutes choses, qui n'a besoin de rien, veuille qu'elles lui servent de temple

3. Aussi, mes frères, travaillons dans toute l'ardeur du désir et avec ries actions de grâces, à lui élever un temple au dedans de nous; faisons en sorte qu'il habite d'abord en chacun de nous, et ensuite en nous tous, car il ne dédaigne de demeurer ni en chacun de nous individuellement, ni en nous tous à la fois. En premier lieu, chacun de nous doit faire en sorte de ne point sortir hors de soi, attendu que tout royaume qui se divise sera désolé, et toute maison qui se sépare d'elle-même ne peut que tomber en ruine (Mt 12,25). Or le Christ n'entrera jamais dans une demeure dont les murs s'écartent et dont les pignons penchent (Ps 61,3). Est-ce que notre âme ne veut pas que la maison de son corps soit bien entière, n'est-elle pas contrainte de l'abandonner, dès que ses membres sont dispersés? C'est donc à elle de faire en sorte, si elle veut que le Christ habite dans son coeur, c'est-à-dire en elle par la foi, que ses membres, c'est-à-dire sa raison, sa volonté et sa mémoire ne soient point détachés les uns des autres. Qu'elle prenne donc garde que la raison soit exempte d'erreurs et soumise à la volonté, car telle est la raison qui plait à la volonté; que sa volonté soit exempte de toute iniquité, car la raison n'approuve point d'autre volonté que celle-là. Autrement, si l'âme se juge et se condamne à cause de l'iniquité de sa volonté en tant qu'elle est raisonnable et se juge, c'est la guerre intestine et un désaccord plein de danger pour elle, car la raison ne peut faire autrement que de flétrir, d'accuser, de juger et de condamner une semblable volonté. Voilà pourquoi le Seigneur a dit dans son Évangile: «Mettez-vous d'accord avec votre adversaire, pendant que vous êtes encore en chemin avec lui, de peur qu'il ne vous traduise devant le juge, et que le juge ne vous abandonne aux mains des bourreaux et que vous ne soyez jeté en prison (Mt 5,25).» Que votre mémoire aussi soit sans souillure, qu'il né reste pas lui seul péché en elle qui ne soit effacé par une confession sincère et par de dignes fruits de pénitence. Autrement, la volonté ne peut que haïr, et la raison né peut qu'exécrer une conscience où se cache le péché On peut donc dire qu'on prépare une bonne demeure à Dieu, quand la raison n'est point trompée, quand la volonté n'est pas pervertie, quand enfin la mémoire n'est pas souillée.

4. Lorsque chacun se trouve dans ces dispositions, il faut nous réunir et nous cimenter les uns aux autres par la vertu de la charité mutuelle qui est le lien même de la perfection. Dans cette vie, on ne saurait avoir une connaissance parfaite les uns des autres, peut-être même ne faut-il pas que ce soit, car si la nourriture de la charité dans le ciel est précisément cette connaissance-là, ici-bas elle, ne pourrait en être que le poison. En effet, qui peut se flatter d'avoir le coeur chaste? Il y aurait, donc confusion pour l'un à être connu, et danger pour l'antre à connaître. Il n'y aura de bonheur à connaître que là où on sera sans souillure. La demeure où il en sera ainsi est bien plus solidement construite, parce qu'elle doit durer éternellement, mais celle-ci, semblable à la tenté du soldat, est bien plus solidement établie. La première est la demeure de la joie, la seconde est celle de la guerre, l'une est remplie de louanges; l'autre de prières. Celle-là, dis-je, est la cité de notre vaillance, celle-ci, au contraire, est le séjour de notre repos. Si donc nous vainquons ici-bas, nous serons dans la gloire là-haut, après avoir échangé notre casque contre une; couronne, notre glaive contre une palme et un sceptre, notre bouclier contre un manteau d'or, et notre cuirasse contre une robe de bonheur. En attendant, mieux vaut souffrir que périr, supporter le poids de son bouclier et de sa cuirasse que d'être percé par les traits enflammés du Malin, dont je prie de nous garder, par sa protection céleste, celui qui est béni pour les siècles. Ainsi soit-il.





6040

TROISIÈME SERMON POUR LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE. Les trois apprêts que nous devons faire pour la garde de Dieu.


1. Cet édifice, mes frères, est la forteresse du Roi éternel, mais sa forteresse assiégée par les ennemis. Par conséquent nous tous, tant que nous sommes, qui lui avons prêté serment, et qui avons donné nos noms à sa milice, nous avons trois sortes d'apprêts à faire pour la garde de son camp; il faut, en effet, préparer nos fortifications, nos armes et nos vivres. Or, que faut-il entendre par nos fortifications? Le Prophète nous répond: «Sion est votre ville forte, le Sauveur en sera lui-même le mur et le boulevard (Is 26,1).» Le mur est la continence, et le boulevard est la patience. La continence est un mur excellent, car elle nous entoure et nous enceint si parfaitement qu'elle ne laisse d'accès à la mort ni par l'ouverture de nos yeux, ni par aucun autre sens. La patience de son côté fait un bon boulevard pour, soutenir les premiers assauts des ennemis, nous faire demeurer fermes avec constance au milieu des nombreuses épreuves qui nous assaillent, et rester inébranlables aux coups, jusqu'à la fin. En effet, l'unique remède, tant, que la continence est battue en brèche et semble menacer ruine, c'est d'opposer la patience et, au milieu même des plus grandes ardeurs du péché, de refuser avec constance toute espèce de consentement. Il est dit, en effet «C'est dans la patience que vous posséderez vos âmes (Lc 21,19).» Ainsi c'est le Sauveur lui-même qui est le mur et le boulevard de sa propre cité, attendu que; non-seulement il est la justice du Père pour nous, mais encore la patience du Prophète, selon ces paroles: «Vous êtes ma patience, Seigneur (Ps 71,5).» Or le mur c'est pour le genre de vie, le boulevard c'est pour la souffrance, l'un nous sépare de tous les attraits de la chair et du monde, l'autre nous fait tenir bon contre toutes les contradictions.

2. Il nous faut aussi préparer des armes; mais ce sont des armes spirituelles qui tirent toute leur puissance de Dieu, non-seulement pour résister, mais aussi pour attaquer, pour débusquer même vaillamment l'ennemi. «Revêtez-vous de l'armure de Dieu, etc. (Ep 6,10),» dit l'Apôtre. A quoi pensons-nous, mes frères? Les efforts de notre en sont puissants, mais notre prière est bien plus puissante encore. Ses méchancetés et ses ruses nous blessent, mais notre simplicité et notre miséricorde le blessent bien davantage; notre charité le brûle, notre douceur et notre obéissance le crucifient. Nous ne saurions non plus être contraints, par la famine, de rendre le camp du Seigneur aux ennemis; attendu que, grâce à Dieu, nous ne sommes point sous le coup de la terrible menacé de la faim et de la soif que fait entendre le Prophète, ou plutôt le Seigneur lui-même, par la bouche de son Prophète (Am 8,11). Il n'était pas question de la disette de pain et d'eau seulement, mais du manque de la parole de Dieu. Or, il est dit «Ce n'est pas de pain seulement que vit l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Mt 4,4 Dt 8,3).» Les vivres ne nous font donc point défaut, car nous entendons souvent des sermons, plus souvent encore des lectures sacrées; parfois aussi nous goûtons aux délices spirituelles de la dévotion, comme les petits chiens mangent les morceaux qui tombent de la table de leurs maîtres, je veux dire de la table de ces célestes convives qui se rassasiant de l'abondance de la maison de leurs maîtres. Nous avons encore le pain des larmes, il est peut-être moins agréable au goût, mais il n'en fortifie pas moins le coeur de l'homme. Nous avons le pain de l'obéissance dont le Seigneur parlait à ses disciples, quand il disait: «Ma nourriture à moi, c'est de faire la volonté de mon Père.» Enfin, par dessus tout, nous avons le pain vivant du ciel, le corps de notre Sauveur; or la force de ce pain renverse, à elle seule, toute celle de nos ennemis.

3. Telle est donc la force du camp du Seigneur que nous n'avons absolument rien à craindre, pourvu toutefois que nous voulions nous conduire avec fidélité et vaillance, c'est-à-dire, que nous ne nous montrions ni traîtres, ni tremblants, ni lâches. Or, on est traître quand on médite le projet de donner, aux ennemis du Seigneur, accès dans son camp, comme le font les détracteurs, ces hommes odieux à Dieu, qui sèment la discorde et nourrissent les scandales parmi leurs frères; car, si le Seigneur ne trouvé place que dans la paix, il est évident que la discorde est le milieu où se plaît le démon. Ne soyez pas surpris, mes frères, si mes paroles sont un peu dures, la vérité ne flatte personne. Ce seraient encore des traîtres, dans la force du ferme, tous ceux qui tenteraient, Dieu nous en préserve, d'introduire le vice dans cette maison et de changer ce temple en une caverne de voleurs. Grâce à Dieu, je n'en vois pas beaucoup ici qui soient dans ce cas: pourtant, j'en trouve de temps en temps qui ont des intelligences avec les ennemis, et font alliance avec la mort, c'est-à-dire qui tâchent d'affaiblir, autant que cela est en eux la discipline de notre ordre, d'en diminuer la ferveur, d'en troubler la paix et d'en blesser la charité. Mettons-nous en garde contre eux autant qu'il nous sera possible, comme il est écrit que Jésus le faisait pour quelques uns «à qui il ne se confiait point (Jn 2,24).» Je vous déclare que, si pour le moment, vous les portez sur vos épaules, ils ne tarderont point à porter eux-mêmes, à moins qu'ils ne se hâtent de se convertir, une sentence aussi accablante qu'est grave le mal qu'ils veulent faire. Eh quoi, mon frère, c'est la vanité, la tiédeur, ou tout autre vice qui ont votre foi, si on en juge à vos oeuvres, et vous mentez à Dieu par votre tonsure? Quel beau camp vous avez enlevé au Christ, si vous réussissez à livrer ce Clairvaux à ses ennemis! Il en tire tous les ans des revenus aussi beaux que précieux à ses yeux, en même temps qu'il y apporte, comme dans une place fortifiée, une quantité de butin fait sur l'ennemi et l'y dépose avec une confiance entière dans la force de ce camp. En effet, vous y voyez réunis tous ceux qu'il a rachetés des mains de l'ennemi et qu'il a ramenés des régions lointaines, du Levant et du Couchant, du côté dé l'Aquilon et du côté de la mer. Or, je vous le demande, à quels supplices pensez-vous qu'il condamne le traître qui livrera ce camp une fois qu'il l'aura surpris et pris; car il ne saurait longtemps se cacher de lui et lui échapper? Certainement il ne le condamnera point -à une mort ordinaire et commune, mais il ne peut manquer de le faire périr, dans les tourments tes plus recherchés. Mais je <ne veux point m'arrêter plus longtemps sur ces pensées. Je crois que nous -réussirons mieux désormais à nous garder d'une aussi exécrable trahison, si nous veillons avec plus de soin que jamais, non-seulement à ne point attirer, mais encore à repousser les vices quels qu'ils soient, les vices de la chair aussi bien que ceux du monde, afin dé ne point nous attirer la note et le châtiment des traîtres.

4. En second lieu, il faut encore prendre garde de ne point se laisser abattre par la crainte, au point de s'éloigner des fortifications et de trembler là où il n'y a pas lieu à trembler, et de se montrer dans une sécurité, insensée là, au contraire, où le péril est extrême. Quiconque, s'enfuit de nos retranchements court au devant des glaives de l'ennemi, et va se jeter dans ses mains, comme s'il ignorait que ses adversaires manquent absolument de pitié, et que, s'ils sont cruels envers ceux qui ne leur appartiennent pas, ils le sont bien davantage encore envers les leurs, attendu qu'ils le sont à l'excès pour eux-mêmes.

5. J'arrive en deux mots à un troisième danger qui vous menace, car l'heure passe pendant que, soucieux de votre salut, comme il n'est que trop juste que je le sois, je m'occupe de vous indiquer les différents remèdes qui conviennent à vos différentes maladies morales. A quoi vous servira-t-il, en effet, de ne point trahir le camp, et de ne pas vouloir non plus vous en éloigner, si vous n'y demeurez que pour vous y montrer lâches ou séditieux? Je vous eu prie donc, mes bien chers frères, efforçons-nous de toute notre âme et de toute notre énergie, de garder le camp que notre Seigneur et Roi a confié à nos soins, en nous montrant pleins de vigilance contre toutes lés ruses de l'ennemi et prêts contre tous ses stratagèmes, selon ce mot de l'Écriture: «Résistez an diable et il s'éloignera de vous (),» et cet autre: «Si le Seigneur lui-même ne garde la cité, c'est en vain que la sentinelle veille sur ses murailles (Ps 136,1):» humilions-nous sous la main puissante du Très-Haut, remettons nos personnes et cette maison avec une entière dévotion entre les mains de sa miséricorde, afin qu'il nous garde lui-même des embûches de nos ennemis pour la louange et la gloire de son nom qui est béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





6041

QUATRIÈME SERMON POUR LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE. Sur les trois demeures.


1. Ce jour retentit de nos voeux et de nos louanges, il est pour nous un jour de joie et de fête. Or, comme il ne convient pas à des religieux ni à des hommes sages d'ignorer ce qu'ils célèbrent ou de célébrer ce qu'ils ignorent, il faut rechercher en l'honneur de quel ou quels saints nous faisons cette fête. Je n'oserais vous dire ma pensée à moi sur ce sujet, écoutez plutôt ce qu'en a pensé un antre dont le témoignage est plus grand que le mien et vous semblera plus digne de créance. Peut-être, en voyant devant vos yeux cette église dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire du jour de sa dédicace, vous étonnez-vous de ce début de mon discours. En effet, pourquoi n'appellerions-nous pas saintes ces murailles que la main sainte des pontifes a sanctifiées par de si grands mystères? Depuis ce jour, on n'a plus entendu dans ces murs que le bruit, des saintes lectures et que les pieux murmures des saintes prières; on n'y a plus honoré que la bienheureuse présence des saintes reliques, et les saints anges n'ont plus cessé d'y monter une garde infatigable. Peut-être, me direz-vous, si tout le reste est évident, où est celui qui a vu ici les anges monter leur garde vigilante? Si vous ne les voyez pas, celui du moins qui les envoie à ce poste les voit. Or, qui est-il celui-là? C'est celui qui a dit par le Prophète: «C'est moi qui ai placé des sentinelles sur tes murs, ô Jérusalem (Is 62,6).» Il y a bien une Jérusalem en haut qui est libre et qui est notre mère: ne croyez pas que c'est sur ses murs que le Seigneur a placé des sentinelles, car, en parlant de celle-là, le Prophète a dit «le Seigneur a fait régner la paix jusque aux confins de tes états (Ps 147,14).» Si vous hésitez à croire que ce soit d'elle qu'il ait parlé en ces termes, prêtez encore l'oreille et écoutez ce qui est dit dans les lignes qui suivent les paroles du premier (les deux prophètes que je viens de vous citer. «Ces sentinelles ne se tairont jamais ni le jour ni la nuit (Is 62,6).» par où on voit clairement qu'il ne s'agit point là de la Jérusalem dont on lit quelque part: «Ses portes ne seront point fermées à la fin de la journée, car il n'y aura point de nuit pour elle (Ap 21,25).» Cette dernière Jérusalem ne connaît donc point de changement, et n'a pas besoin de sentinelles. Les gardes sont faits plutôt pour nos jours et pour nos nuits. «C'est moi qui ai placé des sentinelles sur tes murs, ô Jérusalem.»

2. Vous êtes leur Seigneur, et vous ne pouvez vous contenter d'une aussi faible garde pour vos murs, et vous doublez la garde des hommes que vous avez chargés de veiller sur les autres, de la garde des anges pour la défense de vos murs et la protection de ceux qu'ils abritent. Il en est ainsi, ô Père, parce qu'il vous plait qu'il en soit de la sorte, et parce qu'il nous est utile que cela soit ainsi. Notre ministère est insuffisant, si vous n'envoyez avec nous et pour nous quelques uns de ces esprits dont vous faites vos ministres, afin que nous puissions obtenir l'héritage du salut. Qu'importe donc que nous ne les voyions point à l'oeuvre, si nous éprouvons leur assistance? Qu'importe que nous ne jouissions point de leur présence, si nous en sentons les effets? C'est bien là le cas de reconnaître que les choses invisibles sont préférables aux visibles, car ce qu'on voit est temporaire, tandis que ce qu'on ne voit point est éternel. D'ailleurs, c'est dans les choses invisibles que se trouve la cause des choses visibles, selon ce mot de l'Apôtre: «ce qu'il y a d'invisible en Dieu, est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que. ses créatures nous en donnent (Rm 1,20). «C'est ainsi que, autrefois, le Seigneur confondit les blasphèmes des Juifs à l'occasion de la rémission invisible des péchés par le miracle visible de la santé rendue au corps sous leurs yeux. «Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, il dit au paralytique, levez-vous, je vous le commande, emportez votre lit, et allez-vous-en dans votre maison (Mc 2,10).»

3. C'est de la même manière que, pour mettre un terme aux murmures du Pharisien contre le médecin qui opérait le salut, et aux paroles désobligeantes qu'il faisait entendre contre la pauvre malade que Jésus avait sauvée, que le Seigneur le confond par des signes extérieurs, en lui énumérant toutes les déférences de cette femme pour lui (Lc 7,38 et sequ.). Il se trompait ce Pharisien, en la regardant..: encore comme une pécheresse, quand elle demeurait prosternée aux pieds du Seigneur qu'elle arrosait de ses larmes, essuyait de ses cheveux, couvrait de ses baisers, et inondait de ses parfums. Pourquoi donc rappeler des fautes maintenant effacées, pourquoi lui faire un reproche de ce qu'elle touche le Seigneur, pourquoi la traiter encore en pécheresse puisqu'elle déplore les fautes qu'elle a commises, et déteste son iniquité, puisqu'elle baise les pieds du Seigneur et se prend d'amour pour la justice, puisqu'elle les essuie de ses cheveux, et montre son humilité; puisqu'elle les inonde de ses parfums et fait éclater sa douleur à tous les yeux? Est-ce que le péché peut encore régner dans un coeur contrit, dans une âme qui gémit? et une grande charité ne peut-elle point couvrir une multitude de péchés? «Beaucoup de péchés lui ont été pardonnés parce qu'elle a beaucoup aimé (Lc 7,47).» Il n'est donc pas exact à toi, ô Pharisien, de la réputer pécheresse encore, elle mérite le nom de sainte disciple du Christ, dont elle a appris en si peu de temps à devenir, elle aussi, douce et humble de coeur. Tu as pourtant lu dans un prophète: «changez les impies et ils ne seront plus impies (Pr 12,7),» mais tu n'y as fait aucune attention. Ainsi en est-il, mes frères bien aimés, ainsi en est-il de l'antique accusateur de ses frères, s'il vous reproche vos péchés passés dont vous avez honte -aujourd'hui, prêtez l'oreille aux belles consolations que l'Apôtre vous prodigue en disant: «Voilà, en effet, ce que vous avez été autrefois, mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés (1Co 6,11),» et encore: «maintenant le fruit que vous recueillez de votre pénitence, c'est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle (Rm 6,22).»Dans un autre endroit il est même encore plus explicite, car il dit: «Le temple de Dieu est saint; or c'est vous qui êtes ce temple (1Co 3,17).

4. Celui qui parle ainsi c'est le môme que celui qui nous avons cédé la parole, par respect, au commencement de ce sermon, quand nous nous demandions quels sont les saints dont nous faisons aujourd'hui la fête avec tant de pompe. Quoique ces murailles soient appelées saintes, et soient eu effet sanctifiées par a consécration des évêques, par la lecture habituelle de l'Écriture Sainte, par des prières assidues, par la présence des reliques des saints et la visite des anges, il ne faut pourtant point en conclure que leur sainteté est l'objet de nos hommages, en tant que murailles, puisque nous savons sans en douter qu'elles ne sont point sanctifiées pour elles. Ainsi, si cette maison est sainte, c'est à cause de la présence de nos corps, si nos corps sont saints c'est à cause de nos âmes, et si nos âmes sont saintes c'est à cause du Saint-Esprit qui habite en elles. On ne saurait en douter, puisque nous avons des signes visibles de sa grâce invisible pour notre bien, je veux parler de la grâce par laquelle, à l'exemple du paralytique de l'Évangile, vous vous levez, et, chargeant, avec facilité, sur les épaules de votre âme, le grabat de votre corps où vous étiez étendus languissants, vous retournez ensuite dans votre demeure, je veux dire dans la demeure dont vous parlez quand vous vous écriez avec le Prophète: «Nous irons dans la maison du Seigneur (Ps 122,1).» O maison admirable, demeure préférable aux tentes les plus délicieuses, aux portiques les plus dignes d'envie. «Seigneur des vertus, que vos tabernacles sont aimables! mon âme désire ardemment, elle brûle d'être dans la maison du Seigneur (Ps 84,1),» aussi «heureux sont ceux qui habitent dans vos demeures; ils vous loueront dans les siècles des siècles (Ps 84,5).» En effet, on a raconté de vous, ô cité de Dieu, des choses glorieuses (Ps 86,2). Dans les tentes est le séjour des gémissements et de la pénitence, dans les portiques, le goût de la joie, mais il n'y a qu'en vous, cité de Dieu, que se trouve la satiété de la gloire; Le premier de ces trois séjours, celui d'en bas est la demeure de la prière; celui du milieu est la demeure de l'attente, et vous, vous êtes le séjour de l'action de grâce et de la louange. Heureux par conséquent ceux qui, ici-bas, s'éloignent du mal qui est le péché, et font le bien, afin que dans le second séjour ils soient délivrés du mal qui est la peine du péché, et soient enfin admis au sein du bonheur en vous, ô cité de Dieu. Dans le premier de ces trois séjours se trouvent les prémices de l'esprit, dans le second, la richesse, en vous seul, la plénitude; c'est là qu'est la bonne mesure, la mesure foulée et agitée, la mesure qui déborde dans notre sein. Ici on devient saint, là on entre dans la sécurité, et en sous, cité de Dieu, on est dans la béatitude. Les prémices de l'esprit qui nous sont données ici-bas, pendant la lutte que nous avons à soutenir, c'est la sainteté de la vie, la piété dans l'intention, la vertu dans la lutte. Or, par la sainteté de la vie, il faut entendre les fruits de la pénitence et la pratique corporelle des divers commandements de Dieu. Mais comme tout cela, si l'oeil n'est simple et pur, ne peut être simple, il faut absolument qu'il s'y ajoute la piété d'intention et la pureté du coeur, pour n'être point envahi par les ambitieuses pensées de la gloire, ou par les violents désirs de la louange, pour ne soupirer au contraire qu'après celui qui seul remplit nos -désirs, et pour que toutes les grâces que nous avons reçues, retournent à leur origine et à leur source. Mais n'oubliez pas, au milieu de tout cela, qu'il n'y a de toutes les vertus que la persévérance qui sera couronnée, et qu'il est bien difficile de compter sur elle au milieu des hasards sans nombre de la lutté, si on n'obtient des grâces aussi nombreuses que ces hasards mêmes.

5. Les portiques où se rendent les saints après les combats et les peines de la vie, pour s'y refaire dans la joie et le bonheur, sont le lieu où sont prodiguées aux âmes les richesses de l'esprit, le repos des fatigues passées, la sécurité après les anciennes inquiétudes et la paix à l'abri des attaques de leurs ennemis. C'est là qu'à peine entrés, ils se reposent de leurs travaux, dit l'Esprit-Saint (Ap 14,13), qui a jusqu'alors interdit tout repos à leur ferveur, et constamment prescrit la lutte. C'est cet esprit qui tiendra leur âme éloignée de tout souci, et à l'abri de toute préoccupation, le même, dis-je, qui aujourd'hui la remplit de mille desseins divers, et la fait se troubler au sujet de mille choses; mais après la victoire, il lui fait goûter le repos et le sommeil au sein d'une douce paix, de même que, pendant les rugissements du lion, il l'excite à se tenir éveillée et à se préparer an combat. Mais en tout cela, comme j'en ai dit tout â l'heure deux mots en passant, je verrais plutôt la délivrance du mal que le bien de la récompense, si une dure expérience de la nécessité ne me forçait de regarder l'absence du mal comme le comble du bien, de même que la conscience répute l'absence de crimes trop graves, la plénitude de la sainteté. Aussi pouvons-nous constater combien nous sommes loin du souverain bien, puisque nous voyons la justice dans l'absence de toute faute, et la béatitude dans l'exemption de toute misère.

6. Mais il faut bien se donner de garde de penser que tel est, en effet, la plénitude de cette demeure, son torrent de voluptés, et le reste que Dieu prépare à ceux qui l'aiment, mais que l'ail de l'homme n'a pas vu, que son oreille n'a point entendu, et que son coeur n'a point conçu. Ne cherche donc point, ô homme, à entendre ce que l'oreille de l'homme n'a jamais entendu, et ne demande point à un homme ce qu'il n'est donné ni à son coeur de concevoir, ni son oeil de voir. Et pourtant, tout en ne saluant la patrie que de loin, ne négligeons point tout à fait de parler de ces biens qui me semblent en faire le charme, et qui sont de trois sortes à mes yeux; car ce sont des promesses de puissance, de magnificence et de gloire. En effet, c'était un homme, un enfant de notre captivité celui qui disait «J'entrerai dans les puissances du Seigneur (Ps 71,16).» Pour nous, nous savons parfaitement ce que c'est que d'être exempt de faiblesse, puisque la faiblesse est comme le vêtement qui nous entoure de toutes parts, mais qu'est-ce que se trouver revêtu de force, qu'est-ce qu'entrer dans la puissance, non-seulement dans une puissance quelconque, mais dans une grande puissance, presque dans la toute-puissance? Voilà ce que nous ne pouvons point encore savoir. Un témoin fidèle nous crie aussi: «Ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Rm 8,30).» Quant à la magnificence, à celle surtout qui doit procéder de la grandeur, qui ne connaît ni terme ni mesure, fasse le ciel qu'il nous soit seulement permis de l'espérer; pour ce qui est de nous en faire une idée, c'est impossible. Toutefois, on ne saurait douter ni de cette magnificence, ni de cette gloire qui nous sont promises; alors vous boirez avec confiance au fleuve de la gloire, que vous êtes maintenant détournés de désirer par de si terribles menaces. Car alors chacun recevra la gloire de Dieu, une gloire sûre et éternelle, exempte de toute crainte, comme de toute fin, telle en un mot, que ce sera comme l'a dit le Psalmiste: «Une louange agréable et digne (Ps 147,1).» Eh bien donc, mes frères, combattons vaillamment pendant que nous sommes sous la tente, si nous voulons goûter, après cela, un doux repos dans les portiques sacrés, et finir par nous élever au comble de la gloire, quand le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie, produira en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire (2Co 4,17), et que nous serons loués dans le Seigneur, pendant le jour tout entier, non point en vain, mais en réalité.





NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON. SUR LE QUATRIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA DÉDICACE.
279. Il ne semble pas facile de se faire une idée de ce qu'il faut entendre par les parvis où sont reçues les âmes des saints au sortir de ce monde. D'ailleurs, ce que nous avons dit plus haut sur ce sujet nous semble suffisant. On peut voir encore Corneil, sur l'apocalypse, chapitre 6, v,9, ainsi que Pererius, au même endroit, et Bellarmin, Disput. de la Béatitude des saints, livre I, chapitre III.

FIN DES NOTES.







Bernard sermons 6038