Bernard sermons 7011

ONZIÈME SERMON. Du double baptême et de la nécessité de renoncer à sa propre volonté.

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1. Vous savez, mes frères, car vous tenez fermement la vérité catholique, vous savez, dis-je, que le Père céleste adopte ceux qui renoncent à Satan en recevant le baptême, et les fait passer de la puissance des ténèbres dans le royaume du Fils de sa gloire. C'est ce qu'il faut entendre par cette robe première que le père de famille, les entrailles émues, ordonne à ses serviteurs d'apporter en toute hâte, sans attendre un mot de prière de la bouche de son fils, un désir de son coeur, et en prévenant même son intelligence de l'abondance de ses bénédictions. En effet, tous tant que nous sommes qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été revêtus de Jésus-Christ (
Ga 3,27). Un autre témoin, non moins fidèle que celui qui s'exprimait ainsi, nous a dit en nous parlant de lui: «Il a donné le pouvoir de devenir enfant de Dieu à tous ceux qui l'ont reçu (Jn 1,12).» Or, ce pouvoir n'est pas mi vain et faible pouvoir, nous avons, en effet, la certitude que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les vertus, ni ce qu'il y a au plus haut des cieux ou au plus profond des abîmes, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu qui est fondé en Jésus-Christ (Rm 8,38-39). Remarquez combien de choses l'Apôtre énumère, car ce sont ses propres paroles que je viens de vous faire entendre, sans toutefois nous compter nous-mêmes parmi ces choses. Telle est, en effet, la liberté que le Christ nous a donnée, en nous délivrant de notre esclavage, c'est qu'il n'y a point de créature qui puisse nous séparer de Dieu, et nous faire violence. Il n'y a que nous qui puissions nous éloigner de lui, tentés par notre propre concupiscence et entraînés par notre propre volonté (Jc 1,14), après elle, il n'en est pas d'autre a craindre pour nous. Aussi tant que nous n'avons point atteint fige où nous pouvons faire usage de notre liberté, et agir selon notre libre arbitre, quiconque a reçu la seconde naissance du baptême ne saurait être, par aucun moyen possible, séparé de la charité de Dieu, il est, eu attendant cet âge, en pleine sécurité sous la protection du Seigneur son Dieu et son avocat; il n'a rien à craindre de qui que ce soit. Mais quand arrivent les années de l'âge de discrétion, il entre en possession de lui-même et il n'a pas plus à redouter les autres créatures qu'auparavant; il n'a à se tenir en garde que contre sa propre volonté, contre cette volonté qui dort dans son sein. Le péché est peut-être à la porte de son coeur, mais la concupiscence est sous sa main (Gn 4,7), il est maître, s'il le veut, de ne pas lui ouvrir la porte de son coeur et de lui refuser son consentement.

2. En effet, ce ne fut ni un ours, ni un lion, mais un serpent, c'est-à-dire le plus rusé, non le plus fort des animaux, qui a trompé nos premiers parents; ce n'est pas l'homme qui a fait tomber la femme mais la femme qui a fait tomber l'homme. Oui, c'est le serpent qui t'a trompée, ô Ève, trompée, dis-je, non point contrainte ou poussée. C'est la femme qui t'a donné du fruit de l'arbre, ô Adam, mais en te l'offrant elle ne t'a point forcé de l'accepter; si tu as cédé à sa voix plutôt qu'à celle de Dieu, ce n'est point qu'elle t'ait fait violence, c'est que tu l'as bien voulu. Mais si dans son inexpérience, il n'a su se tenir sur ses gardes, pour nous, instruits par son exemple, veillons du moins sur nous. Que dis-je? puisque nous avons eu nous aussi le malheur de succomber de même à la tentation, recherchons désormais un remède à de si grands maux. Est-ce que le fort armé qu'un plus fort que lui surprend et garrotte, a recours à la violence pour réoccuper son ancienne maison? Nullement; mais il la trouve vide et imprudemment ouverte devant lui, aussi ne fond-il pas sur elle avec sept esprits plus forts, mais il y entre tout simplement avec, sept esprits plus méchants que lui, et s'y établit sans recourir à la violence. Qui lui ouvre la porte, sinon notre propre volonté? Il n'en est pas d'autre qui nous replace sous l'empire des puissances des ténèbres et qui nous soumet de nouveau à celui de la mort.

3. Venez, Seigneur Jésus, oui, revenez maintenant, ô bon Jésus, et chassez une seconde fois celui que nous avons eu la folie de faire rentrer chez nous, et si vous nous délivrez encore une fois nous redeviendrons libres. Nous avons renouvelé notre première alliance, nous avons péché contre vous, Seigneur, et nous nous sommes de nouveau asservis aux oeuvres de Satan, nous avons replacé de nous-mêmes notre cou sous le joug de l'iniquité, et nous nous sommes recondamnés à une malheureuse servitude. Voilà pourquoi, mes frères, nous devons nous faire rebaptiser , renouveler une seconde fois alliance avec Dieu , et faire une seconde profession. Ce n'est plus assez maintenant de renoncer à Satan et à ses oeuvres, il nous faut de plus renoncer au monde et à notre volonté propre; si l'un nous a réduits, l'autre (a) nous a induits dans le mal. Dans le premier baptême, alors que notre volonté propre ne notes avait point encore fait de mal, il suffisait que nous renonçassions à Satan, dont l'envie seule a fait entrer le péché dans le monde et la mort avec le péché par un seul homme, d'où ils sont ensuite passés dans tous les hommes. Mais depuis que nous avons fait une expérience décisive des charmes d'un monde trompeur, et de l'infidélité de notre volonté propre dans ce que j'appellerai, avec raison, et dans un sens parfaitement sage, le second baptême (b) de notre conversion,

a Quelques manuscrits présentent ici une variante; nous avons préféré la leçon du manuscrit des Célestins de Paris.

b Beaucoup d'anciens auteurs ont comparé la profession religieuse à un second baptême, et lui en ont même donné le nom. Saint Bernard l'appelle ainsi dans le trente-septième de ses sermons divers, n. 3, et dans son traité du précepte et de ta dispense. Voir la lettre de saint Jérôme à Paula, sur la mort de Blésilla où ce Père dit «qu'elle s'est lavée dans les eaux du second baptême de sa profession, s'il est permis de parler ainsi.»

nous devons avoir à coeur, non pas seulement de refaire notre première alliance, mais encore de la rendre plus forte en renonçant à nos propres affections. Attachons-nous donc, mes frères bien-aimés, à nous garder purs de toute souillure de ce monde, car c'est là devant Dieu la seule religion pure et immaculée (Jc 1,27). Tenons-nous en garde contre notre volonté propre, comme on se garde d'une vipère très-mauvaise et très-redoutable, elle seule en effet peut désormais damner notre âme.


DOUZIÈME SERMON. Le commencement, le milieu et la fin de l'homme à l'occasion de ces paroles de l'Ecclésiastique: «Souvenez-vous de vos fins dernières, etc.» (@+Qo 7,40@)

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1. «Mon fils, souvenez-vous de vos fins dernières et vous ne pécherez point (Ibid).» Rappelez-vous votre commencement, songez à votre milieu et souvenez-vous de votre fin dernière; l'un vous couvrira de confusion, l'autre vous remplira de douleur, et la troisième, de crainte. Pensez à votre origine et ressentez-en de la honte; songez où vous êtes et gémissez-en; rappelez-vous où vous allez et tremblez. Prenez garde de demeurer sur ce point dans l'ignorance si vous ne voulez entendre retentir coutre vous les menaces que l'Époux fait entendre en ces termes: «Si vous ne vous connaissez point, ô vous qui êtes la plus belle des femmes, sortez de chez vous, suivez les traces de la troupe de vos compagnes (
Ct 1,7).» Et d'abord, ô homme, quand tu étais en honneur, tu ne l'as pas compris, voilà pourquoi tu as été assimilé aux animaux sans raison, et leur es devenu semblable (Ps 40,8 Ps 40,13 Ps 40,21). Et si les rudes traitements n'ont point fini par ouvrir les oreilles de ton intelligence, tu iras te placer à la suite des troupeaux de bêtes, pour être exposé à tous les maux parmi elles qui n'en ressentent aucun. Reconnais donc ton origine, et rougis en voyant que par là tu ressembles aux bêtes, rappelle-toi ta fin et tremble de t'en aller aussi à la suite. des troupeaux de bêtes. Oui rougis, je le répète, en voyant que, de compagnon des anges, tu es devenu celui des bêtes de somme, non-seulement pour les besoins du corps mais même pour les sentiments du coeur. Tu partages en effet, avec elles, la nourriture que tu tires de la terre, pour avoir pris en dégoût la nourriture des anges, le pain même du ciel. C'est que, et c'est ce qu'il y a de pire, si tu as conservé un corps qui est droit, ton âme qui l'habite est courbée, si bien que, en même temps que le corps a retenu quelque ressemblance de ton âme, ton âme a perdu sa ressemblance avec Dieu pour prendre celle de la bête.

2. N'es-tu pas honteux, ô homme, de marcher la tète haute et d'avoir le coeur bas? D'être droit de corps et de ramper à terre par l'âme? Qu'est-ce autre chose, en effet, sinon ramper sur la terre que d'avoir du goût pour la chair, de désirer les choses de la chair, de rechercher les choses de la chair? Et pourtant comme tu as été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, en perdant. sa ressemblance pour prendre celle de la bête, tu as conservé son image. Si donc quand tu étais élevé en honneur, tu n'as pas compris que tu n'étais que limon, maintenant que tu t'es enfoncé dans ton limon, lie vas pas oublier que tu es toujours l'image de Dieu, et rougis de l'avoir recouverte d'une ressemblance étrangère. Rappelle-toi, ô homme, ta noblesse et rougis de ton excessif abaissement. N'ignore pas ta beauté pour rougir d'autant plus de tes souillures. C'est là ce que Salomon appelle une confusion qui honore (Qo 4,25),» c'est la confusion qu'on ressent d être déchu d'un si haut degré de gloire. Jadis tu étais couronné de gloire et d'honneur, établi sur toutes les oeuvres des mains du Seigneur, et placé dans le paradis terrestre pour en faire ta demeure: tu étais le concitoyen des anges et le domestique du Seigneur de Sabaoth, c'est de cette élévation que tu t'es toi-même jeté dans les ténèbres intérieures, d'où tu dois un jour être précipité dans les ténèbres extérieures et palpables si tu n'y prends garde. C'est toi, dis-je, qui t'es dépouillé toi-même de la gloire, des enfants, de Dieu, et qui t'es exilé de cette douce et heureuse patrie, de ce jardin du. volupté.

3. Voilà donc ton origine; veux-tu savoir, ô homme, où tu te trouves maintenant? Eh bien, tu te trouves dans un lieu d'affliction, car ta vie s'est approchée de l'enfer (Ps 87,4). Que voyons-nous, en effet, ici-bas, si ce n'est le travail, la douleur et l'affliction de l'esprit? Mais pour toi, les choses en sont venues à ce point que tu es comme un enfant qui, ayant reçu la vie, et s'étant trouvé nourri dans un cachot, n'aurait jamais vu la lumière du jour, il ne comprendrait rien a la tristesse et aux angoisses de sa mère. Celle-ci sait bien pourquoi elle est triste, comme elle a connu le bonheur et les maux qu'elle souffre d'autant plus pesants, et le souvenir de la paix des jours passés est, pour elle, rempli d'une amertume extrême. Pour toi, au contraire, le comble de la misère ne te semble qu'un petit mal, et au prix des lourdes entraves auxquelles tu es accoutumé, de moindres anneaux te semblent nu repos. Tu as envie de manger, parce que la faim te presse; manger et souffrir de la, faim sont un travail, une peine, mais parce que la faim est plus pénible que l'action de manger, fil ne trouves pas que manger soit une peine; mais une fois la faim apaisée, ne te semble-t-il pas beaucoup plus pénible de continuer de manger que de souffrir de la faim? Il en est ainsi de toutes choses sous le soleil; il n'y a rien en elles de vraiment agréable, et on veut constamment passer en ce qui les concerne, d'une chose à l'autre, en sorte qu'il n'y a que le passage d'une chose à l'autre qui les relève un peu; c'est absolument comme si on passait du feu dans l'eau et de l'eau dans le feu, dans l'impossibilité de supporter constamment ni l'un ni l'autre. Il n'y a que le commencement d'une fatigue qui nous repose d'une autre fatigue. Personne, dans ce siècle malheureux, ne saurait avoir ce qu'il désire, ainsi le juste ne peut être rassasié de justice; ni les voluptueux, de voluptés; ni le curieux, de choses curieuses; ni l'ambitieux de vaine gloire. Voilà précisément la source de vos chagrins, si vous n'en êtes pas encore venus à être insensibles; voilà d'où viennent vos douleurs, c'est que vous vous trouvez en exil, vous êtes arrêtés dans un désert, vous marchez dans les ténèbres et par des sentiers glissants, et vous ne mangez qu'un pain arrosé de votre sueur. Est-ce que votre oeil n'est pas inondé de larmes amères toutes les fois qu'il considère ces choses, et ne pleure-t-il pas avec le Prophète qui s'écriait: «Que je suis malheureux! mon exil est si long (Ps 119,5)?»

4. Vous connaissez votre origine, vous venez de voir votre milieu, quelles sont vos fins dernières? Ces fins dont il est dit: souvenez-vous en et vous ne pècherez jamais. Ce sont!a mort, le jugement et l'enfer. Quoi de plus horrible que la mort? Je plus terrible que le jugement? Quant à l'enfer, il ne se peut rien concevoir de plus intolérable. O homme, si lu avais perdu la honte qui sied à une noble créature, si tu étais devenu insensible aux coups de l'affliction que ressentent même les êtres simplement charnels, du moins ne sois pas inaccessible à la crainte que connaissent même les bêtes de somme. Chargeons l'âne et fatiguons-le par de nombreux travaux, il s'en met, peu en peine, parce qu'un âne est un âne. Mais si vous voulez le pousser dans le feu ou le précipiter dans un trou, il résiste tant qu'il peut, parce qu'il aime la vie et craint la mort. Ne vous semble-t-il pas juste que celui qui est devenu plus insensible que les bêtes de somme, soit forcé de ne venir qu'après elles, et que dans les supplices il occupe un rang plus bas qu'elles? Crains donc, ô homme, car, à la mort, tu te verras dépouillé de tous les biens du corps, en même temps que se rompra, dans un amer divorce, le doux lien qui rattachait ton âme à ton corps. Tremble , dis-je, car tu paraîtras alors an jugement redoutable de Celui entre les mains de qui il est horrible de tomber (He 10,31). Il t'examinera de cet oeil auquel rien n'échappe et s'il découvre l'iniquité dans ton âme, tu seras à jamais privé de toute gloire et de tout repos, et séparé du nombre des bienheureux. Sois dans l'appréhension des tourments immenses, éternels de l'enfer auxquels tu seras exposé dans la société de Satan et de ses anges, au sein d'un feu qui ne s'éteindra jamais, et qui a été préparé pour eux. Voilà la crainte qui est le commencement de la sagesse (Ps 10,10), ce qu'on ne peut pas dire de la honte et de la douleur, attendu que ni l'une ni l'autre n'ouvre aussi bien l'âme à la sagesse, et n'a la même efficacité. C'est ce qui faisait dire au Sage: Souvenez-vous, non pas de votre commencement, non pas même de votre milieu, mais «de vos fins dernières et vous ne pécherez jamais.» L'esprit de crainte est plus fort et plus énergique que le sentiment de la honte ou de la douleur pour résister au péché; la honte disparaît derrière le nombre, et la douleur s'adoucit par la moindre consolation que le monde peut lui procurer, mais la crainte ne connaît point de consolation. A la mort, vous n'emporterez avec vous, ni peu, ni beaucoup de biens de ce monde; au jugement, vous ne pourrez ni tromper le juge, ni lui résister, et dans l'enfer, vous n'aurez aucune consolation, il n'y aura pour vous qu'un éternel, malheur à moi! que hurlements, que pleurs et que grincements de dents.


TREIZIÈME SERMON. Des trois miséricordes et des quatre pitiés.

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1. De même qu'il y a des péchés très-petits, qu'il en est de médiocres, et qu'il y en a de grands, ainsi en est-il de la miséricorde; il en est une petite, une médiocre et une grande. Tout grand pécheur a besoin d'une grande miséricorde, afin que la grâce surabonde là où le péché a abondé. Je donne le nom de petite miséricorde au répit que Dieu nous laisse en ne nous punissant pas aussitôt que nous avons péché, et en attendant que nous fassions pénitence; elle est petite, non point en soi, mais par comparaison avec les autres; car, en soi, cette attente du Seigneur est une miséricorde non-seulementgrande, mais très-grande. Il n'a pas attendu ainsi, que l'ange pécheur fit pénitence, il l'a précipité à l'instant même du haut des cieux, et l'homme même, il n'a pas différé pour un autre temps de le punir de sa faute, il l'a chassé du par idis terrestre. Mais à présent il attend, il ferme les yeux, il patiente dix ans, vingt ans, jusqu'à la vieillesse, à la décrépitude. Si, d'un autre côté, nous considérons le nombre et la gravité des fautes que nous commettons tous les jours, les regarderons-nous comme de petites fautes parce que, jusqu'à présent, elles ont échappé au péril de la damnation? Il ne faut donc point s'étonner si le Prophète nous dit que ses pieds ont failli lui manquer, et s'il est presque tombé tant il s'est senti indigné à la vue de la paix des pécheurs (
Ps 72,2), si les pécheurs mêmes s'écrient: «Comment se peut-il que Dieu connaisse ce qui se passe sur la terre? Le Très-Haut a-t-il véritablement la connaissance de toutes ces choses (Ps 62,11)?» Mais c'est la grâce de la croix du Christ et sa vertu. «Vive moi, dit le Seigneur, je ne veux point la mort de l'impie, mais je veux qu'il se convertisse et qu'il vive (Ez 33,11).» Si je ne me trompe, ce langage est celui de Jésus-Christ ressuscitant; c'est comme s'il avait dit: Que le Juif le veuille ou ne veuille pas, je vis et je ne veux pas la mort du pécheur, moi surtout qui suis mort pour les pécheurs; je veux que ma mort porte ses fruits, et que, par elle, la rédemption soit abondante.

2. J'ai dit que la miséricorde du Seigneur qui tarde à nous frapper, et est prêt à nous pardonner était petite, non en soi, mais en comparaison avec les autres miséricordes, car si elle est seule, non-seulement elle ne suffit point à nous sauver, mais même elle aggrave les motifs de notre condamnation, puisqu'elle peut dire au pécheur: «Voilà ce que tu as fait, et je me suis tû (Ps 49,21).» Entendons donc l'Apôtre tonner à son habitude d'un ton terrible, et nous dire: «Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté (de la bonté de Dieu) et de sa longanimité? Ne savez-vous pas que cette bonté même vous invite à la pénitence? Mais vous, de votre côté, par votre dureté et par l'impénitence de votre coeur, vous vous amassez un trésor de colère, pour le jour de la colère (Rm 2,4-5).» Oui, vous vous amassez, dit l'Apôtre, des trésors de colère au lieu des trésors de miséricorde que vous méprisez, et vous rendez cette miséricorde inutile pour vous. Mais comment cela? «Par votre endurcissement, répond l'Apôtre, et par l'impénitence de votre coeur.» Qui pourra broyer cette dureté, si ce n'est Celui qui, dans sa passion, a brisé les pierres mêmes? Qui donnera un coeur pénitent, sinon celui de qui vient tout don excellent?

3. Or, c'est ce que j'appelle la miséricorde médiocre, elle l'emporte sur la première puisqu'elle est cause qu'elle ne demeure point infructueuse, et qu'elle ne se tourne pas en damnation mortelle. En effet, elle donne la pénitence sans quoi l'attente du Seigneur, non-seulementne sert à rien, mais même nuit beaucoup. Peut-être la première suffit-elle pour les petits péchés, attendu que, pour effacer les fautes dont nous ne pouvons être complètement exempts tant que nous portons ce corps de péché, il suffit, au salut, dé la pénitence de chaque jour. Mais pour les fautes plus graves, et qui vont au mortel, la pénitence ne suffit plus, il en faut de plus la cessation absolue. Il est bien difficile, impossible même, sans la grâce de Dieu, de rejeter de dessus son cou le joug du péché, une fois qu'il y est posé, car quiconque fait le péché, est esclave du péché et ne peut plus être délivré de la servitude que par la main du fort armé.

4. Or, c'est là précisément la grande miséricorde, celle qui, est la plus nécessaire aux pécheurs, et dont parlait celui qui s'écriait: «Ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, ô mon Dieu, et selon la multitude de vos pitiés, etc. (Ps 50,1).» J'ai déjà parlé des quatre filles de la grande miséricorde; ce sont le sentiment d'amertume, l'éloignement de l'occasion du péché, la force de résister et la pureté d'intention. Il arrive parfois que Dieu, dans sa bonté, envoie à celui qui est tombé dans les liens du péché certaines amertumes qui s'emparent de son âme et en chassent les pernicieuses délices du péché. D'autres fois, il fait disparaître l'occasion même du péché, et ne permet pas que notre faiblesse soit mise à l'épreuve. Qui plus est, parfois aussi il nous donne la force de résister, c'est-à-dire de nous conduire en hommes de coeur dans la tentation, et de ne point y donner notre consentement. D'autres fois, enfin, et c'est la perfection même, car c'est l'extirpation entière de la tentation, il guérit notre affection, en sorte que, non-seulement nous ne consentons point à la tentation, mais que nous ne ressentons même plus ses atteintes.


QUATORZIÉME SERMON (a). Les sept dons du Saint-Esprit, opposés à sept sortes de péchés.

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a On trouve de nombreuses variantes entre le texte que nous donnons ici de ce sermon et celui du manuscrit de Cîteaux; mais elles ne changent rien au sens général. Ce sermon est cité dans les Fleurs de saint Bernard, livre VII, chapitre XLVI.

1. «La sagesse prévaut sur la malignité (
Sg 7,30),» tant que la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, qui est le Christ, dompte Satan. «Elle atteint depuis une extrémité jusqu'à l'autre avec une force infinie, dans le ciel, en en précipitant le superbe, dans le monde, en prévalant sur le Malin, et dans l'enfer, en dépouillant l'avare. Et elle dispose tout avec une égale douceur (Sg 7,1),» dans le ciel où elle affermit les anges fidèles, sur la terre où elle rachète les hommes vendus au péché et dans l'enfer, où elle délivre les captifs. Mais si vous l'aimez mieux, on peut entendre ces paroles d'une autre manière encore. L'Esprit aux sept dons, procède contre sept degrés du péché, comme avec une armée rangée en bataille. Et d'abord, contre la négligence s'élève la crainte qui frappe l'âme, agite la conscience, la tire de son sommeil de mort, et la remplit de sollicitude, car «celui qui craint Dieu ne néglige rien (Si 7,19),» il tremble dans tout ce qu'il fait.

2. D'ailleurs, pour que la lutte soit plus terrible, les mailles de la cuirasses se resserrent, comme on dit, car en même temps que le coeur de l'homme se néglige lui-même, il s'occupe avec curiosité des antres. Il y a trois choses, dit le Sage (Pr 27,15), qui font de la maison un désert, ce sort la fumée, la pluie et une femme acariâtre. Or, comment le négligent pourrait-il s'en garder? Celui qui se néglige, n'a pas soin de chasser la fumée, de corriger sa femme, et de réparer le toit de sa maison. Les péchés, que ni le goût de la miséricorde, ni les ruisseaux de larmes n'éteignent point , répandent de la fumée, une fumée très-épaisse et insupportable. La volonté tourne au mal et devient tous les jours pire, à force de négligence, et le courroux du céleste juge tombe goutte à goutte dans l'âme, par les fentes de la charité qui seule peut couvrir une multitude de péchés. Il faut donc que l'âme sorte de chez elle et porte ses regards curieux sur les choses du dehors, puisqu'elle néglige de considérer celles du dedans, ne tourne plus ses regards vers le passé, ne les arrête plus sur le présent et ne les fixe plus sur l'avenir. Évidemment, la piété est l'ennemie naturelle de la curiosité, et elle fait rentrer en elle-même l'âme que la curiosité en a fait sortir. Or, la piété, c'est le culte de Dieu , et c'est dans le coeur qu'on honore celui qu'on sait avoir établi son séjour dans le coeur. Quant à la curiosité, elle enfante l'expérience du mal , en sorte que l'âme qui se répand aisément au dehors, se heurte, tombe facilement dans les pièges qui lui sont tendus, et trouve sans peine des choses qui lui plaisent pour son malheur. On ne peut douter que l'esprit de science n'aille contre l'expérience du mal, car c'est lui qui nous apprend à choisir le bien et à repousser le mal, et nous instruit de ce qu'il est dangereux ou utile d'expérimenter.

3. Or, il y a bien des hommes chez qui l'expérience semble se changer en concupiscence, comme on peut, en voir un exemple dans Dina, fille de Jacob (Gn 34,1); sortie d'abord pour regarder les femmes étrangères, elle se vit enlevée et violée par Émor, fils de Sichem; plus tard, dit l'Écriture, elle trouve un adoucissement à sa tristesse, dans les caresses de son ravisseur, et son coeur finit. par s'attacher à celui d'Émor. Je dis donc que l'expérience se change en concupiscence, et, comme dit le Prophète, en un penchant de coeur dans l'homme qui a méprisé la loi de Dieu , répudié l'honnêteté, foulé la pudeur aux pieds, et franchi les bornes de la crainte du Seigneur (Ps 72,7). Il n'est plus porté que par ses appétits, il ne suit plus que la concupiscence, il n'a d'autre mobile que la volupté, sa volonté seule lui tient lieu de raison. Or, l'ennemie de la concupiscence du mal est l'esprit de force, il n'y a plus, en effet, de salut pour l'âme qui en est là, que dans un bras paissant. Que l'homme se condamna. au jeûne, qu'il mâte sa chair sous le fouet, et la réduise en servitude, s'il ne veut pas que de la racine de la couleuvre ne lui naisse un petit roi, c'est-à-dire, s'il ne veut pas que la concupiscence n'enfante une habitude. Que n'ignorons-nous tous comment la malheureuse et vraiment misérable nature humaine se trouve antérieure an mal parla seule habitude, sans y être portée par les ardeurs de la concupiscence, ou parla violence du désir? C'est que, quiconque fait le péché, devient esclave du péché (Jn 8,35), esclave du diable même qu'il suit dans toutes les voies mauvaises où il l'attire; il est évidemment son esclave, et n'agit qu'à sa volonté.

4. Or, c'est l'habitude qui est sa chaîne aussi pesante que funeste, mais c'est une chaire qu'y est plus facile de délier que de rompre, car on peut lui appliquer le proverbe , industrie fait plus que violence. De même qu'on repousse la force par la force, et. que l'ardeur des désirs est éteinte, par la ferveur de l'esprit, on déjoue la ruse du Malin par la ruse, et., à l'habitude , on oppose le conseil. An lieu de cela, si vous avez recours à la violence, et si vous espérez triompher de l'habitude par la mortification de la chair, il est bien à craindre que ce ne soit peine perdue de le tenter, et due le corps lui-même ne fasse défaut, avant que la concupiscence cède, une fois enracinée dans l'âme, d'autant plus que l'habitude est. comme une seconde nature. C'est donc une nécessité de recourir au conseil, mais à celui qui nous est donné par l'ange même du grand conseil, ou par un homme spirituel qui connaisse les pensées de Satan, et les remèdes de l'esprit. Il faut nous éloigner des occasions du péché, et en fuir les moyens. Nous voyons, mes frères, que jusque dans le désert, un moine assailli de pensées de fornication, se trouva. guéri de ce mal par une ruse, digne de louanges, de sou abbé. En effet, ce dernier, ayant pris un antre religieux à part, lui ordonna de poursuivre de ses injures celui qui était tenté par le démon de la chair, et de revenir se plaindre à lui, comme s'il avait été lui-même attaqué en paroles, le premier. Le religieux en question, était dans un tel bouleversement , et dans une si grande confusion, qu'il n'avait plus l'esprit à ses tentations passées; aussi, quand son abbé lui en demanda des nouvelles , il ne put s'empêcher de s'écrier, avec une surprise extrême . Hélas! mon Père, je n'ai pas même le temps de savoir si je vis, comment l'aurais-je d'être tenté par l'esprit de fornication?

5. Mais peut-être n'en êtes-vous point encore arrivés au point que la victoire soit assurée, que le triomphe vous soit réservé, que la couronne vous soit due; le mépris naît souvent de l'habitude; souvent, péchant d'autant plus librement qu'on a plus complètement perdu toute espérance, on lâche la bride à la concupiscence, et on se laisse emporter de toute son ardeur vers l'abîme selon ce qui est écrit du pécheur «qu'une fois arrivé au fond de l'abîme du péché, il n'a plus que du mépris (Pr 18,3).» Pour combattre ce mépris il faut l'esprit d'intelligence qui illumine les ténèbres du coeur, et y répande à flot la lumière de la miséricorde de Dieu, et les richesses de la compassion divine. En effet, c'est vers les choses de Dieu, aux choses les plus hautes que la raison de l'homme ne saurait comprendre du tout, et que la foi même ne peut que difficilement atteindre , telles que cette proposition: «Là où le péché a abondé la grâce a surabondé (Rm 5,20),» que l'intelligence doit s'élever.

6. Mais, si le mépris persiste, on ne peut plus que tomber dans la malice, et le malheureux pécheur n'a plus qu'une consolation dans son désespoir, c'est, puisqu'il n'a plus de part dans le bien, de se réjouir au moins dans le mal; d'être heureux de son péché et dans l'allégresse pour les pires choses. Alors il n'y a plais de remède à son mal que dans la sagesse, si elle daigne combattre elle-même pour lui de sa droite, elle qui ne sait pas ce que c'est qu'être vaincue. En effet, comment pourrait être délivré celui qui s'en est allé à Babylone, s'il n'était prévenu des bénédictions de la grâce d'en haut, si le clou n'était chassé par un clou , si la douceur de l'onction spirituelle n'éloignait la douceur pestilentielle des vices?

7. C'est donc bien d'une extrémité à l'autre que la sagesse victorieuse atteint avec force, en déracinant tous les vices l'un après l'autre., et en les remplaçant un à un par les vertus opposées. Ainsi, la négligence cède la place à la crainte qui remplit l'esprit; la curiosité se retire devant la piété qui lui succède; l'expérience du mal est mise en fuite par la science qui la remplace. La force l'emporte sur la concupiscence, le conseil rompt l'habitude dans sa racine, l'intelligence, par sa vigueur, écarte le mépris, et, quand toute malice a disparu la sagesse règne à sa place. A peine triomphe-t-elle que la crainte réveille, la piété flatte doucement, la science, en rappelant ce qui s'est fait, attriste, la force, selon sa propre vertu, relève, le conseil délie, l'intelligence fait sortir de sa prison, la sagesse reçoit à sa table, rassasie et répare par des aliments salutaires, cette pauvre âme que la négligence avait endormie d'un sommeil pernicieux, que la curiosité avait animée d'une activité mauvaise, que l'expérience du mal avait attirée, dont la concupiscence s'était rendue maîtresse, que l'habitude avait chargée de fers, que le mépris avait plongée au fond de l'abîme, et que la malice avait égorgée.


QUINZIÈME SERMON. Il faut chercher la sagesse.

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1. Que faisons-nous en ce monde, mes frères, oui, qu'y faisons-nous, je vous le demande? Si nous avons à coeur de nous sauver de ce siècle pervers, qu'avons-nous affaire d'en tenir compte encore? Si nous avons résolu d'en sortir pourquoi traîner encore les entraves aux pieds? Qu'elles soient d'or, je le veux bien, mais mieux vaut nous voir libres sans elles, qu'esclaves à cause d'elles. Ne les jugeons pas au point de vue de la richesse de la matière, mais à celui de l'obstacle qu'elles nous présentent. Il ne faut pas que, sans compter encore la nécessité de notre état qui déjà ne se fait que trop durement sentir, nous soyons attachés à ces entraves par la glu de la cupidité, et que nous nous chargions des liens d'une vaine sollicitude. Que peut-on faire au milieu des entraves? Peut-être n'est-ce point une question à poser, puisque les entraves semblent plutôt destinées à faire souffrir qu'à aider les hommes à faire quoi que ce soit. Les entraves sont un empêchement à l'action, un rappel de la souffrance. Or nous avons quelque chose à faire en ce monde, ainsi nous avons à faire pénitence, mais peut-être, faire pénitence semble-t-il avoir plus de rapport avec le pâtir qu'avec l'agir- Néanmoins nous avons quelque chose à faire ici-bas, non pas pour ce monde mais en ce monde. Quand on lit que Adam fut placé dans le paradis dit plaisir pour y agir, il faudrait être fou pour croire que ses enfants ont été placés dans un lieu de douleur pour n'y rien faire. Faisons donc quelque chose mais que ce soit une nourriture qui ne périsse point, opérons l'oeuvre de notre salut travaillons à la vigne du Seigneur, afin de mériter de recevoir le denier de la fin du jour. Travaillons dans la sagesse qui dit: «Ceux qui opèrent en moi ne pécheront pas (
Si 24,30).» Or le champ, dit la Vérité même, c'est le monde (Mt 13,38). Bêchons ce champ: un trésor y est caché, retournons-le. Ce trésor ce n'est pas autre chose que la sagesse elle-même qui sort du fond de l'obscurité. Tous nous la cherchons, tous nous soupirons après elle.

2. Mais c'est en vain que cherche celui qui ne cherche que dans son lit, on ne saurait la trouver dans la terre de ceux qui vivent dans les délices. Votre lit est tout petit, et vous y cherchez un géant? Votre lit est à vous, et vous espérez y trouver celui qui n'a jamais habité dans une hôtellerie? Un Prophète a dit: «Si vous cherchez, cherchez bien, convertissez-vous et venez (Is 21,4).» Vous me demandez où il faut chercher? Ce n'est point dans votre lit. Vous voulez savoir de quoi vous devez vous convertir? «C'est de vos volontés,» répond le Prophète. Mais, me dites-vous, si ce n'est pas dans ma volonté que je trouverai la sagesse, où donc la pourrai-je trouver? Car mon âme la désire ardemment, ce ne sera même pas assez pour elle de l'avoir trouvée, supposé qu'elle la trouve, si elle ne la trouve dans une bonne mesure, dans une mesure bien pressée et bien entassée, dans une mesure qui déborde de son sein. C'est justice d'ailleurs; car il est dit: «Heureux l'homme qui a trouvé la sagesse et qui est rempli de prudence.» Cherchez-la donc pendant qu'elle peut encore se trouver, et puisqu'elle est proche de vous, appelez-la. Voulez-vous savoir combien elle est près de vous? «La parole de Dieu est dans votre boucha, dit l'apôtre, elle n'est pas éloignée, elle est. dans votre coeur (Rm 10,8),» pourvu que vous la cherchiez avec un coeur droit. Élevez donc votre coeur, levez-vous de votre lit, si vous ne voulez pas entendre en vain la voix de celui qui vous crie: Élevez votre coeur. Voilà comment vous trouverez la sagesse par votre coeur, et comment la prudence coulera à flots de vos lèvres, elle coulera, dis-je, prenez garde qu'elle n'en tombe et ne s'en échappe comme ce qu'on vomit.

3. Vous avez trouvé un rayon de miel si vous avez trouvé la sagesse, seulement n'en mangez pas trop si vous ne voulez en être dégoûté et le vomir ensuite, n'en mangez que pour désirer en manger encore. C'est elle qui a dit: «Ceux qui me mangent auront encore faim de moi (Si 24,29).» Ne vous dites pas que vous en avez beaucoup, et n'en mangez pas à satiété, si vous ne voulez pas le vomir et vous voir enlever ce que vois semblez avoir, parce que vous aurez cessé de chercher avant le temps; car il ne faut pas renoncer à la chercher et à. l'appeler tant qu'on peut encore la trouver, ce qui n'empêche point d'ailleurs que, «de même que celui qui mange beaucoup de miel, comme dit toujours Salomon, cesse de le trouver bon; ainsi celui qui veut sonder la majesté de Dieu sera accablé du poids de sa gloire (Pr 25,27).» A quoi bon, ô Pilate, interroger le Seigneur en secret pour qu'il te dise à l'oreille ce que c'est que la vérité? C'est désirer beaucoup pour toi, une chose si sainte ne sera pas jetée à un chien, et cette perle ne saurait être donnée à un pourceau. Cherche plutôt le goût de la foi, mais en attendant garde-toi de rechercher la satiété de la foi. Aussi, mes frères, le vit-on avec raison se retirer aussitôt comme atteint dit dard de la vérité, et, sans attendre la réponse du Sauveur, sortir vers les Juifs, après avoir commencé à s'élever à une hauteur, et dans une région placée bien au dessus de lui, quand il demandait ce que c'était que la vérité (Jn 18,38).

4. Cherchons donc la sagesse dans notre coeur, la sagesse, dis-je, qui vient de la foi, comme s'exprime l'Apôtre quand il dit: «Il ne faut pas être sage au delà de ce qu'on doit, mais il faut être sage avec sobriété (Rm 12,3).» Or, on est sobre dans la Sagesse (a) quand on méprise les biens présents, et. quand on soupire après les biens à venir. Oui, vous avez trouvé la sagesse si vous pleurez vos péchés passés, si vous estimez peu les biens qu'on désire en ce monde, si enfin vous soupirez de toute l'ardeur de votre âme après la félicité éternelle.

a Ce passage est rapporté, dans le recueil des Fleurs de saint Bernard, livre 8, chapitre XXX.

Vous avez trouvé la sagesse si vous estimez ces biens pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire si vous trouvez les premiers amers et dignes d'être évités à tout prix, les seconds caducs, passagers et méprisables; et les troisièmes parfaits, dignes de tous vos désirs, si vous trouvez et jugez qu'il en est ainsi, par un goût intime de l'âme. Oui, on peut regarder comme une sagesse pleine de sobriété, et qui n'a point à craindre de produire le vomissement, celle dont le froid de la crainte, au souvenir des péchés passés, et la chaleur de la charité excitée par le désir des promesses divines, éloignent la tiédeur des préoccupations mauvaises du présent; dans ces dispositions vous ne rejetterez point la sagesse de votre bouche, et vous ne serez point rejeté par elle. S'il est vrai que l'homme qui a trouvé la sagesse est bien heureux, on peut dire que celui qui y demeure est bien plus heureux encore, peut-être peut-on dire que ce dernier point a rapport à l'affluence dont parle l'Écriture (Si 14,22).

5. Or la sagesse ou la prudence afflue. de trois manières dans notre bouche, d'abord, quand sur nos lèvres se trouve l'aveu de notre iniquité, puis l'action de grâces et des paroles de louanges, et enfin, un langage édifiant. «Car s'il faut croire pour obtenir la justice, il faut confesser sa foi, par ses paroles pour obtenir le salut(Rm 10,19).» D'ailleurs, le juste s'accuse lui-même le premier dès qu'il ouvre la bouche pour parler (Pr 18,17); car après cela, il lutte le Seigneur; colin, si la sagesse afflue à ce point, il doit édifier le prochain. Mais la sagesse doit-elle affluer aussi dans les couvres? Oui, beaucoup nième. Cherchons bien et nous trouverons qu'elle y afflue aussi du trois manières: un sage a dit, en effet, jadis, que la sagesse serait triplement décrite. Pour moi, si vous n'avez rien de mieux de votre côté à proposer, je pense, pour ce qui est des oeuvres, que la sagesse afflue abondamment dans un homme, quand il vit dans la continence, dans la patience et dans l'obéissance, en sorte que l'exactitude de son obéissance mortifie sa volonté propre, son humble continence coupe toute volupté charnelle et mondaine dans sa racine, et sa patience, remplie de bonne humeur, soutient virilement l'adversité de quelque côté qu'elle lui vienne, de son corps ou du monde.



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