Bernard sermons 7022

VINGT-DEUXIÈME SERMON. Les quatre dettes.

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1. Mes frères, vous êtes dans la voie qui conduit à la vie, dans la voie droite et sans souillures qui mène à la sainte cité de Jérusalem, je veux parler de la Jérusalem qui est libre, qui est d'en haut, qui est notre mère enfin. La montée qui y mène est ardue sans doute, car elle est tracée dans le roc vif qui couronne la montagne où elle est. assise; mais il est, pour y aller, nue voie plus courte qui diminue, qui fait même disparaître entièrement ce que la fatigue de la route a de grand. Pour vous, vous marchez, ou plutôt vous courez dans cette voie, avec une heureuse facilité, et avec une facile félicité, parce que vous avez mis bas tout fardeau pesant, vous vous êtes ceint les reins et ne portez plus rien de lourd sur vos épaules. Il n'en est pas ainsi pour .tout le monde; non il n'en est pas ainsi pour ceux qui, par exemple, traînant derrière eux de vrais quadriges avec tout leur pesant attirail, veulent faire le tour de la montagne; la plupart du temps ils tombent de ses flancs ardus au fond des précipices, en sorte que c'est à peine s'ils peuvent trouver la fin de leur vie. Heureux donc êtes-vous, vous qui avez quitté tout ce que vous possédiez sans aucune exception, et qui vous êtes quittés vous-mêmes, vous préparez et aplanissez la voie sur la crête même de la montagne, à celui qui la gravit, vers le couchant, le Seigneur est son nom (
Ps 67,4). Les autres, au contraire, même après avoir quitté l'Égypte, n'en soupirent pas moins du fond de l'âme après tout ce qui tient à l'Égypte, et ils n'ont pas pu trouver la route qui conduit à la cité où ils pourraient habiter (Ps 105,4). Accablés sous le pesant fardeau de leur volonté propre, ils tombent soit avec, soit sous le faix qu'ils portent, et ne peuvent, qu'à grand'peine, atteindre au but qu'ils se proposent.

2. Mais quoi, et de cela rendons-en grâce à celui par la grâce de qui il en est ainsi, votre vie n'est elle pas la reproduction de la vie des apôtres (a) mêmes? Ils ont tout quitté, et, réunis sous les yeux du Sauveur, et à son école, ils ont puisé avec joie des eaux pures à sa fontaine (Is 12,3), ils ont bu la fontaine de la vie à cette fontaine même. Heureux les yeux qui virent ces merveilles. Mais vous, mes frères, D'avez-vous pas fait quelque chose d'analogue, non pas en sa présence, mais en son absence, non pas à sa voix, mais à la voix de ses messagers? Revendiquez pour vous la prérogative d'avoir cru sur la parole

a Saint Bernard explique sa pensée plus loin dans le vingt-septième de ses Sermons divers, n. 3 et dans le trente-septième n. 7.

de ceux qui vous ont parlé de sa part, tandis que c'est au Sauveur lui-même qu'ils voyaient de leurs yeux et dont ils entendaient la voix, que les apôtres ont cru- C'est pourquoi, mes très-chers frères, demeurez fermes comme eux dans le Seigneur (Ph 4,1), et, de même qu'ils se sont maintenus dans la voie royale de sa justice, malgré les souffrances de la faim et de la soif, malgré le froid et la nudité, au milieu des fatigues et des jeûnes, dans les veilles et les autres observances, ainsi estimez-vous en quelque sorte semblables à eux, sinon par vos mérites, du moins par votre genre de vie, et dites au Seigneur votre Dieu quand vous vous présenterez au pied du trône de sa gloire: «nous nous sommes réjouis à proportion des jours où vous nous avez humiliés, et des années où nous avons éprouvé des maux (Ps 89,17).» Je vous dis en vérité que vous êtes dans la vérité, dans la voie droite, dans la voie sainte, dans la voie qui mène au saint des saints. Je mentirais, je le dis pour votre consolation, je mentirais, si je niais que des âmes de religieux profès, de novices et de convers se sont envolées des mains d'un pauvre pécheur, comme moi, vers les joies du ciel, aussi libres que libérées de la prison de notre mortalité. Si vous me demandez comment je le sais, sachez qu'il m'en a été montré et donné des signes très-certains.

3. Je n'ai donc rien à craindre pour vous, et, à votre place, des forces de Satan et de ses ministres; car je sais que toute sa puissance a été amincie et réduite à rien par les blessures du Rédempteur. En effet, c'est dans un esprit de force que ce plus fort a vaincu le fort armé et brisé ses portes d'airain et leurs gonds de fer. Ce que je crains pour vous, ce sont ses ruses et ses finesses dont il n'ignore pas l'efficacité contre la fragilité humaine; de quelque côté qu'elle se tourne, il la connaît, en effet, en partie, par l'expérience qu'il en a faite, depuis tant de milliers d'années. Voyez, en effet, ce ne sont ni les ours, ni les lions, ni les plus forts animaux de la création que cet homicide insatiable a envoyés à nos premiers parents, mais le serpent, un animal tortueux et rusé, qui, dans ses replis multipliés, recouvre tantôt sa tête de sa queue, et tantôt sa queue de sa tête. D'ailleurs le serpent n'était pas le plus fort, «mais le plus rusé de tous les animaux de la terre (Gn 3,1),» au dire de. l'Écriture. Aussi, est-ce par une question qu'il commence, pour sonder les dispositions de la femme; il savait qu'il avait plutôt besoin d'esprit que de force pour vaincre.. Pourquoi, dit-il, le Seigneur vous a-t-il défendu de manger du fruit de l'arbre du bien et du mal? De peur que peut-être nous ne mourrions, répondit-elle, en donnant pour douteux, «de peur due nous ne mourrions,» ce que le Seigneur avait présenté comme une chose très-certaine, en disant: «Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort.» Nullement, dit le serpent, vous ne mourrez pas (Gn 3,2).» Dieu affirme, la femme doute, et Satan nie. Voilà pourquoi j'appréhende aussi que de même que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la pureté qui est en Jésus-Christ (2Co 11,3).

4. Pensez-vous qu'il s'en trouve parmi vous à qui Satan suggère aussi cette pensée à l'esprit: Pourquoi Dieu vous a-t-il ordonné de suivre cette règle? Et, selon la pente de votre esprit, si vous êtes tiède, il vous conseille le relâchement; si vous êtes fervent, il vous propose une vie plus sévère, il ne demande et n'attend qu'une chose, c'est, n'importe par quel moyen, de vous enlever de l'assemblée des justes, et de vous séparer de leur troupe. Il est bien certain que l'esprit qui vous suggère ces pensées est un esprit de mensonge, et un esprit puissant qui porte envie à votre place. Aussi, le Sage qui n'ignorait pas cela, a-t-il dit: «Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève contre vous, ne quittez point votre place (Si 10,4).» N'allez pas croire, en effet, que l'esprit de vérité qui vous a conduits ici, veuille vous en éloigner; car on ne saurait trouver sur ses lèvres le oui et le non, on n'y trouve que le oui, selon le témoignage d'une irréprochable autorité. «Personne, dit l'Apôtre, parlant par l'esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus (1Co 12,3).» Jésus signifie sauveur ou salut; anathème veut dire séparation. Celui donc qui va murmurer à votre oreille des conseils de vous séparer du salut, ne saurait être l'esprit de Dieu, ni lin esprit envoyé de sa part. L'esprit de Dieu ne vient pas dissiper, mais réunir, il ne cesse de rappeler dans leur patrie les enfants d'Israël qui sont dispersés.

5. Mais si c'est une vie plus austère que recherche ce religieux, que direz-vous? Je vous répondrai que celle que nous avons embrassée, est très-forte et répond, en tout point, autant que possible, si on ne ferme pas les yeux à la lumière, pour ne pas le voir, à la première école du Sauveur. Mais au contraire, osez-vous bien descendre, en pensée , à un état de vie moins austère? O si vous pouviez savoir, mes frères, de combien de choses, et à combien de créanciers vous êtes redevables? vous verriez que ce que vous faites n'est rien, et qu'on ne saurait le mettre en ligne de compte, en présence de vos dettes. Voulez-vous savoir (a) ce que vous devez, et à qui vous le devez? Et d'abord, vous devez votre vie tout entière à Jésus-Christ, attendu qu'il a lui même donné la sienne pour vous, et qu'il a souffert d'amers tourments pour que vous n'en souffriez point d'éternels. Que pourrez-vous trouver de dur et de pénible, quand vous vous rappellerez, qu'étant en la forme de Dieu, aux jours de son éternité, engendré avant Lucifer, dans la splendeur des saints, splendeur lui-même, et figure de la substance de Dieu, il est venu dans votre prison; il s'est plongé jusqu'au cou, comme on dit, dans votre limon? Qu'est-ce qui ne vous semblera point doux, quand vous vous représenterez à la fois toutes les amertumes de Votre Seigneur, et quand vous vous rappellerez d'abord les nécessités (b)

a Ce passage se trouve reproduit deus le livre IX des Fleurs de saint Bernard, chapitre XI.

b Saint Bernard s'est exprimé dans les mêmes termes dans. son sermon du mercredi saint n. 2, et dans le quarante troisième sermon sur le Cantique des cantiques, n. 3. C'est ainsi qu'il répète quelquefois, certaines de ses pensées, comme nous avons vu plus haut qu'il l'a fait en particulier dans son sermon sur saint Matthieu, n.5.

des jours de son enfance, ensuite les travaux de sa prédiction, les fatigues de ses courses, les tentations qui suivirent ses jeûnes, ses veilles dans les prières, ses larmes de compassion, et les embûches qui lui étaient dressés dans ses entretiens avec les hommes, puis ses périls de la part des faux frères, les sarcasmes , les crachats, les soufflets, les fouets , les dérisions , les moqueries, les reproches, les clous, et le reste qu'il fit ou souffrit sur la terre, pendant trente-trois ans, pour notre salut? Quelle pitié, et combien peu nous l'avions méritée, quel amour, et combien gratuit, comment prouvé! quel honneur , et combien inopiné! quelle douceur étonnante, quelle mansuétude invincible! Le roi de gloire, mis en croix pour un si méprisable esclave, pour un misérable ver de terre! Qui a jamais entendu parler de pareilles choses, ou qui a jamais vu rien de semblable? Car c'est à peine si quelqu'un voudrait mourir pour un juste (Rm 5,7), et lui meurt pour des hommes injustes , pour ses ennemis: par choix, il s'exile du ciel, afin de nous ramener au ciel, comme un ami, plein de douceur, un conseiller plein de prudence, un soutien plein de force.

6. Que rendrai-je donc au Seigneur, pour tout ce qu'il m'a donné? Si je réunissais en moi toutes les vies des enfants d'Adam, tous les jours du siècle, et tous les travaux des hommes, tant de ceux qui ont été ou qui sont encore, que de ceux qui seront, ce ne serait rien, en comparaison de ce corps qui attirait les regards et. l'admiration des Vertus d'en haut par sa conception du Saint-Esprit, sa naissance de la vierge Marie, l'innocence de la vie, la prédication de sa doctrine, l'éclat de ses miracles et. la révélation des mystères. Ne voyez-vous pas que sa vie est élevée au dessus de la nôtre, autant que les cieux le sont au dessus de la terre? et cependant il l'a donnée pour la nôtre. De même qu'il n'y a pas de comparaison possible entre le néant et ce qui est, ainsi n'y a-t-il aucune proportion à établir entre notre vie et la sienne, puisqu'il ne s'en peut voir de plus estimable que la sienne, ni de plus misérable que la nôtre. Ne pensez pas que c'est ici une exagération oratoire, car, en ces matières, la langue manque d'expressions, et 1'oeil de puissance, pour contempler le mystère d'une telle grâce. Quand je lui donnerais tout ce que j'ai, tout ce que je peux, tout cela n'est-il pas, en comparaison, comme une étoile par rapport au soleil, comme une goutte d'eau en regard d'un fleuve , comme une pierre auprès d'une tour, comme un grain de poussière auprès d'une montagne, comme un grain de blé, en face d'un monceau de grains semblables? Je n'ai que deux petites, que dis-je, que deux très-petites choses à moi, mon corps et mon âme; disons mieux, je n'ai qu'une seule toute petite chose, ma propre volonté, et je ne la sacrifierais pas à la volonté de celui qui, si grand lui-même, a comblé de si grands bienfaits un être aussi petit que moi, et qui m'a acheté tout entier, en se donnant tout entier lui-même? Autrement, si je la retiens pour moi, de quel front, de quels yeux, de quel esprit, avec quelle conscience irai-je me réfugier dans les entrailles de la miséricorde de notre Dieu , oserai-je percer ce très-fortrempart qui protège Israël, et faire couler, pour mon rachat, non point quelques gouttes, mais des flots de sang des cinq parties de son corps? O génération perverse, ô enfants infidèles! Que ferez-vous le jour où le malheur fondra de loin sur vous? A quel refuge aurez-vous recours?

7. Mais ne suis-je débiteur qu'envers celui-là seul à l'égard de qui je puis à peine m'acquitter quelque peu? Mes péchés passés réclament tout le reste du temps que j'ai encore à vivre, pour faire de dignes fruits de pénitence, et pour repasser toutes mes années dans l'amertume de mon âme. Or, quel homme est capable de cela? Mes péchés sont plus nombreux que les sables de la mer, ils se sont multipliés, et je ne suis pas digne de voir la hauteur des cieux, à cause de la multitude de mon iniquité, tant j'ai ému votre colère, Seigneur; tant j'ai fait de niai sous vos yeux. «Je me trouve entouré de maux innombrables, mes iniquités m'ont enveloppé, et il m'a été impossible d'en compter le nombre (Ps 39,16).» Comment, en effet, pourrais-je nombrer ce qui est innombrable? et comment pourrais-je satisfaire pour elles, si je suis contraint de rendre jusqu'à la dernière obole ce que je dois? D'ailleurs, où est l'homme qui connaît toutes ses fautes (Ps 18,13)? La trompette (a) céleste; saint Ambroise; nous dit: «J'ai plus facilement trouvé des gens qui ont conservé leur innocence, que des hommes qui aient fait, de leur faute, une pénitence convenable ( S. Amb. l. 2, de punit. C, X).» Si fortement que je me repente, si rudement que je me mortifie; et si vivement que je m'afflige, «ce n'est toujours que pour la gloire de votre nom que vous pardonnerez mon péché, Seigneur, selon le mot du juste, parce que ce nom est grand (Ps 24,11).» Ainsi, soit que vous viviez, soit que vous soyez sage, quoi que vous ayez, quoi que vous puissiez en le consacrant à cette oeuvre de pénitence, faut-il en tenir quelque compte? Il n'y a qu'un instant vous donniez votre vie tout entière à Jésus-Christ en reconnaissance de ce qu'il vous a donné la sienne, et voilà que maintenant le souvenir de toutes vos iniquités passées la réclame encore toute entière. Avez-vous la pensée de vous faire, comme on dit, deux gendres quand vous n'avez qu'une fille?

8. Mais que sera-ce si je vous montre un troisième créancier qui réclamera votre vie tout entière pour lui seul, avec non moins de titre que d'exigence? Je pense que vous avez le désir de posséder un jour cette cité dont il a été parlé en ces termes: «On a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de bien (Ps 86,2);» cette gloire que l'oeil n'a point vue, que l'oreille n'a point entendue, et que le coeur de l'homme n'a jamais conçue (1Co 2,9), le royaume des cieux, en un mot; la vie éternelle et dans de perpétuelles éternités. Je crois que vous voulez, être égal aux anges, dans les places de la céleste Sion, et voir, quelque chose qu'il faille entendre par là, le Christ remettre le royaume à son

a C'est ainsi que dans sa lettre cinquante-sixième, saint Bernard appelle aussi la bouche de saint Norbert, une trompette céleste.

Père, et Dieu être tout en tous; vous voulez enfin être semblable à Dieu et le voir tel qu'il est. Je ne doute pas non plus que vous n'ayez le désir de contempler la décroissance des ombres et le lever du jour, alors que brillera le jour solennel qui doit dissiper tous les nuages. Alors, le jour n'aura plus de déclin, ce sera un éternel midi. Alors, dis-je, on sera en pleine lumière, en pleine chaleur, le soleil demeurera immobile à sa place, les ténèbres seront exterminées, les marécages seront desséchés, et tous les miasmes qui s'en élèvent, dissipés. Est-ce que pour acquérir cela c'est trop de vous donner tout entier, avec tout ce que vous pourrez réunir à votre personne, de quelque côté que vous le tiriez? Et même quand vous aurez tout réuni, n'allez pas croire que les souffrances de la vie présente, ou du corps, aient quelque proportion avec la gloire qui sera un jour manifestée en nous (Rm 8,48). Seriez-vous donc si impudent, ou si imprudent, que vous osassiez compter, pour acquérir tout cela , sur le petit bien qui vous appartient, et que, soit la vie du Christ, soit la pénitence de vos péchés, réclament à l'envie pour elles-mêmes?

9. Mais que direz-vous si je vous amène un quatrième créancier, qui, à raison même de son privilège, a le droit de vous réclamer avant les trois premiers? Voici que celui qui a fait le ciel et la terre se tient là à la porte; il est votre Créateur, et vous sa créature; vous êtes le serviteur, et lui, le Seigneur; il est le potier et vous le vase sorti de ses mains; par conséquent, vous lui devez tout ce que vous êtes, puisque c'est de lui que vous tenez tout, c'est lui surtout qui est le Seigneur, qui vous a fait, et qui vous a comblé de bienfaits, qui a établi pour vous le cours des astres, la tempériede l'air, la fécondité de la terre, et l'abondance de ses fruits. C'est donc lui que vous devez, en effet, servir de toute l'ardeur de vos entrailles, et de toutes vos forces, si vous ne voulez point qu'il jette sur vous un regard d'indignation et de mépris, et qu'il vous écrase à jamais pour les siècles des siècles. Je ne puis croire que vous soyez assez insensé pour oser, je ne dis pas compter pour quelque chose, mais seulement nommer le peu qui est à vous. Dites-moi auquel de ces quatre créanciers vous avez l'intention de payer votre dette; chacun d'eux est si pressant (a) qu'il pourrait vous étouffer. Ah! Seigneur, je souffre des maux d'une violence extrême, répondez-moi (Is 38,14)! Seigneur, je remets mon faible avoir entre vos mains, payez tous mes créanciers, délivrez-moi de toutes leurs poursuites, car vous êtes un Dieu non point un homme, et ce qui est impossible à l'homme ne saurait l'être pour vous. Quant à moi, j'ai fait tout ce qu'il était en mon pouvoir de faire, Seigneur, excusez-moi, car vos yeux ont vu toute mon insuffisance. Où donc est l'homme qui murmurerait encore entre ses dents, et dirait: Nous avons trop travaillé, trop jeûné, trop veillé, quand il est hors d'état de donner un pour mille, que dis-je, hors d'état d'acquitter la plus minime partie de ce

a Plusieurs éditions donnent ici une leçon un peu différente et font dire à saint Bernard: . chacun d'eux, tant celui du dedans que du dehors est un créancier pressant..

qu'il doit? Voilà peut-être bien, mes frères, votre vraie quadragésime, la quadragésime non point extérieure, mais intérieure, qui ne renferme pas seulement l'écorce extérieure du grain de blé, mais qui en contient la riche substance. Si vous devez à chacun de ces quatre créanciers par soi et pour soi, toute la perfection du décalogue, il est évident que multipliés par dix, ils font la quadragésime que vous devez observer tous les jours de votre vie. Que celui qui vous a réunis en ce lieu, conserve votre vie dans son oeuvre sainte, afin que lorsqu'il apparaîtra, lui qui est votre vie, vous apparaissiez, vous aussi, avec lui dans la gloire.




VINGT-TROISIÈME SERMON. Du discernement des esprits.

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1. Paul, le docteur des gentils, prenant occasion de la nature spirituelle, selon laquelle nous vivons, pour nous exciter à vivre d'une manière spirituelle, dit à ses disciples: «Si nous vivons par l'Esprit de Dieu, conduisons-nous aussi d'après ce même Esprit (
Ga 5,25).» C'est comme s'il avait dit: Si la chair ne sert de rien, et si c'est l'Esprit qui vivifie (Jn 6,65), il faut séparer ce qui est précieux de ce qui est vil et méprisable, et préférer ce qu'il y a de meilleur, c'est-à-dire marcher selon l'esprit, non pas selon la chair. En effet, la chair doit se tourner du côté de l'esprit, non point pour être servie par lui, mais pour le servir elle-même , en sorte que l'esprit puisse lui dire, comme à son serviteur: Viens ici, et qu'elle y vienne; fais cela, et qu'elle le fasse. Voilà comment notre épouse deviendra telle qu'une vigne fertile, et se sauvera par les enfants qu'elle mettra au monde, je veux dire par les bonnes oeuvres, si toutefois elle se tient elle-même à côté de notre maison, c'est-à-dire dans quelque endroit humble et caché. Quant à l'âme, qu'elle habite au beau milieu de la maison, comme la maîtresse, comme le père de famille, comme le juge, et il en sera alors comme le disait le Prophète, quand il s'écriait: «Mon âme est constamment dans mes mains (Ps 118,109).» Maudit soit, au contraire, l'esprit qui diminue lui-même sa propre importance. Malheur à l'homme qui nourrit une femme stérile et ne prend pas soin de la veuve. Après tout, le même Apôtre nous atteste que si nous vivons selon la chair nous mourrons (Rm 8,13), attendu que ceux qui marchent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu, et que ceux qui sèment dans la chair ne peuvent moissonner de la chair que la corruption. Mais, au contraire, si nous mortifions par l'esprit les actions de la chair, nous vivrons, car ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont les vrais enfants de Dieu, et ceux qui sèment dans l'esprit, moissonneront de l'esprit la vie éternelle.

2. C'est donc prudemment, non point follement fait à nous, mes frères, d'avoir choisi la vie spirituelle, de châtier notre corps, de le réduire en esclavage, et d'adorer Dieu en esprit et en vérité, parce qu'il est esprit. Mais comme il y a divers (a) genres d'esprits, il est nécessaire que nous sachions les discerner, d'autant plus que nous avons appris de l'Apôtre qu'il ne faut pas nous confier à toute espèce d'esprits (1Jn 4,1). Il peut paraître aux personnes peu instruites et qui ont les sens peu exercés, que toute pensée n'est le langage que de l'esprit humain, non point d'un autre esprit. Or, il n'en est certainement pas ainsi, c'est une vérité indubitable de foi que les Saintes Écritures appuient de leur témoignage. En effet, le Prophète dit: «J'écouterai,» non pas ce que je dirai, mais «ce que le Seigneur Dieu dira en moi (Ps 84,8).» Un autre Prophète a dit de même: «L'ange qui parlait en moi, etc. (Za 1,9),» et, dans un Psaume, nous lisons qu'il vient des pensées à l'esprit, suggérées par de mauvais anges (Ps 77,49). Voilà pourquoi l'Apôtre appréhende que, de même que le serpent déçut Ève, par sa ruse, ainsi ne soient déçus les coeurs des disciples à qui il s'adresse, par celui dont ce même Paul ne connaît que trop bien les fourberies. Aussi dit-il: «Nous n'avons point à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances; contre les princes de ce monde, c'est-à-dire de ce siècle ténébreux (Ep 6,12)» Or, que l'esprit de la chair ne soit pas un bon esprit, c'est ce que le même Apôtre il nous dit assez clairement quand il nous parle de ceux qui sont enflés par l'esprit de leur chair. De même il nous apprend aussi qu'il y a un esprit de ce monde quand il se glorifie dans le Seigneur, non moins pour ses disciples que pour lui-même de ce qu'ils n'ont pas reçu cet esprit-là, mais l'esprit de Dieu «qui nous apprend, dit-il, les dons que Dieu nous a faits (1Co 2,12).»

a Ce passage est rapporté dans les Fleurs de saint Bernard, livre X, chapitre XV, où ce sermon est intitulé: Des sept Esprits.


3. Le malin esprit, le prince des ténèbres adopte deux satellites, en sorte que cet esprit du mal règne en même temps sur l'esprit de la chair, et sur l'esprit de ce monde. Quel que soit donc celui de ces trois esprits qui parle au nôtre, gardons-nous bien de le croire, car ils sont tous les trois altérés du sang; non pas de vos corps, mais de vos âmes, ce qui est bien autrement grave. Mais comme leur nature à tous, est spirituelle, c'est à leur langage que nous les reconnaîtrons; leurs suggestions nous diront assez quel esprit nous parle. En effet, toujours l'esprit de la chair nous pousse à la mollesse; celui du monde, à la vanité; et celui de la malice, aux choses amères. Toutes les fois donc que des pensées charnelles viennent à contre temps, comme c'est l'ordinaire, frapper à la porte de notre esprit, par exemple, quand au milieu des pensées qui se rapportent au boire et au manger, au sommeil et à mille autre soins qui regardent la chair, nous nous laissons aller d'une manière tout humaine à l'ardeur de nos désirs, tenons pour certain que c'est l'esprit de la chair qui nous parle, et repoussons-le comme un ennemi, en lui disant: «Arrière, Satan, car tu n'as pas le goût des choses de Dieu (Mc 8,33) ,» bien loin de là, ta sagesse même est ennemie de Dieu. Mais s'il s'élève dans votre coeur, non point des désirs charnels, mais de vaines pensées d'ambition, de jactance, d'arrogance et autres semblables, c'est l'esprit du monde qui vous parle, c'est un ennemi bien plus pernicieux que le premier, il faut le repousser avec beaucoup plus de soin encore. Mais parfois quand ces deux satellites du troisième ont tourné le dos, leur chef, la rage dans le coeur, semblable à un lion rugissant, s'élance contre nous; et alors ce n'est pas au plaisir de la chair, ni à la vanité du siècle; mais à la colère, à l'impatience, à l'envie, à l'amertume d'âme qu'il nous porte, en nous représentant avec importunité tout ce qui peut sembler fait ou dit, avec trop peu d'amitié ou de discrétion, en un mot, il nous met sous les yeux tout ce qui, dans un signe, dans un acte quelconque, peut donner lieu à la colère et matière aux soupçons. Il ne faut pas résister autrement à ces passions qu'au démon lui-même, ni se mettre moins en garde contre cette manière de se perdre que contre les deux autres; il est écrit, en effet: «C'est par votre patience que vous posséderez vos âmes (Lc 21,19).»

4. Cependant, il n'est pas rare que notre propre esprit, souvent vaincu par l'un des trois esprits dont je viens de parler, soit devenu son esclave, se charge, hélas! de son rôle, pour travailler à sa propre perte, si bien que lors même que les autres esprits ne lui suggèrent aucune mauvaise pensée, notre âme elle-même enfante de son propre fonds des pensées de volupté, de vanité et d'amertume. Or, je ne crois pas facile de discerner si c'est notre propre esprit qui parle, ou s'il écoute la voix de quelqu'un des trois esprits. Mais qu'importe qui nous parle, dès que le langage est absolument le même. A quoi bon connaître la personne de celui qui nous adresse la parole, s'il est constant que ce qu'il dit est pernicieux? Si c'est l'ennemi, résistez bravement à l'ennemi; mais si c'est votre propre esprit, reprenez-le, et gémissez du fond de votre âme de le voir tombé dans une telle misère et dans une si misérable servitude..

5. Toutes les fois, au contraire, que la salutaire pensée vous vient à l'esprit de châtier votre corps, d'humilier votre coeur; de conserver l'unité, de donner à vos frères des preuves de votre charité, d'acquérir d'autres vertus, de les conserver et de les augmenter, il n'y a pas de doute, c'est l'esprit de Dieu qui parle, soit par lui-même, soit par le ministère de son ange. Or, comme nous l'avons dit, en parlant de l'esprit de l'homme, et de l'esprit malin, s'il n'est pas facile de discerner lequel des deux est celui qui parle, ainsi en est-il de l'esprit des anges et de celui de Dieu; il n'est pas facile de savoir lequel des deux parle, et il est dangereux de l'ignorer, d'autant plus qu'il est certain que le bon ange ne parle jamais de lui-même, et que c'est Dieu qui parle en lui.

6. Considérons donc avec quel zèle et de quelle manière ou plutôt avec quelle indignation nous devons désormais, je ne dis pas écouter, mais écarter les suggestions de ces esprits malins, détourner notre attention pour ne point prêter l'oreille à des paroles de sang, au langage de la sagesse qu'inspirent la chair et le sang, nous saisir dès le principe de ces enfants de Babylone, je veux parler des pensées mondaines, pour les briser contre la pierre, rejeter de la présence de notre coeur l'esprit malin lui-même avec toutes ses tentations, et le réduire enfin au néant. Quant aux pensées qui nous rappellent la justice et la vérité, nous devons les recevoir avec toute sorte de dévotion, et en remercier la grâce de Dieu. Ne nous montrons jamais ingrats envers la bonté de Dieu, et n'oublions pas qu'il n'y a que lui qui nous parle de justice, lui, dis-je, dont le langage est vérité. Quelle témérité, en effet, ou plutôt quelle folie à nous, quand le Seigneur de majesté nous parle, de détourner l'oreille comme des insensés et d'appliquer notre esprit je ne sais à quelles inepties! Quelle injure n'est-ce point pour un misérable ver de terre, de ne pas daigner prêter l'oreille à la voix de son créateur qui lui parle, et de quel châtiment ne mérite-t-elle point d'être vengée? Mais, d'un autre côté, quelle n'est pas l'ineffable condescendance de la grâce divine qui nous voit tous les jours détourner nos malheureuses oreilles et endurcir nos coeurs, et qui néanmoins crie vers nous et ne cesse de se faire entendre dans les places publiques? Oui, c'est bien dans les places publiques, car c'est dans l'ampleur de la charité. En effet, Seigneur, vous n'avez pas besoin de nos biens, et pourtant vous nous dites: Convertissez-vous à moi, ô enfants des hommes, et ailleurs: «Revenez, revenez, ô Sulamite, revenez, revenez, afin que nous vous considérions (Ct 6,12).»

7. Aussi, vous prié-je, mes bien-aimés, vous qui n'avez pas oublié le Seigneur, de ne point vous taire, et de ne pas lui répondre par le silence; écoutez constamment le langage du Seigneur Dieu, au dedans de vous, car ce ne peut être qu'un langage de paix. Heureuse donc et bienheureuse l'âme qui entend le murmure de la voix de Dieu dans le silence, et qui répète, suivant le mot de Samuel: «Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute (1S 3,9)» Mais terminons-là ce sermon pour aujourd'hui, pour que, dans le silence des hommes, nous entendions au dedans de nous, la voix de Dieu qui nous parle, et nous donne des conseils au sujet de son royaume, conseils d'autant plus utiles qu'ils sont plus subtils; car ils ne nous arrivent que par une inspiration toute extérieure. Mais si le Seigneur lui-même me suggère encore quelque autre pensée sur la nécessité d'écouter sa voix, je vous en ferai part dans un autre sermon, car je ne veux pas, surtout dans un sujet aussi utile et aussi spirituel, fatiguer votre esprit par de trop longues paroles.


VINGT-QUATRIÈME SERMON. Utilité multiple de la parole de Dieu.

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1. Vous n'avez point oublié, je pense, comment dans mon sermon d'hier j'ai attiré votre attention sur la nécessité pour nous de discerner les esprits, avec quel soin vous devez boucher profondément les oreilles de votre coeur contre les sifflements empoisonnés de l'antique serpent, et contre les chants mortels de la sirène, pour ne point entendre l'esprit de la chair, quand il vous parle le langage de la mollesse, ni l'esprit du monde quand il vous suggère des pensées de vanité, ni l'esprit de malice quand il vous pousse à l'amertume et sème le scandale. Mais il faut bien connaître en particulier les ruses de ce dernier esprit, il est important de ne point ignorer ses pensées. En effet, il arrive quelquefois à l'esprit malin, à l'esprit pervers de se transformer en ange de lumière, afin de faire plus de mal par la feinte de la vertu (
2Co 11,14). Eh bien, même dans ce cas, il ne cesse point, si vous y faites attention, de répandre encore des germes d'amertume et de discorde. En effet, aux uns il conseille des jeûnes singuliers, qui deviennent une occasion de scandale pour les autres. Ce n'est pas qu'il aime les jeûnes, mais c'est qu'il est charmé par le scandale. Il conseille ainsi une foule d'autres choses qu'on peut toutefois aisément discerner de la sagesse divine, si on a devant les yeux cette définition du bienheureux apôtre Jacques, qui nous dépeint ainsi la sagesse de Dieu: «La sagesse de Dieu premièrement est chaste, puis elle est pacifique (Jc 3,17).» Par conséquent, partout où ces deux qualités font défaut, il n'y a pas de doute, on n'a qu'une sagesse bien éloignée de celle de Dieu. Quant à celle qui semble chaste et ne porte à aucun vice d'une manière ouverte, mais, au contraire, a tous les dehors de la vertu, vous pouvez la tenir pour venant de Dieu, si, de plus, elle est pacifique, si elle obtient l'approbation de votre supérieur, et de vos frères spirituels; car le Seigneur ne fera jamais quoi que ce soit sans le révéler à ses serviteurs.

2. Mais je vous ai dit, hier, en partie du moins, avec quelle dévotion, avec quelle humilité, avec quelle sollicitude on doit accueillir toute bonne pensée, comme la parole de la grâce divine, je veux essayer de vous en convaincre encore davantage aujourd'hui. En effet, «Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent (Lc 11,28).» Voulez-vous savoir combien ils sont heureux en effet? Eh bien, le premier effet de la parole de Dieu, quand elle se fait entendre à nos oreilles, c'est de nous troubler, de nous effrayer et de nous juger; mais aussitôt, si nous ne détournons point l'oreille, elle nous vivifie, elle nous fond, elle nous échauffe, elle nous éclaire et nous purifie. En un mot, la parole de Dieu est en même temps pour nous une nourriture et un glaive, un remède et un fortifiant, c'est même le repos, la résurrection, la consommation dans la gloire. Ne vous étonnez pas que la parole de Dieu se trouve être tout en tous, en ce qui concerne la justification, puisqu'elle doit être tout en tous pour ce qui est de la glorification. Que le pécheur entende la parole de Dieu, et il en est troublé jusqu'au fond des entrailles; à cette voix, l'âme charnelle est saisie de tremblement. En effet, cette parole vive et efficace scrute tous les secrets du tacot et les juge, elle sonde les coeurs et les pensées. Aussi, fussiez-vous mort par le péché, si vous entendez la voix du fils de Dieu, vous vivrez, car sa parole est esprit et vie. Si votre coeur est endurci, rappelez-vous ces mots de la Sainte Écriture: «Il lancera ses paroles et il les fera fondre (Ps 147,7),» et ceux-ci encore: «Mon âme s'est fondue au son de la voix de mon bien-aimé (Ct 5,6).» Si vous êtes tiède et que vous craigniez d'être rejeté de la bouche de Dieu, ne vous éloignez pas de la parole, et elle vous embrasera; car sa parole est comme un feu brûlant; mais si vous gémissez sur les ténèbres de votre ignorance, écoutez ce que le Seigneur Dieu vous dira au fond de l'âme, et la parole du Seigneur sera la lumière de vos pieds, le phare de votre voie.

3. Mais peut-être votre douleur est-elle d'autant plus vive que vous voyez plus clairement vos moindres fautes même, à l'éclat de sa lumière. Mais le Père vous sanctifiera dans la vérité qui, après tout, n'est autre chose que sa propre parole, et vous mériterez de vous entendre dire comme les apôtres: «Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite (Jn 15,3):» Et lorsque vous laverez vos mains avec les innocents, il vous tiendra prête une table servie en sa présence, afin que vous ne viviez pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, et que, dans la force que vous puiserez dans cet aliment, vous courriez dans la voie de ses commandements. Et là, s'il s'élève contre vous quelque camp ennemi et s'il vous faut livrer bataille, saisissez le glaive de l'esprit, qui n'est autre que la parole de Dieu, et, par lui, vous triompherez sans peine. Mais vous arrive-t-il d'être blessé dans la lutte, ce qui n'est point rare dans les combats, il vous enverra sa parole qui guérira votre blessure, et vous tirera des mains du trépas, en sorte que vous verrez s'accomplir en vous ce que demandait le centurion dont la foi a mérité de si grandes louanges, quand il disait: «Seigneur, prononcez une parole et mon serviteur sera guéri (Mt 8,8).» Enfin, si vous chancelez encore, confessez-le hautement, et écriez-vous: «Les pieds ont failli me manquer, et peu s'en est fallu que je ne tombasse (Ps 72,2),» il vous affermira par ses paroles, et vous apprendrez par expérience que c'est par la parole du Seigneur que les cieux ont été affermis, et que le souffle de sa bouche a produit toute leur force (Ps 32,6).»

4. Persévérez dans ces pensées, exercez-vous constamment dans ces pratiques jusqu'à ce que l'Esprit vous dise de vous reposer de vos travaux (Ap 14,13). Dans cette parole, vous goûterez un doux repos, vous trouverez un doux sommeil jusqu'à ce que vienne l'heure où tous ceux qui sont dans leurs tombeaux entendront la voix de Dieu, et en sortiront. Mais où iront-ils? les uns au jugement et les autres à la vie éternelle. Or, qui sait s'il est digne de haine ou d'amour? C'est surtout alors, Seigneur, que je vous prie de vous souvenir de votre serviteur, de votre parole dans laquelle vous m'avez donné l'espérance qui fait que je ne crains pas les mauvais discours (Ps 111,7). Bien plus, de bonnes paroles me conduiront à la vision quand vous direz: «Venez, les bien-aimés de mon père, etc. (Mt 25,34); car quiconque m'aura confessé devant les hommes, moi je le confesserai devant mon père (Lc 12,8),» et ses anges. Que celui qui est établi le juge des vivants et des morts daigne nous accorder cette grâce. Ainsi soit-il (a).



a Dans le manuscrit de saint Evroul, ce sermon, à partir du n. 4, se termine ainsi: Mais en attendant, exercez-vous dans ces pratiques jusqu'à ce que la voix de Dieu, qui aide le combattant, appelle au repos le soldat triomphant, et se manifeste dans la gloire après avoir éclaté dans la puissance, alors que l'esprit vous dira de vous reposer do vos travaux (Ap 14,13). Un jour viendra aussi où votre corps lui-même ressuscitera de la poussière du sépulcre à cette voix, quand ceux qui sont dans leurs tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu et sortiront de leurs sépulcres (Jn 5,28).» Il est nécessaire aussi qu'il se souvienne alors pour son serviteur de la parole par laquelle il vous a donné l'espérance pour que vous ne craigniez point les mauvais discours, mais que vous n'entendiez que cette bonne parole: «Venez, les bénis de mon Père (Mt 25,34).»

Voilà la voix qui conduit en face de Dieu où vous pourrez vous écrier: «Je vous ai entendu, ce qui s'appelle entendu, de mes propres oreilles, et maintenant je vous contemple de mes propres yeux (Jb 42,6).» Je ne pense pas que vous ayez regret alors d'avoir entendu ses menaces, supporté ses réprimandes et souffert ses remontrances qui étaient comme le chemin par où il vous montrait à chercher son salut. Puisqu'il en est ainsi et que la sainte-Ecriture, non moins que notre propre expérience, nous assure qu'il y a pour nous d'innombrables avantages à écouter la voix de Dieu, pourquoi, malheureux hommes que nous sommes, nous laisser distraire par tant de choses, et mendier des consolations fragiles? Comme si nous ne trouvions pas sous la main, sans aucune difficulté et dans la parole de Dieu qui est tout près de nous, dans notre bouche, dans notre coeur (Rm 8,8), tout ce qui peut nous sauver, nous réjouir et nous combler de bonheur. C'est donc avec raison qu'il a dit: Bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent (Lc 9,28), qui la gardent, dis-je, comme un dépôt bien précieux, en sorte qu'ils aient le coeur là où ils ont leur trésor.

Mais je veux vous dire en deux mots ce qui se présente à mon esprit comme étant nécessaire à cette garde. En premier lieu vous devez appliquer votre coeur à écouter bien attentivement ce que Dieu lui dira, à cause de ces paroles de l'Ecriture: «Quiconque l'ignora sera lui-même ignoré (1Co 14,38).» Ensuite accomplissez ce qui a été dit, attendu que celui qui connaît le bien et ne le fait pas est plus coupable qu'un autre (Jc 4,17). Enfin souffrez avec patience toutes ces adversités, attendu que la parole de Dieu ne vous dit pas seulement ce que vous devez faire, mais encore ce que vous devez souffrir. A proprement parler, le vrai culte de latrie, le culte qui n'est dû qu'à Dieu, consiste donc à bien comprendre sa volonté, et, selon la nécessité, à l'accomplir avec force ou à la supporter avec patience.




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