Bernard sermons 7103

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CENT-TROISIÈME SERMON. Il y a quatre degrés qui marquent les progrès des élus.



1. Les progrès que font les élus comptent quatre degrés. Et d'abord chacun devient ami de sa propre âme; en second lieu, ami de la justice; en troisième lieu de la sagesse et enfin devient sage. Au premier degré de ses progrès, l'homme évite tout ce qui pourrait blesser son âme, et aime tout ce qui peut lui être doux. Il a donc horreur de l'enfer et soupire après le ciel; voilà comment il peut accomplir ce commandement de Dieu qu'il a reçu dans sa première conversion: «Tu aimeras le prochain comme toi-même (Mt 22,36).» Car tant qu'il vit selon la chair, il ne peut l'accomplir; cela ne lui devient facile que quand il est conduit par l'esprit de Dieu. En effet, quel avantage l'homme a-t-il si son prochain brûle en enfer? Et que perd-il s'il est avec lui dans le paradis? car l'héritage du ciel n'est pas tel qu'il puisse être diminué par le nombre de ceux qui le possèdent. Il aime donc son prochain qu'il ne veut point voir souffrir pas plus qu'il ne voudrait souffrir lui-même, et qu'il veut voir entrer dans la possession du ciel comme lui. Mais quand est-ce que l'homme pourrait en arriver là par son propre esprit, c'est-à-dire par l'esprit de l'homme, en venir à. redouter l'enfer et à soupirer après le ciel? Mais il le peut par la vertu de l'esprit de celui à qui il a été dit: «Si je monte au ciel, vous y êtes, etc. (Ps 138,7).» Car l'esprit de sagesse, présent partout, connaît ce qui se fait au ciel et ce qui se passe dans l'enfer. Aussi quand il remplit l'esprit de l'homme et y répand l'amour des choses du ciel, de même qu'il y fait naître la crainte des peines de l'enfer, il fait que l'homme s'aime lui-même, et il lui dit: «Ayez pitié de votre âme en vous rendant agréable à Dieu (Si 30,24).» Il faut donc commencer par s'aimer soi-même, puis aimer le prochain; car il n'a pas été dit: tu t'aimeras comme tu aimes ton prochain, mais «tu aimeras le prochain comme toi-même.» C'est de cette manière que l'homme devient ami de son âme par le Saint- Esprit qu'il a reçu avec la foi.

2. Après avoir reçu ce don, il ne doit pas s'en contenter, mais s'avancer vers des dons plus grands encore et faire des progrès en mieux. Il vit déjà par le Saint-Esprit. Or, «si nous vivons par l'Esprit, dit l'Apôtre, conduisons-nous aussi par le même Esprit (Ga 5,25),» et ailleurs: «Pour nous, débarrassés des voiles qui nous couvrent le visage, et contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, et nous avançons de clarté en clarté par l'illumination de l'Esprit du Seigneur (2Co 3,18).» C'est ce que semble avoir senti le Psalmiste au sujet des saints, quand il dit: «Le législateur donnera sa bénédiction aux saints, et ils s'avanceront de vertu en vertu, et enfin ils verront le Dieu des dieux dans la céleste Sion (Ps 83,7).» Qu'il avance donc aussi, celui dont nous parlons, qu'il marche et continue jusqu'à ce qu'il arrive au quatrième degré. Là, n'en doutons point, devenu sage, il verra le Dieu des dieux dans la céleste Sion. Or, de ce que j'ai dit, il suit que celui qui aime bien son âme doit aussi aimer la justice, car s'il aime l'iniquité, on ne peut pas dire qu'il aime son âme, il la hait (Ps 10,6).

3. En aimant la justice, l'homme passe au second degré, et il entend ce précepte de la Sagesse: «Aimez la justice, vous qui jugez la terre (Sg 1,1).» Or, s'il aime la justice parfaitement, il doit pour elle supporter patiemment toute sorte de peines et tous les mépris dont il peut être couvert. En effet, la justice lui donnera surtout deux choses: l'une de faire ce qu'il doit, l'autre de souffrir ce qu'il doit. En d'autres termes, de souffrir le mal qu'il a mérité, s'il n'a pas fait le bien qu'il devait. Voilà comment il arrive d'une manière qui surprend que, sans abandonner la justice nous sommes abandonnés par elle, puisque toute prévarication est punie par elle. Il n'y a personne qui puisse se dérober aux atteintes de la chaleur. Or, non-seulementun homme juste n'a point cette peine en horreur, mais même il la reçoit volontiers, parce qu'il croit avec la foi que c'est par elle que les fautes de sa vie passée sont purifiées. Delà vient en effet qu'il est écrit: «Le juste ne s'attristera point de quelque chose qui lui arrive (Pr 12,21).» Aussi, aux différentes voluptés qui l'ont fait tomber, il oppose les remèdes contraires qui le relèvent; par exemple, s'il est tombé par désobéissance, il revient à la vie par le travail et l'obéissance; s'il est tombé dans la débauche et la dissolution, il se remet de ses chutes par le goût de la continence et par la rigueur de la discipline. Il tire son châtiment des éléments mêmes du monde dont il n'avait fait usage que pour incliner à la volupté. Lorsque ces tourments ont duré longtemps, qu'il est éprouvé comme l'or dans la fournaise, tant que le trouvera bon celui qui nous nourrit du pain des larmes et nous donne à boire l'eau de nos pleurs avec abondance (Ps 79,6), alors enfin il commence à se consoler, et il entend Isaïe lui dire: «Consolez-vous, consolez-vous, mon peuple, dit le Seigneur. Parlez au coeur de Jérusalem et assurez-lui que ses maux, c'est-à-dire son affliction, sont finis, que ses iniquités lui sont pardonnées, et qu'elle a reçu de la main du Seigneur une double grâce, pour l'expiation de tous ses péchés (Is 40,1-2).» Une fois qu'il a reçu de la consolation, il est inquiet et cherche comment il pourra plaire à celui à qui il s'est donné (2Tm 2,4), et dans tout le bien qu'il fait il ne se propose qu'une seule chose: plaire à son Créateur.

4. Puis, il passe au troisième degré d'avancement, c'est-à-dire il devient amide la sagesse qui lui parle avec une affection toute maternelle, et lui dit: «Mon fils, donnez-moi votre coeur (Pr 23,26).» Une fois arrivé à ce degré, il ne lui reste pas autre chose à faire qu'à passer au quatrième où on dit que se tient le sage. C'est ce qui a lieu quand il agit, non plus seulement pour plaire à Dieu, ce qui est le propre du troisième degré, mais parce que Dieu lui plaît, ou que ce qu'il fait plaît à Dieu. Quiconque en est arrivé là, peut chanter en toute confiance et sécurité ce cantique du sage: «En tout j'ai cherché le repos, etc. (Qo 24,11).» En effet, c'est avoir trouvé le repos en tout quand Dieu plait à celui qui n'a point appris à plier la volonté de Dieu à la sienne, mais la sienne à celle de Dieu. «Il s'arrêtera dans l'héritage du Seigneur,» ainsi que la promesse qui en est faite de la bouche même du Seigneur, quand il dit: «Je te donnerai la terre où tu dors (Gn 28,13),» c'est-à-dire ce repos où tu es arrivé par ton travail et tes peines, je le rendrai pour toi stable et perpétuel. S'il ajoute: «et à ta race,» on peut le comprendre en ce sens que non-seulement cette tranquillité est assurée en cette vie et en l'autre à ton esprit, ô homme, mais encore la glorification de ta chair, à ta race, c'est-à-dire à tes oeuvres.





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CENT-QUATRIÈME SERMON. Quatre obstacles à la confession.



1. Il y a quatre choses qui font obstacle à la confession, ce sont, la honte, la crainte, l'espérance et le désespoir. En effet, les uns sont retenus par la honte et ne sont empêchés de confesser les fautes qu'ils ont faites que par la confusion qu'ils en ressentent. C'est de cette honte que Salomon disait: «Il y a une honte qui amène le péché (Si 4,25).» Le même disait au contraire, en parlant de ceux qui confessent leurs péchés, «et il y a une honte qui amène la gloire (Si 4,25),» deux choses que le Psalmiste nous recommande en ces termes: «Vous avez revêtu la confession et la gloire (Ps 103,2),» et encore «la confession et la gloire sont son oeuvre (Ps 110,3).» D'autres sont arrêtés par la crainte: ils appréhendent, en effet, s'ils se confessent, qu'on ne leur impose une lourde pénitence; c'est à eux que s'adressent ces paroles de Job: «Ceux qui craignent la gelée sont accablés par la neige (Jb 6,16).» Il y en a beaucoup qui désirent encore quelque chose en ce monde et pensent qu'ils n'obtiendront point ce qu'ils désirent s'ils se montrent tels qu'ils sont aux hommes. Ce qui arrête la confession de ces derniers, c'est l'espérance, je veux dire l'ardent désir devoir leurs voeux accomplis. C'est eux que le Seigneur menace dans l'Évangile, en disant: «Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices (Mt 24,19).» Enfin il y en a aussi qui ne craignent rien de tout cela, et qui n'ont d'autre crainte que de ne pouvoir s'abstenir de pécher après s'être confessés: ce qui les arrête c'est donc le désespoir. On peut leur appliquer avec raison ces paroles: «Une fois au fond de l'abîme, le pécheur n'a plus que du mépris (Pr 18,3).» II arrive même quelquefois que ces quatre obstacles à la fois, empêchent la confession; mais l'homme qui succombe sous le faix de ces quatre maux, est bien dûment étendu au fond de son sépulcre; déjà même, comme le mort de quatre jours de l'Évangile, il répand une mauvaise odeur. Il est écrit en effet: «La confession n'est plus pour les morts, parce qu'ils sont comme s'ils n'étaient plus (Qo 17,26).» Mais si celui qui ne confesse plus ses péchés est mort, il s'en suit que celui qui les confesse revit. Que Jésus vienne donc, et qu'il s'écrie: «Sortez dehors (Jn 11,44),» et à sa voix le mort ressuscitera sans retard. Que notre mort entende donc cette exhortation, et qu'il ne diffère point de se confesser.

2. Disons donc à celui que la honte arrête: pourquoi rougissez-vous de confesser votre péché quand vous n'avez pas rougi de le commettre? Et d'où vient que vous avez honte de confesser à Dieu votre faute, quand vous ne pouvez vous soustraire à ses regards? Si vous n'osez confesser votre faute à un homme, à un pécheur, que ferez-vous au jour du jugement où votre conscience sera mise à découvert devant tous les hommes. Il faut donc opposer trois choses à la honte, la considération de la raison, le respect de Dieu qui. nous voit, et la comparaison d'une honte plus grande. De même il y a trois remèdes à opposer à la crainte, il faut songer en effet, combien longue est la peine de l'enfer; combien elle est grave, combien inutile, tandis que, au contraire, la pénitence de la vie présente est courte, légère et profitable. Contre l'espérance il y a aussi trois remèdes, les biens du siècle futur, qui sont plus grands, plus sûrs et plus durables que ceux de la vie présente, car au prix d'eux tout ce qu'on peut souhaiter en ce monde, est peu de chose, incertain et pour ainsi dire, momentané. De même au désespoir de vaincre le péché, il y a trois remèdes: le premier est l'énergie du bon propos qu'on puise dans la confession. Le second est la grâce de Dieu qu'on mérite par son humilité, et le troisième est le secours qu'on trouve dans la compassion de celui à qui on se confesse.


CENT-CINQUIEME SERMON. Conditions requises pour la justification et le salut.

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1. Il y a deux choses en quoi consiste notre salut, ce sont la justification et la glorification, l'une en est le commencement, et l'autre, la consommation. Dans l'une est le travail et dans l'autre le fruit du travail. Quant à la justification, elle est le fruit de la foi, la glorification le sera de la vue en face. Mais en attendant il est impossible à l'esprit humain de se faire une idée de la grandeur de la glorification des saints dans la vie future. C'est d'elle, en effet, qu'il est écrit: «ni l'oeil n'a vu, ni l'oreille n'a entendu, etc. (
Is 64,4).» Nous n'en parlerons donc point ici, puisqu'elle dépasse nos forces; quant à la justification qui est de cette vie, j'en dirai ce qui me semble nécessaire, pour l'édification de nos frères; car c'est la voie par laquelle on passe à la glorification, selon ce mot de l'Apôtre: «Ceux qu'il a prédestinés il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Rm 8,30).» Ou ne saurait donc arriver à la glorification si on ne commence par la justification, puisque l'une fait le mérite et l'autre la récompense. C'est ce que le Seigneur nous a enseigné dans son Évangile, lorsque en prêchant le royaume de Dieu à ses disciples, il commença parleur parler de la justice en ces termes: «Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Mt 5,20).»

2. Or, il faut noter que, de même que le Seigneur se manifestera à ses élus dans le royaume de la félicité, pour les glorifier, ainsi il se montre à eux dans le lieu de leur passage pour les justifier, en sorte que ceux qui doivent un jour être glorifiés en le voyant en face, commencent à être justifiés par lui au moyen de la foi. Or, il y a trois choses dont doit s'abstenir quiconque désire être justifié: c'est d'abord des oeuvres mauvaises, en second lieu des désirs de la chair, et, en troisième lieu, des soins du siècle. De même il y a trois choses à quoi ils doivent s'appliquer, elles sont enfermées dans le sermon du Seigneur sur la montagne (Mt 5,1), ce sont l'aumône, le jeûne et la prière. Ainsi la justification s'accomplit donc de cette manière, en s'abstenant des vices qui sont défendus, et en faisant fidèlement le bien qui est prescrit. Il faut donc opposer aux oeuvres mauvaises, les oeuvres de miséricorde, aux désirs charnels, les jeûnes, et aux soucis du siècle présent, l'amour de Dieu et la prière fréquente.



CENT-SIXIÈME SERMON. Trois choses nécessaires pour faire pénitence.

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1. L'âme a trois états; elle est unie au corps, séparée du corps, ou réunie au corps. Dans le premier état elle doit faire pénitence, et dans les deux autres elle a en partage le repos ou le châtiment, suivant qu'elle a fait le bien ou le mal dans son corps (
2Co 5,10). En effet, pour faire pénitence il faut trois choses, le temps, un corps, et le lieu. La nécessité du temps ressort de ces mots de l'Apôtre: «Voici maintenant le temps favorable, voici le jour du salut (2Co 6,2).» Quant au corps, voici ce que le même Apôtre en dit: «Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun de nous reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps (2Co 5,10). Et voici ce que l'Écriture nous dit au sujet du lieu: «Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez point votre place (Qo 10,4).» Or, le temps se divise en trois parties, le passé, le présent et le futur. Quiconque fait pénitence comme il faut ne perd aucune de ces parties. En effet, il répare le passé qu'il avait perdu, quand il repasse ses années écoulées dans l'amertume de son âme; pour le présent, il s'en assure la possession par les bonnes oeuvres, et quant à l'avenir il le tient par la constance de son bon propos. Voici comment l'Apôtre parle du passé: «Rachetant le temps parce que les jours sont mauvais (Ep 5,16).» Quant aux oeuvres du présent il nous y engage en ces termes: «Pendant que nous en avons le temps faisons du bien à tous, mais surtout aux domestiques de la foi (Ga 6,10).» C'est le Seigneur lui-même qui nous parle de l'avenir; voici comment il le fait «Quiconque persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Mt 10,22).»

2. Le corps aussi nous est nécessaire pour faire pénitence. C'est, en effet, dans le corps que nous pouvons souffrir des maux et faire du bien: souffrir les uns pour les fautes que nous avons commises, et faire du bien pour acquérir les récompenses éternelles. Aussi comment une âme sortie de son corps sera-t-elle en état de faire de dignes fruits de pénitence? Mais il faut noter que la pénitence que nous faisons dans le corps est courte et légère: elle est courte, attendu que la mort du corps y met fin, et légère parce que, unie au corps, l'âme la supporte plus facilement. Au contraire elle serait lourde si l'âme était seule pour la supporter; plus elle en laisse au corps, plus le poids qu'elle en garde pour elle est allégé. Enfin le lieu semble également utile et nécessaire pour faire pénitence, or, ce lieu c'est l'Église du temps présent. Quiconque néglige d'y faire pénitence comme il faut, pendant qu'il vit dans son corps, ne peut obtenir aucun remède de salut dans l'autre monde.


CENT-SEPTIÈME SERMON. Sentiments qu'il faut avoir dans la prière.

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1. Il doit en être du pécheur par rapport à son Créateur, comme du malade par rapport à son médecin, et tout pécheur doit prier Dieu comme un malade prie son médecin. Mais la prière du pécheur rencontre deux obstacles, l'excès ou l'absence de lumière. Celui qui ne voit ni ne confesse point ses péchés est privé de toute lumière; au contraire celui qui les voit, mais si grands qu'il désespère du pardon, est offusqué par un excès de lumière: ni l'un ni l'autre ne prient. Que faire donc? Il faut tempérer la lumière, afin que le pécheur voie ses péchés, les confesse, et prie pour eux afin d'en obtenir la rémission. Il faut donc d'abord qu'il prie avec un sentiment de confusion, c'est ce qui a lieu quand le pécheur n'ose point encore s'approcher lui-même de Dieu et cherche quelque homme saint, quelque saint pauvre d'esprit qui soit comme la frange du manteau du Seigneur, et par qui il puisse s'approcher de lui. Nous avons un exemple de cette sorte de prière, dans cette femme de l'Évangile qui souffrait d'un flux de sang: dans son désir d'être guérie, elle s'approche et se disait en elle-même: «Si je touche la frange de son vêtement, je serai sauvée (
Mt 9,23).» La seconde sorte de prière est celle qui se fait avec une affection pure; c'est ce qui a lieu quand le pécheur s'approche lui-même enfin, et confesse ses péchés de sa propre bouche. La pécheresse qui lavait de ses larmes les pieds du Seigneur, et les essuyait des cheveux de sa tête, et dont le Sauveur a dit «beaucoup de péchés lui sont remis parce que elle a beaucoup aimé (Lc 7,47),» nous a laissé un exemple de cette prière. La troisième se fait avec une ample effusion de sentiments; c'est quand celui qui avait commencé par prier pour lui-même, prie enfin pour les autres. Voilà comment les apôtres ont prié pour la Chananéenne qui priait elle-même pour sa fille. «Seigneur, disaient-ils, accordez-lui ce qu'elle demande, afin qu'elle s'en aille, car elle crie après nous (Mt 15,23).» La quatrième sorte de prière est celle qui part d'un coeur pur sans hésitation, avec action de grâces, et dans un sentiment plein de dévotion. Telle fut la prière que fit le Seigneur quand il ressuscita Lazare depuis quatre jours au tombeau: il dit en effet: «Je vous rends grâce mon Père de ce que vous m'avez écouté (Jn 11,41).» Telles sont aussi les prières que l'Apôtre veut que nous fassions fréquemment quand il dit: «Priez sans cesse, et rendez grâce en toute chose (1Th 5,17).» C'est de ces quatre sortes de prières, je veux dire de la prière humble, et de la pure, de la prière ample et de la dévote qu'il nous parle quand il nous excite en ces termes à prier: «Je vous conjure, avant tout, de faire des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces (1Tm 2,1).» En effet, les supplications se font dans un sentiment d'humilité, les prières dans un sentiment de pureté, les demandes se font dans un sentiment d'effusion, et les actions de grâces dans un sentiment de dévotion.

2. Je vous ai parlé des différents genres d'affections et de prières, il faut que je vous parle aussi de la pureté de la prière. Et d'abord, il me semble qu'il y a trois choses nécessaires pour donner à la prière une direction ferme. En effet, celui qui prie doit considérer ce qu'il demande dans la prière, quel est celui qu'il prie et quel il est, lui qui prie. Or, dans l'objet de sa prière il a deux choses à observer, en premier lieu, de ne demander rien qui ne soit selon Dieu, et en second lieu, désirer avec la plus grande ardeur de sentiment ce qu'il demande. Prenons un exemple: demander la mort d'un ennemi, le mal ou la ruine du prochain, ce n'est point faire une prière qui soit selon Dieu, puisque lui-même vous fait cette recommandation: «Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous calomnient (Lc 6,27).» Mais si nous demandons la rémission de nos péchés, la grâce du Saint-Esprit, la vertu et la sagesse, la foi et la vérité, la justice et l'humilité, la patience, la douceur et tous les autres dons spirituels, si, dis-je, c'est là ce que nous avons en pensée et l'objet de nos plus ardents désirs, notre prière est bien selon Dieu, et mérite pardessus tout d'être exaucée. Voilà certainement la prière dont Dieu parle quand il dit par la bouche d'Isaïe: «Avant qu'ils crient je les exaucerai; et lorsqu'ils parleront encore j'exaucerai leurs prières (Is 65,24).» Il y a d'autres choses encore qui, lorsqu'elles nous font défaut, nous sont accordées de Dieu et peuvent être ou n'être point selon Dieu, d'après la fin à laquelle nous les rapportons. Telle est la santé du corps, l'argent, et l'abondance des autres choses semblables. Toutes ces choses-là viennent bien de Dieu, néanmoins, il n'en faut pas faire trop de cas ni les posséder avec trop d'attachement. De même, il y a deux choses aussi à considérer dans celui que nous prions, sa bonté et sa majesté: sa bonté par laquelle il veut gratuitement, et sa majesté par laquelle il peut sans peine donner ce qu'on lui demande. Quant à celui qui prie, il a aussi deux choses à considérer par rapport à lui, c'est qu'il ne mérite point d'être exaucé par lui-même, et qu'il n'a d'espoir d'obtenir ce qu'il demande que de la miséricorde de Dieu. C'est enfin avoir un coeur pur que d'avoir présentes à l'esprit les trois choses dont je viens de parler et de la manière que je l'ai dit. Mais celui qui prie avec cette pureté et cette intention du coeur est sûr d'être exaucé, car, selon ce que dit saint Pierre: «Dieu ne fait acception de personne, mais en toute nation, celui qui le craint et dont les oeuvres sont justes, lui est agréable (Ac 10,34).»



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CENT-HUITIÈME SERMON. Des saignées spirituelles.

Il y a deux causes pour tirer du sang à l'homme; ou bien il en a trop, ou bien il l'a mauvais. Une abondance excessive de sang n'est pas moins dangereuse que son altération. Or, le sang de notre âme c'est notre volonté, car, de toutes les humeurs du corps, le sang est par excellence le soutien de notre nature, la vie de notre âme est dans notre volonté. Il faut donc nous tirer aussi de la volonté quand elle est mauvaise, parce qu'elle est une cause de maladie spirituelle. Oui, qu'on la diminue du moins puisqu'on ne peut la tirer tout-à-fait et nous en saigner à blanc. Il faut en ouvrir, en couper la veine avec le fer de la componction, afin de livrer passage au consentement du péché, si on ne peut en laisser couler toute espèce de sentiment. Est-ce que vous pensez qu'il ne peut point y avoir dans l'âme une abondance inutile de sang même bon? Écoutez comment un sage médecin nous apprend qu'il faut nous tirer du sang de la justice.» Ne soyez pas trop juste (Qo 7,17),» nous dit-il. Ce qui se rapporte parfaitement à ces paroles de l'Apôtre: «Ne pas être plus sage qu'il ne faut, mais être sage avec sobriété (Rm 12,3).» Qui doit-on éviter de saigner, si la justice et la sagesse ont besoin d'être saignées elles-mêmes? Est-il un sang plus utile? Et pourtant, rappelez-vous bien que d'être juste à l'excès, ce n'est point être juste, et qu'on ne saurait appeler sagesse, une sagesse ivre de sagesse, si je puis parler ainsi. Ainsi évidemment en est-il du sang du corps, s'il devient trop abondant, ce n'est plus un aliment pour lui, mais un détriment. Si donc vous trouvez encore du charme à pécher, vous avez le sang gâté, il faut vous hâter d'opérer une saignée. Si vous voulez faire pénitence, il faut châtier votre corps, affliger vos membres et vous juger vous-même, pour ne point tomber entre les mains du Dieu vivant: cela est juste, j'en conviens; mais il ne faut pas aller trop loin, ou sinon, vous devez réprimer cette ardeur immodérée, de peur qu'elle ne nuise à l'union et ne serve l'indiscrétion.



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CENT-NEUVIÈME SERMON.

Il faut éviter le vain éclat des vertus. Prenons garde, mes frères, que, trompés par le vain éclat des vases, nous n'ayons à nous plaindre, mais trop tard, que nos lampes s'éteignent. Pour moi, je pense que celles qui paraissent s'éteindre alors, n'ont jamais été allumées. En effet, il est dit: «Le royaume des cieux est semblable à dix vierges qui prennent leurs lampes (Mt 25,1):» qui prennent, dit le Seigneur, non point qui allument. D'ailleurs, comment les auraient-elles allumées, puisqu'elles n'avaient point pris d'huile avec elles? Et comment le feu aurait-il brûlé, là où manquait la matière qui lui sert d'aliment? Mais la chasteté même seule brille: il est vrai, aussi plus elle est une lampe brillante même sans feu, plus est belle la génération chaste avec la charité. C'est de la même manière, que même dans les vierges folles, on voit le renoncement à toutes les autres voluptés, la patience dans les adversités, l'honnêteté dans la conduite, et la circonspection dans les paroles, la charité que fait l'aumône et toutes les bonnes oeuvres semblables, plaire par une sorte de grâce naturelle et briller comme d'un éclat inné; mais parce que ces vertus brillaient plutôt de l'éclat du verre que de celui du feu, il s'ensuivit par là même, qu'elles pensèrent que leurs lampes étaient éteintes, parce qu'elles s'aperçurent que ce vain éclat était éclipsé par la lumière éternelle.



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CENT-DIXIÈME SERMON. Paroles de l'homme à soi-même ou plutôt à son âme.


Quelle est notre misère et de combien de sortes est notre indigence! Nous avons besoin même de parler, mais si c'est doublement misérable, ce n'est pourtant point étonnant que nous ayons besoin de nous parler les uns aux autres, mais ce l'est bien plus que nous ayons besoin de nous parler à nous-mêmes. «Nul ne connaît ce qui est dans l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui (1Co 2,11).» Il s'est creusé un grand abîme entre nous, il faut que la parole intervienne comme un instrument pour qu'il y ait passage d'un coeur à l'autre, pour la communication de nos pensées. Voilà le besoin qui a fait inventer la parole. Qui l'ignore? Mais de plus, c'est à nous-mêmes que nous éprouvons le besoin de parler, en effet, le Prophète s'écrie: «O mon âme, est-ce que tu ne seras pas soumise à Dieu, car c'est de lui que vient mon salut (Ps 61,1)?» Quel homme n'éprouve souvent le besoin de rappeler son âme, d'appeler sa raison, de rassembler ses sentiments? Quel homme n'éprouve fréquemment le besoin de s'adresser à lui-même la parole, de se presser de menaces, de se donner des avis, de s'accuser soi-même? Que dis-je, il doit même recourir à des raisonnements pour se persuader lui-même. Telle est, en effet, cette réflexion du Prophète: «car c'est de lui que vient mon salut;» quelquefois aussi il se console, comme lorsqu'il dit: «pour quoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me troubles-tu Ps 41,6)?» D'autres fois il semble s'exciter et il se dit: «Loue Dieu, ô mon âme (Ps 145,1).» Enfin, il ne lui arrive pas une fois, mais plusieurs fois, de s'avertir lui-même des choses qu'il a à faire, comme lorsqu'il dit «O mon âme, bénis le Seigneur, et garde-toi bien d'oublier tout ce que tu tiens de lui (Ps 102,2).» C'est que, en effet, mon coeur m'a abandonné, et je me trouve dans la nécessité de me parler à moi-même, ou plutôt à un autre moi-même, et cela d'autant plus longuement, que je suis encore moins rentré dans mon coeur, moins retourné en moi même, enfin moins uni à moi. Car il n'y aura plus de nécessité de nous parler même les uns aux autres quand nous concourrons tous à ne plus faire qu'un seul homme parfait. Les langues cesseront bien à propos, on n'aura plus besoin d'interprète de l'un à l'autre, quand notre unique Médiateur aura si bien rempli toute charité entre ceux, que nous serons plus qu'un nous-mêmes, avec ceux qui sont vraiment et à jamais qu'un, je veux dire avec Dieu le Père, et Jésus-Christ même, Notre-Seigneur.



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CENT-ONZIÈME SERMON. Il faut prouver sa foi par sa vie et par ses moeurs, ou les six témoignages à rendre à Dieu.


1. On ne doute point, pour peu qu'on ait seulement le nom de chrétien, que l'éternelle félicité de la céleste patrie, et les tourments de l'enfer réservés aux impies, surpassent non-seulementles sens du corps de l'homme, mais encore la portée même de l'intelligence du coeur. Plût au ciel que cette foi subsistât dans tous les hommes, et produisit des conséquences dignes d'une telle croyance, d'un côté, allumât nos désirs et de l'autre excitât nos craintes? En effet, qu'est-ce, qui nous empêche de braver les épées tirées contre nous, ou môme de passer parles flammes s'il le fallait, pour échapper à un tel malheur, et pour nous élancer vers une si grande gloire, si ce n'est que notre foi est insensible et morte? Ajoutez à cela, pour mettre le comble à notre malheur, aux obstacles de notre salut et aux occasions de nous perdre, que, dans l'estime que nous faisons de cette double fin qui nous attend, notre coeur n'est pas d'accord avec le jugement, et que même dans l'examen des deux voies qui se présentent à nous, nous ne tenons pas assez compte du jugement de la vérité même. Il ne faut pas nous étonner si nos désirs ne sont excités par aucun goût de vertus, la pensée de l'éternelle félicité elle-même, les laisse engourdis, ni qu'on ne craigne point l'amertume présente du péché, puisque même les supplices éternels préparés au diable et à ses anges, ne nous inspirent aucune appréhension. Cela ne s'explique que parce que, dans les choses qui nous touchent de près, bien qu'elles soient moindres que d'autres, nous désirons avec plus d'ardeur les agréables, et redoutons de même les fâcheuses.

2. Mais ce dont je ne puis assez m'étonner, c'est que notre foi chancelle au sujet du présent quand elle semble si certaine sur l'avenir. C'est ainsi, ô insensés enfants d'Adam que, ne jugeant et ne discernant point ce qui est, lorsque vous avez les promesses de la vie présente et de la vie future (1Tm 4,8), vous vous montrez incrédules et infidèles dans la vie même qu'il vous est donné de vivre, en sorte qu'il semble évident que la foi des promesses à venir, ne nous a été laissée que pour mettre le comble à votre damnation. On peut en dire autant des menaces que des promesses. En effet, est-ce que le Dieu qui nous assure qu'il y a un royaume préparé pour les élus, et un feu pour les réprouvés, n'est pas le même qui nous atteste avec autant de vérité et de la même bouche, que ceux qui ne s'approchent point de lui sont dans le travail et la peine et sont chargés, tandis que ceux qui viennent à lui ne sauraient défaillir, comme pourrait le craindre la faiblesse humaine, mais seront fortifiés par lui? Celui qui nous promet un royaume à jamais délectable est le même qui nous assure que son joug est doux et son fardeau léger. Celui qui nous promet une béatitude éternelle dans la patrie, nous promet aussi dans la vie présente du repos et des forces. Enfin le Prophète nous dit: «L'oreille n'a point ouï, l'oei1 n'a point vu, et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (Is 64,4 et 1Co 2,9):» Et nous le croyons bien volontiers tous. Quant au maître même des prophètes, voici comment il s'exprime: «Venez à moi vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai prenez mon joug sur vous, et vous trouverez le repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau léger (Mt 11,28).» Or, combien n'y en a-t-il pas qui détournent l'oreille de leur coeur? Car pour celle du corps peut-être n'oseraient-ils point le faire. Qu'est-ce que cette incrédulité-là? Ou plutôt quelle folie n'est-ce point? Comme si la Sagesse pouvait se tromper, ou la vérité induire en erreur? Comme si la charité ne voulait point donner ce qu'elle offre, ou la Toute-Puissance ne pouvait tenir à ses promesses.

3. Quel homme est assez adonné au plaisir de la table et des sens pour ne point embrasser la sobriété et la chasteté, s'il était certain qu'elles lui donneront de plus grandes jouissances? Qui est assez ambitieux pour ne point se montrer content de l'état le plus humble, et de la pauvreté la plus extrême, s'il savait que la charité qui ne cherche point ses propres avantages est plus aimable, comme elle l'est en effet, que toutes les dignités de ce monde? Où est l'avare qui ne ferait fi de tous les trésors, s'il était convaincu que la pauvreté est plus agréable? C'est donc en vain maintenant que Jésus-Christ nous assure de toutes les façons que son fardeau est léger, puisque ceux-là même qui portent le nom de Chrétiens réputent le fardeau du diable, et le joug de la chair et du siècle beaucoup plus délicieux. Mais d'où vient, Seigneur mon Dieu, que vous êtes, en effet, aussi inconsidéré qu'ils le font croire? Pourquoi promettre si haut ce qu'il est si facile de prouver que vous n'accordez point? Vous assurez que votre esprit est plus doux que le miel en ses rayons, et voilà là des hommes qui trouvent plus douce la chair du gibier, que dis-je, ô honte, le corps d'une prostituée, la vanité du siècle. Malheur à eux! Les infortunés ne jugent les choses que d'un côté, et ils ont du dégoût pour votre manne cachée qu'ils n'ont point goûtée! Ah, ceux qui en ont fait la double expérience, savent bien que Dieu est véridique (Rm 3,4), tandis que tout homme est menteur; aussi devrait-on regarder leur témoignage comme extrêmement digne de foi, mais, ô mon Dieu, on se rit et on tient aussi peu compte de vos promesses que de l'expérience des vôtres, car les hommes charnels ne perçoivent point les choses qui sont de Dieu; elles leur paraissent de la folie (1Co 2,14). Il ne faut pas s'étonner que l'homme ne croie pas à l'expérience d'un autre homme quand il ne croit pas même à la promesse de son Dieu. Voilà donc comment nous sommes traités d'insensés, nous autres qui prêchons la douceur de la croix du Seigneur, parlons avec éloge des délices de la pauvreté, exaltons la gloire de l'humilité, et n'ayons à la bouche que les louanges des délices de la chasteté. Eh bien! qu'on traite d'insensé avec nous le Prophète qui nous assure qu'il a trouvé des délices dans la loi du Seigneur, comme ion en trouve dans tous les trésors du monde (Ps 118,14).

4. Mais vous qui êtes sages à vos propres yeux, préférez à la loi de Dieu, je ne dis point tous les trésors du monde, mais les quelques richesses que vous pouvez mendier où vous voudrez, mais jamais votre foi n'aura un témoignage. C'est en vous qu'il se trouvera, dans le secret, dans un recoin (Mt 6,4), là où le Père céleste lui-même ne saurait vous voir, mais où il peut vous dire «je ne vous connais point (Mt 25,12).» Vous croyez fermement que Dieu est juste, véridique, rémunérateur, tout-puissant, souverainement bon et éternel. Soyez donc des aspics sourds et se bouchant les oreilles pour ne point entendre ses reproches quand il vous dira: «Montrez-moi votre foi sans les oeuvres (Jc 2,18).» Que vous en coûte-t-il de croire? Mais gardez-vous bien d'entrer dans la voie des commandements, car elle est ardue, roide et impraticable. Ah! hommes malheureux, infortunés! vous n'avez point trouvé la voie qui conduit à la cité où vous pussiez habiter (Ps 106,4), aussi vous êtes-vous égarés dans des lieux où il n'y a ni chemin ni sentier. Les termes de la voie qui vous semble bonne, et que vous trouvez charmante, mais qui n'a, en effet, rien qui ressemble à de vrais charmes, c'est un précipice qui va jusqu'au fond de l'enfer; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Sortez de votre sommeil, ô vous qui êtes ivres, et pleurez si vous ne voulez point que ces larmes ne vous prennent à l'improviste. Car quand vous direz, paix et sécurité, alors la mort fondra tout à coup sur vous, comme les douleurs de l'enfantement saisissent la femme grosse, et vous ne pourrez y échapper (1Th 5,3): Ce sera avec justice assurément, puisque vous vous plaisez aujourd'hui à perdre le temps pendant lequel vous devriez voir, et vous vous détournez de la seule voie ouverte à la fuite.

5. Le Seigneur a dit: «Priez Dieu que votre fuite n'arrive ni en hiver, ni le jour du sabbat (Mt 24,40).» Fuyez pendant que le temps est favorable, et qu'une voie pleine de charmes se présente à vous. Fuyez pendant les six jours qu'il est permis de travailler. Fuyez dans les six témoignages dont nous avons parlé plus haut, je veux dire dans les témoignages de la justice, de la vérité, de la rémunération, de la toute-puissance, de la souveraine bonté et de l'éternité, si vous ne voulez point, je ne dis pas donner, mais souffrir le dernier, je veux dire le septième témoignage, celui du zèle. Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à venir (Lc 3,7)? La voie où vous courez est une voie de mort, une voie de perdition, une voie dont le terme est un précipice au fond même de l'enfer. Pourtant il vous reste toujours une espérance, car vous n'êtes pas enture arrivé au terme de votre voie, je veux dire de votre vie. Hâtez-vous de le prévenir, ce terme, de peur que surpris vous-mêmes vous ne demeuriez là où vous seriez tombés. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la voie du salut, la voie du témoignage de Dieu dans laquelle vous puissiez goûter des délices pareilles à celles qu'on trouve dans des trésors.

6. Que notre première étape nous conduise jusqu'à votre coeur, car c'est là, pécheurs, que la voix de Dieu nous appelle, là, que le témoignage de sa justice engendre la crainte et là componction. De là, passons à la confession des lèvres et n'hésitons point à rendre témoignage à la Vérité même contre nous, car elle rougira devant son Père de quiconque aura rougi d'elle devant les hommes (Lc 9,26). Faisons marcher ensuite le détachement de nos biens et la distribution de nos richesses selon ce qui est écrit: «Il a répandu des biens avec libéralité sur les pauvres, sa justice demeure dans tous les siècles (Ps 111,6),» et ailleurs: «Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel (Mt 19,21).» Dans ce libéral partage de vos biens se trouve le témoignage des largesses divines et de ses dons abondants, car celui qui donne ses dons de son plein gré, montre évidemment qu'il en attend de plus considérables de la main du Seigneur. Mais il y a un quatrième témoignage à rendre à Dieu, c'est celui de la toute puissance; il se trouve dans la mortification du corps. Sans doute il faut semer un corps animal, mais c'est pour qu'il ressuscite spirituel (1Co 15,44). Celui donc qui épargne sa chair ne vous semble-t-il point douter de sa résurrection et de son changement? De même celui qui n'est pas contrit de coeur doute de la justice; celui qui ne confesse point de bouche ses péchés, doute de la vérité, et celui qui est avare .doute des récompenses futures, et ainsi de suite pour les autres attributs. Et si vous allez jusqu'au point de renoncer à votre propre volonté, vous rendez un témoignage indubitable à la bonté de Dieu, car, en en venant là, vous attestez hautement que vous ne voulez point faire votre volonté, mais celle de Dieu que vous placez avant la vôtre, vous criez sinon de la bouche et de la langue, du moins de fait, et en vérité, que personne n'est bon, si ce n'est Dieu (Lc 18,19).

7. Il vous reste après cela à persévérer, car la persévérance est le reste de la route à faire, c'est le témoignage de l'éternité. En effet, la persévérance dans notre genre de vie est une image de l'éternité de Dieu, puisque nous reproduisons dans cette vie ce qu'il est en lui-même en imitent, dans la faible mesure de notre pouvoir, son incommutabilité. Voilà ce qui faisait dire au sage:» L'insensé est changeant comme la lune, et le sage stable comme le soleil (Qo 27,12).» Telle est la voie, mes très-chers frères, parcourez-la, car c'est en montant de vertu en vertu que vous verrez le Dieu des dieux dans Sion (Ps 83,8) Puisse à cette glorieuse vision nous conduire le Seigneur. des vertus et le Roi- de gloire, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est la voie, la vérité et la vie.






Bernard sermons 7103