Bernard aux Templiers 6030

CHAPITRE XII. Bethphagé.

6030 30. Que dirai-je de Bethphagé, le hameau des prêtres, que j'allais oublier; de Bethphagé qui rappelle le sacrement de la confession et le mystère du ministère sacerdotal? Bethphagé signifie la maison de la bouche; or il est écrit: «Ma parole n'est pas loin de vous, elle est clans votre bouche et dans votre coeur (Rm 10,8).» N'oubliez pas que cette parole ne se trouve pas dans l'une des deux seulement, mais dans l'une et dans l'autre à la fois. En effet, elle se trouve dans le coeur du pécheur où elle opère une salutaire contrition, et elle se trouve aussi dans sa bouche, où elle impose silence à la mauvaise honte qui l'empêcherait de faire une confession nécessaire. Il y a deux sortes de hontes, selon l'Écriture: «l'une qui fait tomber dans le péché et l'autre qui attire la gloire (Si 4,25).» La bonne est celle qu'on ressent de son péché présent ou passé, et qui fait que, même en l'absence de tout témoin humain, on a, pour la présence de Dieu, beaucoup plus que pour celle d'un homme, un respect d'autant plus grand qu'on sait que Dieu est plus pur que l'homme, et que le pécheur l'offense d'autant plus gravement qu'il est certain que le péché est plus éloigné de lui. Voilà la honte qui chasse la honte et appelle la gloire, soit parce qu'elle ne permet point le péché, ou si elle le permet, le punit par la pénitence et le chasse par la confession. or notre gloire à nous c'est le témoignage de notre conscience. Mais pour la honte qui nous empêche de confesser ce qui peut nous causer de la confusion, elle amène le péché et détruit toute gloire qui prend sa source dans la conscience, puisqu'elle empêche le pécheur contrit de sa faute, d'en débarrasser son coeur, en lui fermant sottement la bouche, quand au contraire il devrait bien plutôt dire avec David: «Seigneur, j'ai résolu de ne point tenir mes lèvres fermées, ainsi que vous le savez (Ps 39,10).» Le même prophète se reprochait ailleurs d'avoir, je crois, cédé à une honte aussi sotte que déraisonnable, quand il s'écriait: «Parce que j'ai gardé le silence, mes os ont vieilli (Ps 31,3).» Voilà pourquoi aussi il demande qu'il y ait une garde vigilante placée à sa bouche pour en ouvrir la porte à la confession et la fermer à la justification, et il ne demande pas autre chose à Dieu dans sa prière, parce qu'il n'ignore point que la confession et la louange sont son oeuvre (Ps 110,3). En effet, confesser notre malice et louer en même temps la bonté et la puissance de Dieu, double bien d'une double confession, est un don de Dieu. C'est ce qui faisait dire à David: «Ne souffrez point, Seigneur, que mon coeur se laisse aller à des paroles de malice, et à chercher des excuses à mes péchés (Ps 111,4).» Voilà pourquoi les prêtres, qui sont les ministres de la parole de Dieu, doivent agir avec une double prudence, et s'appliquer, en même temps qu'ils donnent aux pécheurs de la douleur et de la honte de leurs péchés, à ne pas les empêcher de les confesser, en sorte que, en ouvrant leurs coeurs à la contrition, ils ne ferment point leur bouche à la confession; car ils ne doivent point absoudre un pénitent, quelque contrit qu'il soit, s'il n'a point confessé de bouche ses péchés; en effet, s'il faut croire de coeur pour obtenir la justice, il faut aussi confesser de bouche pour obtenir le salut: d'ailleurs la confession d'un mort est nulle et morte elle-même (Si 17,26). Celui donc qui a la parole dans la bouche et ne l'a pas dans le coeur, est vain ou trompeur: mais quiconque l'a dans le coeur et ne l'a point sur les lèvres est un homme orgueilleux ou timide.



CHAPITRE XIII. Béthanie.

6031 31. Je ne saurais passer tout à fait sous silence, quoique j'aie hâte de terminer cet écrit, la maison de l'obéissance, Béthanie, la bourgade de Marthe et Marie, le lieu où Lazare a été ressuscité, l'endroit qui nous rappelle la figure de l'une et l'autre vie, l'admirable clémence de Dieu pour les pécheurs et la vertu de l'obéissance unie aux mérites de la pénitence. Disons en deux mots, à propos de cet endroit, que ni le zèle à faire le bien, ni le repos d'une sainte contemplation, ni les larmes de la pénitence ne pourront être agréables hors de Béthanie à celui qui fit tant de cas de l'obéissance qu'il fut obéissant à son Père jusqu'à la mort. Ce sont certainement là les richesses que le Prophète promet en ces termes au nom du Seigneur: «C'est ainsi que le Seigneur consolera Sion, il la consolera de toutes ses ruines, il changera ses déserts en lieux de délices et sa solitude en un jardin divin; on y verra partout la joie et l'allégresse, on y entendra les actions de grâces et les cantiques de louanges (Is 51,3).» Ces délices de l'univers entier, ce trésor du ciel, cet héritage des peuples fidèles, se trouvent confiés à votre fidélité, mes bien chers amis, et recommandés à votre prudence et à votre courage. Or, vous ne pourrez conserver fidèlement et en toute sûreté ce dépôt céleste, si vous comptez sur votre prudence et sur votre courage, au lieu de mettre toutes vos espérances dans le secours de Dieu seul, en vous rappelant que l'homme, avec toute sa force, ne sera jamais que faiblesse, et si vous ne dites avec le Prophète: Le Seigneur est mon ferme appui, mon refuge et mon libérateur (Ps 17,2),» ou bien: «C'est en vous, Seigneur, que j'ai mis ma confiance et par vous que je conserverai ma force, parce que vous êtes, ô mon Dieu, mon puissant défenseur. Ainsi la miséricorde de mon Dieu me préviendra (Ps 58,10-11),» et encore: «Non, Seigneur, non, ne nous en donnez pas la gloire, donnez-la tout entière à votre nom (Ps 142,2),» de cette manière nous bénirons tous celui qui apprend à vos mains à combattre et à vos doigts à faire la guerre (Ps 143,9).




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