Jérôme - oeuvres morales





OEUVRES DE SAINT JÉROME

SÉRIE III. TRAITÉS DE MORALE.

DES VANITÉS DU SIÈCLE.
CONSOLATIONS ADRESSÉES A UN MALADE.
DE L'ÉDUCATION DES FILLES.



Publiées par M. BENOIT MATOUGUES,

sous la Direction


DE M. L. AIMÉ-MARTIN.
PARIS AUGUSTE DESREZ,IMPRIMEUR-EDITEUR
Rue Neuve-Des-Petits-Champs, n°50.

MDCCCXXXVIII
Abbaye Saint Benoît de Port-Valais

CH-1897 Le Bouveret (VS)



Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/



TRAITES DE MORALE




DES VANITÉS DU SIECLE

100


PRÉFACE.

Qo 1-12

141

Je me souviens que quand j'étais encore à Rome, il y a environ cinq ans, je lisais à sainte Blesille le livre de l'Ecclésiaste, pour la porter au mépris du monde en lui faisant connaître la fragilité et la vanité des créatures, qui portent tant de marques du néant d'où elles ont été tirées. Ce fut dans le même temps qu'elle me pria de lui faire une espèce de petit commentaire sur les endroits obscurs de ce livre, afin qu'en mon absence et sans mon secours elle pût entendre toute seule ce qu'elle lisait. Mais comme une mort précipitée l'enleva tout d'un coup de ce monde lorsque j'étais sur le point de dicter mon commentaire, je fus alors percé d'une si vive douleur sur une si grande perte, qu'il m'eût été impossible de rien dire, n'étant occupé qu'à penser en moi-même que nous n'étions pas dignes, ô Paula et Eustochia, de jouir plus longtemps de la compagnie d'une personne d'un si rare mérite. Maintenant donc que j'ai établi ma demeure dans Bethléem, ville infiniment plus auguste que celle de Rome /(1), je rends à la mémoire de Blesille ce que je lui dois, et je vous accorde à vous-mêmes ce que je ne saurais vous refuser. Mais je crois qu'il faut vous avertir en passant que dans ce commentaire je n'ai pas prétendu m'assujettir à l’autorité d'aucun interprète en particulier. Il est vrai néanmoins que je me suis plus approché de la version des Septante que d'aucune autre, dans les endroits où leur traduction n'était pas trop éloignée du texte hébreu que je traduisais. J'ai fait aussi quelquefois mention des autres traducteurs grecs, je veux dire d'Aquila, de Symmaque, etc., afin d'éviter par là le reproche d'une trop grande nouveauté, qui aurait pu faire de la peine à mes lecteurs ; et ceci pourtant sans préjudice des intérêts de ma conscience, qui ne me permettait pas d'abandonner la source de la vérité pour suivre des opinions particulières et les sentiments des hommes.

(1) Il dit ailleurs : " Je regarde le lieu de la naissance du Sauveur du monde comme beaucoup plus auguste et plus vénérable que celui où l'on a vu naître le parricide de son propre frère. " Préf. sur le liv. de Didyme touchant le Saint-Esprit.



CHAPITRE PREMIER. Néant des travaux de l'homme et de ses connaissances.

110 Qo 1,1 " Les paroles de l'Ecclésiaste, fils de David et roi de Jérusalem. " L'Ecriture nous apprend en termes exprès que Salomon, fils de David, a eu trois noms différents : on l'a d'abord nommé Salomon, c'est-à-dire : pacifique; il est aussi appelé Ididia, ce qui signifie : le bien-aimé du Seigneur ; enfin il prend lui-même à la tête de ce livre la qualité et le nom de Coëleth, qui veut dire : prédicateur, parce qu'il y parle à tous les hommes en général, pour les détromper de la vanité de toutes les choses visibles. On lui donna les noms de " pacifique, " et de" bien-aimé du Seigneur, " à cause que de son temps le peuple d'Israël jouit d'une profonde paix, et que Dieu donna à ce roi des marques très particulières de bonté et de prédilection. Nous trouvons aussi les noms de " bien-aimé"et de " pacifique " dans les titres du psaume quarante-quatrième et du psaume soixante-onzième; car bien que ces psaumes soient une prophétie qui regarde Jésus-Christ (142) et son Eglise, et que ce que le Saint-Esprit y dit surpasse infiniment la félicité et la puissance du roi Salomon, il est pourtant vrai que le fond de l'histoire de ces deux cantiques regarde la personne de ce prince, qui était la figure de notre " roi de paix. "

Il est remarquable que Salomon a écrit autant de livres qu'il a eu de noms différents, savoir : le livre des Proverbes, le livre de l'Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Dans les Proverbes il enseigne les commençants, et il leur montre comme à de petits enfants les devoirs de la piété, en les instruisant par des sentences et des maximes abrégées. C'est pourquoi il use souvent de ces termes : " Mon fils, écoutez, etc. " Dans l’Ecclésiaste il a dessein d'instruire des Hommes qui ont acquis la maturité de l'âge, et qui sont capables de comprendre qu'il n'est rien dans le monde de longue durée, que tout passe et s'évanouit en peu de jours. Enfin dans le livre des Cantiques il fait parler les hommes consommés dans la vertu, qui par un parfait mépris du siècle se sont préparés à l'union et aux embrassements de l'époux céleste; car si nous ne commençons par quitter les vices, et si nous ne renonçons aux pompes du siècle pour nous disposer à l'avènement et aux visites de Jésus-Christ, nous ne serons point dignes de lui dire : " Qu'il me donne un baiser de sa bouche. " C'est à peu près l'ordre et la méthode que les philosophes gardent dans les choses qu'ils apprennent à leurs disciples : ils leur enseignent d'abord la morale ; ensuite ils les font passer à la connaissance des choses naturelles et de la physique ; et quand ils nient que leurs sectateurs ont fait du progrès dans ces sciences, ils leur apprennent la logique et l'art de raisonner.

Ce qu'on doit encore remarquer plus soigneusement est que les titres sont tous différents dans les trois ouvrages de Salomon. Nous lisons donc ce titre suivant à la tète des Proverbes: Les paraboles de Salomon, fils de David et roi d'Israël, au lieu que nous lisons ainsi dans le livre de l'Ecclésiaste : Les paroles de l'Ecclésiaste, fis de David et roi de Jérusalem. Mais dans le titre des Cantiques nous ne trouvons ni " fils de David, " ni " roi d'Israël ", ou de " Jérusalem ; " on y voit simplement ces paroles : Cantique des cantiques de Salomon. Cette diversité de titres ne laisse pas d'avoir des rapports tout mystérieux avec les ouvrages mêmes; car les maximes des Proverbes regardent le commun et les douze tribus d'Israël , qui sont comme des enfants sans aucune connaissance, et qui ne sont capables que des premières instructions de la piété et de la crainte du Seigneur. Il n'en est pas de même du livre de l'Ecclésiaste, destiné à nous inspirer le mépris du monde : les exhortations que l'auteur y l'ait conviennent particulièrement aux habitants de Jérusalem, la ville capitale du royaume d'Israël, où était comme le centre de l'ambition et des pompes du siècle. Quant au livre du Cantique clos cantiques, il est propre à ceux qui ne désirent que les choses du ciel et qui ne soupirent qu'après la céleste patrie. Entre ces trois ordres et ces trois états, ceux qui commencent dans la piété ont besoin de l'autorité ou de la dignité paternelle pour les soutenir dans les voies de la justice; ceux qui ont déjà fait quelques progrès clans la vertu s'animent de plus en plus sous la puissance d'un roi qui les gouverne dans l'équité; mais pour les parfaits et ceux qui reconduisent par amour et non par la crainte, il est inutile de leur mettre devant les veux les noms de pire et de roi, qui pourraient leur imprimer du respect et de la crainte: le seul nom propre de Salomon suffit pour les attacher à leurs devoirs. Aussi, parmi les parfaits, l'amour réduit tout à l'égalité et à l'unité; le maître et le disciple sont une même chose, et les rais y oublient leur grandeur et leur majesté : Aequalis magister est, et nescit esse se regem. En voilà assez pour le sens littéral.

Pour ce qui est du sens spirituel , il est facile de trouver en Jésus-Christ les noms de " pacifique " , de " bien-aimé " et de " prédicateur , " puisque c'est lui-même qui a détruit le mur de séparation , qui a éteint dans son sang nos inimitiés anciennes, pour de deux peuples n'en faire qu'un seul ; et qui nous dit à tous : " Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. " C'est aussi en parlant à ses disciples que le Père éternel le nomme son fils bien-aimé : " Celui-ci est mon fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection. Ecoutez-le. ", Les aveugles, dans l’Evangile, ont reconnu qu'il était le vrai fils de David ; ils ont crié à haute voix : " Fils de David, avez pitié de nous ; " ce qu'une grande multitude de (143) peuple confessa enfin en criant tous ensemble " Hosanna au fils de David! " Quant à la qualité "d'ecclésiaste " ou de " prédicateur, " elle lui appartient par préférence à tous les prophètes, parce qu'il est le Verbe et la sagesse de Dieu le Père, et qu'après avoir formé des apôtres et des prédicateurs, il les a envoyés porter son Evangile jusqu'aux extrémités de la terre. C'est donc sans fondement que certains libertins s'imaginent que le livre de l'Ecclésiaste nous porte à la volupté et aux plaisirs des sens, lui qui nous apprend au contraire que tout ce qu'on voit dans le monde n'a point de solidité ni de consistance, et que nous ne devons point rechercher passionnément des biens qui périssent entre nos mains au moment que nous croyons les posséder : Nec debere nos ea stuidiose appetere, quae dum tenentur intereant.

Qo 1,2. " Vanité des vanités, " dit l'Ecclésiaste, " vanité des vanités, tout n'est que vanité." Si toutes les choses que Dieu a faites en créant le monde étaient bonnes et parfaites à ses yeux, selon le témoignage de l'Écriture dans la Genèse, comment l'Ecclésiaste a-t-il pu dire que tout n'est que vanité , et non-seulement que ce n'est que vanité, mais que c'est "la vanité des vanités? " car cette expression marque la grandeur de la vanité et le pur néant de toutes les créatures , de même que le nom de " Cantique des cantiques, " marque le plus parfait et le plus excellent de tous les cantiques et des pièces de poésie. Nous trouvons dans le psaume trente-huitième une manière de parler toute semblable : " En vérité, tout ce qu'il y a d'hommes qui vivent sur la terre ne sont que vanité ; " (Ps 38) mais si les hommes qui jouissent de la vie sont regardés comme très peu de chose , et comme une vanité , nous pouvons dire que ceux qui sont dans le tombeau parmi les morts sont " la vanité des vanités, " c'est-à-dire : la plus grande de toutes les vanités.

Pour développer le sens de ces passages de l’Ecriture, qui ne paraissent pas être tout-à-fait d'accord, il faut se souvenir de ce que nous lisons dans le livre de l'Exode, où il est parlé de l'éclat du visage de Moïse , dont les rayons blessaient les yeux des Israélites, qui n'osaient envisager leur saint législateur qu'après qu'il avait couvert d'un voile son visage; mais quelque grand qu'ait été l'éclat du visage de Moïse, l'apôtre saint Paul ose nous assurer que ce n'était rien en comparaison de la gloire des ministres de la nouvelle alliance. " On peut même dire ( ce sont les paroles de l'Apôtre, 2Co 3,10) que la loi n'a point été établie avec éclat et majesté, si on la compare avec la majesté divine de l'Évangile." Nous pouvons donc raisonner de la même manière en expliquant les paroles de l'Ecclésiaste, et dire que le ciel, la terre, la mer et toutes les créatures de l'univers ne sont que vanité, si l'on veut les comparer à l'être souverain de Dieu et à la bonté infinie du Créateur, quoique d'ailleurs les créatures soient bonnes et parfaites en elles-mêmes, étant les ouvrages de Dieu qui ne peut rien faire qui ne soit bon et parfait en son genre; ce que nous allons encore mieux comprendre par la comparaison de la lumière d'une lampe avec l'éclat des rayons du soleil. Il nous arrive souvent d'admirer la beauté d'une lampe qui fait briller sa lumière au milieu des ténèbres; mais cette lumière disparaît entièrement et devient inutile sitôt que le soleil fait éclater ses rayons sur la terre. Les étoiles même, qui sont si brillantes pendant la nuit, perdent tout leur éclat et semblent n'être plus dès que le soleil a commencé à les obscurcir par sa lumière. La même chose m'arrive aussi quand je m'arrête à considérer la beauté et la diversité infinie des créatures : j'admire les éléments et tous ces grands corps de la nature, mais, faisant réflexion sur leur peu de durée et les voyant se précipiter vers leur fin, sachant d'ailleurs qu'il n'y a que Dieu seul qui soit toujours ce qu'il a été de toute éternité, je ne nuis m'empêcher de dire une et deux fois : " Vanité des vanités, tout n'est que vanité. " Les mots hébreux abal abalim, qui sont dans ce verset et qui signifient : vanité des vanités, ont été traduits par les Grecs atmos atmidon ; ce que nous pouvons appeler justement : une légère vapeur, un peu de fumée, un souffle de vent, à cause que toutes ces choses se dissipent et passent en un moment. Ces expressions nous font donc connaître la fragilité, l'inconstance et le néant de toutes les créatures ; car tout ce que nous voyons doit passer en peu de temps, et il n'y a que les choses invisibles qui soient éternelles.

Donnons encore un autre sens à cette explication, et disons que toutes les choses de ce monde ne sont que vanité, qu'elles passent comme une ombre et comme un souffle de vent, parce que les créatures sont toutes assujetties à une inconstance extrême et involontaire, et qu'elles la souffrent à cause de celui qui les y a assujetties en leur faisant espérer qu'elles seront enfin délivrées de cette servitude et de cette corruption, pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu; car nous savons que jusqu'à présent toutes les créatures soupirent et sont comme dans le travail de l'enfantement. Ajoutons à tout cela que nous ne connaissons les choses dans ce monde que très imparfaitement, que nos lumières sont presque des ténèbres. Or il est certain que tout n'est que vanité pendant que nous vivons ainsi au milieu de toutes sortes de défauts et d'imperfections, et que nous attendons pour arriver à un état de consistance et de perfection. Tamdiù omnia vana sunt, donec veniat quod perfectum est.

Qo 1,3. " Que retire l'homme de tout le travail dont il est occupé sous le soleil? " Après que l'Ecclésiaste a dit en général que tout n'est que vanité, il vient à un détail particulier des vanités et des misères de ce monde. Il commence par les hommes, dont il montre la vanité et l'inutilité des travaux : les uns s'accablent de peines et de soins pour amasser des richesses; les autres s'étudient à donner une noble éducation à leurs enfants; quelques-uns sont insatiables d'honneur et de gloire, et quelques autres enfin ne sauraient vivre que pour faire de nouveaux bâtiments; mais au milieu de toutes ces occupations, ils se voient souvent enlevés de ce monde par une mort subite, et ils apprennent par une fatale expérience que ces paroles de l'Evangile sont écrites pour leur condamnation : " Insensé que vous êtes ! cette nuit même on va vous ravir la vie; et à qui laisserez-vous ces biens que vous avez amassés ? " Il est d'autant plus vrai que tous les travaux des hommes sont inutiles pour eux-mêmes qu'il est certain qu'ils n'emportent rien de ce monde, et qu'ils retournent en terre aussi nus qu'ils en étaient sortis.

Qo 1,4. " Une race passe , et une autre lui succède ; mais la terre demeure ferme dans sa durée. " Depuis le commencement du monde les hommes sont dans une perpétuelle révolution : la mort des uns nous prive de la compagnie de ceux que nous avions coutume de voir, et la naissance de beaucoup d’autres nous met avec des personnes qui n'avaient pas encore paru sur la terre. Mais y eut-il jamais de vanité et de misère plus réelle que celle-ci? l'homme couronné d'honneur et de gloire, comme le maître et le roi de la terre, passe comme une ombre et est bientôt réduit en poudre, pendant que la terre, qui n'était faite que pour l'homme, demeure toujours stable et ne connaît point de changement dans sa durée. Quid hâc vaniùs vanitate.

Qo 1,5. " Le soleil se lève et se couche, et retourne au point d'où il était parti, et il reprend son cours dans le même endroit." Le soleil, que Dieu a donné aux hommes pour éclairer leurs pas, les avertit lui-même chaque jour par son lever et par son coucher que le monde passe et qu'il tend vers sa fin; car dès que ce bel astre a plongé son chariot de feu dans l'Océan, il court par des routes qui nous sont inconnues pour se rendre au lieu d'où il était sorti, et il n'a pas plus tôt achevé le tour qu'il fait pendant la nuit qu'on le voit se presser de sortir du côté d'Orient, comme s'il sortait de son lit nuptial. Tous ces mouvements réguliers et toutes ces vicissitudes journalières nous prêchent continuellement que nous ne faisons que passer, et que notre vie s'écoule sans que nous nous en apercevions.

Selon le sens purement spirituel, nous pouvons regarder dans ces paroles de l'Ecclésiaste le soleil de justice, dont les rayons portent en tous lieux la santé. C'est lui qui s'élève toujours aux yeux des justes, mais qui se couche en plein midi pour les hypocrites et les faux prophètes. Dès qu'il parait sur notre horizon il nous attire vers son propre lieu, il nous élève vers son père; car il n'est descendu sur la terre que pour nous faire monter au ciel avec lui. C'est pour cela qu'il dit : " Lorsque le Fils de l'homme sera élevé, il attirera toutes choses à lui;" et il n'est pas surprenant que le fils de Dieu attire vers lui ceux qui croient en son nom, puisque le Père éternel lui-même attire tout vers son fils; ce que Jésus-Christ confirme par ces paroles : "Personne ne vient à moi si mon père, qui m'a envoyé, ne l'attire lui-même." Ce soleil donc, qui se lève pour les uns et qui se couche pour les autres, est le même qui parut se coucher au patriarche Jacob quand il quitta la Terre-Sainte, mais qui se leva à ses yeux de nouveau quand il revint de Syrie et qu'il rentra dans la terre de promesse d'où (145) il était sorti. Lot vit aussi le soleil se lever sur Segor après qu'il eut obéi au commandement de Dieu, qu'il eut quitté Sodome, et qu'il se fut transporté sur la montagne, pour demeures dans la ville que le Seigneur lui avait marquée afin de s'y réfugier.

Qo 1,6. "II prend son cours vers le midi, se tourne vers le nord : l'esprit tournoie de toutes parts, et il revient sur lui-même par de longs circuits;" Par cet endroit nous pouvons aisément juger que le soleil fait sa course du côté du midi pendant l'hiver, mais qu'il est plus proche du septentrion durant l'été. On peut aussi en conclure que l'année commence, non pendant l'équinoxe d'automne, mais pendant l'équinoxe du printemps, lorsque toute la nature devient féconde à la faveur des zéphyrs qui soufflent en cette saison. Pour ce qui est des dernières paroles du verset : "L'esprit tournoie de toutes parts, et il revient sur lui-même par de longs circuits", nous pourrions presque nous persuader qu'il parle encore du soleil, qu'il nomme ici " esprit, " à cause qu'il donne la vie, qu'il fait respirer et qu'il communique des forces à toute la nature, comme s'il était rame du monde et comme s'il donnait le mouvement à ce grand corps et à toutes ses parties, sans manquer à la plus petite.

Remarquez une semblable conduite dans le soleil de justice, qui semble être plus proche de nous dans un temps d'hiver, c'est-à-dire lorsque nous sommes les plus affligés et les plus persécutés sur la terre , au lieu qu'il se tient loin si nous habitons du côté du septentrion, privés du feu de la charité comme de la chaleur du midi. Mais quand ce soleil de justice aura élevé toutes choses vers lui-même, et qu'il aura éclairé tous les hommes par sa lumière , alors se fera le dernier et le principal rétablissement de toutes les créatures , parce que Dieu sera tout en tous : Erit Deus omnia in omnibus.

Qo 1,7. " Tous les torrents entrent dans la mer, et la mer n'en regorge point. Les torrents retournent au même lieu d'où ils étaient sortis, pour couler à leur ordinaire." Il y en a qui pensent que les eaux douces des fleuves et des ruisseaux qui vont se rendre dans la mer sont absorbées d'en haut par les ardeurs du soleil , ou qu'elles servent à alimenter la liqueur salée de la mer même. Mais notre divin Ecclésiaste, le créateur des mêmes eaux, nous assure qu'elles retournent vers leurs sources par des veines et de secrets conduits qui nous sont inconnus, et qu'elles vont bouillonner dans leurs sources après être sorties, comme de leur matrice, du profond abîme de la mer. Il me parait que les Hébreux expliquent ce passage d'une manière bien plus noble. Ils disent donc que ces paroles doivent se prendre dans un sens métaphorique ; que les torrents sont les hommes eux-mêmes qui meurent tous les jours, et qui retournent dans le sein de la terre d'où ils étaient sortis; que ce ne sont point des fleuves, mais des torrents, à cause de la précipitation avec laquelle ils passent sur la terre et rentrent dans le lieu de leur origine, sans que la terre s'en trouve trop remplie, quelque grande que soit la multitude des corps qu'on met à tout moment dans le tombeau ; qu'enfin cette mer est insatiable comme les filles de la sangsue des Proverbes de Salomon, qui disent toujours: " Apporte, apporte, " et qui ne disent jamais : " C'est assez. "

Qo 1,8. "Toutes les choses du monde sont difficiles ; l'homme ne saurait les expliquer par ses paroles. L'oeil ne se rassasie point devoir, et l'oreille ne se rassasie point de ce qu'elle entend." Il est également difficile de pénétrer les secrets de la nature, d'avoir la connaissance de la physique, et de savoir exactement toutes les règles des moeurs. Nous ne pouvons par tous nos discours expliquer à fond ou rendre raison de la nature de chaque chose. Les yeux de notre esprit n'ont pas assez de vivacité pour nous découvrir toutes les beautés du sujet que nous méditons , et notre docilité ne saurait suivre les pensées d'un habile maître qui voudrait nous remplir de ses connaissances. Car si nous ne voyons en cette vie les choses que comme enveloppées d'énigmes et d'obscurités, si toutes nos connaissances sont imparfaites, aussi bien que nos prophéties, il suit nécessairement de cette imperfection que nous ne pouvons point expliquer ce que nous ne connaissons pas , que nos yeux sont trop faibles pour percer dans les ténèbres, et que nos oreilles ne peuvent se remplir de l'incertitude des choses que nous entendons. Il faut encore remarquer que toutes sortes de sciences sont très difficiles, et qu'on ne les acquiert qu'avec beaucoup de peine et de travail , ce qui condamne l'oisiveté, et la négligence de ceux qui s’imaginent qu'il (146) suffit de désirer d'être savant dans les saintes Ecritures pour en avoir une parfaite connaissance: Contra eos qui putant otiosis sibi, et vota facientibus venire notitiam Scripturarum.

Qo 1,9. "Qu'est-ce qui a été autrefois? C'est ce qui doit être à l'avenir. Qu'est-ce qui s'est l'ait? C'est ce qui se doit faire encore, et rien n'est nouveau sous le soleil." Il parle en général, ce me semble, de toutes les choses dont il a déjà fait le dénombrement ; je veux dire : de la succession continuelle des hommes de siècle en siècle , de la pesante masse de ta terre , du lever et du coucher du soleil, du cours des fleuves qui se jettent dans la mer , de la vaste étendue de l'Océan , en un mot, de tout ce qui tombe sous nos sens et que nous sommes capables de nous représenter par nos pensées. Il nous assure donc qu'on ne voit rien dans la nature qui n'ait déjà paru dans les siècles passés. En effet, les hommes, depuis le commencement du monde, ont coutume de naître et de mourir les uns après les autres. La terre aussi demeure toujours suspendue sur les eaux, et l'on voit régulièrement tous les jours que le soleil se couche le soir après s'être levé le matin. Et pour ne pas m'étendre davantage, je me contente de dire que Dieu, ce grand ouvrier de la nature, a donné aux oiseaux la faculté de voler, aux poissons celle de nager, aux animaux terrestres celle de marcher, et aux serpents la facilité de se glisser sur l'herbe. Un poète comique s'est assez approché des sentiments de l'Ecclésiaste lorsqu'il s'est expliqué de la sorte : " On ne dit rien de notre temps qui n'ait été dit avant nous ; " ce qui fit dire à Donat, mon précepteur grammairien, qui nous expliquait un jour ce vers de Térence : " Malheur à ceux qui se sont servis avant nous de nos propres expressions! " Mais s'il est vrai que les hommes ne peuvent rien prononcer qui soit nouveau et qui n'ait déjà été dit dans les siècles passés , avec combien plus de raison doit-on reconnaître qu'il n'arrive rien de nouveau dans la nature et dans la disposition du monde, dont le gouvernement a été si sage et si parfait dès son origine que Dieu se reposa le septième jour, après qu'il eut créé toutes choses et donné le mouvement à tous les êtres !

J'ai lu dans un certain livre ce raisonnement " Si tout ce qui a été fait sous le soleil existait dans les siècles passés avant que de paraître dans le monde , et si d'ailleurs l'homme n'a été fait qu'après la création du soleil, on doit inférer de ce principe que l'homme était déjà avant que de naître sous le soleil. " Mais on peut aisément se défaire de cette difficulté en disant qu'il s'ensuivrait de ce raisonnement que les bêtes et les moucherons, les plus petits et les plus grands animaux, ont aussi existé avant la création du ciel , à moins qu'on ne prétende montrer par la suite du discours que l'Ecclésiaste n'a parlé que des hommes seuls, et non pas de tous les autres animaux ; car l’Ecriture dit expressément : " Il n'est rien de nouveau sous le soleil, qui parle et qui puisse dire: Voilà une chose nouvelle. " Or, entre tous les animaux, l'homme est le seul qui ait l'usage de la parole. Que si l'on veut soutenir que les autres animaux parlent aussi, ce sera pour nous une grande nouveauté qui détruira la proposition de l'Ecclésiaste, qui nous assure " qu'il n'y a rien de nouveau sous le ciel. "

Qo 1,10. "Est-il quelque chose de laquelle on puisse dire : Voyez, c'est une nouveauté? Tout cela a déjà paru dans les siècles qui nous ont précédés." Symmaque a traduit cet endroit avec plus de clarté lorsqu'il a dit : " Croyez-vous qu'il y ait quelqu’un qui puisse dire : Regardez, voilà une chose nouvelle? Mais texte nouveauté a déjà paru dans le siècle passé. " Ceci s'accorde parfaitement avec ce qui est dit dans le verset précédent, où l'Ecclésiaste assure qu'il n'arrive rien de nouveau dans le monde, qu'il n'y a point d'homme existant aujourd'hui qui puisse nous dire : Voyez, ce que je vous montre est une chose nouvelle, puisque tout ce qu'il saurait nous montrer a déjà paru dans les siècles passés. Qu'on ne croie point cependant que les miracles, les prodiges et beaucoup d'autres choses nouvelles et extraordinaires, qui arrivent tous les jours par la volonté de Dieu, aient déjà été dans les siècles passés. Ce sentiment nous ferait tomber dans les erreurs d'Epicure, qui a prétendu établir de continuelles révolutions périodiques, après lesquelles on voyait les mêmes choses dans le monde, faites dans les mêmes lieux et par les mêmes personnes. Si cela avait lieu, nous serions obligés de dire que Judas a trahi plusieurs fois le Sauveur du monde , et que Jésus-Christ est mort fort souvent pour nous. Il faut donc dire, pour ne pas suivre ces erreurs grossières des épicuriens, que les choses futures ont déjà été dans les siècles passés, à cause qu'elles étaient dans la prescience et dans la prédestination de Dieu; car ceux que Dieu a choisis; et prédestinés en Jésus-Christ avant la création du monde ont été en lui dans les siècles passés : Qui enim electi sunt in Christo ante constitutionem mundi, in prioribus saeculis jam fuerunt.

Qo 1,11. "On ne se souvient plus de ce qui a précédé ; les choses aussi qui arriveront après nous seront oubliées de ceux qui viendront dans les derniers jours;" De même que les choses passées , dont nous n'avons point de connaissance, sont ensevelies dans un éternel oubli , de même nous arrivera-t-il que toutes les choses que nous faisons aujourd'hui, ou que d'autres feront après nous, seront oubliées pour toujours parmi ceux qui viendront à la fin des siècles. On n'en parlera pas plus que des choses qui n'ont jamais existé. Et alors s'accomplira cette belle sentence de l'Ecclésiaste

" Vanité des vanités, tout n'est que vanité. " C'est pourquoi les séraphins, dans Isaïe, se couvrent de leurs ailes le visage et les pieds , pour nous faire connaître que tout nous est caché dans le passé et dans l'avenir; selon la version des Septante : " On ne se souvient plus de ce qui a précédé, etc. " Il n'est pas difficile de prendre ce verset dans le sens de l'Evangile, où il est dit que " les premiers seront les derniers, et que les derniers seront les premiers; " car bien que ceux qui ont tenu dans ce monde les premiers rangs deviennent un jour les derniers de tous, néanmoins Dieu est si plein de bonté et de douceur qu'il n'oubliera pas même les moindres de ses serviteurs. Il est vrai qu'il ne leur donnera pas la même récompense et la même couronne de gloire qu'il doit donner à ceux qui se sont tenus dans l'abaissement, et qui par humilité ont toujours voulu être les plus petits et les derniers de tous. On dit aussi dans la suite de ce livre que " la mémoire de l'insensé ne sera point éternelle comme la mémoire du sage. "

V. 12. " Moi l'Ecclésiaste, j'ai été roi d'Israël dans Jérusalem. " Ce que l'Ecclésiaste a dit jusqu'à cet endroit doit être regardé comme l'exorde d'un prédicateur qui a parlé en général de tout le monde. Maintenant il revient à lui-même, pour nous apprendre qui il a été, et de quelle manière il a acquis, par sa propre expérience, la connaissance de toutes choses (1). Les Hébreux disent que Salomon composa ce livre comme le monument de sa pénitence, où il confesse que, pour s'être trop confié en sa propre sagesse et en ses richesses, il avait bien offensé Dieu en s'abandonnant à l'amour des femmes.

(1) voyez la paraphrase chaldéenne de ce livre, versets 11 et 12.

V. 13. " Je résolus en moi-même de rechercher et d'examiner avec sagesse ce qui se passe sous le soleil. Dieu a donné aux enfants des hommes cette fâcheuse occupation qui les exerce pendant leur vie. " Le texte hébreu et les versions grecques de ce verset conservent des termes qui marquent une application violente et connue une espèce d'extension, distentionem qui met l'esprit de l'homme à la gêne et à la torture. Mais de quelque manière qu'on explique le texte original, on doit tout rapporter à ce qui a été dit auparavant. L'Ecclésiaste donc s'appliqua avant toutes choses, et sur toutes choses, à la recherche de la sagesse ; mais il poussa trop loin ses recherches, voulant comprendre par lui-même ce qu'il ne lui était pas permis de savoir. Il osa examiner pourquoi l'on voyait quelquefois de petits enfants possédés du démon, pourquoi des hommes justes périssaient souvent dans le même naufrage qui engloutissait les impies. Il voulait savoir si ces choses et d'autres semblables se faisaient par le hasard ou si elles arrivaient par un jugement de Dieu. Que si tout cela arrivait par hasard, où serait la Providence? Mais si Dieu s'en mêlait., que deviendrait sa justice? Faisant donc mes efforts, dit l'Ecclésiaste, pour découvrir la raison de toutes ces choses,j'ai reconnu que tant de curiosité et d'application, tant de soins et de peines que les hommes se donnent, et qui les tourmentent en mille manières différentes, étaient ordonnées dans la conduite de Dieu , afin que les hommes sentissent qu'ils veulent approfondir des choses qu'il ne leur est pas permis de connaître: Ut scire cupiant quod scire non licitum est.

Remarquer encore la liaison admirable de l'Ecriture, qui nous fait connaître la cause et la raison des châtiments de Dieu avant de nous parler de ces mêmes châtiments et de nos peines. L'apôtre saint Paul garde ce bel ordre dans son épître aux Romains lorsqu'il dit : (148) " C'est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leur coeur, aux vices de l’impureté; c'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions honteuses ; C'est pourquoi Dieu les a livrés à un sens réprouvé, en sorte qu'ils ont fait toutes sortes d'actions indignes de l'homme; , et dans la seconde aux Thessaloniciens : " C'est pourquoi Dieu les laissera tomber dans l'erreur, en sorte qu'ils croiront au mensonge. " Dans tous ces endroits l'Apôtre nous fait connaître la raison des châtiments terribles de la justice de Dieu, en nous parlant d'abord des crimes énormes des hommes, qui en étaient le sujet. De même ecclésiaste nous découvre dans ce passage la source des gênes et des tortures que les hommes se donnent inutilement dans ce monde, en nous apprenant qu'ils ont fait volontairement tout ce qu'il fallait pour leur attirer toutes ces peines : Quia prius sponte sua et propria voluntate haec vel illa fecerunt .

V. 14 " J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil, et j'ai trouvé que tout n'est que vanité et présomption d'esprit. " Nous sommes obligés, pour bien expliquer l'Écriture, de parler des mots hébreux du texte plus souvent que nous ne voudrions. Le terme routh, que les interprètes grecs traduisent diversement, signifie plutôt : un mouvement "volontaire " du coeur qu'une " présomption " de notre esprit. L'Ecclésiaste dit donc que chacun fait dans ce monde ce qui lui plaît , que chacun y suit ses propres lumières et ses inclinations , et que, comme chacun est maître de lui-même, il arrive que les hommes se portent volontairement à une infinité de choses toutes différentes. Les uns goûtent ce qui déplaît aux autres ; ceux-ci condamnent ce que d'autres avaient approuvé. Insupportables à nous-mêmes , insupportables à tous les autres, nous faisons le bien ou nous nous portons au mal par des motifs opposés et contraires. Ce peu d'uniformité et cette bizarrerie de sentiments parmi les hommes est la source de tout le travers, de toutes les vanités et de toutes les misères qui accablent les enfants d'Adam sur la terre : Et vana sunt universa sub sole, dum invicem nois in bonorum et malorum finibus displicemus.

Le Juif sous la discipline duquel j'ai appris les Écritures saintes me faisait remarquer que le mot hébreu routh dont nous avons parlé signifie en cet endroit; non : la "volonté, " ou : la " présomption " de l'esprit de l'homme, mais : les "afflictions ", et : les " misères "qu'il souffre dans cette vie. Il disait donc que le sens de ce passage se devait prendre en cette manière: J'ai fait attention sur tout ce qui se fait dans le monde, et je n'y ai rien vu que des misères et des sujets d'affliction ; c'est-à-dire : des choses capables d'apporter du chagrin et du trouble dans l'âme.

V. 15. " Les hommes déréglés se corrigent et se redressent difficilement , et le nombre des imparfaits est infini. " Un homme méchant et corrompu, s'il ne commence par se corriger, ne pourra jamais travailler à son salut et à sa perfection. Les choses déjà rangées et bien ordonnées sont capables d'embellissement et d'une plus grande beauté ; celles qui sont dérangées ou mal tournées doivent d'abord être rangées et redressées. Ou ne dit qu'un homme est perverti que quand il a été corrompu, et qu'il s'est lui-même éloigné de la droiture et du bon ordre. Je dis ceci contre les hérétiques novatiens, qui s'imaginent qu'il y a certaines choses dans la nature qui par elles-mêmes sont incapables d'être rétablies dans un meilleur état.

On peut encore prendre le verset dans ce sens: Le monde est rempli de tant de malignité, de tant de vices et de tant de défauts, qu'il semble presque impossible de le réformer, et de le rétablir dans le bon ordre et dans la première perfection où Dieu l'avait créé. D'ailleurs le démon par sa malice a si fort renversé tout ce qu'il y avait de bien dans l'homme qu'on ne voit dans le monde que péchés sur péchés, crimes sur crimes; en sorte que le nombre de ceux qui sont trompés et pervertis par ce séducteur surpasse toutes les supputations qu'on en pourrait faire.

V. 16. " Je me suis entretenu en moi-même de ces pensées, et j'ai dit: Je suis devenu grand et très puissant; et j'ai surpassé en sagesse tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem. Mon esprit a contemplé les choses avec une grande sagesse, et avec beaucoup de science et de pénétration. " Salomon a surpassé en sagesse, non pas Abraham, ni Moïse, ni plusieurs autres saints prophètes , mais seulement ceux qui avaient été avant lui dans Jérusalem. Nous lisons aussi dans les livres des Rois que Salomon fut orné d'une profonde sagesse, et qu'il demanda ce don au Seigneur par préférence à (149) tous les autres avantages. On doit donc remarquer que Dieu accorde les lumières de la sagesse et de la science à ceux qui ont le coeur pur et dégagé des affections de la terre. Car l'Ecclésiaste ne dit point : " J'ai parlé avec beaucoup de sagesse et d'éloquence ; " mais il dit: " Mon esprit a contemplé les choses avec une grande sagesse et une profonde science. " Il est encore vrai que nous ne saurions nous énoncer parfaitement sur beaucoup de choses que nous connaissons fort distinctement.

V. 17. " J'ai appliqué mon coeur à connaître la prudence et la doctrine, les erreurs et l'imprudence , et j'ai découvert qu'en cela même il y avait bien de la vanité ou de la présomption d'esprit. " Les contraires se reconnaissent par l'opposition de leurs contraires, et le premier degré de la sagesse est de n'être point assujetti à la folie; mais on ne peut éviter la folie et l'imprudence sans en connaître les défauts. Aussi voyons-nous plusieurs choses pernicieuses et dangereuses dans les autres créatures , afin de nous faire acquérir la sagesse en les évitant et en nous en éloignant. Salomon a donc eu également besoin de s'appliquer à l'étude de la sagesse et à la connaissance de l'imprudence et de la folie qui lui sont opposées, afin que par son attachement à l'une et par son éloignement de l'autre on pût reconnaître qu'il avait acquis la véritable sagesse. Il avoue néanmoins que dans toutes ses curieuses recherches il n'a fait que se repaître de vent , et qu'il n'a jamais pu acquérir une parfaite sagesse.

V. 18. " Parce qu'une grande sagesse est accompagnée d'une grande indignation et d'un grand chagrin , et que plus on acquiert de science, plus on a de peine et de travail. " A mesure qu'un homme acquiert des connaissances et qu'il est éclairé des lumières de la sagesse, il se voit si environné de vices et si éloigné des vertus auxquelles il aspire qu'il ne peut s'empêcher d'en concevoir de l'indignation et du chagrin. Il a une extrême peine de se voir si sujet à tant de défauts et à tant de péchés, parce qu'il sait que les grands seront terriblement tourmentés, et qu'on exigera plus de bonnes actions de celui à qui on a donné plus de belles lumières. C'est ce qui l'afflige d'une tristesse selon Dieu, et qui lui cause une douleur amère à la vue de ses péchés. Un homme sage s'afflige encore de voir que la sagesse demeure si cachée et si inaccessible, et de ce qu'elle ne se présente pas à nous aussi facilement que la lumière corporelle se présente à nos yeux ; trais qu'il faut en rechercher la possession par des soins qui sont de véritables tourments et par les travaux les plus insupportables : Per tormenta quaedam et intolerabilem laborem, jugi meditatione et studio provenire.



Jérôme - oeuvres morales