Catéchèses Benoît XVI 9086

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Mercredi 9 août 2006 - Jean, le théologien

Chers frères et soeurs,

Avant les vacances, j'avais commencé de brefs portraits des douze Apôtres. Les Apôtres étaient les compagnons de route de Jésus, les amis de Jésus et leur chemin avec Jésus n'était pas seulement un chemin extérieur, de la Galilée à Jérusalem, mais un chemin intérieur, dans lequel ils ont appris la foi en Jésus Christ, non sans difficulté, car ils étaient des hommes comme nous. Mais c'est précisément pour cela, parce qu'ils étaient compagnons de route de Jésus, des amis de Jésus qui ont appris la foi sur un chemin difficile, qu'ils sont aussi des guides pour nous, qui nous aident à connaître Jésus Christ, à l'aimer et avoir foi en Lui. J'ai déjà parlé de quatre des douze Apôtres: Simon Pierre, son frère André, Jacques, le frère de saint Jean, et l'autre Jacques, dit "le Mineur", qui a écrit une Lettre que nous trouvons dans le Nouveau Testament. Et j'avais commencé à parler de Jean l'évangéliste, en recueillant dans la dernière catéchèse avant les vacances les informations essentielles qui définissent la physionomie de cet Apôtre. Je voudrais à présent concentrer l'attention sur le contenu de son enseignement. Les écrits qui feront l'objet de notre intérêt aujourd'hui sont donc l'Evangile et les Lettres qui portent son nom.

S'il est un thème caractéristique qui ressort des écrits de Jean, c'est l'amour. Ce n'est pas par hasard que j'ai voulu commencer ma première Lettre encyclique par les paroles de cet Apôtre: "Dieu est amour (Deus caritas ); celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui" (1Jn 4,16). Il est très difficile de trouver des textes de ce genre dans d'autres religions. Et ces expressions nous placent donc face à un concept très particulier du christianisme. Assurément, Jean n'est pas l'unique auteur des origines chrétiennes à parler de l'amour. Etant donné qu'il s'agit d'un élément constitutif essentiel du christianisme, tous les écrivains du Nouveau Testament en parlent, bien qu'avec des accents divers. Si nous nous arrêtons à présent pour réfléchir sur ce thème chez Jean, c'est parce qu'il nous en a tracé avec insistance et de façon incisive les lignes principales. Nous nous en remettons donc à ses paroles. Une chose est certaine: il ne traite pas de façon abstraite, philosophique ou même théologique de ce qu'est l'amour. Non, ce n'est pas un théoricien. En effet, de par sa nature, le véritable amour n'est jamais purement spéculatif, mais exprime une référence directe, concrète et vérifiable à des personnes réelles. Et Jean, en tant qu'apôtre et ami de Jésus, nous fait voir quels sont les éléments, ou mieux, les étapes de l'amour chrétien, un mouvement caractérisé par trois moments.

Le premier concerne la Source même de l'amour, que l'Apôtre situe en Dieu, en allant jusqu'à affirmer, comme nous l'avons entendu, que "Dieu est Amour" (1Jn 4,8 1Jn 4,16). Jean est l'unique auteur de Nouveau Testament à nous donner une sorte de définition de Dieu. Il dit par exemple que "Dieu est esprit" (Jn 4,24) ou que "Dieu est Lumière" (1Jn 1,5). Ici, il proclame avec une intuition fulgurante que "Dieu est amour". Que l'on remarque bien: il n'est pas affirmé simplement que "Dieu aime" ou encore moins que "l'amour est Dieu"! En d'autres termes: Jean ne se limite pas à décrire l'action divine, mais va jusqu'à ses racines. En outre, il ne veut pas attribuer une qualité divine à un amour générique ou même impersonnel; il ne remonte pas de l'amour vers Dieu, mais se tourne directement vers Dieu pour définir sa nature à travers la dimension infinie de l'amour. Par cela, Jean veut dire que l'élément constitutif essentiel de Dieu est l'amour et donc toute l'activité de Dieu naît de l'amour et elle est marquée par l'amour: tout ce que Dieu fait, il le fait par amour et avec amour, même si nous ne pouvons pas immédiatement comprendre que cela est amour, le véritable amour.

Mais, à ce point, il est indispensable de faire un pas en avant et de préciser que Dieu a démontré de façon concrète son amour en entrant dans l'histoire humaine à travers la personne de Jésus Christ incarné, mort et ressuscité pour nous. Cela est le second moment constitutif de l'amour de Dieu. Il ne s'est pas limité à des déclarations verbales, mais, pouvons-nous dire, il s'est véritablement engagé et il a "payé" en personne. Comme l'écrit précisément Jean, "Dieu a tant aimé le monde (c'est-à-dire nous tous), qu'il a donné son Fils unique" (Jn 3,16). Désormais, l'amour de Dieu pour les hommes se concrétise et se manifeste dans l'amour de Jésus lui-même. Jean écrit encore: Jésus "ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin" (Jn 13, 1). En vertu de cet amour oblatif et total, nous sommes radicalement rachetés du péché, comme l'écrit encore saint Jean: "Petits enfants [...] si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier" (1Jn 2,1-2 cf. 1Jn 1,7). Voilà jusqu'où est arrivé l'amour de Jésus pour nous: jusqu'à l'effusion de son sang pour notre salut! Le chrétien, en s'arrêtant en contemplation devant cet "excès" d'amour, ne peut pas ne pas se demander quelle est la réponse juste. Et je pense que chacun de nous doit toujours et à nouveau se le demander.

Cette question nous introduit au troisième moment du mouvement de l'amour: de destinataires qui recevons un amour qui nous précède et nous dépasse, nous sommes appelés à l'engagement d'une réponse active qui, pour être adéquate, ne peut être qu'une réponse d'amour. Jean parle d'un "commandement". Il rapporte en effet ces paroles de Jésus: "Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres" (Jn 13,34). Où se trouve la nouveauté dont parle Jésus? Elle réside dans le fait qu'il ne se contente pas de répéter ce qui était déjà exigé dans l'Ancien Testament, et que nous lisons également dans les autres Evangiles: "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv 19,18 cf. Mt 22,37-39 Mc 12,29-31 Lc 10 Lc 27). Dans l'ancien précepte, le critère normatif était tiré de l'homme ("comme toi-même"), tandis que dans le précepte rapporté par Jean, Jésus présente comme motif et norme de notre amour sa personne même: "Comme je vous ai aimés". C'est ainsi que l'amour devient véritablement chrétien, en portant en lui la nouveauté du christianisme: à la fois dans le sens où il doit s'adresser à tous, sans distinc-tion, et surtout dans le sens où il doit parvenir jusqu'aux conséquences extrêmes, n'ayant d'autre mesure que d'être sans mesure. Ces paroles de Jésus, "comme je vous ai aimés", nous interpellent et nous préoccupent à la fois; elles représentent un objectif christologique qui peut apparaître impossible à atteindre, mais dans le même temps, elles représentent un encouragement qui ne nous permet pas de nous reposer sur ce que nous avons pu réaliser. Il ne nous permet pas d'être contents de ce que nous sommes, mais nous pousse à demeurer en chemin vers cet objectif.

Le précieux texte de spiritualité qu'est le petit livre datant de la fin du Moyen-Age intitulé Imitation du Christ, écrit à ce sujet: "Le noble amour de Jésus nous pousse à faire de grandes choses et nous incite à désirer des choses toujours plus parfaites. L'amour veut demeurer élevé et n'être retenu par aucune bassesse. L'amour veut être libre et détaché de tout sentiment terrestre... En effet, l'amour est né de Dieu et ne peut reposer qu'en Dieu, par-delà toutes les choses créées. Celui qui aime vole, court, et se réjouit, il est libre, rien ne le retient. Il donne tout à tous et a tout en toute chose, car il trouve son repos dans l'Unique puissant qui s'élève par-dessus toutes les choses, dont jaillit et découle tout bien" (Livre III, chap. 5). Quel meilleur commentaire du "commandement nouveau" énoncé par Jean? Prions le Père de pouvoir le vivre, même de façon imparfaite, si intensément, au point de contaminer tous ceux que nous rencontrons sur notre chemin.
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J’accueille avec joie les pèlerins de langue française. Chers amis, puisse votre pèlerinage à Rome faire grandir votre foi; que ce temps de vacances soit pour chacun l’occasion d’un vrai repos et le moment favorable pour refaire vos forces physiques et spirituelles!

Appel du Pape pour la paix au Moyen-Orient

Chers frères et soeurs,

ma pensée implorante se tourne une fois de plus vers la bien-aimée région du Moyen-Orient. En me référant au tragique conflit en cours, je repropose les paroles de Paul VI à l'ONU, en octobre 1965. Il dit à cette occasion: "Jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais!... Si vous voulez être frères, laissez tomber les armes de vos mains". Face aux efforts en cours pour parvenir enfin au cessez-le-feu et à une solution juste et durable du conflit, je répète, avec mon prédécesseur immédiat, le grand Pape Jean-Paul II, qu'il est possible de changer le cours des événements dès lors que prévalent la raison, la bonne volonté, la confiance en l'autre, la mise en oeuvre des engagements pris et la coopération entre partenaires responsables (cf. Discours au Corps diplomatique, 13 janvier 2003). Telles sont les paroles de Jean-Paul II et ce qui a été dit alors est encore valable aujourd'hui, pour tous. Je renouvelle à chacun l'exhortation à intensifier sa prière pour obtenir le don tant désiré de la paix.


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Mercredi 16 août 2006 - Le signe lumineux de l'Assomption de la Vierge Marie au ciel

Chers frères et soeurs,

Notre traditionnel rendez-vous hebdomadaire du mercredi se déroule aujourd'hui encore dans le climat de la solennité de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie. Je voudrais donc vous inviter à tourner le regard une fois de plus vers notre Mère céleste, que la Liturgie d'hier nous a fait contempler triomphante avec le Christ au Ciel. Cette fête a toujours été très importante pour le peuple chrétien, dès les premiers siècles du christianisme; comme on le sait, elle célèbre la glorification également corporelle de la créature que Dieu s'est choisie comme Mère et que Jésus sur la Croix a donné comme Mère à toute l'humanité. L'Assomption évoque un mystère qui concerne chacun de nous car, comme l'affirme le Concile Vatican II, Marie "brille déjà comme un signe d'espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage" (Lumen gentium LG 68). Mais nous sommes tellement pris par les événements de tous les jours que nous oublions parfois cette réalité spirituelle réconfortante, qui constitue une importante vérité de foi.

Comment faire en sorte alors que ce signe lumineux d'espérance soit perçu toujours plus par nous tous et par la société d'aujourd'hui? Aujourd'hui, il y a des personnes qui vivent comme si elles ne devaient jamais mourir ou comme si tout devait finir avec la mort; certains agissent en pensant que l'homme est l'unique artisan de leur destin, comme si Dieu n'existait pas, en arrivant parfois même à nier qu'il y ait une place pour Lui dans notre monde. Les grandes victoires de la technique et de la science, qui ont considérablement amélioré la condition de l'humanité, laissent toutefois sans solution les questions les plus profondes de l'âme humaine. Seule l'ouverture au mystère de Dieu, qui est Amour, peut étancher la soif de vérité et de bonheur de notre coeur; seule la perspective de l'éternité peut conférer une valeur authentique aux événements historiques et surtout au mystère de la fragilité humaine, de la souffrance et de la mort.

En contemplant Marie dans la gloire céleste, nous comprenons que pour nous aussi, la terre n'est pas la patrie définitive et que si nous vivons tournés vers les biens éternels, nous partagerons un jour sa gloire et la terre également deviendra plus belle. C'est pour cela que, même parmi les mille difficultés quotidiennes, nous ne devons pas perdre la sérénité, ni la paix. Le signe lumineux de l'Assomption de la Vierge au ciel resplendit encore plus lorsque semblent s'accumuler à l'horizon des ombres tristes de douleur et de violence. Nous en sommes certains: d'en haut, Marie suit nos pas avec une douce inquiétude, elle nous réconforte à l'heure des ténèbres et de la tempête, elle nous rassure de sa main maternelle. Soutenus par cette conscience, nous poursuivons avec confiance notre chemin d'engagement chrétien là où la Providence nous conduit.

Allons de l'avant, sous la direction de Marie, dans notre vie. Merci.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin. Puisse la Bienheureuse Vierge Marie, dont nous avons célébré hier l’Assomption, demeurer, pour vous et pour le peuple de Dieu tout entier, « comme un signe d’espérance assurée et de consolation » (Lumen gentium LG 68). Dans ce monde marqué par la fragilité humaine, la souffrance et la mort, que notre Mère du Ciel vous fasse entrer toujours plus profondément dans le mystère de Dieu, qui est Amour, seul capable d’étancher la soif de vérité, de bonheur et d’éternité de vos coeurs.
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Je voudrais enfin conclure notre rencontre par un souvenir particulier de Frère Roger Schutz, fondateur de Taizé, assassiné il y a précisément un an, le 16 août de l'an dernier au cours de la prière du soir. Son témoignage de foi et de dialogue oecuménique a constitué un enseignement précieux pour des générations entières de jeunes. Demandons au Seigneur que le sacrifice de sa vie contribue à consolider l'engagement de paix et de solidarité de tous ceux qui ont à coeur l'avenir de l'humanité.
Comme toujours, concluons cette audience en récitant ensemble le Notre Père.



Mercredi 23 août 2006 - Jean, le Voyant de Patmos

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Chers frères et soeurs,

Dans la dernière catéchèse, nous étions arrivés à la méditation sur la figure de l'Apôtre Jean. Nous avions tout d'abord cherché à voir ce que l'on peut savoir de sa vie. Puis, dans une deuxième catéchèse, nous avions médité le contenu central de son Evangile, de ses Lettres: la charité, l'amour. Et aujourd'hui, nous revenons encore une fois sur la figure de l'Apôtre Jean, en prenant cette fois en considération le Voyant de l'Apocalypse. Et nous faisons immédiatement une observation: alors que ni le Quatrième Evangile, ni les Lettres attribuées à l'Apôtre ne portent jamais son nom, l'Apocalypse fait référence au nom de Jean, à quatre reprises (cf.
Ap 1,1 Ap 1,4 Ap 1,9 Ap 22,8). Il est évident que l'Auteur, d'une part, n'avait aucun motif pour taire son propre nom et, de l'autre, savait que ses premiers lecteurs pouvaient l'identifier avec précision. Nous savons par ailleurs que, déjà au III siècle, les chercheurs discutaient sur la véritable identité anagraphique du Jean de l'Apocalypse. Quoi qu'il en soit, nous pourrions également l'appeler "le Voyant de Patmos", car sa figure est liée au nom de cette île de la Mer Egée, où, selon son propre témoignage autobiographique, il se trouvait en déportation "à cause de la Parole de Dieu et du témoignage pour Jésus" (Ap 1,9). C'est précisément à Patmos, "le jour du Seigneur... inspiré par l'Esprit" (Ap 1,10), que Jean eut des visions grandioses et entendit des messages extraordinaires, qui influencèrent profondément l'histoire de l'Eglise et la culture occidentale tout entière. C'est par exemple à partir du titre de son livre - Apocalypse, Révélation - que furent introduites dans notre langage les paroles "apocalypse, apocalyptique", qui évoquent, bien que de manière inappropriée, l'idée d'une catastrophe imminente.

Le livre doit être compris dans le cadre de l'expérience dramatique des sept Eglises d'Asie (Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée), qui vers la fin du I siècle durent affronter des difficultés importantes - des persécutions et également des tensions internes - dans leur témoignage au Christ. Jean s'adresse à elles en faisant preuve d'une vive sensibilité pastorale à l'égard des chrétiens persécutés, qu'il exhorte à rester solides dans la foi et à ne pas s'identifier au monde païen si fort. Son objet est constitué en définitive par la révélation, à partir de la mort et de la résurrection du Christ, du sens de l'histoire humaine. La première vision fondamentale de Jean, en effet, concerne la figure de l'Agneau, qui est égorgé et pourtant se tient debout (cf. Ap 5,6), placé au milieu du trône où Dieu lui-même est déjà assis. A travers cela, Jean veut tout d'abord nous dire deux choses: la première est que Jésus, bien que tué par un acte de violence, au lieu de s'effondrer au sol, se tient paradoxalement bien fermement sur ses pieds, car à travers la résurrection, il a définitivement vaincu la mort; l'autre est que Jésus, précisément en tant que mort et ressuscité, participe désormais pleinement au pouvoir royal et salvifique du Père. Telle est la vision fondamentale. Jésus, le Fils de Dieu, est sur cette terre un agneau sans défense, blessé, mort. Toutefois, il se tient droit, il est debout, il se tient devant le trône de Dieu et participe du pouvoir divin. Il a entre ses mains l'histoire du monde. Et ainsi, le Voyant veut nous dire: Ayez confiance en Jésus, n'ayez pas peur des pouvoirs opposés, de la persécution! L'Agneau blessé et mort vainc! Suivez l'Agneau Jésus, confiez-vous à Jésus, prenez sa route! Même si dans ce monde, ce n'est qu'un Agneau qui apparaît faible, c'est Lui le vainqueur!

L'une des principales visions de l'Apocalypse a pour objet cet Agneau en train d'ouvrir un livre, auparavant fermé par sept sceaux que personne n'était en mesure de rompre. Jean est même présenté alors qu'il pleure, car l'on ne trouvait personne digne d'ouvrir le livre et de le lire (cf. Ap 5,4). L'histoire reste indéchiffrable, incompréhensible. Personne ne peut la lire. Ces pleurs de Jean devant le mystère de l'histoire si obscur expriment peut-être le sentiment des Eglises asiatiques déconcertées par le silence de Dieu face aux persécutions auxquelles elles étaient exposées à cette époque. C'est un trouble dans lequel peut bien se refléter notre effroi face aux graves difficultés, incompréhensions et hostilités dont souffre également l'Eglise aujourd'hui dans diverses parties du monde. Ce sont des souffrances que l'Eglise ne mérite certainement pas, de même que Jésus ne mérita pas son supplice. Celles-ci révèlent cependant la méchanceté de l'homme, lorsqu'il s'abandonne à l'influence du mal, ainsi que le gouvernement supérieur des événements de la part de Dieu. Eh bien, seul l'Agneau immolé est en mesure d'ouvrir le livre scellé et d'en révéler le contenu, de donner un sens à cette histoire apparemment si souvent absurde. Lui seul peut en tirer les indications et les enseignements pour la vie des chrétiens, auxquels sa victoire sur la mort apporte l'annonce et la garantie de la victoire qu'ils obtiendront eux aussi sans aucun doute. Tout le langage fortement imagé que Jean utilise vise à offrir ce réconfort.

Au centre des visions que l'Apocalypse présente, se trouvent également celles très significatives de la Femme qui accouche d'un Fils, et la vision complémentaire du Dragon désormais tombé des cieux, mais encore très puissant. Cette Femme représente Marie, la Mère du Rédempteur, mais elle représente dans le même temps toute l'Eglise, le Peuple de Dieu de tous les temps, l'Eglise qui, à toutes les époques, avec une grande douleur, donne toujours à nouveau le jour au Christ. Et elle est toujours menacée par le pouvoir du Dragon. Elle apparaît sans défense, faible. Mais alors qu'elle est menacée, persécutée par le Dragon, elle est également protégée par le réconfort de Dieu. Et à la fin, cette Femme l'emporte. Ce n'est pas le Dragon qui gagne. Voilà la grande prophétie de ce livre qui nous donne confiance. La Femme qui souffre dans l'histoire, l'Eglise qui est persécutée, apparaît à la fin comme une Epouse splendide, figure de la nouvelle Jérusalem, où il n'y a plus de larmes, ni de pleurs, image du monde transformé, du nouveau monde, dont la lumière est Dieu lui-même, dont la lampe est l'Agneau.

C'est pour cette raison que l'Apocalypse de Jean, bien qu'imprégnée par des références continues aux souffrances, aux tribulations et aux pleurs - la face obscure de l'histoire -, est tout autant imprégnée par de fréquents chants de louange, qui représentent comme la face lumineuse de l'histoire. C'est ainsi, par exemple, que l'on lit la description d'une foule immense, qui chante presque en criant: "Alléluia! le Seigneur notre Dieu a pris possession de sa royauté, lui, le Tout-Puissant. Soyons dans la joie, exultons, rendons-lui gloire, car voici les noces de l'Agneau. Son épouse a revêtu ses parures" (Ap 19,6-7). Nous nous trouvons ici face au paradoxe chrétien typique, selon lequel la souffrance n'est jamais perçue comme le dernier mot, mais considérée comme un point de passage vers le bonheur, étant déjà même mystérieusement imprégnée par la joie qui naît de l'espérance. C'est précisément pour cela que Jean, le Voyant de Patmos, peut terminer son livre par une ultime aspiration, vibrant d'une attente fervente. Il invoque la venue définitive du Seigneur: "Viens, Seigneur Jésus!" (Ap 22,20). C'est l'une des prières centrales de la chrétienté naissante, également traduite par saint Paul dans la langue araméenne: "Marana tha". Et cette prière, "Notre Seigneur, viens!" (1Co 16,22), possède plusieurs dimensions. Naturellement, elle est tout d'abord l'attente de la victoire définitive du Seigneur, de la nouvelle Jérusalem, du Seigneur qui vient et qui transforme le monde. Mais, dans le même temps, elle est également une prière eucharistique: "Viens Jésus, maintenant!". Et Jésus vient, il anticipe son arrivée définitive. Ainsi, nous disons avec joie au même moment: "Viens maintenant, et viens de manière définitive!". Cette prière possède également une troisième signification: "Tu es déjà venu, Seigneur! Nous sommes certains de ta présence parmi nous. C'est pour nous une expérience joyeuse. Mais viens de manière définitive!". Et ainsi, avec saint Paul, avec le Voyant de Patmos, avec la chrétienté naissante, nous prions nous aussi: "Viens, Jésus! Viens, et transforme le monde! Viens dès aujourd'hui et que la paix l'emporte!". Amen!
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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier le groupe de jeunes pèlerins cyclistes. Que le Christ, vainqueur du mal et de la mort, soutienne votre foi et ravive votre espérance, afin que vous soyez des témoins joyeux de l’Évangile au milieu des difficultés de ce monde!



Mercredi 30 août 2006 - Matthieu

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Chers frères et soeurs,

En poursuivant la série de portraits des douze Apôtres, que nous avons commencée il y a quelques semaines, nous nous arrêtons aujourd'hui sur Matthieu. En vérité, décrire entièrement sa figure est presque impossible, car les informations qui le concernent sont peu nombreuses et fragmentaires. Cependant, ce que nous pouvons faire n'est pas tant de retracer sa biographie, mais plutôt d'en établir le profil que l'Evangile nous transmet.

Pour commencer, il est toujours présent dans les listes des Douze choisis par Jésus (cf.
Mt 10,3 Mc 3,18 Lc 6,15 Ac 1,13). Son nom juif signifie "don de Dieu". Le premier Evangile canonique, qui porte son nom, nous le présente dans la liste des Douze avec une qualification bien précise: "le publicain" (Mt 10,3). De cette façon, il est identifié avec l'homme assis à son bureau de publicain, que Jésus appelle à sa suite: "Jésus, sortant de Capharnaüm, vit un homme, du nom de Matthieu, assis à son bureau de publicain. Il lui dit: "Suis-moi". L'homme se leva et le suivit" (Mt 9,9). Marc (cf. Mc 2,13-17) et Luc (cf. Lc 5,27-30) racontent eux aussi l'appel de l'homme assis à son bureau de publicain, mais ils l'appellent "Levi". Pour imaginer la scène décrite dans Mt 9, 9, il suffit de se rappeler le magnifique tableau du Caravage, conservé ici, à Rome, dans l'église Saint-Louis-des-Français. Dans les Evangiles, un détail biographique supplémentaire apparaît: dans le passage qui précède immédiatement le récit de l'appel, nous est rapporté un miracle accompli par Jésus à Capharnaüm (cf. Mt 9,1-8 Mc 2,1-12) et l'on mentionne la proximité de la mer de Galilée, c'est-à-dire du Lac de Tibériade (cf. Mc 2,13-14). On peut déduire de cela que Matthieu exerçait la fonction de percepteur à Capharnaüm, ville située précisément "au bord du lac" (Mt 4,13), où Jésus était un hôte permanent dans la maison de Pierre.

Sur la base de ces simples constatations, qui apparaissent dans l'Evangile, nous pouvons effectuer deux réflexions. La première est que Jésus accueille dans le groupe de ses proches un homme qui, selon les conceptions en vigueur à l'époque en Israël, était considéré comme un pécheur public. En effet, Matthieu manipulait non seulement de l'argent considéré impur en raison de sa provenance de personnes étrangères au peuple de Dieu, mais il collaborait également avec une autorité étrangère odieusement avide, dont les impôts pouvaient également être déterminés de manière arbitraire. C'est pour ces motifs que, plus d'une fois, les Evangiles parlent à la fois de "publicains et pécheurs" (Mt 9,10 Lc 15,1), de "publicains et de prostituées" (Mt 21,31). En outre, ils voient chez les publicains un exemple de mesquinerie (cf. Mt 5,46, ils aiment seulement ceux qui les aiment) et ils mentionnent l'un d'eux, Zachée, comme le "chef des collecteurs d'impôts et [...] quelqu'un de riche" (Lc 19,2), alors que l'opinion populaire les associait aux "voleurs, injustes, adultères" (Lc 18,11). Sur la base de ces éléments, un premier fait saute aux yeux: Jésus n'exclut personne de son amitié. Au contraire, alors qu'il se trouve à table dans la maison de Matthieu-Levi, en réponse à ceux qui trouvaient scandaleux le fait qu'il fréquentât des compagnies peu recommandables, il prononce cette déclaration importante: "Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs" (Mc 2,17).

La bonne annonce de l'Evangile consiste précisément en cela: dans l'offrande de la grâce de Dieu au pécheur! Ailleurs, dans la célèbre parabole du pharisien et du publicain montés au Temple pour prier, Jésus indique même un publicain anonyme comme exemple appréciable d'humble confiance dans la miséricorde divine: alors que le pharisien se vante de sa propre perfection morale, "le publicain... n'osait même pas lever les yeux vers le ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: "Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis!"". Et Jésus commente: "Quand ce dernier rentra chez lui, c'est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste. Qui s'élève sera abaissé; qui s'abaisse sera élevé" (Lc 18,13-14). Dans la figure de Matthieu, les Evangiles nous proposent donc un véritable paradoxe: celui qui est apparemment le plus éloigné de la sainteté peut même devenir un modèle d'accueil de la miséricorde de Dieu et en laisser entrevoir les merveilleux effets dans sa propre existence. A ce propos, saint Jean Chrysostome formule une remarque significative: il observe que c'est seulement dans le récit de certains appels qu'est mentionné le travail que les appelés effectuaient. Pierre, André, Jacques et Jean sont appelés alors qu'ils pêchent, Matthieu précisément alors qu'il lève l'impôt. Il s'agit de fonctions peu importantes - commente Jean Chrysostome - "car il n'y a rien de plus détestable que le percepteur d'impôt et rien de plus commun que la pêche" (In Matth. Hom.: PL 57, 363). L'appel de Jésus parvient donc également à des personnes de basse extraction sociale, alors qu'elles effectuent un travail ordinaire.

Une autre réflexion, qui apparaît dans le récit évangélique, est que Matthieu répond immédiatement à l'appel de Jésus: "il se leva et le suivit". La concision de la phrase met clairement en évidence la rapidité de Matthieu à répondre à l'appel. Cela signifiait pour lui l'abandon de toute chose, en particulier de ce qui lui garantissait une source de revenus sûrs, même si souvent injuste et peu honorable. De toute évidence, Matthieu comprit qu'être proche de Jésus ne lui permettait pas de poursuivre des activités désapprouvées par Dieu. On peut facilement appliquer cela au présent: aujourd'hui aussi, il n'est pas admissible de rester attachés à des choses incompatibles avec la "sequela" de Jésus, comme c'est le cas des richesses malhonnêtes. A un moment, Il dit sans détour: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi" (Mt 19,21). C'est précisément ce que fit Matthieu: il se leva et le suivit! Dans cette action de "se lever", il est légitime de lire le détachement d'une situation de péché et, en même temps, l'adhésion consciente à une nouvelle existence, honnête, dans la communion avec Jésus.

Rappelons enfin que la tradition de l'Eglise antique s'accorde de façon unanime à attribuer à Matthieu la paternité du premier Evangile. Cela est déjà le cas à partir de Papia, Evêque de Hiérapolis en Phrygie, autour de l'an 130. Il écrit: "Matthieu recueillit les paroles (du Seigneur) en langue hébraïque, et chacun les interpréta comme il le pouvait" (in Eusèbe de Césarée, Hist. eccl. III, 39, 16). L'historien Eusèbe ajoute cette information: "Matthieu, qui avait tout d'abord prêché parmi les juifs, lorsqu'il décida de se rendre également auprès d'autres peuples, écrivit dans sa langue maternelle l'Evangile qu'il avait annoncé; il chercha ainsi à remplacer par un écrit, auprès de ceux dont il se séparait, ce que ces derniers perdaient avec son départ" (Ibid., III, 24, 6). Nous ne possédons plus l'Evangile écrit par Matthieu en hébreu ou en araméen, mais, dans l'Evangile grec que nous possédons, nous continuons à entendre encore, d'une certaine façon, la voix persuasive du publicain Matthieu qui, devenu Apôtre, continue à nous annoncer la miséricorde salvatrice de Dieu et écoutons ce message de saint Matthieu, méditons-le toujours à nouveau pour apprendre nous aussi à nous lever et à suivre Jésus de façon décidée.
* * *


Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier les séminaristes de l’archidiocèse de Lyon, accompagnés par le Cardinal Philippe Barbarin, ainsi que le pèlerinage oecuménique d’Athènes. Puisse la figure de l’Apôtre Matthieu vous inviter à devenir toujours plus des témoins de la miséricorde du Seigneur, en vous donnant tout entiers pour son service et pour celui de vos frères !


Mercredi 6 septembre 2006 - Philippe

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Jn 1,43-46

Chers frères et soeurs,

En poursuivant les descriptions des figures des divers Apôtres, comme nous le faisons depuis quelques semaines, nous rencontrons aujourd'hui Philippe. Dans les listes des Douze, il est toujours placé à la cinquième place (comme dans Mt 10,3 Mc 3,18 Lc 6,14 Ac 1,13), et donc substantiellement parmi les premiers. Bien que Philippe soit d'origine juive, son nom est grec, comme celui d'André, et cela constitue un petit signe d'ouverture culturelle qui ne doit pas être sous-évalué. Les informations à son propos nous sont fournies par l'Evangile de Jean. Il provenait du même lieu d'origine que Pierre et André, c'est-à-dire de Bethsaïde (cf. Jn 1,44), une petite ville appartenant à la tétrarchie de l'un des fils d'Hérode le Grand, lui aussi appelé Philippe (cf. Lc 3,1).

Le Quatrième Evangile rapporte que, après avoir été appelé par Jésus, Philippe rencontre Nathanaël et lui dit: "Celui dont parlent la loi de Moïse et les Prophètes, nous l'avons trouvé: c'est Jésus fils de Joseph, de Nazareth" (Jn 1,45). Philippe ne se rend pas à la réponse plutôt sceptique de Nathanaël ("De Nazareth! Peut-il sortir de là quelque chose de bon?"), et riposte avec décision: "Viens, et tu verras!" (Jn 1,46). Dans cette réponse, sèche mais claire, Philippe manifeste les caractéristiques du véritable témoin: il ne se contente pas de proposer l'annonce, comme une théorie, mais interpelle directement l'interlocuteur en lui suggérant de faire lui-même l'expérience personnelle de ce qui est annoncé. Les deux mêmes verbes sont utilisés par Jésus lui-même quand deux disciples de Jean-Baptiste l'approchent pour lui demander où il habite (cf. Jn 1,39). Jésus répondit: "Venez et voyez" (cf. Jn 1,38-39).

Nous pouvons penser que Philippe s'adresse également à nous avec ces deux verbes qui supposent un engagement personnel. Il nous dit à nous aussi ce qu'il dit à Nathanaël: "Viens et tu verras". L'Apôtre nous engage à connaître Jésus de près. En effet, l'amitié, la véritable connaissance de l'autre, a besoin de la proximité, elle vit même en partie de celle-ci. Du reste, il ne faut pas oublier que, selon ce que saint Marc écrit, Jésus choisit les Douze dans le but primordial qu'"ils soient avec lui" (Mc 3,14), c'est-à-dire qu'ils partagent sa vie et apprennent directement de lui non seulement le style de son comportement, mais surtout qui Il était véritablement. Ce n'est qu'ainsi, en effet, en participant à sa vie, qu'il pouvait le connaître et ensuite l'annoncer. Plus tard, dans la Lettre de Paul aux Ephésiens, on lira que l'important est d'"apprendre le Christ" (Ep 4,20), et donc pas seulement et pas tant d'écouter ses enseignements, ses paroles, que, davantage encore, Le connaître en personne; c'est-à-dire connaître son humanité et sa divinité, son mystère, sa beauté. En effet, il n'est pas seulement un Maître, mais un Ami, et même un Frère. Comment pourrions-nous le connaître à fond en restant éloignés? L'intimité, la familiarité, l'habitude nous font découvrir la véritable identité de Jésus-Christ. Voilà: c'est précisément cela que nous rappelle l'apôtre Philippe. Et ainsi, il nous invite à "venir", à "voir", c'est-à-dire à entrer dans une relation d'écoute, de réponse et de communion de vie avec Jésus, jour après jour.

Ensuite, à l'occasion de la multiplication des pains, il reçut de Jésus une demande précise, pour le moins surprenante: savoir où il était possible d'acheter du pain pour nourrir tous les gens qui le suivaient (cf. Jn 6,5). Philippe répondit alors avec un grand réalisme: "Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain" (Jn 6,7). On voit ici le caractère concret et le réalisme de l'Apôtre, qui sait juger les aspects réels d'une situation. Nous savons comment les choses se sont ensuite passées. Nous savons que Jésus prit les pains et, après avoir prié, les distribua. Ainsi se réalisa la multiplication des pains. Mais il est intéressant que Jésus se soit adressé précisément à Philippe, pour avoir une première indication sur la façon de résoudre le problème: signe évident qu'il faisait partie du groupe restreint qui l'entourait. A un autre moment, très important pour l'histoire future, avant la Passion, plusieurs grecs qui se trouvaient à Jérusalem pour la Pâque "abordèrent Philippe... Ils lui firent cette demande: "Nous voudrions voir Jésus". Philippe va le dire à André; et tous deux vont le dire à Jésus" (Jn 12,20-22). Nous avons une fois de plus le signe de son prestige particulier au sein du collège apostolique. Dans ce cas, il sert surtout d'intermédiaire entre la demande de plusieurs Grecs - il parlait probablement grec et put servir d'interprète - et Jésus; même s'il s'unit à André, l'autre Apôtre qui porte un nom grec, c'est, quoi qu'il en soit, à lui que ces étrangers s'adressent. Cela nous enseigne à être nous aussi toujours prêts à accueillir les demandes et les invocations, d'où qu'elles proviennent, ainsi qu'à les orienter vers le Seigneur, l'unique qui puisse les satisfaire pleinement. Il est en effet important de savoir que nous ne sommes pas les destinataires ultimes des prières de ceux qui nous approchent, mais que c'est le Seigneur: c'est à lui que nous devons adresser quiconque se trouve dans le besoin. Voilà: chacun de nous doit être une route ouverte vers lui!

Il y a ensuite une autre occasion, toute particulière, où Philippe entre en scène. Au cours de la Dernière Cène, Jésus ayant affirmé que Le connaître signifiait également connaître le Père (cf. Jn 14,7), Philippe, presque naïvement, lui demanda: "Seigneur, montre-nous le Père; cela nous suffit" (Jn 14,8). Jésus lui répondit avec un ton de reproche bienveillant: "Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe! Celui qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire: "Montre-nous le Père?". Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi?... Croyez ce que je vous dis: je suis dans le Père, et le Père est en moi" (Jn 14,9-11). Ces paroles se trouvent parmi les plus importantes de l'Evangile de Jean. Elles contiennent une véritable révélation. Au terme du prologue de son Evangile, Jean affirme: "Dieu, personne ne l'a jamais vu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui a conduit à le connaître" (Jn 1,18). Eh bien, cette déclaration, faite par l'évangéliste, est reprise et confirmée par Jésus lui-même. Mais avec une nouvelle nuance. En effet, alors que le prologue de Jean parle d'une intervention explicative de Jésus, à travers les paroles de son enseignement, dans la réponse à Philippe, Jésus fait référence à sa propre personne comme telle, laissant entendre qu'il est possible de le comprendre non seulement à travers ce qu'il dit, mais encore plus à travers ce qu'Il est simplement. Pour nous exprimer selon le paradoxe de l'Incarnation, nous pouvons bien dire que Dieu s'est donné un visage humain, celui de Jésus, et en conséquence à partir de maintenant, si nous voulons vraiment connaître le visage de Dieu, nous n'avons qu'à contempler le visage de Jésus! Dans son visage, nous voyons réellement qui est Dieu et comment est Dieu!

L'évangéliste ne nous dit pas si Philippe comprit pleinement la phrase de Jésus. Il est certain qu'il consacra entièrement sa vie à lui. Selon certains récits postérieurs (Actes de Philippe et d'autres), notre Apôtre aurait évangélisé tout d'abord la Grèce, puis la Phrygie où il aurait trouvé la mort, à Hiérapolis, selon un supplice décrit différemment comme une crucifixion ou une lapidation. Nous voulons conclure notre réflexion en rappelant le but auquel doit tendre notre vie: rencontrer Jésus comme Philippe le rencontra, en cherchant à voir en lui Dieu lui-même, le Père céleste. Si cet engagement venait à manquer, nous serions toujours renvoyés uniquement à nous-mêmes comme dans un miroir, et nous serions toujours plus seuls! Philippe, en revanche, nous enseigne à nous laisser conquérir par Jésus, à être avec lui, et à inviter également les autres à partager cette indispensable compagnie. Et, en voyant, en trouvant Dieu, trouver la vie véritable.

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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin. Puissiez-vous, à l’exemple de l’Apôtre Philippe, être toujours plus attentifs aux besoins de vos frères et leur faire rencontrer le Christ, qui est la source de toute joie !




Catéchèses Benoît XVI 9086