Discours 1983 - Jeudi, 13 octobre 1983


AUX PARTICIPANTS À LA XXXVe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L'ASSOCIATION MÉDICALE MONDIALE

Samedi, 29 octobre 1983



Messieurs, Mesdames,

1. À l’issue de la XXXVe Assemblée générale de l’Association Médicale Mondiale à Venise, vous vous êtes proposé de venir à Rome pour me rencontrer. Vous êtes cordialement accueillis dans cette Maison, d’autant plus qu’il y a une convergence particulière entre vos préoccupations et celles de l’Eglise. La médecine est une forme éminente, essentielle, du service de l’homme. Il faut d’abord aider l’homme à vivre et à surmonter les handicaps qui grèvent le fonctionnement normal de toutes ses fonctions organiques, dans leur unité psychophysique. L’homme est aussi au centre des préoccupations de l’Eglise, dont la mission est, avec la grâce du Christ, de sauver l’homme, de le restituer dans son intégrité spirituelle et morale, de l’amener à son développement intégral où le corps a sa part. C’est pourquoi le ministère de l’Eglise et le témoignage des chrétiens vont de pair avec leur sollicitude pour les malades.

Je forme donc avec vous les meilleurs voeux pour que progressent encore la science médicale et l’art de guérir. Déjà la lutte contre les maladies acquises, aiguës ou chroniques, est devenue très efficace. Celle qui est organisée contre les maladies héréditaires est appelée aussi à des progrès. Comment ne pas souhaiter que vous trouviez dans la société contemporaine - qui dépense tant pour le confort des bien portants - l’attention et l’aide suffisantes pour apporter aux malades d’aujourd’hui et de demain les soins qu’ils requièrent?

2. Le thème de votre réunion de Venise, “le médecin et les droits de l’homme”, était un motif supplémentaire pour susciter l’intérêt du Saint-Siège. Que de fois ai-je eu l’occasion de parler des droits fondamentaux et inaliénables de l’homme, jusque devant l’Assemblée des Nations Unies! (Cfr. Ioannis Pauli PP. II, Allocutio ad eos qui interfuerunt Coetui Nationum Unitarum, 13, die 2 oct. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II/2 [1979] 531-532). L’ensemble de ces droits correspond à la substance de la dignité de l’être humain. Le médecin est spécialement concerné par le respect de ces droits. Le droit de l’homme à la vie - depuis le moment de sa conception jusqu’à sa mort - est le droit premier et fondamental, comme la racine et la source de tous les autres droits. Dans le même sens, on parle du “droit à la santé”, c’est-à-dire aux conditions les meilleures pour une bonne santé. On pense aussi au respect de l’intégrité physique, du secret médical, de la liberté d’être soigné et de choisir son médecin partout où c’est possible.

Les droits auxquels on se réfère ne sont pas d’abord ceux qui sont reconnus par les législations changeantes de la société civile, mais ils se rattachent aux principes fondamentaux, à la loi morale qui se fonde sur l’être même et qui est immuable. Le domaine de la déontologie peut apparaître, surtout aujourd’hui, comme le plus vulnérable de la médecine; mais il est essentiel, et la morale médicale doit toujours être considérée par les praticiens comme la norme de leur exercice professionnel qui mérite le plus d’attention et surtout le plus d’efforts pour la protéger.

3. Il est évident que les progrès inouïs et rapides de la science médicale entraînent des reconsidérations fréquentes de sa déontologie. Vous êtes nécessairement affrontés à de nouvelles questions, passionnantes mais très délicates. Cela, l’Eglise le comprend, et elle accompagne volontiers votre réflexion, dans le respect de vos responsabilités.

Mais la recherche d’une position satisfaisante sur le plan éthique dépend fondamentalement de la conception que l’on se fait de la médecine. Il s’agit de savoir en définitive si la médecine est bien au service de la personne humaine, de sa dignité, dans ce qu’elle a d’unique et de transcendant, ou si le médecin se considère d’abord comme l’agent de la collectivité, au service des intérêts des bien portants, auxquels le soin des malades serait subordonné. Or la morale médicale s’est toujours définie, depuis Hippocrate, par le respect et la protection de la personne humaine. Ce qui est en jeu, c’est bien plus que la sauvegarde d’une déontologie traditionnelle; c’est le respect d’une conception de la médecine qui vaut pour l’homme de tous les temps, qui sauvegarde l’homme de demain, grâce au prix reconnu à la personne humaine, sujet de droits et de devoirs, et jamais objet utilisable à d’autres fins, fût-ce un soi-disant bien social.

4. Vous me permettrez d’aborder quelques points importants à mes yeux. Les convictions dont je témoigne devant vous sont celles de l’Eglise catholique, dont j’ai été constitué Pasteur universel. Pour nous, l’homme est un être créé à l’image de Dieu, racheté par le Christ et appelé à une destinée immortelle. Ces convictions rejoignent donc, je l’espère, les croyants qui reçoivent la Bible comme Parole de Dieu. Mais, parce qu’elles nous amènent au plus grand respect de l’être humain, je suis sûr qu’elles rejoignent tous les hommes de bonne volonté qui réfléchissent sur la condition de l’homme et qui veulent à tout prix le sauver de ce qui menace sa vie, sa dignité et sa liberté.

D’abord le respect de la vie.Il n’est pas d’hommes croyants ou non croyants qui puissent refuser de respecter la vie humaine, de se faire un devoir de la défendre, de la sauver, tout particulièrement quand elle n’a pas encore de voix pour proclamer ses droits. Puissent tous les médecins être fidèles au serment d’Hippocrate qu’ils prêtent lors de leur doctorat! Dans la même ligne, l’Assemblée générale de l’Association Médicale Mondiale avait adopté en 1948 à Genève la formule de serment qui précisait: “Je garderai le respect absolu de la vie humaine dès la conception, même sous la menace, je n’admettrai pas de faire usage de mes connaissances médicales contre les lois de l’humanité”. J’espère que cet engagement solennel continuera de toute façon d’être la ligne de conduite des médecins. Il y va de leur honneur. Il y va de la confiance qu’ils méritent. Il y va de leur conscience, quelles que soient les concessions que la loi civile se permet de faire en matière par exemple d’avortement ou d’euthanasie. Ce que l’on attend de vous, c’est que vous vous attaquiez au mal, à ce qui est contraire à la vie, mais sans sacrifier la vie elle-même qui est le plus grand bien et qui ne nous appartient pas. Dieu seul est le maître de la vie humaine et de son intégrité.

5. Un deuxième point que je souligne devant vous, c’est l’unité de l’être humain: il importe que l’on n’isole pas le problème technique posé par le traitement d’une affection déterminée de l’attention portée à la personne du malade dans toutes ses dimensions. Il est bon de le rappeler, alors que la science médicale tend à la spécialisation de chaque discipline. Le médecin d’hier était avant tout un généraliste. Son regard embrassait d’emblée l’ensemble des organes et des fonctions corporelles. Et même, à un autre plan, il connaissait plus facilement la famille du patient, son milieu, l’ensemble de son histoire. L’évolution est inéluctable, elle tient à la spécialisation des études, et à la complication de la vie en société. Du moins vous faut-il sans cesse faire effort pour considérer l’unité profonde de l’être humain, dans l’interaction évidente de toutes ses fonctions corporelles, mais aussi dans l’unité de ses dimensions corporelle, affective, intellectuelle et spirituelle. L’an dernier, le 3 octobre, j’invitais les médecins catholiques réunis à Rome à se maintenir constamment dans la perspective de la personne humaine et des exigences qui découlent de sa dignité.

La perspective d’ensemble dans laquelle il importe de toujours replacer le problème médical particulier pourrait aussi s’entendre, non seulement de chaque individu mais, en un sens analogique, de la société où la complémentarité permet de trouver une certaine solution à des problèmes sans issue au plan individuel. Il suffit de penser au handicap de la stérilité physique définitive, que certains foyers arrivent à compenser par l’adoption ou par le dévouement aux enfants des autres.

6. Le troisième point m’est suggéré par un thème très important abordé au cours de votre Assemblée générale à Venise: les droits de l’être humain devant certaines possibilités nouvelles de la médecine, en particulier en matière de “manipulation génétique” qui pose à la conscience morale de chaque homme une sérieuse interrogation. Comment concilier, en effet, une telle manipulation avec la conception qui reconnaît à l’homme une dignité innée et une autonomie intangible?

Une intervention strictement thérapeutique qui se fixe comme objectif la guérison de diverses maladies, comme celles qui tiennent à des déficiences chromosomiques, sera en principe, considérée comme souhaitable, pourvu qu’elle tende à la vraie promotion du bien-être personnel de l’homme, sans porter atteinte à son intégrité ou détériorer ses conditions de vie. Une telle intervention se situe en effet dans la logique de la tradition morale chrétienne, comme je le disais devant l’Académie pontificale des Sciences le 23 octobre 1982 (cf. Ioannis Pauli PP. II, Allocutio ad eos qui conventui de biologiae experimentis in Vaticana Civitate habita interfuere, 4-5, die 23 oct. 1982: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, V/3 [1982] 891-892).

Mais, ici, la question rebondit. En effet, il est d’un grand intérêt de savoir si une intervention sur le patrimoine génétique outrepassant les limites de la thérapeutique au sens strict doit être estimée, elle aussi, moralement acceptable. Pour que cela se vérifie, il faut que soient respectées plusieurs conditions et que certaines prémisses soient acceptées. Permettez-moi d’en rappeler quelques-unes.

La nature biologique de chaque homme est intangible en ce sens qu’elle est constitutive de l’identité personnelle de l’individu dans tout le cours de son histoire. Chaque personne humaine, dans sa singularité absolument unique, n’est pas constituée seulement par son esprit, mais par son corps. Ainsi, dans le corps et par le corps, on touche la personne elle-même dans sa réalité concrète. Respecter la dignité de l’homme revient par conséquent à sauvegarder cette identité de l’homme “corpore et anima unus”, comme dit le Concile Vatican II (Gaudium et Spes GS 14, § 1). C’est sur la base de cette vision anthropologique que l’on doit trouver des critères fondamentaux pour les décisions à prendre s’il s’agit d’interventions non strictement thérapeutiques, par exemple d’interventions visant à l’amélioration de la condition biologique humaine.

En particulier, ce genre d’intervention ne doit pas porter atteinte à l’origine de la vie humaine, à savoir la procréation liée à l’union non seulement biologique mais aussi spirituelle des parents, unis par le lien du mariage; elle doit par conséquent respecter la dignité fondamentale des hommes et la nature biologique commune qui est à la base de la liberté, en évitant des manipulations tendant à modifier le patrimoine génétique et à créer des groupes d’hommes différents, au risque de provoquer dans la société de nouvelles marginalisations.

Par ailleurs, les attitudes fondamentales qui inspirent les interventions dont nous parlons ne doivent pas découler d’une mentalité raciale et matérialiste, visant à un bien-être humain en réalité réducteur. La dignité de l’homme transcende sa condition biologique.

La manipulation génétique devient arbitraire et injuste quand elle réduit la vie à un objet, quand elle oublie qu’elle a affaire à un sujet humain, capable d’intelligence et de liberté, respectable quelles que soient ses limites; ou quand elle le traite en fonction de critères non fondés sur la réalité intégrale de la personne humaine, au risque de porter atteinte à sa dignité. Dans ce cas, elle expose l’homme au caprice d’autrui, en le privant de son autonomie.

Le progrès scientifique et technique, quel qu’il soit, doit donc garder le plus grand respect des valeurs morales qui constituent une sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Et parce que, dans l’ordre des valeurs médicales, la vie est le bien suprême et le plus radical de l’homme, il faut un principe fondamental: d’abord empêcher tout dommage, ensuite rechercher et poursuivre le bien.

A vrai dire, l’expression “manipulation génétique” reste ambiguë et doit faire l’objet d’un véritable discernement moral, car elle recouvre d’une part des essais aventureux tendant à promouvoir je ne sais quel surhomme et, d’autre part, des salutaires visant à la correction des anomalies, telles que certaines maladies héréditaires, sans parler des applications bénéfiques dans les domaines de la biologie animale et végétale utiles à la production alimentaire. Pour ces derniers cas, certaines commencent à parler de “chirurgie génétique”, comme pour mieux montrer que le médecin intervient non pour modifier la nature mais pour l’aider à s’épanouir dans sa ligne, celle de la création, celle voulue par Dieu. En travaillant dans ce domaine, évidemment délicat, le chercheur adhère au dessein de Dieu. Dieu a voulu que l’homme soit le roi de la création. A vous, chirurgiens, spécialistes de travaux de laboratoires et médecins généralistes, Dieu fait l’honneur de coopérer par toutes les forces de votre intelligence à l’oeuvre de la création commencée au premier jour du monde. On ne peut que rendre hommage à l’immense progrès accompli dans ce sens par la médecine du XIXe et du XXe siècles. Mais, comme vous le voyez, il est plus que jamais nécessaire de surmonter la séparation entre la science et l’éthique, de retrouver leur unité profonde. C’est de l’homme que vous traitez, de l’homme dont précisément l’éthique sauvegarde la dignité.

En vous remerciant de votre visite et de votre confiance, et conscient des graves responsabilités qui pèsent sur vous, je forme les meilleurs voeux pour votre action et votre témoignage au sein de l’Association Médicale Mondiale et au milieu de tous vos confrères médecins, et j’invoque les Bénédictions de Dieu, l’Auteur de la vie, sur chacun de vous, sur votre labeur, sur vos foyers et vos amis.


Novembre 1983

À L’OCCASION DU VII CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA FAMILLE

Lundi, 7 novembre 1983




Mesdames,
Messieurs,

1. À l’occasion de ce congrès international de la famille - le septième que vous organisez -, je suis heureux de vous recevoir et de vous encourager à poursuivre votre étude et votre action visant à promouvoir la famille. Comme chrétiens, citoyens et chefs de famille, venus de professions et de milieux divers, vous mettez ainsi en commun vos expériences, vos préoccupations, vos projets et - j’en suis convaincu aussi - vos certitudes.

Le thème abordé durant le présent congrès - Famille et société - vient continuer et compléter un ensemble de réflexions que vous avez déjà entreprises sur d’autres aspects, et il est lui-même fort vaste. Je vous laisse le soin de l’approfondir et d’en tirer des orientations précises pour l’action. Vous désirez, comme vous dites, améliorer votre engagement social et être ainsi en mesure d’aider un plus grand nombre de familles à éduquer leurs enfants, en commençant par chercher une amélioration personnelle, une connaissance plus objective de vos propres enfants et en prenant conscience de la nécessité de vous préoccuper aussi des enfants des autres.

2. Dans un tel domaine, la première chose est d’être bien convaincu de la place originale et fondamentale de la famille, dans la société comme dans l’Eglise. Il vous faut réécouter ensemble les paroles de l’Evangile, l’enseignement de l’Eglise, qui révèlent l’identité de la famille, ses ressources intérieures, l’importance de sa mission dans la cité des hommes et dans celle de Dieu (Ioannis Pauli PP. II Familiaris Consortio FC 86). Mais je n’ai pas besoin de reprendre avec vous les principaux passages de mon exhortation apostolique sur les tâches de la famille chrétienne: vous les avez lus et médités. Vous êtes persuadés que “l’avenir de l’humanité passe par la famille”, qu’il faut lui permettre de jouer le rôle qui lui revient. Mais il ne suffit pas d’exalter la famille et de brandir ses droits: il faut regarder concrètement comment peuvent s’articuler les tâches de la famille et celles de la société. Notre brève rencontre me permet seulement d’évoquer ces problèmes. Je dirai simplement que, d’une part, la famille a une mission propre, au service de ses membres, elle a des droits et elle a donc besoin de l’aide de la société pour les exercer. Et d’autre part, elle a des devoirs envers la société, pour apporter sa collaboration au service de l’ensemble.

3. Oui, dans un sens, la société est au service de la famille qu’elle doit respecter et promouvoir, comme une “société jouissant d’un droit propre et primordial”, sans se substituer à elle, sans empiéter sur ses responsabilités ni sur les initiatives des associations familiales. En ce domaine, plus encore qu’en d’autres, c’est la subsidiarité qui doit jouer.

Ainsi, pour ne citer que quelques exemples significatifs, ceux qui veulent fonder une famille ont le droit d’attendre de la société d’être placés dans des conditions morales, éducatives, sociales et économiques favorables. En particulier la valeur institutionnelle du mariage doit être soutenue par les pouvoirs publics.

La famille a droit à l’aide de la société pour la charge et la responsabilité que représentent la mise au monde et l’éducation des enfants, et en particulier les familles nombreuses ont droit à une aide appropriée.

Les orphelins et les enfants privés de l’assistance de leurs parents ou tuteurs doivent jouir d’une protection particulière de la part de la société; dans ce cas l’Etat doit faciliter, par sa législation, l’accueil de ces enfants par des familles aptes à le faire.

Pour ce qui est de l’éducation, les parents - qui demeurent les premiers et principaux éducateurs de leurs enfants - ont le droit de les éduquer conformément à leurs convictions morales et religieuses, et donc de choisir librement les écoles ou autres moyens nécessaires à ce but.

Ils doivent recevoir de la société l’aide et l’assistance nécessaires, au moyen d’une juste répartition des subsides publics. L’éducation religieuse et morale, l’éducation sexuelle, doivent être toujours menées sous leur conduite attentive.

4. D’autre part, les familles ont le droit et le devoir d’exercer leur fonction sociale dans la construction de la société; c’est un service qui doit contribuer à la qualité des rapports sociaux, au climat éthique dont dépendent les moeurs de l’ensemble.

Déjà, par elle-même, la famille qui remplit bien sa mission à l’égard de ses membres est une école d’humanité, de fraternité, d’amour, de communion, qui prépare des citoyens capables d’exercer ce que j’appelle l’amour social, avec ce qu’il comporte nécessairement d’ouverture, d’esprit de coopération, de justice, de solidarité, de paix et aussi de courage de ses convictions.

Et puis il y a toute la collaboration entre parents et éducateurs, dans le cadre de l’école ou des organisations de loisirs, où les familles chrétiennes peuvent apporter une participation fructueuse.

Je pense encore à l’élaboration des politiques familiales, à tout ce qui va concerner le statut juridique et social des familles en général et l’entraide à apporter à celles qui sont défavorisés au plan matériel ou moral. Les familles et surtout les associations familiales ont là une contribution importante à apporter, dont vous êtes certainement très conscients.

Comment oublier par ailleurs l’influence que revêt de plus en plus l’usage des moyens de communication sociale - presse, prospectus, radio, télévision, cinéma - pour présenter, d’une façon qui favorise la dignité des moeurs, l’amour conjugal, sa préparation, l’institution du mariage, toutes les valeurs familiales? Il y a là, non seulement un rôle de vigilance sur ce qui, hélas, risque d’accentuer la crise de la famille, mais une contribution positive à apporter: les familles qui essaient de vivre l’idéal du mariage à la lumière de la foi chrétienne ont à en témoigner clairement dans les médias et même à agir pour que des articles ou des séquences en tiennent compte.

En définitive, il vous faut examiner lucidement les situations qui se présentent dans le contexte de la culture d’aujourd’hui, avec ce qu’elles ont de déficient ou de périlleux, et aussi les chances ou les pierres d’attente. Ainsi vous serez en mesure d’entrer dans un dialogue vrai avec ceux qui contribuent à modeler les moeurs, d’exercer votre part de responsabilité, de proposer des remèdes adéquats, réalistes et efficaces, et surtout de témoigner sans cesse d’une vision chrétienne de la famille que notre société a grand besoin de connaître et d’apprécier. L’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi parlait d’évangéliser les cultures; la famille est plus que jamais une réalité à évangéliser.

Voilà une oeuvre merveilleuse à poursuivre dans l’intérêt de la famille et de la société tout entière, dans l’intérêt de l’Eglise qui compte sur les familles à tant de titres. Ce service, pour être efficace, suppose une ouverture et une recherche de coopération avec ceux qui s’en préoccupent dans les différents mouvements et associations d’Eglise et dans la société.

Je suis heureux d’avoir eu l’occasion de vous encourager sur ce point. En priant l’Esprit Saint de vous donner sa lumière et sa force, je vous bénis de grand coeur ainsi que vos familles.



À UN GROUPE DES PARLEMENTAIRES EUROPÉENNES

Jeudi, 10 novembre 1983




Mesdames, Messieurs,

1. À l’occasion de votre réunion de travail à Rome, vous avez manifesté le désir de cette rencontre avec le Pape. J’en suis très touché, d’autant plus que cette audience s’insère dans une démarche religieuse, par laquelle vous avez voulu célébrer vous aussi le jubilé de la Rédemption, comme les pèlerins chrétiens ont à coeur de le faire en cette Année Sainte, à Rome ou dans leurs Eglises locales.

Vous avez en commun une triple caractéristique: vous assumez de hautes responsabilités politiques au sein du Parlement européen, ou de vos Parlements respectifs; vous êtes attachés aux voies démocratiques de gouvernement, dans le cadre notamment de l’Union mondiale - ou de l’Union européenne - démocrate chrétienne; enfin vous avez de semblables convictions chrétiennes qui vous permettent d’exprimer ensemble votre foi, votre prière et votre engagement chrétien.

2. Vous comprendrez que je m’arrête d’abord sur ce dernier aspect: votre démarche d’Année sainte.Vous venez au-devant du Dieu saint et miséricordieux qui redit à tous les hommes, à chaque génération, et spécialement en cette Année jubilaire: “Convertissez-vous et croyez à l’Evangile”.

Au regard de cet appel à la Sainteté - qui est le déploiement du baptême -, l’homme se trouve révélé à lui-même. Chacun ressent normalement le poids de ses péchés, de tout ce qui, dans le secret de sa vie personnelle, familiale, a été ou demeure un obstacle à la relation confiante avec Dieu, à la prière, à la charité, à la justice, à la pureté, à la vérité auxquelles sont appelés les disciples du Christ. Dans un esprit humble et repentant, nous venons déposer ce fardeau pour repartir à neuf, avec l’Esprit Saint qui purifié, libère, élève.

Une telle révision de vie embrasse pour vous, de façon particulière, vos responsabilités sociales, puisque la charge à laquelle vous a appelés la confiance de vos concitoyens vous fait un devoir de rechercher le bien commun de tous, de surmonter à ce sujet les divisions stériles entre vous, d’éviter la démagogie et la partialité à l’égard de tel ou tel groupe de vos électeurs.

Enfin, vous vous sentez solidaires des divers maux dont souffre notre société: discriminations, violence, terrorisme, agressions guerrières, accumulation dangereuse des armements, violation des droits humains, fondamentaux, mépris de la vie des innocents, disparités criantes entre riches et pauvres. Comme les évêques l’ont exprimé récemment dans leur message à la fin du Synode, ce sont des maux qui ne peuvent nous laisser indifférents; s’ils prennent une vaste dimension sociale et s’incarnent dans les structures, ils viennent en fait du coeur pécheur des hommes, de leur avarice, de leur injustice, de leur haine. Ils manifestent le besoin d’une grâce divine de conversion et de réconciliation, pour le monde comme pour l’Eglise: nous l’implorons de Dieu en venant nous-mêmes nous réconcilier avec Lui, et nous nous engageons à la mettre en oeuvre, autant qu’il dépend de nous, dans les secteurs de nos responsabilités.

3. Nous, croyants, nous nous unissons à tous les hommes de bonne volonté autour des idéaux qui honorent leur conscience, car “le dessein du Père pour notre société est que nous vivions en constituant une seule famille, dans la justice, la vérité, la liberté et l’amour”, comme le rappelaient les Pères du Synode. Mais nous sommes convaincus que le changement et le progrès souhaités sont en définitive les fruits de la mort et de la résurrection du Christ, le Rédempteur de l’homme, qui a détruit la puissance du péché sur la croix, par l’offrande de sa vie dans un surcroît d’amour, et a obtenu la paix avec Dieu et entre les hommes (Cfr. Ep 2,13-18). Dieu est plus grand que notre défaillance et la croix signifie que l’amour est plus fort que la haine et la rancune, qu’il faut engager sa vie pour son frère. Oui, “dans la croix réside notre espoir d’un renouveau chrétien de l’Europe”, comme je le disais à Vienne le 10 septembre dernier. Nous avons la mission de “créer une civilisation de l’amour en guérissant, en réconciliant, en rassemblant dans l’harmonie un monde divisé et brisé... Le monde entier doit devenir de plus en plus une communauté réconciliée de peuples” (Synodus Episcoporum Nuntius Patrum Synodalium ad Populum Dei, dei 29 oct. 1983: vide supra, p. 914).

4. Après ces considérations sur le sens du Jubilé que vous accomplissez, j’envisage avec vous quelques points de votre vie de parlementaires chrétiens que vous êtes appelés à approfondir ou à renouveler. Et ce que je vais dire vaut aussi pour tous ceux qui se rattachent à la foi ou à l’idéal chrétiens et qui sont engagés dans la vie politique européenne, en différents partis. Tout d’abord, pour entretenir vos convictions et pour témoigner, n’est-il pas bon que vous ayez entre vous des moments de ressourcement? Je pense avant tout à la prière, et je suis heureux de savoir que des chrétiens membres du Parlement européen n’hésitent pas à prier ensemble avant les séances plénières. La participation à certaines célébrations communes, et à certaines messes, sera aussi d’une grande aide pour les parlementaires chrétiens. Et, d’une façon plus générale, je suis sûr que les graves débats qui engagent vos consciences pourraient aussi faire l’objet de réflexions en commun à la lumière de l’Evangile, pour vous permettre d’envisager vos propres décisions et les orientations de votre groupe politique selon des critères chrétiens qui, sans commander des choix techniques, donnent un esprit et des principes moraux dont on ne devrait jamais faire fi.

5. Evoquons un peu ces principes dont vous êtes sûrement convaincus, mais qui sont parfois difficiles à concilier avec les pressions qui s’exercent sur tout homme politique.

Il s’agit d’abord de servir le bien commun de tous ceux qui sont concernés par votre institution européenne, dans les différents milieux sociaux de chacun de vos pays, dans les divers secteurs de la vie économique, de façon à assurer le plus possible de justice et d’harmonie dans la croissance économique, tout en tenant compte de la subsidiarité. Je sais que cet équilibre entre des intérêts apparemment opposés, et cette impartialité, quelle que soit l’insistance de ceux qui vous ont élus ou pourraient vous réélire, sont choses difficiles. Plus difficile encore peut-être s’avère le souci de faire droit aux aspirations légitimes des différents pays, dans le cadre du Parlement européen, car vous y siégez pour établir une politique commune, et non pas seulement celle de votre pays.

Par ailleurs, il y a un bien commun de la communauté internationale que les pays d’Europe doivent aussi rechercher, avec courage, sens de l’équité et désintéressement, qu’il s’agisse de la paix au Moyen-Orient et en Amérique centrale, de l’apaisement des tensions et de la “désescalade” réaliste entre l’Est et l’Ouest, de la solidarité entre le Nord et le Sud dans le drame de la faim et les inégalités des échanges, de la violation flagrante des règles d’humanité, de la liberté et des droits de l’homme. Sur tous ces points, pour ne citer que quelques exemples, sans prendre la place des autorités locales légitimes, l’Europe que vous représentez devrait puiser dans son patrimoine chrétien et humanitaire la force d’apporter un témoignage qui aide les peuples en difficulté et trouver avec eux des moyens efficaces de contribuer à la paix, à la justice, à l’espérance.

Le bien commun des peuples n’embrasse pas seulement les conditions économiques et les équilibres de paix, mais “l’ensemble des conditions de vie en société qui permettent à l’homme d’atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus aidée; il concerne l’homme tout entier, avec ses besoins tant spirituels que matériels” (Cfr. Ioannis XXIII Mater et Magistra et Pacem in Terris ). Et d’ailleurs le Parlement européen ne cesse de préparer des dispositions juridiques ou des résolutions qui touchent les libertés de la personne, le respect de la vie, les moeurs familiales, l’institution du mariage, l’éducation valable des jeunes, dans le respect des droits des parents, les situations sociales de détresse, etc. C’est une grande responsabilité pour un parlementaire, pour un parlementaire chrétien, de favoriser dans ses discussions et ses votes les valeurs humaines et chrétiennes, comme la dignité de la personne, l’amour authentique, le libre épanouissement dans la solidarité avec les autres hommes, la promotion de la conscience, l’ouverture aux réalités spirituelles!

En tant que chrétiens, vous êtes appelés à témoigner et à agir dans un sens cohérent avec la foi, et, j’ose dire, avec les “racines profondément chrétiennes des valeurs humaines et culturelles qui ont marqué de manière si décisive le passé de l’Europe et qui sont en mesure de garantir son avenir”, comme je le disais à Vienne.

6. Le sens de l’authentique démocratie auquel vous êtes attachés fait partie de ce patrimoine. Vous avez raison de promouvoir les voies de la démocratie, d’être soucieux d’une participation correcte des citoyens à la vie de la communauté politique, tout en maintenant la nécessité d’une autorité publique suffisamment forte (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Redemptor Hominis RH 16). Certaines pratiques démocratiques qui ne tenaient peut-être pas assez compte de ce dernier point, qui manquaient de réalisme ou qui s’enlisaient dans les luttes stériles de partis et la recherche d’intérêts particuliers, ont malheureusement préparé parfois le terrain à des formes de dictature. La leçon doit être retenue. Mais il reste que la démocratie bien comprise correspond au droit légitime du libre choix du système politique et garde les meilleures chances d’assurer, grâce aux corrections apportées par les uns et les autres, une voie de sagesse et des conditions de justice pour tous. Aujourd’hui, cet idéal peut apparaître parfois comme une faiblesse, un échec, face à la montée de la violence et à l’escalade des solutions de force. Certes, presque tous les pays mettent en avant la justice, les droits de l’homme, la volonté de paix et de solutions négociées. Mais en réalité, beaucoup empruntent des chemins de violence plus ou moins camouflée. Oui, la vraie démocratie est difficile; elle doit être défendue coûte que coûte, elle demande un engagement résolu, un sens accru des responsabilités. Aussi, je vous félicite d’en faire votre méthode et votre idéal, et de prôner toujours les voies du véritable dialogue, telles que je les évoquais dans mon message pour le premier jour de cette année.

En définitive, aucun parti n’est à l’abri de déformations, de décadence, de corruption; il faut veiller, et renouveler l’action selon les principes dont nous venons de parler. Les solutions concrètes, au plan politique, ne se déduisent d’ailleurs pas directement de la foi. Mais votre ferme volonté d’agir, chacun et en groupe, selon votre conscience chrétienne, et votre humble démarche d’Année Sainte méritent mes plus vifs encouragements. Je le disais au premier jour de mon pontificat: “A la puissance salvatrice (du Christ), ouvrez les frontières des Etats, les systèmes économiques et politiques...”.

Et dans mon encyclique Redemptor Hominis: “On n’avancera... dans la voie des indispensables transformations des structures... que moyennant une véritable conversion de l’esprit de la volonté et du coeur. La tâche requiert l’engagement résolu d’hommes et de peuples libres et solidaires... (et), à la base de cet effort gigantesque, le sens de la responsabilité morale que l’homme doit assumer” (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Redemptor Hominis RH 16).

Je vous remercie de votre visite et de votre confiance. Je prie Dieu de vous donner sa force et sa lumière, pour apporter à vos frères et soeurs d’Europe le service qualifié dont vous êtes capables. Et je vous bénis de grand coeur.




Discours 1983 - Jeudi, 13 octobre 1983