III Pars (Drioux 1852)



LA SOMME THEOLOGIQUE


de


SAINT THOMAS.


TROISIÈME PARTIE.


PLAN DE LA TROISIÈME PARTIE.

Dans la première partie de la Somme, saint Thomas traite de Dieu et de ses oeuvres, et dans la seconde il s'est occupé des choses que l'homme doit faire pour arriver à Dieu. Il restait à traiter du moyen par lequel nous pouvons remplir notre destinée, c'est-à-dire, qu'après avoir parlé de Dieu et de l'homme, il fallait étudier le Christ qui est médiateur entre Dieu et les hommes. C'est l'objet de cette troisième et dernière partie.

Elle se subdivise en trois grandes considérations. La première a pour objet le Christ lui-même, et comprend ce que l'on entend ordinairement par le Traité de l'incarnation. La seconde embrasse les sacrements, qui sont les moyens immédiats par lesquels nous faisons notre salut. Enfin, la troisième devait s'occuper de la vie éternelle à laquelle nous parvenons par la résurrection.

I. De l'incarnation. — Le Traité de l'incarnation est divisé en trois parties. Saint Thomas examine : l'union du Verbe avec la nature humaine; 2° les conséquences de cette union ; 3° les actes de l'Homme-Dieu :


La première question qu'il examine, c'est la convenance de l'incarnation. Après avoir prouvé qu'il était convenable que Dieu s'incarnât et qu'il le fit à l'époque où il l'a fait, il recherche de quelle manière le Verbe s'est uni à la nature humaine.

Contre les divers hérétiques il établit que cette union ne s'est pas faite dans la nature, mais qu'elle s'est faite dans la personne ou l'hypostase, que l'âme a été véritablement unie au corps et que cette union a été, de la part de la personne divine, la plus étroite.

C'est à la personne divine qu'il a convenu directement et immédiatement de prendre la nature humaine, au lieu que la nature divine ne l'a prise que secondairement.

Toute personne divine eût pu prendre la nature humaine parce qu'elles ont toutes les trois la même puissance, et il n'est pas impossible à deux ou trois personnes de prendre une seule nature numériquement, mais il leur est impossible de ne prendre qu'une même hypostase ou qu'une même personne humaine. Une personne divine pourrait même prendre deux natures humaines, mais il a été plus convenable que des trois personnes divines ce fût le Verbe qui prît la nature humaine.

De toutes les natures créées il n'y avait que la nature humaine qui pût être épousée par le verbe de Dieu. On ne doit pas dire que le Christ a pris l'homme, ni que le Fils de Dieu a pris la personne humaine ; on ne doit pas non plus supposer qu'il a pris la nature humaine abstraite en dehors de tous les individus, ni la nature humaine qui existe dans tous les hommes, mais il faut reconnaître qu'il a pris une nature comme la n  être , qui lui est propre, et il l'a prise d'Adam pour satisfaire pleinement au péché et pour montrer la noblesse de l'homme et la puissance de Dieu.

Le corps qu'il a pris est véritablement un corps terrestre comme le n  être , et il a pris une âme véritable, douée d'intelligence et de raison, comme l'âme humaine. Il a pris le corps par l'intermédiaire de l’âme, et l'âme par l'intermédiaire de la raison et de l'intelligence. Il les a pris simultanément, puisque l'âme du Christ n'a jamais eu de subsistance propre sans le Verbe.

Le Christ a eu la grâce habituelle, puisque son âme a été unie au Verbe et que par le Verbe elle reflue sur les autres hommes. Il a eu toutes les vertus compatibles avec la perfection, mais il n'a eu ni la foi, ni l'espérance, parce qu'elles supposent quelque chose d'imparfait. Il a possédé les dons de l'Esprit- Saint de la manière la plus excellente. Il a eu toutes les grâces gratuitement données, comme ayant été le premier et le principal docteur de la foi. Il a été prophète, et il a possédé, en un mot, la plénitude de toutes les grâces.

Comme chef de l'Eglise, il a eu toute la plénitude de perfection et de grâce nécessaire pour agir sur tous les hommes. Il est aussi avec raison appelé le chef des anges, puisqu'ils doivent jouir comme nous de la gloire divine. Le titre de chef de l'Eglise lui est propre quant à son influence intérieure, mais quant au gouvernement extérieur il lui est commun avec d'autres.

Indépendamment de la science divine le Christ en raison de sa nature humaine a eu une science humaine. La science des bienheureux, qui consiste dans la vision de Dieu, lui convenait de la manière la plus excellente. Il a eu aussi la science infuse et la science acquise.

Par sa science bienheureuse l'âme du Christ n'a pas compris le Verbe ou l'essence divine incréée et infinie ; mais elle a vu l'essence divine plus clairement et plus parfaitement que les autres créatures, et elle a connu dans le Verbe tout ce qui existe, tout ce qui a existé et tout ce qui existera de quelque manière, et tout ce qui est au pouvoir de la créature. Cependant elle n'a pas connu en lui toutes les choses qui sont au pouvoir de Dieu, car c'eût été comprendre la vertu et l'essence divine.

Par sa science infuse il a nécessairement connu toutes choses, à l'exception de l'essence divine. Il a pu comprendre par cette science sans avoir recours aux images sensibles. Elle n'a pas été discursive quant à son acquisition, elle ne l'a été que quant à son usage. Elle était habituelle et il pouvait s'en servir quand il le voulait. Elle s'est divisée en plusieurs habitudes différentes, selon les divers genres de choses qu'elle devait connaître.

Par sa science acquise il a perçu toutes les choses auxquelles s'étend la vertu de l'intellect agent. On dit qu'il croissait en sagesse, en âge et en grâce, parce qu'à mesure qu'il grandissait il faisait des oeuvres qui montraient une science et une grâce plus éclatante. Il n'a point été instruit par les hommes, et il n'a rien appris des anges.

Son âme étant une partie de la nature humaine n'a pu être douée de la toute-puissance. Elle a pu gouverner son propre corps, régir ses actes humains, selon sa nature et sa vertu propre, mais elle n'a pu agir sur les créatures contrairement aux lois ordinaires de la nature ou en dehors d’elles, que comme un instrument de la Divinité.

Son corps a été soumis aux infirmités et aux défauts qui affligent le

n  être . Il n'a pas mérité ces peines par le péché, mais il les a reçues de sa volonté propre. Il n'a pris d'aucune manière la tâche du péché originel, ou du péché actuel. Le foyer de la concupiscence n'a point existé en lui ; il n'a point connu l'ignorance, et il n'a point eu ces passions brutales qui existent dans les autres hommes. En lui elles suivaient le jugement de la raison et ne l'entraînaient jamais. Il a ressenti véritablement le bonheur, mais il a éprouvé une certaine tristesse. Sa crainte n'a pas été celle que l'on conçoit dans l'incertitude où l'on est d'un événement futur. Comme il n'y avait rien de nouveau pour sa science divine et infuse, il n'a pu être dans l'admiration que par rapport à sa science expérimentale. Sa colère ne fut point cette passion vicieuse qui est contraire à la raison, mais ce sentiment vif qu'inspire le zèle qu'on a pour la gloire de Dieu.

ii. Saint Thomas, après avoir considéré dans toutes ses parties la nature humaine quel Verbe a épousée, recherche ensuite les conséquences de cette union. Il les envisage sous trois aspects : 4° en ce qui convient au Christ en lui-même ; 2° en ce qui lui convient par rapport à Dieu son Père ; 3° en ce qui lui convient par rapport à nous.

\0 A l'égard de ce qui convient au Christ en lui-même, il s'occupe de la communication des idiomes et il considère si ces différentes propositions sont vraies : Dieu est homme, l'homme est Dieu, le Fils de Dieu s'est fait homme,, l'homme a été fait Dieu, le Christ est une créature ; cet homme, en parlant du Christ, a commencé à exister, ou il a existé toujours ; le Christ comme homme est une créature ; le Christ comme homme est Dieu; le Christ comme homme est une hypostase ou une personne.

Il examine ensuite ce qui se rapporte à l'unité du Christ, et il prouve qu'il n'y a en lui qu'un seul suppôt, qu'une seule personne, mais qu'il y a cependant deux volontés : la volonté divine et la volonté humaine. Dans la volonté humaine il distingue encore la volonté rationnelle et la volonté sensible. Par sa volonté sensible et naturelle, le Christ pouvait vouloir autre chose que Dieu, mais par sa volonté de raison il a toujours voulu ce que Dieu voulait. Mais comme la volonté sensible et naturelle était mue d'après le bon plaisir de la volonté divine et raisonnable, il est évident qu'il n'y a pas eu d'opposition ni de contrariété entre ses volontés.

Comme on reconnaît dans le Christ deux natures, il faut aussi reconnaître deux opérations, parce que chaque nature opère par la forme et la vertu qui lui est propre. Mais son opération humaine est en lui plus une que dans tout autre homme, parce qu'il n'y avait pas de mouvement dans la partie sensitive qui ne fût réglé par la raison.

Il a mérité par ses actions la gloire et toutes les autres choses dont il convenait qu'il fût privé pendant un temps ; et comme la grâce était en lui, non- seulement comme individu, mais encore comme chef de toute l'Eglise, il n'a pas seulement mérité pour lui, mais il a encore mérité pour les autres.


2P En considérant le Christ par rapport à Dieu son Père, saint Thomas examine successivement sa soumission, sa prière, son sacerdoce, son adoption et sa prédestination.

Il a été soumis à son Père par bonté et par obéissance. Il a été soumis à lui-même par rapport à la nature humaine.

La volonté humaine n'étant pas efficace par elle-même, mais ayant besoin du secours de la vertu divine, il a été convenable que le Christ, comme homme, prie Dieu pour accomplir sa volonté. Il a prié pour lui-même pour nous donner l'exemple de la prière et montrer que son Père est l'auteur de tout bien. Sa volonté absolue ayant toujours été conforme à celle de Dieu, sa prière a toujours été exaucée par le Père.

Le Christ ayant été médiateur entre Dieu et les hommes, il lui convenait éminemment d'être prêtre. Parce qu'il a effacé les péchés des hommes, et qu'il leur a donné la grâce et la perfection de la gloire, non-seulement il a été prêtre, mais il a été un sacrifice et une hostie parfaite pour le péché, une victime pacifique et un holocauste.

Son sacerdoce a eu pour effet d'expier pleinement le péché. Il a été éternel non quant à l'oblation du sacrifice, mais quant à sa consommation qui consiste dans les biens qui ne doivent pas finir. On dit que son sacerdoce est selon l'ordre de Melchisédech, à cause de la supériorité de ce sacerdoce véritable sur le sacerdoce figuratif de la loi.

Dieu a adopté tous les hommes pour ses enfants, mais cette qualification ne convient qu'à ceux qui ont la charité. Le Christ n'a pas été comme homme le fils adoptif de Dieu, mais il est son fils naturel, parce que la filiation n'appartient pas à la nature, mais à la personne qui est unique et incréée dans le Christ.

Le Christ a été prédestiné ; car, quoique l'union des natures se soit faite dans le temps dans la personne du Christ, néanmoins elle a été pré ordonnée de toute éternité. Sa prédestination a été le type de la notre, non quant à l'acte de celui qui prédestine, mais quant au terme de la prédestination.


3° En considérant les conséquences de l'incarnation par rapport à nous, la première c'est que nous devons adorer le Christ, et la seconde c'est qu'il est notre médiateur entre Dieu et les hommes.

A cause de l'unité de personne on doit adorer d'une seule et même adoration la divinité et l'humanité dans le Christ. Si cependant on considère son humanité comme étant parfaitement remplie de tous les dons de la grâce, on ne doit pas l'adorer du culte de latrie, mais du culte de dulie.

D'après saint Thomas, puisqu'on adore le Christ du culte de latrie, on doit de la même manière adorer son image. La vraie croix sur laquelle le Christ est mort doit être adorée du culte de latrie, soit parce qu'elle le représente, soit parce que les membres du Sauveur l'ont touchée ; au lieu qu'une croix faite d'une matière quelconque ne doit être adorée que pour la première raison.

On doit adorer la sainte Vierge non pas du culte de latrie, puisqu'elle est une créature raisonnable, mais du culte d'hyperdulie, comme étant la mère de Dieu. Puisque nous vénérons les saints nous devons aussi vénérer leur corps et leurs reliques.

Il convenait que le Christ fût notre médiateur d'une manière absolue et parfaite, mais cela n'empêche pas que beaucoup d'autres ne le soient sous un rapport, par exemple, par manière de disposition ou comme ministres de Dieu.

m. Après avoir ainsi parlé de l'union de Dieu et de l'homme et des conséquences qui résultent de cette union, il restait à considérer les actes que le Fils de Dieu a opérés dans la nature humaine qu'il a prise et ce qu'il a souffert.

Saint Thomas considère ce qui regarde: 1° son entrée dans le monde; 2° le développement de sa vie parmi les hommes; 3° sa sortie de ce monde; 4° son exaltation après cette vie.


4° Son entrée dans le monde comprend sa conception, sa naissance, sa circoncision et son baptême.

Sa conception peut être considérée par rapport à sa mère qui l'a conçu, à la manière dont il a été conçu et à la perfection avec laquelle il a été formé.

On attribue à l'Esprit-Saint, qui est l'amour du Père et du Fils, la formation de son corps, parce que l'incarnation est l'effet du plus grand amour de Dieu. La bienheureuse Vierge a fourni la matière dont il a été formé, et elle a reçu de l'Esprit-Saint la grâce d'être sa mère.

Aussitôt que le corps a été conçu, le Fils de Dieu l'a pris immédiatement. H a été dès le premier instant de sa conception animé par une âme raisonnable, puisque le Verbe n'a pris le corps que par l'intermédiaire de l'âme. Quoique du côté de la matière la conception du Christ ait été naturelle, elle a été miraculeuse et absolument surnaturelle de la part de Dieu qui l'a opérée.

Dès le premier instant de sa conception, le corps du Christ a été nécessairement rempli de toutes les grâces. Il a eu aussi le libre arbitre, il a mérité, et il a vu Dieu dans son essence plus clairement que tous les autres êtres.

Comme il y a en lui deux natures, on doit lui attribuer deux naissances: l'une éternelle par laquelle il procède éternellement du Père, l'autre temporelle par laquelle il est né dans le temps de la bienheureuse Vierge. Puisqu'il a pris son corps dans le sein de la Vierge, elle est véritablement appelée sa mère. Elle l'a enfanté sans douleur, et même elle a ressenti la plus grande joie en voyant qu'elle mettait au monde l'Homme-Dieu.

Il a voulu naître à Bethléem, c'est-à-dire dans la maison du pain, où naquit David, parce qu'il descendait du roi-prophète et qu'il devait être le pain de vie. Ce grand mystère s'est accompli à l'époque la plus convenable.

Sa naissance n'a dû être manifestée qu'à quelques-uns, et il était convenable qu'elle le fût à des hommes de toute condition, aux Mages, à Siméon, à Anne et aux pasteurs. Il n'a pas dû la manifester par lui-même, mais il était mieux qu'il le fît par les créatures. Ainsi il a été très-convenable qu'il la manifestât aux Juifs par les anges et aux Mages par l'étoile qui les a dirigés.

Il a dû se faire circoncire, comme fils d'Abraham, afin qu'en prenant sur lui le fardeau de la loi il en délivrât les autres. Sa mission étant de sauver les hommes, l’ange lui a donné avec raison le nom de Jésus.

Il a été convenable qu'il fût présenté au temple avec les oblations prescrites par la loi, et quoique sa mère ait été sans péché, elle a dû aussi, par humilité, se présenter dans le temple, comme pour y être purifiée.

Il a été convenable que Jean baptisât, afin que le Christ fût baptisé et manifesté. Ce baptême ne conférait pas la grâce, mais il y disposait. Ceux qui l'ont reçu ont dû ensuite recevoir le baptême du Christ, le seul qui imprime caractère et qui confère la grâce du salut.

Le Christ n'avait pas besoin d'être baptisé, mais il a voulu l'être pour sanctifier les coeurs, effacer nos souillures, et nous donner l'exemple de ce que nous devions faire. Il a reçu le baptême de Jean pour prouver qu'il l'approuvait. Les deux se sont ouverts, le Saint-Esprit est descendu sur lui, et on a entendu la voix de son Père pour montrer qu'il était le Fils de Dieu, et quelle était la vertu de sa grâce.

2° Relativement au développement de sa vie, saint Thomas considère la manière dont il a vécu, sa tentation, sa doctrine et ses miracles.

Il a dû mener une vie sociale plutôt qu'une vie solitaire, puisqu'il est venu en ce monde pour manifester la vérité, sauver les pécheurs et nous faire arriver à Dieu. Il a dû se nourrir, comme nous, en mangeant et en buvant, puisqu'il vivait parmi les hommes. Il a été pauvre, soit parce que cet état convient à l'office de la prédication, soit pour nous enrichir de ses biais spirituels, soit enfin pour que l'on n'attribue pas sa prédication à la cupidité. Il s'est soumis aux préceptes de la loi ancienne, pour montrer qu'il l'approuvait et enlever aux Juifs l'occasion de la calomnie.

Il a voulu être tenté, pour nous donner un exemple et un secours contre les tentations, et nous apprendre de quelle manière nous pouvions les surmonter. Sa tentation a eu lieu dans le désert, pour délivrer de l'exil l'homme qui avait été jeté du Paradis dans une région déserte.

Il a été convenable qu'il prêchât d'abord sa doctrine aux Juifs seuls pour montrer par son avènement que les promesses faites autrefois à leurs pères étaient accomplies. Il a dû enseigner publiquement la vérité, malgré l'opposition que lui ont faite les scribes, les pharisiens et les chefs de la nation juive. Il n'a point écrit sa doctrine, comme les autres hommes l'ont fait, à cause de son excellence infinie.

Il convenait qu'il fit des miracles pour prouver qu'il est Dieu et homme et que sa doctrine vient de Dieu. Tous les miracles qu'il a faits, il les a faits par sa vertu divine; il n'a dû en faire qu'après avoir commencé sa prédication, puisqu'ils avaient pour but de confirmer ce qu'il disait.

Ses miracles ont eu pour objet les substances spirituelles, les corps célestes, les créatures irraisonnables et les hommes eux-mêmes, pour prouver par l'universalité de sa puissance qu'il était véritablement Dieu.

Il s'est transfiguré pour montrer la gloire de sa résurrection et de celle des autres. Comme il a été convenable qu'on entendît le témoignage du Père dans le baptême du Christ, de même il convenait qu'on l'entendît dans la transfiguration, pour indiquer cette adoption des enfants de Dieu qui est imparfaite par la grâce du baptême, mais qui devient parfaite par la gloire de la résurrection.

3° A l'égard de la sortie du Christ de ce monde saint Thomas considère sa passion, sa mort, sa sépulture et sa descente aux enfers.

Le Christ aurait pu délivrer le genre humain d'une autre manière que par sa passion, mais il lui eût été impossible de lui faire d'une autre manière un aussi grand bien. Il a été convenable qu'il ne souffre pas une autre mort que la mort de la croix.

Les douleurs qu'il a souffertes ont surpassé toutes les douleurs que les hommes peuvent souffrir ici-bas. Toutes les puissances inférieures de son âme ont été en proie à la souffrance, il n'y a que la partie supérieure de la raison qui jouissait par l'acte qui lui est propre de la vision des bienheureux.

Sa passion a été consommée dans le temps et dans le lieu le plus convenable.

Le Christ a été mis à mort par ses persécuteurs. Les Juifs ont commencé sa passion et les gentils l'ont achevée. Les principaux d'entre les Juifs ont su que Jésus était le Messie promis dans la loi, mais ils ont ignoré qu'il était Dieu; les autres n'ont su ni s'il était Dieu, ni s'il était le Messie.

Le péché des princes des Juifs qui l'ont crucifié a été le plus grave dans son genre. Les autres Juifs ont été moins coupables par suite de leur ignorance, mais les Gentils ont été plus excusables parce qu'ils ne connaissaient ni la loi, ni les Ecritures.

Par sa passion le Christ a mérité le salut éternel pour tous ses membres. Il a satisfait pour les péchés du genre humain d'une manière non-seulement suffisante, mais encore surabondante. Il a été ainsi notre Rédempteur. Car quoique l'oeuvre de la rédemption puisse être attribuée à la Trinité entière, comme à sa cause première, cependant le titre de Rédempteur est propre au Christ qui a donné son sang et sa vie pour nous racheter tous.

Il nous a ainsi délivrés du pouvoir du démon et de la dette du péché, et son sacrifice a été la cause de notre réconciliation avec Dieu. Non-seulement nous avons été purifiés par-là du péché originel qui est commun à la nature humaine, mais nous avons encore été délivrés des péchés qui sont propres à chacun de nous.

Sa mort a été la preuve de la vérité de sa chair, et elle a dû avoir lieu pour nous guérir de la crainte de la mort et nous préparer à la résurrection future. Pendant sa mort la divinité n'a été séparée ni de son corps ni de son âme. C'est en vertu de sa divinité que sa mort a opéré notre salut.

Pour prouver que le Christ était véritablement mort et pour donner aux morts l'espérance de la résurrection, il a été convenable non-seulement que le Christ mourût, mais encore qu'il fût enseveli. Son corps est resté intact et incorruptible par la vertu de la divinité qui ne l'a jamais abandonné. Il est resté dans le tombeau un jour et deux nuits, parce qu'il nous a délivrés de la double mort de l'âme et du corps.

Son âme est descendue aux enfers pour nous en délivrer ; mais elle n'est allée par sa présence substantielle que dans le lieu où se trouvaient les justes. On doit croire que l'âme du Christ a été dans l'enfer aussi longtemps que son corps a été dans le tombeau. On doit croire aussi qu'elle a délivré de l'enfer tous les patriarches et les justes qui s'y trouvaient. Elle n'a pas délivré les enfants qui étaient morts avec le péché originel, puisqu'ils n'avaient point eu la foi dans le Christ jointe à son amour. Quant aux âmes qui étaient dans le purgatoire, elle a délivré celles qui avaient fait leurs peines, mais elle n'a pas délivré les autres.

4° Pour ce qui regarde l'exaltation du Christ, saint Thomas parle de sa résurrection, de son ascension, de la position qu'il occupe à la droite de son Père €t de sa puissance judiciaire. Sa résurrection a été nécessaire, non-seulement pour prouver la justice divine, pour éclairer notre foi et soutenir notre espérance, mais elle a encore été nécessaire pour servir de type aux fidèles et pour la consommation de notre salut.

Il est ressuscité le troisième jour, et il est le premier d'entre les hommes qui soit ressuscité d'une résurrection parfaite, c'est-à-dire pour ne plus mourir. Selon la vertu de sa divinité, il a été cause de sa résurrection, mais selon son humanité il a été ressuscité par Dieu et non d'après sa propre vertu.

Après sa résurrection son corps a été véritable, de même nature qu'il était auparavant. Il a été intègre et glorieux dans toutes ses parties. Il a dû cependant conserver les cicatrices de ses plaies, pour s'en faire un trophée et raffermir ceux qui étaient chancelants dans la foi.

La résurrection glorieuse du Christ n'a pas dû être manifestée au peuple tout entier, mais à quelques témoins choisis de Dieu pour la manifester ensuite aux autres. Les hommes n'ont pas dû la voir immédiatement, mais elle a dû leur être annoncée par les anges.

Le Christ n'a pas dû converser longtemps avec ses disciples après sa résurrection, de peur que l'on ne crût qu'il était revenu à la vie mortelle, mais il n'y est resté que pendant un temps très-court pour montrer qu'il était véritablement ressuscité. Il en a donné la preuve par des témoignages et des signes qui suffisent dans leur genre.

La résurrection du Christ est la cause de la n  être . Elle est la cause efficiente et exemplaire non-seulement de la résurrection des corps, mais encore de celle des âmes.

Après sa résurrection le Christ ayant commencé une vie immortelle, il ne convenait pas qu'il restât sur la terre, mais il devait monter aux cieux. Il n'y est pas monté par sa nature divine qui n'a jamais abandonné le ciel, mais il y est monté comme homme par la vertu de sa divinité.

Quoique le corps du Christ soit par la condition de sa nature au-dessous des substances spirituelles, cependant selon qu'il est uni à Dieu en personne il l'emporte sur toutes les substances spirituelles. C'est pourquoi il a été convenable qu'il fût élevé au-dessus de toutes les créatures.

Son ascension a été cause de notre salut, soit parce qu'elle porte notre âme vers lui, soit parce qu'elle nous a préparé le chemin du ciel.

Après son ascension, le Christ s'est assis à la droite de Dieu son Père, c'est-à-dire que régnant avec lui il en reçoit la plénitude de la puissance judiciaire. Cette puissance ne convient qu'à lui seul puisqu'il est la sagesse engendrée et la vérité qui procède du Père.

Il lui convient de l'avoir comme homme, puisque, comme tel, il est le chef de l'Eglise entière.

Quoique cette puissance lui soit due, il l'a méritée par le combat qu'il a livré et la victoire qu'il a l'emportée pour la justice.

Elle s'étend sur toutes les choses humaines, sur les bons et les mauvais anges et en général sur tout ce qui existe (quest. i-lx).

II. Des sacrements en général. — Après avoir parlé du Verbe incarné, saint Thomas traite des sacrements qui tirent toute leur efficacité du Verbe. Il s'occupe d'abord des sacrements en général et ensuite de chacun d'eux en particulier.

Un sacrement est le signe d'une chose sainte qui rappelle la passion du Christ, «qui montre l'action de la grâce divine et qui donne un avant-goût de la gloire future.

Les sacrements sont des choses sensibles, parce qu'il est naturel à l'homme de s'élever par les choses sensibles à la connaissance des choses intelligibles. Les sacrements de la loi nouvelle étant des moyens de sanctification, on doit faire usage de ce qui a été déterminé par l'institution divine.

La matière et la forme des sacrements ont dû être déterminées, et il n'est permis ni de rien ajouter, ni de rien retrancher aux paroles dans lesquelles la forme consiste.

Dans l'état d'innocence l'homme n'avait pas besoin de sacrements, mais depuis qu'il est tombé, les sacrements lui sont nécessaires pour faire son salut.

Il y en a eu avant la venue du Christ, il a dû en établir sous la loi nouvelle qui fussent les signes des choses qu'il a faites.

Les sacrements de la loi nouvelle sont la cause instrumentale de la grâce. Ils la contiennent de la même manière qu'une cause instrumentale renferme son effet. Us tirent toute leur efficacité de la passion du Christ.

Les sacrements de la loi ancienne qui ont existé avant la passion du Christ, n'ont eu en eux aucune vertu pour conférer la grâce sanctifiante, ils n'ont servi qu'à montrer la foi qui justifie.

Il y a des sacrements qui revêtent les fidèles d'un caractère spirituel. Ce caractère est une puissance spirituelle conférée à l'âme et qui appartient au genre de la qualité. Ce caractère étant une participation du sacerdoce du Christ s'attache à l'âme d'une manière indélébile.

Le baptême, la confirmation et l'ordre, sont les seuls sacrements qui impriment un caractère.

Quoique Dieu seul produise l'effet intérieur des sacrements, comme agent principal, cependant l'homme peut y coopérer comme ministre.

La vertu des sacrements ne provenant que de Dieu, il n'y a que lui qui les ait établis.

Le Christ comme Dieu a eu dans les sacrements une puissance d'autorité, mais comme homme il a eu celle de ministre principal. Il n'a pu communiquer à personne cette première puissance, comme il n'a pu communiquer l'essence divine, mais il a pu communiquer la seconde à ses disciples, en leur donnant une si grande plénitude de grâce qu'ils peuvent partout, en observant les rites prescrits, conférer ce que les sacrements produisent.

Les ministres n'étant que des instruments, ils peuvent conférer les sacrements, qu'ils soient ou non en état de grâce. Mais s'ils n'y sont pas, ils pêchent mortellement puisqu'ils manquent par là de respect à Dieu.

Quoique les anges puissent avoir la puissance de conférer les sacrements, il n'y a cependant que les hommes qui la possèdent, parce qu'il n'y a qu'eux qui ressemblent au Christ.

Il y a sept sacrements : le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Pénitence, l'Ordre, le Mariage et l'Extrême-Onction. Le plus grand de tous ces sacrements est l'Eucharistie, parce qu'il renferme substantiellement le Christ et que tous les autres se rapportent à lui comme à leur fin.

Trois de ces sacrements sont nécessaires au salut. Le Baptême l'est absolument; la Pénitence l'est pour celui qui est dans le péché mortel, et l'Ordre l'est par rapport à l'Eglise. Les autres sont nécessaires dans le sens que par leur moyen on fait plus facilement son salut (quest. lx-lxvi).

III. Du Baptême. — Le Baptême comme sacrement a été institué dans le baptême du Christ, mais il n'a été nécessaire qu'après la passion. L'eau en est la matière, et la forme consiste dans ces paroles : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

On ne peut le conférer deux fois puisqu'il est la régénération spirituelle de l'âme et qu'il efface le péché originel. On distingue le baptême d'eau, le baptême de voeu et le baptême de sang. Ce dernier l'emporte sur les autres, parce qu'il ligure mieux la passion du Christ et la vertu de l'Esprit-Saint qui opère par la ferveur de l'amour.

II appartient proprement aux prêtres d'administrer le sacrement de baptême, comme de consacrer l'eucharistie. Cependant dans le cas de nécessité tout homme peut baptiser.

On ne peut être sauvé si l'on n'a reçu au moins le baptême de voeu. On doit baptiser les enfants immédiatement après leur naissance, mais on ne doit baptiser les adultes qu'après qu'ils ont été instruits dans la foi. On ne doit point imposer d'oeuvre satisfactoire à celui qui est baptisé, puisque le Christ auquel on est incorporé par le baptême a pleinement satisfait par sa passion et sa mort pour les péchés de tout le monde.

Les adultes avant le baptême n'ont pas besoin de confesser leurs péchés au prêtre, mais seulement à Dieu, en les pleurants du fond de leur âme.

Celui qui reçoit le baptême doit avoir l'intention de commencer une nouvelle vie. La foi lui est nécessaire pour avoir la grâce, mais elle ne l'est pas pour recevoir le caractère.

Tant que les enfants des Juifs ou des autres infidèles n'ont pas l'usage de raison, on ne doit pas les baptiser malgré leurs parents.

Le baptême efface tous les péchés et il délivre l'homme de toute la peine qu'il avait méritée. Comme il nous incorpore au Christ, il nous fait obtenir non-seulement la grâce, mais encore les vertus. Nous recevons ce double avantage du Christ notre chef d'où ils découlent.

Le baptême ouvre véritablement la porte du ciel ; il produit dans tout le monde la régénération spirituelle d'une manière égale, mais pour ses autres effets ils sont plus ou moins grands dans les divers individus selon l'ordre de la Providence.

La circoncision a été la préparation et la figure du baptême. Elle était un signe de la foi, et elle a été convenablement établie dans Abraham qui fut le père des croyants. Il y avait cette différence entre la circoncision et le baptême, c'est qu'elle produisait la grâce d'après lâ foi de celui qui l'opérait, au lieu que le baptême la confère par sa vertu propre.

Avant le baptême on exorcise celui qui doit être baptisé pour l'arracher à la puissance du démon et lui ouvrir le sens des choses spirituelles. C'est au prêtre qu'il appartient de faire ces exorcismes et d'instruire les adultes avant de leur conférer le sacrement (quest. lxvi-lxxii).

IV. De la Confirmation. — Indépendamment du baptême, il y a le sacrement de confirmation qui fait arriver l'homme au développement parfait et à toute la force de la vie spirituelle.

La matière de ce sacrement est le chrême béni, et il a pour forme Ces paroles: Je vous marque du signe de la croix, et je vous confirme avec le chrême du salut au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

Il imprime à celui qui le reçoit un caractère, puisqu'il lui donne la puissance et la force de combattre spirituellement les ennemis de la foi ; mais ce caractère ne peut être imprimé qu'autant qu'on a déjà reçu celui du baptême»

Il confère la grâce sacrifiante, et tous les fidèles doivent le recevoir. Ce sacrement étant en quelque sorte la consommation dernière du baptême, il ne peut être conféré que par les évêques qui ont, dans l'Eglise, la souveraine puissance (quest. lxxii).

V. De l'Eucharistie. — Le sacrement de l'eucharistie est nécessaire dans l'Eglise de Dieu, comme l'aliment spirituel des âmes. Il est un formellement, quoiqu'il soit multiple matériellement. Il n'est pas nécessaire qu'on le reçoive réellement, comme le baptême, pour être sauvé.

On donne à ce sacrement les noms de sacrifice, communion ou de symbole, d'eucharistie et de viatique, suivant les différents aspects sous lesquels on l'envisage.

Quoiqu'il y ait eu dans l'ancienne loi une foule de figures qui le représentent, la principale est celle de l'agneau pascal.

Le pain et le vin sont la matière de ce sacrement. Quoiqu'on puisse consacrer avec du pain fermenté, selon l'usage de certaines Eglises, il est plus convenable de se servir de pain azyme. On mêle de l'eau au vin parce que le Christ l'a fait, mais on ne doit pas en mettre une trop grande quantité de peur d'altérer la substance du vin.

Quoiqu'on ne puisse reconnaître parles sens la présence véritable du corps et du sang du Christ dans l'eucharistie, cependant on doit l'admettre par la foi. La substance du pain et du vin ne subsiste plus dans le sacrement après la consécration. Elle est convertie véritablement au corps du Christ. Cette conversion est absolument surnaturelle, elle ne peut être produite que par la puissance de Dieu, et on lui donne le nom de transsubstantiation.

Les espèces ou accidents du pain et du vin subsistent après la consécration, quoique la forme ne subsiste pas.

On doit croire, d'après la foi catholique, que le Christ est tout entier dans ce sacrement. Il est certain qu'il est par une concomitance réelle sous les deux espèces, quoique par la force du sacrement le corps soit sous l'espèce du pain et le sang sous l'espèce du vin. Et il est tout entier sous chaque partie des espèces, soit qu'on coupe l'hostie, soit qu'on la laisse entière.

Le Christ n'est pas dans ce sacrement comme dans un lieu, puisqu'il y est par sa substance et non à la manière de l'étendue qui se mesure. Il y est par lui-même d'une manière immobile : aucun oeil humain ne peut l'y voir ici-bas ; il n y a que l'intelligence béatifiée qui puisse le voir par le moyen de la vision de l’essence divine.

Les accidents du pain et du vin subsistent dans le sacrement, sans sujet dans lequel ils existent, par la seule puissance divine. Les espèces ou accidents sont conservés par la vertu divine dans l'être qu'ils avaient lorsque la substance du pain et du vin existait. C'est pourquoi elles peuvent modifier les corps extérieurs et se corrompre elles-mêmes après la consécration aussi bien qu'auparavant. Pour la même raison elles conservent leur vertu génératrice et nutritive.

Ce sacrement a pour forme ces paroles : Ceci est mon corps et ceci est le calice de mon sang. Ces paroles ont une vertu créée qui produit la consécration. Les paroles qui se rapportent à la consécration du pain produisent leur effet avant qu'on ait prononcé celles de la consécration du vin.

L'eucharistie confère la grâce puisqu'elle renferme le Christ qui est la source et l'origine de toute grâce, et elle a pour effet de nous faire obtenir la vie éternelle. Elle demande que celui qui la reçoit soit en état de grâce, quoiqu'elle puisse remettre même le péché mortel dans celui qui la reçoit sans avoir la conscience de son péché et sans attachement pour lui. Elle remet les péchés véniels, mais elle ne délivre pas de toute la peine due au péché, elle nous fait seulement obtenir la remise d'une partie selon la dévotion avec laquelle nous la recevons.

Elle préserve aussi l'homme du péché parce qu'elle éloigne de lui les tentations du démon. Mais les péchés véniels peuvent empêcher en partie son effet.

Il y a deux manières de recevoir ce sacrement : l'une sacramentelle par laquelle on ne perçoit que le sacrement, et l'autre spirituelle par laquelle on en reçoit les effets. En s'unissant spirituellement au Christ les anges ne le reçoivent que de cette dernière manière. Les pécheurs peuvent le recevoir aussi véritablement que les justes, mais ils pêchent mortellement en le recevant ainsi dans une conscience mauvaise.

On doit refuser la communion aux pécheurs publics et connus, mais non aux pécheurs occultes qui n'ont perdu le droit, par aucune faute publique, de s'approcher de la table sainte.

D'après les lois de l'Eglise, par honneur pour le sacrement de l'Eucharistie, on ne doit le recevoir qu'à jeun. Quand on est convenablement disposé, on peut le recevoir tous les jours, mais il y a beaucoup de fidèles qui ne peuvent s'en approcher aussi souvent.

Le prêtre qui consacre ne doit pas prendre le corps du Christ sans le sang, mais on a eu raison, dans certaines Eglises, d'établir la coutume de ne faire communier les fidèles que sous une seule espèce.

Le Christ a reçu lui-même ce sacrement, et il l'a donné à Judas pour nous montrer que nous ne devions pas en écarter les pécheurs occultes dont la culpabilité n'était pas extérieurement démontrée.

Le corps qu'il a reçu étant le même que celui qui était sur la croix, si on eût conservé ce sacrement au temps de sa mort, il s'ensuit qu'il serait mort dans le sacrement aussi bien que sur la croix.

C'est aux prêtres qu'il appartient de consacrer. Plusieurs prêtres peuvent simultanément consacrer la même hostie pourvu qu'ils prononcent ensemble les mêmes paroles. Quand le prêtre consacre, comme il offre à Dieu un sacrifice, il doit recevoir le sacrement.

Les mauvais prêtres peuvent, consacrer, et malgré leur indignité leur messe ne vaut pas moins quant au sacrement, quoique leurs prières soient moins fructueuses que celles d'un bon prêtre.

Les schismatiques, les hérétiques et les excommuniés, s'ils ont été ordonnés, peuvent consacrer l'hostie, mais ils ne le font jamais sans crime. Un prêtre dégradé le peut aussi puisque son caractère lui reste.

On ne peut entendre la messe, ni recevoir l'eucharistie des excommuniés, des hérétiques et des schismatiques, sans participer à leurs péchés.

Un prêtre ne pourrait s'abstenir absolument de célébrer; il est tenu de le faire au moins les jours où les fidèles ont le plus souvent l'habitude de communier.

Saint Thomas termine ce traité en justifiant les rites que l'Eglise a établis pour la célébration de ce sacrement (quest. lxxiii-lxxxiv):

VI. Du sacrement de Pénitence. — La pénitence est un sacrement spécial. Sa matière prochaine sont les actes de pénitence ; sa matière éloignée les péchés que l'on doit détester et effacer. Sa forme comprend ces paroles : Je vous absous. L'imposition des mains n'est pas plus nécessaire pour ce sacrement que pour le baptême.

Il n'est pas nécessaire absolument, comme le baptême, pour être sauvé, il ne l'est que pour ceux qui sont dans le péché C'est pour ce motif qu'on l'appelle la seconde planche après le naufrage,

Il est convenable qu'il ait été établi sous la loi nouvelle. On peut le recevoir chaque fois qu'on retombe dans le péché, parce que la miséricorde divine surpasse la multitude et l'étendue de nos fautes.

On peut aussi considérer la pénitence comme vertu. A ce titre elle existe dans la volonté. Elle a pour but de détruire le péché et de le détester. La crainte servile l'excite d'abord, mais c'est la crainte filiale qui en est le principe immédiat et le plus prochain.

La vertu de pénitence n'est pas absolument la première des vertus, ni dans l'ordre du temps ni dans l'ordre de la nature ; mais elle est la première sous un rapport selon l'ordre du temps, car c'est par son acte que la justification de l'impie doit commencer.

Il n'y a pas de péché qui ne puisse être remis par la pénitence, et aucun péché mortel ne peut être effacé ici-bas sans cette vertu.

Un péché ne peut être remis sans l'autre. Après la rémission de la faute, on est délivré' de la peine éternelle, mais on reste encore passible de la peine temporelle.

Quand le péché a été pardonné, il peut encore rester dans l'âme des dispositions produites par ses actes extérieurs et qu'on appelle les restes du péché.

Les péchés véniels ne peuvent être remis sans le sacrement de pénitence. Il n'est pas nécessaire pour la rémission de ces fautes qu'il y ait infusion de la grâce habituelle. Faire sa confession générale, se frapper la poitrine, dire la prière dominicale, recevoir de l'eau bénite, la bénédiction épiscopale, sont autant de moyens qui effacent les péchés véniels, quand ils sont joints à la détestation du péché.

On ne peut remettre les péchés véniels, si l'on n'obtient la rémission des péchés mortels.

Les péchés anciens qui ont été effacés ne revivent pas si l'on vient à tomber de nouveau dans le péché mortel.

La pénitence rétablit dans l'homme qu'elle réconcilie avec Dieu toutes les vertus qui sont l'effet de la grâce. Le pénitent revient à un degré de grâce plus ou moins élevé, selon que le mouvement du libre arbitre a été plus ou moins intense dans l'acte même du repentir.

Le péché mortel paralyse les oeuvres qui ont été faites dans l'état de grâce, mais la pénitence les fait revivre dans le sens qu'elle leur rend l'efficacité qu’elles devaient avoir pour nous faire arriver à la vie éternelle.

On distingue dans le sacrement de pénitence trois parties, la contrition, la confession et la satisfaction. Ce ne sont pas des parties intégrantes, mais des parties subjectives et potentielles.

Saint Thomas devait reprendre en particulier chacune de ces subdivisions ; malheureusement la mort est venue ici interrompre son gigantesque travail. Il en avait marqué à grands traits les derniers linéaments. Ses disciples ont essayé de continuer son oeuvre. Mais comment ne pas rester au-dessous d'un pareil maître? Le supplément extrait de son commentaire sur le livre de Pierre Lombard rend sans doute le fond de sa pensée, mais ses idées ne sont plus exposées avec la même force et la même concision.

Cependant, comme ce travail lui est littéralement emprunté et qu'il reproduit exactement sa pensée, nous espérons le traduire également. Ce sera le moyen de compléter ce Cours de théologie qui sans cela se trouverait véritablement privé de parties essentielles.




III Pars (Drioux 1852)