III Pars (Drioux 1852) 720

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Nous devons nous occuper ensuite de la manifestation de la naissance du Christ, et à cet égard huit questions se présentent : 1° La naissance du Christ a-t-elle dû être manifestée à tous les hommes? — 2° A-t-elle dû être manifestée à quelques-uns? — 3° A qui a-t-elle dû être manifestée ? — 4° A-t-il dû se manifester ou plutôt être manifesté par les autres? — ù» Par qui a-t-il dû être manifesté ? — 6U De l'ordre des manifestations. — 7° De l'étoile par laquelle sa naissance a été manifestée. — 8° De l'adoration des mages qui ont connu la naissance du Christ par une étoile.

(I) Son origine, dit Bossuet, fut attestée par les registres publics : l'empire romain rendit témoignage à la royale descendance de Jésus-Christ, et César, qui n'y pensait pas, exécuta l'ordre de Dieu.
(2) Cette unité matérielle du monde a été considérée par Salvien, saint Augustin, Paul Orose, comme ayant été très-avantageuse à la propagation de l'Evangile dans le monde. C'est l'idée générale du discours de Bossuet suri'lJittoir«universelle.


ARTICLE I. — la naissance du chh1st a-t-elle dû être manifestée a tous les hommes (1)?

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1 Il semble que la naissance du Christ ait dû être manifestée à tous les hommes. Car l'accomplissement doit répondre à la promesse. Or, il est dit de la promesse de l'avènement du Christ (
Ps 49,3) : Dieu viendra manifestement, et il est venu en naissant corporellement. Il semble donc que sa naissance ait dû être manifestée au monde entier.

2 Saint Paul dit (1Tm 1,45) : Le Christ est venu en ce monde sauver les pécheurs. Or, ils ne peuvent être sauvés qu'autant que la grâce du Christ leur est manifestée, d'après ces autres paroles du même Apôtre  (Tt 2,41) : La grâce de Dieu, notre Sauveur, a apparu à tous les hommes, nous apprenant qu'ayant renoncé à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siège présent avec tempérance, avec justice et avec piété. Il semble donc que la naissance du Christ ait dû être manifestée à tous.

3 Dieu est en tout particulièrement porté à la miséricorde, d'après ces paroles (Ps 146,9) : Ses miséricordes s'étendent sur toutes ses oeuvres. Or, dans le second avènement, où il jugera les justices, il viendra se montrer à tout le monde, d'après ce passage de l'Evangile (Mt 24,27) : Comme un éclair qui sort de V orient, parait tout d'un coup jusqu'à l'occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. A plus forte raison a-t-il dû manifester à tous son premier avènement par lequel il est né en ce monde selon la chair.

20 Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is 45,45) : Fous êtes vraiment un Dieu caché, ô Dieu d'Israël, notre unique Sauveur. Et ailleurs (ibid, liii, 3) : Son visage a été caché, il nous a paru méprisable.


CONCLUSION.— Dans la crainte d'empêcher la rédemption du genre humain, ou d'affaiblir le mérite de la foi, ou de faire mettre eu doute la vérité de l'humanité du Christ, sa naissance n'a pas dû être universellement manifestée à tout le monde.

II faut répondre que la naissance du Christ n'a pas dû être communément manifestée à tout le monde : 4° parce que cette manifestation eût empêché la rédemption du genre humain qui s'est accomplie par la croix, comme le dit l’Apôtre(1. Cor,2, 8) : S'ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l'auraient pas crucifié. 2° l^trce qu'elle eût affaibli le mérite de la foi par laquelle le Christ était venu justifier les hommes, suivant cette parole de saint Paul (Rm 3,22) : La justice de Dieu est produite par la foi du Christ. En effet, si à sa naissance le Christ s'était fait connaître à tout le monde par des signes évidents, l'essence delà foi, qui est l'argument des choses que l'on ne voit pas (Ileb.x i), aurait été détruite (2). 3° Parce que par là on aurait douté de la vérité de l'humanité elle-même du Christ. D'où saint Augustin dit (Epist, ad Folus. cxxxvi) : Si on ne l'avait point vu passer par tous les degrés de l'âge, et qu'il n'eût ni mangé, ni dormi, n'aurait-il pas confirmé l'erreur de ceux qui croient qu'il ne s'est pas fait homme véritablement, et en produisant ainsi des merveilles, n'aurait-il pas rendu inutiles les oeuvres de sa miséricorde ?

(2) Beáti qui non viderunt et crediderunt Jean. xx).
(Il) Cet article et les suivants ont pour objet de justifier tout ce que l'Ecriture nous raconte de la naissance du Christ, en donnant la raison de tout ce qui s'est passé.

31 Il faut répondre au premier argument, que ce passage se rapporte à l'avènement du Christ, lorsqu'il viendra juger les hommes, et c'est ainsi que l'entend la glose (interi. August.).

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II faut répondre au second, que la grâce du Sauveur devait être connue des hommes pour leur salut, non pas au commencement de sa naissance, mais dans la suite des temps, après qu'il eut opéré le salut au milieu de la terre, selon l'expression du Psalmiste (Ps 73,12). D'où il dit à ses disciples après sa passion et sa résurrection (Mt 28 Mt 19) : Allez, enseignez toutes les nations.

33 Il faut répondre au troisième, qu'il est nécessaire pour un jugement que l'autorité du juge soit connue. C'est pourquoi il faut que l'avènement du Christ soit manifeste quand il viendra juger. Mais le premier avènement a eu pour objet le salut qui se produit par la foi, laquelle a pour objet ce que l'on ne voit pas. C'est pourquoi ce premier avènement a dû être caché.


ARTICLE II. — LA naissance du christ a-t-elle i)u être manifestée à quelques-uns (1) ?

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1 Il semble que la naissance du Christ n'ait dû être manifestée à personne. Car, comme nous l'avons dit (art. préc.), il était convenable au salut de l'homme que le premier avènement du Christ fut caché. Or, le Christ était venu pour sauver tout le monde, d'après ces paroles (
1Tm 4,10) : Il est le Sauveur de tout le monde, surtout des fidèles. La naissance du Christ n'a donc dû être manifestée à personne.

2 Avant l'avènement du Christ sa naissance avait été manifestée à la bienheureuse Vierge et à saint Joseph, comme une chose à venir. Il n'était donc pas nécessaire que quand il a été né, elle fût manifestée à d'autres.

3
Aucun sage ne manifeste ce qui doit être pour les autres une cause de trouble et de perte. Or, dès que la naissance du Christ a été connue, il en est résulté du trouble : car il est dit (Mt 2,3) que Hérode apprenant la naissance du Christ, fut troublé et tout Jérusalem avec lui. Il s'en est suivi aussi une perte pour les autres, parce que c'est à cette occasion qu’ Hérode tua tous les enfants qui étaient dans Bethléem et les environs, depuis l'âge de deux ans et au-dessous (Mt 2,16). Il semble donc qu'il n'ait pas été convenable que la naissance du Christ fût manifestée à quelques-uns.

20 Mais c'est le contraire. La naissance du Christ n'aurait été utile à personne, si elle avait été cachée à tout le monde. Or, il fallait que la naissance du Christ fût profitable, autrement il serait né en vain. Il semble donc qu'elle ait dû être manifestée à quelques-uns.


CONCLUSION. — Comme il n'a pas été convenable que le Christ après sa résurrection se manifestât à tout le monde, mais seulement aux témoins prédestinés par Dieu; de même sa naissance n'a pas dû être manifestéeàtoutle monde, mais seulement à quelques-uns qui l'ont ensuite fait connaître aux autres.

être absolument caché, mais qu'il devait être reconnu par quelques-uns.

(1) On peut remarquer que le prophète dit en parlant du Christ (Is. liii) : Quasi absconditus vultus ejus ; ce qui indique qu'il ne devait pas

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Il faut répondre que, comme le dit l’apôtre (Rm 13,1), ce qui vient de Dieu a été ordonné. Or, il appartient à l'ordre de la divine sagesse que les dons de Dieu et les secrets de sa sagesse ne parviennent pas également à tout le monde, mais qu'ils arrivent immédiatement à quelques-uns, et que par eux ils découlent sur d'autres. D'où il est dit, par rapport au mystère de la Résurrection (Ac 10,40), que Dieu a voulu que le Christ ressuscité se fît. voir, non à tout le peuple, mais aux témoins qu'il avait choisis avant tous les temps. C'est aussi ce qui a dû s'observer à l'égard de sa naissance, de manière que le Christ ne fut pas manifesté à tout le monde, mais seulement à quelques-uns, par lesquels il a pu ensuite parvenir à la connaissance des autres.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme il aurait été préjudiciable au salut de l'homme que la naissance de Dieu fût connue de tout le monde; de même si elle n'eût été connue de personne. Car la foi est détruite de ces deux manières; elle l'est par cela même qu'une chose est totalement manifeste (I), aussi bien que quand elle n'est connue de personne qui puisse en rendre témoignage. Car la foi vient de ce que l'on entend, comme le dit l’apôtre(Rm 10).

32 Il faut répondre au second, que Marie et Joseph devaient être instruits de la naissance du Christ avant qu'il naquît, parce qu'il leur appartenait de le respecter lorsqu'il était encore dans le sein de sa mère, et de lui marquer leur soumission aussitôt qu'il serait né. Mais leur témoignage, parce qu'ils étaient de la même famille, aurait paru suspect à l'égard de la magnificence du Christ. C'est pourquoi il a fallu qu'il se manifestât à des étrangers dont le témoignage ne pût pas être ainsi suspecté.

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Il faut répondre au troisième, que le trouble qui est résulté de la naissance du Christ devait se manifester en ce moment : 1° parce que par là la dignité céleste du Christ s'est manifestée. D'où saint Grégoire dit (Hom. x in Evang.) : A la naissance du roi du ciel, le roi de la terre a été troublé; parce que les grandeurs de la terre sont confondues en présence des grandeurs du ciel. 2° Parce que la puissance judiciaire du Christ était figurée par là. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Serm. Epiph. xxx De temp.) : Que sera son tribunal déjugé, quand son berceau d'enfant épouvante l'orgueil des rois. 3° Ce trouble figurait aussi le renversement du trône du démon. En effet, comme le dit le pape saint Léon (in serm. Epiph. implic. serm. v, cap. 44, sed express, auct. op. imperf. hom. n) : Hérode n'était pas autant troublé en lui-même que le diable dans Hérode. Car Hérode pensait à un homme terrestre, au lieu que le diable connaissait Dieu ; l'un et l'autre craignait le successeur de son royaume ; le diable redoutait un successeur céleste, Hérode un successeur temporel. Du reste c'était bien à tort, parce que le Christ n'était pas venu sur terre chercher un royaume. D'où le pape saint Léon dit en parlant à Hérode (Serm. iv de Epiph. cap. 2) : Votre royauté ne séduit pas le Christ; le maître du monde ne peut se contenter des limites étroites dans lesquelles se renferme votre puissance. Ce qui troublait les Juifs, qui auraient dù cependant le plus se réjouir, c'est, comme le dit saint Chrysostomo (alius auctor, hom. ii, in op. imperf.), parce que ceux qui sont iniques ne peuvent se réjouir de l'arrivée du juste, ou parce qu'ils voulaient plaire à Hérode qu'ils craignaient; car le peuple favorise plus qu'il ne convient les hommes cruels qu'il supporte. Quant aux enfants qu'Hérode a fait périr, ce meurtre n'a pas tourné à leur détriment, mais à leur avantage; car saint Augustin dit (in serm. quodam de Epiph. lxyi, cap. 3) : Loin de nous la pensée que le Christ, qui est venu pour sauver tous les hommes, n'ait rien fait pour la récompense de ceux qui sont morts pour lui, lui qui, sur la croix, a prié pour ses bourreaux (2).

(I) La foi n'existe plus quand une chose est manifestée par son évidence intrinsèque, mais il n'en est pas de même quand elle n'est manifestée quo par des témoignages extérieurs, comme les anges et l'étoile firent connaître le Christ aux bergers et aux mages.
(2) L'Eglise fait leur file et le considère comme les prémices des martyrs.



ARTICLE III. — ceux auxquels la naissance du christ a été manifestée ont-ils été convenablement choisis ?

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1 Il semble que ceux auxquels la naissance du Christ a été manifestée n'aient pas été convenablement choisis. Car le Seigneur a dit à ses disciples (
Mt 10,5) : N'allez point vers les gentils, afin qu'il fût connu des Juifs avant de l'être des autres nations. Il semble donc que la naissance du Christ ait dû beaucoup moins être révélée dès le commencement aux gentils qui étaient venus de l'Orient, comme on le voit (Mt 2).

2 C'est principalement aux amis de Dieu que doit se faire la manifestation de la vérité divine, d'après ces paroles de l'Ecriture (Jb 36,33) : C'est à ses amis qu'il se révèle. Or, les mages paraissent être les ennemis de Dieu, car il est dit (Lv 19,31) : Ne vous adressez pas aux mages et ne consultez pas les devins. La naissance du Christ n'a donc pas dû être manifestée aux mages.

3 Le Christ était venu délivrer le monde entier de la puissance du diable. D'où il est dit (Ml 1,2) : Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon nom est grand dans les nations. Il n'a donc pas civi se manifester seulement à ceux d'Orient, mais encore à tout l'univers.

4 Tous les sacrements de l'ancienne loi étaient une figure du Christ. Or, les sacrements de l'ancienne loi étaient dispensés par le ministère des prêtres. Il semble donc que la naissance du Christ aurait dû être manifestée aux prêtres dans le temple plutôt qu'aux bergers dans les champs.

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Le Christ est né d'une mère vierge, et il était comme un petit enfant. Il paraît donc plus convenable qu'il se soit manifesté à des jeunes gens et à des vierges, qu'à des vieillards et à des personnes mariées ou veuves, comme Siméon et Anne.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 13,18) : Je sais ceux que j'ai choisis. Or, ce qui se fait conformément à la sagesse de Dieu se fait convenablement. Par conséquent, ceux auxquels la naissance du Christ a été manifestée ont été convenablement choisis.

CONCLUSION. — Puisque le salut que le Christ devait opérer sc rapportait à toutes les parties du genre humain, il a été convenable que sa naissance fût manifestée à des hommes de toutes les conditions, aux mages, à Siméon et à Anne et aux pasteurs.

21 Il faut répondre que le salut que le Christ devait opérer se rapportait à tous les hommes, quels qu'ils fussent-, parce que, comme le dit l’apôtre(Col 3,2) : En Jésus-Christ il n'y a ni homme, ni femme, ni gentil, ni juif, ni esclave, ni homme libre, et il en a été ainsi du reste. Et c'était pour marquer à l'avance ce caractère dans la naissance même du Christ qu'il s'est manifesté à des hommes de toutes les conditions. Car, comme le dit saint Augustin ( Serm. de Epiph. xxxii De tempore, cap. 1 ), les bergers furent des Israélites, les mages des gentils; les premiers venaient de près, les seconds de loin ; cependant ils accoururent l'un et l'autre vers la pierre angulaire. Il y eut encore entre eux une autre différence; car les mages ont été des sages et des puissants, et les bergers des gens simples et grossiers. Il s'est manifesté à des justes dans la personne de Siméon et d'Anne, et à des pécheurs dans celle des mages. Enfin il s'est manifesté à des hommes et à des femmes, afin de montrer par là qu'aucune condition humaine n'était exclue du salut.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette manifestation de la naissance du Christ a été le signe de la pleine manifestation qui devait avoir lieu ensuite; et comme dans la seconde manifestation la grâce du Christ a été annoncée d'abord par le Christ et ses apôtre s aux Juifs et ensuite aux gentils; de même le Christ a d'abord reçu les adorations des bergers qui étaient les prémices des Juifs, comme étant les plus rapprochés, puis vinrent des pays éloignés les mages qui furent les prémices des nations, comme le dit saint Augustin (Serm. xxx de temp.).

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Il faut répondre au second, que, selon la remarque du même docteur (loc. cit.), comme le défaut d'habileté l'emporte dans la rusticité des bergers, de même l'impiété prédomine dans les sacrilèges des mages. Cependant la pierre angulaire se les a appliqués l'un et l'autre, parce qu'elle est venue choisir ce qui est insensé pour confondre les sages, et qu'elle n'est pas venue appeler les justes, mais les pécheurs, afin que personne ne s'enorgueillît de sa force, ni ne désespérât de sa faiblesse. — D'ailleurs il y en a qui disent que ces mages ne furent pas livrés aux maléfices (1), que c'étaient de sages astronomes qui portent le nom de mages chez les Perses ou chez les Chaldéens.

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Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, hom. ii in op. imper f.), les mages vinrent d'Orient, parce que la foi a commencé aux lieux où le jour naît, et qu'elle est la lumière des âmes; ou bien parce que tous ceux qui arrivent au Christ viennent de lui et par lui. D'où le prophète dit (Zaeh. 6, 12) : Voici l'homme, son nom est l'Orient. On dit littéralement qu'ils sont venus de l'Orient, soit parce qu'ils sont venus des régions les plus reculées de l'Orient, d'après quelques-uns; soit parce qu'ils sont venus de certaines contrées voisines de la Judée, mais qui sont à l'orient de ce pays (2). Cependant il est à croire que dans les autres parties du monde, il y a eu des marques de la naissance du Christ. Ainsi à Rome l'huile a coulé, et en Espagne on a vu trois soleils qui se sont peu à peu réunis (3) (Euseb. in Chronic. et Innocent HI, Serm. ii de Nativ.).

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Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Chrysostome (hab. in Cat. aur. D. Thom.sup. cap. 2 Luc.), l'ange qui a manifesté la naissance du Christ n'est pas allé à Jérusalem, il n'a, pas cherché les scribes et les pharisiens, parce qu'ils étaient corrompus et dévorés par l'envie ; au lieu que les bergers étaient purs, menant la vie antique des patriarches et de Moïse (4). Ces bergers étaient la figure des docteurs de l'Eglise auxquels les mystères du Christ que les Juifs ignoraient ont été révélés.

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Il faut répondre au cinquième, que, comme le dit saint Ambroise (Sup. illud Lc 2, Et ecce homo erat, etc.), non-seulement les jeunes gens, mais encore les vieillards et les justes ont dû rendre témoignage à la naissance du Seigneur. Leur témoignage était même plus croyable, parce qu'ils étaient justes.



ARTICLE IV. — le christ a-t-il du manifester par lui-même sa naissance (S) ?

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1 Il semble que le Christ ait di\ manifester par lui-même sa naissance.

(1) Ce sentiment est le plus probable, car on regarde généralement les mages comme des savants qui se livraient à l'étude des astres, et on croit aussi d'après leurs présents qu'ils étaient riches et puissants dans leur pays.
(2) Il est impossible de dire quel est de ces deux sentiments le plus probable. N'est-ce pas assez, dit liossu et, de savoir qu'ils viennent du pays de l'ignorance, du milieu de la gentilité, où Dieu n'était pas connu, ni le Christ attendu et promis [Elévations, 17e semaine, élévation iv)?
(5) Kn rapportant ces faits, Eusèbe les met sous l'an 3 d'Auguste, tandis que le Christ est né l'an -12.
(4) Les bergers étaient aussi des témoins plus sûrs. Car si c'étaient des hommes célèbres, des pharisiens ou des docteurs de la loi qui racontassent ces merveilles, dit Bossuet, le monde croirait aisément qu'ils voudraient se faire un nom par leurs sublimes visions. Mais qui songe à contredire de simples bergers dans leur récit naïf et sincère (IGe semaine, élévation xi).
(5) Le prophète avait annoncé que le Christ serait tout d'abord comme les autres enfants (Is. viii) : Antequam sciat puer vocare patrem suum et matrem, auferetur fortitudo Damasci et spolia Samaria;.

Car la cause qui existe par elle-même est toujours plus noble que celle qui existe par un autre, comme le dit Aristote (Phys. lib. vin, text. 39). Or, le Christ a manifesté sa naissance par les autres ; ainsi il l'a manifestée aux bergers par des anges et aux mages par une étoile. Il aurait donc dû la manifester plutôt par lui-même.

2
L'Ecriture dit (Si 20,32) : Si la sagesse demeure cachée et que le trésor ne soit pas visible, quel fruit tirera-t-on de l'un et de Vautre ? Or, le Christ a eu pleinement dès le commencement de sa conception un trésor de sagesse et de grâce. Par conséquent s'il n'eût pas manifesté cette plénitude par des oeuvres et des paroles, la sagesse et la grâce lui auraient été données en vain ; ce qui répugne, parce que Dieu et la nature ne font rien en vain, comme le dit Aristote (De caelo, lib. i, text. 32 ; lib. ii, text. 59).

3 On lit dans le livre de l'enfance du Sauveur que le Christ a fait dans son enfance beaucoup de miracles; et par conséquent il semble qu'il ait manifesté sa naissance par lui-même.

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Mais c'est le contraire. Le pape saint Léon dit (Serm. iv de Epiph. cap. 3) que les mages trouvèrent l'enfant Jésus, ne différant en rien des autres enfants en général. Or, les autres enfants ne se manifestent pas eux-mêmes. Il n'eût donc pas été convenable que le Christ manifestât sa naissance par lui-même.


CONCLUSION. — Le Christ n'a pas dû manifester sa naissance par lui-même, mais par les autres créatures pour ne pas déroger à la propagation de la foi.

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Il faut répondre que la naissance du Christ avait pour but le salut des hommes qui s'opère par la foi. La foi qui sauve étant celle qui confesse la divinité et l'humanité du Christ, il fallait par conséquent que sa naissance fût manifestée, de manière que la preuve de sa divinité ne nuisit pas à la foi qu'on devait avoir dans son humanité. C'est ce qui a eu lieu, puisque, tout en montrant en lui-même une naissance semblable à la faiblesse de notre nature, il faisait éclater la vertu de sa divinité par les créatures de Dieu. C'est pourquoi le Christ n'a pas manifesté sa naissance par lui-même, mais par d'autres créatures.

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Il faut répondre au premier argument, que dans la voie de la génération et du mouvement il faut qu'on arrive au parfait par l'imparfait. C'est pourquoi le Christ a été manifesté d'abord par d'amres créatures, et ensuite il s'est manifesté par lui-même d'une manifestation parfaite.

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Il faut répondre au second, que, quoique la sagesse cachée soit inutile, cependant il n'appartient pas à la sagesse de se manifester en tout temps, mais dans le temps convenable. Car il est dit (Si 20,6) : Il y en a qui se taisent, parce qu'ils n'ont pas assez de sens pour parler, et il y en a d'autres qui se taisent , parce qu'ils discernent quand il est temps de parler. Ainsi la sagesse donnée au Christ n'a pas été inutile, parce qu'elle s'est manifestée dans le temps convenable, et par là même qu'il s'est caché quand il était convenable qu'il le fit, c'est une preuve de sa sagesse.

33 Il faut répondre au troisième, que ce livre de l'enfance du Sauveur est apocryphe (1), et saint Chrysostomo dit (Hom. xx sup. Jean. ) que le Christ n'a pas fait de miracles avant de convertir l'eau en vin, d'après ces paroles de saint Jean (2, 41) : C'est ainsi que Jésus fit à Cana dans la Galilée le premier de ses miracles. Car, s'il eût fait des miracles dès son enfance, les Israélites n'auraient pas eu besoin qu'un autre le leur fit connaître. Ce fat cependant la mission de Jean Baptiste, qui dit (Jn 1,31) : Je suis venu baptiser dans Veau, afin qu'il soit connu dans Israel. Et c'est avec raison qu'il n'a pas commencé à faire des miracles pendant son premier âge. Car les Juifs auraient cru que son incarnation était un fantôme, et dans leur jalousie ils l'auraient crucifié avant qu'il n'en fût temps.

(I) Il est compris dans le décret du pape Gélase (Decr. dist. 13, cap. Sancta romana)


DE LA MANIFESTATION DE LA NAISSANCE DU CHRIST. 335



ARTICLE V. — la naissance du christ a-t-elle dû être manifestée par les anges et par l'étoile?

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1 Il semble que la naissance du Christ n'ait pas dû être manifestée par les anges. Car les anges sont des substances spirituelles, d'après ces paroles (
Ps 103,4) : Il 'fait de ses anges des esprits. Or, la naissance du Christ était selon la chair, mais non selon sa substance spirituelle. Elle n'a donc pas dû être manifestée par les auges.

2 Les justes ont plus d'affinité pour les anges que pour tous les autres, d'après cette parole du Psalmiste (Ps 53,8) : L'ange du Seigneur viendra autour de ceux qui le craignent et les délivrera. Or, la naissance du Christ n'a pas été manifestée à Siméon et à Anne, qui étaient justes, par des anges. Elle n'a donc pas dû être manifestée aux bergers par eux.

3 Il semble qu'elle n'ait pas dû être manifestée aux mages par une étoile. Car cela paraît être une occasion d'erreur pour ceux qui pensent que les astres ont de l'empire sur la naissance des hommes. Il n'a donc pas été convenable qu'elle fût manifestée par ce moyen.

4
Il faut qu'un signe soit certain pour qu'il serve à manifester une chose. Or, une étoile ne paraît pas être un signe certain de la naissance du Christ. C'est donc à tort que sa naissance a été manifestée par là.

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Mais c'est le contraire. La loi porte (Dt 32,4) que les oeuvres de Dieu sont parfaites. Or, cette manifestation a été une oeuvre divine. Elle a donc été produite par des signes convenables.


CONCLUSION. — Une manifestation devant se faire par des signes familiers, il a été convenable que la naissance du Christ fût manifestée aux justes par l'inspiration, aux bergers par des anges, parce qu'ils étaient Juifs, et aux mages par une étoile, comme étant accoutumés à la contemplation des corps célestes.

21 Il faut répondre que comme la manifestation logique se fait par ce qu'il y a de plus connu relativement à l'individu auquel elle s'adresse, de même la manifestation qui se fait par des signes doit se faire par ce qu'il y a de plus familier aux personnes que l'on veut instruire. Or, il est évident que les justes sont ordinairement instruits par le mouvement intérieur de l'Esprit-Saint sans avoir recours aux signes sensibles, c'est-à-dire par l'esprit de prophétie; au lieu que ceux qui sont livrés aux choses corporelles sont conduits par les choses sensibles aux choses intelligibles. Les Juifs avaient coutume de recevoir les réponses de Dieu par les anges qui leur ont transmis la loi, d'après ces paroles de saint Etienne (Ac 7,53) : Fous avez- reçu la loi par le ministère des anges. Au contraire, les gentils et les astronomes étaient habitués à considérer le cours des astres. C'est pourquoi la naissance du Christ a été manifestée à Siméon et à Anne, qui étaient justes, par le mouvement intérieur de l'Esprit-Saint, d'après ces paroles (, Le Saint-Esprit lui répondit qu'il ne mourrait pas avant qu'il n'eût vu le Christ du Seigneur. Les bergers et les mages s'adonnant aux choses corporelles, la naissance du Christ leur fut manifestée par des apparitions visibles. Et comme cette naissance n'était pas purement terrestre, mais qu'elle était céleste d'une certaine manière, elle leur fut révélée aux uns et aux autres par des signes célestes. Car, comme le dit saint Augustin (aequival. serm. lxvi De diversis), les anges habitent les deux, et les astres les ornent ; aux uns et aux autres ce sont donc les cieux qui racontent la gloire de Dieu. C'est avec raison que la naissance du Christ a été révélée par les anges aux bergers, qui représentaient les Juifs chez lesquels les apparitions des esprits célestes ont eu lieu fréquemment, au lieu qu'elle a été manifestée par une étoile aux mages, qui étaient accoutumés à considérer les corps célestes. Car, comme le dit saint Chrysostomo [Hom. vi in Matth.), Dieu a voulu les appeler à lui en condescendant à eux par les moyens qui leur étaient familiers. — Saint Grégoire en donne une autre raison (Hom. x in Evang.). Un être intelligent, c'est-à-dire un ange, a dû annoncer le Christ aux Juifs, comme au peuple le plus éclairé; au lieu que les gentils , qui ne savaient pas faire usage de la raison, ont été conduits à connaître le Seigneur, non par .la parole, mais par des signes; et comme des prédicateurs éloquents leur ont annoncé le Seigneur, après que sa parole eut retenti dans le monde, de même ce sont des éléments muets qui l'ont fait connaître lorsqu'il ne parlait pas encore. — Enfin une troisième raison est donnée par saint Augustin (alius auctor in serm. Epiph.), qui dit que la postérité innombrable promise à Abraham ne devait pas être produite par la génération charnelle, mais par la fécondité de la foi. C'est pourquoi elle a été comparée à la multitude des étoiles, pour lui faire espérer une progéniture céleste. C'est aussi pour ce motif que les gentils, figurés par les astres, sont excités, par la vue d'une étoile nouvelle, à venir vers Io Christ, qui les fait passer dans la famille d'Abraham.

31 Il faut répondre au premier argument, que c'est ce qui est caché de soi-même, et non ce qui est évident, qui a besoin d'être manifesté. Or, la chair de celui qui naissait était manifeste, au lieu que sa divinité était cachée; c'est pourquoi il a été convenable que sa naissance fût manifestée par les anges, qui sont les ministres de Dieu. Ainsi l'ange a apparu avec clarté pour montrer que celui qui naissait était la splendeur de la gloire du Père.

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Il faut répondre au second, que les justes n'avaient pas besoin de l'apparition visible des anges; mais il leur suffisait de l'inspiration intérieure de l'Esprit-Saint à cause de leur perfection.

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Il faut répondre au troisième, que l'étoile qui a manifesté la naissance du Christ n'a pu donner occasion à aucune erreur. Car, comme le dit saint Augustin (Cont. Faust, lib. ii, cap. 5), il n'y &pas d'astrologues qui aient soumis aux étoiles les destinées des hommes qui naissent, au point de prétendre qu'à la naissance d'un individu, il y a une étoile qui quitte sa place dans le ciel et qui s'avance vers celui qui est né; comme il est arrivé à l'égard de l'étoile qui a fait connaître la naissance du Christ. C'est pourquoi cet exemple ne confirme pas l'erreur de ceux qui croient que le sort des hommes qui naissent se conclut de l'ordre des astres ; car ils ne croient pas que cet ordre puisse changer à la naissance des individus. De même, comme l'observe saintChrysostome (Hom. iv in ), l'astrologie n'a pas pour but de savoir d'après les étoiles quels sont ceux qui naissent, mais de prédire l'avenir des individus d'après l'heure de leur naissance. Les mages n'ont pas connu le temps de la naissance du Christ, pour que de là ils aient commencé à conjecturer son avenir d'après le mouvement des étoiles, mais c'est plutôt le contraire.

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Il faut répondre au quatrième, que, comme le rapporte saint Chrysostomo (alius auctor, hom. ii in op. imperf.), on lit dans certains livres apocryphes qu'il y avait une nation à l'extrémité de l'Orient, près de l'Océan, qui possédait un ouvrage sous le nom de Seth, où il était question de l'apparition de cette étoile et des présents qu'on devait offrir. Cette nation observait avec soin le lever de cette étoile au moyen de douze observateurs qui, à des heures marquées dans la nuit, montaient sur la montagne, ou ils la virent ensuite ayant la forme d'un petit enfant et sur elle la figure d'une croix. — Ou bien il faut répondre que, comme on le voit (Lib. de quaest. Fet. et Nov. Test, quaest. lxiii), ces mages suivirent la tradition de balaam (1), qui a dit : Une étoile s'élèvera de Jacob. Ainsi, en voyant cette ('toile hors du système du monde, ils comprirent que c'était celle que Balaam avait annoncée comme le signe qui devait indiquer le roi des Juifs. — On peut encore répondre avec saint Augustin (alius auctor in serm. Epiph.j, que les mages ont appris des anges, par révélation, que cette étoile signifiait la naissance du Christ; et il paraît probable qu'ils ont été instruits par les bons anges, puisqu'on adorant le Christ ils cherchaient leur salut. Or, comme le dit le pape saint Léon (Serm. Epipli. iv, cap. 3) : Indépendamment du signe extérieur qui leur a servi d'indice matériel, le rayon plus éclatant de la vérité a éclairé leur coeur; ce qui appartenait à l'illumination de la foi (2).

DE LA MANIFESTATION DE LA NAISSANCE DU CHRIST. 337


ARTICLE VI. — la naissance i)u christ a-t-elle été manifestée dans l'ordre convenable ?

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III Pars (Drioux 1852) 720