Jean de la Croix - Lettres, Avis 15

15. À la M. Éléonor de Saint-Gabriel, à Cordoue.\225

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Jésus soit en votre âme, ma fille en Christ. Je la26 remercie de sa lettre et Dieu de ce qu'il a voulu se servir d'elle en cette fondation, car Sa Majesté a fait cela afin qu'elle profitât davantage ; car plus il pense à nous donner, plus il nous fait désirer, jusqu'à ce qu'il nous rende tout à fait vides, afin que de la sorte il nous remplisse de ses dons. Les biens qu'elle laisse maintenant à Séville, l'amour de ses soeurs, seront bien payés, en effet puisqu'il n'y a que le coeur vide et solitaire qui soit capable des biens immenses de Dieu, pour cela, le Seigneur parce qu'il l'aime bien, veut qu'elle soit bien solitaire, avec le désir de lui tenir lieu de toute compagnie. Et il sera nécessaire que Votre Révérence applique son esprit à se contenter de lui seul avec elle afin qu'elle y trouve tout contentement; parce que bien que l'âme soit dans le ciel, si elle n'applique sa volonté à l'aimer, jamais elle ne sera satisfaite, et ainsi nous arrive-t-il avec Dieu (bien qu'il soit toujours avec nous) si nous avons notre coeur attaché à autre chose, et non seulement à Lui.

25 Infirmière de sainte Thérèse, Éléonor va fonder Séville avec elle. Puis Jean de la Croix la propose comme sous-prieure pour la fondation de Cordoue. Elle retournera comme prieure à Séville et entretiendra alors avec le Rouennais Jean de Brétigny une correspondance qui favorisera en 1604 le départ de six carmélites pour la France.
26 Mis pour: Votre Révérence.



Je ne doute point que celles de Séville ne sentent de la solitude sans la présence de Votre Révérence. Mais peut-être que Votre Révérence avait fructifié là autant qu'elle le pouvait et maintenant Dieu veut qu'elle fructifie ici, car cette fondation est des plus importantes. Aussi que Votre Révérence tâche d'aider beaucoup la M. Prieure avec grande concorde et amour en toutes les choses; bien que je n'ignore pas que ce soit chose superflue de recommander cela à Votre Révérence, puisque si ancienne et si expérimentée, elle sait ce qui a coutume d'arriver en ces fondations ; et c'est pourquoi nous avons choisi Votre Révérence, car les religieuses ne manquent pas par ici, mais ne conviennent pas.

À la soeur Marie de la Visitation, que Votre Révérence donne un grand souvenir, et à la soeur Jeanne de Saint-Gabriel que je remercie du sien. Que Dieu donne à Votre Révérence son esprit. De Ségovie et le 8 juillet de 89. - Fr. Jean de la +.

Adresse : À la M. Léonor de s. Gabriel, carmélite déchaussée à Cordoue.



16. À la M. Marie de Jésus, prieure des déchaussées de Cordoue (Autographe)

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[Ségovie, 28 juin 1589]

Jésus soit en votre âme. Vous êtes obligées de répondre au Seigneur à la mesure de l'applaudissement avec lequel vous avez été reçues dans le lieu où vous êtes, car j'ai été bien consolé d'en voir le récit. Que vous soyez entrées en des maisons si pauvres et avec de si fortes chaleurs, cela est arrivé par une spéciale providence de Dieu, pour que les gens soient édifiés et qu'ils comprennent ce que vous professez, qui est Christ dans le dénuement, pour que celles qui auront la vocation, sachent avec quel esprit elles doivent venir. Je vous envoie toutes les licences. Veillez beaucoup à ce que vous recevrez au début, parce que la suite lui sera conforme. Que toutes s'étudient à conserver l'esprit de pauvreté et le mépris de toutes choses, sinon qu'elles sachent qu'elles tomberont en mille nécessités spirituelles et temporelles ; voulant se contenter de Dieu seul. Sachez aussi que vous n'aurez ni n'expérimenterez d'autres nécessités que celles auxquelles volontairement vous assujettirez vos coeurs, vu que le pauvre d'esprit est plus constant dans la disette, parce qu'il a mis son tout dans le peu et dans le rien, et ainsi il trouve en tout l'amplitude du coeur. Heureux rien et heureuse cachette du coeur qui est de si grande vertu qu'il assujettit toutes choses, en ne voulant rien assujettir, et quitte tous soucis pour pouvoir s'embraser davantage d'amour.

Saluez de ma part toutes les soeurs dans le Seigneur, et dites-leur que, puisque Notre Seigneur les a choisies pour premières pierres, qu'elles veillent à ce qu'elles doivent être, car comme plus fortes elles doivent être le fondement des autres ; qu'elles fassent leur profit des prémices de cet esprit que Dieu donne dans les commencements, afin de prendre d'une manière toute nouvelle le chemin de perfection en toute humilité et détachement intérieur et extérieur, non avec un esprit puéril, mais avec une volonté robuste. Qu'elles embrassent la mortification et la pénitence, désirant que ce Christ leur coûte quelque chose, et n'étant pas comme ceux qui cherchent leur propre commodité et consolation, soit en Dieu, soit hors de Lui; mais plutôt cherchant à pâtir en Dieu, ou hors de Lui pour Lui en silence et espérance et amoureuse mémoire27. Dites cela à Gabrielle et à vos filles de Malaga, car j'écris aux autres, et que Dieu vous donne son esprit. Amen. - De Ségovie et 18 juillet 1589. - Fr. Jean de la +.

Le P. Fr. Antoine et les autres Pères se recommandent à vous. Que votre Révérence salue de ma part le P. Prieur de Guadalcâzar.

Adresse : Pour la M. Marie de Jésus, prieure du couvent de Sainte-Anne de Cordoue, des Carmélites déchaussées.


27 Comme chez saint Augustin, la mémoire chez Jean de la Croix est une faculté de l'esprit; elle est l'esprit qui domine le temps : passé, présent, futur. Fréquente dans la Bible, la mémoire du présent, comme ici, correspond à l'attention.



17. À la M. Madeleine de l'Esprit Saint, à Cordoue

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Jésus soit en votre âme, ma fille en Christ. Je me suis réjoui de voir les bonnes résolutions que vous montrez par votre lettre. Je bénis Dieu qui pourvoit à toutes les choses, car ces résolutions vous seront bien nécessaires en ces commencements de fondation, pour supporter chaleurs, incommodités, pauvretés et épreuves en tout, sans faire attention si vous souffrez ou non. Considérez que dans ces commencements Dieu ne cherche pas des âmes paresseuses, ni délicates, ni encore moins amoureuses de soi ; et pour cela Sa Majesté donne plus de secours en ces commencements de sorte qu'avec un peu de diligence on peut profiter en toute vertu. Et à la vérité ce fut un grand bonheur et un signe de Dieu de laisser les autres et de vous choisir, vous. Car bien que ce que vous laissez vous dût coûter beaucoup, ce n'est toutefois rien, en effet, car de toutes façons il fallait le quitter bientôt. Or afin que nous ayons Dieu en toutes choses, il faut que nous n'ayons rien en toutes choses ; car le coeur qui est à quelqu'un, comment peut-il être tout à un autre ?

Je dis la même chose à la soeur Jeanne et aussi qu'elle prie Dieu pour moi, qu'Il soit en votre âme. Amen. - De Ségovie et le 28 juin de 1589. - Fr. Jean de la +.


18. Au P. Nicolas de Jésus-Marie (Doria), vicaire général des Déchaussés\228\0.

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Jésus Marie soient avec votre Révérence. Nous sommes très heureux que votre Révérence soit arrivée en bonne santé et que tout aille si bien là-bas, ainsi que pour le seigneur Nonce. J'espère que Dieu veillera sur sa famille. Ici les pauvres vont bien et sont bien unis. Je tâcherai de terminer promptement l'affaire, comme Votre Révérence me l'a commandé, bien que jusqu'à présent ceux qui sont attendus ne soient pas arrivés.

28 Plus politique que spirituel, plus ascète que mystique, Doria, le banquier Génois, fit sa profession chez les déchaux à 38 ans. Provincial en 1584; vicaire général en 1588, chef universel de tout l'Ordre, avec six conseillers, c'est la Consulta dont Jean de la Croix est premier conseiller et premier définiteur. Jean s'opposera à lui quand il modifiera les Constitutions thérésiennes. Pour cela, Doria le persécutera.



Au sujet de la réception à Gênes29 de jeunes gens ignorant la grammaire, les Pères disent qu'il importe peu de ne pas la savoir, pourvu qu'ils entendent le latin avec la suffisance que demande le Concile, en sorte qu'ils sachent bien construire, et que si avec cela seulement on les ordonne là-bas, il semble qu'on pourra les recevoir. Mais si les Ordinaires de là-bas ne s'en contentent pas, il ne semble pas alors qu'il y ait la suffisance nécessaire exigée par le Concile ; et que ce serait difficile de devoir les faire venir par ici pour les ordonner ou les instruire ; et, à la vérité, nos Pères ne voudraient pas que passent par ici beaucoup d'Italiens.

Les lettres iront au P. Fr. Nicolas, comme Votre Révérence le dit, que Notre Seigneur nous la garde, comme Il voit que nous en avons besoin. - De Ségovie et 21 septembre de 89. - Fr. Jean de la +.

29 En 1584, Doria avait fondé à Gênes le premier couvent italien.


19. À Dona Juana de Pedraza, à Grenade (Autographe).

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Jésus soit en votre âme. Et merci à Lui de ce qu'il m'a fait la grâce de ne pas oublier les pauvres, comme vous dites, et de ne pas les laisser dans l'ombre, comme vous le dites ; je serais enragé de penser que vous croyez réellement ce que vous dites. Car ce serait trop mal de ma part après tant de témoignages que j'ai reçus de vous lorsque je le méritais moins. Il ne me manquait plus maintenant que de vous oublier. Considérez ce qui peut se passer en l'âme dans l'état où vous êtes. Comme vous marchez dans les ténèbres et dans le vide de la pauvreté spirituelle, vous pensez que tous et tout vous abandonnent; mais ce n'est pas étonnant, puisqu'il vous semble aussi que Dieu vous ait abandonnée. Mais en réalité vous n'êtes pas délaissée, et il n'y a aucune nécessité d'en parler et même je vous dis qu'il n'y a rien à dire et que vous ne sauriez rien dire et ne trouverez rien, parce que toutes ces choses ne sont que des soupçons sans fondement.

Celui qui ne veut rien d'autre que Dieu, ne marche point dans les ténèbres, même s'il se voit très à l'obscur et pauvre ; et celui qui ne cherche point l'estime et les goûts personnels, ni en Dieu ni dans les créatures, et qui n'obéit en rien à sa volonté propre, n'a pas à trébucher ni à consulter. Vous êtes dans la bonne voie, laissez-vous conduire et réjouissez-vous. Car qui êtes-vous pour avoir soin de vous ? Vous auriez un beau résultat. Jamais vous n'avez été dans un meilleur état que celui auquel vous êtes maintenant, parce que jamais vous n'avez été si humiliée ni si soumise, jamais vous n'avez fait si peu d'estime de vous et de toutes les choses du monde ; ni vous ne vous connaissiez si mauvaise, ni Dieu si bon, ni vous ne serviez Dieu si purement et avec un esprit si désintéressé, comme vous le faites à présent, ni non plus vous n'allez à travers les imperfections de votre volonté et de votre intérêt comme sans doute vous aviez l'habitude.

Que voulez-vous donc ? Quelle existence ou quelle façon d'agir imaginez-vous en cette vie? Que croyez-vous que ce soit que servir Dieu, sinon ne pas faire le mal, en gardant ses commandements et aller en ses affaires autant que nous le pourrons ? Puisque vous avez cela, qu'avez-vous besoin d'autres connaissances ou d'autres lumières ou d'autres sucs d'ici ou de là, où ordinairement ne manquent jamais les pierres d'achoppement et les périls pour l'âme, qui par ses compréhensions et appétits se trompe et se leurre et ses propres puissances la font errer? Et ainsi c'est un grand don de Dieu quand il les obscurcit et rend l'âme si pauvre qu'elle ne puisse errer par elles. Si en cela on ne commet point d'erreur, qu'y a-t-il à désirer, que d'aller par le chemin uni de la loi de Dieu et de l'Église, et de vivre seulement en vraie et obscure foi, en espérance certaine et charité entière, et ainsi d'attendre nos biens en l'autre vie, vivant ici-bas comme des pèlerins, des pauvres, des exilés, des orphelins, dans la sécheresse, sans chemin et sans rien, espérant tout de l'autre vie?

Réjouissez-vous et ayez confiance en Dieu, qui vous a donné des signes, montrant que vous pouvez très bien et même devez le faire ; autrement ce ne sera pas surprenant si Dieu s'indigne en vous voyant si sotte, puisqu'Il vous conduit par ce qui convient le mieux, et qu'il vous a mise en un état si sûr. Ne désirez rien d'autre que cette manière, et pacifiez votre âme, qui est bonne ainsi, et communiez comme d'habitude. La confession, quand vous aurez quelque chose de précis et il n'est pas nécessaire que vous en parliez par ailleurs. Quand quelque chose vous tracassera écrivez-le moi ; et écrivez-moi vite, et plus souvent, par l'intermédiaire de D. Ana30, quand vous ne le pourrez par les religieuses.

Je me suis trouvé un peu mal ; je me porte bien maintenant ; mais Fr. Jean Évangéliste est malade. Recommandez-le à Dieu, et moi aussi, ma fille dans le Seigneur. De Ségovie et 12 octobre de 1589. Frère Jean de la +.

Adresse : À dona Juana de Pedraza, en la maison de l'archidiacre de Grenade, en face du Collège des Abades.

30 Dona Ana de Penalosa, qui a demandé à Jean d'écrire le Commentaire de la Vive Flamme.


20. À une carmélite qui souffrait de scrupules (Autographe)

20 [date incertaine]

Jésus Marie.

En ces jours-ci employez-vous intérieurement au désir de la venue de l'Esprit Saint, et en la Pâque31 et après, à sa continuelle présence ; et que le soin et l'estime de cette présence soient si grands que vous ne fassiez pas cas d'autre chose, que vous n'y jetiez pas les yeux, soit peines ou autres souvenirs pénibles. Et tous ces jours, y eût-il des fautes en la maison, passez outre pour l'amour de l'Esprit Saint et pour ce qui est dû à la paix et à la quiétude de l'âme dans laquelle il lui plaît de demeurer.

31 La Pâque d'été, c'est-à-dire la Pentecôte.



Si vous pouviez en finir avec vos scrupules, il serait, à mon avis, préférable pour votre paix de ne pas vous confesser ces jours-ci ; mais quand vous le ferez, que ce soit de cette manière:

Concernant les attentions intérieures et pensées, qu'elles portent soit sur des jugements, soit sur des objets ou représentations désordonnées et tous autres mouvements qui arrivent sans que l'âme y consente ni les admette, et sans qu'elle veuille s'y arrêter avec advertance32, ne les confessez pas, n'en faites pas cas, ne vous en souciez pas, car il est préférable de les oublier quelle que soit la peine qu'ils donnent à l'âme. Tout au plus pourrez-vous dire d'une manière générale l'omission ou le relâchement qu'il y aurait peut-être eu par rapport à la pureté et à la perfection que vous devez avoir dans les puissances intérieures : mémoire, entendement et volonté.

32 Attention que le pécheur porte à son péché.



Concernant les paroles, le verbiage et le peu de circonspection peut-être apporté pour parler selon la vérité et la rectitude et la nécessité et la pureté d'intention.

Concernant les oeuvres, le manque de finalité droite et unique qui est Dieu seul, sans aucune autre considération. Et vous confessant de cette manière, vous pouvez être satisfaite, sans confesser rien d'autre en particulier, quelque guerre qu'on vous fît. Vous communierez pour cette Pâques outre les jours habituels. Quand il se présentera quelque insipidité ou dégoût, souvenez-vous de Christ crucifié et taisez-vous.

Vivez en foi et espérance, bien que ce soit dans l'obscurité vu qu'en ces ténèbres Dieu protège l'âme. Jetez votre souci en Dieu car Il a souci de vous ; Il ne vous oubliera pas. Ne pensez pas qu'Il vous laisse seule, ce serait Lui faire injure.

Lisez, priez, réjouissez-vous en Dieu, votre bien et votre salut; qu'il vous le donne et le conserve tout entier, jusqu'au jour de l'éternité. Amen. - Fr. Jean de la +.



21. À la M. Marie de Jésus, prieure des déchaussées de Cordoue (Autographe)

21
Jésus soit en votre âme, ma fille en Christ. La cause pour laquelle je ne vous ai point écrit tout le temps que vous me dites, doit être attribuée plus à la distance comme l'est celle de Ségovie, qu'au peu de volonté, car elle est toujours la même et j'espère en Dieu qu'elle le sera. J'ai compassion de vos maux.

Quant au temporel de cette maison, je ne voudrais pas que vous en ayez tant de sollicitude, car il arrivera que Dieu l'aura en oubli et vous souffrirez une grande nécessité temporelle et spirituelle, parce que c'est notre sollicitude qui nous contraint. Jetez, fille, votre souci en Dieu et il vous nourrira, celui qui donne et qui veut donner le plus, ne peut manquer dans le moins. Veillez à ne pas manquer du désir de ce qui manque et d'être pauvre, car à la même heure vous manquera l'esprit et vous vous relâcherez dans les vertus. Que si avant vous désiriez être pauvre, maintenant que vous êtes supérieure vous devez le désirer et aimer beaucoup plus ; car la maison, vous devez la gouverner et la pourvoir plus avec vertus et vifs désirs du ciel qu'avec sollicitudes et projets du temporel et de la terre ; car nous dit le Seigneur que ni de la nourriture ni du vêtement ni du jour de demain nous ne nous souvenions (
Mt 6,25). Ce que vous devez faire c'est de vous efforcer d'amener votre âme et celles de vos religieuses en toute perfection et religion unies avec Dieu, oublieuses de toute créature et de leur considération, devenues toutes en Dieu et joyeuses en Lui seul, et moi, je vous garantis tout le reste; mais penser que désormais les autres maisons vous donneront quelque chose, alors que vous êtes en un si bon lieu comme celui-ci et que vous recevez de si bonnes religieuses, je le tiens pour difficile ; cependant si j'en vois la moindre possibilité, je ne manquerai pas de faire ce que je pourrai.

Je souhaite à la mère Sous-Prieure beaucoup de consolation. J'espère dans le Seigneur que cela lui arrivera si elle s'anime à porter son pèlerinage et son exil en amour pour lui. Je lui écris ici. À mes filles Madeleine, Saint-Gabriel et Marie de Saint-Paul, Marie de la Visitation, Saint-François et toutes, beaucoup de mes salutations en notre Bien, qu'il soit toujours en votre esprit, ma fille. Amen. - De Madrid et 20 juin de 1590. - Fr. Jean de la +.

Bientôt vous me verrez à Ségovie à ce que je crois.



22. À la M. Éléonore de Saint-Gabriel, à Cordoue (Autographe)

22
Jésus soit en votre âme ma fille en Christ. Avec votre lettre j'ai compati à votre peine et j'en suis attristé pour le dommage qu'elle peut vous faire à l'esprit et même à la santé. Cependant sachez qu'il ne me paraît pas à moi y avoir sujet à une peine pareille, car pour ce qui est de notre Père je ne lui vois aucun sujet de fâcherie à votre égard, ni même le souvenir d'une telle chose; et en eût-il, votre repentir actuel le lui aurait fait oublier, et s'il en restait quelque chose, je prendrai volontiers soin d'en parler. N'ayez aucune peine et n'y attachez pas d'importance, car il n'y a pas de quoi. En réalité je suis persuadé que c'est une tentation du démon, qui vous le rappelle à la mémoire, pour que ce qui devrait être occupé en Dieu soit occupé en cela. Ayez courage, ma fille, et donnez beaucoup à l'oraison, oubliant ceci et le reste, puisque après tout nous n'avons pas d'autre bien ni appui ni conseil sinon celui-là33... De Madrid et juillet...

Adresse : À la M. Éléonore de Saint-Gabriel, supérieure des carmélites déchaussées de Cordoba.

33 Nous ne pouvons traduire les quelques lignes suivantes, le texte ayant été découpé pour le mettre dans un reliquaire.



23. À une dirigée

23
[date incertaine]

Avez-vous vu, fille, qu'il est bon de n'avoir point d'argent, qui nous vole et nous trouble, et que les trésors de l'âme, eux aussi soient cachés et en paix, au point même que nous les ignorions et que nous ne les apercevions même pas nous-mêmes? Car il n'y a pire larron que celui qui est à l'intérieur de la maison. Que Dieu nous délivre de nous-mêmes. Qu'il nous donne ce qui lui plaira et que jamais Il ne nous le montre, jusqu'à ce qu'il le veuille. Car, enfin, celui qui thésaurise par amour, thésaurise pour un autre, et il est bon que celui-ci le garde et en jouisse, puisque tout est pour lui ; et il est bon que nous autres, nous ne le voyions de nos yeux, ni n'en jouissions, de peur que nous ne déflorions la joie que Dieu trouve dans l'humilité et le dénuement de notre coeur et le mépris, pour Lui, des choses du monde.

C'est un trésor bien manifeste et de grande joie, de voir que l'âme cherche à lui faire manifestement plaisir, sans s'occuper des fous de ce monde qui ne savent rien garder pour plus tard.

Les messes seront dites et j'irai de bon coeur, si on ne m'avise pas. Dieu vous garde. - Fr. Jean de la Croix.


24. Au P. Jean de Sainte-Anne (fragment)

24
[Ségovie, date incertaine]

Si en un temps, mon frère, quelqu'un voulait vous persuader, qu'il soit prélat ou non, une doctrine plus large et plus légère, ne la croyez pas ni ne l'embrassez, même s'il la confirmait par des miracles ; mais plutôt pénitence et encore pénitence et détachement de toutes choses ; et si vous voulez parvenir à posséder Christ, ne le cherchez jamais sans la croix.



25. Critique et avis que le bienheureux Père donna sur l'esprit et la manière de procéder en l'oraison d'une religieuse de notre Ordre, les voici.

25
En ce mode affectif que pratique cette âme il semble qu'il y ait cinq défauts qui empêchent de le juger comme d'un esprit véritable:

Le premier, qu'elle paraît se conduire en grande gourmandise spirituelle de propriété, et l'esprit véritable se conduit toujours en grand dénuement dans l'appétit.

Le second, qu'elle a trop de confiance et trop peu de méfiance d'errer intérieurement, sans laquelle ne va jamais l'esprit de Dieu pour garder l'âme du mal, comme dit le Sage.

Le troisième, il semble qu'elle ait envie de persuader que ce qu'elle reçoit est bon et fort important; ce qui n'est pas du véritable esprit, car au contraire il désire que l'on fasse peu de cas de lui et qu'on le méprise, comme il le fait lui-même.

Le quatrième et principal, dans la manière dont l'âme se conduit on ne trouve pas les effets de l'humilité ; quand les grâces sont véritables, comme elle le prétend ici, ordinairement elles ne se communiquent jamais à l'âme sans d'abord l'anéantir, l'annihiler dans l'abaissement intérieur de l'humilité. Si cette âme ressentait ces effets, elle ne manquerait pas d'en noter quelque chose ici, elle en dirait même beaucoup, car ces effets d'humilité sont les premiers que l'âme pense à dire et à estimer. ils opèrent d'ailleurs si puissamment qu'elle ne peut les dissimuler. Bien que ces effets n'apparaissent pas aussi notables dans toutes les connaissances qui viennent de Dieu, cependant ils ne font jamais défaut en celles que cette âme appelle ici union. Quoniam antequam exaltetur anima humiliatur (
Pr 18,12), et: Bonum mihi, quia humiliasti me (Ps 118,71)34.

Le cinquième, est que le style et le langage employés ici ne correspondent pas à l'esprit dont elle se prétend animée ; car ce même esprit enseigne un style plus simple et sans affectations ni exagérations, comme le comporte celui-ci; et tout ce qu'elle prétend: « qu'elle a dit à Dieu » et « que Dieu lui a dit », tout cela paraît n'être qu'extravagance.

Ce que je conseillerais, c'est de ne pas commander ni de permettre à cette religieuse d'écrire quoi que ce soit de tout ceci ; que le confesseur ne se montre pas disposé à l'écouter de bon gré, si ce n'est pour abaisser et mépriser ce qu'elle lui dira; qu'on l'éprouve dans la pratique des vertus, sèchement, spécialement dans le mépris, l'humilité et l'obéissance. Au son que rendra cette âme sous cette touche, on verra la douceur que tant de faveurs ont dû produire en elle, et les épreuves doivent être de bonnes épreuves, car il n'y a pas de démon qui, pour son honneur, ne souffre quelque chose.

34 Avant d'être élevé, l'âme est humiliée. — C'est un bien pour moi que d'être humilié.



26. À la M. Anne de Jésus à Ségovie

26
Jésus soit en votre âme. Je vous remercie beaucoup de ce que vous m'avez écrit, ce dont je me tiens bien plus obligé envers vous que je ne le faisais. Les choses ne sont pas arrivées comme vous le désiriez35, ce devrait être plutôt un sujet de consolation et de beaucoup d'actions de grâces à Dieu, puisque Sa Majesté l'a ordonné ainsi, c'est ce qui convient le mieux à tous. il ne nous reste qu'à y appliquer notre volonté pour que, comme il est vraiment, cela paraisse ainsi. Parce que les choses qui nous déplaisent, pour bonnes et convenables qu'elles soient, nous paraissent mauvaises et défavorables, or il est évident que celle-ci n'est point mauvaise ni pour moi ni pour personne; car pour moi c'est un grand bonheur puisque avec l'aide de Dieu, librement et sans charge d'âmes, je puis, si je veux, jouir de la paix, de la solitude et du fruit délectable de l'oubli de moi-même et de toutes choses, et quant aux autres cela leur sera encore utile si je suis éloigné d'eux, car ainsi ils seront délivrés des fautes qu'ils auraient commises à cause de ma misère.

Ce que je vous demande, fille, est de demander au Seigneur que de toutes manières il achève de me faire cette grâce, car je crains encore qu'on ne m'envoie à Ségovie et que je ne sois point entièrement libre de toutes choses, bien sur autant que je le pourrai, je tâcherai de me libérer aussi de cela. Si cela ne pouvait être, néanmoins la mère Anne de Jésus ne sera pas délivrée de mes mains, comme elle le pense ; d'où vient qu'elle ne mourra point désolée de ce que, comme elle pense, l'occasion lui manquera d'acquérir une grande sainteté. Mais soit que je m'en aille, soit que je demeure ici, en quelque lieu qu'on m'envoie et en quelque condition que je sois, je ne vous oublierai point ni ne vous tiendrai pas quitte de tout compte comme vous dites, car je désire pour de vrai votre bien pour toujours.

En attendant que Dieu nous en fasse jouir dans le ciel, exercez-vous avec persévérance en l'exercice des vertus de mortification et de patience, désirant vous rendre par la souffrance semblable en quelque sorte à notre grand Dieu humilié et crucifié ; car cette vie, si elle n'est pas pour l'imiter, n'est pas bonne. Que Sa Majesté conserve et augmente en vous son amour, comme en sa sainte aimée. - De Madrid et le 6 juillet de 1591. - Fr. Jean de la +.

35 Au chapitre de Madrid de 1591, on s'attendait à voir confier un poste important à Jean. Pour s'être opposé à Doria, il fut envoyé comme simple religieux au désert de la Penuela, et persécuté.



27. À la M. Marie de l'Incarnation, à Ségovie\236

27
[Madrid, 6 juillet 1591]

... Pour ce qui me concerne, fille, ne vous mettez point en peine car cela ne m'en fait aucune à moi. Mais ce qui me peine beaucoup est que l'on rejette la faute sur qui est innocent ; car ces choses, ce ne sont pas les hommes qui les font, mais Dieu, qui sait ce qui nous convient et dispose tout pour notre bien. Ne pensez pas autrement, sinon que Dieu dispose tout; et là où il n'y a pas d'amour, mettez de l'amour et vous recueillerez de l'amour.

36 Elle est alors prieure. Avant le chapitre de Madrid, elle dit à Jean de la Croix que peut-être il en sortirait provincial. Il répondit: « On me jettera dans un coin comme une vieille guenille, comme un vieux chiffon de cuisine ».



28. À D. Ana del Mercado y Penalosa\237

28
Jésus soit en votre âme. Quoique je vous ai écrit via Baeza pour vous raconter mon voyage, je me suis réjoui de ce que le passage de ces deux domestiques du sieur don Francisco me permette d'écrire ces lignes qui vous parviendront plus sûrement. Je vous disais que j'avais voulu rester dans ce désert de la Penuela, six lieues avant Baeza, où je suis arrivé voici bientôt neuf jours. Je m'y trouve très bien, gloire au Seigneur, et je me porte bien ; car la grande étendue du désert aide beaucoup l'âme et le corps, quoique l'âme se trouve bien pauvre. Le Seigneur doit vouloir que l'âme ait aussi son désert spirituel. À la bonne heure ! comme il lui plaira le mieux, car Sa Majesté sait bien ce que nous sommes par nous-mêmes. J'ignore combien cela durera car de Baeza le père Antoine de Jésus me menace de ne me laisser ici que peu de temps. En tous cas, je me trouve fort bien sans rien savoir, et l'expérience du désert est admirable.

Ce matin, nous nous sommes déjà mis à cueillir nos pois chiches et continuerons les matinées. Un autre jour nous les battrons. Il est beau de manier ces créatures muettes, c'est bien meilleur que d'être manié par les vivantes. Que Dieu me donne de m'en tirer bien. Demandez-le-lui, ma fille. Mais tout heureux que je suis, je ne manquerai pas de m'en aller quand vous le voudrez.

Ayez soin de votre âme et ne confessez ni les scrupules ni les premiers mouvements, ni les simples regards sur les choses où l'âme ne veut pas s'arrêter; faites attention à votre santé et ne manquez pas l'oraison chaque fois que vous pourrez la faire.

Je vous ai déjà dit dans l'autre (celle-ci dût-elle vous parvenir la première) que vous pouvez m'écrire par Baeza, parce qu'il y a un courrier, en adressant les lettres aux Pères déchaussés de là-bas ; je leur ai demandé de me les envoyer.

Au sieur don Luis et à ma fille dona Inés38, dites mes compliments. Que Dieu vous donne son esprit, amen, comme je le désire. - De la Penuela et 19 août de 1591. - Fr. Jean de la +.

37 Ana a perdu son mari, puis sa fille unique ; elle élève une nièce. Riche et généreuse, avec son frère, elle a accueilli à Grenade les carmélites conduites par Anne de Jésus et Jean de la Croix. Dirigée par lui, elle lui demandera d'écrire le commentaire de la Vive Flamme. Elle fera transférer son corps d'Ubeda à Ségovie.
38 Don Luis : le frère d'Ana. Dona Inés : la fille de don Luis et donc la nièce d'Ana qu'elle élève.



29. À une personne inconnue

29
Que Dieu nous donne une intention droite en toutes choses et fasse que nous n'admettions pas sciemment de péché : de cette manière quoique les attaques soient nombreuses et de bien des sortes, vous irez en sécurité et tout contribuera à votre couronne. Transmettez mes saluts à votre soeur et un grand souvenir dans le Seigneur à Isabelle de Soria, je me suis étonné de ce qu'elle ne soit pas à Jaén, puisqu'il y a là un monastère. Que le Seigneur soit en votre âme, ma fille en Christ. - De La Penuela et 22 août de 1591. -Fr. Jean de la +.



30. À la M. Ana de San Alberto, prieure de Caravaca

30
[La Penuela, 1591]

Vous savez, fille, les épreuves que nous souffrons actuellement. Dieu le permet pour la gloire de ses élus. Dans le silence et l'espérance sera notre force (
Is 30,15). Dieu vous garde et vous fasse sainte. Recommandez-moi à Dieu.



31. À une religieuse de Ségovie

31
[date imprécise de ces mois]

Aimez beaucoup ceux qui vous contredisent et ne vous aiment pas, car en cela naît l'amour dans le coeur où il est absent; comme Dieu fait avec nous, qui nous aime pour que nous l'aimions grâce à l'amour qu'il a pour nous.



32. Au P. Jean de Sainte-Anne £[La Penuela, 1591.]

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. Fils, que cela ne vous fasse point de peine, car l'habit on ne peut me l'enlever que si je suis incorrigible ou désobéissant, or je suis tout disposé à me corriger de toute erreur et à me soumettre à quelque pénitence que l'on me donne.



33. À dona Ana del Mercado y Penalosa, à Ségovie (Autographe)

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Jésus soit en votre âme, ma fille en Christ: J'ai reçu ici, à la Penuela le pli de lettres que m'a apporté votre serviteur. Je suis très touché de votre sollicitude. Demain je pars pour Ubeda pour y soigner quelques petites fièvres, car comme il y a plus de huit jours qu'elles m'éprouvent chaque jour et ne me quittent, il me semble que j'aurai besoin du secours de la médecine; mais avec l'intention de revenir bientôt ici, car, c'est sûr, dans cette sainte solitude je me trouve très bien. Quant à ce que vous me dites, de me garder d'aller avec le père frère Antoine, soyez assurée que de cela et de tout le reste qui demanderait du souci, je me garderai autant que je le pourrai.

Je me suis beaucoup réjoui que le sieur don Luis soit maintenant prêtre du Seigneur. Que ce soit pour de longues années, et que Sa majesté exauce les désirs de son âme. Oh ! Quel bon état que celui-là pour abandonner les soucis et enrichir rapidement son âme! Présentez-lui les félicitations de ma part; je n'ose lui demander qu'un jour, quand il sera au sacrifice39, il se souvienne de moi ; mais moi, comme débiteur, je le ferai toujours, car bien que je perde facilement la mémoire, pour ce qu'il est si proche de sa soeur, que j'ai toujours présente à la mémoire, je ne pourrai manquer de me souvenir de lui.

À ma fille dona Inès présentez toutes mes salutations dans le Seigneur; priez-le toutes deux qu'il Lui plaise de me disposer pour qu'il me prenne avec Lui. Je ne me souviens plus d'autre chose à écrire, et puis à cause de la fièvre, je m'arrête, et pourtant j'aurais aimé m'étendre. - De la Penuela et 21 septembre de 1591. - Fr. Jean de la +.

Vous ne m'écrivez rien du procès, s'il se poursuit ou s'il est arrêté.

39 De la messe.







Jean de la Croix - Lettres, Avis 15