Discours 1980 - Abidjan, Dimanche 11 mai 1980

  VISITE DE JEAN-PAUL II À LA LÉPROSERIE DE ADZOPÉ

Adzopé (Côte d'Ivoire), Lundi 12 mai 1980




Chers amis,

1. Je viens vous rendre visite, et d’abord vous saluer, tous et chacun, avec respect, avec affection.

C’est l’Évêque de Rome qui vient à vous, c’est-à-dire le Chef spirituel de la communauté catholique de Rome. Mais il a en même temps la charge d’être le Centre d’unité entre les chrétiens du monde entier, d’être leur Pasteur, comme les pasteurs de troupeau qui n’oublient aucune brebis.

Dans cette léproserie, tous ne sont pas catholiques; je respecte leurs sentiments religieux, leur façon de s’adresser à Dieu, selon leur conscience. Car personne n’est dispensé de se tourner vers Dieu; et comment l’oublier quand la misère nous étreint? Mais je crois que j’ai une bonne parole pour tous. Car le Christ Jésus, le Fils de Dieu, que je sers et que je représente parmi vous, s’est arrêté avec prédilection devant la souffrance humaine, la maladie, l’infirmité, et surtout l’infirmité qui met un peu à l’écart des autres, comme la lèpre, et qui crée ainsi une double souffrance.

Certes, il est venu pour tous, afin que tous, grands et petits, riches ou pauvres, justes et pécheurs, sachent que le Royaume de Dieu leur était ouvert, que l’Amour de Dieu était sur eux, que la vie de Dieu leur était destinée, moyennant la foi et la conversion.

Le Pape aussi s’adresse à tout le peuple et, s’il rencontre spécialement les chefs spirituels et civils, c’est parce que leurs responsabilités sont plus vastes, pour le bien d’un grand nombre. Mais je faillirais à ma mission si je ne passais pas un temps appréciable avec ceux que Jésus aimait particulièrement, à cause de leur misère, parce qu’ils avaient besoin de réconfort, de soulagement, de guérison, d’espérance. J’ai donc voulu que ma visite ultime en Afrique soit pour vous. Et à travers vous, je visite en esprit et j’embrasse tous les autres lépreux et infirmes de ce pays, et de toute l’Afrique.

2. Grâce à la médecine, grâce au zèle d’admirables pionniers, grâce au dévouement quotidien de nombreux infirmiers et infirmières, d’amis de toute sorte qui vous aident, parmi lesquels beaucoup de religieux, grâce aussi aux responsables civils qui ont favorisé cette prise en charge, on a pu améliorer votre sort; non seulement votre santé, mais votre environnement, en vous permettant souvent de vivre comme dans un village, en famille.

Maintenant la lèpre ne fait plus peur comme avant, surtout si on la dépiste et si on la soigne assez tôt. Je me joins à vous pour remercier tous ces amis des lépreux, qui vous consacrent leur vie. Sans le savoir peut-être ou sans le croire, ils sont exactement ce que le Christ a demandé. Que Dieu les soutienne et les récompense!

3. Mais je suis sûr aussi qu’ils reçoivent de vous des consolations. Non seulement parce que vous les aimez, mais parce qu’ils admirent votre patience, votre sérénité, votre courage, la solidarité qui vous lie entre vous, le sens familial que vous gardez. Car vous n’êtes pas seulement des assistés: vous vous prenez en charge, vous faites tout pour vivre, pour marcher, pour travailler, avec les moyens pauvres, avec les membres handicapés que la maladie vous laisse. Cet espoir est beau.

J’en suis moi-même ému. Ce désir de vivre plaît à Dieu, et je vous souhaite de le développer. Vous êtes, pourrait-on dire, vos propres médecins.

4. Mais je ne viens pas seulement pour vous donner cet encouragement humain. Je viens pour confirmer ce que des prêtres, des soeurs, des laïcs chrétiens vous ont sans doute déjà dit: dans votre misère, Dieu vous aime. Ce mal ne correspond pas à son dessein d’amour. Et vous-mêmes n’en portez nullement la faute. N’y voyez pas une fatalité. Voyez-y seulement une épreuve.

Le Christ que nous adorons a subi lui-même une épreuve, celle de la Croix, une épreuve qui l’a défiguré, et cela sans aucune faute de sa part. Il s’en est remis à Dieu, son Père. Il s’est tourné vers Lui pour demander aussi la délivrance. Mais il a accepté; il a offert. Et sa souffrance est devenue pour d’innombrables hommes, pour vous, pour moi, une cause de salut, de pardon, de grâce, de vie.

C’est un grand mystère que cette solidarité dans la souffrance. C’est le coeur de notre religion. Ceux qui sont chrétiens comprennent mon langage. Votre souffrance, accueillie, portée avec patience, amour des autres, offerte à Dieu, devient source de grâce, pour vous auxquels le Seigneur réserve son paradis, et pour beaucoup d’autres. Vous pouvez aussi prier pour moi, et pour tous ceux qui me confient leur misère.

Que Dieu vous aide! Que Dieu vous donne la paix!

5. Je me tourne maintenant vers ceux d’entre vous qui ont ouvert leur âme à la foi en Jésus-Christ Sauveur et qui ont reçu le baptême et la confirmation, après une longue préparation. Quelle grâce! Ils sont visiblement agrégés à la famille des chrétiens, l’Église. Après avoir renoncé au démon et à ses séductions et proclamé leur foi, ils ont reçu eux aussi, comme nous, avec le pardon de leurs péchés, la vie du Christ, pour avoir part à son sacrifice et à sa résurrection. L’amour de Dieu est répandu dans leur coeur par l’Esprit Saint. Ils pourront recevoir en nourriture le Pain sacré qui est le Corps du Christ. Ils sont habités par Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Et ils deviendront à leur tour les témoins de l’amour du Christ pour leurs frères souffrants

Que Dieu vous bénisse, chers fils et filles! Qu’il bénisse tous les habitants de cette léproserie! Qu’il bénisse tous vos frères qui souffrent de la lèpre ainsi que leurs familles, leurs amis et ceux qui les assistent!

 

AU DÉPART DE L'AFRIQUE

Abidjan (Côte d'Ivoire), Lundi 12 mai 1980



1. Au terme de ma visite dans la République de Côte d Ivoire, c’est le coeur chargé de reconnaissance que je m’adresse une dernière fois à vous, Monsieur le Président, et, à travers vous, à tout le Peuple Ivoirien. Merci, oui, merci de votre accueil vraiment inoubliable, de la chaleur des rencontres, du climat fervent et amical qui a marqué tous les contacts. Merci d’avoir compris le caractère particulier que je souhaitais donner à ce séjour, comme il convenait à ma mission spirituelle de service universel. Merci de votre joie. La mienne a été plus grande encore. Je ressens l’honneur que vous m’avez fait. Je mesure aussi vos efforts pour réserver à votre invité une hospitalité digne de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique. De tout cela je conserverai toujours le souvenir, je vous le promets.

En particulier, je remercie les autorités pour l’honneur qu’elles m’on faite de donner mon nom à une rue de la ville d’Abidjan et à la grande place de Yamoussoukro.

C’est un geste délicat dont j’espère qu’il contribuera à tenir vivant non seulement le souvenir de ma visite mais surtout de mon estime et de mon affection pour tout le Peuple ivoirien.

Je me réjouis aussi d’avoir eu l’occasion de bénir la première pierre de la cathédrale d’Abidjan et de l’Église de Notre-Dame d’Afrique. Un lien personnel c’est ainsi établi entre le Pape et ces deux églises. J’ose espérer que tous ceux qui y prieront, n’oublieront pas de prier aussi pour l’Église universelle... et pour moi!

Le déplacement, hier, en dehors de la capitale, que j’ai entrepris, pour rencontrer la jeunesse de ce Pays, a été pour moi une expérience de joie, et une heure d’espérance pour l’avenir de ce cher Pays.

2. A Monseigneur Bernard Yago, à mes frères évêques et à tous les catholiques du pays, alors qu’il faut bien leur dire au revoir, puis-je confier une certaine nostalgie naissante? Celle d’avoir vu des communautés vivantes, pleines d’enthousiasme et d’imagination, et de devoir maintenant les quitter... L’imagination est une vertu à laquelle on songe trop peu. Mais vous savez en faire preuve pour trouver, dans le contexte qui est le vôtre, les voies adaptées de l’évangélisation. Vous donnez ainsi un exemple qui pourra servir à encourager d’autres Conférences épiscopales et d’autres Églises locales. Cela vous crée un même temps comme une obligation morale, au nom de la solidarité des membres du Corps du Christ, qui est que tous, clergé, religieux et religieuses, laïcat, cherchent à purifier encore leur témoignage pour le rendre sans cesse plus conforme à ce que le Seigneur en attend. Je vous exprime mon espoir en même temps que ma profonde satisfaction.

3. Adieu maintenant, ô toi l’Afrique, ce continent si aimé déjà et qu’il me tardait, depuis mon élection au Siège de Pierre, de découvrir et de parcourir. Adieu aux Peuples qui m’ont reçu, et à tous les autres auxquels j’aimerais tellement un jour; si la Providence le permet, porter personnellement mon affection. J’ai appris beaucoup de choses pendant ce périple. Vous ne pouvez savoir combien il fut instructif. A mon tour, je voudrais laisser aux Africains un message jailli du coeur, médité devant Dieu, exigeant parce que venant d’un ami pour ses amis.

L’Afrique m’a paru un vaste chantier, à tous points de vue, avec ses promesses et aussi, peut-être, ses risques. Où que l’on aille, on admire une entreprise considérable en faveur du développement et de l’élévation du niveau de vie, en faveur de progrès de l’homme et de la société. Le chemin est long à parcourir. Les méthodes peuvent être différentes et se révéler plus ou moins adaptées. Mais le désir d’avancer est indéniable. Déjà, des résultats sensibles ont été obtenus.

L’instruction se répand, des maladies jadis mortelles sont vaincues, des techniques nouvelles sont mises en route, on commence à savoir lutter contre certains obstacles naturels. On éprouve davantage aussi la valeur des richesses propres à l’âme africaine, et cela suscite la fierté.

Parallèlement, l’accession à la souveraineté nationale et son respect semblent faire l’objet des aspirations de tous.

Il y a là un patrimoine original, qu’il faut absolument sauvegarder et promouvoir harmonieusement. Il n’est pas facile de maîtriser pareil bouillonnement, de faire que les forces vives servent au développement authentique. La tentation est grande en effet de démolir au lieu de construire, de se procurer à grand prix des armes pour des populations qui ont besoin de pain, de vouloir s’approprier le pouvoir - fût-ce en entraînant des ethnies contre d’autres, dans des luttes fratricides et sanglantes - alors que les pauvres soupirent après la paix, ou encore de succomber à l’ivresse du profit au bénéfice d’une classe de privilégiés.

Ne tombez pas, chers frères et soeurs Africains, dans cet engrenage désastreux, qui n’a vraiment rien à voir ni avec votre dignité de créatures de Dieu, ni avec ce dont vous êtes capables. Vous n’avez pas à imiter certains modèles étrangers, basés sur le mépris de l’homme ou sur l’intérêt. Vous n’avez pas à courir après des besoins artificiels qui vous donneront une liberté illusoire ou qui vous mèneront à l’individualisme, alors que l’aspiration communautaire est si fortement chevillée en vous. Vous n’avez pas non plus à vous leurrer sur les vertus d’idéologies qui vous font miroiter un bonheur complet toujours remis à demain.

Soyez vous-mêmes. Je vous assure: vous pouvez, vous qui êtes si fiers de vos possibilités, donner au monde la preuve que vous êtes capables de résoudre vous-mêmes vos problèmes propres, avec l’assistance humanitaire, économique et culturelle qui vous est encore utile et qui n’est que justice, mais en veillant à orienter tout cela dans la bonne direction.

Une éthique personnelle et sociale est nécessaire si vous voulez y parvenir. L’honnêteté, le sens du travail, du service, du bien commun, le sens profond de la vie en société, ou le sens de la vie tout court, ce sont des mots ou des expressions qui vous parlent déjà. Je vous souhaite de toujours rechercher leur application concrète et loyale, comme je souhaite à mes fils et filles catholiques de mieux les mettre eux-mêmes en pratique et d’aider à en découvrir la portée.

4. Je suis en Afrique, en particulier pour commémorer le centenaire de l’évangélisation dans plusieurs pays. Ce sont des anniversaires chargés d’espérance, l’espérance d’un nouveau souffle pour entreprendre une nouvelle étape. Ceci vaut d’ailleurs pour tous les pays visités. Vous êtes l’Église en Afrique. Quel honneur, et aussi quelle responsabilité! Vous êtes toute l’Église, et en même temps, vous êtes une partie de l’Église universelle, un peu comme l’Évangile qui est le bien de chacun et s’adresse également à tous. Un peu comme Jésus-Christ lui-même qui, s’étant incarné au sein d’un peuple, vit son incarnation au sein de chaque peuple, car il est venu pour tous, il appartient à tous, il est le don merveilleux du Père à toute l’humanité. Je crois vraiment et je professe qu’il est venu pour les Africains, pour élever et sauver l’âme africaine, en attente elle aussi du salut, lui montrer sa beauté mais l’enrichir en outre de l’intérieur, lui prêcher la vie éternelle avec Dieu. Il est venu pour les Africains comme pour tous les hommes, c’est-à-dire au même titre, et il n’est étranger à aucun sentiment national, à aucune mentalité, invitant ses disciples de quelque continent qu’ils soient originaires, à vivre entre eux l’admirable échange de la foi et de la charité.

Comme lui, j’aimerais vous dire, en ce jour, avec tout l’amour qui emplit mon coeur: le Pape est le serviteur de tous les hommes, le Pape se sent chez lui en Afrique!

Adieu l’Afrique! J’emporte avec moi tout ce que tu m’as donné si généreusement et tout ce que tu m’as révélé au cours de ce voyage. Que Dieu te bénisse en chacun de tes enfants, et qu’Il te fasse goûter la paix et la prospérité!



  REMERCIEMENTS DE JEAN-PAUL II AUX JOURNALISTES À LA FIN DE SON VOYAGE EN AFRIQUE

Vers l'Italie, Lundi 12 mai 1980




Je tiens à exprimer un très grand merci aux journalistes, et à tous les agents des communications sociales, de la presse, de la radio, de la télévision.

D’abord à ceux qui m’ont accompagné tout au long de ce voyage, avec une patience digne de l’Afrique, sous le soleil, au prix de beaucoup de fatigues. Cela fait partie de votre métier, mais j’ai conscience de vos mérites. Je remercie aussi ceux qui sur place, en Afrique, on fait leur travail de reportage, d’enregistrement, de diffusion, d’autant plus que le programme était très chargé, pour eux comme pour moi!

Je remercie enfin les artisans des mass-médias qui, dans les autres pays, ont su rendre compte de ce voyage, et lui donner auprès de leurs lecteurs et auditeurs, le relief qui convenait.


Je sais que beaucoup d’autres événements importants se déroulaient dans le monde, et ils n’ont pas été absents de ma pensée et de ma prière. Mais l’Afrique méritait aussi, et depuis longtemps, cette place d’honneur. Elle est parfois à l’écart des grands débats et affrontements de la politique mondiale; pourtant elle a aussi de grands problèmes humains à résoudre, et ses efforts méritent d’être encouragés. L’Église a aussi une grande vitalité à déployer.


Mais je n’insiste pas sur le sens de mon voyage. Il vous appartient de le dégager, de beaucoup de discours et de gestes, en disant simplement la vérité, ce que vous avez vu et entendu. Il est difficile parfois, pour des non-africains, d’éviter de projeter sur ce continent et ses habitants des jugements et des interprétations qui sont loin des réalités africaines, de l’âme africaine, de ses aspirations et de ses réactions.
J’ai souvent employé le mot "témoins" pour les chrétiens. Soyez de bons témoins. Et encore merci de votre concours.

* * *


 [1] Cfr. (Jn 8,32).


VOYAGE APOSTOLIQUE À PARIS ET LISIEUX (30 MAI - 2 JUIN 1980)


  MESSAGE DE JEAN-PAUL II AU PEUPLE FRANÇAIS

28 mai 1980




Trois jours avant de partir à Paris, je veux d’abord exprimer ma vive gratitude à tous ceux qui m’ont invité: l’UNESCO, l’Épiscopat français, le Président de la République et les Autorités civiles; à ceux aussi qui m’ont manifesté leur attente. Car, en dehors des instances officielles que j’ai nommées, un grand nombre de personnes, de toute condition, et en particulier beaucoup de jeunes, ont exprimé leurs sentiments, surtout leur désir de notre rencontre, bien souvent par lettres.

Qu’ils soient remerciés! Tout cela a pu créer un climat favorable que je ressens déjà, et je voudrais répondre à cette attente de la meilleure façon.

Il se trouve que ce voyage en France se réalise quelques semaines à peine après la visite pastorale en Afrique et à un mois d’une visite semblable au Brésil. J’ai confiance que la Providence et la lumière de l’Esprit Saint m’aideront à accomplir ce voyage pastoral, comme un service que m’impose mon ministère de Successeur de saint Pierre, et aussi selon l’esprit de saint Paul qui allait affermir pour la foi des Églises, recevoir leur témoignage et les mettre en communion entre elles. Je m’en excuse auprès des organisateurs qui ont dû travailler davantage.

Ce voyage m’attire à beaucoup de titres. Il constitue pour moi un honneur, mais avant tout un devoir, une responsabilité.

Tout d’abord, la France est la Fille aînée de l’Église. Et elle a engendré tant de saints! Je pourrais ajouter qu’il existe sur le sol de France beaucoup de lieux auxquels je me rends souvent en pèlerinage par la prière et par le coeur. Parmi eux, il n’y a que Lisieux qui a pu trouver place dans la présente visite. Mais il y a encore Ars et beaucoup d’autres lieux auxquels je suis lié en esprit, et d’où j’ai même reçu des invitations.

Comment ne pas évoquer aussi, dans cette perspective, l’oeuvre culturelle de votre pays, son apport à la culture générale et dans le domaine proprement catholique? Que de noms illustres dans votre tradition séculaire! Oui, au cours même de ce siècle, que de figures dont le rayonnement a dépassé vos frontières, et dont beaucoup me sont personnellement très proches. Il est d’ailleurs significatif que l’UNESCO, destinée, comme Organisation internationale, à promouvoir la culture dans tous les pays, ait établi son siège à Paris.

Ainsi, lorsque je pense à l’influence que la culture française, dans les domaines de la philosophie, de l’histoire, de la littérature, et que la pensée de théologiens français ont exercée et exercent toujours sur tant d’hommes et de sociétés, je ne puis non plus m’empêcher de penser au moment particulier que vit l’Église dans ce grand pays.

Je me rends bien compte que l’Église en France, le catholicisme français se sont trouvés, au cours de ces dernières années, depuis le Concile, dans une situation spéciale. Je ne prétends pas la décrire ici, ni porter sur elle un jugement. Chacun sait bien qu’il peut s’agir de ce qu’on appelle une “crise de croissance”. J’espère que c’est là une clef pour interpréter cette situation particulière que l’on connaît en France depuis le Concile.

En effet, je suis bien convaincu qu’il y a toujours en France, dans l’Église, dans la nation et dans la société, des forces immenses, des ressources immenses, qui lui permettront non seulement de continuer à être elle-même, mais encore de se mettre au service d’autrui.

Oui, l’Église doit au peuple de France, qui a beaucoup reçu et aussi beaucoup donné, quelques-unes de ses plus belles pages: des grands Ordres religieux, tels que Cîteaux et les Chartreux, aux cathédrales, ou à l’épopée missionnaire commencée au siècle dernier. La générosité de ses oeuvres et de sa pensée lui a valu l’amitié de nombre de peuples, et parmi les plus pauvres!

Puisse la France continuer à y trouver ses raisons d’être!

Voilà plus d’un an que j’ai été invité à Lourdes pour le Congrès eucharistique, qui marquera le centenaire de ces congrès, juillet 1981. Cependant d’importantes circonstances convergentes, comme je l’ai dit, m’ont amené à anticiper cette visite et à arriver à Lourdes en passant d’abord par Paris.

Étant invité, j’invite à mon tour les Français à cette grande rencontre dans la prière, dans une réflexion d’ensemble, dans la communion des esprits.



AVANT LE DÉPART POUR LA FRANCE

Aéroport de Fiumicino, Vendredi 30 mai 1980



1. Au moment où je m’apprête à quitter encore une fois la Cité du Vatican et le sol aimé de l’Italie pour me rendre en France, il m’est très agréable, Messieurs les Cardinaux, membres distingués du Corps Diplomatique accrédités près le Saint Siège, et représentants du gouvernement italien, de recevoir l’expression cordiale de votre affection et de votre encouragement, qui témoigne d’autre part que vous partagez les intentions qui inspirent le pèlerinage apostolique d’aujourd’hui.

Pour votre présence, où je vois un heureux augure pour l’heureux succès des prochaines journées, je désire vous exprimer ma sincère et vive reconnaissance.

Évêque de Rome et successeur de l’apôtre Pierre, j’ai reçu par disposition divine la mission d’être l’instrument et le signe de l’unité dans la foi et dans la communion entre les diverses églises locales, pour les confirmer dans leur adhésion au Christ et à l’Évangile.

Cette tâche, il m’est donné de la remplir principalement à Rome, cité de l’Esprit, où souvent convergent mes frères de l’épiscopat pour rencontrer le vicaire du Christ ; cependant les possibilités modernes de communications faciles rendent toujours plus normal le fait que le Pape rejoigne et rencontre sur place les évêques et le Peuple de Dieu.

2. La France, pays de tradition glorieuse, est une des grandes nations qui ont été marquées par la foi chrétienne depuis l’aurore de leur histoire ; et après la chute de l’Empire Romain, elle fut la première communauté nationale d’Occident à se déclarer fille de l’Église : « fille aînée de l’Église ».

Tout au long des siècles elle a apporté une contribution spécifique à l’Église catholique par le témoignage éclairé et héroïque de ses saints, la vigueur doctrinale de ses maîtres et le courage apostolique de ses missionnaires. Elle occupe encore aujourd’hui avec son dynamisme intelligent, une place de grande importance dans l’Église universelle.

J’ai l’intention de me rendre à Lourdes en juillet de l’année prochaine, à l’occasion du Congrès Eucharistique International prévu, mais dès maintenant une visite pastorale au cœur de cette nation m’a paru opportune. C’est cette idée qui donne son sens à mon séjour dans la capitale où sont condensés comme idéalement les valeurs, les perspectives et les soucis de tous les Français ; de plus, poussé par la même sollicitude, je me rendrai aussi en cette ville bénie de Lisieux, vers laquelle toute la chrétienté, et surtout les Missions, tournent un regard d’admiration à cause de sainte Thérèse qui, avec son message, s’est mise au centre, dans le cœur selon son expression, de l’Église, et de l’Église missionnaire.

3. Ma visite a encore un autre objectif important : l’U.N.E.S.C.O. Il y a déjà un bout de temps que j’ai été invité à rencontrer sur place les illustres représentants de cet organisme, à l’occasion de la 109e session du Conseil Exécutif.

Je suis heureux de cette rencontre, car la véritable culture que l’U.N.E.S.C.O. a pour tâche essentielle de promouvoir dans le monde entier revêt une importance de premier plan pour le développement et la défense de la dignité humaine.

L’homme n’est pas seulement sujet à s’instruire — même si dans ce domaine le travail qui reste à faire est considérable — mais il est surtout appelé à mûrir jusqu’à la perfection les virtualités de sa connaissance spirituelle, pour correspondre aux intentions de Dieu sur le monde et sur l’histoire, dans le cadre de ce progrès pacifique et solidaire que nous nous souhaitons tous.

Je quitte donc les rives du Tibre, chargées d’histoire, pour celles de la Seine, pleines de majesté. Dès ce soir je me trouverai plongé dans l’ambiance suggestive et solennelle de Notre-Dame. Je confie à Marie, Reine de France et Dame de l’Italie, le souhait que ma visite consolide la foi des enfants de cette grande Patrie, et anime leur courage pour témoigner. Dans cette pensée, je vous adresse mon salut cordial plein de vœux de bonheur et de bénédictions.


  ARRIVÉE DE JEAN-PAUL II À PARIS

Vendredi, 30 mai 1980



Monsieur le Président,

Je suis particulièrement touché des paroles que vous venez de m’adresser, dès mon arrivée sur le sol de France. Je vous en remercie vivement. Vous l’avez fait en votre nom personnel, vous l’avez fait au nom du Peuple Français auquel, en votre personne, je voudrais adresser mon premier message.

1. Loué soit Jésus-Christ! Oui, c’est bien ainsi, par ces mots emplis de ferveur et d’action de grâce, que j’ai voulu, dès le soir de mon élection comme Évêque de Rome et Pasteur universel, inaugurer mon ministère de prédication de l’Évangile. Ce salut, je l’ai porté en premier à mes diocésains des bords du Tibre, qui venaient de m’être confiés pour les guider selon les desseins de la divine Providence. Je l’ai porté ensuite à d’autres peuples, à d’autres Églises locales, avec tout le contenu d’estime, de sollicitude pastorale, d’espérance aussi dont il est chargé.

Ce même salut, je viens le porter maintenant à la France, avec tout mon coeur, avec toute mon affection, en lui disant: je suis profondément heureux de te visiter en ces jours, et de te montrer mon désir de te servir en chacun de tes Enfants. Le message que je veux te livrer est un message de paix, de confiance, d’amour et de foi. De foi en Dieu, bien sûr, mais également, si je puis m’exprimer ainsi, de foi en l’homme, de foi dans les merveilleuses possibilités qui lui ont été données, afin qu’il en use avec sagesse et dans le souci du bien commun, pour la gloire du Créateur.

A tous les Fils et à toutes les Filles de cette grande Nation, à tous le Pape offre ses voeux les plus cordiaux, au nom du Seigneur. La France symbolise pour le monde un pays à l’histoire très ancienne, très dense aussi. Un pays au patrimoine artistique et culturel incomparable, dont le rayonnement n’est plus à décrire. Combien de peuples ont bénéficié du génie français, qui a marqué leurs propres racines, et constitue encore pour eux un motif de fierté en même temps, on peut l’affirmer, qu’une sorte de référence!

Le rôle de la France se poursuit dans la communauté internationale, au niveau qui est le sien, mais avec un esprit d’ouverture et un souci d’apporter une contribution à la fois aux principaux problèmes internationaux, et aux situations de contrées moins favorisées. Au cours de mes précédents voyages, j’ai pu constater la place qu’elle tient sous d’autres cieux. Mais plus qu’à l’ampleur des moyens mis en oeuvre, forcément limités, c’est à son Peuple qu’elle doit sa place, à des hommes et à des femmes héritiers de sa civilisation.

2. Ce sont ces hommes et ces femmes, l’âme de la France, que je rencontrerai en ces jours.

Comment ne pas être touché de l’accueil que vous me réservez ici, dans votre capitale? Beaucoup d’entre vous m’ont écrit avant cette visite, et vous êtes très nombreux ce soir à me souhaiter la bienvenue. Je ne puis malheureusement remercier chacun en particulier, ni serrer toutes les mains que vous aimerez me tendre. Mais devant vous, aux représentants de la souveraineté nationale, je voudrais témoigner ma vive gratitude.

Monsieur le Président, vous que vos compatriotes ont désigné pour assumer la plus haute responsabilité de l’État, daignez par conséquent accepter l’hommage reconnaissant que j’adresse au Peuple Français tout entier. J’ajouterai des sentiments de satisfaction pour la disponibilité extrême dont on fait preuve personnellement Votre Excellence, et aussi Monsieur le Premier Ministre et le Gouvernement, dès que leur fut connu mon projet.

De ce voyage, vous avez d’emblée compris la nature propre: un voyage pastoral avant tout, pour visiter et encourager les catholiques de France; un voyage qui veut également traduire mon estime et mon amitié pour l’ensemble de la population, et je pense ici en particulier aux membres des autres confessions chrétiennes, de la communauté judaïque et de la religion islamique. Mon désir était que ce voyage pût s’accomplir dans la simplicité et la dignité, en ménageant aussi, chaque fois que possible, des contacts et des rencontres. Vous avez prêté tout votre concours à la réalisation du programme, et j’y suis d’autant plus sensible qu’il fallait une préparation minutieuse. Je pense enfin aux personnes auxquelles ces événements occasionnent un surcroît de travail. Tout cela fait partie de l’hospitalité, une vertu dont la France peut s’honorer à juste titre. Vraiment, j’exprime à tous un cordial merci.

3. Je vous salue très spécialement, chers catholiques de France, mes Frères et mes Soeurs dans le Christ, mes amis. Vous m’avez invité à constater, quinze cents ans ou presque après le baptême de votre Nation, que la foi y est toujours vivante, jeune, dynamique, que la générosité ne manque pas chez vous. Elle se traduit même par un bouillonnement d’initiatives, de recherches, de réflexions. Il vous faut en effet affronter des problèmes souvent nouveaux, ou tout au moins des problématiques nouvelles. Le contexte dans lequel vous vivez évolue rapidement, en fonction de mutations culturelles et sociales qui ne sont pas sans influer progressivement sur les moeurs, sur les mentalités.

C’est une multitude d’interrogations qui se posent à vous. Que faire? Comment répondre aux besoins fondamentaux de l’homme contemporain, qui révèlent finalement un immense besoin de Dieu?

En union avec vos évêques, et en particulier avec le cher Cardinal archevêque de Paris et le Président de la Conférence épiscopale française, je suis venu vous encourager dans la voie de l’Évangile, une voie étroite certes, mais la voie royale, sûre, éprouvée par des générations de chrétiens, enseignée par les saints et les bienheureux dont s’honore votre patrie, la voie sur laquelle, tout comme vous, vos frères dans l’Église universelle s’efforcent de cheminer.

Cette voie ne passe pas par la résignation, les renoncements ou les abandons. Elle ne se résout pas à l’affadissement du sens moral, et elle souhaiterait que la loi civile elle-même aide à élever l’homme. Elle ne cherche pas à s’enterrer, à demeurer inaperçue, mais elle requiert au contraire l’audace joyeuse des Apôtres. Elle bannit donc la pusillanimité, tout en se montrant parfaitement respectueuse à l’égard de ceux qui ne partagent pas le même idéal. Si l’Église revendique en effet pour elles-mêmes la liberté religieuse, et si elle a de multiples raisons de se féliciter d’en jouir en France, il est normal qu’elle respecte aussi les convictions des autres. Elle demande, pour sa part, qu’on lui permette de vivre, de témoigner publiquement et de s’adresser aux consciences.

“Reconnais, ô chrétien, ta dignité”, disait le grand Pape saint Léon. Et moi, son indigne successeur, je vous dis à vous, mes Frères et Soeurs catholiques de France: Reconnaissez votre dignité! Soyez fiers de votre foi, du don de l’Esprit que le Père vous a fait! Je viens parmi vous comme un pauvre, avec la seule richesse de la foi, pèlerin de l’Évangile. Donnez à l’Église et au monde l’exemple de votre fidélité sans faille et de votre zèle missionnaire. Ma visite chez vous veut être, en même temps qu’un témoignage de solidarité à l’égard de vos pasteurs, un appel à un élan nouveau devant les tâches nombreuses qui s’offrent à vous.

Je sens que, dans le fond de vos coeurs, vous entendrez cette exhortation. Je l’adresse, dès mon arrivée sur le sol de la France, à tous ceux qui m’écoutent, et j’aurai ensuite l’occasion de la reprendre ces jours-ci en m’entretenant avec les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses, les laïcs engagés dans l’apostolat, en rencontrant le monde du travail et celui des jeunes, les hommes de pensée et de science. Un moment tout à fait spécial sera réservé à l’UNESCO, qui a son siège dans votre capitale: il m’a semblé très important, en effet, de répondre à sa courtoise invitation, pour saluer un aréopage exceptionnel de témoins de la culture de notre temps, et apporter le propre témoignage de l’Église.

Il faut achever à présent ce premier contact. Je vais me rendre à la basilique Notre-Dame, la Mère des églises de ce diocèse, et l’un des plus vénérables édifices religieux de cette Nation. Je veux y confier au Seigneur et à la Vierge très sainte les souhaits que je forme a l’intention du Peuple Français tout entier. Que Dieu bénisse la France!




Discours 1980 - Abidjan, Dimanche 11 mai 1980