Scivias FR 3700

7. Le Pilier de la Trinité (11)

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LA COLONNE DE L’ADORABLE TRINITÉ

Contre les hérésies des premiers siècles.

Mahomet.

Je vis ensuite à l'angle occidental de l’édifice en question une colonne admirable, scellée, très-fortifiée, de couleur pourpre rembrunie, et placée sur cet angle de manière à être aperçue en dehors comme en dedans de l’édifice (2) [T]. Elle était aussi d'une telle dimension, que je ne pouvais concevoir ni sa grandeur ni son élévation, mais je remarquais seulement qu'elle était admirablement lisse et sans aspérités (1).

Elle avait dans sa paroi extérieure trois angles de couleur sombre, affilés depuis le haut jusqu'en bas comme le glaive le plus tranchant. L'un de ces angles était tourné vers l’Afrique (2), où était coupée par ce glaive et dispersée çà et là une grande quantité de paille en pourriture. Un autre angle était contre le chœur (3), où étaient tombées beaucoup de petites plumes arrachées par l'autre glaive. Et l’angle du milieu regardait l'occident, où beaucoup de bois pourris étaient à terre hachés par l'autre glaive; et chacune de ces contrées avait été abattue par les glaives de ces angles à cause de leur témérité (4).

Et celui qui était assis sur le trône, et qui me montrait toutes ces choses, me dit encore : « Ces dons mystérieux, dignes d'admiration, si abondants et restés inconnus, il t'est donné, ô mortel, de les voir clairement ; et je te les montre dans leur vraie lumière, en te permettant de les publier, de les manifester, pour enflammer le zèle dans le cœur des fidèles, qui doivent être les pierres très-pures de la céleste Jérusalem. Car la sainte et ineffable Trinité, essentiellement indivisible, qui était cachée à ceux qui vivaient sous le joug de la Loi, mais qui s'est manifestée sous la Loi de grâce à ceux qui en ont été affranchis, doit être crue par les fidèles dans la simplicité et l'humilité du Cœur, comme un seul et vrai Dieu en trois personnes. Mais on ne doit pas approfondir témérairement ce mystère, de peur que celui qui ne veut pas se contenter de la connaissance qu'il a reçue du Saint-Esprit, tout en voulant découvrir plus qu'il n'est permis, ne tombe, à cause de son orgueil, dans un état d'autant plus déplorable, qu’il ne parvient pas à ce qu'il veut insolemment aborder. Et c'est ce que cette vision démontre (1). »


8. Le Pilier de l'Humanité du Sauveur (25)

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LA COLONNE DE JÉSUS-CHRIST.

L'échelle de Jacob par les sept esprits : Marie, saint Joseph, saint Matthieu, saint Pierre, saint Jacques, saint André et saint Jean-l'Évangéliste. La grâce, le Protestantisme.

Je vis ensuite sur le mur de pierre de l'édifice en question, au delà de la colonne de l'adorable Trinité, une autre colonne grande et ombragée (2), qui se voyait du dedans et du dehors de l'édifice [I]. Et cette colonne m'apparut tellement dans l'ombre que je ne pouvais en connaître ni la grandeur, ni l'élévation. Et entre cette colonne et la colonne de l'adorable Trinité, il y avait un intervalle de trois coudées, où le mur était interrompu ; il n'y avait que les fondations rez- terre, comme cela a été montré précédemment (1). Or, cette colonne ombragée était dans ce même édifice à la place où j'avais vu d'abord dans les célestes mystères devant Dieu cette grande lumière en carré (2) de la plus vive splendeur, qui m’a manifesté sous la plus grande réserve le secret du Dieu créateur (3). C'est aussi dans cette lumière que m'apparut une autre splendeur semblable à l'aurore, qui brillait en elle-même dans les airs d'une clarté toute céleste et couleur de pourpre, et qui m'a montré, par une révélation symbolique, le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu (1).

Et dans cette colonne, depuis le haut jusqu’en bas, il y avait une échelle (2) où toutes les vertus de Dieu descendaient et montaient, chargées de pierres, allant à leur ouvrage avec un zèle qui montrait l'intention de le parfaire. Et j'entendis le jeune homme éclatant qui siégeait sur le trône (3) dire : * Voilà les courageux ouvriers du Seigneur. » Mais, entre ces vertus, j'en remarquais sept, dont je considérais la forme et le costume.

Voici d'abord leur ressemblance. Toutes, comme les vertus dont il est parlé plus haut, avaient des vêtements de soie. Et toutes elles avaient leurs têtes ornées de cheveux blancs, et elles s'avançaient sans manteau, excepté la première, qui avait la tête voilée à la manière des femmes, et elle était revêtue d'une chasuble éclatante comme le cristal (1). La seconde avait des cheveux noirs (2), et la troisième ne paraissait pas avoir forme humaine (3). La première, la troisième (4) et la cinquième étaient revêtues de tuniques blanches. Toutes avaient des souliers blancs, excepté la troisième qui n'avait pas forme humaine (5), comme nous l'avons dit, et la quatrième, qui était chaussée de brodequins extrêmement brillants (6).

Voici maintenant en quoi elles différaient. La première image portait une couronne d'or sur sa tête, surmontée de trois rameaux (1), et brillant de toutes sortes de pierreries et de perles fines. Elle avait sur son cœur un miroir très-pur (2) au milieu duquel apparaissait, dans une grande clarté, l'image du Fils de Dieu incarné (3). Et elle disait : « Je suis l'appui des humbles et le désespoir des cœurs superbes. J'ai eu de faibles commencements et je me suis élevée jusqu'aux sublimités du ciel. Lucifer a voulu s'élever dans les hauteurs au-dessus de lui-même, et il s'est ravalé dans les profonds abîmes. Quiconque voudra m'imiter dans le désir qu'il a d'être mon fils, s'il brûle d'accomplir en moi mon œuvre, en m'embrassant comme sa mère, qu'il commence par les fondations, et qu’il s'élève petit à petit jusqu'aux sublimes hauteurs. Qu'est-ce à dire ? Qu'il jette d'abord les yeux sur l'avilissement de sa chair, et qu'il s'avance avec douceur et suavité de vertus en vertus, jusqu'aux degrés de la perfection ; car celui qui, pour monter sur un arbre, veut d'abord atteindre la branche la plus haute, risque de tomber d'une chute inattendue. Mais celui qui, voulant y monter, commence par le tronc, court moins de danger de tomber, s'il agit avec précautions (1). »

Et la seconde image (2) apparaissait tout entière avec une robe qui, dans sa forme et ses plis, reflétait l'hyacinthe comme l'azur des cieux (3). Et sur cette robe était adaptée d'une manière ineffable deux ceintures admirablement ornées d'or et de pierreries (4) ; en sorte que ces deux ceintures descendaient de l'une et de l'autre épaule de cette image en avant et en arrière jusqu'aux pieds (1). Et elle dit (2) :

« J’étais poussée dans le ciel à m’irriter contre Lucifer, se mordant lui-même dans sa haine et son orgueil. Mais non, oh ! non, l’humilité n’a pu tolérer son insolence. C’est pourquoi il a été entraîné dans une affreuse ruine. Et après la création de l’homme, ô quelle illustre semence 1 ô quel précieux germe! le Fils de Dieu, par amour pour l’homme, s’est rendu semblable à lui vers la fin des temps. Et, parce que Lucifer a voulu et essayé de déchirer ma tunique (3) et l’intégrité de mon vêtement (4), je suis devenue toute éclatante de lumière devant les hommes et devant Dieu. Or, maintenant les aveugles, les morts, les impudiques et les courtisanes traitent d’infâme ma conduite en apparence incertaine (ô). Mais il est aussi impossible que la boue puisse atteindre le ciel, que cette honte puisse attaquer ma volonté. Je me ferai donc des ailes avec les autres vertus, pour rejeter sur Lucifer ces vaines paroles qu'il a semées par le monde. 0 vertus ! qu'est devenu Lucifer? L'enfer est son séjour. Levons-nous donc toutes, en nous rapprochant de la vraie lumière, et construisons de grandes et fortes tours dans les provinces (1), afin que, lorsque le dernier jour viendra, nous remportions beaucoup de fruits autant pour l'âme que pour le corps (2). Et, lorsque la plénitude des nations sera introduite (dans l’Église), alors nous nous rendrons parfaits et sur la terre et dans les deux. O Lucifer! de quoi t'a servi ta soudaine audace ? A peine avais-tu reçu de Dieu ta première splendeur, que tu as cherché dans ta folie, dans ta fureur à me fouler aux pieds, à me chasser du ciel. Mais tu as été précipité dans l'abîme, et je suis restée dans le ciel, pour descendre ensuite sur la terre avec le Fils de Dieu incarné (3). Par moi s'est formée une multitude de fidèles armés pour la justice et les bonnes institutions, que tu aurais bien voulu leur enlever, si tu en avais eu la puissance. O humilité ! qui relèves jusqu'aux astres ceux qui sont foulés, écrasés à terre ; ô humilité ! ô glorieuse Reine de toutes les vertus ! qu'il est fort, qu'il est invincible, pour tous tes partisans, et en tout lieu ton secours! Non, celui, qui te chérit dans un cœur pur, ne fait point de chute, et je suis avec toi pour ceux que je protège une défense très-avantageuse et la plus désirable ; car, étant douée d'une délicatesse et d'une finesse extrême, je parviens à trouver les passages les plus étroits de ceux qui me recherchent, et à les traverser avec adresse. »

Je vis la troisième image dans le même costume qu'elle avait dans une première vision (1). Elle surpassait (2), en hauteur comme en étendue, les autres vertus. Elle n'avait aucune forme humaine (1) ; elle était toute entourée d'yeux (2) ; elle était toute vivante de sagesse, et revêtue d'un sombre vêtement (3), à travers lequel les clairvoyants pouvaient regarder, et elle était toute tremblante devant cette lumière éclatante qui siégeait devant le trône (4).

Et elle disait : « Oh! malheur aux misérables pécheurs qui ne craignent pas Dieu, et qui le regardent comme un trompeur! Qui peut échapper à la crainte du Dieu incompréhensible ? il laisse périr le coupable qui s'abandonne à l'iniquité! Oh! je vais craindre et craindre encore le Seigneur Dieu. Qui pourra me secourir devant le vrai Dieu ? Qui pourra me délivrer de son terrible jugement? Personne au monde, si ce n'est ce Dieu juste lui-même. C'est donc lui que je chercherai (5). C'est à lui que j'aurai sans cesse recours »

La quatrième image (1) portait à son cou un collier blanc, et avait aussi les mains et les pieds liés avec une chaîne blanche (2). Et elle disait :

« Je ne puis courir où je veux sur cette terre, ni me laisser diriger par les mauvais vouloirs de l'humaine faiblesse (3
Is 49,3 Jn 21,18) ; et c'est pourquoi je désire revenir à Dieu, le père de toutes créatures (4), que le démon a renié (5), pour ne pas lui obéir. »

La cinquième image (6 Ac 12,2) avait à son cou un collier rouge (7), et elle disait : (8) « Il n’est qu'un seul Dieu en trois personnes d'une seule essence, et digne d’être adoré d’une gloire égale. J'aurai au Seigneur foi et confiance, et je ne perdrai jamais son nom dans mon cœur. »

La sixième image était revêtue (1) d'une tunique pâle (2), et la croix de la Passion du Fils de Dieu crucifié lui apparut dans les airs, et elle dirigeait vers elle et ses yeux et ses mains avec une grande dévotion (3), et disait : « O Père très-pieux (4), pardonnez aux pécheurs, vous qui ne les avez pas laissé s'égarer; mais qui les avez rapportés sur vos épaules. Et c'est pourquoi nous ne pouvons périr, nous qui avons mis en vous notre confiance. »

La septième image était revêtue d’une tunique du plus éclatant et du plus pur cristal (1), brillant de la vivacité de l’eau qui reflète les rayons du soleil (2). Au-dessus de sa tête était une colombe aux ailes déployées (3), qui avait sa tête tournée vers elle. Il apparut sur ses flancs, comme en un miroir, le plus bel enfant, qui avait inscrit sur son front : Innocence. Elle avait dans sa main droite le sceptre royal (4) ; et elle portait sa main gauche sur sa poitrine (5).

Elle disait « Je suis libre et n'ai point d’entraves (6). J’ai passé à la fontaine la plus pure, auprès du plus doux et du plus aimant Jésus, Fils de Dieu (7). Je l’ai pénétrée et c’est de son cœur que je suis sortie. Je foule aux pieds le démon, qui n’a pu m’enchaîner. Il a été chassé loin de moi, parce que je suis toujours avec le Père céleste (1 Jn 21,23) »

Et au haut de la colonne ombragée, dont il est question, je vis une magnifique image, ayant la tête nue, les cheveux crépus et bruns, et son visage, mâle comme celui d’un homme, était d'une clarté si éblouissante, que je ne pouvais y jeter les yeux (2). Et elle était revêtue d'une robe rouge foncé (3). Et sur chaque épaule de cette image était une ceinture d'un jaune foncé (4), adaptée sur la tunique, et qui descendait en avant et en arrière de la tête aux pieds. Elle avait agrafé à son cou le manteau royal, admirablement parsemé d'or et de pierreries les plus précieuses. Et la (divine) splendeur si brillante l'environnait à tel point, que je ne pouvais la considérer nulle part, si ce n'est par devant de la tête jusqu'aux pieds; mais ses bras, ses mains, ses pieds étaient cachés à mes regards (5). Mais la même splendeur qui l'entourait était remplie d'yeux de tous côtés, était toute vivante (1), et se répandait çà et là, comme un nuage se répand, apparaissant tantôt plus, tantôt moins étendue (2). Et cette même image s'écria d'une voix forte par le monde : « O mes fils, je suis la grâce de Dieu (3), entendez-moi donc et comprenez-moi : C'est moi qui donne la lumière de l’âme à ceux qui comprennent mes avertissements (4), et je les retiens dans le même bonheur, de peur qu’ils ne retombent dans le péché (5). Et parce qu'ils ne m'ont point méprisée, j'ai à cœur de les toucher par mes exhortations, afin qu’ils opèrent le bien ; et je me donne à eux, parce qu'ils me recherchent dans la simplicité et la pureté de leurs cœurs (6). Et, lorsque je donne ainsi des perles (7), avertissant et exhortant l’homme sur le bien qu’il doit pratiquer, alors, son intelligence étant touchée, je suis en lui le commencement de la vertu : c’est-à-dire, que les sens de l’homme, comprenant mon exhortation par l’entendement, de manière à consentir au bonheur de ma grâce qu’il ressent au fond du cœur, je suis en lui le commencement du bien qu’il doit entreprendre avec mon secours. Mais en lui est une lutte pour accomplir, ou non, ce que je lui conseille. Et comment? etc. (1). »

...

Et j’entendis celui qui siégeait sur le trône me dire : « Il faut que ceux qui aspirent aux choses du ciel croient fidèlement et n’examinent pas avec ténacité que le Fils de Dieu, envoyé par le Père dans le monde, est né d’une Vierge, parce que le sens de l’homme, appesanti dans son corps fragile et mortel du poids énorme de ses péchés, ne peut pénétrer les secrets de Dieu qu’autant que l’Esprit-Saint le fait connaître à l’homme de son choix (1). »




9. La Tour de l'Église (29)

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LE GRAND PONTIFE. — LA FEMME QUI SAUVE ET PRODUIT LE GRAND MONARQUE. — LE GRAND MONARQUE A TROIS TETES.

Je vis ensuite, auprès de la colonne de l’humanité du Sauveur, dont nous venons de parler, une tour (n) extrêmement éclatante, située sur le mur en pierre du côté du midi de l’édifice en question, de manière qu’on pouvait l’apercevoir de l’intérieur et de l’extérieur de cet édifice. Sa largeur, dans œuvre, était sur tout le pourtour de cinq coudées (1) ; mais elle était d'une si grande hauteur, que je ne pouvais la mesurer. Mais entre cette tour et la colonne de l'humanité du Sauveur (2), il y avait seulement la fondation, laissant apparaître un second intervalle vide de la longueur d'une coudée, comme cela a été démontré plus haut (3).

Et cette tour n'était pas encore terminée (4), mais le travail était poussé avec beaucoup d'entente et d'activité par un grand nombre d'ouvriers. Et sur le haut des murs il y avait sept redoutes merveilleusement fortifiées (1). Et dans l’intérieur de l’édifice, je vis une échelle apposée sur le haut de cette tour, et depuis le bas jusques en haut, il y avait une multitude d’hommes dont les visages brillaient comme du feu, avec des vêtements blancs et des souliers noirs; et parmi eux, il y en avait dans le même costume d’une taille plus élevée et d’un aspect plus ravissant, qui regardaient cette tour avec plus d’attention. Ensuite, vers la partie septentrionale de l’édifice, je vis le monde , les enfants d’Adam parcourir l’espace qui sépare le mur lumineux dans cet édifice de science allégorique d’avec le contour du cercle [Y] d’où sortait le trône du brillant jeune homme (2). Et beaucoup d’entre eux traversaient l’édifice entre cette tour (3), qui figure le précurseur de la volonté de Dieu (4) [n], et la colonne de la divinité de son Verbe [V], entrant et sortant à travers ce mur de science allégorique, comme on voit un nuage s’étendre de côté et d’autre.

Mais ceux qui entraient dans cet édifice étaient revêtus d’une robe éclatante de blancheur; et les uns, comblés de la joie la plus douce de se voir revêtus de cet habit, le gardaient précieusement ; les autres, devenus tristes de son poids et de son embarras, essayaient de l’ôter (1). Mais cette vertu, que j’avais entendu appeler : Science de Dieu (2), les reprenait souvent, et disait à chacun d’eux : « Prends garde d’ôter l’habit dont tu es revêtu. » Et je vis que plusieurs, frappés de ces paroles, s’appliquaient à conserver avec beaucoup de peine l’habit qu’il leur paraissait difficile à garder. Mais d’autres, se moquant de cet avertissement, se dépouillèrent avec fureur de cet habit, le rejetèrent avec mépris pour suivre le monde qu’ils avaient quitté, et, s’appliquant à une foule d’objets, ils apprirent mille futilités des vanités du siècle.

Et parmi eux un certain nombre revinrent à cet édifice et reprirent le vêtement qu'ils avaient quitté ; tandis que d’autres, ne voulant pas revenir, restèrent ignominieusement dans le monde sans cet ornement. Et je vis une foule de gens d’une malpropreté et d’une noirceur repoussante, qui de l’Aquilon (1) [F] venaient fondre sur cet édifice, et, envahissant avec fureur cette tour, sifflaient contre elle comme des serpents. Et parmi eux quelques-uns, se détournant de cette conduite insensée, se purifièrent ; mais les autres persévérèrent dans leur méchanceté et leur infamie (2).

Et dans l’intérieur de cet édifice, j’ai vu, du côté de cette tour sept colonnes [C] en marbre blanc, admirablement sculptées dans leur contour, qui soutenaient un plancher en fer de forme ronde, élégamment élevé au-dessus des corniches (3). Et au-dessus de ce plancher, je vis une image merveilleusement belle, qui regardait les hommes du monde (4); et sa tête brillait, comme la foudre, d’un si vif éclat, que je ne pouvais pleinement la considérer. Et ses mains étaient amoureusement ramenées vers son cœur (1), et ses pieds étaient cachés à ma vue dans ce plancher (2). Et elle avait sur sa tête, en forme de couronne, un cercle d’un éclat merveilleux (3) ; elle avait aussi une robe couleur d’or, de laquelle pendait, depuis la poitrine jusqu’aux pieds, une ceinture qui scintillait, comme l’éclat de la pourpre, des pierreries les plus précieuses, sur un fond couleur verte, blanche, rouge et azur (4).

Et elle criait aux hommes qui vivaient dans le monde, et disait : « O hommes, que vous êtes lents à vous décider ! Pensez-vous que le secours vous manquerait, si vous vouliez revenir? Lorsque vous commencez à courir dans la carrière du Seigneur, les moucherons et les mouches vous en empêchent par leur bruit ; mais prenez l'éventail de l’inspiration du Saint-Esprit, et vous parviendrez à les chasser au plus vite. Il vous faut courir et espérer le secours de Dieu; abandonnez-vous, sans réserve, au service du Seigneur, et vous serez fortifiés par sa main toute-puissante. »

Et sur le pavé de l'édifice, il y avait trois autres images [t], dont l’une était penchée sur ces colonnes, et les deux autres étaient devant la première des trois, à côté l’une de l’autre. Et toutes trois elles se dirigeaient vers la colonne de l’humanité du Sauveur et vers la tour dont il est ici question (1).

Or, l’image qui était penchée vers les colonnes m'apparut d’une largeur égale à celle de cinq hommes qui lui tenaient lieu d’assesseurs (1), mais d’une si grande étendue que je ne pouvais en mesurer la longueur (2), en sorte que ses regards s’étendaient sur tout l’édifice (3). Elle était aussi douée d’un esprit élevé et d’une sagacité qui lui permettaient de fixer ses regards pénétrants vers le ciel, étant comme une nuée blanche, lumineuse et sereine. Et je n’ai remarqué en elle aucune forme humaine (4). Et elle cria partout à toutes les autres vertus : « Levons-nous vite, disait- elle, parce que Lucifer a répandu ses ténèbres par tout le monde. Élevons des tours, fortifions-les de redoutes célestes, parce que le diable est l’ennemi qui attaque les élus de Dieu; lui qui, dès le principe et dans sa gloire, conçut et fit de grandes tentatives, maintenant, dans sa ruine, conçoit et entreprend encore plus. Car il multiplie ses ruses et sa malice en répandant son souffle impur et ne veut point céder. C’est contre ces desseins que nous sommes établis pour vaincre sa malice et sa perversité ; autrement les hommes, dans cette lutte, ne pourront se sauver sur la terre. Et, de même qu’à sa première origine il n’a pas craint de s’opposer à Dieu, de même encore, en ces derniers temps, son imitateur l’Antéchrist osera résister à l’Incarnation du Seigneur. Mais Lucifer est tombé au commencement des temps, et l’Antéchrist va tomber à la fin des temps. Alors on verra ce qu’est le vrai Dieu et celui qui n’est jamais tombé. Et de même que Lucifer eut pour sectateurs les démons, qui, précipités du ciel, ont partagé le malheur de sa condamnation; de même encore il a sur la terre des hommes qui le suivent dans l’abîme de la perdition. Mais nous, les vertus, nous sommes postés contre ses ruses et ses suggestions, qu’il trame dans le monde pour capter les âmes, afin de réduire par nous à néant, dans le cœur des justes, tous ses artifices, de manière à manifester sur tous les points sa confusion, Ainsi, Pieu par nous serp, connu, parce qu'il ne doit point être caché, mais manifesté dans son entière justice. »

Mais la première des deux autres images [t] qui se tenaient à côté l'une de l'autre devant la première des trois (1), paraissait armée d'un casque, d'une cuirasse et revêtue de gants et de brodequins, ayant à sa main droite une épée nue, et une lame à sa main gauche. Et, foulant aux pieds un horrible dragon, elle lui enfonçait dans la gueule le fer de sa lance, en sorte qu'il vomissait l'écume la plus dégoûtante. Et elle brandissait, comme pour frapper fort, l'épée qu'elle avait à la main ; elle disait : « O Dieu tout-puissant ! qui pourra vous résister et vous livrer la guerre ? Ce n'est pas cet ancien serpent, ce dragon, le démon. Aussi, par votre secours, je veux l'attaquer au point que nul ne pourra ni me résister, ni me vaincre, ni le fort, ni le faible, ni le prince, ni l'homme abject, ni le noble, ni le roturier, ni le riche, ni le pauvre (2). Je veux être une cabane fortifiée, fabriquant les armes invincibles destinées à combattre les combats du Seigneur, et dont je suis la lame la plus fortement trempée ; car il ne sera pas dit que personne puisse être brisé en toi, très-puissant Dieu, par qui je m’élève même pour chasser Satan. Je serai donc toujours pour l’humaine faiblesse un secours assuré relevant leur timidité par ce glaive acéré qu’ils brandissaient pour leur défense. O Dieu très-miséricordieux et compatissant, secourez ceux qui ont le cœur contrit. »

Et la troisième image [t] paraissait avoir trois têtes, l’une à la place ordinaire, et les deux autres sur chaque épaule; et celle au milieu dépassait un peu les deux autres. Mais celle qui était au milieu et celle qui était à droite avaient un si grand éclat, que leur clarté éblouissait mes yeux. Je ne pouvais distinguer si elles avaient les traits d’un homme ou d'une femme; et celle de gauche apparaissait un peu sombre et revêtue d’un voile blanc comme une femme (1).

Cette image était revêtue d'une robe de soie et de souliers éclatants de blancheur. Elle avait sur son cœur le signe de la Croix, autour duquel était une lumière qui brillait sur sa poitrine comme l'aurore (1). De sa main droite elle brandissait une épée nue» qu'elle appliquait aussi pieusement avec la Croix sur son cœur. Et je voyais inscrits sur la tête du milieu le mot : Sainteté ; sur la tête de droite : Source du bien ; sur la tête de gauche : Dévouement.

Celle du milieu (2) disait, en regardant les deux autres : « Je suis née de la sainte humilité, comme l'enfant est né de sa mère ; c'est par elle que j'ai été élevée et que j'ai été fortifiée, comme un enfant s'élève et se fortifie au sein de sa mère. L'humilité, c'est ma mère qui remporte la victoire et surmonte tous les obstacles les plus intolérables pour les autres. »

Celle de droite regardait la tête naturelle, et disait (3) : « Dès ma naissance, j'ai pris racine sur les montagnes au pic élevé, qui est Dieu même. C'est pourquoi, ô Sainteté, pour que tu te maintiennes, il faut que j'adhère à tes entrailles (1). »

La tête de gauche regardait aussi la tête naturelle et disait : « O malheur ! malheur ! malheur! D’où vient que je suis aussi sévère et aussi inflexible, si ce n’est, ô Sainteté, parce qu’il m’est très-difficile de remporter la victoire qui te vient en aide? Non (2), sans moi tu ne pourrais tenir si je succombais. O douleur ! pour celui qui néglige le bien, car il me faut enlever une épine des plus malignes, qui, par sa piqûre, me force à frapper à mort, pour l’arracher avant qu’elle se perde dans mes chairs et qu’elle s’envenime en moi, comme en un cadavre en pourriture (3). O Sainteté (4), afin que je puisse persévérer en toi, je veux éviter les lacs envahissants du démon et les rompre par ma confiance au vrai Dieu. »

Et celui qui siégeait sur le trône, dont il a été parlé, me fit connaître ces choses en ces termes : « Le Fils de Dieu s’étant incarné, le nouveau peuple d'acquisition soutenu dans le Saint-Esprit par la doctrine du salut du monde, se produisant par la fermeté d'hommes courageux, fortifiés sous l'inspiration des vertus célestes contre le plus cruel des ennemis, à qui nul homme ne peut résister que par la grâce divine, se montre tellement invincible avec le secours du Seigneur, qu'aucun artifice de ce séducteur ne peut le séparer de Dieu, ou l'anéantir dans sa pensée. C'est pourquoi, cette tour (a), que tu vois au delà de la colonne de l'humanité du Sauveur, représente l'Église, qui, bien qu'achevée par l'Incarnation de mon Fils, s'élève, comme une nouvelle construction, de toute espèce de bonnes œuvres, par le courage et la sublimité des actes surnaturels, pour s'opposer comme une forte tour à l'iniquité de Satan. »





10. Le Fils de l'Homme (32)

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LE PHILOSOPHISME - LE RETOUR DES JUIFS.

Les trois états du dernier ordre religieux représentés par les trois images avec Hénoch et Élie.

Ensuite, sur le sommet de l'angle oriental de l'édifice en question, où les deux parties du mur, l'une lumineuse, l'autre en pierre se joignaient (1), je vis sept degrés (D) d'un marbre éclatant de blancheur, qui paraissaient entourer cette pierre énorme, sur laquelle était le trône du brillant jeune homme (2). Et au-dessus de ces degrés était un trône sur lequel était assis un jeune homme d'un port viril et majestueux, de couleur pâle cependant, avec des cheveux noirs qui descendaient répandus sur ses épaules recouvertes d'une tunique de pourpre (3). Depuis la tète jusqu'au ventre, je pouvais le voir, mais le reste m'avait été caché (1): Et, regardant de nouveau dans le monde, il criait de toute sa force à ceux qui vivaient dans le monde : « O insensés ! qui croupissez dans la honte et l’inaction (2), ne voulant tourner un seul regard sur l'excellence de votre âme, mais qui brûlez toujours du désir de faire le mal, auquel vous porte la concupiscence, et qui refusez de vivre en paix avec vous-mêmes et dans la droiture, comme si vous n’aviez aucune notion du bien et du mal, ni de l’honneur qu’il y a à éviter le mal et à suivre les inspirations du bien ; écoutez les paroles que vous adresse le Fils de Dieu (3). »

Et sur cette partie de l’orient [E], au-dessus du plancher de cet édifice, à côté du jeune homme (4), je vis trois images debout qui regardaient ce jeune homme avec beaucoup de piété (1). Et du côté de l’Aquilon [F], entre ce grand cercle [Y] qui partait du brillant jeune homme assis sur le trône et l’édifice, je vis une roue suspendue en l’air [h], et dans cette roue le buste d’un homme qui lançait sur le monde des regards foudroyants (2). Et à l’angle méridional [M] de l’édifice, il y avait une autre image [ë] à l’intérieur, au-dessus du plancher, qui se portait avec une grande joie vers ce jeune homme (3).

Telle était la ressemblance entre elles de ces images (4). Elles avaient toutes, comme les autres vertus, des vêtements de soie. Toutes elles avaient aussi la tête recouverte de voiles blancs, excepté celle qui était à droite, au milieu des trois, dont il a été question (1); elle avait la tête découverte et laissait voir ses cheveux blancs (2). Et aucune d’elles n'avait de manteau, si ce n’est l'image du milieu (3), qui était revêtue d'un manteau blanc. Et toutes étaient revêtues de tuniques blanches, excepté celle au milieu de la roue, qui avait une tunique brune (4). Et aussi excepté celle qui, étant à gauche au milieu des trois images, avait une tunique de couleur blanc mat (5). Toutes aussi avaient des brodequins blancs, mais celle du milieu des trois (6) avait sa chaussure noire marquetée de différentes couleurs.

Et voilà en quoi l'on pouvait les distinguer : Sur la poitrine de celle qui tenait le milieu des trois, dont il a été question (1), et qui se tenaient vis-à-vis l’une des deux autres (2) [t], il y avait deux petites fenêtres (3). Et sur ces fenêtres, il y avait un cerf tourné vers la droite de cette même image, de manière que ses pieds de devant étaient dirigés vers la fenêtre de droite, et ses pieds de derrière vers la fenêtre de gauche, comme pour courir. Et cette image disait : « Je suis la colonne la plus solide (4) [n], et qui ne peut être étonnée par le vent de l’instabilité, de manière à être agitée comme la feuille, qui se meut et est poussée çà et là par la tempête ; mais je dois durer jusqu’à la fin sur la pierre de la vérité, qui est le vrai Fils de Dieu. Et qui peut m’ébranler? qui peut me suivre ? Ce ne sera ni le fort, ni le faible, ni le prince, ni l’homme abject, ni le riche, ni le pauvre, qui pourra me détourner du Seigneur immuable? Je ne bougerai pas, moi qui suis fondée sur le ferme appui (1
Si 24,15). Je ne veux avoir aucun rapport avec les flatteurs, qui sont poussés dans toutes les voies par le vent de la tentation, sans s’affermir dans la tranquillité de l’ordre, étant toujours inclinés vers les choses basses et corruptibles. Non, il n’en est pas ainsi de moi, je suis établie sur la pierre ferme. »

Mais l’image, qui était à sa droite (2), regardait le cerf, et disait : « De même que le cerf soupire après les fontaines d'eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, Seigneur. C’est pourquoi je veux passer les montagnes et les collines, et les futiles douceurs de cette vie éphémère, ne voulant considérer dans la simplicité de mon âme que la fontaine d’eau vive ; car elle déborde d’une gloire tellement surabondante, que personne ne peut se rassasier de ses douceurs, par l’ennui que font naître ces abondances mêmes (3).

Et l’image de gauche (4), jetant les yeux sur ces fenêtres (1), disait : « Je vois toujours, je possède à jamais la lumière véritable et éternelle, et, quels que soient mes pensées, mes soupirs, mon attente, je ne pourrai jamais être rassasiée de la douceur inaltérable qui se trouve dans le sein du Dieu très-haut (2). »

L'image qui près de l'Aquilon [F] (3), apparaissait dans la roue [h], avait dans sa main droite un petit rameau vert (4); et la roue tournait toujours autour de l’image immobile (5). Il, y avait écrit dans la roue ces paroles : « Que celui qui est mon serviteur me suive, et où je serai moi-même mon serviteur doit s'y trouver. » Et sur le cœur de cette image était écrit : « Je suis une hostie de louanges pour les provinces (1 Mc 13,10). » Et l’image disait :

« A celui qui remportera la victoire je donnerai de manger du fruit de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de mon Dieu, parce que la fontaine du salut, engloutissant la mort, a déversé sur moi ses ruisseaux, et m’a rendue verdoyante par la Rédemption (2). »

Et l’image [ë] qui apparaissait à l’angle du midi jetait un si grand éclat, que je ne pouvais la considérer (3). Elle avait de chaque côté une aile blanche, dont la largeur surpassait la hauteur d’une image (4). Et elle disait : « Qui peut se croire assez fort pour oser attaquer Dieu (5)? Et qui porte assez loin la hardiesse pour oser me dépouiller et me corrompre dans le déshonneur que me veulent infliger la haine et la jalousie (1 Ap 11,8) ? Mais Dieu est juste et seul de toute puissance et de vraie gloire (2). Je veux toujours m’y attacher avec un cœur pur et un visage rayonnant, et me réjouir sans cesse dans toutes mes justices. Je ne veux point changer (3), mais persévérer toujours dans un même esprit et louer continuellement le Seigneur. Le démon, ni l’homme malveillant ne pourront énerver mon courage, ni l’abattre par la fureur de sa malice artificieuse (4), et je persévérerai toujours dans l’imitation de cette paix que procure la véritable unité (5). Le monde va passer, et j’apparaîtrai (6) plus manifestement (7) dans la céleste gloire.

Après cela le pavé de l'édifice en entier (1) m'apparut tout à coup resplendissant comme du cristal, qui répandait de lui-même une clarté sereine (2 Ap 21,18-21). Et la lumière [Y] du brillant jeune homme assis sur le trône, qui me montrait toutes ces choses, se répandit à travers le temple jusqu’à l’abîme. Mais entre le cercle qui partait de celui qui siégeait sur le trône et cet édifice, apparut alors la terre, comme étant un peu inclinée en bas, de manière que l'édifice semblait être sur une montagne (3 cf. Is 64,1). Et le brillant jeune homme, qui siégeait sur le trône me dit encore : « Le Fils du Dieu vivant, né d'une Vierge, est la pierre angulaire, qui a été rejetée par ceux qui, vivant sous la loi de Dieu, devaient l’édifier pour leur salut ; mais ils ont refusé de le faire, préférant les ténèbres à la lumière. Et cependant le Fils de Dieu règne puissamment sur eux (1), qui ardemment pénétrés des inspirations du Saint-Esprit, se mortifient extérieurement pour leur salut, et se portent de toute la force de leur âme vers les choses intérieures dans la perfection des vertus et des bonnes œuvres. »

11. La fin des temps (42)


Scivias FR 3700