Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1024

Chapitre 24

1024   Paroles de Dieu le Père devant les troupes célestes, et réponse du Fils et de la Mère au Père, pour obtenir la grâce pour sa fille, c'est-à-dire, pour l'Église.

  Le Père éternel parlait, lorsque toute la cour céleste, écoutait, disant : Devant vous je me plains : j'ai donné ma fille à un homme qui l'afflige trop et la serre misérablement avec un cep de bois, de sorte que toute la moelle sort de ses pieds. Son Fils répondit : C'est celle-là que j'ai rachetée de mon propre sang et que j'ai épousée par mon amour ; mais maintenant, on me l'a ravie par violence. Ensuite la Mère de Dieu disait : Vous êtes mon Dieu et mon Seigneur, et en mon corps ont été les membres de votre vrai Fils et mon vrai Fils. Or, je ne vous ai rien refusé sur la terre : ayez donc pitié de votre fille pour l'amour de mes prières.

  Après ceci, les anges parlaient, disant : Vous êtes notre Dieu et notre Seigneur, et nous avons en vous toute sorte de biens, et nous n'avons besoin que de vous. Quand vous vous choisîtes cette épouse, nous vous en félicitions tous ; mais maintenant, nous pouvons nous en contrister à bon droit, car elle est livrée entre les mains d'un méchant, qui l'avilit misérablement et la charge d'opprobres. Faites-lui donc miséricorde pour l'amour de votre grande miséricorde, car sa misère est immense, et il n'y a personne qui la console et l'en affranchisse, si ce n'est vous, ô Seigneur, Dieu tout-puissant !

  Alors le Père répondit au Fils : Mon Fils, votre plainte est ma plainte, votre parole est ma parole, vos oeuvres sont mes oeuvres. Vous êtes en moi et je suis en vous inséparablement. Que votre volonté soit faite. Après, il dit à la Vierge sainte, Mère de Dieu : Comme vous ne m'avez rien refusé sur la terre, je ne veux rien vous refuser dans le ciel. Que votre volonté soit accomplie. Et il dit aux anges : Vous êtes mes amis, et les flammes de votre amour brûlent dans mon coeur. Je ferai miséricorde à ma fille pour l'amour de vos prières.

Chapitre 25

1025   Paroles de Dieu le Créateur à son épouse. En quelle manière sa justice soutient les mauvais: en trois manières ; et comme la miséricorde leur est donnée en trois autres façons.

  Je suis l'adorable Créateur du ciel et de la terre. Vous admirez, ô mon épouse! Pourquoi je souffre les méchants avec tant de patience : c'est parce que je suis miséricordieux, car ma justice les souffre en trois manières. En premier lieu, ma justice les souffre afin que leur temps soit entièrement accompli. Car comme un roi juste qui a des méchants dans sa prison, si on lui demande pourquoi il ne les fait pas mourir, répond : Parce que l'occasion générale ne s'en est pas encore offerte, où on les entendra, et on les verra souffrir au profit et à l'utilité des auditeurs et des spectateurs : de même je supporte les mauvais jusqu'à ce que leur temps vienne, afin que leur malice soit connue aux autres.

N'avais-je pas prédit la réprobation de Saül longtemps avant qu'elle fût manifestée aux hommes, de Saül que j'ai longtemps souffert, afin que sa malice fût manifestée aux autres. Deuxièmement, d'autant que les méchants ont fait quelque bien dont ils doivent être récompensés jusqu'au dernier période de leur vie, afin qu'il n'y ait pas un bien, quelque petit qu'il soit, fait pour l'amour de moi, dont ils ne soient récompensés en cette vie. Troisièmement, je les souffre, afin que l'honneur de Dieu et son incomparable patience soient publiés : c'est pourquoi j'ai supporté Pilate, Hérode et Judas, bien que toutefois ils fussent damnés par leurs péchés. Partant, si quelqu'un s'enquiert pourquoi je supporte celui-là et celui-là, qu'il considère un Judas et un Pilate.

  Ma miséricorde pardonne aussi aux méchants en trois manières : premièrement, à cause de l'excès de mon amour, car la peine éternelle est longue : c'est pourquoi, à raison de ma grande charité, je les supporte jusqu'au dernier période de leur vie, afin que les peines qui doivent durer longuement commencent fort tard ; en deuxième lieu, afin que leur nature se consomme en vices, car la nature se consomme par le péché, afin qu'ils ne trouvent pas la mort temporelle si amère, si leur nature était forte dans la jeunesse, car la nature jeune fait la mort plus longue et plus amère. En troisième lieu, ma miséricorde leur pardonne, à raison de la perfection des bons et pour la conversion de quelques méchants : car quand les hommes bons et justes sont affligés par les méchants, cela leur profite, ou bien pour les retenir du péché, ou bien pour les retenir du péché, ou bien pour les faire mériter. De même les mauvais vivent quelquefois avec les mauvais pour le bien ; car quand les méchants considèrent les événements des méchants et leur iniquité, ils disent en eux-mêmes : Que nous sert de les suivre ?

Puisque Dieu est si patient, il vaut mieux se convertir que l'offenser. Et de la sorte, souvent ceux qui s'étaient retirés de moi retournent vers moi, car ils ont horreur de commettre telles choses que commettent les méchants, leur conscience leur dictant qu'il ne faut pas faire de telles choses. De là vient qu'on dit que celui qui est piqué par le scorpion, guérit soudain, s'il est oint de l'huile d'un autre scorpion mort : de même un méchant, voyant les événements funeste d'un autre, se repent, et considérant la vanité et l'iniquité d'autrui, guérit les siennes.

Chapitre 26

1026   Paroles de louange que les anges donnent à Dieu, et de la génération des enfants, si nos premiers parents n'eussent pas péché. En quelle manière Dieu a montré par Moïse ses merveilles à son peuple, et puis lui à nous en son avènement. Des corruptions du mariage corporel qui se font en ce temps, et des conditions d'un mariage spirituel.

  On a vu devant Dieu une troupe d'anges qui disaient : O Dieu et Seigneur, à vous louange et honneur, à vous qui êtes et qui étiez sans fin ! Nous sommes vos serviteurs. Nous vous louons, nous vous honorons pour trois raisons : premièrement, parce que vous nous avez créés de votre main puissante, afin que nous nous réjouissions avec vous, et que vous nous avez donné la lumière ineffable, afin que nous tressaillions d'une joie indicible et éternelle ; deuxièmement, parce que toutes choses sont créées en votre bonté, persistent en votre stabilité, toutes subsistent selon votre volonté et sont permanentes en votre parole ; troisièmement, parce que vous avez créé l'homme, pour lequel vous avez pris l'humanité, d'où nous retirons un grand sujet de joie et un grand contentement de ce que votre Mère bien-aimée a mérité de porter celui que les cieux ne pouvaient envelopper ni contenir. Que votre gloire et votre bénédiction soient sur toutes choses, pour la dignité angélique dont vous nous avez revêtus et pour le grand honneur que vous nous avez fait ! Que votre éternité, que votre perpétuelle stabilité soit tout à tout ce qui est et sera jamais ! Que votre amour soit sur l'homme que vous avez créé ! Vous seul êtes désirable à cause de votre amour ; vous seul êtes aimable pour votre stabilité : donc, honneur et gloire vous soient incessamment rendus en tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

  Alors Notre-Seigneur dit : Vous m'honorez dignement pour toutes les créatures ; mais dites, pourquoi me louez-vous pour l'amour de l'homme, puisqu'il a provoqué mon indignation plus que toutes les autres créatures ? Ne l'ai-je pas créé plus excellent que toutes les créatures terrestres ? Ai-je souffert, pour aucune créature, tant de choses si indignes que j'ai souffertes pour lui ? Et ai-je rien racheté plus chèrement que lui ? Ou bien, quelle est celle des créatures qui ne garde pas quelque ordre réglé, si ce n'est l'homme ? Il m'est la plus fâcheuse de toutes les créatures, car comme je vous avais créés pour ma gloire et pour mon honneur, de même j'avais créé l'homme pour ma gloire.

  Certes, je lui avais donné le corps comme un temple spirituel, dans lequel j'avais mis l'âme comme un bel ange, parce que l'âme de l'homme est presque semblable à la vertu et à la force d'un ange. Dans ce temple, moi, son Dieu et son Créateur, j'étais le troisième, afin qu'il eût du plaisir et du contentement. Je lui ai fait ensuite avec sa propre côte un autre temple semblable à celui-ci. Mais vous, maintenant, ô mon épouse! Pour l'amour de laquelle se font toutes ces choses, vous pouvez considérer et demander quels enfants seraient nés d'eux, s'ils n'eussent péché. Je vous dis qu'ils seraient nés de la divine charité et de la mutuelle dilection d'Adam et d'Ève; et de leurs descendants qui se seraient unis, le sang, dans le corps de la femme, serait devenu fécond par l'amour sans aucune sale volupté, et de la sorte la femme se serait rendue plus fructueuse. Ensuite, l'enfant étant conçu sans péché, sans aucun plaisir immonde, j'aurais versé de ma Divinité une âme en lui, et la femme l'aurait ainsi porté et enfanté sans douleur. L'enfant aurait été, dès sa naissance, parfait comme Adam. L'homme a méprisé cet honneur, quand il a obéi au démon, et a désiré plus d'honneur que je ne lui en avais donné.

  Or, la rébellion étant faite, mon ange vint à eux. Ils eurent honte de leur nudité, et soudain ils sentirent la concupiscence de la chair et endurèrent la faim et la soif. Alors ils ne me possédèrent plus, car quand ils me possédaient, ils ne ressentaient ni faim, ni soif, ni délectation sensuelle, ni honte, mais moi seul, j'étais tout leur bien, toute leur douceur et tout leur plaisir, et le diable se réjouissait de leur perte malheureuse et de leur funeste ruine. Moi, ému de pitié sur eux, je ne les ai point laissés, mais je leur ai découvert une triple miséricorde ; car ils étaient nus, je les ai vêtus, et la terre leur a donné du pain (
Gn 3). Pour la luxure que le démon avait excitée en eux par l'accroissement de la rébellion, ma Divinité leur a donné pour leur semence des âmes ; et tout ce que le diable leur suggérait de mal, je le changeai heureusement en bien. Je leur ai montré ensuite la manière de bien vivre et de m'honorer, et leur ai permis de se marier et d'engendrer ; car avant que je leur eusse indiqué et permis le mariage, saisis de crainte et d'effroi, ils n'osaient pas se marier.

  De même, après qu'Abel eut été tué, Adam et Ève l'ayant pleuré longtemps et s'étant abstenus de l'usage du mariage, ému de compassion envers eux, je les ai consolés. Et alors, ayant connu ma volonté, ils commencèrent de nouveau d'engendrer des enfants, de la postérité desquels moi, leur Créateur, je leur promis de naître, selon les desseins éternels de la Divinité.

  Mais la malice des enfants d'Adam croissant de plus en plus, je manifestai aux pécheurs les rigueurs épouvantables de ma justice, et aux élus, les trésors infinis de ma miséricorde. En effet, étant apaisés, je les ai sauvés de la perdition et je les ai exaltés, parce qu'ils gardaient mes commandements et croyaient à mes promesses. Or, le temps de ma miséricorde étant arrivé, je leur ai montré mes merveilles par Moïse (Ex 3 Ex 4 Ex 5 etc. ), car j'ai sauvé mon peuple, selon ma promesse. Je les ai nourris de la manne, et j'allais au-devant d'eux, dans la colonne de nuée et de feu; je leur ai donné ma loi ; je leur ai découvert mes secrets et révélé les choses futures, par mes prophètes. Après tout cela, moi, qui ai créé toutes choses, j'élevai une vierge née de père et de mère (Niceph. lib. I. c. 7. ), de laquelle j'ai pris d'une manière ineffable une chair humaine ; et je voulus naître d'elle miraculeusement et sans péché, comme les premiers enfants devaient naître au paradis terrestre, par le mystère de la divine charité, d'un amour mutuel de ceux qui engendraient sans autre immonde volonté. De même ma Divinité a pris chair humaine de la Sainte Vierge, sans connaissance d'homme et sans blesser sa virginité. Venant donc en ma chair, vrai Dieu et vrai homme, j'accomplis la loi et toutes les Écritures, comme il avait été auparavant prophétisé de moi, et j'ai commencé une nouvelle loi, car l'ancienne était étroite et lourde à porter ; elle n'était qu'une figure des choses futures qu'il fallait faire. En effet, dans cette ancienne loi, il était loisible à un homme d'avoir plusieurs femmes, afin que la postérité ne fût pas sans enfants, ou bien afin qu'ils ne se mariassent pas avec les Gentils. Or, dans ma nouvelle loi, il est ordonné que le mari n'ait qu'une seule femme, et il lui est défendu, tant qu'elle vit, d'en avoir davantage.

  Ceux donc qui se marient, portés par une charité et une crainte divine pour engendrer, me sont un temple spirituel dans lequel, moi, troisième, je veux demeurer avec eux. Mais les hommes de ce temps se marient pour sept raisons : 1° pour la beauté de la face ; 2° pour les richesses ; 3° pour le trop grand plaisir et l'excessif plaisir qu'ils y prennent ; 4° parce que là se font une assemblée de parents et d'amis et des banquets immodérés ; 5° parce qu'au mariage, il y a de l'orgueil dans les habits, les banquets, les cajoleries et autres vanités ; 6° pour engendrer des enfants, non pas pour les nourrir à Dieu ou pour les élever dans les bonnes moeurs, mais pour les faire parvenir aux richesses et aux honneurs ; 7° pour satisfaire comme des chevaux aux appétits de luxure.

  Ceux-là viennent avec un consentement et concorde devant la porte de mon Église ; leur affection et leurs pensées me sont entièrement contraires, attendu que, pour plaire au monde, ils préfèrent leur volonté à la mienne. Si leur pensée étaient en moi ; s'ils mettaient leur volonté dans mes mains et s'ils se mariaient en ma crainte, alors je consentirais à leur mariage et je serais le troisième avec eux. Or, maintenant, mon consentement qui devrait être le principal de leur fait, leur est refusé, car la luxure est en leur coeur, et non mon amour. Après, ils s'approchent de mon autel, où ils apprennent qu'ils devraient être un même coeur et une même âme en Dieu ; mais alors mon coeur se retire d'eux, parce qu'ils n'ont pas l'amour de mon coeur ni le goût de ma chair divinisée ; car ils cherchent l'amour qui périra soudain, et trouvent la chair que les vers rongeront bientôt. Partant, ceux-là sont unis sans le lien de Dieu, mon Père, et leur union est sans la charité du Fils et sans la consolation du Saint-Esprit.

  Or, quand les mariés entrent dans la chambre nuptiale, soudain mon Esprit se retire d'eux, et l'esprit d'impureté s'en approche, attendu qu'ils ne s'unissent que pas un mouvement de luxure, et il n'y a que luxure entre eux.

Néanmoins, je leur ferais miséricorde s'ils se convertissaient, car ma grande charité verse l'âme vivant, créée par ma puissance, et je permets quelquefois que de mauvais parents engendrent de bons enfants. Ordinairement, néanmoins, de mauvais parents ne naissent que de mauvais enfants, d'autant que ces enfants imitent l'iniquité de leurs parents autant qu'ils peuvent, et les imiteraient davantage, si ma patience le permettait. Un tel mariage ne verra jamais ma face, si les mariés ne font pénitence. Certes, il n'y a pas de péché, quelque grand qu'il soit, qui ne soit effacé par la pénitence.

  C'est pourquoi je me convertirai au mariage spirituel que Dieu fait avec un corps et une âme chastes, car en ce mariages se trouvent sept biens opposés aux maux susdits ; car en lui, la beauté et l'éclat du corps n'y sont pas tant désirés, ni la vue de ce qui est désirable par le débordement de la sensualité, mais seulement l'amour et la vue de Dieu.

En deuxième lieu, on n'y souhaite pas de grands moyens, mais seulement de quoi vivre et pour subvenir à la nécessité, et non pour la superfluité. Troisièmement, ils y évitent les paroles oiseuses et les cajoleries.

Quatrièmement, ils ne se soucient point d'y voir leurs amis et leurs parents, mais je suis leur amour et leur désir.

Cinquièmement, ils désirent garder l'humilité intérieure en leurs consciences, et extérieure en leurs vêtements. Sixièmement, ils ne veulent jamais s'adonner à l'impureté.

Septièmement, ils enfantent à Dieu leur fils et leurs filles par la sainte conversation, par le bon exemple et par la prédication de la parole de Dieu. Ceux-là assistent alors aux portes de mon Église, quand ils gardent une foi inviolable, quand ils obéissent à mes volontés et moi aux leurs, et ils s'approchent de mon autel, quand ils se plaisent à mon corps et à mon sang. Et en cette délectation, ils veulent être un même coeur, une même âme et une même volonté ; et moi, Dieu et homme puissant dans le ciel et sur la terre, je serai troisième avec eux, moi qui remplis leur coeur.

  Les mariés de ce temps commencent leur union par la luxure, comme les chevaux et sont pires que les chevaux. Mais les mariés spirituellement commencent en la charité et la crainte divine ; ils veulent ne plaire qu'à moi seul. Le diable remplit et excite ceux-là à la délectation de la chair, dans laquelle il n'y a que puanteur, mais ceux-ci sont remplis de mon Esprit, et sont enflammés du feu de l'amour divin, qui ne s'éteint jamais en eux. Je suis un Dieu en trois personnes et un en substance avec le Père et le Saint-Esprit ; car comme il est impossible de séparer le Père du Fils, et le Saint-Esprit du Père et du Fils ; et comme il est impossible de séparer la chaleur du feu, de même il est impossible de séparer de moi tels mariés spirituels, et de faire que je ne sois le troisième avec eux, car mon corps a été déchiré et mis à mort dans la passion, mais il ne sera jamais plus déchiré, il ne mourra jamais plus. De même ceux qui me sont incorporés par une foi droite et par une volonté parfaite, ne mourront jamais, car là où ils sont debout, assis ou marchant, je suis toujours le troisième avec eux.



Chapitre 27 Paroles de la Mère de Dieu à l'épouse, où elle lui montre qu'il y a trois choses dans les danses.

1027 Comment ce monde est désigné pour les danses. Tribulation que reçut la Mère de Dieu en la mort de Jésus-Christ.

  La Mère Dieu parlait à l'épouse de Jésus-Christ disant : Ma fille, je désire que vous sachiez que là où est la danse, là sont trois choses : la joie vaine, la voix épandue et le labeur superflu. Mais quand quelqu'un entre triste et dolent dans une maison où l'on danse, alors son ami, qui participait à la joie de la danse, le voyant triste et dolent, se retire de la danse, afin de s'affliger avec son ami. Cette danse est le monde, qui roule incessamment en ses solitudes malheureuses, que ceux qui sont fous prennent pour des joies et des contentements.

  Dans ce monde, il y a trois choses : la vaine joie, les paroles de cajolerie et le labeur inutile : car tout ce à quoi l'homme s'attache avec tant de sollicitude, le laisse le jour de sa mort. Or, que celui qui est en cette danse considère mon labeur et ma douleur incomparable ; qu'il compatisse avec moi, qui étais privée et séparée de toute la joie mondaine, et qu'il se sépare aussi du monde.

  Certes, à la mort de mon Fils, j'avais le coeur transpercé de cinq lances :

La première lance était de voir mon très cher Fils tout-puissant nu à la colonne, sans pouvoir couvrir sa nudité.

La deuxième était l'accusation des blasphèmes qu'on vomissait contre lui, car on l'accusait d'être traître, menteur, perfide et déloyal espion, lui que je savais juste, véridique ; lui qui n'avait jamais voulu offenser personne.

La troisième lance était la couronne d'épines qui a si inhumainement percé sa tête que le sang découlait dans sa bouche, dans sa barbe et dans ses oreilles.

La quatrième était sa voix, disant : Mon Père, pourquoi m'avez-vous délaissé ? Comme s'il avait voulu dire : Il n'y a que vous qui me fassiez miséricorde.

La cinquième lance qui perçait mon coeur, était sa mort très amère, et mon coeur a été presque blessé d'autant de lances qu'il est sorti de sang de ses veines.

Or, les veines de ses pieds et de ses mains ont été percées, et la douleur des nerfs percés a répondu si vivement à son coeur, et du coeur à ses nerfs sans aucun relâche, attendu que son coeur était délicat (parce qu'il était d'une très bonne nature), que sa vie et sa mort combattaient ensemble : et ainsi sa vie était prolongée avec ses cuisantes douleurs.

Mais la mort s'approchant, son coeur se fendit à cause de l'intolérable douleur ; alors soudain tous ses membres tremblèrent, et sa tête, qui était baissée, se leva un peu ; ses yeux à demi clos s'ouvraient à demi. Sa bouche aussi était ouverte, et on voyait sa langue ensanglantée ; ses doigts et ses bras, qui s'étaient aucunement retirés, s'étendaient. Mais quand il eut rendu l'esprit, sa tête s'abaissa vers sa poitrine, ses mains se retirèrent un peu du lieu des plaies, et ses pieds supportaient un plus grand poids. Alors mes mains se séchèrent, mes yeux s'obscurcirent, ma face pâlit comme la face d'un homme mort, mes oreilles n'entendaient rien, ma bouche ne parlait point, mes pieds chancelaient, et mon corps tomba à terre.

  Or, me relevant, voyant mon cher Fils plus méprisé qu'un lépreux, je conformai ma volonté à la sienne, sachant que toutes choses avaient été faites selon sa volonté, et que rien ne se pouvait faire que par sa permission, et le remerciai de toutes ces choses. Sa joie était mêlée de douleur, car je voyais qu'innocent, il avait voulu souffrir avec tant d'amour pour les pécheurs. Donc, que tous ceux qui sont dans le monde considèrent quelle j'étais à la mort amère et cruelle de mon Fils, et qu'ils aient toujours cet objet posé devant les yeux de leur esprit.



Chapitre 28 En quelle manière quelqu'un vint devant le tribunal pour être jugé, et de la sentence horrible

1028 Paroles de Notre-Seigneur à son épouse, par lesquelles il lui montre en quelle manière quelqu'un vint devant le tribunal pour être jugé, et de la sentence horrible et formidable que lancèrent contre lui Dieu et tous les saints.

  Sainte Brigitte, épouse, voyait Dieu comme courroucé, qui disait : Je suis sans commencement et sans fin ; il n'y a point en moi de changement, ni dans les ans, ni dans les jours, mais tout le temps de ce monde est en moi comme une heure ou comme un moment. Celui qui me voyait, voyait et entendait en moi tout ce qui y est comme en un point ; mais parce que vous, ô mon épouse ! êtes encore corporelle, vous ne pouvez le voir ni le connaître comme un esprit. Partant, pour l'amour de vous, je vous manifesterai tout ce qui s'est passé.

  Je suis assis comme au jugement criminel, d'autant que tout jugement m'est donné. Quelqu'un (1) qui devait être jugé vint devant le tribunal.

On entendit la voix du Père, qui lui dit : Malheur à vous, de ce que vous êtes né ! Non pas que Dieu se repentît de l'avoir fait, mais il parlait comme celui qui a coutume de souffrir et de compatir à l'affligé.

Après, la voix du Fils répondit : J'ai versé mon sang pour l'amour de vous, et j'ai souffert pour vous une peine très amère ; vous vous êtes éloigné de tout ce bien, et n'avez rien en vous de tout ceci.

La voix du Saint-Esprit dit : J'ai cherché dans tous les replis de son coeur, pour savoir si par hasard j'y trouverais un peu de charité et d'affection, mais il est froid comme la glace, dur comme la pierre : je n'ai rien avec lui.

Les trois voix n'ont pas été ouïes comme s'il y avait trois dieux, mais elles ont été proférées pour l'amour de vous, ô mon épouse ! Car vous ne pouviez autrement entendre ce mystère.

  (1) Cet homme était un chanoine noble, sous-diacre. Ayant obtenu une fusse dispense pour épouser une fille fort riche, il mourut de mort subite sans jouir de ce qu'il désirait.

  Après, ces trois voix du Père, du Fils et du Saint-Esprit, se sont changées soudain en une voix qui a dit : Le royaume des cieux ne vous est dû aucunement. La Mère de miséricorde ne dit pas un mot, n'ouvrit pas le sein de sa miséricorde, car celui qui devait être jugé en était indigne, et tous les saints criaient d'une commune voix, disant : Telle est la rigueur, telle est la fureur de la divine justice, qu'il soit banni du royaume et de la joie éternelle. Et tous ceux qui étaient en purgatoire dirent : Les douleurs que nous endurons, quelques amères qu'elles soient, ne peuvent vous punir de vos péchés, car vous méritez de souffrir de plus grandes peines : Partant, vous serez séparé de nous.

  Alors celui qui devait être jugé criait d'une voix horrible, disant : Malheur ! Malheur à la semence dont j'ai été engendré et formé ! Après, il disait : Malheureuse soit l'heure où mon âme a été unie à mon corps ! Maudit soit celui qui m'a donné le corps et l'âme ! En troisième lieu, il criait et disait : Maudite soit l'heure où je suis sorti vivant du ventre de ma mère !

Alors sortirent de l'enfer trois voix qui disaient : Venez à moi, âme maudite, entrez dans la mort éternelle et dans la douleur sans fin. Ensuite une autre voix horrible, épouvantable, s'entendit, criant: Venez, ô âme vide de bien ! Livrez-vous à notre malice, car il n'y aura aucun de nous qui ne vous replisse de la fureur de sa malice et de sa peine. En troisième lieu, cette voix disait : Venez, ô âme maudite ! Lourde comme une pierre qui s'enfonce toujours et ne trouve jamais le fond où elle puisse reposer : de même, vous descendrez en un lieu plus profond et plus horrible que le nôtre, afin que vous ne puissiez vous arrêter avant d'arriver à l'abîme profond et épouvantable.

  Et alors Notre-Seigneur lui dit : Je fais comme un homme qui a plusieurs femmes : voyant la chute de l'une, il se tourne vers les autres et se réjouit avec elles : de même, je détourne de lui ma face et ma miséricorde infinie, et je regarde d'un oeil favorable mes serviteurs et me réjouis avec eux Partant, quand vous entendez la chute funeste et la misère déplorable de celui-ci, servez-moi aussi sincèrement que je vous ai fait plus de miséricorde. Fuyez le monde impur et son insatiable concupiscence. N'ai-je pas enduré une passion amère et anéantissante pour la gloire du monde ? Ne pouvais-je pas le racheter avec moins de douleur ? Oui, vraiment. Mais la rigueur de la justice l'exigeait de la sorte : car comme l'homme avait péché par tous ses membres, aussi fallait-il satisfaire pour tous. Pour cela, la Divinité, compatissant à l'homme, brûla d'une si grande charité et d'un si grand amour envers la Vierge sainte, qu'elle prit d'elle la nature humaine en laquelle Notre-Seigneur porta toute la peine que l'homme devait supporter. Donc, si, pour l'amour de vous, je supporte votre peine, demeurez, comme mes vrais et fidèles serviteurs demeurent, en humilité, afin que vous n'ayez honte de rien ni ne craigniez rien que moi.

Gardez-vous tellement de parler, que, si vous saviez que ce fût ma volonté, vous ne voudriez jamais parler. Ne vous attristez pas pour les choses temporelles, car elles sont périssables, puisque je puis enrichir et appauvrir celui que je voudrai.

Partant, ô mon épouse ! Mettez en moi toute votre espérance.

Chapitre 29 de deux âmes dont l'une s'appelle Superbe, et l'autre Humilité

1029   Paroles de la Vierge Marie à sa fille, traitant de deux âmes dont l'une s'appelle Superbe, et l'autre Humilité, par laquelle était désignée la douceur de la Sainte Vierge. De la venue que la Sainte Vierge fait chez ses amis à l'heure de la mort.

  La Mère de Dieu parlait à l'épouse de son Fils, lui disant : Il y a deux dames, l'une sans nom spécial, car elle n'en mérite pas, l'autre est Humilité, qui s'appelle Marie. Le démon domine la première.

  Un chevalier disait à cette dame : Je suis prêt à faire tout ce que vous voudrez et tout ce que je pourrai, pourvu que j'abuse impurement de vous, car je suis fort magnanime de coeur ; je ne crains rien ; je suis prêt à mourir pour vous.

  La dame lui répondit : Mon serviteur, votre amour pour moi est grand ; mais moi, je suis assise sur un siège élevé. Je n'ai qu'un seul siège, et il y a trois portes entre nous :

la première est si étroite que tout ce qui est corporel s'y déchire quand l'homme y passe ;

la deuxième a des pointes si aiguës qu'elles percent jusques aux nerfs ;

la troisième est si ardente que le feu y est incessamment, de sorte que celui qui y passe se fond soudain comme du métal.

  Le chevalier lui répondit : Je donnerai ma vie pour vous, car je ne fais pas grand cas de cette chute.

  Cette dame, c'est la Superbe. Celui qui voudra aller vers elle passera pas trois portes. Celui-là entre par la première porte, qui fait tout pour s'attirer la louange des hommes et pour s'en enorgueillir. Celui-là entre par la deuxième porte, qui fait tout, qui emploie ses pensées et son temps pour pouvoir accomplir la superbe ; qui, s'il le pouvait, donnerait sa chair à déchirer, pourvu qu'il pût acquérir de l'honneur et des richesses. Celui-là entre par la troisième, qui n'a jamais de repos, qui ne se tait jamais, et brûle comme un feu pour trouver les manières de s'enorgueillir et d'acquérir des honneurs. Mais quand il aura acquis ce qu'il désirait, il ne demeurera guère en même état, mais il tombera misérablement. Et néanmoins, la Superbe demeure dans le monde.

  Quant à moi, dit la Vierge Marie, qui suis très humble, je suis assise en un lieu spacieux, et il n'y a au-dessus de moi ni lune ni soleil, mais une inestimable, une admirable sérénité, qui procède de la majesté divine. Au-dessous de moi, il n'y a ni terre ni pierres, mais un incomparable repos au sein de la divine vérité.

Auprès de moi, il n'y a point de mur, mais une glorieuse compagnie des anges et des âmes bienheureuses. Et bien que je sois assise si haut, néanmoins, j'entends les gémissements et je vois les larmes de mes amis qui sont sur la terre. Je vois que leurs peines et leur force sont plus grandes que celles qui combattent pour dame Superbe. Partant, je les visiterai et les placerai sur mon trône, qui est spacieux, qui peut les contenir tous. Mais ils ne pourront encore venir à moi ni s'asseoir avec moi, d'autant qu'il y a deux murs entre eux, par lesquels je les conduirai sûrement, afin qu'ils arrivent jusqu'à mon trône.

Le premier mur est le monde, qui est étroit et rigoureux : c'est pourquoi je consolerai mes serviteurs ; le second mur est la mort : partant, moi, leur chère Dame et leur Mère, j'irai au-devant d'eux ; je les assisterai à la mort, afin que, dans la mort, ils trouvent soulagement et consolation. Je les placerai avec moi sur le trône de la joie céleste, afin qu'au sein d'une dilection perpétuelle et d'une éternelle gloire, ils reposent éternellement avec une joie qu'on ne peut exprimer.

Chapitre 30 multiplicité des faux chrétiens pour se crucifier avec lui ;

1030 Paroles amoureuse de Notre-Seigneur à son épouse, qui traitent de la multiplicité des faux chrétiens pour se crucifier avec lui ; et comment, s’il était possible, il serait de nouveau prêt à endurer la mort pour les pécheurs.

  Je suis Dieu. Mes pouvoirs sont infinis. J'ai créé toutes choses pour l'utilité des hommes, afin qu'elles servissent toutes à l'éducation de l'homme ; mais l'homme abuse de toutes à son détriment. Et d'ailleurs, il se soucie bien peu de Dieu et l'aime moins que la créature. Les Juifs irrités me firent, dans la passion, trois sortes de peines : l'une fut le bois sur lequel je fus cloué, fouetté et couronné ; l'autre fut le fer avec lequel mes pieds et mes mains furent attachés ; le troisième fut le fiel dont je fus abreuvé. Après, ils blasphémaient contre moi, disant que j'étais un insensé, attendu que, franchement et librement, je m'étais exposé à souffrir la mort, et m'appelaient menteur en ma doctrine.

  Oh ! Combien dans le monde, il y a maintenant de gens de cette trempe, qui me donnent bien peu de consolation ! Car ils m'attachent au bois par la volonté qu'ils ont de pécher ; ils me fouettent par leur impatience, car il n'y en a pas un qui veuille souffrir une parole pour l'amour de moi ; et ils me couronnent des épines de superbe, d'autant qu'ils veulent être plus grands que moi. Ils percent mes mains et mes pieds par le fer de leur endurcissement, attendu qu'ils se glorifient d'avoir péché, et s'endurcissent afin de me craindre. Par le fiel, ils m'offrent d'insupportable tribulation ; par une passion douloureuse, à laquelle j'allais joyeusement, ils me croient insensé, et disent que je suis un menteur. Or, de fait, je suis assez puissant pour les submerger, même tout le monde avec eux, à raison de leurs péchés, si je voulais ; et si je les submergeais, ceux qui resteraient me serviraient par crainte ; mais cela ne serait pas juste et équitable, attendu que, par amour, ils devraient me servir fidèlement. Or, si je venais visiblement et en personne chez eux, leurs yeux ne pourraient me regarder, ni leurs oreilles m'ouïr. En effet, comment un homme mortel pourrait-il voir un immortel ? Je mourrais certes franchement, poussé par l'incomparable amour que j'ai pour l'homme, s'il en était besoin et si c'était possible.

  Alors apparut la bienheureuse Vierge Marie, et son Fils lui dit : Que voulez-vous, ma Mère, ma bien-aimée ?

Elle répondit : Hélas ! Mon Fils, faites miséricorde à votre créature par l'amour de votre amour. Et Notre-Seigneur repartit : Je leur ferai encore une fois miséricorde pour l'amour de vous.

Puis l'Époux, Notre-Seigneur, parlait à son épouse, disant : Je suis Dieu et Seigneur des anges. Je suis Seigneur de la mort et de la vie. Moi-même je veux demeurer en votre coeur. Voici combien d'amour j'ai à votre égard : le ciel, la terre, et tout ce qui est en eux, ne peuvent me contenir, et toutefois, je veux demeurer en votre coeur, qui n'est qu'un petit morceau de chair. Qui donc alors pourrez-vous craindre ? De qui pourriez-vous avoir besoin, quand vous avez en vous-même le Dieu tout-puissant, qui a en soi tout bien ?

  Il faut donc qu'il y ait trois choses dans le coeur qui doit être ma demeure : le lit, dans lequel nous nous reposions, le siège sur lequel nous nous asseyons, la lumière, afin d'être illuminés. Donc, qu'en votre coeur soit un lit de repos et de quiétude, afin que vous vous retiriez des pensées perverses et des désirs du monde, et que vous considériez incessamment la joie éternelle. Le siège doit être la volonté de demeurer avec moi, bien qu'il arrive parfois que vous excédiez : car c'est l'ordre de la nature d'être toujours en même état. Or, celui-là s'arrête en même état qui désire d'être au monde et de ne s'asseoir jamais avec moi. La lumière doit être la foi, par laquelle vous croyiez que je puis tout et que je suis tout-puissant par-dessus tout.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1024