Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1038

Chapitre 38

1038   Colloque agréable de Dieu le Père avec le Fils. En quelle manière le Père a donné l’épouse au Fils. Comment le Fils l’accepte, et de quelle sorte l’Époux instruit l’épouse, par son exemple, à souffrir et à être simple.

  Le Père parlait à son Fils, lui disant : Je suis venu avec amour à la Vierge et ai travaillé à l’ineffable incarnation : c’est pourquoi vous êtes en moi et je suis en vous. Comme le feu et la chaleur ne se séparent jamais, de même il est impossible que la Divinité se sépare de l’humanité.

  Le Fils répond : Que tout honneur et toute gloire vous soient rendus, ô mon Père ! Que votre volonté soit faite en moi et la mienne en vous.

  Le Père répond : Voici, mon Fils, que je vous donne cette nouvelle épouse pour la gouverner et la nourrir comme une brebis. Vous en êtes le maître et le possesseur. Elle vous donnera du lait pour boire et pour vous rafraîchir, et de la laine pour vous vêtir. Mais vous, ô épouse ! Vous devez lui obéir, car il faut que vous ayez trois choses : la patience, l’obéissance et la franchise.

  Alors le Fils dit au Père : Que votre volonté avec la puissance, la puissance avec l’humilité, l’humilité avec la sagesse, la sagesse avec la miséricorde, soit faite, qui est sans commencement et sera sans fin en moi. Je la prends en mon amour, en votre puissance et en la conduite du Saint-Esprit, qui ne sont pas dieux, mais un seul Dieu en trois personnes.

  Alors l’Époux dit à sa très chères épouse : Vous avez entendu comment mon Père vous a donnée à moi comme une brebis : il faut donc que vous soyez simple et patiente comme une brebis, et féconde, pour nourrir et vêtir vos enfants spirituels, car il y a trois choses au monde : la première est toute nue, la deuxième est pressée par la soif, la troisième est famélique.

  La première signifie la foi de mon Église, qui est toute nue, d’autant que tout le monde a honte de parler de la foi, de mes commandements ; et s’il se trouve quelqu’un qui en parle, on s’en moque et on l’accuse de mensonge. Partant, les paroles qui sortent de ma bouche doivent en quelque sorte revêtir de laine cette foi, car comme la laine croît sur le corps de la brebis par la chaleur naturelle, de même, de la chaleur de ma Divinité et de mon humanité, sortent des paroles qui touchent votre coeur, qui y revêtent ma foi sainte par le témoignage de vérité et de sagesse, et montrent qu’elle est vraie, bien que maintenant elle soit réputée fausse et vaine, afin que ceux qui ont eu la lâcheté jusqu’aujourd’hui de ne pas revêtir leur foi de bonnes oeuvres, ayant entendu mes charitables paroles, soient illuminés, et poussés à parler fidèlement et à faire généreusement de bonnes oeuvres.

  La deuxième signifie mes amis, qui désirent, avec autant d’ardeur que ceux qui sont dévorés par la soif désirent de boire, d’accomplir mon honneur, et se troublent quand je suis déshonoré : ceux-ci, ayant goûté la douceur de mes paroles, sont enivrés d’une plus grande charité, et les morts mêmes sont, avec eux, embrasés de mon amour, voyant combien de faveurs je fais aux pécheurs.

  La troisième signifie ceux qui disent en leur coeur : Si nous savions la volonté de Dieu, comment il nous faut vivre, et si nous étions guidés sur le chemin de la vie parfaite, nous y ferions tout ce que nous pourrions. Ceux-ci sont comme des faméliques : ils brûlent de savoir ma voie, et nul ne les rassasie, d’autant que nul ne leur montre parfaitement ce qu’il faut faire ; et si on le leur montre, pas un ne vit comme cela. Et partant, je leur montrerai moi-même ce qu’ils doivent faire, et je les rassasierai de ma douceur, car les choses temporelles et visibles sont ardemment désirées presque par tous, et ne peuvent pourtant rassasier l’homme, mais exciter de plus en plus en lui l’appétit de les acquérir. Mais mes paroles et mon coeur rassasieront les hommes et les rempliront d’indicibles et abondantes consolations.

Donc, vous, mon épouse, qui êtes ma brebis, tâchez d’avoir la patience et l’obéissance, car vous m’appartenez par toute sorte de droits, et partant, il faut que vous suiviez ma volonté.

  Or, celui qui veut suivre la volonté d’un autre doit avoir trois choses :

1° un même consentement avec lui ;

2° semblables oeuvres ;

3° se retirer de ses ennemis. Or, qui sont mes ennemis, sinon la superbe et insupportable et tous les péchés ? Vous devez donc vous retirer de ceux-là, si vous désirez suivre ma volonté.


Chapitre 39  En quelle manière la foi, l’espérance et la charité, furent en Jésus-Christ en sa passion, et sont imparfaitement en nous, misérables que nous sommes !

1039   J’ai eu trois choses en ma mort : la première, une foi, ou, pour mieux dire, une licence que j’avais, sachant que mon Père pouvait me délivrer de la passion, quand je l’en suppliais à genoux ; la deuxième, une espérance, qui fait dire une attente, quand je disais constamment : Qu’il soit fait, non pas comme je veux ; la troisième, un amour, quand je disais : Que votre volonté soit faite. J’eus aussi des angoisses corporelles provenant de la crainte naturelle que j’avais de ma passion, quand la sueur de sang sortit de mon corps, afin que mes amis ne se crussent pas délaissés, quand ils seraient assaillis par les craintes et les tribulations. Je leur ai montré en moi que l’infirmité de la chair fuit toujours les peines : mais vous pourriez vous enquérir comment la sueur de sang sortit de mon corps. Certes, comme le sang d’un infirme se sèche et se consomme dans les veines, de même, par la douleur naturelle que je ressentais de ma mort prochaine, mon sang était consommé. Enfin mon Père, voulant manifester la voie par laquelle le ciel est ouvert, et que l’homme, qui en avait été chassé, pouvait y rentrer, son amour m’a abandonné dans la passion, afin qu’après ma passion, mon corps fût glorifié : car, de droit et de justice, mon humanité ne pouvait arriver autrement à la gloire, bien que je le pusse par la puissance de ma Divinité.

  Comment donc mériteraient d’entrer dans la gloire ceux qui ont une petite foi, une vaine espérance et nulle charité ? Si enfin, ils avaient la foi des joies éternelles et des supplices horribles, ils ne désireraient autre chose que moi. S’ils croyaient que je vois et que je sais toutes choses, que je suis puissant en tout et que je demande raison de tout, le monde leur serait vil, et ils auraient plus de crainte de m’offenser pour mon respect que pour le regard des hommes. S’ils avaient une ferme espérance, alors leur esprit et leurs pensées seraient en moi. S’ils avaient la charité, ils penseraient à tout ce que j’ai fait pour l’amour d’eux, quelle a été ma peine en la prédication, quelle a été ma douleur en ma passion, voulant plutôt mourir que les laisser perdues. Mais leur foi est infirme et menace ruine, car ils croient tant qu’ils ne sont pas tentés, et se défient de moi quand ils sont contrariés. Leur espérance et vaine, d’autant qu’ils espèrent que leur péché leur sera pardonné sans justice et sans vérité de jugement. Ils pensent obtenir gratuitement le royaume des cieux ; ils désirent obtenir la miséricorde sans justice. Leur charité envers moi est toute froide, car ils ne s’enflamment jamais à me rechercher, s’ils n’y sont pas contraints par les tribulations. Comment pourrais-je être avec eux, qui n’ont ni foi droit, ni espérance ferme, ni amour fervent ? Parant, quand ils crieraient et me demanderaient miséricorde, ils ne méritent pas d’être ouïs ni d’être en ma gloire, car aucun soldat ne peut plaire à son chef ni obtenir de lui sa grâce après la chut, s’il ne s’est pas humilié pour la faute dont il s’est rendu coupable.

Chapitre 40

1040   Paroles par lesquelles Dieu le Créateur propose trois belles questions : la première, de la servitude du mari et du commandement de la femme ; la deuxième, du labeur du mari et de la prodigalité de la femme, et la troisième, du mépris du maître et de l’honneur du serviteur.

  Je suis votre Créateur adorable et votre redoutable Seigneur.

Dites-moi trois choses que je vais vous demander, ô mon épouse !

  Comment subsiste cette maison où la femme est habillée en maîtresse et son mari en serviteur? Cela convient-il ? Alors l’épouse répondit intimement en sa conscience : Non, Seigneur, il ne convient pas que cela soit ainsi. Notre-Seigneur lui dit : Je suis Seigneur de toutes choses et Roi des anges.

J’ai vêtu mon serviteur, c’est-à-dire, mon humanité seulement, pour l’utilité, pour la nécessité. Car dans le monde, j’ai voulu être nourri et vêtu pauvrement. Mais vous, qui êtes mon épouse, vous voulez être comme maîtresse, avoir des richesses, des honneurs, et marcher honorablement : à quoi servent toutes ces choses ? Certainement, elles sont toutes vaines, et un jour, on les laissera toutes avec confusion. Et de fait, l’homme n’a pas été créé pour une si grande superfluité, mais pour avoir les seules nécessités de nature ; mais la superfluité misérable a été inventée par la superbe qu’on aime, et on la regarde maintenant comme une loi.

  En deuxième lieu, est-il décent et raisonnable que le mari travaille depuis le matin jusqu’au soir, et que la femme consomme dans une heure tout ce qui aura été amassé ? Alors elle répondit : Il n’est pas non plus raisonnable, mais la femme doit vivre et faire selon la volonté de son mari.

Notre-Seigneur repartit : J’ai fait comme un mari qui travaille depuis le matin jusqu’au soi, car j’ai travaillé depuis ma jeunesse jusqu’à ma passion, montrant la voie qui conduit au ciel, prêchant et accomplissant les oeuvres que je prêchais. Quand la femme qui devait être mienne de même que tout mon labeur, vit luxurieusement, ce que j’ai fait ne lui sert de rien, et je ne trouve en elle aucune vertu dans laquelle je puisse me complaire.

  En troisième lieu, dites-moi : n’est-il pas indécent, voire abominable, en quelque maison que ce soit, que le maître soit méprisé et que le valet soit honoré ? Elle répondit : Oui, certes. Notre-Seigneur repartit : Je suis le Seigneur de toutes choses ; le monde est ma maison et l’homme devrait être mon serviteur. Je suis le Seigneur qui est maintenant méprisé dans le monde, et l’homme est honoré. Et partant, vous que j’ai choisie, ayez soin de faire ma volonté, parce que tout ce qui est dans monde n’est que comme un écume de mer et comme une vision vaine.

Chapitre 41

1041   Paroles du Créateur dites en la présence des troupes célestes et de l’épouse, avec lesquelles Dieu se plaint en quelque manière de cinq sortes de personnes : du Pape et de son clergé, des mauvais laïques, des Juifs et des païens. Elles traitent aussi du secours de ses amis, par lesquels sont entendus tous les hommes, et de la cruelle sentence fulminée contre les ennemis.

  Je suis le Créateur de toutes choses. Je suis engendré du Père avant les astres, et suis inséparablement en mon Père, et mon Père est en moi, et un Esprit en tous deux.

Partant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu. Je suis celui qui a promis à Abraham l’héritage éternel. J’ai tiré, par Moïse, mon peuple de l’Égypte. Je suis le même qui parlait par la bouche des prophètes. Mon Père m’a envoyé dans les entrailles de la Vierge, ne se séparant pas de moi, mais demeurant inséparable avec moi, afin que l’homme, se retirant, retournât à Dieu par mon amour.

  Or, maintenant, en la présence de mes troupes célestes, de vous, qui voyez en moi et savez en moi toutes choses, néanmoins, pour l’instruction de mon épouse ici présente, qui ne peut comprendre les choses spirituelles que par les choses corporelles, je me plains devant vous de cinq hommes qui sont ici présents, parce qu’ils m’offensent en plusieurs choses. Car comme autrefois par le mot Israël j’entendais en la loi ancienne tout le peuple d’Israël, de même par ces cinq hommes, j’entends tous les hommes du monde.

  Le premier est le gouverneur de l’Église ; le deuxième son clergé ; les Juifs sont le troisième, les païens le quatrième, mes amis le cinquième. Mais de vous, ô Judée ! J’en excepte tous les Juifs qui sont secrètement chrétiens, et qui me servent avec un amour sincère, une foi droite et par des oeuvres parfaites. Mais de vous, païens, j’en excepte tous ceux qui marcheraient par la voie de mes commandements, s’ils savaient comment et s’ils étaient instruits, et ceux qui font de bonnes oeuvres autant qu’ils peuvent ; ils ne seront aucunement jugés avec vous.

  Donc, maintenant, je me plains de vous, ô chef de mon Église ! Qui êtes assis sur le siège que j’ai donné à Pierre et à ses successeurs, pour y être assis avec une triple dignité et une triple autorité :

1° afin qu’ils aient le pouvoir de lier et de délier les âmes du péché ;

2° afin qu’ils ouvrent le ciel aux pénitents ;

3° afin qu’ils le ferment aux maudits et à ceux qui me méprisent.

Mais vous, qui deviez délier les âmes et me les présenter, vous en êtes le meurtrier ; car j’ai établi Pierre pasteur et gardien de mes brebis, et vous en êtes le dispensateur et celui qui les blesse. Or, vous êtes pire que Lucifer, car lui m’enviait et ne désirait tuer autre que moi, afin qu’il régnât à ma place, mais vous êtes pire que lui, attendu que, non seulement vous me tuez, me repoussant de vous par plusieurs mauvaises oeuvres, mais vous tuez les âmes par votre mauvais exemple.

J’ai racheté de mon sang les âmes, et je vous les ai confiées comme à un fidèle ami : mais vous, vous les livrez à mon ennemi duquel je les avais rachetées. Vous êtes plus injuste que Pilate, qui ne condamnait à mort autre que moi : mais non seulement vous me jugez comme celui qui n’a aucun pouvoir et qui est indigne de tout bien, mais vous condamnez même les âmes innocentes et vous pardonnez aux coupables. Vous m’êtes plus ennemi que Judas, qui me vendit seul : et vous, vous ne me vendez pas seul, mais aussi les âmes de mes élus par un sale lucre et par une vanité de nom : Vous êtes plus abominable que les Juifs, car ils crucifièrent seulement mon corps, mais vous crucifiez et punissez les âmes de mes élus, auxquelles votre malice et votre transgression sont plus amères que le couteau tranchant. Et partant, parce que vous êtes semblables à Lucifer, que vous êtes plus injuste que Pilate, plus cruel que Judas et plus abominable que les Juifs, je me plains avec raison de vous.

  Aux hommes de la deuxième sorte, c’est-à-dire, aux laïques, Notre-Seigneur parle en ces termes : J’ai créé toutes choses pour votre utilité ; vous étiez avec moi et j’étais avec vous ; vous m’aviez donné votre foi et vous aviez juré de me servir : or, maintenant, vous vous êtes retirés de moi comme un homme qui ignore son Dieu ; vous réputez mes paroles à mensonge, mes oeuvres à vanité, et vous dites que ma volonté et mes commandements sont fâcheux et trop pesants. Vous avez enfreint la foi que vous m’aviez donnée ; vous avez violé votre jurement et avez laissé mon nom ; vous vous êtes séparés des saints, vous vous êtes enrôlés au nombre des diables et vous êtes leurs compagnons. Il vous semble qu’il n’y a que vous qui soyez dignes de louanges et d’honneur. Tout ce qui est pour moi et tout ce que vous êtes tenus de faire, vous est difficile, et tout ce qui vous plaît vous est facile : c’est pourquoi je me plains de vous avec raison, car vous avez violé la foi que vous m’aviez donnée au baptême et après le baptême. En outre, pour l’amour que je vous ai montré tant en parole qu’en effet, vous m’accusez de mensonge ; vous m’appelez insensé pour avoir enduré la passion.

  Notre-Seigneur parle en ces termes aux hommes de la troisième espèce, c’est-à-dire, aux Juifs : J’ai commencé la charité avec vous ; je vous ai élus pour mon peuple ; je vous ai affranchis de la servitude qui vous écrasait sous son faix ; je vous ai donné ma loi ; je vous ai introduits en la terre que j’avais promise à vos pères ; je vous ai envoyé des prophètes pour vous consoler ; après, j’ai choisi parmi vous la vierge la plus sainte de laquelle j’ai pris l’humanité. Or, maintenant, je me plains de vous, parce que vous ne pouvez pas croire encore, disant : Jésus-Christ n’est pas venu, mais il viendra.

  Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes de la quatrième sorte, c’est-à-dire, aux gentils : Je vous ai créés et rachetés comme des chrétiens, et j’ai fait tous les biens pour l’amour de vous, mais vous êtes comme des insensés, car vous ne savez ce que vous faites ; comme des aveugles, puisque vous ne savez où vous allez, car vous honorez la créature pour le Créateur, vous prenez le faux pour le vrai, et vous courbez le genou devant celui qui est moindre que vous : c’est pourquoi je me plains de vous.

  Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes de la cinquième sorte, c’est-à-dire, à ses amis : O mes amis! Approchez-vous de plus près. Et soudain, il dit aux troupes célestes : Mes amis, j’ai un ami, par lequel j’entends plusieurs : il est comme un homme entouré de méchants et est en une dure captivité ; s’il fait du bien, on enfonce une lance dans sa poitrine. Voyez, mes amis, et vous tous, ô saints ! Combien de temps les souffrirai-je en un tel mépris.

  Saint Jean-Baptiste répondit : Vous êtes comme un miroir sans tache, car en vous comme dans une glace bien polie, nous voyons et savons toutes choses sans parole. Vous êtes une douceur incomparable en laquelle nous goûtons toute sorte de biens ; vous êtes comme un glaive tranchant qui jugez avec équité.

  Notre-Seigneur lui répondit alors : Mon ami, vous dites la vérité, car en moi, tous les élus voient tout bien et toute justice, voire les diables, en quelque sorte, quoiqu’ils ne soient pas dans la lumière, mais en la conscience naturelle des choses. En effet, comme, en prison, un homme qui avait auparavant appris les lettres, sait ce qu’il avait appris, bien qu’il soit dans les ténèbres et qu’il n’y voie pas, de même les diables, bien qu’ils ne voient pas ma justice en l’éclat de ma splendeur, la savent néanmoins et la voient en leur conscience. Je suis aussi comme un glaive qui partage en deux; je donne à chacun ce qu’il mérite.

  Notre-Seigneur dit encore à saint Pierre : Vous êtes fondateur de la foi de mon Église ; dites en présence de ma cour céleste le droit et la justice de ces cinq sortes de personnes.

Saint Pierre répondit : Que louange et honneur vous soient à jamais rendus pour votre amour, ô Seigneur ! Soyez béni de votre cour céleste, d’autant que vous nous faites voir et savoir en vous toutes les choses qui sont faites et qui seront ; en vous, nous voyons tout et savons tout.

  Or, voici quelle est la vraie justice : que celui qui est assis sur votre trône et a les oeuvres de Lucifer, perde avec confusion le siège sur lequel il a cru s’asseoir, et qu’il soit participant des peines de Lucifer.

Du deuxième : telle est la rigueur de la justice : que celui qui s’est retiré de la foi descende en enfer la tête en bas et les pieds en haut, car il vous a méprisé, vous qui deviez être son chef, et il n’a aimé que soi-même.

Du troisième : telle est ma sentence : qu’il ne voie point votre face, mais qu’il soit puni conformément à sa malice et à sa cupidité, car les perfides et déloyaux ne méritent point de vous voir.

  Du quatrième : telle en est la condamnation : qu’il soit enfermé comme un insensé en des lieux fort obscurs. Du cinquième : tel est son jugement : qu’on lui envoie du secours.

  Toutes ces choses étant entendues, Notre-Seigneur dit : Je jure par la voix de mon Père, que Jean-Baptiste ouït sur le bord du Jourdain ; je jure par le corps que Jean a baptisé, vu et touché sur le bord du Jourdain ; je jure par l’Esprit, qui apparut en forme de colombe sur le bord du Jourdain, que je ferai justice de ces cinq sortes de personnes.

  Alors Notre-Seigneur reprit et dit au premier des cinq : Le glaive de ma sévérité percera votre corps, commençant par la tête, si profondément et si puissamment qu’on ne le pourra jamais arracher. Votre siège sera submergé comme une lourde pierre, qui ne s’arrêtera que quand elle sera au fond. Vos doigts, c’est-à-dire, vos conseillers, brûleront en un feu de soufre puant et inextinguible. Vos bras, c’est-à-dire, vos vicaires, qui devaient s’occuper de l'avancement des âmes et s'étendre, et qui ne se sont étendus que vers l’utilité et les honneurs du monde, seront condamnés à la peine prononcée par David : que ses enfants soient orphelins, que sa femme soit veuve, et que les étrangers ravissent et enlèvent sa substance. Quelle est cette femme, sinon cette âme, qui sera délaissée de la gloire céleste, et sera veuve de Dieu, son époux ? Qui sont ses enfants, sinon les vertus qu’il semblait avoir? Et les âmes simples qui étaient sous eux leur seront arrachées, et leurs dignités et leurs biens seront à d’autres. Et pour toute dignité, ils hériteront d’une confusion éternelle. Après l’ornement de leur tête sera submergé dans le bourbier infernal, d’où ils ne sortiront jamais, afin que, comme ils ont ici surpassé les autres en honneur et en superbe, de même ils soient enfoncés et plongés en enfer par-dessus les autres, de sorte qu’ils n’en puissent jamais sortir. Tous les fauteurs et imitateurs du clergé leur seront arrachés et seront séparés comme un mur qu’on bat en ruine, où on ne laisse pas pierre sur pierre, et aucune pierre ne sera jointe à une autre avec le ciment, afin que ma miséricorde ne vienne jamais sur eux, attendu que mon amour ne les a jamais échauffés, et il ne leur édifiera jamais une demeure dans le ciel ; mais s’étant privés de tout bien, ils seront tourmentés avec leur chef.

  Je parle ainsi au deuxième : D’autant que vous ne voulez pas me garder la foi promise, ni m’aimer, j’enverrai un animal qui sortira du torrent impétueux et vous engloutira ; et comme le torrent impétueux coule incessamment en bas, de même cet impétueux animal vous entraînera au plus bas de l’enfer. Et comme il vous est impossible de monter contre le torrent impétueux, de même il vous est impossible de sortir jamais de l’enfer.

  Je dis au troisième : Vous, ô Juifs ! Vous ne voulez pas croire que je suis venu : quand je viendrai au second jugement, vous me verrez, non en ma gloire, mais en la frayeur de votre conscience, et vous vous convaincrez que tout ce que j’avais dit était vrai. Maintenant, il vous reste le châtiment dû à vos démérites.

  Je dis au quatrième : D’autant que, maintenant, vous ne vous souciez de croire ni ne voulez savoir et connaître, vos ténèbres reluiront un jour, et votre coeur sera illuminé, afin que vous sachiez que mes jugements étaient vrais. Néanmoins, vous ne viendrez pas à la lumière.

  Je dis au cinquième : Je vous ferai trois choses : 1° je vous remplirai intérieurement de mon fervent amour ; 2° je rendrai votre bouche plus dure et plus forte qu’aucune pierre, de sorte que les pierres qu’on jettera sur elle rejailliront sur ceux qui les jettent ; 3° je vous armerai tellement qu’aucune lance ne vous nuira, mais toutes choses fléchiront et fondront devant vous comme la cire devant le feu. Donc, raffermissez-vous et soyez généreux, car comme le soldat qui, dans la guerre, espère le secours de son seigneur, combat tout autant qu’il trouve quelque force en lui, de même soyez fort et combattez, car Dieu, votre Seigneur, vous prêtera un secours auquel personne ne pourra résister. Et parce que vous avez un petit nombre de soldats, je vous honorerai et vous multiplierai.

  Voici que vous, mes amis, voyez et savez que cela est en moi, c’est pourquoi vous demeurez devant moi stables et fermes. Les paroles que je viens de dire s’accompliront : mais ceux-là n’entreront jamais en mon royaume, tant que je serai Roi, à moins qu’ils s’amendent, car on ne donnera le ciel à personne, si ce n’est à ceux qui s’humilient et font pénitence. Alors, toute la troupe céleste répondit: Louange à vous, Seigneur Dieu, qui êtes sans commencement et sans fin !

Chapitre 42

1042   Paroles par lesquelles la Vierge Marie exhorte l’épouse, comment elle doit aimer son Fils par-dessus toutes choses, et en quelle manière toutes les vertus et toutes les grâces sont renfermées en la Vierge glorieuse.

  J’ai eu éminemment trois choses par lesquelles j’ai plu à mon Fils, disait la Mère de Dieu à l’épouse: 1° l’humilité, de sorte que ni homme, ni ange, ni aucune créature n’a été plus humble que moi ;

2° j’ai eu excellemment l’obéissance, parce que je me suis étudiée à obéir à mon Fils en toutes choses ;

3° j’ai eu à un sublime degré une charité singulière, c’est pourquoi j’ai été triplement honorée de lui, car en premier lieu, j’ai été plus honorée que les anges et les hommes, de sorte qu’il n’y a pas de vertu de Dieu qui ne reluise en moi, bien qu’il soit la source et le Créateur de toutes choses.

Je suis sa créature, à laquelle il a donné sa grâce plus éminente qu’à tout le reste des créatures.

  Secondement, j’ai obtenu une si grande puissance à raison de mon obéissance, qu’il n’y a pas de pécheur, quelque corrompu qu’il soit, qui n’obtienne son pardon, s’il se tourne vers moi avec un coeur contrit et un ferme propos de s’amender.

En troisième lieu, à cause de ma charité, Dieu s’approche ainsi de moi, de telle sorte que qui voit Dieu me voit, et qui me voit peut voir en moi, comme dans un miroir plus parfait que celui des autres, la Divinité et l’humanité, et moi en Dieu ; car quiconque voit Dieu voit en lui trois personnes, car la Divinité m’a enfermée en soi avec mon âme et mon corps, et m’a remplie de toutes sortes de vertus, de manière qu’il n’y a pas de vertu en Dieu qui ne reluise en moi, bien que Dieu soit le Père et l’auteur de toutes les vertus.

  Quand deux corps sont joints ensemble, ce que l’un reçoit, l’autre le reçoit aussi : il en est ainsi de Dieu et de moi, car il n’y a pas en lui de douceur qui ne soit pour ainsi dire en moi, comme celui qui a un cerneau d’une noix en donne à un autre la moitié. Mon âme et mon corps sont plus purs que le soleil et plus nets qu’un miroir. Comme dans un miroir, on verrait trois personnes, si elles étaient présentes, de même on peut voir en ma pureté le Père, le Fils et le Saint-Esprit, car j’ai porté le Fils dans mon sein avec la Divinité ; on le voit maintenant en moi avec la Divinité et l’humanité comme dans un miroir, d’autant que je suis glorieuse.

Étudiez-vous donc, ô épouse de mon Fils ! à suivre mon humilité ; et n’aimez que mon Fils.

Chapitre 43

1043   Paroles que le Fils de Dieu adresse à l’épouse. Comment d’un peu de bien l’homme s’élève à un bien parfait, et d’un peu de mal, descend à un grand supplice.

  D’un peu de bien naît quelquefois une grande récompense, disait le Fils de Dieu à l’épouse. La datte est d’une merveilleuse odeur, et elle renferme une pierre : si elle est mise dans une terre grasse, elle s’engraisse et fructifie, et devient peu à peu un arbre ; mais si elle est mis dans une terre aride, elle se dessèche, car elle est bien aride pour le bien, la terre qui se délecte et prend plaisir dans le péché ; si la semence des vertus y est jetée, elle ne s’y engraisse pas. Mais la terre de l’esprit de celui-là est grasse, qui connaît le péché et se repent de l’avoir commis ; si la pierre de datte y est mise, c’est-à-dire, s’il y sème la sévérité de mon jugement et de ma puissance, trois racines s’étendent dans son esprit.

  1° Il pense qu’il ne peut rien faire sans mon secours ; partant, il ouvre sa bouche pour me prier.

2° Il commence aussi de donner une petite aumône en mon nom.

3° Il se défait et s’affranchit des affaires pour me servir, puis il s’adonne au jeûne et quitte sa propre volonté : et c’est là le tronc de l’arbre.

Ensuite croissent les rameaux de la charité, quand il attire vers le bien tous ceux qu’il peut y attirer ; puis le fruit vient en maturité, quand il enseigne les autres autant qu’il sait ; il cherche le moyen avec une entière dévotion d’accroître mon honneur : un tel fruit me plaît beaucoup. Ainsi donc, d’un peu de bien, il s’élève à un bien parfait et accompli. Quand premièrement il a pris racine par une médiocre dévotion, le corps s’augmente par l’abstinence, les rameaux se multiplient par la charité, et le fruit s’engraisse par la prédication.

  De la même manière, par un petit mal, l’homme descend à une malédiction, à un supplice insupportable. Ne savez-vous pas qu’il est très pesant, le fardeau des choses qui croissent incessamment ? Certainement, c’est un enfant qui ne peut naître, qui meurt dans les entrailles de sa mère, qui la torture et la tue ; le père porte au tombeau et ensevelit la mère et l’enfant : de même le diable en fait à notre âme, car elle est vicieuse comme la femme du diable, laquelle suit en toutes choses sa volonté, qui est alors conçue par le diable, quand le péché lui plaît et se réjouit en lui : car de même qu’un peu de pourriture rend la mère féconde, de même notre âme apporte un grand fruit au diable, quand elle se délecte et prend plaisir dans le péché : d’où sont formés les membres et la force du corps, quand on ajoute et augmente tous les jours péchés sur péchés. Les péchés étant augmentés de la sorte, la mère s’enfle, voulant enfanter, mais elle ne peut, parce que la nature étant consommée dans le péché, sa vie l’ennuie, et elle voudrait commettre librement plus de péchés ; mais elle ne peut, en étant empêchée par le saint, qui ne le lui permet pas. Alors, la crainte la saisit, la joie et la force se retirent d’elle, parce qu’elle ne peut accomplir sa volonté. Elle est environnée de toutes parts de chagrins et de douleurs ; alors son ventre se rompt, quand elle désespère de pouvoir faire quelque chose de bien, et meurt en même temps, quand elle blasphème et reprend le juste jugement de Dieu ; elle est ainsi menée par le diable, son père, au sépulcre infernal, où elle est ensevelie à jamais avec la pourriture du péché, elle et le fils de la délectation dépravée.

  Voilà comment le péché s’augmente de peu et croît pour la damnation éternelle.

Chapitre 44

1044   Paroles du Créateur à son épouse. Il dit combien il est maintenant blâmé et méprisé des hommes, qui n’écoutent pas ce qu’il a fait par charité, quand il les a avertis par ses prophètes, qu’il a tant souffert pour eux, pour eux qui ne se sont pas souciés de la juste indignation qu’il a exercée contre les obstinés, les corrigeant cruellement.

  Je suis l’adorable Créateur et le Seigneur redoutable de toutes choses. J’ai fait le monde, et le monde me méprise. J’entends résonner du monde une voix comme la voix d’une mouche supérieure qui amasse le miel sur la terre ; car comme elle vole, elle s’abaisse aussitôt vers la terre, et jette une voix grandement enrouée : de même j’entends maintenant résonner dans le monde cette voix enrouée, disant : Je ne me soucie point de ce qui vient après toutes ces choses.

Certes, tous crient maintenant : Je ne m’en soucie point. Vraiment l’homme ne se soucie pas ce que j’ai fait. Ému de charité, je l’ai averti par mes prophètes, je lui ai prêché moi-même, j’ai souffert pour lui… Il méprise ce que j’ai fait en ma colère, corrigeant et punissant les désobéissants et les mauvais. Ils se voient mortels et incertains de la mort, et ils n’en tiennent aucun compte.

  Ils voient et ils entendent les épouvantables rigueurs de ma justice, que j’ai exercée sur Pharaon et les Sodomites à raison de leurs péchés, que j’ai fulminée sur les princes et sur les rois, et que je promets de rendre avec le tranchant du glaive et autres tribulations, et toutes ces choses leurs sont comme cachées. C’est pourquoi ils volent à tout ce qu’ils veulent comme les mouches supérieures.

  Ils volent quelquefois aussi comme en sautant, parce qu’ils s’élèvent par leur superbe ; mais ils s’abaissent plutôt quand ils retournent à l’abominable luxure et à leur gourmandise. Ils amassent ainsi de la douceur, mais pour eux et en la terre, parce que l’homme travaille et amasse, non pour l’utilité de l’âme, mais pour celle du corps, non pour l’honneur éternelle, mais pour l’honneur terrestre. Ils se tournent le bien temporel en une peine insupportable. Celui qui n’est utile à rien a un supplice éternel.

Partant, à cause des prières de ma Mère, j’enverrai ma voix claire qui prêchait ma miséricorde à ces mouches, dont mes amis se sont exemptés et affranchis, qui ne sont point au monde, sinon en leur corps ; que s’ils l’écoutent, ils seront heureusement sauvés.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1038