Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1045

Chapitre 45

1045   Réponse de la Vierge Marie, des anges, des prophètes, des apôtres et des diables, faite à Dieu en la personne de l’épouse, lui témoignant sa magnificence et sa grandeur dans la création et la rédemption, et comme les hommes contredisent maintenant toutes ces choses, et de leur sévère jugement.

  O épouse de mon Fils, vêtissez-vous et demeurez stable, parce que mon Fils s’approche de vous, disait la Mère de Dieu à l’épouse. Sa chair a été serrée comme en un pressoir : car comme l’homme a manqué et failli malicieusement en tous ses membres, mon Fils a aussi satisfait à proportion en tous les siens. Ses cheveux étaient étendus, ses nerfs séparés, ses jointures disjointes, ses os meurtris, ses mains et ses pieds cloués ; son esprit était troublé ; son coeur était affligé de douleur ; ses intestins étaient collés à son dos, d’autant que l’homme a péché en tous ses membres.

  Après, le Fils de Dieu parla et dit, en présence de la troupe céleste : Bien que vous sachiez que toutes choses sont faites par moi, toutefois, à cause de mon épouse qui est ici, je prends la parole et je vous demande, ô anges ! ce que cela veut dire, que Dieu a été sans commencement et sans fin, et ce que veut dire ceci, qu’il a créé toutes choses et que nul ne l’a créé. Répondez, et portez témoignage en ceci.

  Les anges répondirent d’une commun voix, disant : Seigneur, vous êtes celui qui est, car nous vous donnerons témoignage de trois choses : 1° que vous êtes notre adorable Créateur, et le Créateur de toutes choses qui sont au ciel et sur la terre ;

   2° que vous êtes sans commencement, que vous serez sans fin, et que votre redoutable puissance durera éternellement : car sans vous rien n’a été fait, et sans vous, rien ne peut être ni subsister ;

3° nous témoignons que nous voyons en vous toute votre justice, et toutes les choses qui ont été et seront, et toutes ces choses en vous-même, et vos idées, sans fin et commencement.

  Puis, se tournant vers les patriarches et les prophètes, il leur dit : Je vous le demande, quel est celui qui vous a affranchis de la servitude, pour vous rendre la liberté, qui a divisé les eaux devant vous, qui vous a donné la loi, qui a donné à vos prophètes l’esprit de parler ? Ils lui répondirent : C’est vous, ô Seigneur que nous adorons, qui nous avez tirés de servitude, qui nous avez donné la loi, et qui avez incité notre esprit à parler.

  Après, il dit à sa Mère : Ma Mère, portez témoignage de vérité de ce que vous savez de moi. Elle répondit : Avant que l’ange, qui était envoyé de vous, fût venu à moi, j’ai été seule avec mon âme et mon corps. Mais quand l’ange eut parlé, votre corps fut en moi, avec la Divinité et l’humanité, et je sentis en mon corps votre corps. Je vous ai porté sans douleur ; je vous ai enfanté sans angoisses ; je vous ai enveloppé de langes ; je vous ai nourri de mon lait ; j’ai été avec vous depuis votre naissance jusqu’à votre mort.

  Puis, il s’adressa aux apôtres, disant : Quel est celui que vous avez vu, entendu et senti ? Ils lui répondirent : Nous avons entendu vos saintes et puissantes paroles, et nous les avons écrites ; nous avons ouï vos merveilles signalées, quand vous avez donné la loi nouvelle. Par votre parole efficace, vous avez commandé aux démons enragés de fureur, et ils ont pris la fuite aux accents de votre parole puissante. Vous avez ressuscité les morts et guéri les malades. Nous avons vu avec un corps humain. En votre humanité, nous avons vu vos merveilles en la gloire divine ; nous vous avons vu livré aux ennemis et cloué sur la croix ; nous avons vu en vous une passion très amère ; nous vous avons enseveli. Nous vous avons aperçu et vu, lorsque vous êtes ressuscité ; nous avons touché vos cheveux et votre face, vos membres et vos plaies. Vous avez mangé avec nous, et vous nous donniez vos paroles. Vous êtes vraiment le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge. Nous vous avons aussi vu et touché, lorsque vous êtes montés à la droite de votre Père avec une humanité où vous êtes sans fin.

  Après, Dieu dit aux diables : Esprits immondes, bien qu’en votre conscience vous cachiez la vérité, je vous commande toutefois de dire ce qui diminue votre puissance. Ils lui répondirent : Tout ainsi que les larrons ne disent point la vérité s’ils ne sont mis sur le cep, de même nous ne la disons point si nous n’y sommes contraints par votre divine, infinie et terrible puissance. C’est vous qui, avec votre force, êtes descendu en enfer. Vous avez pris le droit de l’enfer. Alors Notre-Seigneur dit : Voici tous ceux qui ont un esprit et ne sont point revêtus de corps, lesquels me disent la vérité ; mais ceux qui ont un esprit et un corps, savoir, les hommes, me contredisent et vont à l’encontre de moi.

  Or, les uns n’ignorent rien, mais savent tout ; toutefois ils n’en tiennent pas compte et ne s’en soucient pas. Les autres ignorent tout et ne savent rien, ce qui fait qu’ils ne s’en soucient pas, mais disent que toutes choses sont fausses.

  Notre-Seigneur dit encore aux anges : Ceux-ci disent que votre témoignage est faux, que je ne suis point Créateur, que je n’ai pas la connaissance de toutes choses : c’est pourquoi ils aiment mieux la créature que moi. Il dit aussi aux prophètes : Ils vous contredisent, disant que la loi est vanité et que vous avez parlé par votre propre volonté. Mais il dit à sa Mère : Ma Mère, les uns disent que vous n’êtes pas vierge, les autres que je n’ai pas pris mon corps de vous : ils le savent, mais ils ne s’en soucient pas. Puis il dit aux apôtres : Ils vous contredisent, d’autant qu’ils disent que vous êtes des menteurs, que la loi nouvelle est sans raison et inutile. Il y en a d’autres qui croient que toutes choses sont vraies, mais ils n’en tiennent pas compte.

  Maintenant donc, je vous demande quel sera leur juge. Ils me répondirent tous : C’est vous, ô Dieu adorable ! Qui êtes sans commencement et sans fin ; c’est vous, ô Jésus-Christ ! à qui le Père en a donné le jugement ; c’est vous qui êtes le juge juste et équitable de ceux-là.

Le Seigneur leur répondit : Je suis maintenant le juge, moi qui me complaignais sur eux ; mais bien que je connaisse et puisse toutes choses, toutefois prononcez sur eux votre jugement.

  Ils lui dirent : Tout ainsi qu’au commencement du monde, tout le monde périt par les eaux du déluge, de même le monde mérite maintenant de périr par le feu, parce que, maintenant, l’iniquité et l’injustice sont plus grandes qu’elles ne l’étaient alors.

  Le Seigneur répondit : D’autant que je suis juste et miséricordieux, je ne juge pas sans miséricorde, et je ne fais pas miséricorde sans justice. C’est pourquoi, à cause des prières de ma très chère Mère et de mes saints, j’enverrai encore une fois ma miséricorde au monde ; mais si le monde ne veut ni l’écouter ni l’embrasser, ma justice n’en sera que plus rigoureuse.

Chapitre 46

1046   Paroles de louange que se disaient, en présence de l’épouse, la Mère et son Fils. Comment Jésus-Christ est maintenant réputé des hommes, très vil, très difforme et très déshonnête. Éternelle damnation de ceux qui le traitent ainsi.

  La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes sans commencement et sans fin ; vous qui avez eu un corps très honnête et décent plus que tout autre ; vous qui avez été l’homme le plus adroit et le plus vertueux qui ait existé ; vous qui avez été la plus digne créature du monde !

  Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, les paroles qui sortent de votre bouche, me sont agréable, et abreuvent les plus secrètes pensées de mon coeur comme d’un breuvage très doux et suave ; vous m’êtes plus doux qu’aucune créature du monde. Car comme on voit en un miroir divers visages, mais qu’aucun plaît davantage que le propre, de même, bien que j’aime mes saints, je vous aime toutefois d’un amour plus ardent, plus singulier, et plus excellent, d’autant que je suis engendré de votre chair. Vous êtes comme la myrrhe choisie, dont l’odeur monte jusqu’à la Divinité et la conduit en votre corps : la même odeur a attiré votre corps et votre âme jusqu’à elle, où vous êtes maintenant en corps et en âme. Vous, soyez bénie, parce que les anges se réjouissent à cause de votre beauté ; et à raison de votre vertu, tous ceux qui vous invoquent avec un coeur pur seront délivrés. Tous les démons tremblent à votre lumière ; ils n’oseraient pas s’arrêter en elle, parce qu’ils veulent toujours êtres dans les ténèbres.

  Vous m’avez donné une triple louange, disant, 1° que j’avais un corps très honnête, 2° que j’étais un homme très adroit, 3° que j’étais la plus digne de toutes les créatures.

Mais ceux-là seulement qui ont un corps et une âme contredisent ces trois choses, car ils disent que j’ai un corps déshonnête, que je suis un homme très abject et maladroit, et que je suis la plus vile de toutes les créatures.

Qu’y a-t-il en effet de plus déshonnête que de provoquer les hommes au péché ? Ils disent aussi que le péché n’est pas si difforme, et qu’il ne déplaît pas tant à Dieu, comme on dit, car, disent-ils, rien ne peut être, si Dieu ne le veut, et tout a été créé par lui. Pourquoi donc ne nous servirons-nous pas des choses qui ont été faites pour notre utilité ? La fragilité de la nature a demandé cela, et tous ceux qui ont été devant nous et qui sont à présent, ont vécu et vivent maintenant de la sorte.

  A présent, ma Mère, les hommes me parlent ainsi, tournant mon humanité en déshonneur, en laquelle j’ai apparu vrai Dieu entre les hommes, et par laquelle j’ai dissuadé le péché, et j’ai montré combien il était lourd et pesant, comme si j’avais conseillé le déshonneur et la saleté. Certes, ils disent qu’il n’y a rien de plus honnête et qui plaise davantage à leur volonté que le péché, bourreau de l’âme. Ils disent aussi que je suis un homme très déshonnête ; car qu’y a-t-il de plus déshonnête que lui, qui, lorsqu’il dit la vérité, est frappé de pierres sur la face, et sur sa bouche qui se brise. Et en outre, il entend l’opprobre de ceux qui disent : S’il était homme, il se défendrait et se vengerait.

  Voilà comment ils me traitent. Je leur parle par la bouche des docteurs et par la sainte Écriture, mais ils disent que je suis un menteur. Ils frappent ma bouche à coups de pierres et à coups de poings, quand ils commettent un adultère, un homicide et un mensonge, et disent : S’il était homme, s’il était Dieu très puissant, il vengerait une telle transgression. Mais je supporte avec patience toutes ces choses, et je les entends tous les jours, disant que la peine n’est point éternelle et fâcheuse, comme on le prétend, et disent que mes paroles véridiques sont des mensonges.

  En troisième lieu, ils me croient la plus vile créature du monde : car qu’y a-t-il de plus vil et de plus abject en une maison qu’un chat ou un chien, pour lesquels, si quelqu’un voulait librement faire un échange, il recevrait un cheval ? Mais l’homme m’estime moins qu’il n’estime un chien, d’autant que, s’il devait perdre son chien ou me choisir, il ne voudrait pour cela me recevoir, il me rebuterait plutôt que de le perdre. Mais quelle est la chose, si petite qu’elle soit, qu’on ne désire avec un plus fervent amour qu’on ne me désire moi-même ? S’ils m’estimaient en effet plus qu’aucune créature, ils m’aimeraient plus que toute autre ; mais il n’est rien de vil et d’abject qu’ils n’aiment plus que moi. Ils ont pitié de toutes choses ; de moi ? Nullement. Ils sont marris de leurs dommages propres et de ceux de leurs amis ; ils se fâchent d’une petite parole ; ils sont dolents et affligés de ce qu’ils offensent les autres, plus excellents qu’eux, mais ils ne s’affligent pas de ce qu’ils m’offensent, moi qui suis le Créateur de toutes les créatures. Quel est l’homme, si abject qu’il soit, que l’on n’écouterait pas, s’il parlait, à qui on ne donnerait pas quelque chose, s’il donnait ? Je suis donc la plus abjecte et la plus vile de toutes les créatures en leur présence, d’autant qu’ils ne me croient digne d’aucun bien, quoique je leur aie donné tout ce qu’ils ont.

  Donc, ô ma Mère, comme vous avez goûté plus que tout autre ma sagesse infinie, et qu’il n’est jamais sorti de votre bouche que la vérité, de même il ne sortira jamais de la mienne que la vérité. Je m’excuserai en la présence de mes saints, devant le premier qui a dit que j’avais un corps très déshonnête, et je prouverai jusqu’à l’évidence que j’ai un corps très honnête, sans péché, sans difformité, et il sera en opprobre éternel à la face du monde. Quant à celui qui disait que mes paroles étaient un mensonge, et ne savait pas si j’étais Dieu ou non, je lui prouverai vivement que je suis vraiment Dieu : et celui-là, comme une boue puante, tombera dans l’enfer. Quant au troisième, qui m’a jugé et estimé être la plus vile de toutes les créatures, je le jugerai et le condamnerai à un supplice éternel, de sorte qu’il ne verra jamais la splendeur de ma gloire ni ma joie incomparable.

  Après, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Soyez ferme et constante en mon service. Vous êtes venue comme entre quelque mur, vous y avez été emprisonnée. Vous ne pouvez ni sortir de cette prison ni la percer. Supportez donc volontairement une petite tribulation, et vous éprouverez en mon bras, dont les pouvoirs sont adorables, un repos éternel. Vous avez connu la volonté de mon Père, vous entendez la parole de son Fils, et vous sentez les mouvements amoureux de mon Esprit. Vous avez une consolation et un contentement indicibles en la parole de ma Mère et de mes saints : donc, soyez ferme et constante, sinon vous sentirez les horribles rigueurs de ma justice, par laquelle vous serez contrainte de faire ce dont je vous avertis maintenant avec tant d’amour.

Chapitre 47

1047   Comment Notre-Seigneur s’entretenait avec son épouse et lui objectait les paroles de la nouvelle loi. Comme la nouvelle loi est maintenant réprouvée et rejetée du monde, et comment les mauvais prêtres ne sont point prêtres de Dieu, mais des traîtres à son égard. Malédiction et damnation des mauvais prêtres.

  Je suis ce Dieu éternel, qui était jadis appelé le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Je suis Dieu, ce législateur qui a donné la loi à Moïse, laquelle était comme un vêtement. Car comme la mère qui a un enfant dans son sein, lui prépare des vêtements, de même Dieu a préparé une loi, qui n’était autre chose qu’un vêtement, une ombre et une figure des choses qui se devaient faire. Pour moi, je suis couvert de ce vêtement de la loi ; et comme l’enfant qui, devenu plus grand, se dépouille de ses vieux vêtements pour en prendre de nouveaux, ayant accomplie et déposé le vêtement de la vieille loi, je me suis revêtu d’un nouveau, vêtement, c’est-à-dire, de la nouvelle, et je l’ai donné à tous ceux qui ont voulu être vêtus comme moi. Or, ce vêtement n’est ni étroit ni difficile, mais il est en tout et partout modéré et proportionné. Je n’ai pas commandé en effet de trop jeûner, de trop travailler, ni de se tuer ou de faire l’impossible, mais de faire des choses propres et convenables pour châtier ou modérer l’âme et le corps. Car quand le corps est trop attaché au péché, le péché se consomme et le réduit au néant. C’est pourquoi, dans la loi nouvelle, se trouvent deux choses : 1° une tempérance modérée, et un droit et légitime usage de toutes les choses qui servent et pour l’âme et pour le corps ; 2° la facilité de garder la loi, parce que celui qui ne peut s’arrêter en une chose, le peut en une autre. On trouve en elle qu’à celui qui ne peut être vierge, il est permis d’être marié ; que celui qui tombe peut se relever. Mais cette loi est maintenant réprouvée et méprisée à cause du mal, car ils disent que cette loi étroite est fâcheuse et difforme ; ils l’appellent étroite, d’autant qu’elle recommande de s’abstenir des choses nécessaires et de fuir les choses superflues.

  Or, ils veulent jouir et s’assouvir de toutes ces choses qui sont hors de raison, comme les juments par-dessus les forces de leur corps, c’est pourquoi elle leur est étroite. Secondement, ils disent qu’elle est fâcheuse, d’autant que la loi ordonne de prendre la volupté avec raison et en ce temps, mais ils veulent accomplir leur volupté plus que de raison et plus qu’il n’est ordonné. En troisième lieu, ils disent qu’elle est difforme, parce que la loi commande d’aimer l’humilité, et de déférer et d’attribuer tout notre bien à Dieu ; mais ils veulent s’enorgueillir des biens qu’ils ont reçus de Dieu, et s’élever : c’est pourquoi elle leur est difforme, et de la sorte, ils méprisent mon vêtement.

J’ai achevé et accompli plus tôt tout ce qui était de la vieille loi, et après, j’ai commencé la nouvelle, parce que les corps qui appartenaient à la vieille étaient grandement difficiles pour durer jusqu’à ce que je vinsse au dernier jugement. Mais ils ont jeté avec mépris le vêtement dont l’âme était couverte et revêtue, c’est-à-dire, la foi droite, et ils ajoutent et amoncellent péchés sur péchés, d’autant qu’ils veulent aussi me trahir. David ne dit-il pas en son psaume : Ceux qui mangeaient mon pain méditent contre moi une trahison ? Par ces paroles, je veux que vous remarquiez deux choses : 1° parce qu’il ne veut point dire ici : Ils pensent mal ; il a parlé comme si la chose était déjà passée ; 2° de ce que le passé dénote qu’il n’y a qu’un seul homme qui ait trahi. Pour moi, je vous dis que ceux-là me sont traîtres qui sont au présent, non pas ceux qui ont été ou qui seront, mais ceux qui vivent maintenant. Je vous dis aussi qu’il n’y a pas un homme traître, mais qu’il y en a plusieurs.

  Or, vous me demanderez peut-être : N’y a-t-il pas deux pains, l’un invisible et spirituel, dont les anges et les saints se nourrissent, l’autre de la terre, dont vivent les hommes ? Mais les anges et les saints ne veulent autre chose, sinon que tout soit conforme à votre volonté, et les hommes ne peuvent rien, sinon comme il vous plaît : comment donc peuvent-ils vous trahir ?

  Je vous réponds à cela, ma cour céleste l’entendant, afin que vous sachiez qu’ils savent et voient toutes choses en moi, mais le tout se dira pour votre sujet : Il y a vraiment deux sortes de pain : l’un des anges, qu’ils mangent en mon royaume, afin de se rassasier d’une gloire ineffable : certes, ceux-là n’ont garde de me trahir d’autant qu’ils ne veulent que ce que je veux. Mais ceux-là me trahissent, qui mangent mon pain à l’autel.

Je suis vraiment ce pain, dans lequel on voit trois choses : la rondeur, la figure et le goût, parce que, comme sans pain toute viande est presque sans goût et comme de nul appui, de même, sans moi, tout ce qui est, est sans goût, faible et vain. J’ai aussi la figure du pain, parce que je suis de la terre, car je suis né d’une Mère vierge, ma Mère tire sa source d’Adam, Adam, de la terre. J’ai aussi la rondeur où ne se trouvent ni commencement ni fin, parce que je suis sans commencement et sans fin. Personne ne peut considérer ni trouver de fin ou de commencement en ma sagesse incroyable, en ma puissance infinie, en mon éternelle charité. Je suis d’une manière admirable en toutes choses, par-dessus toutes choses et hors de toutes choses. Bien que quelqu’un volât sans relâche et toujours aussi vite qu’une flèche, jamais il ne trouverait ni la fin ni le fond de ma puissance, de ma vertu.

  Donc, à cause de ces trois choses, savoir, le goût, la figure, la rondeur, je suis ce pain que l’on voit et que l’on sent sur l’autel ; mais il est changé en mon corps, qui a été crucifié. Car de même qu’une chose aride et sèche brûle soudain, si le feu y est mis, et en même temps est consumée, et il ne demeure rien du bois qui lui est apposé, mais tout est converti en feu, de même, ces paroles étant prononcées, savoir : CECI EST MON CORPS, ce qui a été pain auparavant, est au moment même, changé et transsubstantié en mon corps, et ne se brûle point par le feu, comme le bois, mais par ma Divinité. Partant, me trahissent ceux-là qui mangent indignement de mon pain.

  Mais quel meurtre pourrait être plus abominable que lorsque quelqu’un se tue soi-même ; ou quelle trahison plus détestable que lorsque deux personnes conjointes ensemble par un lien indissoluble, comme, par exemple, les personnes mariées, se trahissent l’un l’autre ?

  Mais que fait le mari quand il veut trahir sa femme ? Il lui dit : Allons, ma femme, en un tel lieu, afin que j’accomplisse ma volonté avec vous. Or, étant prête en tout et partout à suivre la volonté de son mari, elle s’en va avec lui avec une vraie simplicité. Mais lorsqu’il a trouvé un lieu propre et un temps opportun pour mettre son entreprise à exécution, il tire contre elle trois instruments de trahison: certes, l’un est tellement pesant qu’il la tue d’un seul coup ; l’autre est tellement aigu qu’il entre aussitôt dans les entrailles ; le troisième est en telle sorte qu’elle est bientôt étouffée, car il lui enlève l’air vital. Mais après que sa femme est morte, ce traître dit en lui-même : Maintenant, j’ai fait le mal : s’il est découvert et publié, je serai condamné à mort. C’est pourquoi il s’en va, et met le cadavre de sa femme en un lieu caché, de peur que son péché ne soit découvert.

  Les prêtres qui me trahissent agissent de la sorte : car nous sommes liés ensemble par un seul lien, quand ils prennent le pain, et que, proférant les paroles sacramentelles, ils le changent en mon vrai corps, que j’ai pris de la Vierge. Tous les anges ensemble ne pourraient faire cette chose, parce que j’ai donné cette dignité aux prêtres seuls, et les ai élevés pour les plus grandes charges : mais ils me font comme des traîtres, car ils me montrent une face joyeuse et gracieuse, et me mènent en un lieu caché et secret pour me trahir. Ces prêtres-là montrent alors leur face joyeuse et gracieuse, quand ils semblent être bons et simples devant tous ; mais quand ils s’approchent de l’autel, ils me conduisent en une prison. Alors, comme l’époux ou l’épouse, je suis prêt à accomplir leur volonté, mais ils me trahissent.

  1° Ils m’appliquent une chose bien lourde et bien pesante, lorsque le divin office leur est grandement fâcheux et ennuyeux, quand ils le disent en mon honneur : car ils disent plutôt cent paroles pour plaire au monde et pour avoir ses bonnes grâces, qu’une seule pour mon honneur ; ils donneraient plutôt cent marcs d’or pour le monde qu’un denier pour moi ; ils travailleraient cent fois plus pour leur propre utilité et pour celle du monde, qu’une seule fois pour mon honneur ; ils m’accablent par ce fardeau, comme si j’étais mort dans leur coeur.

  2° Ils me frappent comme avec un fer aigu, qui entre dans mes entrailles, lorsque le prêtre s’approche de l’autel, qu’il se souvient d’avoir péché et s’en repent, pensant en soi-même avec une ferme volonté de pécher de nouveau, dès qu’il aura achevé l’office. Bien, disent-ils, je me repens de mon péché, mais je ne quitterai point l’occasion en laquelle j’ai péché, afin de ne plus pécher : ceux-là me frappent comme avec un fer très aigu.

  3° Mon esprit est presque suffoqué quand ils pensent ainsi entre eux : C’est une chose bonne et délectable d’être avec le monde ; c’est une chose bonne de s’abandonner à toute sorte de voluptés ; et pour moi, je ne puis m’en empêcher. Je suivrai en tout et partout ma volonté corrompue pendant que je suis jeune ; car quand je viendrai sur le point de ma vieillesse, alors je m’abstiendrai de toutes ces choses et je m’en corrigerai. Mon esprit est suffoqué de cette pensée très méchante.

  Mais on demande comment leur coeur se refroidit tellement et devient si tiède pour tout bien, de sorte qu’il ne pourra jamais s’échauffer ni se relever en ma charité. Je vous dis qu’il sera comme de la glace : en effet, comme la glace, bien qu’on y mette le feu, ne produit pas des flammes, mais au contraire se fond et se sèche, de même seront ceux qui ne s’élèvent pas au chemin de la vie éternelle, mais qui se dessèchent et ne tiennent compte d’aucun bien, quoique je leur aie donné ma grâce, et qu’ils aient entendu les paroles d’avertissement que je leur ai envoyées. Ils me trahissent donc en ceci, savoir : ils se montrent simples et ne le sont pas ; ils sont accablés et troublés à raison de l’honneur qu’ils me doivent et dont ils devraient se réjouir merveilleusement ; ils ont la volonté de pécher, et ils promettent d’être pécheurs jusqu’à la fin. Ils me cachent presque, ils me mettent en un lieu occulte, quand ils pensent entre eux : Je sais que j’ai péché ; toutefois, si je m’abstiens du sacrifice, je serai jugé de tous et je serai confus. Et de la sorte, ils s’approchent impudemment de l’autel, me mettent devant eux, me manient, moi qui sis vrai Dieu et vrai homme, que les anges craignent et adorent. Je suis avec eux comme en un lieu caché, d’autant que personne ne sait ni ne considère combien ils sont difformes ou dépravés, devant lesquels, moi qui suis Dieu, je demeure couché comme en cachette, parce que, bien que l’homme quelque méchant qu’il soit, pourvu qu’il soit prêtre et qu’il ait prononcé ces paroles, savoir : CECI EST MON CORPS, le consacre véritablement, et je demeure devant lui, moi qui suis vrai Dieu et vrai homme. Mais dès que je suis dans sa bouche, alors, je me retire de lui par grâce (1) Moi, ma Divinité, et mon humanité ; mais la forme et le goût du pain lui demeurent, non que je ne sois véritablement aussi bien avec les méchants qu’avec les bons, à cause de l’institution du sacrement, mais parce que les bons et les méchants n’ont pas semblable effet. Je vous dis que tels prêtres ne me sont point vrais prêtres, mais vrais traîtres, car ils me vendent et me trahissent comme des Judas. Je jette la vue sur les païens et sur les Juifs, mais je n’en vois point de si abominables, de si détestables qu’eux, parce qu’ils ont le même péché par lequel Lucifer est tombé. Maintenant aussi, je vous dis que leur jugement, et le jugement de ceux qui leur sont semblables, ne sont autre chose que malédiction : tout ainsi que David a maudit ceux qui n’ont point obéi à Dieu, lequel, étant juste roi et prophète tout ensemble, ne les a point maudits en son ire, ou par mauvaise volonté, ou par impatience, mais par justice.

  (1) Note : Il ne faut pas penser que Jésus-Christ se retire des espèces sacramentelles quand un mauvais prêtre le reçoit, mais il s’en retire quant à l’humanité et la Divinité, c’est-à-dire, en tant que l’un ni l’autre n’y font les effets que le sacrement auguste fait aux bons, savoir, force, augmentation de grâces, etc. comme il est aussi expliqué ensuite.

  Que toutes les choses donc qu’ils reçoivent de la terre et qui leur sont utiles et profitables, soient maudites, d’autant qu’ils ne louent point Dieu, leur Créateur, qui leur a donné d’une main libérale et amoureuse ces choses ! Que la viande et le breuvage qui entrent dans leur bouche, qui nourrissent et entretiennent leur corps, pour être un jour la pâture des vers, et leur âme, pour être plongée dans l’enfer, soient maudits ! Maudit soit leur corps, qui ressuscitera pour l’enfer et brûlera sans fin ! Que leurs ans soient maudits, les ans qu’ils ont vécu inutilement ! Maudite soit l’heure où ils ont commencé d’entrer dans l’enfer, puisqu’elle ne finira jamais ! Que leurs yeux, par lesquels ils ont vu la lumière du ciel, soient maudits ! Maudites soient leurs oreilles, par lesquelles ils ont entendu mes douces et attrayantes paroles, dont ils n’ont pas tenu compte ! Que leur goût soit maudit, par lequel ils ont goûté mes dons favorables ! Maudit soit leur odorat, par lequel ils ont senti et flairé les parfums agréables, et n’ont pas tenu compte de moi, qui suis la plus agréable et la plus choisie de toutes les choses du monde !

  Mais on demande : Comment seront-ils maudits ? Certainement, leur vue est maudite, parce qu’ils ne verront point en moi la vision de Dieu, mais les ténèbres palpables et les intolérables supplices de l’enfer. Leurs oreilles sont maudites, parce qu’ils n’entendront point mes douces paroles, mais les cris d’horreur et de désespoir de l’enfer. Leur goût est maudit, parce qu’ils ne goûteront point la joie de mes biens éternels, mais une éternelle amertume. Leur attouchement est maudit, parce qu’ils ne me toucheront pas, mais toucheront un feu ardent et éternel. Leur odorat est maudit, parce qu’il ne flairera pas les parfums agréables qui sont en mon royaume, parfums qui surpassent toutes les odeurs aromatiques, mais ils auront en enfer une puanteur plus amère que le fiel, plus puante que le soufre.

Ils sont maudits du ciel, de la terre, et de toutes les créatures insensibles, d’autant que celles-là obéissent à Dieu et le louent, et celles-ci l’ont méprisé. A cette cause, je jure en ma vérité, moi qui suis la vérité même, que, s’ils mourraient de la sorte en la disposition où ils sont maintenant, jamais ma charité ni ma vertu ne les embraseront ni ne les défendront, mais ils seront damnés éternellement.

Chapitre 48

1048   Comment, en la présence de l’épouse et de la troupe céleste, la Divinité parle à l’humanité contre les chrétiens, tout ainsi que Dieu parlait à Moïse contre le peuple d’Israël. Comment les mauvais prêtres aiment le monde et méprisent Jésus-Christ. De leur malédiction et damnation.

  Dieu dit à une grande armée qu’on voyait au ciel : Voici que je vous parle en faveur de mon épouse, qui est ici présente, à vous qui savez, entendez et voyez en moi toutes choses, mes amis l’entendant. Je vous parle tout ainsi que quelqu’un fait à soi-même : de même ma Divinité parle à l’humanité.

  Moïse demeura quarante jours et quarante nuits sur la montagne avec le Seigneur. Quand le peuple eut vu qu’il restait si longtemps, il prit de l’or, le jeta dans le feu, d’où fut fait un veau, qu’il appela Dieu. Alors Dieu dit à Moïse : Le peuple à péché : je l’effacerai comme on efface une chose écrite sur un livre. Moïse lui répondit : Non, mon Seigneur ! Souvenez-vous que vous les avez mis hors de la mer Rouge, et que vous leur avez fait des choses merveilleuses. Si donc vous les effacez, où est à présent votre promesse ? Je vous prie, mon Seigneur, de ne point faire cela, parce qu’alors vos ennemis diraient : Le Dieu d’Israël est méchant : il a tiré de la mer son peuple, et il l’a fait mourir au désert. Dieu fut adouci et apaisé par ces paroles.

  Je suis ce Moïse en figure. Ma Divinité parle à l’humanité comme à Moïse, disant : Voyez et regardez ce que votre peuple a fait, comment il m’a méprisé. Tous les chrétiens seront tués, et leur foi sera effacée. Mon humanité lui répondit : Non, mon Seigneur ! Souvenez-vous que vous l’avez tiré hors de la mer du péché par mon sang, quand j’ai été déchiré depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête ; je leur ai promis la vie éternelle. Je vous prie donc d’avoir pitié et compassion d’eux à raison de ma passion.

  La Divinité, ayant entendu ces paroles, en fut apaisée et adoucie, et dit : Que votre volonté soit faite, d’autant que tout jugement vous est donné. Regardez, mes amis, combien est grande cette charité. Mais maintenant, je me plains devant vous, mes amis spirituels, savoir : les anges et les saints, et devant mes amis corporels qui sont au monde, et qui toutefois n’y sont pas, sinon de corps, je me plains de ce que mon peuple a amassé du bois et en a fait du feu, dans lequel il a jeté de l’or, d’où s’est levé un veau qu’ils adorent comme Dieu. Il se tient debout, comme un veau, sur quatre pieds, ayant une tête, un gosier et une queue.

  Or, Moïse tardant trop à descendre de la montagne, le peuple dit : Nous ne savons ce qui lui est arrivé. Et il lui déplut d’avoir été par lui tiré de la captivité. Ils dirent : Cherchons un autre Dieu qui marche devant nous. Les méchants prêtres en agissent maintenant ainsi, car ils disent : Pourquoi mènerons-nous une vie plus austère que celle des autres, ou quelle récompense en aurons-nous ? Il nous est bien meilleur de vivre en paix et selon notre volonté Aimons et chérissons le monde duquel nous sommes assurés, car nous n’avons aucune certitude, aucune assurance de sa promesse.

Ensuite, ils amassent du bois, c’est-à-dire, ils appliquent tout leur soin à l’amour du monde ; ils y allument le feu, lorsqu’ils se livrent avec ardeur à l’amour du monde ; mais ils le brûlent, quand, dans leur esprit, la volupté s’échauffe, et qu’ils la mettent à exécution. Ensuite, ils y jettent l’or, c’est-à-dire : la charité et l’honneur qu’ils me devraient donner, ils les donnent à l’honneur du monde. Alors se lève le veau, c’est-à-dire, l’amour de monde est accompli ; et cet amour a quatre pieds, savoir : la paresse, l’impatience, la vaine joie et l’avarice. Car ces prêtres-là, qui devraient être toujours près de moi pour mon honneur et pour ma gloire, portent à regret l’honneur qu’on me rend ; ils usent et passent le reste de leur vie dans la joie trompeuse du monde, et ne sont jamais contents ni rassasiés des biens temporels.

  Ce veau a aussi une tête et un gosier, c’est-à-dire, qu’ils n’ont d’autre but que la satisfaction de leur gourmandise, de sorte qu’elle ne peut jamais être rassasiée, quand même toute la mer entrerait dans eux. La queue de ce veau, c’est leur malice, d’autant que, s’ils pouvaient, ils ne permettraient pas qu’aucun possédât ce qui lui appartient. Certes, par leur exemple dépravé et par leur mépris, ils blessent et corrompent tous mes serviteurs. Voilà de quel amour leur coeur est porté à ce veau, et quelle joie et quel plaisir ils y prennent. Mais ils pensent de moi comme ces Juifs pensaient de Moïse, et disent : Il y a longtemps qu’il est absent ; ses paroles sont vaines et ses oeuvres fâcheuses ; faisons maintenant notre volonté, et qu’elle et notre puissance soient notre Dieu. De plus, non contents de ces choses, ils ne m’oublient pas tout à fait, mais ils me regardent comme une idole.

  Les gentils idolâtres adoraient du bois, des pierres et des hommes morts, du nombre desquels ils adoraient une idole qui s’appelait Béelzébut. Les prêtres de cette idole lui offraient de l’encens et faisaient des génuflexions devant elle avec des applaudissements et des louanges. Tout ce qui, dans leur sacrifice, était vain et inutile, tomba, et les oiseaux et les mouches le mangèrent ; mais toutes les choses qui étaient utiles, les prêtres les réservaient pour eux, fermaient la porte de leur idole, et gardaient la clef, de peur que quelqu’un n’y entrât et découvrît leur dessein pernicieux.

  À présent, les prêtres m’en font de même : ils m’offrent de l’encens, c’est-à-dire, ils prêchent de belles paroles, non pas à raison de mon amour et de ma charité, mais pour leur louange propre, et pour leur ravir quelque chose de temporel : car tout ainsi qu’on ne prend pas l’odeur de l’encens, mais qu’on le sent et qu’on le voit, de même leurs paroles ne font aucun effet à leurs âmes, de sorte qu’elles y puissent prendre racine, où elles puissent être détenues, mais on entend seulement le son des paroles, et elles semblent donner quelque plaisir à l’oreille pour un temps ; ils m’offrent des prières, mais ils ne me plaisent point. Ils sont comme ceux qui prêchent mes louanges du bout des lèvres, mais dont le coeur garde le silence. Ils se tiennent presque contre moi, criant de leur bouche, mais ils font avec leur coeur tout le tour du monde. S’ils devaient parler à quelque homme qui eût quelque charge et quelque dignité, leur coeur accompagnerait la parole, de peur qu’ils ne ’écartassent en parlant, et ne fussent par hasard remarqués peu sensés en quelques-unes.

  Or, les prêtres prient devant moi presque comme les hommes qui sont en extase, qui parlent autrement de bouche que leur coeur ne leur dicte et le leur suggère, paroles dont l’auditeur ne peut tirer une assurance certaine. Ils fléchissent les genoux devant moi, c’est-à-dire, ils me promettent l’humilité et l’obéissance, mais en vérité, ils sont humbles comme Lucifer ; ils obéissent à leurs désirs et non aux miens. Ils germent aussi la porte sur moi et gardent la clef, quand ils ne me louent ; et alors, ils ouvrent la porte sur moi et me louent, quand ils disent : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; mais ils la ferment sur moi, lorsqu’ils font leur volonté et ne veulent voir ni ouïr la mienne, comme si elle était d’un homme enfermé et de nulle puissance. Ils gardent la clef lorsque quelques-uns veulent faire ma volonté, et ils les en retirent par leur exemple, et s’ils pouvaient librement, ils leur défendraient aussi que ma volonté ne sortît en effet et ne fût accomplie que selon leurs désirs déréglés. Après, ils gardent en leur sacrifice toutes les choses qui leur sont nécessaires et utiles, et exigent pour eux tout l’honneur et tous les devoirs qu’ils peuvent. Mais le corps de l’homme que la mort frappe, pour lequel principalement ils devraient offrir des sacrifices, ils le jugent et le tiennent comme inutile, l’abandonnant aux mouches, c’est-à-dire, aux vers, se souciant fort peu de ce qu’ils lui doivent et du salut de son âme.

  Mais qu’a-t-il été dit à Moïse : Tuez ceux qui ont fait cette idole. Là, si quelques-uns sont morts, tous ne le sont pas. Mes paroles viendront maintenant, et les tueront, quelques-uns pour le corps et pour l’âme, pour être éternellement damnés ; les autres pour la vie, afin qu’ils se convertissent et vivent ; ceux-ci à une mort soudaine, d’autant que ces prêtres-là me sont grandement odieux. Et de grâce, à quoi les comparerai-je ? Ils sont semblables au fruit d’épine qui, au-dehors, est beau et rouge, mais qui, au-dedans, est plein d’immondices et d’aiguillons. Ils s’approchent ainsi de moi comme des hommes rouges par la charité, afin de paraître purs et nets au dehors, mais ils sont au dedans pleins d’immondices et d’ordures. Si ce fruit est de nouveau mis en terre, d’autres épines en sortiront et croîtront : de même ceux-là cachent dans leur coeur comme dans la terre leurs péchés abominables et leurs détestables malices, et de la sorte, ils ont pris tellement racine dans le mal, qu’ils n’ont pas même honte après de le mettre en lumière, de s’en vanter, de s’en glorifier.

Les autres, en prennent, non seulement l’occasion de pécher, mais sont aussi grièvement blessés et scandalisés dans leur âme, pensant ainsi entre eux : Si les prêtres font ceci, à plus forte raison il nous est permis de le faire.

Certes, ceux-là ne sont pas seulement semblables au fruit de l’épine, mais à l’épine même, parce qu’ils dédaignent et méprisent les corrections et admonitions qu’on leur fait, et ne réputent personne plus sage qu’eux. C’est pourquoi ils pensent pouvoir faire tout ce qu’ils veulent. Partant, je jure en ma Divinité et en mon humanité, tous les anges l’entendant, que je briserai la porte qu’ils ont fermée sur ma volonté ; et elle sera accomplie, et la leur sera anéantie et fermée sans fin dans l’intolérable supplice. À cause de quoi, comme il est dit d’ancienneté, je commencerai mon jugement par mon clergé et par mon autel.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1045