Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5001

Chapitre 1 INTERROGATIONS I-V.

5001   INTERROGATION I.

  Sainte Brigitte vit au Ciel un trône sur lequel était assis Notre Seigneur Jésus-Christ comme juge, aux pieds duquel était assise la Sainte Vierge Marie. Autour du trône étaient une grande compagnie d’anges et un nombre infini de bienheureux. Un théologien, religieux fort savant, et qui était en un haut degré d’une échelle fichée en terre, le haut bout de laquelle touchait au ciel, et qui avait une façon très impatiente et inquiète, comme plein de tromperie et de malice, interroge Jésus-Christ.

I. O Juge, je vous interroge. Vous m’avez donné la bouche : ne dois-je pas parler des choses plaisantes ?
II. Vous m’avez donné des yeux : ne dois-je pas voir les objets qui me délectent ?
III. Vous m’avez donné des oreilles : pourquoi n’écouterai-je pas les sons et les harmonies qui me plaisent
IV. Vous m’avez donné les mains : pourquoi ne ferai-je d’elles ce qu’il me plaît ?
V. Vous m’avez donné les pieds : pourquoi n’irai je pas selon mes désirs ?

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  REPONSE DE JESUS-CHRIST

I. Le Juge, assis au trône sublime, et dont les gestes étaient très doux et très honnêtes, répond, disant: Mon ami, je vous ai donné la bouche pour parler raisonnablement des choses utiles à l’âme et au corps, et des choses qui avancent mon honneur.

II. Je vous ai donné des yeux, afin que vous voyiez les malheurs pour les éviter, et les bonheurs pour y aspirer.

III. Je vous ai donné des oreilles, pour ouïr la vérité et pour écouter ce qui est honnête.

IV. Je vous ai donné des mains, afin que, par elles, vous fassiez ce qui est nécessaire au corps et ce qui ne nuit pas à l’âme.

V. Je vous ai donné des pieds, afin de vous retirer de l’amour du monde, et que vous soupiriez au repos éternel, à l’amour de votre âme et de moi, votre Créateur.

INTERROGATION II.

I. D’ailleurs, le religieux susdit apparut au même degré, disant : O Jésus-Christ, Juge, vous avez souffert volontairement une peine très amère : pourquoi ne pourrai-je, à raison de cela, me comporter honorablement et m’enorgueillir ?

II. Vous m’avez donné les biens temporels : pourquoi donc ne posséderai-je ce que je désire ?

III. Pourquoi avez-vous donné des membres à mon corps, si je ne les dois mouvoir et les exciter selon mes désirs ?

IV. Pourquoi avez-vous donné la loi et la justice, sinon pour faire vengeance ?

V. Vous avez permis qu’on prit le repos : pourquoi avez-vous ordonné aussi que nous ressentions la lassitude et les tribulations ?

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  REPONSE

I. Le juge répondit : Mon ami, la superbe des hommes est tolérée dès longtemps par ma patience, afin que l’humilité soit exaltée et que ma vertu soit manifestée ; et d’autant que la superbe n’est pas créée par moi, mais inventée par le diable, il la faut fuir, car elle conduit dans l’enfer ; et on doit avoir et garder l’humilité, d’autant qu’elle conduit dans le ciel ; c’est cette vertu que j’ai enseignée par parole et par exemple.

II. J’ai donné les biens temporels à l’homme afin d’en avoir raisonnablement l’usage, afin que les choses créées soient changées en honneur, savoir, en moi, leur Dieu, me louant, me remerciant et honorant de tant de biens dont je les ai comblés, et non vivant et usant d’iceux selon les désirs de la chair.

III. Les membres du corps sont donnés à l’homme, afin qu’ils montrent quelque similitude de l’âme et des vertus, et afin qu’ils fussent les instruments de l’âme pour son office et vertu

IV. La justice et la loi sont établies par moi, afin qu’elles fussent accomplies par la charité suprême et ma compassion admirable, et afin qu’entre les hommes, l’unité divine et la concorde fussent affermies.

V. Si j’ai donné à l’homme le repos corporel, je l’ai fait pour affermir l’infirmité de la chair, et afin que l’âme fût plus forte et plus vertueuse. Mais d’autant que la chair se rend souvent insolente, c’est pourquoi il faut endurer les tribulations, les angoisses, et tout ce qui sert à la correction.

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  INTERROGATION III.

I. D’ailleurs, le même religieux apparut comme dessus, disant : O Juge, je vous demande pourquoi vous nous avez donné les sens corporels, si nous ne devons, ni nous mouvoir, ni vivre selon les sens corporels.

II. Pourquoi nous avez-vous donné les viandes et les autres soutiens de la chair, si vous ne voulez pas que nous nous assouvissions, et que nous vivions selon les appétits désordonnés de notre chair ?

III. Pourquoi nous avez-vous donné le libre arbitre, si ce n’est pour suivre vos volontés ?

IV. Pourquoi avez-vous donné le coeur et la volonté, si ce n’est pour aimer plus chèrement ce que nous goûtons le plus, et pour que nous chérissions ce dont nous jouissons avec plus de délectation ?

  REPONSE

I. Le Juge répond : Mon ami, j’ai donné à l’homme le sens et l’intelligence, pour imiter les voies de la vie et pour fuir les voies de la mort.
II. J’ai donné les viandes et les choses nécessaires à la chair avec modération, afin que l’âme acquît avec plus de force les vertus, et qu’elle ne fût affaiblie et opprimée par la quantité excessive.

III. J’ai donné à l’homme le libre arbitre, afin qu’il quittât sa propre volonté pour l’amour de moi, qui suis son Dieu, et que de là, l’homme augmentât en mérite.

IV. J’ai donné à l’homme le coeur, afin que moi, Dieu, qui suis partout et qui suis incompréhensible, je me contienne par amour dans son coeur, et que, pensant être en moi, cela lui donne des plaisirs indicibles.

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  REVELATION PREMIERE DE CE LIVRE DES QUESTIONS

  La Sainte Vierge Marie parle à sainte Brigitte, lui enseignant cinq vertus qu’elle doit avoir intérieurement, et cinq extérieurement.

  La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, disant : Ma fille, vous devez avoir cinq vertus intérieures et cinq extérieures. Les extérieures : une bouche pure et exempte de médisance ; les oreilles closes aux vaines paroles ; les yeux chastes et pudiques ; vos mains aux bonnes oeuvres, et vos pieds éloignés de la conversation humaine.

Au dedans, il vous faut avoir cinq autres vertus : aimer Dieu avec ferveur ; le désirer avec sagesse ; donner des biens temporels avec juste ;
droite, et raisonnable intention ; fuir le monde avec humilité, et attendre fermement et patiemment mes promesses.

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  INTERROGATION IV.

I. Le susdit religieux apparut au même échelon, disant : O Juge, pourquoi dois-je rechercher la sapience divine, puisque j’ai la sapience du monde ?

II. Pourquoi dois-je pleurer, puisque la gloire et la joie du monde abondent en moi ?

III. Dites-moi pourquoi et comment je me dois réjouir dans les afflictions de la chair.

IV. Pourquoi dois-je craindre, puisque j’ai des forces assez grandes ?

V. Pourquoi obéirais-je aux autres, si ma volonté est en ma propre puissance.

  REPONSE

I. Le Juge répondit et dit : Mon ami, celui qui est sage selon le monde, est aveugle et fou devant moi. Et partant, afin d’acquérir ma divine sagesse, il est nécessaire qu’on la cherche diligemment et humblement.

II. Celui qui possède les honneurs du monde et sa joie, est souvent agité de divers soins, et est enveloppé en des amertumes qui conduisent dans l’enfer. Partant, de peur qu’on ne s’écarte de la voie du ciel et qu’on ne se fourvoie, il est nécessaire qu’il prie, qu’il pleure et qu’il heurte pieusement.

III. Il est fort utile de se réjouir en l’affliction et en l’infirmité de la chair, d’autant que ma divine miséricorde s’approche de ceux qui souffrent des afflictions de la chair, et par icelle, il s’approche plus facilement de la vie éternelle.

IV. Tous ceux qui sont forts, sont forts de ma force, mais je suis plus fort qu’eux. Partant ils doivent craindre partout que leur force ne leur soit ôtée.

V. Quiconque a en main le libre arbitre, doit craindre et entendre véritablement qu’il n’y a rien qui conduise plus facilement à la damnation éternelle, que la volonté propre qui est sans conducteur. Partant, celui qui laisse sa propre volonté et la résigne en mes mains, de moi qui suis son Dieu, aura le ciel sans peine.

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  INTERROGATION V.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, pourquoi avez-vous créé les vermisseaux qui peuvent nuire et ne rien profiter ?

II. Pourquoi avez-vous créé les bêtes farouches qui nuisent aussi aux hommes ?

III. Pourquoi permettez-vous que le corps pâtisse ?

IV. Pourquoi souffrez-vous l’iniquité des jugements iniques, qui affligent les sujets et les fouettent comme des serfs achetés ?

V. Pourquoi le corps de l’homme est-il affligé au dernier point de sa vie ?

  REPONSE

I. Le Juge répondit : Mon ami, Dieu, Juge, a créé le ciel, la terre, et tout ce qui est compris en leur pourpris, mais il n’a rien créé sans quelque sujet, sans quelque esprit, sans quelque rapport ; car comme les âmes des saints sont semblables aux anges qui sont, en la vie, dans les bonheurs et les félicités, de même les âmes des injustes sont semblables aux démons qui sont ensevelis et plongés dans la mort éternelle. Mais d’autant que vous m’avez demandé pourquoi j’ai créé les vermisseaux, je vous réponds que je les ai créés pour manifester aux hommes les effets de ma sagesse et les pouvoirs de ma bonté, car bien qu’ils puissent nuire, ils ne nuisent pas pourtant, si ce n’est par ma permission et le péché des hommes, l’exigeant de la sorte, afin que l’homme qui méprise de soumettre à Dieu, son souverain supérieur, gémisse de voir qu’il faut être affligé par de petits vermisseaux, et afin que l’homme sache que, sans moi, il n’est rien, et que des choses irraisonnables me servent, et que toutes choses s’arrêtent à mon commandement.

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II. Toutes les choses que j’ai créées, non seulement étaient bonnes, mais étaient grandement bonnes, et sont créées, ou pour l’utilité de l’homme, ou pour la probation, ou pour les commodités des autres créatures, et afin que l’homme servît d’autant plus humblement son Dieu, qui excelle par-dessus tous en félicité. Néanmoins, les bêtes nuisent aux choses temporelles à double sujet : le premier, pour la correction et pour la connaissance de nos malheurs, afin que, par les afflictions, les méchants entendent et comprennent qu’il faut obéir à Dieu, leur souverain supérieur ; le deuxième : elles nuisent aussi aux bons, pour les purifier et les avancer au comble des vertus ; et d’autant que l’homme, en péchant, s’est élevé contre moi, son Dieu, c’est pourquoi toutes se sont élevées contre lui.

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III. L’infirmité afflige le corps, afin que l’homme prenne garde de conserver en soi, par le châtiment et la retenue de la chair, la modération spirituelle, et la patience, qui est assaillie souvent à raison du vive de l’incontinence et de la superfluité.

IV. Pourquoi tolère-t-on les juges iniques ? Certes, c’est pour l’épurement d’autrui, et pour manifester la grandeur de ma patience, afin que, comme l’or est purifié par le feu, de même, par la malice des méchants, les âmes soient purifiées, soient instruites et soient retirées des choses illicites. Il tolère encore les méchants, et que les épis du diable soient séparés du froment des bons, afin que leur insatiable cupidité soit remplis par les jugements occultes de ma divine justice.

V. Le corps souffre de la peine en la mort. Certainement, il est juste que l’homme soit puni par les mêmes choses dont il m’a offensé ; et d’autant que, par sa délectation désordonnée, il m’a offensé, il mérite d’être puni par l’amertume et peine ordonnées, de sorte que celui qui commence ici la mort criminelle, elle lui durera sans fin, et ceux qui meurent en grâce sans une entière purification, se purifieront dans les feux du purgatoire pour passer et commencer une joie éternelle.

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CHAPITRE II. INTERROGATIONS VI-VIII celui qui désire goûter la douceur divine doit souffrir plutôt les amertumes.

5002   La Vierge Marie parle à sainte Brigitte, disant que celui qui désire goûter la douceur divine doit souffrir plutôt les amertumes.

  La Sainte Vierge Marie dit : Quel est celui des saints qui ait jamais goûté les douceurs divines, qui n’ai plutôt goûté les amertumes ? Celui donc qui désire les douceurs n ne doit point fuir les amertumes.

  INTERROGATION VI.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi un enfant sort sain du ventre de la mère, arrivant au baptême, et pourquoi l’autre, ayant reçu l’âme meurt.
II. Pourquoi les adversités assaillent-elles le juste, et pourquoi les prospérités sourient-elles au méchant ?
III. Pourquoi la peste, la famine et autres incommodités, affligent-elles les corps ?
IV. Pourquoi la mort arrive-t-elle lorsqu’on y pense le moins, de sorte que rarement on la peut prévoir ?
V. Pourquoi souffrez-vous que les hommes forcenés et armés de fureur et d’envie, viennent à la guerre avec esprit de vengeance ?


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  REPONSE

I. Le Juge répondit, disant : Mon ami, votre demande ne vient point de la charité, bien que de ma permission. C’est pourquoi je vous le veux faire entendre par quelques similitudes. Vous demandez pourquoi un enfant sort vivant des entrailles de la mère, et l’autre mort. C’est qu’il arrive souvent beaucoup de négligences et faute de peu de soin des parents, et ma divine justice permet, à raison du péché, que ce qui a été uni soit séparé. Néanmoins, l’âme, pour cela, bien qu’elle ait eu si peu de temps pour animer le corps, n’est pas envoyée dans les supplices très cuisants, mais je manifeste encore en elle ma miséricorde ; car comme le soleil, jetant ses rayons sur une maison, n’est pas vu en son éclat et en sa beauté merveilleuse, mais bien ses rayons, si ce n’est par ceux qui étant dehors de la maison, élèvent les yeux au ciel, de même ces âmes, bien qu’elles ne voient la gloire incomparable de ma face, parce qu’elles n’ont pas été baptisées, s’approchent néanmoins plus de la miséricorde que de la peine, mais non pas tant que mes élus.

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II. Pourquoi les adversités assaillent-elles l’homme juste ? Je réponds : Ma justice veut que chaque juste obtienne ce qu’il désire ; mais celui-là n’est pas juste qui ne désire souffrir pour l’amour de l’obéissance. Et pour la perfection de la justice, ni celui-là n’est pas juste qui ne fait du bien à son prochain, poussé à cela par la charité.

  C’est pourquoi mes amis, considérant que je suis leur Dieu et leur Rédempteur, ce que j’ai fait pour eux et ce que je leur ai promis, et voyant la malice dont le monde est animé, demandent plus franchement de pâtir des adversités du monde, pour éviter les péchés pour leur salut éternel et pour être plus avisés. C’est aussi que je permets, pour les mêmes raisons, que les tribulations leur soient plus fréquentes, bien que quelques-uns les souffrent, non avec tant de patience que je voudrais ; je les permets néanmoins avec sujet et raison et les assiste en icelles. Car comme la mère, pleine de charité, corrige son fils en l’adolescence, et le fils ne sait point l’en remercier, d’autant qu’il ne sait connaître la raison pourquoi sa mère le fait, mais étant arrivé aux années de discrétion, l’en remercie, connaissant bien que, par la correction de sa mère, il s’est retiré des moeurs mauvaises et s’est accoutumé aux bonnes : j’en fais de même à mes élus, car ils résignent leur volonté à la mienne, et ils m’aiment sur toutes choses. C’est aussi pour cela que je permets qu’ils soient affligés quelques temps ; et bien que maintenant ils n’entendent entièrement la grandeur de ce bienfait, je fais néanmoins pour eux ce que je sais qui leur profite pour l’avenir. Mais les impies, qui ne soucient de ma justice, et qui ne craignent point d’injurier leur prochain, qui désirent avec passion les choses passagères, et se lient par amour aux choses terrestres, prospèrent pour quelques temps et sont exemptés de mes verges, de peur que, si les adversités les pressent ils ne pèchent davantage. Néanmoins, ils ne peuvent pas faire le mal qu’ils désirent, afin qu’ils connaissent qu’ils sont sous ma puissance, auxquels bien qu’ingrats, je donne, quand je veux, quelque chose, bien qu’ils ne le méritent pas.

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III. Pourquoi la peste et le feu nous oppriment-ils ? Je réponds : il est écrit en la loi que celui qui dérobera, rendra plus qu’il n’aura dérobé. D’autant donc que les hommes ingrats reçoivent mes dons et en abusent, ils ne me rendent pont l’honneur qui m’est dû. C’est pour cela aussi que je permets plus de peines au corps afin que l’âme soit sauvée en l’autre monde. Souvent aussi, pardonnant au corps, je punis l’homme dans les choses qu’il aime le plus, afin que celui qui ne m’a pas voulu reconnaître en joie, me reconnaisse en tristesse.

IV. Pourquoi la mort est-elle soudaine ? Si l’homme savait le jour de sa mort, il me servirait par l’esprit de crainte et défaudrait de douleur. Que l’homme donc me serve par l’esprit d’amour, et qu’il soit toujours soigneux de lui et assuré de moi ; c’est pour cela que l’heure de la mort est incertaine, et à juste sujet, car quand l’homme a laissé ce qui était vrai et certain, il a été nécessaire et digne qu’il fût affligé de ce qui était incertain.

V. Pourquoi je promets qu’on aille au combat avec une fureur parfaite ? Celui qui a une parfaite et déterminée volonté de nuire à son prochain, est semblable au diable, est son membre et son instrument. Je ferai injure au diable, si je lui étais son serviteur sans droit ni justice. Comme donc j’use de mon instrument à tout ce qui me plaît, de même la justice veut que le diable opère en celui qui veut être plutôt son membre que le mien, et fasse ce qui est de sa part, et fasse ce qui est de as part, ou bien pour purifier les autres, ou bien pour accomplir la malice, le péché l’exigeant ainsi, et moi le permettant de la sorte.

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  INTERROGATION VII.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi on voit au monde du beau et du vil.

II. Pourquoi ne suivrai-je l’éclat et la beauté du monde, puisque je suis né de sang noble ?

III. Pourquoi de m’élèverai-je sur les autres, puisque je suis riche ?

IV. Pourquoi ne me préférerai-je pas aux autres, puisque je suis plus honorable que les autres ?

V. Pourquoi ne rechercherai-je pas ma louange propre, puisque je suis bon et louable ?

VI. Pourquoi n’exigerai-je des récompenses, puisque je fais du plaisir aux autres ?

  REPONSE

I. Le Juge répondit : Mon ami, ce qui est vil et beau au monde, est doux et mauvais par diverses considérations, car l’utilité du monde, qui n’est autre que le mépris du monde et son adversité, est fort utile pour l’avancement du salut aux justes. Or, la beauté du monde est sa prospérité, et elle est comme une glace qui flatte faussement et trompeusement. Celui qui fuit l’éclat du monde, méprisant sa douceur, ne descendra point à la vilité de l’enfer, ni ne goûtera point ses amertumes qui n’ont point d’égal en malheur, mais montera à mes joies indicibles, qui n’auront jamais de fin. Afin donc de fuir la vilité de l’enfer et d’acquérir la douceur du ciel, il est nécessaire d’aller plutôt après la vilité du monde qu’après sa beauté et son éclat. Certainement ; toutes choses ont été bien créées de moi, et toutes choses sont grandement bonnes ; il faut néanmoins se donner garde de celles qui peuvent donner à l’âme occasion de nuire.

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II. Vous avez été conçu dans l’iniquité. Vous avez été, dans le sein de votre mère, comme mort et tout immonde. Il ne fut point en votre puissance de naître de nobles ou de roturiers. Ma main, toute pleine de bonté et de piété, vous a mis au jour, et vous a donné la vie. Donc, vous qui êtes appelés nobles, humiliez-vous sous moi, qui suis votre Dieu, qui a ordonné que vous naîtriez de nobles parents, et conformez-vous à votre prochain, car il est de même matière que vous, bien que vous soyez d’une plus excellente, ma providence disposant de la sorte. En effet, vous n’êtes différents qu’en la manière : il est d’une basse maison, et vous êtes d’une maison illustre. Mais vous qui êtes noble, craignez plus que les roturiers, d’autant que, plus vous êtes noble et riche, plus vous êtes obligé de bien faire et de vous préparer à rendre raison plus étroitement, et le jugement sera d’autant plus rigoureux que plus ils auront reçu.

III. Pourquoi ne dois-je m’enorgueillir de mes richesses ? Je réponds : D’autant que les richesses du monde ne sont point à vous, sinon en tant que vous en avez besoin pour votre nourriture et pour votre vêtement, car le monde est fait, afin que l’homme, ayant la nourriture corporelle, retourne heureusement à moi, son Dieu, par la peine et par l’humilité, à moi dont il s’est retiré, et qu’il a méprisé par sa rébellion. Or, si vous dites que les biens temporels sont à vous, je cous dis aussi pour certain que vous usurpez toutes choses avec violence, et celles dont vous n’avez aucune nécessité, car les biens temporels doivent être tous communs, et par charité, doivent être à tous les pauvres également. Mais vous usurpez sans nécessité et pour la pure superfluité, ce qu’il fallait distribuer aux autres par compassion, bien que plusieurs ont raisonnablement plusieurs choses, qui les distribuent plus discrètement que les autres. De peur donc que vous n e soyez repris plus rudement, aux justes et formidables jugements de Dieu, d’avoir plus reçu que les autres, je vous conseille qu’en vous enorgueillissant et en amassant, de ne vous préférer aux autres, car comme il est plaisant et délectable au monde d’avoir plus de richesses que les autres et d’en abonder, de même, au jugement de Dieu, il est terrible outre mesure de n’avoir disposé même des choses licites aux indigents avec raison.

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IV et V. Pourquoi ne faut-il pas rechercher la louange propre ? Je réponds : Pas un n’est bon de soi que Dieu seul ; et celui qui est bon hors de lui, est bon par la participation de ma bonté. Donc, si cous cherchez votre louange, d’où vient tout don parfait et accompli, votre louange est fausse, et vous faites injure à moi, votre Créateur. Partant, comme de moi dépendent tous les biens que vous avez, de même il me faut attribuer toute louange ; et comme je suis votre Dieu, je vous dépars tout ce qui est du temporel : la force, la santé, la sainte conscience, discrétion et jugement, pour choisir ce qui vous est le plus utile, disposer du temps, régir votre vie. Si vous disposez bien raisonnablement et sagement, je suis beaucoup à honorer, puisque je vous en ai donné la grâce. Que si vous en disposez autrement, ce sera votre faute et un argument de votre ingratitude.

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VI. Pourquoi ne faut-il pas rechercher une récompense temporelle en ce monde pour les bonnes oeuvres ? Je vous réponds : Quiconque fait bien à autrui a intention de ne se souvenir point de la récompense des hommes, mais seulement il attend celle que je lui voudrai donner, celui-là aura une grande chose pour une petite, une chose éternelle pour une chose temporelle. Mais celui qui, pour les choses temporelles, cherche les choses terrestres, aura ce qu’il désire, mais il perdra ce qui est éternel. Partant, afin qu’on obtienne pour une chose passagère ce qui est éternel, il est plus utile de ne rechercher point autre récompense que de moi.

  INTERROGATION VIII.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi vous permettez que des dieux soient mis au temple, et qu’on leur défère autant d’honneur qu’à vous-même, puisque votre règne est le plus puissant de tous.

II. Pourquoi faites-vous voir votre gloire en ce monde aux hommes, afin que, pendant qu’ils vivent, ils vous désirent avec plus de ferveur ?

III. Pourquoi las anges et les saints, qui sont plus nobles et plus saints que les créatures, ne sont-ils pas vus des hommes en cette vie ?

IV. Puisque les peines de l’enfer sont incomparables et horribles, pourquoi ne les faites-vous pas voir aux hommes en cette vie, afin de les éviter ?

V. Les diables étant incomparablement laids, difformes et horribles, pourquoi n’apparaissent-ils visiblement aux hommes. Car alors, pas un ne les suivrait ni ne consentirait à leurs méchantes suggestions ?

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  REPONSE

I. Le Juge répond : Mon ami, je suis le Créateur de toutes choses, qui ne fais pas plus d’injures à l’homme mauvais qu’au bon, car je suis la même justice. Ma justice donc veut que l’entrée du ciel s’obtienne par une foi constante, par une espérance ferme et par une charité parfaite. Partant, tout ce qui est plus aimé dans le coeur et chéri avec plus de ferveur, on y pense plus souvent et on l’adore plus augustement : de même les dieux qu’on mettait au temples, bien qu’ils fussent ni dieux ni créateurs, d’autant qu’il n’y a qu’un seul Créateur, savoir Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, néanmoins, les possesseurs des temples et les hommes abusés les aimaient plus qu’on ne m’aime, et cela seulement pour prospérer dans le monde, non pas pour vivre éternellement avec moi. Partant, si j’anéantissais ce que les hommes aiment plus que moi, et si je les contraignais de m’adorer contre leur volonté, je leur ferai injure, leur ôtant leur libre arbitre et leur désir. Partant, puisqu’ils n’ont point de foi en moi, et qu’il y a dans leur coeur quelque chose qu’ils aiment plus que moi, je permets avec raison que ce qu’ils aiment en leur intérieur, ils l’accomplissent par oeuvre en leur extérieur. Et d’autant qu’ils peuvent connaître par signes et par faits, s’ils voulaient se servir de la raison, d’autant donc qu’ils sont aveugles, maudite est leur créature maudites sont leur idoles ; ils seront confondus et seront jugés à raison de leur folie, car ils ne veulent entendre ni comprendre combien doux je suis, moi qui ai créé et racheté l’homme par amour. (Matth,17.)

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II. Pourquoi ne voit-on pas ma gloire ? Ma gloire est ineffable et incomparable en suavité et en bonté. Si donc ma gloire était vue comme elle est, le corps de l’homme corruptible se débiliterait et défaudrait, comme le sens de ceux qui virent ma gloire en la montagne. Leur corps aussi défaudrait à raison de la trop grande joie de l’âme, et ne pourrait plus faire les exercices corporels. Partant, puisque l’entrée du ciel n’est pas libre sans les oeuvres de l’amour, et afin que la foi ait son prix et que le corps puisse travailler, ma gloire leur est cachée pour quelque temps afin que, par le désir et par la foi, ils la voient plus abondamment et plus heureusement à jamais.

III. Pourquoi ne voit-on pas les saints en l’éclat où ils sont? Si mes saints étaient vus et parlaient clairement, on leur donnerait l’honneur qu’on me doit; et si lors la foi perdait le mérite, la faiblesse de la chair ne pourrait supporter leur éclat, ni aussi ma justice ne veut point qu’une si grande clarté soit vue d’une si grande fragilité. Partant, mes saints ne sont point vus ni ouïs en leur éclat, afin que tout l’honneur soit rendu à Dieu, et afin que l’homme sache qu’il n’y a aucun homme qui doive être mon égal. Vraiment, les saints apparaissent souvent, non en l’éclat de la gloire qu’ils possèdent, mais en la forme occulte de la plénitude de la vertu, en laquelle ils paraissent pour pouvoir être vus sans aucune perturbation.

IV. Pourquoi les peines de l’enfer ne sont-elles point vues? Si les peines de l’enfer étaient vues comme elles sont, l’homme se réduirait de crainte et d’effroi, et chercherait le ciel, non par esprit d’amour, mais de crainte. Et d’autant que pas un ne doit désirer les joies célestes par la crainte de la peine, mais par la charité divine, je cache la peine des damnés. Car comme les bons et les saints ne peuvent goûter cette joie ineffable avant la séparation de l’âme du corps, de même les mauvais ne peuvent goûter les peines effroyables avant la mort; mais leur âme étant séparée du corps, ils expérimentent les rigueurs par les sentiments qu’ils n’ont voulu entendre ni comprendre en leur esprit, le pouvant faire par ma grâce.

V. Pourquoi les diables n’apparaissent-ils pas? Si leur horrible forme, leur difformité paraissait comme elle est, celui qui la verrait sortirait hors de soi-même de crainte et d’effroi, tremblerait, sécherait et mourrait comme anéanti. Afin donc que l’âme demeure constante en son sens, que son coeur veille en mon amour, et que son corps fût affermi à mon service, oui, c’est pour ces raisons que la laide difformité du démon est cachée, et encore afin que sa malice et son effort soient retenus.

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Chapitre III. Pour le jour de saint Cosme et Damien. INTERROGATIONS IX-

5003   Jésus-Christ parle à son épouse, sainte Brigitte. Il l’enseigne avec des similitudes prises d’un médecin qui guérit et d’un médecin qui tue, et de l’homme qui juge, tous disant que Dieu demandera raison des âmes à l’homme qui reçoit avec soi les pécheurs, s’il leur donne de l’aide ou sujet de pécher, et s’ils meurent en péché; et au contraire, il aura un grand mérite, s’il les reçoit, et si, les instruisant aux vertus, ils cessent de pécher.


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Pour le jour de saint Cosme et Damien.

Le Fils de Dieu parle : S’il y a quelque malade en la maison, et qu’un bon médecin y entre, il pense et sonde soudain par les signes extérieurs quelle est son infirmité. Le médecin donc, sachant l’infirmité du malade, s’il lui donne une médecine qui ne soit pas bonne et que la mort s’ensuive, est jugé être, non un médecin, mais celui qui tue à dessein. Mais si quelqu’un, sachant médeciner, exerce l’art pour les récompenses mondaines, celui-là n’a point de récompense devant moi. Or, celui qui exerce la médecine pour l’amour et pour l’honneur de moi, je suis tenu de lui rendre la récompense. Si quelqu’un, n’étant point docte en la médecine, pense, selon son jugement, que cela ou cela servira au malade, et le lui donne avec une bonne et pie intention, celui-ci ne doit pas être jugé comme celui qui tue, mais comme un médecin fat et présomptueux. Que si le malade patient revient en convalescence, pour cela le médecin ne mérite point la récompense d’un médecin, mais d’un homme qui va au hasard, d’autant qu’il n’a pas ordonné et donné la médecine selon la science, mais selon sa fantaisie. Je vous dirai ce que ces choses signifient.

Ces hommes dont je parle vous sont connus; ils sont spirituellement malades et ensevelis en la vanité, l’ambition, et suivent en tout leur propre volonté. Si donc leur ami, que je compare à un médecin, leur a donné du secours et du conseil pour excéder en superbe et en vanités, et dont ils meurent spirituellement, certainement, j’exigerai leur mort de sa main, car bien qu’ils meurent de leur propre faute, néanmoins, d’autant qu’il leur a été cause et occasion de mort, il ne sera point exempt de peine. Que s’il les nourrit et les conduit, poussé à cela par l’amour naturel, les agrandissant dans le monde pour sa consolation et pour l’honneur du monde, il ne faut pas qu’il attende de moi miséricorde. Que si, comme un bon médecin, il pense sagement d’eux, disant à part soi : Ceux-ci sont infirmes et malades; ils ont besoin de médecine; et bien que ma médecine soit amère, néanmoins, puisqu’elle est salutaire, je leur en donnerai, afin qu’ils ne meurent d’une mort misérable.

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  Et partant, en retenant leurs passions, je leur donnerai à manger de peur qu’ils ne meurent de faim; je leur donnerai aussi des vêtements, afin qu’ils soient plus honnêtes selon leur état; je les tiendrai sous mon régime, afin qu’ils ne soient pas insolents; j’aurai aussi soin de leurs autres nécessités, afin qu’ils ne s’élèvent par leur superbe, et que l’orgueil et la présomption ne les perdent, ou bien qu’ils n’aient occasion de nuire aux autres. Un tel médecin aura de moi une grande récompense, car une telle médecine de correction me plaît grandement.

Que si leurs amis, s’entretenant en telles pensées, disent : Je leur donnerai ce qui est nécessaire, mais je ne sais pas s’il leur est expédient ou non; je ne crois pas pourtant déplaire à Dieu ni nuire à leur salut : si lors ils meurent à l’occasion de leur don, où ils se débauchent, leur ami ne sera pas repris ni accusé de les avoir spirituellement tués; mais néanmoins, à raison de sa bonne volonté et de la sainte affection dont il chérit plus leurs âmes que celle des autres, il n’aura pas sa pleine récompense; les malades néanmoins en auront aussi moins, et croîtront en santé, laquelle ils obtiendraient plus difficilement, si la charité n’y coopérait pas. Ici pourtant, un conseil est nécessaire, car selon la maxime vulgaire, si l’animal qui est porté à nuire, à raison de sa maladie, est renfermé, il ne nuira point, et étant enfermé, il viendra en convalescence, et s’engraissera à l’égal de ceux qui sont libres. Ceux donc qui sont de cette espèce, dont le sang, les pensées et les affections cherchent les choses éminentes, en sont d’autant plus affamés que plus ils en mangent. Donc, que leur ami ne leur donne aucune occasion d’excéder en leurs ambitions, comme ils désirent avec passion et ne savent éteindre leur appétit.

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  INTERROGATION IX

I. Ces choses ayant été dites, le religieux apparut en son échelon, disant : O Juge, je vous demande pourquoi vous êtes si inégal en vos dons et en vos grâces, en ce que vous avez avantagé et préféré la Sainte Vierge Marie sur toutes les créatures, et l’avez exaltée sur les anges.

II. Pourquoi avez-vous donné aux anges l’esprit sans chair, et les avez-vous établis dans les joies célestes? Et pourquoi avez-vous donné à l’homme un vase de terre et un esprit, et l’avez-vous obligé à vivre avec labeur et peine et à mourir avec douleur?

III. Pourquoi avez-vous donné à l’homme la raison, et l’avez-vous refusée aux animaux?

IV. Pourquoi avez-vous donné la vie aux animaux, et l’avez-vous refusée aux choses insensibles?

V. Pourquoi la lumière n’éclaire-t-elle pas aussi bien la nuit que le jour?

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RÉPONSE

I. Le Juge répondit : Mon ami, je connais de toute éternité en ma Déité toutes les choses futures; faites-les comme celles qui sont à faire, car comme la chute de l’homme a été prévue par moi, aussi ma justice l’a permise, mais elle n’a pas été faite de Dieu, ni la prescience de Dieu n’était pas cause qu’on la fit : de même de toute éternité, la délivrance de l’homme a été prévue se devoir faire par ma miséricorde.

Vous demandez donc pourquoi j’ai avantagé en prérogatives signalées la Mère de Dieu par-dessus tous les autres, et pourquoi je l’ai aimée par-dessus et au-delà de toutes les créatures : parce qu’en elle a été trouvé un signe signalé et vrai des vertus; car comme le feu s’allume soudain, le bois étant bien disposé, de même le feu de mon amour s’alluma en ma Mère plus ardemment, d’autant qu’elle était mieux disposée : car quand l’amour divin, qui est de soi immuable et éternel, commença d’apparaître et de brûler quand ma Divinité s’incarna, aussi il n’y avait créature plus apte et plus capable de recevoir les flammes de mon amour que la Sainte Vierge, d’autant que pas une n’avait tant de charité qu’elle; et bien que son amour ait été manifesté à la fin des temps, néanmoins, elle avait été connue de toute éternité avant le temps, et de la sorte prédéfinie de toute éternité en la Divinité; que comme pas un ne lui a été semblable en amour, aussi elle n’a point eu d’égal en grâce et en bénédiction.

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II. Au commencement, avant le temps, j’ai créé les esprits libres, afin qu’ils se réjouissent en moi de ma bonté et de ma gloire selon mes volontés, de quoi quelques-uns, s’enorgueillissant du bien, en tirèrent leur funeste malheur, émouvant leur liberté contre la règle de la raison. Et d’autant qu’il n’y avait rien de mal en la nature ni en la création, sinon le dérèglement de leur propre volonté, qui leur a causé les malheurs éternels, mais quelques esprits choisirent de s’arrêter et de demeurer en humilité avec moi, qui suis leur Dieu, c’est pourquoi ils ont mérité la constance éternelle au bien avec moi, Dieu et esprit incréé, Créateur de toutes choses et leur Seigneur absolu. J’ai aussi des esprits plus épurés et plus agiles que les créatures qui m’obéissent.

Mais d’autant qu’il n’était pas convenable que je souffrisse diminution en mon armée, j’ai créé une autre créature, c’est-à-dire, l’homme, au lieu de ceux qui tombèrent, qui mériterait avec la grâce le libre arbitre et leur bonne volonté, la même dignité que les anges révoltés avaient perdue. Partant, si l’homme avait seulement l’âme et non le corps, il ne pourrait pas avec tant de facilité et de sublimité, mériter un bien si éminent ni pâtir pour cela; partant, afin qu’il obtienne les biens éternels et l’honneur du ciel, le corps a été conjoint à l’âme. C’est pourquoi aussi les tribulations lui sont augmentées, afin que l’homme fasse expérience de sa liberté et de ses infirmités, afin qu’il ne se rende superbe, et d’ailleurs, afin qu’il désire la gloire pour laquelle il a été créé, et paie la révolte qu’il en avait encourue volontairement. C’est pourquoi, par arrêt et décret de la divine Providence, l’entrée, le progrès et la sortie, sont dignes de larmes, et de plus, tant et tant de douleurs les suivent!

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III. Quant aux bêtes, elles n’ont pas la raison comme les hommes. Tout ce qui est, est ordonné pour l’utilité de l’homme et pour sa nécessité, pour son entretien, pour son instruction, correction, consolation ou humiliation. Si les bêtes brutes avaient la raison, elles serviraient de peine à l’homme, et lui seraient plutôt nuisibles que profitables. Partant, comme toutes choses sont sujettes à l’homme, pour lequel toutes choses ont été faites, toutes choses le craignent, et lui ne craint que moi, son Dieu. Voilà pourquoi la raison n’a point été donnée aux bêtes brutes.

IV. Pourquoi les choses insensibles n’ont-elles point de vie? Tout ce qui vit est sujet à la mort, et tout ce qui vit a mouvement, s’il n’est empêché. Si donc les choses insensibles avaient vie, elles se mouvraient plutôt contre l’homme que pour l’homme. Partant, afin que toutes choses lui fussent en aide et subside, les anges lui sont donnés en garde, avec lesquels il a la raison et l’immortalité de l’âme; mais les choses inférieures, savoir, les choses sensibles, lui sont données pour l’utilité, soutien, doctrine et exercice.

V. Pourquoi tout le temps n’est-ils pas un jour sans ténèbres? Je réponds par un exemple. En tous chariots, il y a des roues subalternes, afin que le poids lourd et pesant soit plus facilement porté, et que les roues de derrière suivent celles de devant. Il en est de même des choses spirituelles. Le monde est un grand fardeau qui accable l’homme par ses soins et ses trop importunes sollicitudes, et n’est de merveilles, car puisque l’homme a eu à dédain le lieu du repos, il était juste qu’il expérimentât le lieu de peine.

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Afin donc que l’homme pût supporter le fardeau de ce monde, j’ai voulu miséricordieusement que la vicissitude du jour et de la nuit s’entresuivît, et aussi de l’été et de l’hiver, pour l’exercice et le repos de l’homme, cari il est raisonnable que là où les contraires se rencontrent, savoir, l’affermi à l’infirme, qu’on condescende au faible, afin qu’il puisse se soutenir avec le fort, autrement le faible s’anéantirait. Il en est de même de l’homme, bien qu’en vertu de l’âme immortelle, il puisse continuer en la contemplation et au labeur; néanmoins, il ne pourrait subsister en la vertu du corps, mais il y défaudrait : c’est pourquoi la lumière a été faite, afin que l’homme, participant aux choses supérieures et inférieures, sache et puisse supporter les peines, le jour, et se repentir, la nuit, d’avoir perdu la lumière éternelle. La nuit a aussi été faite pour le repos du corps, afin que nous excitions en nous un ardent désir d’arriver au lieu où il n’y a ni nuit ni peine, mais un jour continuel et une gloire éternelle.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5001