Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5004

Chapitre IV. Pour le jour de la Nativité de la Vierge Marie. INTERROGATION X

5004 Le Fils de Dieu loue excellemment sa Mère, moralisant cela spirituellement, et la prononçant digne d’une couronne royale.

Pour le jour de la Nativité de la Vierge Marie.

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  Le Fils de Dieu parle, disant : Je suis couronné roi en ma Déité, sans commencement et sans fin. Cette couronne n’a ni commencement ni fin; elle signifie ma puissance, qui n’a rien d’égal. J’ai gardé une autre couronne en moi, couronne qui n’est autre que moi-même. Or, cette couronne a été préparée à l’âme qui aurait une très grande charité et amour envers moi. C’est vous, ô ma Mère, qui avez emporté, mérité et attiré cette couronne sur vous, par la justice et par l’amour, car les anges rendent témoignage de ceci, et les saints disent que votre charité et votre amour ont été plus ardents envers moi, et votre chasteté plus pure et plus excellente que celle de tous les autres, et elle m’a plu et agréé plus que tous. Votre tête fut comme un or autopolymérisant, et vos cheveux comme les rayons du soleil, car votre très pure virginité, qui est en vous comme le chef des autres vertus, et la continence de tous les mouvements illicites, ont éclaté devant moi, et m’on singulièrement plu avec l’humilité qui les a toujours accompagnées.

C’est pourquoi à bon droit êtes-vous appelée Reine, couronnée sur toutes les créatures qui ont été tirées du néant. Reine êtes-vous à raison de votre pureté, couronnée à raison de votre excellence.

Votre visage a été d’une beauté incomparable et d’une admirable blancheur, qui signifiait la pudeur de votre conscience, en laquelle était la plénitude de la science humaine, et la douceur de la divine Sapience luit en elle sur tous.

Vos yeux furent devant mon Père si lumineux qu’on se mirait en eux, et les yeux de votre âme étaient si éclatants, que mon Père y voyait que votre volonté ne voulait que lui et ne désirait que lui.


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Vos oreilles furent très pures et ouvertes comme des fenêtres très claires, quand Gabriel vous signifia mes vouloirs; et quand moi, Dieu, fus fait chair en vous, vos joues furent lors en la beauté parfaite et agréable, quand la due symétrie et le mélange de deux couleurs, le blanc et le rouge, furent mis en leur lieu, savoir, la renommée de vos bonnes oeuvres louables. L’éclat de vos moeurs, qui augmentait de jour en jour, me plut d’une manière qu’on ne peut exprimer.

Certainement, le Père éternel se réjouissait de la beauté de vos moeurs si bien compassées; il n’a jamais détourné les yeux de dessus vous, et par votre charité, tous ont obtenu l’amour.

Votre bouche fut comme une lampe ardente au dedans et reluisante au dehors, d’autant que les paroles et les affections de votre âme furent ardentes au dedans par les feux de la Divinité, et resplendissantes au dehors par la disposition louable de vos mouvements corporels, et par le doux et aimable accord de vos vertus.

En vérité, ô Mère très chère! La parole de votre bouche a attiré en quelque manière ma Divinité, et la faveur de votre douceur divine ne me séparait jamais de vous.

Votre col est excellemment élevé, car la justice de votre âme est entièrement dressée vers moi, et s’émeut selon mes vouloirs, et elle ne fut jamais portée au penchant de la superbe, car comme le col se tourne sous la tête, de même toutes vos intentions et toutes vos oeuvres fléchissaient selon mes désirs.

Votre poitrine fut pleine de la variété, diversité et suavité de toute sorte de vertus, de sorte qu’il semble qu’il n’y a point de bien en moi qui ne soit en vous, d’autant que vous avez attiré en vous tout le bien par la suavité puissante de vos moeurs, lorsqu’il plut à ma Divinité d’entrer en vous, et à mon humanité de demeurer en vous, et de sucer le lait de vos très chères mamelles.

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Vos bras furent beaux par l’éclat de l’obéissance et par la souffrance et action des bonnes oeuvres : c’est pourquoi j’ai voulu que vos mains touchassent et traitassent mon humanité, et j’ai pris mon repos entre vos bras.

Votre sacré ventre fut très pur comme l’ivoire, et comme un vase enrichi de pierres précieuses, d’autant que la constance de votre conscience et de la foi, ne s’est jamais attiédie ni ne s’est jamais relâchée en la tribulation. Les murailles de ce ventre, c’est-à-dire, de votre foi, furent comme un or très pur, par lesquelles est marquée la force de vos éminentes vertus : votre prudence, justice et tempérance, avec la parfaite persévérance, car toutes vos vertus ont été parfaites et accomplies par l’amour divin.

Vos pieds étaient très purs et comme lavés des herbes très odoriférantes, d'autant que votre espérance et votre amour à mon endroit, visaient droitement à moi, qui suis votre Dieu, et étaient très odoriférants pour l’édification et l'exemple des autres. Ce lieu donc de votre ventre, tant spirituel que corporel, m’était si désirable, et votre âme m’était si agréable, que je n’ai pas eu horreur, mais plaisir de descendre du plus haut des cieux pour venir en vous et demeurer en vous. Partant, ô ma Mère très chère, cette couronne qui était gardée en moi, n’est autre que moi, votre Dieu, qui, devant m’incarner, ne pouvait être mise en autre tête qu’en la vôtre, qui est la vôtre, Mère et Vierge, Impératrice de toutes les reines.

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INTERROGATION X.

I. Le même religieux que dessus dit : O Juge, je vous le demande, puisque vous êtes très puissant, très beau et très vertueux, pourquoi avez-vous revêtu la Divinité, incomparablement plus rayonnante que le soleil, du sac de l’humanité?

II. Comment votre Divinité contient-elle et enveloppe-t-elle en elle toutes choses, n’étant contenue de pas une ni de toutes ensemble?

III. Pourquoi avez-vous voulu demeurer si longtemps dans les flancs de votre Mère, et n’avez-vous voulu naître soudain après conception?

IV. Pouvant tout, étant présent partout, pourquoi n’êtes-vous apparu en même posture, comme quand vous aviez atteint l’âge de trente années?

V. N’étant né, selon le Père, de la semence d’Abraham, pourquoi avez-vous voulu être circoncis?

VI. Étant conçu et né sans péché, pourquoi avez-vous voulu être baptisé?

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  RÉPONSE.

  Le Juge répondit et lui dit : Mon ami, je vous donne un exemple pour entendre ce que vous demandez : il y a une sorte de raisin dont le vin est si fort qu’il sort lui-même des grappes sans être foulé. Le possesseur des vignes, voyant qu’ils sont venus à la parfaite maturité, met des vases au-dessous, et le vin n’attend pas le vase, mais bien le vase attend le vin. Que si on pose plusieurs vases, le vin s’écoule dans le plus près.

I Ce raisin est ma Divinité, qui est tellement pleine du vin fervent de ma Déité, que tous les coeurs des anges en sont remplis, et que toutes les choses y participent. Mais l’homme, s’étant révolté, s’en était aussi rendu indigne. Puis donc que mon Père voulait montrer son amour au temps qu’il avait choisi de toute éternité, il a envoyé son vin, c’est-à-dire moi, son Fils, dans le vase le plus proche et le mieux préparé, qui attendait avec grands désirs la venue de ce vin. Ce vase était les flancs de la Sainte Vierge Marie, qui eut par-dessus toute autre créature un amour plus fervent. Or, cette Vierge n’aimait autre que moi, et il n’y avait heure où elle ne pensât à moi, désirant d’être faite ma servante, c’est pourquoi elle obtint d’être le vin choisi.

Ce vin eut trois choses : 1° une grande force, car je sortis sans attouchement d’homme; 2° une très belle couleur, car je suis descendu du ciel pour combattre, étant le plus beau des hommes; 3° une très douce suavité, enivrant des torrents d’une éternelle bénédiction. Ce vin donc, qui est moi, entra dans les flancs de ma Mère. Ainsi, étant Dieu invisible, je me rendis visible, et l’homme perdu fut rétabli en son salut.

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  Certainement, je pouvais choisir quelque autre manière de rédemption, mais la justice demandait que la forme fût rendue à la forme, la nature à la nature; que la manière de la satisfaction répondît à la gravité de la faute. Or, quel est celui des sages qui eût pu croire et penser que Dieu tout-puissant se fût tant humilié que de vouloir prendre le sac de l’humanité, si ce n’est qu’il crût que j’avais une charité, un amour immense envers les hommes, voulant, invisible, converser visiblement en mon humanité avec les hommes. Et voyant que la Sainte Vierge brûlait d’un si ardent amour, ma sévérité a été comme vaincue, et réconciliant l’homme à moi, mon amour s’est manifesté. Qu’admirez-vous? Je suis Dieu, la charité même, qui ne hais rien des choses que je fais éclore du néant; et non seulement j’ai de toute éternité voulu donner à l’homme des choses bonnes, mais moi-même en prix et en récompense, afin que la superbe insupportable des démons fût confuse et confondue.

II. Comment ma Divinité enveloppe-t-elle et contient-elle en soi toutes choses? Je suis Dieu, un Esprit qui dit, et cela est fait, qui commande et tout m’obéit. Je suis celui qui donne à tous l’être et le vivre; qui étais en moi-même avant que je fisse le ciel et la terre; qui suis en toutes choses et au delà de toutes choses. En moi sont toutes choses, et sans moi rien ne serait. Et d’autant que mon Esprit souffle et inspire où il veut et peut tout ce qu’il veut, il sait toutes choses; il est plus prompt et plus agile que tous les esprits, qui ont toute sorte de force et de vertu, voyant d’un clin d’oeil le présent et le futur, c’est pourquoi mon Esprit est tout incompréhensible, comprenant toutes choses sans en être compris.

III. Pourquoi ai-je demeuré tant de mois dans les flancs de la Sainte Vierge? Je suis le Créateur de la nature, et j’ai disposé, rangé toutes choses, et leur ai ordonné la manière et le temps de leur naissance. Si donc moi, étant Créateur de toutes choses, j’eusse voulu naître soudain que je fus conçu, j’eusse fait contre la naturelle disposition et ordre que j’avais mis, et on eut pensé que mon humanité fut non en effet, mais fantastique, c’est pourquoi j’ai demeuré dans le sein d’une Vierge tout autant que les autres enfants, afin aussi d’accomplir par moi-même ce que j’avais ordonné avant le temps.

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IV. Pourquoi n’avais-je pas autant de quantité corporelle dès le jour de ma naissance que j’en avais à l’âge de trente ans? Si j’eusse fait cela, tous l’auraient admiré et m’eussent craint, et plusieurs m’eussent plutôt suivi par crainte que par amour. Et commet lors auraient été accomplis les faits et les paroles des prophètes, qui avaient prédit que je naîtrais enfant, que serais mis dans la crèche, que j’y serais adoré par des rois, que je serais offert dans le temple et poursuivi par des ennemis? Donc, pour montrer que j’avais pris une vraie humanité, et que les paroles des prophètes étaient accomplies en moi, je croissais par intervalle de temps, bien qu’en la plénitude de sapience, je fusse aussi grand le jour de ma naissance que le jour de ma mort.

V. Pourquoi ai-je été circoncis? Bien que je ne fusse point de la race d’Abraham selon le Père, je l’étais néanmoins du côté de la Mère, bien que sans péché. Partant donc, ayant fait la loi en ma Divinité, je l’ai voulu accomplir en mon humanité, de peur que mes ennemis ne me calomniassent, disant que j’avais commandé ce que je ne voulais pas accomplir.

VI. Pourquoi ai-je voulu être baptisé? Il est nécessaire que celui qui voudra commencer une nouvelle voie, précède lui-même les autres en la voie. Il avait été donné autrefois au peuple une voie charnelle, savoir, la circoncision en signe d’obéissance et de purification future, qui opérait l’effet d’une grâce future et de la promesse ès personnes fidèles et qui gardaient la loi, avant que la vérité promise, savoir, Jésus-Christ, vînt.

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Mais la vérité étant arrivée, et la loi n’étant qu’une ombre, il a été défini de toute éternité que la voie ancienne se retirerait, puisqu’elle était sans effet. Afin donc que la vérité parût, que l’ombre se retirât, et que la voie plus facile pour aller au ciel fût manifestée, j’ai voulu, étant Dieu et homme, être baptisé pour l’humilité et pour l’exemple de plusieurs, et afin d’ouvrir le ciel aux croyants et aux fidèles; et en signe de ceci, lorsque je fus baptisé, le ciel fut ouvert, la voie du Père fut ouïe, le Saint-Esprit parut en forme de colombe. Moi, Fils de Dieu, j’ai été manifesté être vrai Dieu et homme, afin que les hommes fidèles sachent et croient que le Père éternel ouvre les cieux aux baptisés et aux fidèles. Le Saint-Esprit est avec celui qui baptise. La vertu de mon humanité est dans l’élément, bien que l’opération de mon Père, de moi et du Saint-Esprit, ne soit qu’une et même volonté.

C’est de la sorte que ceci se passa lorsque la vérité fut vue. Moi qui suis la vérité, je dissipai les ombres. L’écorce de la loi étant cassée, le noyau apparut, la circoncision cessa, et le baptême fut confirmé en moi, afin que le ciel fût ouvert aux grands et aux petits, et que les enfants d’ire fussent faits enfants de grâce et de la vie éternelle
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Chapitre V. n’être point soigneuse des richesses de la terre INTERROGATION XI

5005   Jésus-Christ, parlant à son épouse sainte Brigitte, l’instruit de n’être point soigneuse des richesses de la terre, et lui enseigne d’avoir patience au temps de tribulation, et d’avoir la vertu d’un parfait anéantissement et de l’humilité.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse sainte Brigitte, disant : Prenez garde à vous. Et elle répondit : Pourquoi? D'autant, dit Notre-Seigneur, que le monde vous envoie quatre serviteurs, qui vous veulent tromper.

Le premier est le soin importun des richesses. Quand celui-ci viendra, dites-lui : Les richesses sont passagères, desquelles if faut rendre d'autant plus de raison que plus elles abondent. Partant, je ne me soucie point d’elles, car elles ne suivent point le possesseur, mais elles le laissent.

Le deuxième serviteur est la perte des richesses et le dommage des choses données; à celui-là répondez en cette sorte : Celui qui avait donné les richesses, celui-là même les a ôtées, et connaît ce qui m’est convenable; que sa volonté soit faite.

Le troisième serviteur est la tribulation du monde. Dites-lui : Béni soyez-vous, ô mon Dieu! qui permettez que je sois affligée, car je connais, par les tribulations, que je suis à vous! Vous permettez que je sois affligée en ce monde pour me pardonner en l’autre : donnez-moi donc la force et la patience pour souffrir.

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  Le quatrième serviteur, ce sont le mépris et les opprobres. Répondez à ceux-là en ces termes : Dieu est seul bon; à lui sont dus tout honneur et toute gloire. Tout ce que j’ai fait est vil et mauvais. Pourquoi me rendrait-on de l’honneur, puisque je suis digne d’opprobres, car toute ma vie n’a fait quasi que blasphémer Dieu? Ou bien : A quoi me profite l'honneur plus que l’opprobre, sinon qu’il excite ma superbe, diminue mon humilité et me fait oublier Dieu? Partant, que tout honneur et gloire soient à Dieu!

Soyez donc forte et constante contre les serviteurs de Dieu, et aimez-moi, moi qui suis votre Dieu.

  INTERROGATION XI.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous le demande, puisque vous êtes Dieu et homme, pourquoi n’avez-vous pas manifesté votre Divinité comme votre humanité, et lors tous eussent cru en vous?

II. Pourquoi ne nous avez-vous pas fait entendre votre parole en un point, et il n’eût point été nécessaire de prêcher de temps en temps?

III. Pourquoi n’avez-vous pas fait tous vos ouvrages en une heure?

IV Pourquoi votre corps ne crût-il pas tout d’un coup?

V. Pourquoi en la mort n’avez-vous pas montré la puissance de votre Divinité? Ou bien, pourquoi n’avez-vous pas montré les justes rigueurs de votre justice sur vos ennemis, quand vous dîtes : Toutes choses sont consommées?

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  RÉPONSE.

I. Le Juge répondit et dit : O mon ami, je réponds à vous, et je ne vous réponds pas. Je vous réponds, afin que la malice de votre pensée soit connue aux autres. Je ne vous réponds point, d'autant que ces choses ne sont pas manifestées pour votre profit, mais bien pour l’utilité des futurs et des présents, et l'avertissement des âmes, car vous ne prétendez pas changer votre malice. C’est pourquoi vous ne passerez pas de votre mort en la vie, car en votre vie, vous haïssez la vraie vie, car comme il est écrit : Toutes choses coopèrent à bien aux saints, et que Dieu ne permet rien sans raison, je vous réponds donc, non certes à la manière humaine, puisque nous traitons entre nous des choses spirituelles; mais expliquons vos pensées et vos affections par des similitudes, afin qu’on comprenne ma réponse.

Vous demandez donc pourquoi je n’ai montré ma Déité à découvert, comme j’ai manifesté mon humanité; je réponds : D'autant que ma Divinité est spirituelle et mon humanité corporelle; néanmoins la Déité et l’humanité sont inséparables dès le point de leur union; ma Déité est incréée, et tout ce qui est en elle, et par elle toutes choses sont créées, et en elle sont toute beauté et toute perfection. Si donc une beauté et une perfection si grandes étaient manifestées à des yeux si bourbeux, qui la pourrait soutenir, puisqu’on ne peut supporter l’éclat du soleil matériel? Puisque les éclairs qui précèdent le tonnerre et le bruit de la foudre nous est insupportable, à combien plus forte raison la lumière et la source de toute lumière, l’éclat essentiel affaiblirait-il nos yeux!

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  C’est donc pour deux raisons que ma Déité ne s’est point manifestée clairement : 1° pour l’infirmité humaine, qui ne pouvait la supporter, vu que nos yeux corporels sont de substance terrestre, car si l’oeil corporel voyait la Divinité, il se fondrait comme la cire devant le feu; voire si l’âme avait cette faveur de voir la Déité, le corps se fondrait et s’anéantirait comme de la cendre. 2° A raison de ma divine bonté et de sa constante stabilité, car si je montrais aux yeux corporels ma Divinité, qui est plus incomparativement luisante que le soleil et le feu, je ferais contre moi-même qui ai dit : L’homme ne me verra point et vivra; ni même les prophètes ne m’ont pas vu comme je suis en la Divinité; que même eux, oyant la voix de ma Divinité et voyant la montagne fumante, s’épouvantaient, disant : Que Moïse nous parle, et nous l’écouterons : c’est pourquoi, moi Dieu de miséricorde, afin que l’homme m’entendît mieux, je me suis montré à lui en quelque forme intelligible qui pouvait être vue et ressentie, savoir est en mon humanité, en laquelle ma Divinité est, mais comme voilée, de peur que l’homme ne fût épouvanté par une forme dissemblable; car moi, en tant que Dieu, n’étant point corporel, je ne puis être figuré corporellement, c’est pourquoi j’ai voulu pouvoir être ouï et vu par les hommes en mon humanité.

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II. Pourquoi n’ai-je pas dit toutes mes paroles en une fois? Comme il est naturellement contraire au corps qu’il reçoive en une heure toute la viande qui suffirait à plusieurs années, aussi est-il contre la divine disposition que mes paroles, qui sont la viande de l’âme, soient dites en une heure. Mais comme la viande corporelle est prise peu à peu afin d’être mâchée, et étant mâchée, est avalée dans les intestins, de même mes paroles ne devaient être dites en une heure, mais devaient être dites par intervalles de temps, selon l’intelligence d’un chacun, afin que ceux qui sont affamés d’entendre la parole divine, fussent rassasiés, et étant rassasiés, fussent excités et élevés à des choses plus éminentes.

III. Pourquoi n’ai-je pas fait toutes mes oeuvres tout d’un coup? Ceux qui me voyaient en la chair croyaient en moi en partie, en partie non. Il était nécessaire que ceux qui croyaient en moi, fussent instruits de temps en temps par paroles, excités par exemples, et confirmés par bonnes oeuvres. Et il était juste que, quant à ceux qui ne croyaient point en moi, l’effet de leur malice fût manifesté, et qu’il leur fût déclaré que je les tolère autant que ma justice le permet.

Si donc j’eusse fait toutes mes oeuvres d’un seul coup, tous m’auraient plutôt suivi par l’esprit de crainte que par l'esprit d’amour. Et encore, comment le mystère ineffable de la rédemption humaine se fût-il accompli? Comme donc, au commencement de la naissance du monde, toutes choses ont été faites à heures ordonnées, et en manières réglées en l’ordre de ma divine providence, bien que toutes les choses qui se faisaient dans les règles des vicissitudes du temps, fussent en ma Déité et en ma présence sans vicissitude, de même, en mon humanité, toutes choses doivent être faites distinctement et raisonnablement pour le salut et l’instruction de tous.

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IV. Le Saint-Esprit, qui est de toute éternité dans le Père, et en moi, son Fils, montra aux prophètes ce que je devais faire, venant en la chair, et ce que je devais pâtir. Partant, il a plu à la Divinité que je prisse un tel corps, dans lequel je pusse travailler du matin jusques au soir, et d’un an à un autre, jusques à la fin de ma vie. Afin donc que les paroles ne semblent vaines, voire moi-même, j’ai pris un corps semblable à Adam, sans péché néanmoins, afin d’être semblable à ceux que je rachetais, et afin que, par mon amour, l’homme qui s’était éloigné de moi fût ramené; étant mort, fût ressuscité; vendu, fût racheté.

V. Pourquoi n’ai-je pas montré les pouvoirs infinis de ma Divinité, et que j’étais vrai Dieu, quand je dis en la croix : Tout est consommé? Tout ce qui avait été écrit de moi devait être accompli; et partant, je l’ai voulu accomplir jusques au dernier point; mais parce que plusieurs choses avaient été prédites de la résurrection et de mon ascension, voire il était nécessaire que ces choses eussent effet. Si donc en ma mort, la puissance de ma Divinité eût été manifestée, qui eût osé me déposer de la croix et m’ensevelir?

Enfin, ce serait bien peu de descendre de la croix, d’avoir renversé et puni ceux qui me crucifiaient, comment les prophéties auraient-elles été accomplies, si j’en fusse descendu? Où se serait manifestée la vertu de ma patience invincible? Eh quoi! Vous vous trompez : quand je serais descendu de la croix, tous se seraient-ils convertis? N’auraient-ils pas dit que j’aurais fait cela d’un art magique? Car s’ils s’indignaient de ce que j’avais ressuscité les morts, guéri les malades, ils en auraient bien dit d’autres, si je fusse descendu de la croix. J’ai voulu être pris, afin que le captif fût affranchi; et afin que le coupable fût délié, j’ai voulu être attaché en croix, et par ma constance à demeurer en la croix, j’ai rendu constantes toutes les choses inconstantes, et ai affermi la faiblesse.

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Chapitre VI. INTERROGATION XII

  Jésus-Christ, Fils de Dieu, parlant à sainte Brigitte, l’instruit, disant que le repos de l’esprit et la vie éternelle sont acquis en la vie spirituelle, en la peine et la persévérance généreuse, en acquiesçant avec humilité au conseil de l’ancien, et en résistant fortement aux tentations. Il en apporte un exemple de Jacob, qui servit pour Rachel : car à quelques-uns arrivent, au commencement de leur conversion, de fortes tentations contre la vie spirituelle, à quelques autres, au milieu et à la fin. Et partant, il faut craindre et persévérer avec humilité jusques à la fin, en l’acquisition des vertus et au travail.

  Le Fils de Dieu parle : Il est écrit que Jacob servit pour avoir Rachel en épouse; et les jours lui semblaient courts, à raison de la grandeur de l’amour qu’il lui portait, d’autant que la ferveur de l’amour soulageait ses peines. Mais Jacob, pensant jouir du fruit de ses peines, fut déçu et trompé; néanmoins, il ne cessa point de servir pour avoir Rachel. Certes, l’amour ne se plaint jamais des difficultés, jusqu’à ce qu’il ait acquis ce qu’il désire : de même en est-il dans les choses spirituelles, car plusieurs, pour obtenir le ciel, travaillent généreusement en prières et en oeuvres pies; mais hélas! lorsqu’ils pensent arriver au sommet d’une sublime contemplation, ils se trouvent accueillis d’un monde de tentations importunes, et assaillis d’une armée de tribulations; et lors, là où ils pensaient être parfaits, ils se trouvent en tout imparfaits, ni n’est pas merveille, car ces tentations nous font voir clair en nous-mêmes, nous éprouvent, nous purifient; d’où vient aussi que ceux qui sont assaillis par les tentations au commencement, sont, dans le progrès et à la fin, solides en leur dévotion. D’autres sont rudement tentés au milieu et à la fin, et ceux-là prennent soigneusement garde à eux-mêmes, et ne présument jamais d’eux-mêmes, mais travaillent avec plus de courage, comme Laban disait à Jacob : La coutume est de prendre pour femme la fille aînée; comme s’il disait qu’il faut plutôt exercer la peine, et puis, on jouira du repos tant désiré.

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  Partant, n’admirez plus, ô ma fille, si les tentations croissent, même en la vieillesse, car comme il est licite de vivre, de même il est possible d’être tenté, car le diable ne dort jamais. Et certes, la tentation est occasion pour arriver à la perfection, afin que l’homme ne présume de soi; je vous en montre un exemple de deux personnes : l’un fut rudement tenté au commencement de sa conversion; il persista, il profita, et il a acquis ce qu’il désirait; l’autre, en sa vieillesse, a expérimenté de grandes tentations, lesquelles il aurait pu avoir en sa jeunesse, et par lesquelles il fut si enveloppé qu’il oublia toutes les premières tentations. Mais d’autant qu’il a suivi le conseil d’autrui en ses tentations, et n’a point laissé ses exercices, bien qu’il se soit senti froid et lâche, il est néanmoins parvenu au comble de ses désirs et au repos de l’esprit, connaissant en soi-même que les jugements de Dieu sont occultes et justes, et que, si les tentations ne l’eussent agité, à grand’peine serait-il parvenu au salut éternel.

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  INTERROGATION XII.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi vous avez voulu naître d’une vierge que d’une autre qui ne le fût pas.

II. Pourquoi n’avez-vous pas montré par un signe visible, que votre Mère était mère et vierge pure?

III. Pourquoi avez-vous tant caché votre naissance qu’elle a été connue de si peu de gens?

IV. Pourquoi, pour un Hérode avez-vous fui en Égypte, et pourquoi avez-vous permis que les enfants innocents aient été massacrés?

V. Pourquoi permettez-vous qu’on vous blasphème, et que la fausseté prévale sur la vérité?


RÉPONSE.

I. Le Juge repartit : O mon ami! J’ai mieux aimé naître d’une vierge que d’une qui ne le fût pas, car à moi, Dieu très pur, les choses très pures me conviennent; car tout autant de temps que la nature de l’homme a persisté en l’état de sa création, il n’est rien de difforme; mais ayant enfreint le commandement de Dieu, soudain il fut honteux et confus, comme il arrive à ceux qui offensent leurs seigneurs temporels, qui ont honte des choses par lesquelles ils ont offensé. La honte donc d’avoir enfreint la loi ayant saisi leur esprit, soudain de là sont sortis les mouvements déréglés, et particulièrement ès parties qui avaient été instituées pour un plus grand fruit. Dieu néanmoins, par sa bonté infinie, pour ne pas perdre le fruit de son intention, a institué le mariage, d’où la nature a fructifié. Mais d’autant qu’il est plus glorieux de faire par-dessus le commandement, ajoutant par charité le bien qu’on peut faire, c’est pour la même raison qu’il a plu à Dieu de choisir la chose la plus pure et la plus charitable pour l’exécution de son oeuvre, et c’est la virginité. Certainement, il y a plus de vertu et de gloire d’être dans le feu des tribulations et ne se brûler point, que d’être sans feu, et vouloir être couronné.

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  Or, maintenant, d’autant que la virginité est une espèce de voie très belle qui conduit au ciel, et le mariage est seulement la voie, partant, il était autosuggestionnable que moi, Dieu très pur, je me reposasse dans le sein d’une très pure vierge, afin que, comme le premier homme a été fait de terre qui était vierge en quelque manière, d’autant qu’elle n’avait point été polluée par le sang; et d'autant qu’Adam et Ève péchèrent par la gloutonnerie, mangeant le fruit défendu, la nature demeurant en son entier pouvoir d’engendrer, de même j’ai voulu me retirer en un réceptacle très pur, afin que, par ma bonté, toutes choses fussent réformées et comme rétablies par moi en un meilleur état.

II. Pourquoi ne vous ai-je pas montré par des signes évidents que ma Mère était vierge et mère? J’ai déclaré aux prophètes tous les mystères de mon ineffable incarnation, afin qu’ils fussent crus avec autant d’assurance qu’ils avaient été prédits de loin. Or, que ma très chère Mère fût vierge et mère tout ensemble, le témoignage de saint Joseph suffit pour le prouver, de saint Joseph, qui a été gardien et témoin fidèle de sa virginité. Bien que sa virginité eût été montrée par un miracle évident, néanmoins, les blasphèmes des méchants et des infidèles n’eussent point cessé pour cela, puisqu’ils ne croient point que la Sainte Vierge ai conçu par la puissance divine, ne considérant pas que cela m’est très facile, plus facile que le soleil ne perce la vitre. Voire même la justice divine voulut que le mystère ineffable de l’incarnation fût caché au diable, et qu’il fût révélé aux hommes au temps de grâce.

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  Or, maintenant, je vous dis que ma Mère est vraiment vierge et mère. Et comme, en la création d’Adam et d’Ève, admirable fut la puissance de la Divinité, et que leur cohabitation fut de la délectable honnêteté, de même, en l’approche de ma Déité à la Sainte Vierge, admirable fut ma bonté, d’autant que mon incompréhensible Déité descendit dans le vase tout clos, sans aucune fracture ni violence. Ma demeure agréable fût encore en icelui, car moi, Dieu, étais enclos dans l’humanité, qui étais partout par ma Divinité admirable. Là, admirable fût aussi ma puissance, d’autant que moi, Dieu, je sortais d’un ventre corporel, gardant inviolable le cloître de la virginité; et d'autant que l’homme croyait difficilement, et que ma très chère Mère était très amie de l’humilité, il m’a plu de cacher pour quelque temps sa beauté et ses perfections, afin que la Mère eût quelque mérite d’être couronnée avec plus d’avantages et de perfections, et que moi, Dieu éternel, fusse plus glorifié en ce temps-là, où je voulais accomplir mes promesses, pour le mérite des bons et pour la peine des mauvais.

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III. Pourquoi n’ai-je pas montré ma naissance aux hommes? Bien que, dit Jésus, le diable ait perdu la dignité éminente de sa première condition, il n’a pas pourtant perdu sa science, qui lui a été conservée pour la probation des bons et à sa propre confusion. Afin donc que mon humanité crût et arrivât au temps déterminé avant le temps, il fallait cacher au diable le mystère de ma piété. J’ai voulu encore venir caché pour débeller le diable, et ai voulu être méprisé pour convaincre l'arrogance des hommes et la ravaler. En vérité, les maîtres mêmes de la loi, en lisant les livres, me connaissaient et me méprisaient, d’autant qu’ils me voyaient humble; et parce qu’ils étaient superbes, ils n’ont pas voulu ouïr ma vraie justice, qui est en la foi de ma résurrection. C’est pourquoi ils seront confus, quand le fils de perdition viendra en superbe. Que si je fusse venu très puissant et très honorable, comment le superbe et l’arrogant se fût-il humilié? Ou bien, comment l’orgueilleux entrera-t-il dans le ciel? Point, car je suis venu avec l’humilité, afin que l’homme l’apprît, et je me suis caché aux superbes, d’autant qu’ils n’ont voulu ni entendre ni comprendre ma divine justice ni leurs infirmités.

IV. Pourquoi ai-je fui en Égypte? Avant qu’on eût enfreint mon commandement, il y avait une voie large et lumineuse qui conduisait au ciel; large en l’abondance et la multiplicité des vertus signalées; lumineuse en la sapience divine et en l’obéissance d’une bonne volonté. La volonté donc s’étant changée, il y eut deux voies : l’une conduisait au ciel, et l’autre en éloignait; l’obéissance conduisant au ciel, et la rébellion séduisait. Mais parce que l’élection du bien ou du mal, savoir, obéir ou désobéir, était au libre arbitre, celui-là pèche, quand il veut autrement que je ne veux. Afin donc que l’homme fût sauvé, il fut juste et digne que quelqu’un vînt qui le rachetât, qui eût l’obéissance parfaite et l’innocence, auquel il puisse témoigner l’amour qu’il lui porte, ou bien sa haine. Pour racheter l’homme, il ne fallait pas envoyer un ange, car moi, qui suis Dieu, ne donne point mon honneur et ma gloire à autrui, ni ne s’est point trouvé homme qui me pût apaiser pour soi et moins pour les autres. C’est pourquoi, moi, Dieu juste, suis venu justifier les hommes.

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  Quant à ce que j’ai été en Égypte, en cela l’infirmité de mon humanité a été manifestée, et la prophétie a été accomplie, et j’ai donné l’exemple à la postérité qu’il faut quelquefois éviter et fuir la persécution pour un plus grand honneur et gloire de Dieu; mais d’autant que j’étais sollicité et recherché par ceux qui me poursuivaient, le conseil divin a prévalu sur l’humain. Certes, il n’est pas facile de batailler contre Dieu.

Quant à ce que les enfants ont été massacrés, cela était la figure de ma passion, le mystère des appelés et le symbole de l’amour divin; car bien que les enfants n’aient porté témoignage de moi par parole, ils en ont pourtant donné par la mort fort convenablement à mon enfance. Certes, il avait été prédit que la louange divine s’accomplirait par le sang des innocents, car bien que la malice des injustes les ait injustement affligés, ma permission néanmoins, toujours juste et bénigne, les a exposés justement à la mort, pour montrer la malice des hommes, les conseils incompréhensibles de ma Divinité et la grandeur de ma piété. Si donc, dans les enfants, la malice injuste s’est montrée furieuse, là même ma miséricorde et le mérite ont surabondé; et là où la langue manqua, la confession et l’âge, là le sang répandu rendait le bien tout parfait.

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V. Pourquoi je permets qu’on me blasphème. Il est écrit que David, roi et prophète, fuyant la persécution de son fils déloyal, un quidam (Semeias) le maudit au chemin, et ses serviteurs voulant tuer ce médisant, il le défendit par deux raisons : 1° d'autant qu’il espérait sa conversion; 2° d'autant qu’il considéra son infirmité propre, son péché, et la folie de celui qui le maudissait; et enfin, il considéra la patience de Dieu en son endroit et sa divine bonté.

Je suis ce David figuré. L’homme me poursuit comme un serviteur son maître, me chassant de mon royaume par ses mauvaises oeuvres, c’est-à-dire, de l’âme que j’avais créée, qui est mon royaume. Enfin, il m’appréhende en jugement comme injuste; il me blasphème aussi, d'autant que je suis patient; mais parce que je suis doux, je souffre leur folie, et d'autant que je suis Juge, j’attends leur conversion jusques au dernier période de leur vie. Enfin, d'autant que l’homme croit plutôt la fausseté que la vérité, qu’il aime plus le monde que moi, son Dieu, c’est pourquoi il n’est pas de merveille si le méchant est toléré en sa méchanceté, puisqu’il ne veut chercher la vérité ni le repentir de son iniquité.

Jésus-Christ, parlant à son épouse, loue la fréquente confession, afin que l'homme, la fréquentant, ne perde la grâce que Dieu lui a donnée.

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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5004