Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5007

Chapitre VII.

5007   Le Fils de Dieu parle : En la maison où il y a du feu, il est nécessaire qu’il y ait quelque ouverture afin que la fumée sorte, et que le maître de la maison jouisse de la chaleur du feu sans incommodité : de même celui qui désire conserver mon Saint-Esprit et ma grâce, il est utile qu’il se confesse souvent, afin que les fumées des péchés s’évaporent, car bien que mon Saint-Esprit soit en soi immuable, il se retire néanmoins dès qu’on ne se confesse avec humilité.


Chapitre VIII. INTERROGATION XIII

5008   Jésus-Christ parle à son épouse, disant que, quant aux hommes qui se plaisent dans les choses charnelles et dans les délices terrestres, qui méprisent les désirs célestes, l’amour divin et la mémoire de ma passion et du jugement éternel, leur oraison est comme la collision de deux pierres, et ils sont jetés de devant Dieu abominablement, comme des abortifs et des souillés.

  Celui-là dont nous avons parlé ci-dessus, chantait : Délivrez-moi, ô Seigneur, de l’homme mauvais. Cette voix m’est autant agréable que le son qui résulte de la collision de deux pierres, car son coeur crie à moi comme de trois voix.

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  La première voix dit : Je veux avoir ma volonté en ma main, dormir, me lever et avoir mes plaisirs. Je donnerai à la nature ce qu’elle désire. Je désire avoir de l’argent en la bourse, la mollesse des vêtements. Quand j’aurai cela, je m’estimerai plus heureux que si j’avais tous les autres dons et les vertus spirituelles de l’âme.

La deuxième voix dit : La mort n’est pas trop dure; le jugement n’est pas si sévère qu’il est écrit. On nous menace de grandes peines par finesse, et on donne moins que tout cela par la miséricorde; mais que je puisse faire ma volonté en cette vie, mon âme ira où bon lui semblera.

La troisième voix dit : Dieu n’aurait point racheté l'homme, s’il ne lui voulait pas donner le paradis, ni il n’aurait pas pâti, s’il ne voulait pas nous ramener en la patrie. Ou bien, pourquoi aurait-il pâti, ou qui l’aurait contraint à ce faire? Je n’entends point les choses célestes, si ce n’est par l’ouïe, et je ne sais si je dois croire aux Écritures. Si je pouvais accomplir mes volontés, ce serait mon fait, et je les recevrais au lieu du ciel.

Telle est la volonté de cet homme misérable; c’est pourquoi son oraison est à mes oreilles comme le son qui résulte de la collision de deux pierres. Mais, ô mon ami! je réponds à la première voix : Votre voie ne tend point au ciel, ni ma passion amoureuse n’est pas à votre goût. C’est aussi pour cela que l'enfer vous est ouvert; et d’autant que vous aimez les choses infimes et terrestres, vous irez au plus bas des fondrières de l’enfer.

Je réponds à la deuxième voix : Mon fils, la mort vous sera très dure, le jugement intolérable et la fuite impossible, si vous ne vous amendez.

A la troisième voix, je vous dis : Mon frère, j’ai fait toutes mes oeuvres par l’esprit et mouvement de charité, afin que vous me fussiez semblable, et que, vous étant retiré de moi, cette ressemblance vous servît pour retourner à moi. Or, maintenant, mes oeuvres sont mortes en vous; mes paroles vous sont fâcheuses, et vous méprisez ma vie, c’est pourquoi il ne vous reste que le supplice pour récompense, et la compagnie de la furie des démons pour récréation, d’autant que vous me tournez le dos, que vous foulez aux pieds les signes de mon insigne humilité, et ne considérez pas comment j’ai été mis pour vous et devant vous sur un gibet.

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  Certainement, j’ai été en la croix en trois manières pour l'amour de vous : 1° comme un homme dont un couteau percerait l’oeil; 2° comme un homme dont une épée percerait le coeur; 3° comme un homme, les membres duquel trembleraient par l’appréhension d’un déluge de tribulations qui va fondre sur lui. Certes, ma passion m’était plus amère que les coups qu’on donnait à mes yeux; néanmoins, je les pâtissais très amoureusement. La douleur aussi de ma Mère a plus ému mon coeur que la mienne propre : toutefois, je souffris le tout par amour. En vérité, tous mes membres et tout ce qui est en moi d’extérieur et d’intérieur, tremblèrent, ma passion s’approchant. Tout cela néanmoins ne me fit pas reculer d’un seul point, et c’est de la sorte que j’ai souffert pour l’amour de vous! Et vous, hélas! vous oubliez tout, vous négligez et méprisez tout. C’est pourquoi vous serez rejeté comme abortif et comme souillé.

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  INTERROGATION XIII.

I. D’ailleurs, le même religieux apparut en même lieu que dessus, disant : O juge, je vous le demande, pourquoi votre grâce est-elle plutôt soustraite aux uns qu’aux autres? Pourquoi plusieurs sont-ils longtemps tolérés en leurs méchancetés?

II. Pourquoi quelques-uns sont-ils prévenus des grâces dès leur enfance, et quelques autres en sont-ils privés en leur vieillesse?

III. Pourquoi quelques-uns sont-ils affligés outre mesure, et quelques autres sont-ils quasi à l’abri des tribulations?

IV. Pourquoi est-il donné à quelques-uns un entendement grandement et incomparablement docile, et pourquoi d’autres sont-ils comme des âmes sans entendement?

V. Pourquoi quelques-uns sont-ils trop endurcis, et d’autres sont-ils gratifiés de contemplations indicibles?

VI. Pourquoi est-il donné aux mauvais une plus grande prospérité en ce monde qu’aux bons?

VII. Pourquoi l’un est-il appelé au commencement, l’autre à la fin?
 

RÉPONSE

I. Le Juge répondit : Mon ami, toutes les oeuvres exécutées dans le temps sont de toute éternité en ma prescience, et tout ce qui a été fait pour le soulas et consolation des hommes, est créé. Mais d'autant que l'homme préfère sa volonté à ma volonté, c’est pour cela aussi que, de droit, les biens lui sont ôtés, bien qu’ils lui aient été donnés gratuitement, afin que, par là, l’homme apprenne que tout ce qui est juste et raisonnable vient de Dieu; et d’autant que plusieurs sont ingrats de mes grâces et en sont autant indévotieux que plus les dons leur sont multipliés, c’est pour cette raison aussi que les dons leur sont soudain ôtés, afin que les conseils de ma Divinité soient plus promptement manifestés, et afin que l'homme n’abuse de mes grâces à sa plus grande condamnation.

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  Je tolère quelques-uns longtemps en leur malice, d'autant qu’entre leurs malheurs, ils ont quelque chose de tolérable. Car de fait, ou ils profitent aux autres ou les tiennent sur leurs gardes, comme il arriva à Saül, quand il était repris par Samuel, qui semblait avoir bien peu péché devant le peuple, et David semblait avoir offensé beaucoup. Néanmoins, quand l’épreuve arriva, Saül fût rebelle, se révolta contre moi, et consulta la pythonisse; mais David se rendit plus fidèle au temps de tentation, souffrant avec patience les injures qu’on vomissait sur lui, et croyant que cela lui arrivait justement pour ses péchés. En cela donc que j’ai souffert patiemment Saül, c’est en cela que son ingratitude se montre, et la puissance de ma Divinité se manifeste. Or, que David soit élu, en cela se montrent ma prescience et l’humilité future de David et sa contrition.

II. Pourquoi la grâce est-elle ôtée à quelques-uns en la vieillesse? La grâce est donnée à un chacun, afin que l’auteur de la grâce soit aimé. Mais d'autant que plusieurs en sont ingrats à la fin de leur vie, comme Salomon, c’est aussi que, pour cela, il est juste et raisonnable qu’elle leur soit ôtée à la fin, puisqu’ils ne l’ont point gardée avant la fin. Et de fait, mes dons et mes grâces sont quelquefois ôtés à ceux qui les avaient, à raison de leur négligence, car ils ne considéraient pas ce qu’ils ont reçu et ce qu’il faillait rendre, et quelquefois aussi, pour tenir en avertissement les autres, afin que celui qui est en grâce craigne toujours et craigne la chute des autres, parce que les sages sont tombés par négligence, et encore ceux qui semblaient mes amis ont été supplantés par l’ingratitude.

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III. Je suis le Créateur de toutes choses, et aucune affliction ne vient sans ma permission, comme il est écrit : Je suis Dieu, créant le mal, qui n’afflige pas même les païens sans ma permission et sans juste sujet, car mes prophètes ont prédit plusieurs choses des adversités des Gentils, afin que les négligents et ceux qui abusent de la raison, fussent instruits par les verges; afin que, par ma permission, je fusse connu de tous et fusse glorifié de toutes les nations. Si donc je ne pardonne pas les païens de fouets, moins pardonnerai-je à ceux qui ont largement goûté de mes douceurs divines.

Quant à ce que la tribulation est plus grande aux uns qu’aux autres, je permets cela, afin que les hommes se retirent du péché, et par la tribulation présente, obtiennent la consolation en l’autre vie; d’autant que tous ceux qui sont jugés et se jugent en cette vie, ne seront point au jugement futur, d'autant qu’ils passeront de la mort à la vie. Quant à ce que quelques-uns sont assistés en ce qu’en leurs afflictions, ils ne murmurent jamais, c’est afin qu’ils ne tombent en un plus grand et plus rude jugement, d'autant qu’il y en a qui ne méritent point d’être affligés en ce monde.

Il y en a certainement d’autres qui, en cette vie, ne sont affligés ni au corps ni en l’esprit, qui vivent avec autant d’assurance que s’il n’y avait point de Dieu pour les punir, ou bien par l’appui qu’ils ont en leurs oeuvres, Dieu leur pardonne, car certainement, il est à craindre et est digne de compassion que je ne leur pardonne, et les épargne tellement en cette vie, qu’ils ne soient damnés en l’autre.

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  Quelques autres ont la santé corporelle, et sont affligés en l’âme du mépris du monde. D’autres ne jouissent ni de la santé du corps ni de la consolation intérieure de l’esprit, et néanmoins, ils persévèrent de tout leur pouvoir en mon service et la recherche de mon honneur. Quelques autres sont affligés dès le ventre de leur mère jusques au dernier période de leur vie, par des infirmités importunes, lesquelles je leur dispose, afin que rien ne se fasse en eux sans mérite et sans raison. Certainement, les yeux de plusieurs sont ouverts dans les tribulations fâcheuses, qui étaient endormis avant les tentations et dans la prospérité.

IV. Pourquoi quelques-uns ont-ils meilleur esprit que les autres? Il ne profite de rien d’avoir un meilleur esprit et une plus grande intelligence, si on n’est reluisant en bonne vie; voire il serait plus profitable de n’avoir pas tant de science et avoir meilleure vie. Partant, j’ai modéré et mesuré le savoir à un chacun, avec lequel il se peut sauver, s’il vit avec autant de piété. Néanmoins, la science est dissemblable en plusieurs, selon la naturelle et spirituelle disposition, car comme l'homme, par la divine ferveur et les solides vertus, profite dans les progrès de la perfection, de même, par la mauvaise volonté, la mauvaise disposition de la nature, par la mauvaise éducation et la mauvaise nourriture, l'homme s’écoule dans les malheurs et s’élève dans les vanités, et la nature défaut dans l’effort du péché.

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  Ce n’est donc pas sans sujet que la science est grande en plusieurs, mais inutile, comme en ceux qui ont du savoir, mais non pas une bonne vie. En d’autres, la science est petite, mais l’usage en est meilleur. En quelques-uns, la science et la vie s’accordent, et en d’autres, la vie ni la science ne s’accordent point. Cette variété arrive de ma disposition divine pour l’utilité de l'homme, ou pour son humiliation, ou pour son instruction à mieux vivre. A quelques-uns cela arrive à raison de leur ingratitude et tentation, quelquefois à cause de la défectuosité de la nature et des péchés cachés. Dieu le permet encore pour éviter qu’on ne tombe en de grands péchés, et quelquefois parce que la nature n’a point aptitude à de plus grandes choses.

Que tout homme donc qui a la grâce d’intelligence et de science, craigne que de là il ne soit plus rudement jugé, s’il en est plus négligent à bien faire et pire en ses moeurs. Mais que celui qui n’a pas tant d’esprit ni de subtilité, se réjouisse d’en avoir peu, et qu’il opère avec celui-là autant qu’il pourra, car le libertinage est cause ou occasion de ruine à plusieurs. Saint Pierre l’apôtre, en sa jeunesse, fût fort oublieux; saint Jean était idiot; mais en leur vieillesse, ils ont appris la vraie sapience, la recherchant dans le principe de la sapience. Salomon était docile dès sa jeunesse, Aristote subtil; ils n’ont pas embrassé la source et l’auteur de la sapience, ni n’ont pas glorifié l'auteur de la sapience comme ils devaient, ni n’ont pas suivi ce qu’ils savaient, et n’ont pas appris pour eux, mais pour les autres. Mais même Balaam a eu la science, qu’il n’a pas suivie, c’est pourquoi son ânesse reprit sa folie, et Daniel, jeune enfant, jugeait les anciens. Certainement, les lettres ne me plaisent point sans la bonne vie. Partant, il est nécessaire que ceux qui abusent des sciences, soient repris, car moi, qui suis le Dieu de tous et leur Seigneur, je donne la science aux hommes, et je corrige les sages et les fous.

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V. Pourquoi quelques-uns s’endurcissent-ils? Pharaon fut endurci par sa faute, d'autant qu’il ne voulait pas se conformer à ma divine volonté, car l’endurcissement n’est autre chose que la soustraction de ma grâce, laquelle je retire, d'autant que l’homme n’attribue pas à moi les biens d’icelle, ce qu’il pourrait faire ayant le libre arbitre, comme vous l’entendrez par un exemple d’un champ fructueux et d’un champ infructueux.

Il y avait un homme qui possédait deux champs, l’un desquels était inculte; l’autre fructifiait en certain temps. Son ami lui dit : Je m’émerveille qu’étant sage et riche, vous ne cultiviez pas mieux vos champs, ou pourquoi vous ne les baillez à cultiver à quelque autre. Il répondit : Quelque diligence que j’y apporte, ce champ ne produit que de mauvaises herbes; les bêtes venimeuses l’occupent, le salissent et le rendent épouvantable. Si je le fume, il est pire; s’il y arrive quelque peu de blé, la zizanie l’étouffe tout, et c’est ce qui fait que je ne moissonne point, d’autant que je désire cueillir du blé qui soit pur. Il m’est donc plus profitable de laisser ce champ tout inculte, car pour le moins, lors les bêtes venimeuses n’occuperont point ce lieux-là, ni ne se cacheront point dans les herbes. Que s’il y arrive quelques herbes amères, elles seront utiles aux brebis, en tant qu’ayant goûté leur amertume, elles apprendront à ne pas se dégoûter des bonnes.

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  L’autre champ est disposé selon le tempérament des temps et saisons; l’une de ses parties est pierreuse et a besoin d’être fumée, et l’autre humide, et elle a besoin de chaleur; l’autre sèche, elle désire l’humidité; partant, je la veux cultiver selon ses tempéraments.

Moi, Dieu, je suis semblable à cet homme. Le premier champ signifie le mouvement libre de la volonté donnée à l’homme, qui s’émeut plus contre moi que pour moi; que si elle me plaît en quelque chose, elle me déplaît en plusieurs, d’autant que la volonté de l’homme et la mienne ne s’accordent point. De même en fit Pharaon, qui, connaissant par certains signes ma puissance, néanmoins endurcit sa volonté contre moi, persistant en sa malice; c’est pourquoi il a aussi ressenti ma justice, d'autant qu’il est juste que celui qui n’use bien des choses petites, ne puisse se glorifier des grandes.

L’autre champ est l’obéissance d’un bon esprit et l’objection de la volonté propre. Si un tel esprit est aride en la dévotion, il doit attendre la pluie de ma grâce divine. S’il est pierreux par l’impatience et l’endurcissement, qu’il souffre généreusement la correction et se laisse purifier en cela. S’il est humide par la mollesse de la chair, qu’il embrasse l’abstinence, et qu’il soit comme un animal préparé à la volonté du possesseur, car je me glorifie d’un tel esprit.

Si quelques-uns donc s’endurcissent, cela provient de la volonté des hommes, qui m’est contraire, car bien que je veuille que tous soient sauvés, cela néanmoins ne s’accomplit point, si l’homme ne coopère, conformant sa volonté à ma volonté.

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  Quant à ce qu’à tous n’est pas donnée la grâce d’avancer, cela vient d’un occulte jugement de moi, qui sais modérer et donner à un chacun ce qui lui est expédient et ce qui lui est dû; qui retiens aussi les efforts des hommes, afin qu’ils ne tombent plus malheureusement; car plusieurs ont de grands talents de la grâce qui pourraient faire beaucoup, mais ils ne veulent point; d’autres se gardent du péché par la crainte du supplice, et d’autant qu’ils n’ont point les occasions de pécher, ou bien d’autant que le péché leur déplaît, c’est pourquoi je ne donne point de plus grands dons à quelques-uns, car moi, qui connais seul l’esprit des hommes, je sais distribuer les dons comme il faut.

VI. Pourquoi, le plus souvent, les méchants prospèrent-ils mieux que les bons? Cela est un indice, dit Dieu, de ma grande patience, de mon amour et de la probation des justes, car si je donnais à mes amis seulement les biens temporels, les méchants se désespéreraient et les bons s’enorgueilliraient. Mais je donne à tous des biens temporels, afin que moi, leur Dieu, auteur et Créateur de tout, sois aimé de tous, et afin que, quand les bons se rendent superbes, ils soient instruits par les mauvais à être justes. Tous savent aussi que les choses temporelles ne sont point à aimer, ni ne doivent être préférées à moi, mais on en doit seulement user pour le seul entretien, et afin qu’ils soient d’autant plus fermes à mon service, que moins ils trouvent de stabilité dans les choses temporelles.

VII. Pourquoi un est-il appelé au commencement de sa vie, et d’autres le sont-ils à la fin? Je suis comme une mère qui, voyant en ses enfants l’espérance de vie, donne aux uns des choses fortes, aux autres des choses légères et faibles.

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Mais elle compatit et fait ce qu’elle peut en ceux desquels il n’y a point d’espérance de vie. Mais malheur! ces enfants devenant pires par le médicament de la mère, qu’est-il besoin de travailler pour eux? J’en fais de même à l’homme, la volonté duquel est prévue être plus fervente, et l’humilité et la stabilité plus constantes; à celui-ci je donne la grâce au commencement, et elle le suit à la fin. Mais celui qui au milieu de ses maux, s’efforce et devient meilleur, celui-là mérite d’être appelé à la fin. Mais celui qui est ingrat ne mérite point d’être admis à l’intelligence des paroles de l’Église, notre sainte Mère.


Chapitre IX INTERROGATION XIV

5009   Jésus-Christ, parlant à son épouse sainte Brigitte, lui montre en quelle manière elle a été affranchie de la maison du monde et de celle des vices, et comment elle est conduite maintenant pour demeurer en la maison du Saint-Esprit; c’est pourquoi il l’avertit de se conformer au Saint-Esprit, persévérant toujours en l’humilité, pureté et dévotion.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse : Vous êtes celle qui, étant nourrie en une pauvre maison, avez été élevée en une grande compagnie. En vérité, il se trouve trois choses en la maison pauvre, savoir : les murailles mal polies, la fumée nuisible et la suie luisante. Mais vous avez été conduite en la maison où sont la beauté sans tache, la chaleur sans fumée, la suavité sans dégoût. La maison pauvre n’est autre chose que le monde, dont les murailles sont la superbe et l’oubli de Dieu, l’abondance du péché et l’inconsidération des choses futures. Ces murailles ne sont pas seulement mauvaises, mais elles tachent toutes les bonnes oeuvres, les anéantissant toutes, et cachent à l’homme la présence divine.

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La fumée est l’amour du monde, qui nuit aux yeux, d'autant qu’il offusque l’esprit et le rend soigneux des choses superflues. La suie est la volupté, laquelle, bien qu’elle délecte pour quelque temps, ne rassasie pas pourtant, ni ne remplit pas comme la bonté éternelle. Vous êtes retirée d’icelle et êtes conduite en la demeure du Saint-Esprit, qui est en moi et moi en lui, qui vous enveloppe aussi en lui; il est très pur, très fort et la constance même, et de fait, il soutient toutes choses. Conformez-vous donc à l’habitant de la maison, demeurant pure, humble et dévote.

  INTERROGATION XIV.

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi les animaux souffrent des incommodités, ne peuvent point être bienheureux ni n’ont point l’usage de la raison.

II. Pourquoi naissent-ils avec douleur, puisqu’en leur naissance, il n’y a point de péché?

III. Pourquoi l’enfant porte-t-il l’iniquité du père, puisqu’il ne sait pas pécher?

IV. Pourquoi arrive-t-il plus souvent ce qui est hasardeux que ce qui est prévu?

V. Pourquoi le mauvais meurt-il d’une bonne mort, comme souvent le juste, et le juste d’une mauvaise mort, comme l’injuste?

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  RÉPONSE

I. Le Juge, Jésus-Christ, répond : Mon ami, bien que votre demande ne soit point charitable, néanmoins, je veux répondre à vos demandes pour l’amour des autres. Vous demandez pourquoi les animaux souffrent des incommodités : c’est parce qu’en eux, l’ordre est en tout, car je suis le Créateur de toute la nature, et j’ai donné à chacune son tempérament et son ordre, auquel chaque chose aurait son mouvement et sa vie. Mais après que l'homme, pour lequel toutes choses ont été créées, eut péché et se fût opposé à Dieu, son conducteur, toutes choses commencèrent leur dérèglement, et celles qui devaient l’honorer, se révoltèrent contre lui, et c’est de ce dérèglement que les incommodités arrivent aux animaux aussi bien qu’aux hommes. Au reste, les animaux pâtissent aussi souvent à raison de l’intempérament de leur nature, souventefois aussi pour adoucir leur fureur et pour purger leur nature; d’autres fois à raison des péchés des hommes, afin que l’homme soit affligé et souffre, les voyant souffrir, et connaisse de quelle peine il est digne, lui qui a plus de raison pour le connaître. Certainement, si les péchés des hommes ne l’exigeaient point, les animaux ne seraient pas affligés en tant de manières, et même les animaux ne souffrent pas sans un grand sujet et sans justice, car, ou cela leur sert pour mourir plus promptement, ou pour l’amoindrissement des labeurs et des misères, ou pour le changement du temps, ou pour le peu de soin des hommes, les faisant trop travailler.

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  Que l’homme craigne donc par-dessus tout moi, qui suis Dieu, et qu’il en soit d’autant plus doux envers les créatures et les animaux, auxquels il doit pardonner pour l'amour de moi, leur Créateur. C’est pourquoi aussi j’ai établi le jour du sabbat jour de repos, pour marquer le soin que j’ai de toutes les créatures.

II. Pourquoi tous les animaux naissent-ils avec douleur? Soudain que l’homme eut méprisé les vraies délectations dans le jardin d’Éden, il tomba dans les labeurs et dans une vie pénible; et d'autant que le dérèglement a commencé en l'homme par l'homme, ma justice veut aussi que les créatures, qui sont pour l'homme, ressentent quelque amertume pour tempérer le plaisir que l'homme aurait pris en elles, et pour avoir moins de nourriture d’elles. L'homme donc naît avec douleur et avance avec labeur, afin qu’il se hâte d’arriver au vrai repos. Il naît nu et pauvre, afin qu’il contienne ses mouvements déréglés et afin qu’il craigne la future discussion. Les animaux mettent au jour leurs petits avec douleur, afin que l'excès soit tempéré par l’amertume, et que les hommes participent, en les voyant souffrir, à leurs douleurs et labeurs. Que l’homme donc m’aime tout autant par-dessus les créatures qu’il est plus excellent qu’elles.

III Pourquoi l’enfant porte-t-il le péché de son père? Tout ce qui procède du monde pourrait-il être pur? C’est pourquoi le premier homme, quand il perdit la beauté de son innocence, à cause de sa rébellion, fût chassé du paradis des joies indicibles, se plongea et s’abîma dans les choses immondes. Donc, pour recouvrer cette innocence, pas un des hommes n’a été trouvé suffisant et capable. Partant, moi, Dieu miséricordieux, venant prendre la chair humaine, j’ai institué le baptême, afin que l’enfant fût affranchi de la souillure du péché ; et partant, à raison de ceci, pas un des enfants ne portera l’iniquité de son père, mais chacun portera son péché et mourra en icelui.

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  Mais néanmoins, il arrive souvent que les enfants imitent les péchés des parents, c’est pourquoi souvent les péchés des parents sont punis dans les enfants, non pas qu’il faille que, pour cela, les péchés des parents demeurent en eux impunis, bien que la peine de leurs péchés soit différée en un autre temps, mais un chacun mourra en son péché et il en sera puni. Souventefois aussi, les péchés des pères sont visités, comme il est écrit, en la quatrième génération, car la divine justice veut que les enfants, ne se souciant pas d’apaiser ma juste colère, ni pour eux ni pour leur parents, soient souvent punis avec leurs pères, qu’ils ont suivis, s’opposant contre moi.

IV Pourquoi ce qu’on ne prévoit point arrive-t-il plus souvent ? Il est écrit que, par les mêmes choses qu’il a péché, l’homme soit puni. Et quel sera celui qui entendra les conseils occultes de Dieu ? Hélas ! qu’il y en a qui me cherchent, non, pour mon amour, mais pour celui du monde ! D’autres me craignent plus qu’il ne faut ; d’autres présument ; d’autres s’enorgueillissent de leurs conseils. Partant, moi, Dieu, qui opère le salut de tous, je fais que souvent l’homme craint, et quelquefois je lui ôte la crainte, et il m’aime sans bornes. Souventefois aussi, ce qu’on prévoit et ce qu’on désire avec plus de soin, s’éloigne, afin que l’homme craigne, aime et considère son Dieu.

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V Pourquoi l’homme mauvais meurt-il souvent d’une bonne mort comme le juste ? Les mauvais ont souvent quelques biens, et font quelques oeuvres de justice, pour lesquelles il les faut récompenser en cette vie présente. De même les justes ont quelques maux pour lesquels il les faut punir en cette vie et les attendre à bonne fin. Et d’autant qu’en la vie présente, toutes choses sont incertaines et toutes choses sont réservées pour l’avenir ; et d’autant que l’entrée de tous au monde est égale, l’issue doit être aussi semblable en quelque chose, car l’issue ne rend pas bienheureux, mais la vie sainte et bonne.

Néanmoins, que l’issue soit égale au bons et aux mauvais, ma divine justice le permet ainsi, car ils désirent tous cette issue ; car le diable, prévoyant l’issue de ses amis, leur annonce et leur prédit le temps de leur mort, conformément à leur présomption, vaine gloire, et pour les décevoir, comme on le voit dans les livres qui sont appelés apocryphes, que quelques méchants sont loués après leur mort. Au contraire, il arrive que les justes font une issue déplorable pour leur plus grand mérite, afin qu’eux aussi qui ont aimé la vertu en leur vie, s’envolent au ciel, francs et libres, par une mort contemptible, afin qu’ils ne soient pas même trouvés dans le monde dignes de moquerie, comme il est écrit que le lion occit le prophète désobéissant, et ne mangea point son corps, mais le garda. En l’occision de ce corps on voir ma permission, afin que la désobéissance de l’apôtre fût punie. Quant à ce que le lion ne mangea point de son corps, les bonnes oeuvres de l’apôtre ont été manifestées, afin qu’étant purifié en cette vie, il fût trouvé juste en l’autre. Partant, qu’on prenne bien garde de ne sonder et éplucher par trop mes divins jugements, car comme je suis incompréhensible en vertu et en puissance, de même suis-je terrible en conseils et jugements : ceux qui les ont voulu curieusement comprendre en leur science, sont tombés de l’espérance.

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  CHAPITRE X INTERROGATION XV

5010   Jésus Christ, parlant à son épouse, l’avertit de ne point se troubler, si les paroles qu’il lui révèle en l’oraison sont souvent obscures, quelquefois douteuse, quelquefois incertaines, d’autant que cela est pour de certaines raisons déduites en ce lieu par les secrets de la justice divine. Je vous ai néanmoins conseillé d’attendre l’événement avec patience et craint, avec persévérance et humilité, comme aussi mes promesses, de peur que, par l’ingratitude, la grâce promise ne soit retirée. Il dit que plusieurs choses ont été dites corporellement, qui ne s’accompliront pas pourtant corporellement, mais spirituellement

  Le fils de Dieu parle à son épouse : Ne vous travaillez pas, dit-il, si je vous dis quelques paroles obscures, quelques autres plus claires, ou si j’appelle maintenant quelqu’un, tantôt serviteur, tantôt mon ami, et soudain on voit le contraire, d’autant que mes paroles sont prises en diverses manières, comme je vous l’ai dit d’un quidam que sa main serait sa mort, et d’un autre, qu’il n’approcherait plus de ma table. Ces choses sont dites pourquoi je l’avais dit la sorte, ou bien vous en verriez à la fin de l’oeuvre la vérité, comme il appert en ces deux exemples.

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  Je dis aussi quelquefois quelques choses obscures afin que vous ayez une pure joie, et que les choses n’arrivent d’une autre manière, à raison de ma patience, de moi qui connais les changements et les vicissitudes des coeurs. Réjouissez-vous aussi d’autant que ma volonté est toujours accomplie. Car comme aussi en l’ancienne loi, j’ai dit plusieurs choses qui devaient être plutôt entendues spirituellement que corporellement : comme du temple de David et de Jérusalem, c’est afin que les hommes charnels apprissent à désirer ardemment les choses spirituelles. Car pour prouver la constance de la foi et le soin de mes amis, j’ai dit et promis plusieurs choses qui peuvent être entendues diversement des bons et des mauvais, et en la manière que plusieurs peuvent être exercés par moi en divers états, être éprouvée et être enseignés par moi.

Quant à ce que plusieurs choses ont été dites obscurément, ma justice l’exige de la sorte, afin que mes conseils éternels soient cachés, et qu’un chacun attendit ma gloire, de peur que si mes conseils étaient toujours marqués en temps certain, tous ne l’alentissent en leur attente. J’ai promis aussi plusieurs choses qui sont ôtées pour l’ingratitude des hommes, et plusieurs choses ont été dites corporellement, qui seront accomplies spirituellement, comme de Jérusalem et de Sion, car les Juifs sont comme il est écrit, le peuple du Seigneur, le peuple aveugle et sourd.

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INTERROGATION XV.

I. Le même religieux apparut en disant : O Juge, je vous demande pourquoi plusieurs choses qui semblent de nulle utilité, sont créées.

II. Pourquoi ne voit-on point au commencement les âmes qui sont dans les corps, ou qui sont sorties du corps ?

III. Pourquoi vos amis ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils prient ?

IV. Pourquoi n’est-il pas permis à plusieurs de faire le mal qu’ils veulent ?

V. Pourquoi les maux arrivent-ils à plusieurs qui ne les ont pas mérités ?

VI. Pourquoi ceux qui ont l’Esprit de Dieu pèchent-ils ?

VII. Pourquoi le diable suit-il toujours quelques-uns, et d’autres jamais ?

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  REPONSE

I. Le Juge répondit : Mon ami, comme mes oeuvres sont en grand nombre, aussi sont-elles admirables et incompréhensibles. Que si mes oeuvres sont en grand nombre, elle ne le sont pas sans sujet. Certainement, l’homme est semblable à un enfant nourri dans la prison et dans les ténèbres, qui, si on lui disait qu’il y a une belle lumière et des astres, ne le croirait pas, d’autant qu’il ne les a jamais vus : de même, quand il a laissé une fois la lumière vraie, il ne se plaît que dans les ténèbres, conformément à la maxime vulgaire : Celui qui est accoutumé au mal, le mal lui est doux. Donc, bien que l’esprit de l’homme soit aveuglé en moi, néanmoins, il n’y a pas obscurité ni changement tel que je n’ai disposé avec tant de tempérance, sapience et honnêteté toutes choses, qu’il n’y a rien qui soit fait sans sujet et sans utilité, voire même les montagnes les plus hautes, les déserts, les lacs, les bêtes, les reptiles voire les animaux venimeux. Mais comme je pourvois à l’homme, de même ai-je soin des animaux.

Je suis semblable à l’homme qui a des lieux pour se promener ; d’autres pour la garde des animaux apprivoisés ; d’autres pour les animaux farouches ; d’autres pour tenir soin conseil ; d’autres parce que la disposition de la terre le requiert ainsi ; d’autres pour la correction des hommes. De même j’ai range toute choses avec raison, les unes pour l’utilité de l’homme ; les autres pour son plaisir ; les autres pour le divertissement des animaux ; quelques autres pour retenir dans les bornes de la raison la cupidité des hommes ; les autres pour la congruité des éléments ; quelques autres pour l’admiration de mes oeuvres ; quelques autres pour la punition des péchés ; d’autres pour la convenance des supérieurs et des inférieurs ; d’autres pour des causes et sujets réservés et connus de moi seul. Car voici une abeille petite qui sait choisir des fleurs le miel en grande quantité, comme un nombre d’autres petites créatures qui font leur fonction, et surpassent l’homme en industrie et au choix des herbes, et en la considération et acquisition de leur utilité, et plusieurs choses leur sont utiles, qui sont néanmoins nuisibles à l’homme.

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  Qu’est-il donc de merveille si les soins des hommes sont faibles pour discerner et entendre mes merveilles, vu de petites créatures les surpassent ? Qu’y a-t-il de plus difforme que la grenouille et le serpent ? Quoi de plus contemptible que l’ortie et autres herbes ? Et néanmoins, elles sont fort utiles à ceux qui savent discerner et connaître l’excellence de mes oeuvres. Et partant, tout ce qui sert à quelque usage et utilité, et tout ce qui a mouvement, cherche sa conservation et son affermissement. D’autant que toutes mes oeuvres sont admirables et toutes me louent en leur manière, l’homme, qui est plus excellent que les autres créatures, est plus obligé de rechercher en tout mon honneur. Certainement, si les montagnes ne bornaient les digues des rivières, l’impétuosité des eaux vous submergeaient tous, et si les bêtes n’avaient ou se retirer, comment pourraient-elles échapper à l’insatiable cupidité des hommes ? Que si toutes choses étaient soumises à la dévotion de l’homme, il ne désirerait pas lors les richesses célestes. Si les bêtes ne travaillaient ni ne craignaient, elles se perdraient et s’affaibliraient. Partant, plusieurs de mes oeuvres ont été cachées afin que moi, Dieu admirable et incompréhensible, sois connu et honoré des hommes, par l’admiration de la créature de tant de diverses et différentes créatures.

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II. Pourquoi l’homme ne voit-il pas les âmes ? L’âme est d’une meilleure nature que le corps, d’autant qu’elle a été créée par la vertu de ma main toute puissante, et qu’elle a l’immortalité avec les anges. Elle est plus excellente que toutes les planètes, plus éminente que tout le monde. D’autant donc que l’âme est d’une excellente nature, donnant au corps la vivification et la chaleur, et d’autant plus qu’elle est spirituelle, elle ne peut être vue corporellement ni entendue que par des similitudes corporelles.

III. Pourquoi mes amis ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils me prient ? Je suis comme la mère qui, voyant que son fils la prie comme son salut, diffère d’exaucer sa demande, retenant ses pleurs avec quelque menace d’indignation, laquelle n’est pas colère, mais grande miséricorde. De même moi, Dieu, je n’exauce pas toujours mes amis, d’autant que je vois mieux ce qui est utile pour leur salut. Eh quoi ! Saint Paul et d’autres ne m’ont-ils pas prié efficacement, et néanmoins, ils n’ont point été exaucés, pourquoi ? D’autant que mes amis même ont quelques faiblesse et quelque chose à purifier en l’abondance des vertus ; c’est pourquoi ils ne sont point exaucés, afin qu’ils en soient d’autant plus humbles et plus fervents qu’ils sont conservés par ma grâce sains et saufs en la charité ès tentation du péché. C’est donc un jugement de grande dilection que mes amis ne soient pas exaucés en leur oraison, pour leur plus grand mérite et pour éprouver leur constance, car comme le diable s’efforce de corrompre la vie du juste par le péché ou par la mort contemptible, afin qu’il puisse relâcher la constance des fidèles, de même je permets, non sans grand sujet, que le juste soit éprouvé, afin que sa constance soit connue aux autres, et que lui soit plus excellemment couronné ; et comme le diable ne craint point de tenter les siens, qu’il voit enclin à pécher, de même je n’épargne point mes élus, que je vois préparés au bien.

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IV. Pourquoi n’est-il pas toujours permis de faire le mal que quelques-uns veulent ?Quiconque a deux enfants, l’un obéissant, l’autre rebelle, le père résiste au rebelle autant qu’il lui plaît, afin qu’il n’excède en sa malice, et il éprouve l’obéissant, l’excitant à de plus grandes choses, afin que le rebelle en soit excité à des choses meilleures. De même je ne permets pas que les mauvais pèchent, qui font bien parmi leur malheurs, avec lesquels ils profitent, ou à eux, oui aux autres. Partant, ma justice veut qu’ils ne soient pas soudain donnés au diable, et qu’ils n’aient pas toujours la puissance d’accomplir leurs pernicieux desseins.

V. Pourquoi les maux assaillent-ils ceux qui ne les ont point pas mérités ? Celui qui est bon est connu de moi seul, et je sais ce qu’il mérite. Certes, plusieurs choses semblent belles, bien qu’elles ne le soient pas. Le feu éprouve l’or. Or, le juste est souventefois affligé, afin qu’il serve d’exemple aux autres et soit richement couronné. Job a été éprouvé de la sorte, qui était néanmoins bon avant l’affliction ; mais dans les afflictions, il fut épuré et connu des hommes. Mais qui et celui qui voudra sonder et éplucher pourquoi je l’ai affligé, si ce n’est moi-même qui l’ai prévenu de mes bénédictions, qui l’ai conservé afin qu’il ne péchât point, qui l’ai soutenu en ses tentations ? Et comme je l’ai prévenu de ma grâce dans aucun sien mérite, de même je l’ai éprouvé avec ma justice et ma miséricorde, car pas un ne sera justifié devant moi, sinon par ma grâce.

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VI. Pourquoi ceux qui ont mon Esprit pèchent-ils ? L’Esprit divin n’est pas attaché, mais il inspire où il veut, se retire quand il veut, et il n’habite point en un vase plein de péché, mais en celui qui est plein de charité et d’amour, d’autant que moi, Dieu, je suis la charité, et là où je suis, la liberté se trouve. Celui donc qui reçoit mon Esprit peut pécher s’il veut, car tout homme a le libéral arbitre. C’est pourquoi quand l’homme est averti d’amender sa volonté, Balaam voulut maudire mon peuple, mais je ne le permis pas. Bien qu’il fût mauvais et ambitieux prophète, il parlait néanmoins, et disait quelque chose de bon, non de soi, mais de mon Esprit, car souvente fois le don de mon Esprit est donné aux bons et aux mauvais ; autrement ces grands éloquents n’eussent pas tant disputé des choses sublimes, s’ils n’eussent eu mon Esprit, ni les fous n’eussent pas tant déliré, s’ils n’eussent fait contre moi, et se fusent laissés emporter à la superbe, voulant savoir plus qu’il ne fallait.

VII. Pourquoi le diable est-il plus présent aux uns qu’aux autres ? Le diable est comme le bourreau et l’épreuve des bons, c’est pourquoi, par ma permission, il vexe quelques âmes lesquelles pèchent contre la raison, s’abandonnent à l’immondicité, à l’avarice, à l’infidélité. Il trouble leurs consciences et leur corps, qui sont ici tourmentés et purifiés pour quelques péchés. Cette vexation et peine sont communes à tous les enfants, tant des païens que des chrétiens, et cela à raison du peu de soin des parents, ou le défaut de la nature, ou bien pour épouvanter les autres, ou pour l’humiliation d’autrui, ou bien pour quelques péchés, ma justice en disposant et permettant des peines, afin que ceux auxquels l’occasion du péché est ôtée, ne soient punis plus rudement, ou afin qu’ils soient couronnés plus richement. De semblables choses arrivent aux autres animaux, ou bien à raison des péchés des hommes, ou bien pour abréger leur vie, ou bien l'intemperie de leur nature.

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  Quant à ce que le diable est plus voisin et plus près des uns que des autres, je le permets de la sorte pour une plus grande humiliation et pour qu'ils soient mieux sur leurs gardes, ou pour une plus grande couronne, ou pour exciter un plus grand soin à me rechercher, ou pour purifier leurs péchés en cette vie, ou bien que la peine de quelques-uns, à raison de leur méchanceté, commence déjà en ce monde pour ne finir jamais.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5007