Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5011

Chapitre XI INTERRROGATION XVI

5011   Le Fils de Dieu, parlant à son épouse sainte Brigitte, lui dit pourquoi et comment il commença de lui donner de divines révélations en vision spirituelle. Il lui dit encore que les révélations contenues en ces livres, contiennent principalement ces quatre vertus : elles ressuient ceux qui désirent la vraie charité, échauffent les froids, réjouissent les troublés, et affermissent les faibles.

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  Le Fils de Dieu parle, disant que, par les choses naturelles, il se peut faire un breuvage salutaire, savoir est d'une pierre salutaire et d'un dur caillou, d'un arbre aride et d'une herbe amère. Mais comment cela ? Certainement, si l'acier tombait avec violence sur une montagne de soufre, lors de l'entrechoc de l'acier contre la pierre s'allumerait un feu qui allumerait la montagne. De la chaleur de ce feu, les oliviers qui sont à l'entour, bien qu'ils soient verts, néanmoins, à raison de la graisse intime, commenceraient à distiller une certaine gomme, de laquelle les herbes qui sont sous l'olivier, commenceraient à quitter leur amertume et à prendre une douceur, et c'est de là que se ferait une boisson très salutaire. J'en ai fait de même à vous spirituellement, car votre coeur était comme un acier froid en mon amour, duquel néanmoins sortait quelque petite scintille de ce feu amoureux, savoir, lorsque vous pensiez que j'étais digne d'amour par-dessus tout. Mais votre coeur tomba sur une montagne de soufre, quand la gloire et la délectation mondaine vous contrariaient, et votre mari, que vous avez aimé charnellement par-dessus tout, vous fut ôté en mourant.

  En vérité, la volupté et la délectation mondaine sont fort à propos, comparées à la montagne de soufre, d'autant qu'elles mènent avec soi la vanité de l'esprit, la puanteur de la concupiscence et l'ardeur de la peine ; et alors, en la mort de votre mari, votre esprit étant touché de peines et troublés, la scintille de mon amour, qui était cachée, commença à paraître, car lorsque vous eûtes considéré la vanité du monde, vous résignâtes votre volonté en mes mains, m'aimant et me désirant sur toutes choses, Et par la vertu de cette scintille amoureuse, l'olive m'agréa, c'est-à-dire, les paroles de l'Evangile, et la conversation de mes docteurs commencèrent à vous plaire, et l'abstinence vous plût en telle sorte que les choses qui vous semblaient amères au commencement, commencèrent à être très douces. Mais quand l'olivier commença à distiller sa liqueur, et que les révélations commencèrent à être répandues en votre esprit, un quidam cria du haut de la montagne, disant : La soif est étanchée par ce breuvage ; l'homme froid est échauffé ; le troublé est réjoui, et l’infirme est raffermi.

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Je suis Dieu qui crie : Les paroles que vous oyez en vos révélations rassasient comme une bonne boisson ceux qui désirent la charité ; en deuxième lieu, elles échauffent les froids ; en troisième lieu, elles apaisent les troublés ; en quatrième lieu, elles affermissent les faibles d’esprit.

  INTERROGATION XVI.

I. Le même religieux que dessus apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi, selon que l’évangile dit : Les chevreuils seront mis à la gauche et les brebis à la droite, vous vous plaisez à cela.

II. Puisque vous êtes le Fils de Dieu, égal au Père, pourquoi est-il écrit que ni vous ni les anges ne savez l’heure du jour du jugement ?

III. Pourquoi y a-t-il tant de désaccord entre les évangélistes, puisque le Saint-Esprit leur a parlé ?

IV. Puisqu’il y a tant de salut en votre incarnation,, pourquoi avez-vous tant différé de l’accomplir ?

V. Puisque l’âme de l’homme est meilleure que tout le monde, pourquoi n’envoyez-vous pas partout des prédicateurs, vos amis ?
 

  REPONSE.

I. Le Juge répondit : Mon ami, vous ne demandez pas pour savoir, mais afin que votre malice soit comme. En ma divinité, il n’y a rien de charnel ni rien de formé charnellement, d’autant que ma Divinité est un esprit ; et avec moi les bons et les mauvais ne peuvent pas demeurer non plus que la lumière et les ténèbres ; ni ma droite ni ma gauche ne sont pas corporellement formées ; ni ne sont pas plus heureux ceux qui sont à ma droite que ceux qui sont à ma gauche.

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Qu’est-ce qu’on doit entendre par ma droite, sinon la sublimité de la gloire divine ; par la gauche, sinon la privation et la défaillance de tout bien ? Ni les brebis ni les boucs ne sont point en cette gloire admirable, où il n’y a rien de corporel ni de corrompu ou sujet à la vicissitude. Mais en la figure et similitude de l’âme, les moeurs des hommes sont signifiées, comme par la brebis est signifiée l’innocence, par le bouc la lubricité ; c’est-à-dire, il signifie l’homme incontinent qui doit être mis à la main gauche, où il y a privation de toute sorte de biens. Sachez donc que moi, Dieu, j’use souvent de paroles humaines et de similitudes, afin que l’enfant ait de quoi sucer, que les parfaits aient de quoi s’entretenir, et afin que l’Ecriture soit accomplie. Le Fils de la Vierge a été mis en contradiction, afin que les pensées de plusieurs coeurs soient révélées.

II. Pourquoi, étant Fils de Dieu, ai-je dit que j’ignore, l’heure du jugement ? Il est écrit que Jésus profitait et avançait en sagesse et en âge. Or, toute chose qui avance ou défaut, est muable, mais Dieu est immuable. Quand à ce que le Fils de Dieu profitait et avançait, cela se doit entendre selon mon humanité. Quant à ce que j’ignore, cela était selon mon humanité, car quand à la Déité, je savais et sais tout, car le Père ne fait rien que je ne fasse. Le Père pourrait-il savoir quelque chose que le Fils et le Saint-Esprit ne le sachent aussi ? Non, certes. Or, le seul Père, avec lequel je suis Fils et le Saint-Esprit, une substance, une Déité et volonté, sait cette heure du jugement, et non pas les anges ni autre créature quelconque.

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III. Si le Saint-Esprit a parlé aux évangélistes, pourquoi ne s ‘accordent-ils pas ? Il est écrit que le Saint-Esprit est divers en ses oeuvres, attendu qu’il distribue ses biens à ses élus en plusieurs manières. D’ailleurs, le Saint-Esprit est comme un homme qui a une balance en sa main, qui accorde et rend convenables et égales ses extrémités en plusieurs manières, jusques à ce que la balance demeure en égalité, laquelle balance peut être accommodée, par les uns, d’une manière, et par les autres, d’une autre toute différente, car autrement la dispose le faible, autrement le fort. De même l’esprit monte tantôt dans les coeurs comme une balance, et tantôt il en descend. Or, il y monte quand il élève l’esprit par la subtilité de l’esprit, par la dévotion de l’âme et par l’inflammation des désirs spirituels. Il y descend, quand il permet que l’esprit s’enveloppe dans les difficultés, s’afflige des superfluités et se trouble des tribulations. Comme donc la balance n’a rien de certain, si elle n’est réglée, modérée et conduite par la main, de même il est nécessaire que la modération et le règlement s’ensuivent en l’opération du Saint-Esprit, comme aussi la bonne vie, la simple intention, et la discrétion des bonnes oeuvres et des vertus.

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  Partant, moi, Fils de Dieu, visible en ma chair, prêchant en divers lieux diverses choses, j’ai eu divers imitateurs et auditeurs, car les uns me suivaient par amour, les autres par occasion et par curiosité ; quelques-uns aussi des suivants étaient d’un subtile esprit ; quelques autres étaient fort simples ; c’est pourquoi j’ai dit des choses simples, afin que les simples en fussent instruits ; j’ai dit des choses hautes, pour ravir en admiration les sages. Quelquefois je parlais en paraboles et en énigmes, dont quelques-uns prenaient occasion de parler, et quelquefois je redisais ce que j’avais dit pour l’inculquer davantage ; quelquefois j’exagérais, et quelquefois je diminuais ; c’est pourquoi il n’est pas de merveille si ceux qui ont rangé l’ordre de l’Evangile, ont mis des choses diverses, mais néanmoins vraies, car quelques-uns ont mis le mot, quelque autres ont mis le sens, et non les paroles ; quelques autres ont écris ce qu’ils ont ouï et non vu ; d’autres ont écrit des choses passées, les autres plusieurs chose de ma Divinité, et enfin chacun comme le Saint-Esprit l’inspirait. Néanmoins, je veux que vous sachiez qu’il faut seulement recevoir ces évangélistes que mon Eglise reçoit, car plusieurs ont taché d’écrire par un zèle, mais non selon ma science, car voici que j’ai dit, comme il a été lu en l’Evangile d’aujourd’hui : Ruinez ce temple, et je le réédifierai.

Ceux qui témoignaient avoir ouï ceux-ci, furent vrais témoins selon ouïe, mais faux témoins selon leur intelligence et selon leur dire, d’autant qu’ils n’entendaient ni ne considéraient point le sens de mes paroles, d’autant que j’entendais ces paroles de mon corps, et eux les entendaient du temple matériel. Semblablement quand je dis : Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez point la vie, plusieurs se retirèrent de moi, car ils ne s’avisaient point de la clause ajoutée, que mes paroles sont esprit et vie, c’est-à-dire, elles ont un sens spirituel et une vertu efficace ; ni n’est pas de merveille s’ils erraient, d’autant qu’ils ne me suivaient point par amour. Partant, le Saint-Esprit monte en nos coeurs comme une balance, parlant maintenant corporellement, maintenant spirituellement ; il descend quand le coeur de l’homme s’endurcit contre Dieu, ou par hérésies, ou il s’intrigue dans les affaires du monde et s’aveugle lui-même.

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  Lors en même moment, le Juge dit au religieux qui faisait ces demandes : Vous, ô mon ami ! vous m’avez si souvent demandé des choses subtiles, et moi maintenant je vous interroge pour l’amour de mon épouse, qui est ici présente. Pourquoi votre âme, qui a l’intelligence des choses caduques, du bien et du mal, choisit-elle plutôt les choses terrestres et périssables que les choses célestes et permanentes, ni ne vivez pas selon l’intelligence que vous avez ?

Le religieux répondit : D’autant que je fais contre la raison, et que les sens charnels entraînent la raison.

Et Notre-Seigneur lui dit : C’est pourquoi votre conscience sera votre juge.

Après, Jésus-Christ dit à l’épouse : Voyez, ô ma fille ! combien peut en l’homme, non seulement la malice du diable, mais encore la conscience dépravée ; et cela provient de ce que l’homme ne combat pas comme il faut contre les tentations. Or, le maître qui vous est connu n’en fait pas de la sorte, car quand cet esprit tentateur descend pour le tenter, il le tente, en sorte que tout lui semble des hérésies, qui toutes l’entourent, lui disant d’un accord : Nous n’avons point de vérité. Mais lui n’a pas cru à ses sentiments ni ne s’est pas élevé par curiosité sur soi-même, c’est pourquoi il a été affranchi des tentations, et a été savant depuis l’Alpha jusques à l’Oméga, comme il le lui avait promis.


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  DECLARATION.

  Le même docteur dont il est ici parlé, qui allait selon Dieu, fut Matthias, chanoine, confesseur de sainte Brigitte ; il lut la bible depuis le commencement de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, où sont cet Alpha et cet Oméga. (Il est aussi parlé de ce chanoine au livre I, chap. 3, et au chap. 2 ; au livre VI, chap. 75, jusqu’au chap. 89.)

IV. Pourquoi ai-je tant différé de m’incarner ? En vérité, il était nécessaire que je m’incarnasse, afin que, par mon incarnation, la malédiction fût abolie, et que toutes choses fussent pacifiées au ciel et en la terre ; et néanmoins, il était nécessaire que l’homme fût plus tôt instruit en la loi naturelle, et après, en la loi écrite,car par la loi naturelle, il apparut combien grande était la délectation de l’homme ; par la loi écrite, il a compris ses infirmités, ses faiblesses et ses misère, et lors, il commença de rechercher les médecines. Il fut donc lors juste que le médecin vint, puisque l’infirmité et la maladie étaient connues, afin que là où la maladie abondait, la médecine surabondât. En vérité, en la loi naturelle et en la loi écrite, il y eut plusieurs justes, et plusieurs avaient le Saint-Esprit, qui prédisaient plusieurs choses, en instruisaient les autres aux choses honnêtes, m’attendaient, moi, leur Sauveur ; et ceux-ci s’approchaient de ma miséricorde, et non des supplices éternels.

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V. Puisque l’âme est meilleure que le monde, pourquoi n’envoie-t-on pas des prédicateurs en tout le monde ? Véritablement, l’âme est plus excellente et plus digne que tout le monde, plus constante que tout l’univers, et est plus digne, d’autant qu’elle est spirituelle et égale aux anges, et créée pour la gloire éternelle. Elle est plus excellente, d’autant qu’elle est faite à l’image et à la ressemblance de Dieu, et est immortelle et éternelle.

D’autant donc que l’homme est plus digne et plus noble que toutes les créatures, il doit vivre plus excellemment que toutes les créatures, car il est enrichi de raison par-dessus les autres. Que si l’homme abuse de la raison et des dons de Dieu, qu’est-il de merveille si je le punis au temps de justice, puisqu’il m’a oublié en temps de miséricorde ? C’est pourquoi les prédicateurs ne sont pas toujours envoyés partout, car moi, Dieu, voyant l’endurcissement du coeur de plusieurs, je pardonne et soulage le labeur et la peine de mes élus, de peur qu’ils ne se travaillent en vain. Et d’autant que plusieurs pêchent à dessein, et délibèrent de croupir plutôt dans les péchés que se convertir, c’est aussi que, pour cela, ils ne sont pas dignes d’ouïr les nonces du salut.

Mais, ô mon ami ! je finirai maintenant avec la réponse à vos pensées, et vous finirez la vie et expérimenterez à quoi votre éloquence infâme et votre faveur humaine vous ont profité. Oh ! que vous auriez été heureux, si vous eussiez vécu selon votre profession, et si vous eussiez gardé vos voeux !

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  D’ailleurs, l’Esprit dit à l’épouse : Ma fille, celui-ci, qui semblait rechercher tant et tant de questions, vit encore selon le corps, mais il ne passera pas un jour ; les pensées de son coeur vous ont été montrées par similitudes, non pas pour son plus grand opprobre, mais pour le salut des âmes. Mais voici que son espérance et sa vie finiront avec ses pensées et ses affections.


Chapitre XII.

5012   Jésus-Christ, parlant à son épouse sainte Brigitte, dit qu’elle ne se doit pas troubler de ce qu’il ne fait soudain la justice sur l’homme, qui est un grand et détestable pécheur, d’autant qu’il diffère sa sentence, afin que sa justice soit manifestée en l’exécution. Il dit aussi que les paroles de ses révélations doivent croître et fructifier jusques a la pleine maturité, et puis, elles produiront leur effet et leur vertu dans le monde. Ces paroles sont comme de l’huile en la lampe, c’est-à-dire en l’âme vertueuse, par lesquelles elle est engraissée ; et le Saint-Esprit survenant, elles la font éclater de lumière et brûler d’amour. Il ajoute encore que ces révélations seront quelque temps cachées, et puis elles fructifieront plus ailleurs qu’au royaume de Suède, où elles ont commencé d’être faites à l’épouse sainte Brigitte.

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  Le Fils de Dieu parle, disant : Pourquoi vous troublez-vous, ô mon épouse, si je supporte si patiemment ce religieux ? Ne savez-vous pas combien il est cruel de brûler éternellement ? C’est pourquoi je le souffre jusques au dernier point de sa vie, afin qu’en lui ma justice soit manifestée ; c’est pourquoi comme les herbes qui servent à faire des couleurs, si elles sont moissonnées avant le temps, n’ont point la force ni la vivacité de colorer vivement, comme elles l’auraient eue, si elles eussent été fauchées à leur temps et saison, de même mes paroles, qui doivent être manifestées avec justice et miséricorde, et doivent fructifier jusques à l’entière plénitude et maturité, ou lors, par ma vertu, coloreront mieux les sujets auxquels elles seront appliquées.

Pourquoi vous troublez-vous aussi qu’il se défie de mes paroles, si ce n’est qu’on lui montre des signes plus évidents ? Eh quoi ! l’avez-vous engendré, ou connaissez-vous son intérieur comme moi ? Il est certainement comme une lampe ardente et luisante, en laquelle l’huile étant mise, soudain le feu brûle la mèche. Celui-ci est aussi une lampe de vertus disposée pour recevoir la grâce divine. Je verserai bientôt en lui mes paroles, et elles se liquéfieront et se fondront dans son coeur avec perfection. Et qu’est-il de merveille si là l’huile se fond et si elle fait brûler la lampe ? Ce feu, c’est mon Esprit qui est et parle en vous, et ce même Esprit est et parle en lui, bien que d’une manière plus occulte et plus utile pour lui. Ce feu allume la lampe de son coeur pour travailler pour mon amour, et allumer l’âme pour recevoir mes grâces et mes paroles, desquelles l’âme est plus profondément touchée et plus pleinement engraissée, quand on vient aux oeuvres.

Partant, ne craignez point, mais demeurez constamment en la foi. Si ces paroles venaient de votre esprit ou de l’esprit de ce monde, vous les devriez craindre à bon droit ; mais puisqu’elles sont de mon Esprit, que les saints prophètes ont eu, il ne faut pas que vous craigniez, mais


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  Que vous vous réjouissiez, si ce n’est que peut-être vous craigniez plutôt la vanité du nom du monde que l’attouchement de mes divines paroles.

Ecoutez encore ce que je dis : Ce royaume est mêlé avec un grand péché impuni depuis longtemps, c’est pourquoi aussi mes paroles n’y peuvent fructifier, comme je vous le déclarerai main- tenant par une similitude. Si le noyau était planté en terre, sur lequel on mettrait un grand faix lourd et pesant, il l’empêcherait de monter ; le noyau, étant bon, ne pouvant pousser en haut, pousserait en bas, et étendrait fort profondément ses racines ; et après, non seulement il porte de bons fruits, mais encore il anéantit tout ce qui s’oppose à son ascendant, et s’étend par-dessus son poids. Ce noyau signifie ma parole, qui ne peut fructifier en ce royaume, à raison, du péché ; elle profitera plus ailleurs, jusques à ce que l’endurcissement de cette terre et de ce royaume, ma miséricorde croissant, soit ôté.


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Chapitre XIII. vertu de cinq lieux qui sont en Jérusalem et Bethléem

  Dieu le Père parle à sainte Brigitte, l’instruisant subtilement de la vertu de cinq lieux qui sont en Jérusalem et Bethléem, et des grâces que reçoivent les pèlerins visitant ces lieux-là avec humilité dévote et vraie charité, disant qu’en les susdits lieux, il y avait un vase clos et non clos ; il y naissait un lion qu’on voyait et qu’on ne voyait pas ; il y avait un tondu et un non tondu ; on y mettait un serpent qui demeurait gisant, et qui ne demeurait pas ; il y avait aussi un aigle qui volait et ne volait pas. Et il expose ce que dessus en figure.

  Dieu le Père parle : Il y eut un seigneur à qui son serviteur dit : Voilà que votre terre qu’on sème de deux en deux ans, est cultivée, et que les racines sont arrachées. Quand faudra-t-il semer le blé ?

Le seigneur dit : Bien que les racines semblent être arrachées, néanmoins, les vieux troncs et les tiges sont laissées, qui seront ôtés et perdus par les vents et les pluies. Partant, attendez avec patience le temps propre pour semer.

Le serviteur repartit : Qu’est-ce qu’il faut que je fasse entre le printemps et l’été ?

Son maître lui dit : Je sais cinq lieux. Tous ceux qui iront, auront cinq sortes de fruits, s’ils y viennent purs, vides de superbe et fervent d’amour. Au premier lieu, il y avait un vase clos et non clos, petit et non petit, lumineux et non lumineux, vide et non vide, pur et non pur.


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  Au deuxième lieu, il y naissait un lion qu’on voyait et on ne voyait pas ; il était ouï et il n’était pas ouï ; il était touché et il n’était pas touché ; il était connu et il n’était pas connu ; il était tenu et il n’était pas tenu.

Au troisième lieu, il y avait un agneau tondu et non tondu ; un agneau blessé et non blessé, criant et non criant, patient et non patient, mourant et non mourant.

Au quatrième lieu, il y avait un serpent qui gisait et ne gisait pas ; qui se mouvait et ne se mouvait pas ; qui oyait et n’oyait pas ; qui voyait et ne voyait pas ; qui sentait et ne sentait pas.

Au cinquième lieu, il y avait un aigle qui volait et ne volait pas ; qui est vu au lieu d’où il ne s’est jamais retiré ; qui se repose et ne s’est jamais reposé ; qui se renouvelait et n’était pas renouvelé ; qui se réjouissait et ne se réjouissait point ; qui était honoré et n ‘était pas honoré.

 

  EXPOSITION ET DECLARATION DES CHOSES PREDITES EN FIGURE.

   

Le Père parle :

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Ce vase dont je vous ai parlé fut Marie, fille de Joachim, mère de l’humanité de Jésus-Christ, car elle fut un vase clos et non clos : clos au diable et non à Dieu. Car comme un torrent, désirant de sortir de son lit, cherche les tranchées et les sorties, de même le diable, comme un torrent de vices, désirait de toutes ses inventions et subtilités, de s’approcher du coeur de la Sainte Vierge ; mais il n’a jamais pu enlever son âme à quelque péché, d’autant qu’elle était close à toutes les tentations, car le torrent de mon Esprit s’était épandu en elle, et avais rempli son coeur de la grâce spirituelle.

Marie, Mère de mon Fils, fut un vase petit et non petit ; petit en humilité et mépris de soi-même, grand et non petit en l’amour de ma Divinité.

La Sainte Vierge Marie fut un vase vide et non vide ; vide de toute sorte de voluptés et de péchés, et non vide, mais plein de la douceur céleste et de toute bonté.

La Sainte Vierge fut un vase lumineux et non lumineux ; lumineux, d’autant que l’âme est créée de moi en son éclat ; mais Jésus a créé l’âme de Marie en toute perfection de lumière, de sorte que mon Fils s’est incarné en son âme, de la beauté duquel le ciel et la terre se réjouissaient ; mais ce vase divin ne fut pas lumineux devant les hommes, d’autant que Marie méprisait les honneurs et les richesses du monde.

Marie fut un vase pur et non pur ; pur, d’autant qu’elle était toute belle, et qu’il ne se trouva jamais d’immondice en elle de la largeur et grandeur d’une pointe d’aiguille. Mais elle n’a pas été pure en tant que sortie de la racine d’Adam et née de pécheurs, bien que conçue sans péché, afin que mon Fils naquît d’elle sans péché.

Celui donc qui viendra où Marie est née, où elle a été nourrie et élevée, non seulement sera purifié, mais il me sera vase en honneur.

Le deuxième lieu est Bethléem, où mon Fils est né comme lion, qui était vu et tenu comme un lion selon l’humanité ; mais il était invisible et inconnu selon la Divinité.

Le troisième est le Calvaire, où mon Fils a été blessé comme un agneau innocent et sans tache, et où il est mort ; il était pourtant impassible et immortel selon la Divinité.


P. 191

Le quatrième lieu fut le jardin du sépulcre de mon Fils, où il fut caché comme un serpent contemptible ; là était gisante son humanité, bien qu’il fût partout selon la Divinité.

Le cinquième lieu est le mont des Olives, duquel mon Fils vola comme un aigle, selon l’humanité, dans le ciel, où il était toujours selon la Divinité, qui fut renouvelé et se reposa selon l’humanité, car selon la Divinité, il était toujours en repos et le même.

Celui donc qui viendra purement en ces lieux avec une bonne et parfaite volonté, goûtera combien doux et suave je suis, moi son Dieu et son tout. Quand vous serez arrivée en ces lieux, je vous montrerai plusieurs choses.

  Fin Livre 5 – page 191



Livre VI



Chapitre I. beauté de Jésus-Christ

6001   P.192

  La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à Sainte Brigitte de la beauté de Jésus-Christ, et comment les Juifs étant affligés, s'en allaient pour voir la face et pour en être consolés.

La Mère de Dieu parlait à l'épouse, disant : Je suis la Reine du ciel. Mon Fils vous aime de tout son coeur. Partant, je vous conseille de n'aimer rien que lui, car il est si désirable, il est si beau que la beauté des éléments et de la lumière comparée à son éclat, n'est qu'ombre, d'où vient que, quand je nourrissais mon fils, je le voyais être si beau que même ceux qui le regardaient, étaient soulagés de leurs douleurs et consolés en leur tristesse. C’est pourquoi les Juifs disaient, quand ils étaient plongés en quelque tristesse : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolés. Et bien qu’ils ignorassent qu’il fût Fils de Dieu, néanmoins, ils recevaient une grande consolation de le voir. Son corps était si pur que jamais vermine ne s’y trouva, car les vermisseaux rendaient l’honneur et le respect à leur auteur, et il ne se trouva jamais en ses cheveux aucune crasse, aucun immondice.

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Chapitre 2 un qui avait mal vécu, et qui, en la mort, avait eu une bonne volonté de s’amender

6002   Notre-Seigneur parle à son épouse d’un qui avait mal vécu, et qui, en la mort, avait eu une bonne volonté de s’amender, s’il vivait, et dit qu’à cause de cette bonne volonté, il ne fut pas condamné à la peine éternelle, mais aux peines horribles du purgatoire.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Celui qui est maintenant infirme, pour lequel vous priez, a été fort lâche à mon endroit, et toute sa vie a été contraire à la mienne. Mais maintenant, faites-lui dire que, s’il a volonté de s’amender s’il évite la mort, je lui donnerai la gloire. Qu’on l’avertisse donc de s’amender, d’autant que je compatis à lui avec une grande miséricorde.

  Or, lorsque ce malade mourait avant le premier chant du coq, Notre-Seigneur apparut derechef à l’épouse et lui dit : Considérez combien juste je suis en mon jugement : celui-ci, qui était infirme, est venu à mon jugement, et bien qu’à raison de sa bonne volonté, il ait été jugé à la grâce, néanmoins, avant qu'il soit entièrement purifié; son âme endurera en purgatoire un supplice si cuisant, qu'il n'y a mortel qui le puisse comprendre. Hélas! qu'est-ce que ceux-là qui ont leurs volontés liées au monde, et ne sont affligés par aucune tribulations?


Page 194

Chapitre 3 démon s'enfuyant avec confusion d'un homme qui priait

6003   Manière dont Sainte Brigitte voyait quelque démon s'enfuyant avec confusion d'un homme qui priait, lequel le démon avait fort troublé par ses tentations, et en quelle manière le bon ange déclare la vision à l'épouse.

  L'épouse voyait un démon auprès d'un homme qui priait ; et ayant demeuré là une heure les mains liées, soudain ce démon s'écria d'une voix horrible et épouvantable, et tout confus, se retira de celui qui priait, duquel le bon ange parla à Sainte Brigitte, disant : Ce démon a troublé quelque temps cet homme ; et d'autant qu'il ne l'a pu vaincre, il paraît les mains liées, car cet homme avait généreusement résisté au diable, de sorte que c'était un juste jugement de Dieu que le démon n'ait pu faire ce qu'il voulait. Le démon pourtant a encore quelque attente de la surmonter ; mais à cette heure, il a été vaincu en choses faciles, mais jamais il ne sera surmonté. Or, depuis, la grâce de Dieu de jour en jour, et partant, le démon criait de toutes ses forces, disant qu'il avait perdu celui qu'il avait tant de fois combattues pour le vaincre et le supplanter.

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  DÉCLARATION

  L'homme dont il est parlé en ce chapitre fut un Frère tenté douze ans sur le saint Sacrement, et sur le nom de la Sainte Vierge, qu'il ne pouvait prononcer sans quelque sale pensée. Par les prières de Sainte Brigitte, il fut délivré de la tentation, en telle sorte qu'il ne pouvait se réjouir qu'au jour où il communiait, et le nom de la Sainte Vierge lui fut à l'avenir très doux à la bouche et au coeur.

  D'ailleurs, un prêtre, ensorcelé par une enchanteresse, concernant les mauvais désirs charnels, priait Sainte Brigitte de vouloir prier Dieu pour lui, laquelle étant ravie en esprit, ouït : Vous admirez, ô ma fille, pourquoi le diable domine en l'homme : Il fait cela par l'inconstance de la volonté des hommes, comme vous pourrez le voir en ce prêtre qui a été ensorcelé et charmé par une femme.

  Sachez donc que cette femme a trois choses, savoir, l'infidélité, l'endurcissement, les désirs et les cupidités de l'argent et de la chair. C'est pourquoi le diable, s'approchant d'elle, lui fournit de la lie amère de son poison. Sachez aussi que la langue de cette femme sera sa fin, ses mains seront sa mort, et le diable sera le conducteur de son testament.

  Toutes ces choses arrivèrent de la sorte, car la troisième nuit, cette sorcière fut furieuse, et ayant pris un couteau, elle se frappa en l'aine, criant à la présence et audience de tous : Venez, ô diable ! Suivez-moi. Et soudain, elle finit la vie avec une horrible voix. Mais le prêtre susdit fut affranchi des tentations de la chair, et soudain il entra en religion, où il fit un fruit agréable à Dieu.


Chapitre 4 tout homme vertueux et sage prêche généreusement

6004   Jésus-Christ dit à l'épouse que tout homme vertueux et sage prêche généreusement les paroles contenues en ce livre, et la grâce aux peuples qui la désirent, ne la refusant tant aux pauvres qu'aux riches, et de cela, il aura Dieu pour prix éternel.

  Celui qui a l'or de la sapience divine est tenu de faire trois choses : Le distribuer à tous ceux qui le veulent et à ceux qui ne le veulent pas ; Il doit être patient et modéré ; il doit être raisonnable et équitable en la distribution,

Car l'homme qui a ces excellentes vertus, a mon or, c'est-à-dire, ma sagesse. Qu'y a-t-il en effet de plus précieux entre les métaux que l'or ? De même, en mes écritures, il n'y a rien de si digne que la sagesse. Je remplis de cette sagesse celui pour lequel vous me priez, et partant, il doit :

1. Prêcher sans rien craindre, comme mon soldat, ma sainte parole. Non seulement il doit annoncer ma grâce à ceux qui la veulent ouïr, mais encore à ceux qui ne la veulent point ouïr.

2. Qu'il soit lui-même patient pour l'amour de mon nom, sachant qu'il a un seigneur qui a souffert toute sorte d'opprobres.

3. Je dis qu'il soit juste et équitable en la distribution, tant au pauvre qu'au riche ; qu'il ne pardonne à personne ! Qu'il ne craigne aucun, car je suis en lui et lui est en moi.

  Quel est celui qui lui nuira, puisque je suis tout-puissant en lui et hors de lui ? Je lui donnerai un stipende fort riche pour son labeur, non certes corporel ou terrestre, mais moi-même, en qui est tout bien, en qui est toute sorte d'abondance.


Chapitre 5 Notre Seigneur menace grandement les religieux hypocrites et superbes

6005   Ici Notre Seigneur menace grandement les religieux hypocrites et superbes qui troublent en se moquant la simplicité des simples et innocents, par les cornes de médisance et des mauvaises oeuvres. Il les avertit néanmoins pieusement qu'ils se convertissent, et que, sans délai, ils s'adonnent à la vertu, autrement ils seront punis très grièvement.

Je suis le Créateur de toutes choses, qui ne suis point créé, mais je suis l'auteur des créatures. Il y a longtemps que j'ai détourné mes yeux de ce lieu-ci, à raison de l'iniquité des habitants ; car comme les premiers fondateurs se hâtaient d'aller de vertu en vertu, de même maintenant ces modernes vont de mal en pis ; un chacun tâche de perdre l'autre et se glorifie de son péché. Or, maintenant, les prières de ma Mère très chère me fléchissent à miséricorde ; mais il demeure encore quelque racine de cette méchante race, comme vous l'entendrez mieux par quelque similitude.

  Il y avait un pasteur qui dit à son Seigneur, son Dieu : Mon Seigneur, en votre bercail, il y a peu de brebis, et encore, entre celles-là, il y en a bien peu de douces. Il y a encore des béliers colères qui troublent les bonnes, tête desquels n'est utile à rien ; leur peau est corrompue ; leur chair est pourrie, et leurs intestins sont puants.

  Le maître répondit : Que mes brebis douces ne se troublent point ! Je couperai la tête des béliers avec un couteau tranchant ; je leur ôterai la peau, qui ne porte point de laine ; la chair (page 198 ) et les intestins seront jetés aux champs comme pourris et puants, et on les donnera aux oiseaux qui ne savent discerner ce qui est pur de ce qui est impur.

  Je suis le Seigneur qui ai en ce lieu des brebis simples, entre lesquelles il y a comme des béliers affreux en leurs cornes, qui, déchirant les brebis, arrachant la laine, et les poussant avec leurs cornes, les jettent à terre : De même eux, se moquant de la simplicité des innocents, les troublent et les jettent par terre avec les cornes de la médisance et des mauvaises oeuvres. Partant, leur tête, c'est-à-dire, leur intention, élevée par les cornes de l'arrogance et de la présomption, leur sera coupée par mon jugement sévère, qui est un glaive très aigu ; leur peau, c'est-à-dire, leur hypocrisie, de laquelle ils sont revêtus au lieu de la simplicité religieuse, leur sera ôtée, et pour l'hypocrisie, le diable déchirera leur âme et les privera de toute sorte de biens. Aussi ils étaient une chose et en montraient une autre sous un masque emprunté et dissimulé ; Ils me servaient de bouche et me contrariaient par oeuvres. Leur chair voluptueuse, qui, devant moi, est comme une vilaine femme, sera brûlée et consommée par le feu sans miséricorde ; leurs intestins, c'est-à-dire, leurs pensées et leurs affections qu'ils ont au monde et non à moi, lesquelles affections mes ennemis sont fomentés, et non moi, seront ruinées par les démons, de sorte qu'il n'y aura point méchante affection pour laquelle ils ne soient grandement tourmentés.

  Partant, pendant qu'il en est temps encore, que leur tête, c'est-à-dire, que leur volonté déréglée et leur superbe soient changées en humilité d'une peau simple ; Que la chair soit retenue des voluptés ; que les intestins, c'est-à-dire, les pensées monstrueuses, soient guéris par la pénitence salutaire, de peur que je n'exige avec rigueur et justice les peines de leurs démérites, et que ne les soumette à la puissance de Satan, de sorte qu'ils ne pourraient faire que ce qui plaira aux diables, et seraient par eux poussés d'un mal à un autre.

  ADDITION

  Notre Seigneur parle encore sous la parabole du père de famille sur cette maison, les habitants de laquelle disent : Pourquoi Dieu a-t-il fait cette maison de la sorte ? On répond : D'autant qu'on n'a pas voulu faire les paroles de celui qui avertissait, car je leur donnerai des gardes regardant d'en haut, et la terre de leur volupté sera mise en servitude, et le pain leur sera donné en mesure, et on les pourra nombrer à cause de leur petit nombre.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 5011